Pièces retrouvées  -  Emile Nelligan
  Retour au menu
  1. Rêve fantasque
  2. Silvio pleure
  3. La Chanson de l'ouvrière
  4. Nocturne
  5. Coeurs blasés
  6. Mélodie de Rubinstein
  7. Charles Baudelaire
  8. Béatrice
  9. Vieux piano
  10. Moines en défilade
  11. Rythmes du soir
  12. Le Voyageur
  13. Sculpteur sur marbre
  14. Sonnet d'or
  15. Sur un portrait du Dante
  1. Sieste ecclésiastique
  2. Communion pascale
  3. Petit vitrail
  4. La Bénédictine
  5. Fra Angelico
  6. Fragments
  7. A une femme détestée
  8. Le vent, le vent triste de l'automne !
  9. A Georges Rodenbach
  10. Le Crèpe
  11. Un Poète
  12. Le Tombeau de Chopin
  13. Berceuse
  14. Salons allemands

           Rêve fantasque

Les bruns chêneaux altiers traçaient dans le ciel triste,
D'un mouvement rythmique, un bien sombre contour ;
Les beaux ifs langoureux, et l'ypran qui s'attriste
Ombrageaient les verts nids d'amour.

Ici, jets d'eau moirés et fontaines bizarres ;
Des Cupidons d'argent, des plants taillés en coeur,
Et tout au fond du parc, entre deux longues barres,
Un cerf bronzé d'après Bonheur.

Des cygnes blancs et noirs, aux magnifiques cols,
Folâtrent bel et bien dans l'eau et sur la mousse ;
Tout près des nymphes d'or - là-haut la lune douce !
- Vont les oiseaux en gentils vols.

Des sons lents et distincts, faibles dans les rallonges,
Harmonieusement résonnent dans l'air froid ;
L'opaline nuit m arche, et d'alanguissants songes
Comme elle envahissent l'endroit.

Aux chants des violons, un écho se réveille ;
Là-bas, j'entends gémir une voix qui n'est plus ;
Mon âme, soudain triste à ce son qui l'éveille,
Se noie en un chagrin de plus.

Qu'il est doux de mourir quand notre âme s'afflige,
Quand nous pèse le temps tel qu'un cuisant remords,
- Que le désespoir ou qu'un noir penser l'exige -
Qu'il est doux de mourir alors !

Je me rappelle encor... par une nuit de mai,
Mélancoliquement tel que chantait le hâle ;
Ainsi j'écoutais bruire au delà du remblai
Le galop d'un noir Bucéphale.

Avec ces vagues bruits fantasquement charmeurs
Rentre dans le néant le rêve romanesque ;
Et dans le parc imbu de soudaines fraîcheurs,
Mais toujours aussi pittoresque,

Seuls, les chêneaux pâlis tracent dans le ciel triste,
D'un mouvement rythmique, un moins sombre contour ;
Les ifs se balançant et l'ypran qui s'attriste
Ombragent les verts nids d'amour.

       Silvio pleure

Je ne suis qu'un être chétif :
Tout jeune, m'a laissé ma mère ;
Je vais errant et maladif
Je n'ai pas d'amis sur la terre.

Seul soutien et seul compagnon
- Gagne-pain de mes jours très drôle -
Je n'ai qu'un pauvre violon ;
Pour gîte, l'ombrage d'un saule.

Grand comme les cieux est mon coeur ;
Et bien que mon oeil soit sans flamme,
Je lis dans la vie un bonheur,
Et ce bonheur, j'en cherche l'âme.

Le soir, je veille au clair de lune
Jouant des airs tristes et vieux
Qui charment un oiseau nocturne
Ou consolent quelque amoureux.

Ainsi rêvant à l'avenir,
Je songe à mon printemps qui tombe :
Mon passé n'est qu'un souvenir,
Mais, hélas ! il sera ma tombe.

La Chanson de l'ouvrière

Les heurs crèvent comme une bombe ;
À l'espoir notre jour qui tombe
Se mêle avec le confiant.

Pique aiguille ! assez piqué, piquant !
Les heurs crèvent comme une bombe

Ici-bas tout geint, casse ou pleure ;
Rien de possible ne demeure
À ce qui demeurait avant.

Pique aiguille ! assez piqué, piquant !
Ici-bas tout geint, casse ou pleure.

Je suis lasse de cette vie,
Je veux dormir, ô bonne amie,
Laisse-moi reposer, assez !

Non, pique aiguille! assez piquant, piqué !
Je suis lasse de cette vie.

Hâve par ma forte journée,
Je blasphème ma destinée,
Feuille livide au mauvais vent :
Un peu de sang sur mes doigts coule
L'heure râle, pleure et s'écoule.
Ah ! mon pain me rend suffocant.

N'importe, pique aiguille ! piqué, piquant !
L'heure râle, pleure et s'écoule.

Pourquoi donc Dieu me rend-il malheureuse ?
Je suis très pauvre et je vis presque gueuse.
Hélas ! la peine est un fardeau pesant.

N'importe, pique aiguille ! piqué, piquant !
Pourquoi donc Dieu me rend-il malheureuse ?

Tout dans l'abandon je le passe
Mon gagne-pain passe et repasse
Dans un seul même tournement.

N'importe, pique aiguille ! piqué, piquant !
Tout dans l'abandon je le passe.

                  Nocturne

C'est l'heure solennelle et calme du silence,
L'Angélus a sonné notre prière à Dieu ;
Le coeur croyant sommeille en un repos immense,
Noyé dans les parfums languissants du Saint-Lieu.

C'est l'heure du pardon et de la pénitence,
C'est bien l'heure où l'on fait notre plus chate aveu,
Où nos yeux ruisselants, pleurs de reconnaissance,
Retrouvent à la fin l'ardeur du premier feu.

Ô Soir si consolant pour mon coeur ravagé,
Soir de miséricorde au pécheur affligé
Qui demande à son Dieu la manne bienfaisante,

Pénètre de ton ombre une âme à la tourmente,
Recueillement subit du passé dans ton sein,
Pour qu'elle puisse avoir paix et joie au Matin.

              Coeurs blasés

Leurs yeux se sont éteints dans la dernière Nuit ;
Ils ont voulu la vie, ils ont cherché le Rêve ;
Pour leurs coeurs blasphémants d'où l'espoir toujours fuit
Ils n'ont jamais trouvé la vraie et bonne sève.

En vain ont-ils tué l'âme dans la débauche,
Il reste encore effroi ! les tourments du Remords.
L'Ange blême se dresse et se place à leur gauche,
Leur déchire le coeur râlant jusqu'à la Mort.

  Mélodie de Rubinstein

C'est comme l'écho d'un sacré concert
Qu'on entend soudain sans rien y comprendre ;
Où l'âme se noie en hachich amer
Que fait la douleur impossible à rendre.

De ces flots très lents, coeurs ayant souffert
De musique épris comme un espoir tendre
Qui s'en va toujours, toujours en méandre
Dans le froid néant où dorment leurs nerfs,

Ils n'ont rien connu sinon qu'un grand rêve
Et la mélodie éveille sans trève
Quelque sympathie au fond de leurs coeurs.

Ils ont souvenance, aux mélancoliques
Accords, qu'il manquait à leurs chants lyriques
La douce passion qui fait les bons heurs.

         Charles Baudelaire

Maître, il est beau ton Vers ; ciseleur sans pareil
Tu nous charmes toujours par ta grâce nouvelle,
Parnassien enchanteur du pays du soleil,
Notre langue frémit sous ta lyre si belle.

Les Classiques sont morts ; le voici le réveil ;
Grand Régénérateur, sous ta pure et vaste aile
Toute une ère est groupée. En ton vers de vermeil
Nous buvons ce poison doux qui nous ensorcelle.

Verlaine, Mallarmé sur ta trace ont suivi.
Ô Maître, tu n'es plus mais tu vas vivre encore,
Tu vivras dans un jour pleinement assouvi.

Du Passé, maintenant, ton siècle ouvre un chemin
Où renaîtront les fleurs, perles de ton déclin.
Voilà la Nuit finie à l'éveil de l'Aurore.

                    Béatrice

D'abord j'ai contemplé dans le berceau de chêne
Un bébé tapageur qui ne pouvait dormir ;
Puis vint la grande fille aux yeux couleur d'ébène,
Une brune enfant pâle insensible au plaisir.

Son beau front est rêveur ; et, quelque peu hautaine
Dans son costume blanc qui lui sied à ravir,
Elle est bonne et charmante, et sa douce âme est pleine
D'innocente candeur que ne peut rien tarir.

Chère enfant, laisse ainsi couler ton existence,
Espère, prie et crois, console la souffrance.
Que ces courts refrains soient tes plus belles chansons !

J'élève mon regard vers la voûte azurée
Où nagent les astres dans la nuit éthérée,
Plus pure te trouvant que leurs plus purs rayons.

                 Vieux piano

L'âme ne frémit plus chez ce vieil instrument ;
Son couvercle baissé lui donne un aspect sombre ;
Relégué du salon, il sommeille dans l'ombre
Ce misanthrope aigri de son isolement.

Je me souviens encor des nocturnes sans nombre
Que me jouait ma mère, et je songe, en pleurant,
À ces soirs d'autrefois - passés dans la pénombre,
Quand Liszt se disait triste et Beethoven mourant.

Ô vieux piano d'ébène, image de ma vie,
Comme toi du bonheur ma pauvre âme est ravie,
Il te manque une artiste, il me faut L'Idéal ;

Et pourtant là tu dors, ma seule joie au monde,
Qui donc fera renaître, ô détresse profonde,
De ton clavier funèbre un concert triomphal ?

       Moines en défilade

Ils défilent le long des corridors antiques,
Tête basse, égrenant d'énormes chapelets ;
Et le soir qui s'en vient, du sang de ses reflets
Empourpre la splendeur des dalles monastiques.

L'heure a versé déjà ses flammes extatiques
Au fond de leurs grands coeurs où bouillent les secrets
De leur dégoût humain, de leurs mornes regrets,
Et du frisson dompté des chairs cénobitiques.

Ils marchent dans la nuit et rien ne les émeut,
Pas même l'effrayante. horrible ombre du feu
Qui les suit sur le mur jusqu'au seuil des chapelles,

Pas même les appels de l'infernal esprit,
Suprême Tentateur des passions rebelles
De ces silencieux Spectres de Jésus-Christ.

           Rythmes du soir

Voici que le dahlia, la tulipe et les roses
Parmi les lourds bassins, les bronzes et les marbres
Des grands parcs où l'Amour folâtre sous les arbres
Chantent dans les soirs bleus ; monotones et roses

Chantent dans les soirs bleus la gaîté des parterres,
Où danse un clair de lune aux pieds d'argent obliques,
Où le vent de scherzos quasi mélancoliques
Trouble le rêve lent des oiseaux solitaires,

Voici que le dahlia, la tulipe et les roses,
Et le lys cristallin épris du crépuscule,
Blêmissent tristement au soleil qui recule,
Emportant la douleur des bêtes et des choses ;

Voici que le dahlia, comme un amour qui saigne,
Attend d'un clair matin les baisers frais et roses,
Et voici que le lys, la tulipe et les roses
Pleurent les souvenirs dont mon âme se baigne.

              Le Voyageur

Las d'avoir visité mondes, continents, villes,
Et vu de tout pays, ciel, palais, monuments,
Le voyageur enfin revient vers les charmilles
Et les vallons rieurs qu'aimaient ses premiers ans.

Alors sur les vieux bancs au sein des soirs tranquilles,
Sous les chênes vieillis, quelques bons paysans,
Graves, fumant la pipe, auprès de leurs familles
Écoutaient les récits du docte aux cheveux blancs.

Le printemps refleurit. Le rossignol volage
Dans son palais rustique a de nouveau chanté,
Mais les bancs sont déserts car l'homme est en voyage.

On ne le revoit plus dans ses plaines natales.
Fantôme, il disaprut dans la nuit, emporté
Par le souffle mortel des brises hivernales.

  Sculpteur sur marbre

Au fond de l'atelier, titanique sculpture,
Se dresse une statue au piedestal marbré,
Et l'aube rose imprime un reflet empourpré
À travers le vitrail sur sa noble stature ;

Oh ! qu'il fallut de nuits, l'esprit à la torture,
De labeur pour atteindre un semblable degré !
En un grand tourbillon, le visage effaré,
Se voir l'allégorie emportant sa capture ;

Votre coeur est saisi du souffle génial,
Qui frissonne le long de ce corps colossal,
Le Faucheur éternel toujours stable à son oeuvre :

Un Bacchus gît par terre, et chaque visiteur
Peut voir, les bras en croix, le sublime sculpteur
Mort aux pieds de la Mort, son dernier grand chef-d'oeuvre.

              Sonnet d'or

Dans le soir triomphal la froidure agonise
Et les frissons divins du printemps ont surgi ;
L'Hiver n'est plus, vivat ! car l'Avril bostangi,
Du grand sérail de Flore, a repris la maîtrise.

Certe, ouvre ta persienne, et que cet air qui grise,
Se mêlant aux reflets d'un ciel pur et rougi
Rôde dans le boudoir où notre amour régit
Avec les sons mourants, que ton luth improvise.

Allègre, Yvette, allègre, et crois-moi : j'aime mieux
Me griser du chant d'or de ces oiseaux joyeux,
Que d'entendre gémir ton grand clavier d'ivoire.

Allons rêver au parc verdi sous le dégel :
Et là tu me diras si leur Avril de gloire
Ne vaut pas en effet tout Mozart et Haendel.

Sur un portrait du Dante

C'est bien lui, ce visage au sourire inconnu,
Ce front noirci du hâle infernal de l'abîme,
Cet oeil où nage encor la vision sublime :
Le Dante incomparable et l'Homme méconnu.

Ton âme herculéenne, on s'en est souvenu,
Loin des fourbes jaloux du sort de leur victime,
Sur les monts éternels où tu touchas la cime
A dû trouver la paix, ô Poète ingénu.

Sublime Alighieri, gardien des cimetières !
Le blason glorieux de tes oeuvres altières,
Au mur des Temps flamboie ineffaçable et fier.

Et tu vivras, ô Dante, autant que Dieu lui-même,
Car les Cieux ont appris aussi bien que l'Enfer
À balbutier les chants de ton divin Poème.

      Sieste ecclésiastique

                      Croquis d'été

Vraiment, il a bel air sous sa neuve soutane,
Ce cher petit abbé, joufflu, rasé tout frais,
Pour qui la bonne table a d'innocents attraits...
Il en rêve au couvert de l'ombrageux platane.

Midi sonne. En plein ciel le soleil se pavane,
Et monsieur le vicaire, ô scandaleux portrait !
S'est endormi, tout rond, sur la pelouse, abstrait,
Songeant aux gros péchés de quelque courtisane.

On vient de la cuisine... et, sous le blanc rideau,
Blanche pousse Michel, Louise, le bedeau,
Et tous de s'esquiver en éclatant de rire,

Cependant que l'abbé, ne se reprochant rien,
S'étire et murmure en un céleste sourire
Que Bacchus, après tout, était un bon chrétien.

               Communion pascale

Douceur, douceur mystique ! ô la douceur qui pleut !
Est-ce que dans nos coeurs est tombé le ciel bleu ?

Tout le ciel, ce dimanche, à la messe de Pâques,
Dissipant le brouillard des tristesses opaques ;

Plein d'Archanges, porteurs triomphaux d'encensoirs,
Porteurs d'urnes de paix, porteurs d'urnes d'espoirs ;

Aux sons du récital de Cécile la sainte,
Que l'orgue répercute en la pieuse enceinte,

Et pendant que nos yeux, sous les lueurs rosées,
Deviennent des miroirs d'âmes séraphisées,

Sous le matin joyeux, parmi les vitraux peints
Dont la gloire s'allie au nimbe d'or des saints ?

Douceur, d'où nous viens-tu, religieux mystère,
Extase qui nous fais étrangers à la terre ?

Ô Foi ! N'est-ce pas l'heure adorable où le Christ
Étant ressuscité, selon qu'il est écrit,

Ressuscite pour Lui nos âmes amorties
Sous les petits soleils des pascals Hosties ?

           Petit vitrail

Jésus à barbe blonde, aux yeux de saphir tendre,
Sourit dans un vitrail ancien du défunt choeur
Parmi le vol sacré des chérubins en choeur
Qui se penchent vers Lui pour l'aimer et l'entendre.
Des oiseaux de Sion aux claires ailes calmes
Sont là dans le soleil qui poudroie en délire,
Et c'est doux comme un vers de maître sur la lyre,
De voir ainsi, parmi l'arabesque des palmes,
Dans ce petit vitrail où le soir va descendre,
Parmi le vol sacré des chérubins en choeur,
Sourire, en sa beauté mystique, au fond du choeur,
Le Christ à barbe d'or, aux yeux de saphir tendre.

           La Bénédictine

Elle était au couvent depuis trois mois déjà
Et le désir divin grandissait dans son être,
Lorsqu'un soir, se posant au bord de sa fenêtre,
Un bel oiseau y bâtit son nid, puis s'y logea.

Ce fut là qu'il vécut longtemps et qu'il mangea
Mais, comme elle sentait souvent l'ennui renaître,
La soeur lui mit au cou par caprice une lettre...
L'oiseau ne revint plus, elle s'en affligea.

La vieillesse neigeant sur la Bénédictine
Fit qu'elle rendit l'âme, une nuit argentine,
Les yeux levés au ciel par l'extase agrandis :

Or, comme elle y montait au chant d'un choeur étrange,
Elle vit, demandant sa place en paradis,
L'oiseau qui remettait la lettre aux mains d'un Ange !

           Fra Angelico

Le moine Angelico travaillait dès matines
Au rêve de ses jours en gloire épanoui,
Voulant peindre la Vierge et la peindre telle, oui,
Qu'elle ne fut pas aux toiles florentines.

C'est pourquoi le prieur lors des vêpres latines
L'a vu souvent rêver dans la nef, ébloui.
Le moine Angelico travaillait dès matines
Au rêve de ses jours en gloire épanoui.

Or un soir que sonnaient les cloches argentines
Dans sa cellule on vit l'artiste évanoui ;
Sous sa robe il tenait le chef-d'oeuvre enfoui
Qu'un Ange déroba des célestes Sixtines

Pour son Frère toujours à l'oeuvre dès matines.

               Fragments

Or, j'ai la vision d'ombres sanguinolentes
Et de chevaux fougueux piaffants,
Et c'est comme des cris de gueux, hoquets d'enfants
Râles d'expirations lentes.

D'où me viennent, dis-moi, tous les ouragans rauques,
Rages de fifre ou de tambour ?
On dirait des dragons en galopade au bourg,
Avec des casques flambant glauques...

    II- LA MORT DE LA PRIERE

Il entend lui venir, comme un divin reproche,
Sur un thème qui pleure, angéliquement doux,
Des conseils l'invitant à prier... une cloche !
Mais Arouet est là, qui lui tient les genoux.

      III- LE FOU

Gondolar ! Gondolar !
Tu n'es plus sur le chemin très tard.

On assassina l'pauvre idiot,
On l'écrasa sous un chariot,
Et puis l'chien après l'idiot.

On leur fit un grand, grand trou là.
Dies Irae, Dies illa.
À genoux devant ce trou-là !

      IV- LE SOIR

Le soir sème l'Amour, et les Rogations
S'agenouillent avec le Songe.

      V- JE PLAQUE

Je plaque lentement les doigts de mes névroses,
Chargés des anneaux noirs de mes dégoûts mondains
Sur le sombre clavier de la vie et des choses.

      VI- JE SENS VOLER

Je sens voler en moi les oiseaux du génie
Mais j'ai tendu si mal mon piège qu'ils ont pris
Dans l'azur cérébral leurs vols blancs, bruns et gris,
Et que mon coeur brisé râle son agonie.

    VII- REFOULONS LA SENTE

Refoulons la sente
Presque renaissante
À notre ombre passante.

Confabulons là
Avec tout cela
Qui fut de la villa.

Parmi les voix tues
Des vieilles statues
Ça et là abattues.

Dans le parc défunt
Où rôde un parfum
De soir blanc en soir brun...

        A une femme détestée

Combien je vous déteste et combien je vous fuis :
Vous êtes pourtant belle et très noble d'allure,
Les Séraphins ont fait votre ample chevelure
Et vos regards couleur du charme brun des nuits.

Depuis que vous m'avez froissé, jamais depuis,
N'ai-je pu tempérer cette intime brûlure :
Vous m'avez fait souffrir, volage créature,
Pendant qu'en moi grondait le volcan des ennuis.

Moi, sans amour jamais qu'un amour d'Art, Madame,
Et vous, indifférente et qui n'avez pas d'âme,
Vieillissons tous les deux pour ne jamais se voir.

Je ne dois pas courber mon front devant vos charmes ;
Seulement, seulement, expliquez-moi ce soir,
Cette tristesse au coeur qui me cause des larmes.

Le vent, le vent triste de l'automne !

Avec le cri qui sort d'une gorge d'enfant,
Le vent de par les bois, funèbre et triomphant,
Le vent va, le vent court dans l'écorce qu'il fend
Mêlant son bruit lointain au bruit d'un olifant.

Puis voici qu'il s'apaise, endormant ses furies
Comme au temps où jouant dans les nuits attendries ;
Son violon berçait nos roses rêveries
Choses qui parfumiez les ramures fleuries !

Comme lui, comme lui qui fatal s'élevant
Et gronde et rage et qui se tait aussi souvent,
Ô femme, ton amour est parallèle au Vent :

Avant de nous entrer dans l'âme, il nous effleure ;
Une fois pénétré pour nous briser, vient l'heure
Où sur l'épars débris de nos coeurs d'homme, il pleure !

         A Georges Rodenbach

Blanc, blanc, tout blanc, ô Cygne ouvranttes ailes pâles,
Tu prends l'essor devers l'Éden te réclamant,
Du sein des brouillards gris de ton pays flamand
Et des mortes cités, dont tu pleuras les râles.

Bruges, où vont là-bas ces veuves aux noirs châles ?
Par tes cloches soit dit ton deuil au firmament !
Le long de tes canaux mélancoliquement
Les glas volent, corbeaux d'airain dans l'air sans hâles.

Et cependant l'Azur rayonne vers le Nord
Et c'est comme on dirait une lumière d'or,
Ô Flandre, éblouissant tes funèbres prunelles.

Béguines qui priez aux offices du soir,
Contemplez par les yeux levés de l'Ostensoir
Le Mystique, l'Élu des aubes éternelles !

                    Le Crèpe

Combien j'eus de tristesse en moi ce soir, pendant
Que j'errais à travers le calme noir des rues,
Éludant les clameurs et les foules accrues,
À voir sur une porte un grand crêpe pendant.

Aussi devant le seuil du défunt résidant,
Combien j'eus vision des luttes disparues
Et des méchancetés dures, sordides, crues,
Que le monde à ses pas s'en allait épandant.

Bon ou mauvais passant, qui que tu sois, mon frère !
Si jamais tu perçois l'emblême funéraire,
Découvre-toi le chef aussitôt de la main,

Et songe, en saluant la mort qui nous recèpe,
Que chaque heure en ta vie est un fil pour ce crêpe
Qu'à ta porte peut-être on posera demain.

                Un Poète

Laissez-le vivre ainsi sans lui faire de mal !
Laissez-le s'en aller ; c'est un rêveur qui passe ;
C'est une âme angélique ouverte sur l'espace,
Qui porte en elle un ciel de printemps auroral.

C'est une poésie aussi triste que pure
Qui s'élève de lui dans un tourbillon d'or.
L'étoile la comprend, l'étoile qui s'endort
Dans sa blancheur céleste aux frissons de guipure.

Il ne veut rien savoir ; il aime sans amour.
Ne le regardez pas ! que nul ne s'en occupe !
Dites même qu'il est de son propre sort dupe !
Riez de lui !... Qu'importe ! il faut mourir un jour...

Alors, dans le pays où le bon Dieu demeure,
On vous fera connaître, avec reproche amer,
Ce qu'il fut de candeur sous ce front simple et fier
Et de tristesse dans ce grand oeil gris qui pleure !

  Le Tombeau de Chopin

Dors loin des faux baisers de la Floriani,
Ô pâle consomptif, dans les lauriers de France !
Un peu de sol natal partage ta souffrance,
Le sol des palatins, dont tu t'étais muni.

Quand tu nous vins, Chopin, plein de rêve infini,
Sur ton maigre profil fleurissait l'espérance
De faire pour ton art ce qui fit à Florence
Maint peintre italien pour l'âge rajeuni.

Comme un lys funéraire, au vase de la gloire
Tu te penches, jeune homme, et ne sachant plus boire...
Le clavecin sonna ta marche du tombeau !

Dors Chopin ! Que la verte inflexion du saule
Ombrage ton sommeil mélancolique et beau,
Enfant de la Pologne au bras d'or de la Gaule !

         Berceuse

Quelqu'un pleure dans le silence
Morne des nuits d'avril ;
Quelqu'un pleure la somnolence
Longue de son exil.
Quelqu'un pleure sa douleur
Et c'est mon coeur...

           Salons allemands

Je me figure encor ces grands salons muets
Pleins de velours usés et d'aïeules pensives,
De lustres vacillants éblouis des convives
Qui tournaient dans la valse et les vieux menuets.

Je repense aux portraits d'autrefois suspendus
Sur le haut des foyers et qui semblaient nous dire
Dans leur langue de mort : Vivants, pourquoi tant rire ?
Et les beaux vers de Goethe aux soirs d'or entendus.

J'évoque les tableaux flamands, et les artistes
Qui songeaient en fumant dans leurs chaises tout tristes
Et dont l'oeil se portait vers l'âtre hospitalier.

Mais surtout et je pleure et ne sais que résoudre.
Car voici que j'entends chanter sur l'escalier
Le vieux ténor hongrois aux longs cheveux en poudre.

  Retour au menu E-mail : d.berdot@laposte.net