Odes funambulesques (suite)
Théodore de Banville
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AUTRES GUITARES
           L'Ombre d'Éric

Si Limayrac devenait fleur,
Il boirait les pleurs de l'Aurore,
Et, penché sur le sein de Flore,
Il renaîtrait à ce doux pleur.
Son faux col serait sa corolle,
Et d'un lys aurait la couleur;
J'en ferais des bouquets à Rolle,
Si Limayrac devenait fleur.

Si Limayrac devenait fleur,
Ducuing pourrait, à la Chaumière,
L'attacher à sa boutonnière
Et s'en faire une croix d'honneur.
Sur les coteaux et dans les landes,
Voltigeant comme un oiseleur,
Buloz en ferait des guirlandes,
Si Limayrac devenait fleur.

Si Limayrac devenait fleur,
J'en ornerais, près d'une haie,
La houlette d'Arsène Houssaye:
Je l'arracherais sans douleur.
A côté d'une cucurbite,
Il sourirait, en sa pâleur,
A l'éditeur Jules Labitte,
Si Limayrac devenait fleur.

Si Limayrac devenait fleur,
Je le mettrais dedans un vase,
Et quelquefois avec extase
Je l'aplatirais sur mon coeur.
Séduit par son pistil attique,
Peut-être un jeune parfumeur
Nous en ferait de l'huile antique,
Si Limayrac devenait fleur.

Hélas! Limayrac n'est pas fleur,
Et ne peut de parfums de menthe
Enivrer un corset d'amante
Ni l'habit noir d'un enjôleur.
Quoique sa voix, flûte en démence,
Ait charmé le merle siffleur,
Jetons au feu cette romance,
Hélas! Limayrac n'est pas fleur!

                            Novembre 1845.

           Le Mirecourt

Un jour Dumas passait: les divers gens de lettres
Devant son gousset plein s'inclinaient à deux mètres,
      En murmurant: " Ils sont trop verts! "
Un Mirecourt soudain, fait comme un vilain masque,
Fendit la foule, prit son twine par la basque,
      Et lui fit ce discours en vers:

" Alexandre Dumas, compresse de la presse,
Emplâtre qui toujours guéris cette Lucrèce,
      Moxa qu'elle se met partout,
Écoute-moi, pacha de ces Maquets sans nombre,
Ombre de Scudéry, qui de Gigogne est l'ombre,
      Tu n'es qu'un Pitre et qu'un Berthoud!

Tu gâtes le papier de quatre Lamartines.
Comme un Augu trop plein tu répands tes tartines
      Sur Carpentras et Draguignan;
Ta machine à vapeur fait marcher trois cents plumes,
Et tu fais un gâchis en trente-deux volumes
      Des mémoires de d'Artagnan.

Mais ton jour vient. Il faut dans Le Siècle, qui tombe,
Que le premier-Paris sous lui creuse ta tombe!
      Dieu te garde un carcan de bois
Dans La Démocratie, un journal de dentiste,
Dans les entre-filets du Globe, et dans L'Artiste,
      Feuille qui paraît quelquefois!

Porcher te dira: Baste! En des recueils intimes,
Tes vieux ours écriront les noms de tes victimes;
      Tu les entendras te crier:
Mort et damnation! et te traiter de cancre,
Tous ces foetus caducs, ces vieux ours teints de l'encre
      Qui n'est plus dans ton encrier!

Cela doit t'arriver, Yacoub, sans que Chambolle,
Solar ni Girardin te soldent une obole
      Sur le dernier trimestre échu;
Lors même que Dumas, ainsi qu'Abdolonyme,
Vieux et plantant ses choux, prendrait le pseudonyme
      D'Almanzor ou de Barbanchu! "

Dumas avait un jonc en bois de sycomore,
Et ce poing de Titan qui sur la tête more
      Fait cinq cent vingt pour son écot:
Docile au Mirecourt, il lui laissa tout dire,
Pencha son front rêveur, puis avec un sourire
      Fit: " As-tu déjeuné, Jacquot? "

                            Octobre 1846.

           V... le baigneur

V...., tout plein d'insolence,
      Se balance,
Aussi ventru qu'un tonneau,
Au-dessus d'un bain de siège,
      O Barège,
Plein jusqu'au bord de ton eau!

Et comme Io, pâle et nue
      Sous la nue,
Fuyait un époux vanté,
Le flot réfléchit sa face,
      Puis l'efface
Et recule, épouvanté.

Chaque fois que la courroie,
      Qui poudroie,
Passe à fleur d'eau dans son vol,
On voit de l'eau qui l'évite
      Sortir vite
Son pied bot et son faux col.

Reste ici caché, demeure!
      Dans une heure,
Comme le chasseur cornu
En écartant la liane
      Vit Diane,
Tu verras V... tout nu!

On voit tout ce que calfate
      La cravate,
Et son regard libertin
Appelle comme remède
      A son aide
Héloïse Florentin!

Mais un songe le visite!
      Il hésite
A finir ses doux ébats;
Toujours V.... se balance
      En silence,
Et va murmurant tout bas:

" Ah! si j'étais en décembre
      A la Chambre,
Je grandirais d'un bon tiers,
Et je pourrais de mon ombre
      Faire nombre
A côté de monsieur Thiers!

Je pourrais sur mon pupitre
      Faire, en pitre,
Le bruit traditionnel,
Et, commençant une autre ère,
      Ne plus traire
Le Constitutionnel!

A mes festins que le Scythe
      Même cite,
On boirait de l'hypocras!
J'obtiendrais des croix valaques
      Et des plaques:
Je les ferais faire en strass! "

Plus brillant qu'une cymbale,
      Tel s'emballe
Et se voit légiférant,
Ce matassin crucifère
      Qui sut faire
Éclore Le Juif errant!

Et cependant des coulisses
      Ses complices
Vont tous prenant le chemin.
Voici leur troupe frivole
      Qui s'envole,
Cigare aux dents, stick en main.

En passant chacun s'étonne
      Et chantonne,
Et lui dit sur l'air du Tra:
" Oh! la vilaine chenille
      Qui s'habille
Si tard un soir d'Opéra! "

                            Avril 1846.

           La Tristesse d'Oscar

Jadis le bel Oscar, ce rival de Lauzun,
Du temps que son habit vert pomme était dans un
      État difficile à décrire,
Et qu'enfin ses souliers, vainqueurs du pantalon,
Laissant à chaque pas des morceaux de talon,
      Poussaient de grands éclats de rire;

Du temps que son coachman, pâle comme un navet,
Se recourbait en plis tortueux, et n'avait
      Plus de collet d'aucune sorte,
Aucun collet, pas même un collet...  né Révoil,
Et que son vieux chapeau, tout dépourvu de poil,
      Prenait des tons de colle-forte;

O misère! du temps que, tournant au lasting,
Son pantalon, pareil aux tableaux de Drolling,
      Avait ce vernis dont tu lustres
Le gilet fabuleux de Fontbonne et son frac,
Le bel Oscar disait à Paulin Limayrac,
      Publiciste âgé de deux lustres:

" Dieu! que ne suis-je assis dans le Palais-Bourbon!
Quand pourrai-je appeler Ledru-Rollin: Mon bon!
      Et dire en voyant Buloz: Qu'est-ce?
Et puis n'entendre plus dans quelque affreux recoin
Ce monstre me crier: Tu n'iras pas plus loin!
      Quand je veux passer à la caisse.

Paulin! si je payais le cens, ah! tu le sens,
Je connaîtrais aussi ces billets de cinq cents
      Qui sont les pommes de nos Èves,
J'aurais le rameau d'or qui dompte les tailleurs,
Et je verrais enfin des chemises ailleurs
      Que parmi l'azur de mes rêves!

Oui! je ferais remettre un verre à mon lorgnon!
Paulin, j'échangerais ma panne et mon guignon
      Contre l'aisance fantastique
Du baron de Rothschild, et, gagnant à ce troc,
Je peignerais alors mes moustaches en croc
      Et j'y mettrais du cosmétique!

Je dînerais chez Douix! J'aurais des gants serins
Pour poser au balcon des théâtres forains,
      Et, profitant de son extase,
J'abreuverais de luxe et de verres de rhum
Une divinité, reine des Délass-Com,
      De Montmartre ou du Petit-Laze! "

Ainsi parlait Oscar, l'âme et les sens aigris,
Du temps qu'il arborait ces vastes chapeaux gris
      Empruntés à d'anciens fumistes,
Et que, plein d'amertume, il nettoyait ses gants
Avec ces procédés beaux, mais extravagants,
      Qui sont la gloire des chimistes.

Il parlait, et ses yeux imitaient des poignards.
Aujourd'hui, grâce aux voix de cinq cents montagnards,
      Le voilà sorti de l'ornière
Et Bignan le célèbre en d'officiels chants;
C'est la rosette rouge et non la fleur des champs
      Qui fleurit à sa boutonnière.

Il rayonne, il est mis comme un notaire en deuil.
Et cependant toujours parmi l'or de son oeil
      Brille une perle lacrymale;
Il erre, les regards cloués sur les frontons,
Triste comme un bonnet, ou comme ces croûtons
      De pain que nous cache une malle!

Quel rêve peut troubler ce moderne Samson,
Qui sur le nez des siens pose, comme l'ourson,
      Des discours carrés par la base,
Qui d'un pantalon vert couvre ses tibias,
Et qui dans les divers patois charabias
      Éclipse Charamaule et Baze?

Ah! quelque fiel toujours gâte notre hydromel!
Oui, quelque chose encore attriste ce Brummel
      Qui, mettant chaque Amour en cage,
Effaçait les exploits du chevalier d'Éon!
Voilà ce qui l'agace: hier à l'Odéon
      Un voyou l'a pris pour Bocage!

                            Juin 1848.

           Le Flan dans l'Odéon

Avant que la brise adultère
Qui fait le charme des hivers,
N'émaille de recueils de vers
Les parapets du quai Voltaire;
Avant que Chaumier Siméon
N'ait publié ses hexamètres,
Allez, allez, ô gens de lettres,
Manger du flan dans l'Odéon!

Des journaux qui mettent leur liste
Dans l'Annuaire officiel,
Il n'en est pas qui sous le ciel
Soit plus mordoré que L'Artiste.
Messieurs Paul, Arthur et Léon
En sont les rédacteurs champêtres...
Allez, allez, ô gens de lettres,
Manger du flan dans l'Odéon!

Il n'est pas de revue alpestre,
Pas de recueil ni de journal,
Soit chez Bertin ou Jubinal,
Où viennent, vers la Saint-Sylvestre,
Plus de ces chevaliers d'Éon
Moitié lorettes, moitié reîtres...
Allez, allez, ô gens de lettres,
Manger du flan dans l'Odéon!

Nulle part, dans le ciel sans brise,
Les jeunes gens au coeur de feu
Ne regardent d'un oeil plus bleu
La lune changer de chemise.
Ainsi la voyait Actéon
Faire la planche sous les hêtres...
Allez, allez, ô gens de lettres,
Manger du flan dans l'Odéon!

A L'Artiste, la grande actrice
Fut Asphodèle Carabas,
Carabas, qu'avec son cabas
Buloz guignait pour rédactrice.
Hélas! changeant caméléon,
L'Artiste lui tourne les guêtres...
Allez, allez, ô gens de lettres,
Manger du flan dans l'Odéon!

Un étranger vint à L'Artiste,
Jeune, avec un air ahuri.
Était-ce un du Charivari,
Du Furet, du Feuilletoniste?
Était-il le Timoléon
Des Saint-Almes et des Virmaîtres...?
Allez, allez, ô gens de lettres,
Manger du flan dans l'Odéon!

On ne savait. L'ange Asphodèle
Fit avec lui deux mille vers.
Les Vermots et les Mantz divers
Derrière eux tenaient la chandelle.
Ils jouaient de l'accordéon
Pour mieux accompagner ces mètres...
Allez, allez, ô gens de lettres,
Manger du flan dans l'Odéon!

La lune était à la fin nue,
Et ses rayons, doux aux rimeurs,
Parmi le gaz des allumeurs
Découpaient en blanc sur la nue
Les chapiteaux du Panthéon,
Pareils à de grands baromètres...
Allez, allez, ô gens de lettres,
Manger du flan dans l'Odéon!

Mais contre Asphodèle rageuses,
Des bas-bleus, confits par Gannal,
Dans le salon bleu du journal
Dansaient des polkas orageuses.
Les élèves de l'Orphéon
Leur chantaient Les Boeufs aux fenêtres...
Allez, allez, ô gens de lettres,
Manger du flan dans l'Odéon!

On voit dormir au nid la caille
Qu'un vautour fauve lorgne en bas:
Telle s'endormait Carabas.
Le jeune homme au lorgnon d'écaille,
C'était le doux Napoléon
Citrouillard, l'un de nos vieux maîtres...
Allez, allez, ô gens de lettres,
Manger du flan dans l'Odéon!

Et, fougueux comme un Transtamare,
Citrouillard, ce dandy sans foi,
La fit un jour, de par le Roi,
Rédactrice du Tintamarre!
Elle y traduit Anacréon
En vers de quatre centimètres...
Allez, allez, ô gens de lettres,
Manger du flan dans l'Odéon!

                            Septembre 1846.

           L'Odéon

Le mur lui-même semble enrhumé du cerveau.
Bocage a passé là. L'Odéon, noir caveau,
      Dans ses vastes dodécaèdres
Voit verdoyer la mousse. Aux fentes des pignons
Pourrissent les lichens et les grands champignons
      Bien plus robustes que des cèdres.

Tout est désert. Mais non, suspendu, sans clocher,
Le grand nez de Lucas fend l'air comme un clocher.
      Trop passionné pour Racine,
Un pompier, dont le dos servait de point d'appui
A ce nez immoral, sans doute comme lui
      Dans le sol avait pris racine.

" Ah! dit Mauzin, voyant sa pâleur de lotus,
Poëte, pour calmer ces affreux hiatus
      En un lieu que la foule évite,
Et pour te voir tordu par ce rire usité
Chez les hommes qu'afflige une gibbosité,
      Parle, que veux-tu? Dis-le vite!

Que faut-il pour te voir plus gai que Limayrac?
Veux-tu que je t'apporte une cruche de rack?
      Dis, que te faut-il pour que rie
Ta prunelle d'azur, pareille à des saphirs,
Et pour voir tes cheveux s'envoler aux zéphyrs
      Comme les crins de Vacquerie!

Qui pourrait dissiper ton noir abattement?
Te faut-il les gants bleus de monsieur Nettement,
      Ou ce chapeau de roi de Garbe,
Le chapeau de Thoré, cet homme si barbu
Qu'un barbier ne pourrait, sans devenir fourbu,
      En quatre ans lui faire la barbe!

Pour sourire veux-tu le casque du pompier,
Qui consume ses nuits à voir estropier
      La tragédie ou l'atellane?
Que veux-tu, rack, gants, feutre ou le beau casque d'or?
-- Ce que je veux? dit l'homme au profil de condor,
      C'est un nez à la Roxelane! "

                            Juin 1848.

           Bonjour, Monsieur Courbet

En octobre dernier j'errais dans la campagne.
Jugez l'impression que je dus en avoir:
Telle qu'une négresse âgée avec son pagne,
Ce jour-là la Nature était horrible à voir.

Vainement fleurissaient le myrte et l'hyacinthe;
Car au ciel, écrasant les astres rabougris,
Le profil de Grassot et le nez d'Hyacinthe
Se dessinaient partout dans les nuages gris.

Des bâillements affreux défiguraient les antres,
Et les saules montraient, pareils à des tritons,
Tant de gibbosités, de goîtres et de ventres,
Que je les prenais tous pour d'anciens barytons.

Les fleurs de la prairie, espoir des herboristes!
-- Car ce siècle sans foi ne veut plus qu'acheter, --
Semblables aux tableaux des gens trop coloristes,
Arboraient des tons crus de pains à cacheter.

Et, comme un paysage arrangé pour des Kurdes,
Les ormes se montraient en bonnets d'hospodar;
C'étaient dans les ruisseaux des murmures absurdes,
Et l'on eût dit les rocs esquissés par Nadar!

Moi, saisi de douleur, je m'écriai: " Cybèle!
Ouvrière qui fais la farine et le vin!
Toi que j'ai vue hier si puissante et si belle,
Qui t'a tordue ainsi, Nourrice au flanc divin? "

Et je disais: " O nuit qui rafraîchis les ondes,
Aurores, clairs rayons, astres purs dont le cours
Vivifiait son coeur et ses lèvres fécondes,
Étoiles et soleils, venez à mon secours! "

La Déesse, entendant que je criais à l'aide,
Fut touchée, et voici comme elle me parla:
" Ami, si tu me vois à ce point triste et laide,
C'est que Monsieur Courbet vient de passer par là! "

Et le sombre feuillage évidé comme un cintre,
Les gazons, le rameau qu'un fruit pansu courbait,
Chantaient: " Bonjour, monsieur Courbet le maître peintre!
Monsieur Courbet, salut! Bonjour, monsieur Courbet! "

Et les saules bossus, plus mornes et plus graves
Que feu les écrivains du Journal de Trévoux,
Chantaient en choeur avec des gestes de burgraves:
" Bonjour, monsieur Courbet! Comment vous portez-vous? "

Une voix au lointain, de joie et d'orgueuil pleine,
Faisait pleurer le cerf, ce paisible animal,
Et répondait, mêlée aux brises de la plaine:
" Merci! Bien le bonjour. Cela ne va pas mal. "

Tournant de ce côté mes yeux, -- en diligence,
Je vis àave; l'horizon ce groupe essentiel:
Courbet qui remontait dans une diligence,
Et sa barbe pointue escaladant le ciel!

                            Octobre 1854.

           Nadar

Les soirs qu'au Vaudeville, en ce moment sauvé,
      On donne une première
Représentation; quand le gaz relevé
      Couvre tout de lumière;

Et, pour mieux éblouir de feux les vils troupeaux
      Aux faces inconnues,
Quand, les littérateurs déposant leurs chapeaux,
      On voit leurs têtes nues;

Chez tous ces rois à qui la notoriété
      Enseigne ses allures,
Oh! quel spectacle étrange en sa variété
      Offrent les chevelures!

Les unes ont l'aspect de l'ébène; voici
      Les châtaines, les fauves,
Et les beaux fronts de neige, et l'on remarque aussi
      Le bataillon des chauves.

C'est le brun Lherminier, Sasonoff et Murger,
      Et Lemer, doux lévite.
Leurs cheveux peuvent dire en choeur avec Burger:
      " Hurrah! les morts vont vite! "

Louis Boyer, qui prit plus d'une Alaciel
      A plus d'un roi de Garbe,
Dissimule son nez, organe essentiel,
      Sous de grands flots de barbe.

Son visage pourtant n'est pas seul envahi
      Comme celui d'un Serbe,
Et de Goy, dont les mots ont un parfum d'Aï,
      N'est pas non plus imberbe!

Car le Temps, qui sourit de se voir encensé
      Par ceux dont il se joue,
Met, comme un lierre épars, ce feuillage insensé
      Autour de notre joue!

Louis Lurine, habile à bien lancer les dards,
      En a les tempes bleues.
Asselineau pourrait fournir des étendards
      Aux pachas à trois queues.

Méry, chêne au milieu d'arbustes rabougris,
      A vaincu les épreuves;
Il est majestueux et fort sous son poil gris
      Comme les dieux des fleuves.

Dumas, qui pourrait seul, mage éthiopien,
      Chanter la sage Hélène,
Abrite des éclairs son crâne olympien
      Sous des touffes de laine.

Mirecourt dans son ombre, antre de noirs projets,
      Tente de noyer Planche,
Et René Lordereau dans ses boucles de jais
      Garde une mèche blanche.

Villemessant, mêlé, comme les vieux railleurs,
      De faune et de satyre,
Se coiffe en brosse. Et puis j'en passe, et des meilleurs!
      Mais qui pourrait tout dire?

Théo, roi de l'azur où la Muse le suit,
      Amant de la Chimère,
En secouant sa tête, à l'entour fait la nuit,
      Comme un héros d'Homère,

Et Barrière, qui va cherchant la vérité
      Sans songer à sa gloire,
Montre pleins d'ouragans des yeux d'aigle irrité
      Sous une forêt noire.

A côté d'eux on voit les blonds: c'est Dumas fils,
      Dont l'ample toison frise;
C'est Gaiffe, dont la joue est neige, ivoire et lys,
      Et la lèvre cerise.

C'est Castille aux anneaux crêpés; ses yeux ont lui
      Pour quelque étrange rêve,
Et son chef lumineux brille comme celui
      De notre grand'mère Ève.

Voillemot resplendit comme un jeune Apollon.
      Fabuleux météore,
Sa tête radieuse au milieu d'un salon
      Fait l'effet d'une aurore.

Arsène Houssaye, à qui souvent, le coeur troublé,
      Rêvent les jeunes filles,
A des cheveux pareils à ceux des champs de blé
      Tombant sous les faucilles.

Ils sont d'or pâle; ceux du poëte nouveau
      Qui, dans des vers bizarres,
A nommé le public: " Bête à tête de veau, "
      Sont jaunes, fins et rares.

La Madelène est rose, et Marchal est vermeil
      D'une façon hardie,
Mais Nadar sur son front aux comètes pareil
      Arbore l'incendie!

                            Décembre 1858.

           Reprise de La Dame

Mourir de la poitrine
Quand j'ai ces bras de lys,
La lèvre purpurine,
Les cheveux de maïs
Et cette gorge rose,
Ah! la vilaine chose!
Quel poëte morose
Est donc ce Dumas fils!

Je fus, pauvre colombe,
Triste, blessée au flanc;
Déjà le soir qui tombe
Glace mon jeune sang,
Et, j'en ai fait le pacte,
Il faut qu'en femme exacte,
Au bout du cinquième acte
J'expire en peignoir blanc!

Pourtant, j'aime une vie
Qu'un immortel trésor
Poétise, ravie,
Dans un si beau décor;
J'aime pour mes extases
Les feux des chrysoprases,
Les rubis, les topazes,
Les tas d'argent et d'or!

Paris est une ville
Où mille voyageurs
Cherchent au Vaudeville
De pudiques rougeurs,
Où toute jeune fille
Aux façons de torpille
Peut avoir ce qui brille
Aux vitres des changeurs!

J'aime cette lumière
Qui, des lustres fleuris,
Tombe aux soirs de première
Sur ma poudre de riz,
Quand, aux loges de face,
Ma petite grimace,
Malgré leur pose, efface
Cerisette et Souris.

J'aime qu'en ma fournaise
Un lingot fonde entier,
Et que, pour me rendre aise,
Avec un luxe altier
De jeune Sulamite
Qui ne soit pas un mythe,
Plus d'un caissier imite
Grellet et Carpentier!

J'aime que le vieux comte
Soit réduit aux abois
En refaisant le compte
Des perles que je bois,
Enfin, cela m'allèche
De sentir ma calèche
Voler comme une flèche
Par les détours du bois!

J'aime que l'on me bouge
Un grand miroir princier,
Pour me poser ce rouge
Qui plaît à mon boursier,
Tandis que ma compagne,
Brune fille d'Espagne,
Sur l'orgue m'accompagne
Des chansons de Darcier!

Mais surtout, quand, dès l'aube,
S'éloigne mon sous-chef
Natif d'Arcis-sur-Aube,
Renvoyé d'un ton bref,
Dans ma main conquérante
J'aime à tenir quarante
Nouveaux coupons de rente,
Et du papier Joseph!

                            Janvier 1857.

           Marchands de crayons

   Rose pleurait: Un bon jeune homme
   La consola, veillant au grain.
   " -- Ah! de quelque nom qu'on vous nomme,
   Dit-elle, vous allez voir comme
   J'ai raison d'avoir du chagrin!

   Pour Meaux, ayant plié ma tente,
   En avril dernier je partis.
   J'allais hériter de ma tante,
   Dont la dépouille aujourd'hui tente
   Une foule de bons partis.

   Mais ce n'est pas dans la province
   Que resplendit mon firmament:
   C'est ici que loge mon prince,
   L'homme pour qui mon coeur se pince,
   Mon Arthur, mon tout, mon amant!

   Loin de lui mon âme est funèbre;
   A sa voix, qui me fait rêver,
   J'étais docile comme un zèbre!
   C'est un individu célèbre:
   Où pourrais-je le retrouver?

   Car en vain mon regard se dresse!
   Comme Arthur ne m'a pas écrit,
   J'ignore en tout point son adresse.
   Comment donc faire avec adresse
   Ce que mon désir me prescrit?

   O tristesse! jusqu'à la lie
   Je te savoure et je te bois!
   Sa rue, hélas! est démolie:
   Je vois avec mélancolie
   Que l'on y pose un mur de bois! "

   " -- Ne pleurez pas, mademoiselle,
   Dit le bon jeune homme éperdu
   A Rose, en se penchant vers elle;
   Vous allez voir avec quel zèle
   Nous chercherons l'Arthur perdu!

   Puisqu'il s'agit d'un homme illustre,
   Venez au bal de l'Opéra.
   Vous le trouverez sous le lustre,
   Appuyé sur quelque balustre!
   Pour l'entrée, on vous la paiera.

   Les voici tous deux à la fête,
   Dans cet endroit prestigieux,
   Depuis les tapis jusqu'au faîte,
   Où la réunion est faite
   De ce que Paris a de mieux.

   Tout est couleur, lumière, flamme,
   Et l'on s'étouffe à trépasser.
   Le bon jeune homme, exempt de blâme,
   Dit: -- " Cherchez l'ami de votre âme
   Parmi les gens qui vont passer!

   A-t-il quelque prééminence
   Sur l'élite de ces lions
   Du report et de la finance,
   Chez qui la moindre lieutenance
   Vaut au moins quinze millions?

   Voici le maître de Marseille,
   Lireux, Solar, grave et pensif,
   Millaud, à qui Phébus conseille
   La bienfaisance, et qui s'éveille
   Dans une maison d'or massif!

   Puis voici la cohorte insigne
   Des artistes, cerveaux en fleur;
   Hamon, gracieux comme un cygne,
   Galimard qui cherche la ligne,
   Préault qui trouve la couleur!

   Puis Masson, fort de ses magies,
   Et Couture, épris des hasards:
   Tous deux à travers les orgies
   Ont vu passer, de sang rougies,
   Les ombres pâles des Césars.

   Voici Millet, voici Christophe,
   Et tous les fils de Phidias,
   Et Chenavard, ce philosophe,
   Aveuglé par un bout d'étoffe
   Que chiffonne en causant Diaz.

   Voici des acteurs, Hyacinthe,
   Frédérick, Fechter; admirons
   Grassot, qu'on abreuve d'absinthe,
   Et Gueymard, quidans cette enceinte
   Assourdit la voix des clairons!

   Puis voici les porteurs de lyre,
   Les meilleurs Homères du jour,
   Ceux que vers son calvaire attire
   Encore le double martyre
   Fait de poésie et d'amour!

   Voici Musset, dieu de la ville,
   Et Dupont, maître de son pré,
   Et Sainte-Beuve, et Théophile,
   Chanteur pour qui la muse file
   Des jours tissus d'un fil pourpré.

   Voici Bouilhet, que tu conseilles,
   Naïade antique au front de lys,
   Philoxène, amant de merveilles,
   Qui, tout enfant, vit les abeilles
   Baiser les lèvres de Myrtis.

   Puis, dans ce torrent qui s'épanche,
   Voici les frères de Goncourt;
   Mirecourt, acharné sur Planche,
   Et Monselet à la main blanche,
   Vers qui la Renommée accourt.

   Orgueil des nouvelles déesses,
   Voici les trois frères Lévy,
   Tous si ruisselants de richesses
   Que les banquiers et les duchesses
   Les accostent d'un air ravi.

   Connais-tu l'homme plein d'audace
   Devant ces hardis triumvirs,
   Qui les regarde face à face,
   Et dont la jeune presse efface
   L'ancien blason des Elzévirs?

   C'est un fils d'Apollon et d'Ève,
   Le typographe Malassis,
   Que tout bas invoque sans trêve
   Le poëte inédit qui rêve,
   Triste, et sur une malle assis.

   Voici Vitu, chez qui s'allie
   A l'esprit l'or d'un podesta;
   Fauchery, venu d'Australie
   Avec cette douce folie
   Que de Bohême il emporta;

   Puis Lherminier des Amériques!
   Mürger, aux pompons éclatants,
   Vide tous ses écrins féeriques.
   Gozlan jure que les lyriques
   Dureront au plus cinquante ans!

   O soeur de l'aube orientale,
   Regardez bien tous ces héros!
   Car ils sont le luxe qu'étale
   Notre immortelle capitale:
   Après eux tout n'est que zéros. "

   Il dit. La malheureuse fille,
   Ignorante de son destin
   Et rapide comme une anguille,
   Vers le flot confus qui fourmille
   Leva ses deux pieds de satin.

   Sa vue à travers une houle
   Plongea dans les rangs espacés
   Des gens fameux; puis dans la foule
   Elle tomba, lys que l'on foule!... --
   Ces timbaliers étaient passés.

   " -- Mais, hasarda tout bas son guide,
   Elle ouvrait ses yeux languissants,
   Quel peut donc être, enfant candide,
   L'homme célèbre, mais perfide,
   Qui n'est pas parmi ces passants?

   Il n'est pas peintre? C'est étrange.
   Alors, quel succès est le sien?
   Il n'est donc pas, non plus, mon ange,
   Poëte, ou bien agent de change?
   Ni boursier? ni musicien?

   -- Si, répondit-elle, il se pique
   D'être un merveilleux baryton,
   Et, malgré son joli physique,
   Il fait souvent de la musique
   Avec son cornet à piston!

   Son bonnet brille comme un phare
   Sur son costume officiel,
   Lorsque, aux éclats de sa fanfare,
   Le moineau franc tremble et s'effare
   Et s'enfuit vers l'azur du ciel!

   Il aimait à faire tapage
   Par les beaux jours pleins de rayons,
   Assis en vêtement de page
   Sur le sommet d'un équipage,
   Derrière un marchand de crayons!

   Que de fois j'ai voulu les suivre,
   Mêlant mon coeur à l'instrument
   Qui répand les notes de cuivre,
   Comme la gargouille et la guivre
   Se mêlent au noir monument!

   Car leurs coussins étaient deux trônes,
   Quand mon Arthur sonnait du cor
   Près de Mangin en galons jaunes,
   Qui sent des plumets de deux aunes
   Frissonner sur son casque d'or! "

                            Janvier 1857.

           Nommons Couture!

             J'ai l'amour-propre de me croire le seul artiste
           véritablement sérieux de notre  époque (vous voyez que
           j'ai le courage de  mes opinions).

                       THOMAS COUTURE, lettre à M. de Villemessant,
                         Figaro du 28 janvier 1857.

Puisque, hormis Couture,
      Les professeurs
Qui font de la peinture
      Sont des farceurs;

Puisque ce dogmatiste
      Mystérieux
Reste le seul artiste
      Bien sérieux;

Puisque seuls les gens pingres
      Ont le dessein
D'admirer encore Ingres
      Et son dessin;

Puisque tout ce qui cause
      Dit que la croix
Fut offerte sans cause
      A Delacroix;

Puisque toute la Souabe
      Sait que Decamps
N'a jamais vu d'Arabe
      Ni peint de camps;

Puisque, même au Bosphore,
      Chacun saura
Que Fromentin ignore
      Le Sahara;

Puisque, sous les étoiles,
      L'univers n'est
Pas encombré des toiles
      Que fait Vernet

Puisque l'homme féroce
      Nommé Troyon
Ne connaît ni la brosse
      Ni le crayon;

Puisque dans nul ouvrage
      Rosa Bonheur
Ne rend le labourage
      Avec bonheur;

Puisqu'on doit sans alarme
      Croiser le fer
Contre tous ceux que charme
      Ary Scheffer;

Puisqu'en vain les Osages,
      Ont par lazzi
Loué des paysages
      De Palizzi;

Puisque sans argutie,
      On peut nier
L'exacte minutie
      De Meissonier;

Puisque à moins qu'on soit ivre
      De très bon vin,
On ne saurait pas vivre
      Près d'un Bonvin;

Puisque l'on ne réserve
      Ni Daumier, ni
L'étincelante verve
      De Gavarni;

Puisqu'il faut les astuces
      D'un Esclavon
Pour célébrer les Russes
      D'Adolphe Yvon;

Foin des gens qui travaillent
      Pour nous berner!
Que tous les peintres aillent
      Se promener!

Puisque seul il s'excepte,
      Et j'y consens,
Ah! que Couture accepte
      Tout notre encens!

Qu'il règne en sa chapelle!
      Que Camoëns
Ressuscité, l'appelle
      Aussi Rubens!

Qu'il parle à ses apôtres
      En Iroquois!
On ira dire aux autres
      De rester cois!

Pose ton manteau sombre
      Sur ce qu'ils font;
Couvre-les de ton ombre,
      Oubli profond!

Et poursuis comme Oreste,
      Fatalité,
Ce choeur dont rien ne reste,
      Couture ôté!

                            Janvier 1857.

           Le Critique en mal d'enfant

Ce critique célèbre est mort en mal d'enfant.
Quel critique! Il était fort comme un éléphant,
      Vif et souple comme une anguille.
S'il étirait un peu ses membres avec soin,
Il enjambait la mer, et savait au besoin
      Passer par le trou d'une aiguille.

Au spectacle c'était charmant. Comme il jasait!
L'article Frédérick, l'article Déjazet
      Pour lui ne gardaient pas d'arcanes.
Quant à ce qu'on appelle en ce temps-ci: des mots,
Il en laissait toujours au milieu des marmots
      Sept ou huit au bureau des cannes.

Il avait de l'esprit comme Jules Janin
Et comme Beaumarchais; le sourcil léonin
      De ce Jupiter de la rampe
Faisait tout tressaillir, Achilles, Arlequins
Et Gilles; devant lui ces porte-brodequins
      Étaient comme le ver qui rampe.

Ce n'était qu'or et pourpre à tous ses dévidoirs.
Des myrtes qu'il avait cueillis dans les boudoirs
      On eût chargé vingt dromadaires.
Certes il s'en fallait peu qu'il ne mît à bas
La Presse, La Patrie et même Les Débats
      Par ses succès hebdomadaires!

On disait: " Prémaray, ce divin bijoutier,
A pourtant le ciseau moins agile, et Gautier
      La touche moins fine et moins grasse;
Saint-Victor et Méry, coloristes vermeils,
Ne peignent pas si bien les cheveux des soleils:
      Janin lui-même a moins de grâce. "

Il n'était pas heureux pourtant. Devant son feu
Où parfois en silence il voyait d'un oeil bleu
      Mourir en cendre un demi-stère,
Des spectres noirs, sortis du fond de l'encrier,
Le talonnaient. C'est bien le cas de s'écrier
      Ici: " Quel est donc ce mystère? "

Ou bien il était triste en même temps que gai,
Mêlant De Profundis avec Ma mie, ô gué!
      Telle en ces paysages qu'orne
Une blanche fontaine aux paillettes d'argent,
La lune, astre des nuits, folâtre mais changeant,
      Montre ensemble et cache une corne.

Tel vous pouvez le voir gravé par Henriquel;
Et voici le fin mot: le malheur pour lequel,
      Poussant des plaintes étouffées,
Il laissait tant languir son âme en désarroi,
C'était de n'avoir pas d'enfants, comme ce roi
      Qu'on voit dans les contes de fées.

Parfois contemplant seul, le front chargé d'ennuis,
Les clous de diamants sur le plafond des nuits,
      Il invoquait les Muses, l'une
Ou l'autre, et leur disait: " Érato, mon trésor!
Thalie! ô Melpomène à la chaussure d'or! "
      Il disait à la Lune: " O Lune!

Ne m'inspirerez-vous aucun ouvrage? rien?
Quoi! pas même un nouveau système aérien?
      Un livre sur l'architecture?
Un vaudeville, grand de toute ma hauteur?
Ne deviendrai-je point ce qu'on nomme un auteur
      Dans les cabinets de lecture?

Oui, la gloire est à moi, j'ai su m'en emparer;
Et, ne produisant rien, je puis me comparer
      Aux filles qu'on marie honnêtes;
Je reste magnifique autant que paresseux,
Oui, mais ne pouvoir être à mon tour un de ceux
      Qui montrent les marionnettes!

Ce Lesage, hélas! ni cet abbé Prévost!
Ni ce vieux Poquelin sur qui rien ne prévaut!
      Ni ce Ronsard, ni ce Malherbe!
Danser toujours, pareil à Madame Saqui!
Sachez-le donc, ô Lune, ô Muses, c'est ça qui
      Me fait verdir comme de l'herbe!

Oh! que ne puis-je, enflant cette bouche, hardi,
Hurler ces drames noirs que signe Bouchardy,
      Ou bien par un grand élan d'aile,
Faire enfin, n'étant plus un eunuque au sérail,
Des romans comme ceux de Ponson du Terrail
      Ou du ténébreux La Landelle! "

Il le faut, tôt ou tard un dénouement a lieu.
Or, la nymphe d'une eau thermale, ou quelque dieu
      Mettant le nez à la fenêtre,
Voulut prendre en pitié l'illustre paria.
Notre homme devint gros, et chacun s'écria:
      " Quelque chose de fort va naître. "

Lui se tordait avec mille contorsions
De gésine. Ébloui par les proportions
      Vertigineuses de sa taille,
Le prenant pour un mont, Préault disait: " Oh! ça,
C'est Pélion, ou bien son camarade Ossa:
      Allez-vous-en, que je le taille! "

Et l'attente dura dix ans. Les médisants,
Comme un choeur de vieillards, répétèrent dix ans
      A la foule, en s'approchant d'elle:
" Tu prépares ton clair lorgnon, mais vainement.
Va plutôt voir Guignol que cet événement:
      Le jeu n'en vaut pas la chandelle! "

Enfin, pour accoucher le moderne Pança,
On prit tout bonnement une épingle: on pensa
      Le vider comme un oeuf d'autruche.
Il ne sortit pas même, ô rage! une souris
De ce ventre dont l'orbe excita nos souris:
      Le critique était en baudruche!

                            Janvier 1857.

RONDEAUX
           Rolle n'est plus vertueux

Que l'Aurore ait à son corsage
Cent mille fleurs pour entourage
Et teigne de rose le ciel,
Rolle dort comme un immortel,
Sans s'inquiéter davantage.

Mais que, sur sa lointaine plage,
L'Odéon donne un grand ouvrage,
Rolle s'y rend, plus solennel
                Que l'Aurore.

Ce capricieux personnage,
Dont, par un heureux assemblage,
Le patois traditionnel
Plaît au Constitutionnel,
Aime mieux voir lever Bocage
                Que l'Aurore.

                            Janvier 1846.

           Mademoiselle Page

Page blanche, allons, étincelle!
Car, ce rondeau, je le cisèle
Pour la reine de la chanson,
Qui rit du céleste Enfançon
Et doucement vous le musèle.

Zéphyre l'évente avec zèle,
Et, pour ne pas vivre sans elle,
Titania donnerait son
                Page.

Le bataillon de la Moselle
A sa démarche de gazelle
Eût tout entier payé rançon.
Cette reine sans écusson,
C'est Cypris, ou Mademoiselle
                Page.

                            Août 1858.

           Brohan

Sa mère fut quarante ans belle.
Dans ses yeux la même étincelle
D'amour, d'esprit et de désir,
Quarante ans pour notre plaisir
Brilla d'une grâce nouvelle.

Le même éclat paraît en elle;
C'est par cela qu'elle rappelle
Notre plus charmant souvenir,
                Sa mère.

Elle a les traits d'une immortelle.
C'est Cypris dont la main attelle
A son chariot de saphir
Les colombes et le zéphyr;
Aussi l'Enfant au dard l'appelle
                Sa mère.

                            Juin 1855.

           Arsène

Où sait-on mieux s'égarer deux, parmi
Les myrtes verts, qu'aux rives de la Seine?
Séduit un jour par l'Enfant ennemi,
Arsène, hélas! pour lui quitta la saine
Littérature, et l'art en a gémi.

Trop attiré par les jeux de la scène,
Il soupira pour les yeux de Climène,
Comme un Tircis en veste de Lami-
                          Housset.

Oh! que de fois, oeil morne et front blêmi,
Il cherche, auprès de la claire fontaine,
Sous quels buissons Amour s'est endormi!
Houlette en main, souriante à demi,
Plus d'une encor fait voir au blond Arsène
                          Où c'est.

                            Juillet 1849.

           Madame Keller

Quel air divin caressa l'amalgame
De ces lys purs qui nous chantent leur gamme?
Plus patient que les doigts du Sommeil,
Quel blond génie avec son doigt vermeil
De cette neige a su faire une trame?

Ses dents pourraient couper comme une lame
Les dents du tigre et de l'hippopotame,
Et son col fier à du marbre est pareil.
                          Quel air!

Ovide seul, dans un épithalame,
Eût pu monter son vers que rien n'entame
A la hauteur de ce corps de soleil;
Junon, Pallas, Vénus au bel orteil,
Même Betti, le cèdent à madame
                          Keller.

                            Janvier 1846.

           Adieu, Paniers

Lyre d'argent, gagne-pain trop précaire,
Dont les chansons n'ont qu'un maigre salaire,
Je vous délaisse et je vous dis adieu.
Mieux vaut cent fois jeter nos vers au feu
Et fuir bien loin ce métier de galère.

En vain, ma lyre, à tous vous saviez plaire;
Vous déplaisez à ce folliculaire
De qui s'enflamme et gronde pour un jeu
                          L'ire.

Vous n'avez pas, hélas! de caudataire.
Vous n'enseignez au fond d'aucune chaire
Le japonais, le sanscrit et l'hébreu.
Cédez, ma mie, à ce critique en feu
Dont les arrêts ne peuvent pas se faire
                          Lire.

                            Novembre 1845.

           A Désirée Rondeau

Rondeau frivole, où ma rime dorée
Vient célébrer une femme adorée,
Dis ses attraits dont s'affole chacun,
Et ses cheveux pleins d'un si doux parfum,
Qu'eût enviés la Grèce au temps de Rhée.

Dis les Amours qui forment sa chambrée;
Et dis surtout à notre muse ambrée
Que son éloge aurait mieux valu qu'un
                          Rondeau!

Dis qu'en son nid, si cher à Cythérée,
Notre misère est souvent préférée
Au sac d'écus d'un Mondor importun,
Et que toujours, pour le poëte à jeun
S'ouvrent les bras charmants de Désirée
                          Rondeau.

                            Novembre 1845.

TRIOLETS
           Mort de Shakspere

Ducuing, cet ami de Ponsard,
A bien dit son fait à Shakspere.
Ils étaient, avec le hussard
Ducuing, sept amis de Ponsard:
Ils ont tous égorgé Ronsard,
Et sous leurs coups Shakspere expire.
Ducuing, cet ami de Ponsard,
A bien dit son fait à Shakspere.

                            Janvier 1844.

           Néraut, Tassin et Grédelu

Néraut, Tassin et Grédelu
Maintiennent l'art fougueux et chaste.
Je préfère à Tancrède lu
Néraut, Tassin et Grédelu.
Comme Quimper, Honolulu
Célèbre ces Talmas sans faste.
Néraut, Tassin et Grédelu
Maintiennent l'art fougueux et chaste.

                            Décembre 1845.

           Grédelu

Naguères j'ai vu Grédelu
Représenter un jeune singe.
Au fond du grand bois chevelu
Naguères j'ai vu Grédelu.
Ce soir-là, certes, il a plu
Sans l'éclat trompeur du beau linge.
Naguères j'ai vu Grédelu
Représenter un jeune singe.

                            Décembre 1845.

           Tassin

Le beau Tassin, en matassin,
Parfois a fait rêver Labiche.
On n'habille pas sans dessein
Le beau Tassin en matassin.
On eût pris pour un faon, Tassin
Quand il figurait dans La Biche.
Le beau Tassin, en matassin,
Parfois a fait rêver Labiche.

                            Décembre 1845.

           Néraut

Quand ils sont joués par Néraut,
Tous les rôles portent leur homme.
Les rôles ont tous un air haut
Quand ils sont joués par Néraut.
A Nérac, Néraut, en héraut,
Fut pareil à Nero dans Rome.
Quand ils sont joués par Néraut,
Tous les rôles portent leur homme.

                            Décembre 1845.

           Feu de Bengale

Néraut, Tassin et Grédelu
Sont l'honneur des apothéoses.
Roscius n'a jamais valu
Néraut, Tassin et Grédelu.
Ces noms, par un charme absolu,
Voltigent sur des lèvres roses.
Néraut, Tassin et Grédelu
Sont l'honneur des apothéoses.

                            Décembre 1845.

           Leçon de chant

Moi, je regardais ce cou-là.
Maintenant chantez, me dit Paule.
Avec des mines d'Attila,
Moi, je regardais ce cou-là.
Puis, un peu de temps s'écoula...
Qu'elle était blanche, son épaule!
Moi, je regardais ce cou-là;
Maintenant chantez, me dit Paule.

                            Août 1845.

           Académie royale de Mus.

Voulez-vous des Jeux et des Ris?
On en tient chez Monsieur Guillaume.
Il fabrique rats et souris.
Voulez-vous des Jeux et des Ris?
Il fournit le Bal de Paris,
Le Château-Rouge et l'Hippodrome.
Voulez-vous des Jeux et des Ris?
On en tient chez Monsieur Guillaume.

                            Juillet 1846.

Du temps que le maréchal Bugeaud poursuivait vainement Abd-el-Kader

Bugeaud veut prendre Abd-el-Kader:
A ce plan le public adhère.
Dans tout ce que l'Afrique a d'air,
Bugeaud veut prendre Abd-el-Kader.
Il voudrait que cet Iskander,
Cet aigle au grand vol manquât d'aire!
Bugeaud veut prendre Abd-el-Kader:
A ce plan le public adhère.

                            Mai 1846.

           Age de M. Paulin Limayrac

Le jeune Paulin Limayrac
Est âgé de huit ans à peine.
Il est englouti dans son frac,
Le jeune Paulin Limayrac.
Il a beau boire de l'arack
Et prendre une mine hautaine,
Le jeune Paulin Limayrac
Est âgé de huit ans à peine.

                            Mai 1846.

           Bilboquet

            « Voltaire et l'École normale! »
             Figaro du 30 décembre 1858.

Cette malle doit être à nous,
Car c'est la malle de Voltaire.
Mettons-la sens dessus dessous:
Cette malle doit être à nous!
Voltaire a légué ses bijoux
A Lhomond, par-devant notaire.
Cette malle doit être à nous,
Car c'est la malle de Voltaire.

                            Janvier 1859.

           Élève de Voltaire!

As-tu lu Voltaire? Non pas;
Jamais, jamais, pas même en rêve.
Allons, dis si tu nous trompas:
As-tu lu Voltaire? Non pas.
Il suffit: je vais de ce pas
T'annoncer comme son élève!
As-tu lu Voltaire? Non pas;
Jamais, jamais, pas même en rêve.

                            Janvier 1859.

           Monsieur Homais

                      « Lisez Voltaire, disait l'un... »
                       Gustave Flaubert, Madame Bovary.

Non, Homais ne mourra jamais!
Il revient en Croquemitaine.
Ce faux Arouet, c'est Homais:
Non, Homais ne mourra jamais.
Il prend peu de mitaines; mais
On dit qu'il a pour ami Taine.
Non, Homais ne mourra jamais!
Il revient en Croquemitaine.

                            Janvier 1859.

           Polichinelle Vampire

Cet académicien blanc
Hurle sous sa perruque verte.
Voici venir, le glaive au flanc,
Cet académicien blanc.
Muse, il se gorge de ton sang,
Il le boit par la plaie ouverte.
Cet académicien blanc
Hurle sous sa perruque verte.

                            Janvier 1846.

           Opinion sur Henri de La Madelène

J'adore assez le grand Lama,
Mais j'aime mieux La Madelène.
Avec sa robe qu'on lama
J'adore assez le grand Lama.
Mais La Madelène en l'âme a
Bien mieux que ce damas de laine.
J'adore assez le grand Lama,
Mais j'aime mieux La Madelène.

                            Août 1850.

           Note Rose

Hier j'ai vu Mélite au bois
Avec une tignasse rose.
Près de l'Hippocrène où je bois,
Hier j'ai vu Mélite au bois.
Ses beaux airs de biche aux abois
Ont fort indigné Monsieur Chose.
Hier j'ai vu Mélite au bois
Avec une tignasse rose.

                            Décembre 1855.

           Monsieur Jaspin

Connaissez-vous monsieur Jaspin
De l'Estaminet de l'Europe?
Il a la barbe d'un rapin,
Connaissez-vous monsieur Jaspin?
Chevelu comme un vieux sapin,
Il aime la brune et la chope.
Connaissez-vous monsieur Jaspin
De l'Estaminet de l'Europe?

Il donne ses coups de boutoir
A l'Estaminet de l'Europe.
Souvent jusque sur le trottoir
Il donne ses coups de boutoir.
Pourtant la nymphe du comptoir
Assouplit ce dur misanthrope.
Il donne ses coups de boutoir
A l'Estaminet de l'Europe.

                            Novembre 1846.

           Le divan La Peletier

Ce fameux divan est un van
Où l'on vanne l'esprit moderne.
Plus absolutiste qu'Yvan,
Ce fameux divan est un van.
Des farceurs venus du Morvan
Y terrassent l'hydre de Lerne.
Ce fameux divan est un van
Où l'on vanne l'esprit moderne.

Là, Guichardet, pareil aux Dieux,
Montre son nez vermeil et digne.
Ici, des nains qui n'ont pas d'yeux;
Là, Guichardet, pareil aux Dieux.
Mürger, c'est fort dispendieux,
Fait des mots à cent sous la ligne.
Là, Guichardet, pareil aux Dieux,
Montre son nez vermeil et digne.

On voit le doux Asselineau
Près du farouche Baudelaire.
Comme un Moscovite en traîneau,
On voit le doux Asselineau.
Plus aigre qu'un jeune cerneau,
L'autre est comme un Goethe en colère.
On voit le doux Asselineau
Près du farouche Baudelaire.

On y rencontre aussi Babou
Qui fait de ce lieu sa Capoue.
Avec sa plume pour bambou,
On y rencontre aussi Babou.
A sa gauche, un topinambou
Trousse une ode topinamboue.
On y rencontre aussi Babou
Qui de ce lieu fait sa Capoue.

Près de l'harmonieux Stadler,
Flamboie encor La Madelène.
Emmanuel regarde en l'air,
Près de l'harmonieux Stadler.
Voillemot voit dans un éclair
Passer le fantôme d'Hélène.
Près de l'harmonieux Stadler
Flamboie encor La Madelène.

Le divan près de l'Opéra
Est un orchestre de voix fausses.
On ne sait quel mage opéra
Le divan près de l'Opéra.
Ces immortels morts, on paiera
Pour contempler encor leurs fosses.
Le divan près de l'Opéra
Est un orchestre de voix fausses.

                            Septembre 1852.

VARIATIONS LYRIQUES
           Ma biographie

               A Henri d'Ideville.

Le torrent que baise l'éclair
Sous les bois qui lui font des voiles,
Murmure, ivre d'un rhythme clair,
Et boit les lueurs des étoiles.

Il roule en caressant son lit
Où se mirent les météores,
Et, plein de fraîcheur, il polit
Des cailloux sous ses flots sonores.

Tel, je polissais, cher Henri,
Des vers que vous aimez à lire,
Depuis le jour où m'a souri
Le choeur des joueuses de lyre.

J'ai voulu des amours constants
Et, sans me ranger à la mode,
J'ai chéri les cris éclatants
Et les belles fureurs de l'Ode.

Quand, tout jeune, j'allais rêvant
Avec ma libre et fière allure,
Ce fut le caprice du vent
Qui me peignait la chevelure.

C'est au fond du détroit d'Hellé
Que j'ai voulu chercher mes rentes,
Et je n'ai jamais plus filé
Qu'un lys au bord des eaux courantes.

Mais parfois, lorsque, triomphant,
J'enfourchai mes hardis Pégases,
Tombaient de mes lèvres d'enfant
Les diamants et les topazes.

J'ai touché les crins des soleils
Dans les infinis grandioses,
Et j'ai trouvé des mots vermeils
Qui peignent la couleur des roses.

Je vins, chanteur mélodieux,
Et j'ouvris ma lèvre enchantée,
Et sur les épaules des Dieux
J'ai remis la pourpre insultée.

Un instant, le long du chemin
Où des fous m'en ont fait un crime,
J'ai tenu bien haut dans ma main
Le glaive éclatant de la Rime.

Sans repos je me suis voué
Au destin d'embraser les âmes:
Peut-être ai-je encor secoué
Trop peu de rayons et de flammes.

Qu'un plus grand fasse encor un pas,
Chercheur de la lumière blonde!
Ami, je ne suis même pas
La plus belle fille du monde.

                            Juin 1858.

A un ami pour lui réclamer le prix d'un travail littéraire

Mon ami, n'allez pas surtout vous soucier
      De la lettre qu'on vous apporte;
Ce n'est qu'une facture, et c'est un créancier
      Qui vient de sonner à la porte.

Parcourant sans repos, dernier des voyageurs,
      Les Hélicons et les Permesses,
Pour payer mes wagons, j'ai dû chez les changeurs
      Escompter l'or de vos promesses

Vérité sans envers, que l'on nierait en vain,
      Car elle est des plus apparentes,
L'artiste ne peut guère, avec son luth divin,
      Réaliser assez de rentes.

Ainsi que la marmotte, il se sent mal au doigt
      A force de porter sa chaîne:
Toujours il a mangé le matin ce qu'il doit
      Toucher la semaine prochaine.

A moins qu'il soit chasseur de dots, et fait au tour,
      Dieu sait quelle intrigue il étale
Pour ne pas déjeuner, plus souvent qu'à son tour,
      Au restaurant de feu Tantale!

Moi qui n'ai pas les traits de Bacchos, je ne puis
      Compter sur ma beauté physique.
Je suis comme la Nymphe auguste dans son puits;
      Je n'ai que ma boîte à musique!

Ainsi, j'ai beau nommer l'Amour " my dear child ",
      Être un Cyrus en nos escrimes,
Et faire encor pâlir le luxe de Rothschild
      Par la richesse de mes rimes,

Je ne saurais avec tous ces vers que paiera
      Buloz, s'il survit aux bagarres,
D'avance entretenir des filles d'Opéra,
      Ni même acheter des cigares.

Oui, moi que l'univers prendrait pour un richard,
      Tant je prodigue les tons roses,
Je suis, pour parler net, semblable à Cabochard,
      Je manque de diverses choses.

Le cabaret prétend que Crédit est noyé,
      Et, si ce n'est chez les Osages,
Je m'aperçois enfin que l'argent monnoyé
      S'applique à différents usages.

Je sais bien que toujours les cygnes aux doux chants,
      Près des Lédas archiduchesses,
Ont fait de jolis mots sur les filles des champs
      Et sur le mépris des richesses;

Monsieur Scribe lui-même enseigne qu'un trésor
      Cause mille angoisses amères;
Mais je suis intrépide: envoyez-moi de l'or,
      Je n'ai souci que des chimères!

                            Mars 1856.

           Villanellelle de Buloz

J'ai perdu mon Limayrac;
Ce coup-là me bouleverse.
Je veux me vêtir d'un sac.

Il va mener, en cornac,
La Gazette du Commerce.
J'ai perdu mon Limayrac.

Mon Limayrac sur Balzac
Savait seul pleuvoir à verse.
Je veux me vêtir d'un sac.

Pour ses bons mots d'almanach
On tombait à la renverse.
J'ai perdu mon Limayrac.

Sans son habile micmac,
Sainte-Beuve tergiverse.
Je veux me vêtir d'un sac.

Il a pris son havresac,
Et j'ai pris la fièvre tierce.
J'ai perdu mon Limayrac.

A fumer, sans nul tabac!
Depuis ce jour je m'exerce.
Je veux me vêtir d'un sac.

Pleurons, et vous de cognac
Mettez une pièce en perce!
J'ai perdu mon Limayrac,
Je veux me vêtir d'un sac!

                            Octobre 1845.

           Écrit sur un exemplaire des Odelettes

Quand j'ai fait ceci,
Moi que nul souci
    Ne ronge,
La fièvre de l'or
Nous tenait encor:
    J'y songe!

Pendant ces moments,
Comme les romans
    Que fonde
Le joyeux About,
Elle avait pris tout
    Le monde!

Vous rappelez-vous
Les efforts jaloux,
    Les brigues,
Les peurs, les succès?
Le combat eut ses
    Rodrigues!

Oh! qu'il fut ardent,
Hélas! Moi, pendant
    La lutte
Et son bruit d'enfer,
J'essayais un air
    De flûte!

                            Juin 1858.

Couplet sur l'air des " Hirondelles ", de Félicien David

Acteurs chez qui Mérope
Hurle comme un beffroi,
Pour enchanter l'Europe,
Jouez Le Misanthrope
    Sans Geffroy!

                            Août 1847.

           Villanelle des pauvres housseurs

                En avant, mes amis! sus au romantisme!
                Voltaire et l'École normale!
                       Figaro du 30 décembre 1858.

Un tout petit pamphlétaire
Voudrait se tenir debout
Sur le fauteuil de Voltaire.

Je vois sous ce mousquetaire,
Dont le manteau se découd,
Un tout petit pamphlétaire.

Renvoyez au Finistère
Le grain frelaté qu'il moud
Sur le fauteuil de Voltaire.

Il sera le caudataire
Du fameux Taine, et, par goût,
Un tout petit pamphlétaire.

Prud'homme universitaire,
Il a l'air d'un marabout
Sur le fauteuil de Voltaire.

Tirez, tirez-le par terre,
Car il a... pleuré partout
Sur le fauteuil de Voltaire.

Ah! le mauvais locataire!
Bah! l'on raille et l'on absout
Un tout petit pamphlétaire.

Bornons là ce commentaire;
Mais il a manqué... de tout
Sur le fauteuil de Voltaire.

Le célèbre phalanstère
Nous a donné pour ragoût
Un tout petit pamphlétaire.

Mons Purgon, vite un clystère!
Le pauvre homme écume et bout
Sur le fauteuil de Voltaire.

Qui veut, dans son monastère,
Jeter Pindare à l'égout?
Un tout petit pamphlétaire.

De Ferney jusqu'à Cythère,
On rit de voir jusqu'au bout
Un tout petit pamphlétaire
Sur le fauteuil de Voltaire.

                            Décembre 1858.

           Chanson sur l'air des Landriry

Voici l'automne revenu,
Nos anges, sur un air connu,
      Landrirette,
Arrivent toutes à Paris,
      Landriry.

Ces dames, au retour des champs,
Auront les yeux clairs et méchants,
      Landrirette,
Le sein rose et le teint fleuri,
      Landriry.

Mais celles qui n'ont pas quitté
La capitale pour l'été,
      Landrirette,
Ont l'air bien triste et bien marri,
      Landriry.

Nos Aspasie et nos Sontag
Se promènent au Ranelagh,
      Landrirette,
Tristes comme un bonnet de nuit,
      Landriry.

Elles ont vu fort tristement
La clôture du parlement,
      Landrirette,
Leurs roses tournent en soucis,
      Landriry.

Il est temps que plus d'un banquier
Quitte le Havre ou Villequier,
      Landrirette,
Car notre Pactole est tari,
      Landriry.

Frison, Naïs et Brancador
Ont engagé leurs colliers d'or,
      Landrirette,
Et Souris n'a plus de mari,
      Landriry.

Mais voici le temps des moineaux;
Les vacances des tribunaux,
      Landrirette,
Vont ramener l'argent ici,
      Landriry.

Car déjà, sur le boulevard,
On voit des habits de Stuttgard,
      Landrirette,
Et des vestes de Clamecy,
      Landriry.

Tout cela vient avec l'espoir
D'aller à Mabille et de voir,
      Landrirette,
Page et Mademoiselle Ozy,
      Landriry.

Le matin, avec bonne foi,
Ils tombent au café de Foy,
      Landrirette,
Pour lire Le Charivari,
      Landriry.

Puis ils s'en vont, à leur grand dam,
Acquérir sur la foi de Cham,
      Landrirette,
Des jaquettes gris de souris,
      Landriry.

Un Moulinois de mes cousins
Contemple tous les magasins,
      Landrirette,
Avec un sourire ébahi,
      Landriry.

Et déjà ce nouvel Hassan
Guigne un cachemire au Persan,
      Landrirette,
C'est pour charmer quelque péri,
      Landriry.

Il ira ce soir à Feydeau.
Avant le lever du rideau,
      Landrirette,
Il s'écriera: " C'est du Grétry,
      Landriry! "

Courage, Amours, souvent frôlés!
Demain, les bijoux contrôlés,
      Landrirette,
Se placeront à juste prix,
      Landriry.

Bon appétit, jeunes beautés,
Qu'adorent les prêtres bottés,
      Landrirette,
De Cypris et de Brididi,
      Landriry.

Vous allez guérir derechef
Par l'or et le papier Joseph,
      Landrirette,
Vos roses et vos lys flétris,
      Landriry.

Si vous savez d'un air vainqueur
Mettre sur votre bouche en coeur,
      Landrirette,
Les jeux, les ris et les souris,
      Landriry.

Si vous savez, à chaque pas,
Murmurer: " Je ne polke pas, "
      Landrirette,
Vous allez gagner vos paris,
      Landriry.

Vous allez avoir des pompons,
Des fleurettes et des jupons,
      Landrirette,
Comme en portait la Dubarry,
      Landriry.

Vous aurez, comme en un sérail,
Plus de perles et de corail,
      Landrirette,
Qu'un marchand de Pondichéry,
      Landriry.

Plus d'étoiles en diamant
Qu'il ne s'en trouve au firmament,
      Landrirette,
Ou dans un roman de Méry,
      Landriry.

Et cet hiver à l'Opéra,
Où quelque Amadis vous paiera,
      Landrirette,
Vous poserez pour Gavarni,
      Landriry.

                            Septembre 1846.

           Ballade des célébrités du temps jadis

Dites-moi sur quel Sinaï
Ou dans quelle manufacture
Est le critique Dufaï?
Où? sur quelle maculature
Lalanne met-il sa rature?
Où sont les plâtres de Dantan,
Le Globe et La Caricature?
Mais où sont les neiges d'antan!

Où Venet, par le sort trahi,
A-t-il trouvé sa sépulture?
Mirecourt s'est-il fait spahi?
Mantz a-t-il une préfecture?
Où sont les habits sans couture,
Et Malitourne et Pelletan?
Où sont Clesinger et Couture?
Mais où sont les neiges d'antan!

Où sont Rolle des Dieux haï,
Bataille, plus beau que nature,
Cochinat, qui fut envahi,
Tout vif, par la même teinture
Que jadis Toussaint-Louverture,
Et ce Rhéal qui mit Dante en
Français de maître d'écriture?
Mais où sont les neiges d'antan!

             ENVOI

Ami, quelle déconfiture!
Tout s'en va, marchands d'orviétan
Et marchands de littérature:
Mais où sont les neiges d'antan!

                            Novembre 1856.

           Virelai à mes éditeurs

  Barbanchu nargue la rime!
  Je défends que l'on m'imprime!

  La gloire n'était que frime;
  Vainement pour elle on trime,
  Car ce point est résolu.
  Il faut bien qu'on nous supprime:
  Barbanchu nargue la rime!

  Le cas enfin s'envenime.
  Le prosateur chevelu
  Trop longtemps fut magnanime.
  Contre la lyre il s'anime,
  Et traite d'hurluberlu
  Ou d'un terme synonyme
  Quiconque ne l'a pas lu.
  Je défends que l'on m'imprime.

  Fou, tremble qu'on ne t'abîme!
  Rimer, ce temps révolu,
  C'est courir vers un abîme,
  Barbanchu nargue la rime!

  Tu ne vaux plus un décime!
  Car l'ennemi nous décime,
  Sur nous pose un doigt velu,
  Et, dans son chenil intime,
  Rit en vrai patte-pelu
  De nous voir pris à sa glu.
  Malgré le monde unanime,
  Tout prodige est superflu.
  Le vulgaire dissolu
  Tient les mètres en estime:
  Il y mord en vrai goulu!
  Bah! pour mériter la prime,
  Tu lui diras: Lanturlu!
  Je défends que l'on m'imprime.

  Molière au hasard s'escrime,
  C'est un bouffon qui se grime;
  Dante vieilli se périme,
  Et Shakspere nous opprime!
  Que leur art jadis ait plu,
  Sur la récolte il a plu,
  Et la foudre pour victime
  Choisit leur toit vermoulu.
  C'était un régal minime
  Que Juliette ou Monime!
  Descends de ta double cime,
  Et, sous quelque pseudonyme,
  Fabrique une pantomime;
  Il le faut, il l'a fallu.
  Mais plus de retour sublime
  Vers Corinthe ou vers Solyme!
  Ciseleur, brise ta lime,
  Barbanchu nargue la rime!

  Seul un réaliste exprime
  Le Beau rêche et mamelu:
  En douter serait un crime.
  Barbanchu nargue la rime!
  Je défends que l'on m'imprime.

                            Novembre 1856.

           Ballade des travers de ce temps

Prudhomme, fier de montrer son bon goût,
Quand il écrit des lettres, les cachète
D'un casque d'or où flotte un marabout;
Camellia prend des airs de Nichette,
Et le docteur arbore une brochette.
Dès l'an passé, Montjoye eut ce travers
D'aller au bal en bottes à revers;
Sur votre front Courbet met des verrues,
Nymphe aux yeux d'or, Sirène aux cheveux verts:
Voici le temps pour les coquecigrues.

Anges bouffis et vermeils, que partout
L'humble passant peut appeler: " Bichette, "
Dès que Plutus dresse quelque ragoût,
Cent Dalilas apportent leur fourchette.
Amour les guide au bruit de sa pochette.
Par le marteau forgé tout de travers,
C'est un jupon d'acier qui sert d'envers
Aux fiers appas de ces femmes ventrues,
Et ce rempart terrasse les pervers:
Voici le temps pour les coquecigrues.

On n'a plus d'or que pour Edmond About
Au Moniteur ainsi que chez Hachette;
C'est pour lui seul que la marmite bout
Chez Désiré comme au Café Vachette;
C'est lui qu'on prise et c'est lui qu'on achète.
Pourtant Venet écrit à l'Univers;
Machin (du Tarn) dans des recueils divers
Offre au public des lignes incongrues,
Et Champfleury veut supprimer les vers:
Voici le temps pour les coquecigrues.

                       ENVOI

Mon cher François, vers la Touraine et vers
Vos lys, mes chants volent aux bosquets verts.
Je sais qu'ils ont des rimes un peu crues:
C'est que depuis ces dix ou douze hivers,
Voici le temps pour les coquecigrues.

                            Juillet 1856.

           Monsieur Coquardeau
           Chant Royal.

Roi des Crétins, qu'avec terreur on nomme,
Grand Coquardeau, non, tu ne mourras pas.
Lépidoptère en habit de Prudhomme,
Ta majesté t'affranchit du trépas,
Car tu naquis aux premiers jours du monde,
Avant les cieux et les terres et l'onde.
Quand le métal entrait en fusion,
Titan, instruit par une vision
Que son travail durerait la semaine,
Fondit d'abord, et par provision,
Le front serein de la Bêtise humaine.

On t'a connu dans Corinthe et dans Rome,
Et sous Colbert, comme sous Maurepas.
Mais sur tes yeux de vautour économe
Se courbait l'arc d'un sourcil plein d'appas,
Et le sommet de ta tête profonde
A resplendi sous la crinière blonde.
Que Gavarni tourne en dérision
Tes six cheveux! Avec décision
Le démêloir en toupet les ramène:
Un Dieu scalpa, comme l'Occasion,
Le front serein de la Bêtise humaine.

Tu te rêvais député de la Somme
Dans les discours que tu développas,
Et, beau parleur grâce à ton majordome,
On te voit fier de tes quatre repas.
Lorsqu'en s'ouvrant ta bouche rubiconde
Verse au hasard les trésors de Golconde,
On cause bas, à ton exclusion,
Ou chacun rêve à son évasion.
Tu n'as jamais connu ce phénomène;
Mais l'ouvrier doubla d'illusion
Le front serein de la Bêtise humaine.

Comme Pâris tu tiens toujours la pomme.
Dans ton salon, qu'ornent des Mazeppas.
On boit du lait et du sirop de gomme,
Et tu n'y peux, selon toi, faire un pas
Sans qu'à ta flamme une flamme réponde.
Dans tes miroirs tu te vois en Joconde.
Jamais pourtant, coeur plein d'effusion,
Tu n'oublias ta chère infusion
Pour les rigueurs d'Iris ou de Climène.
L'espoir fleurit avec profusion
Le front serein de la Bêtise humaine.

A ton café, tu te dis brave comme
Un Perceval, et toi même écharpas
Le rude Arpin; ta chiquenaude assomme.
Lorsque tu vas, les jambes en compas,
On croirait voir un héros de la Fronde,
Ou quelque preux, vainqueur de Trébizonde.
Mais, évitant avec précision
L'éclat fatal d'une collision,
Tu vis dodu comme un chapon du Maine,
Pour sauver mieux de toute lésion
Le front serein de la Bêtise humaine.

                     ENVOI

Prince des sots, un système qu'on fonde
A son aurore a soif de ta faconde.
Toi, tu vivais dans la prévision
Et dans l'espoir de cette invasion:
Le Réalisme est ton meilleur domaine,
Car il charma dès son éclosion
Le front serein de la Bêtise humaine.

                            Novembre 1856.

           Monselet d'automne
                        Pantoum.

L'automne est doux; adieu, libraires!
L'oiseau chante dans le sillon.
Monselet dit à ses confrères:
" Êtes-vous or pur ou billon? "

L'oiseau chante dans le sillon,
Le ciel dans les vapeurs s'allume.
" Êtes-vous or pur ou billon?
Répondez, soldats de la plume. "

Le ciel dans les vapeurs s'allume:
Ma mie, il faut aller au bois.
" Répondez, soldats de la plume,
Ne parlez pas tous à la fois. "

Ma mie, il faut aller au bois,
Là-bas où la brise soupire.
" Ne parlez pas tous à la fois:
Lequel de vous est un Shakspere? "

Là-bas où la brise soupire,
Il fait bon pour les coeurs souffrants:
" Lequel de vous est un Shakspere?
Lequel est Balzac? Soyez francs. "

Il fait bon pour les coeurs souffrants.
Sur la mousse je veux qu'on m'aime.
" Lequel est Balzac? Soyez francs.
-- " Balzac? dit chacun, c'est moi-même. "

Sur la mousse je veux qu'on m'aime,
De la seule étoile aperçu.
-- " Balzac? dit chacun, c'est moi-même. "
Monselet rit comme un bossu.

De la seule étoile aperçu,
Qu'un baiser de feu me dévore!
Monselet rit comme un bossu.
Bon biographe, ris encore!

Qu'un baiser de feu me dévore!
Hélas! le bonheur est si court!
Bon biographe, ris encore,
On n'entendra plus Mirecourt.

Hélas! le bonheur est si court!
O désirs vains et téméraires!
On n'entendra plus Mirecourt,
L'automne est doux: Adieu, libraires!

                            Septembre 1856.

           Réalisme

   Grâces, ô vous que suit des yeux dans la nuit brune
Le pâtre qui vous voit, par les rayons de lune,
Bondir sur le tapis folâtre des gazons,
Dans votre vêtement de toutes les saisons!
   Et toi qui fais pâmer les fleurs quand tu respires,
Fleur de neige, ô Cypris! toi, mère des sourires,
Dont le costume ancien, même après fructidor,
Se compose de lys avec des frisons d'or!
Et toi, rouge Apollon, dieu! lumière! épouvante!
Toi que Délos révère et que Ténédos vante,
Toi qui, dans ta fureur, lances au loin des traits
Et qu'à présent on force à faire des portraits,
Partisan des linons et des minces barèges,
Patron des fabricants d'ombrelles, qui protèges
Chryse, et qui ceins de feux la divine Cilla,
Regardez ce que font ces imbéciles-là!
   Regardez ces farceurs en costume sylvestre!
Ils agitent leurs bras comme des chefs d'orchestre;
Ils se sont tous grisés de bière chez Andler,
Et les voici qui vont graves, les yeux en l'air,
Rouges pourpres, dirait Mathieu, quant au visage,
Et curieux de voir un bout de paysage.
Ils plantent en cerceaux des manches à balais,
Et se disent: " Voilà des arbres, touchez-les! "
Sur le bord d'un trottoir ils vident leur cuvette
En s'écriant: " La mer! je vois une corvette! "
Un singe passe au dos d'un petit Savoyard,
Ils murmurent: " Amis, saluons ce boyard! "
   Embusqués en troupeaux à l'angle de trois rues,
Sur les fronts des passants ils collent des verrues,
Puis, abordant leur homme avec un air poli:
" Monsieur, demandent-ils, ce nez est-il joli?
Vous aimez les nez grecs, c'est là ce qui vous trompe!
Oh! laissez-moi vous coudre à la place une trompe! "
Celui-ci rencontrant Marinette ou Marton,
Lui met sur le visage un masque de carton;
Celui-là vous arrête et vous souffle la panse,
Et répète: " Le beau n'est pas ce que l'on pense! "
Bientôt, grâce à leurs soins d'artistes, autour d'eux
La foule a pris l'aspect d'un cauchemar hideux:
Ce ne sont qu'oriflans, caprimulges, squelettes,
Stryges entrechoquant leurs gueules violettes,
Mandragores, dragons, origes, loups-garous,
Tarasques; c'est alors que le plus fort d'eux tous
Hurle, en s'échevelant comme un Ange rebelle:
" Par Ornans et le Doubs! que la nature est belle! "
   Extasiés alors des sourcils à l'orteil,
Effarés, éblouis, prenant pour le soleil
La chandelle à deux sous que Margot leur allume,
Ils cherchent l'ébauchoir, les brosses ou la plume,
Et, comme Bilboquet pour le maire de Meaux,
Au lieu d'êtres humains, ils font des animaux
Encore non classés par les naturalistes:
Excusez-les, Seigneur, ce sont des réalistes!
Mais, puisqu'au lieu de lire un livre de crétin,
J'aime à sentir au bois les muguets et le thym;
Puisque la foi nouvelle a des argyraspides
Qui heurtent leur fer-blanc; puisque les moins stupides
De ce temps sont encor ceux qui tressent des lys,
O Sminthée aux cheveux de flamme, et toi, Cypris!
Puisque je ne suis pas, moi charmé dans vos fêtes,
De l'avis de Gozlan, sur ce que les poëtes
Durent un demi-siècle à peine; puisque j'ai
Pour maîtres de bon sens Phyllis et Lalagé;
Puisque j'aime bien mieux faire voler des bulles
De savon, que d'écrire une oeuvre aux Funambules,
Et puisque, même en grec, sans le père Brumoy,
Les Grecs valaient monsieur Chose, permettez-moi,
Au lieu de voir courir tous ces porteurs de chaînes,
De me coucher pensif sous l'ombrage des chênes!
   Permettez-moi d'y vivre inutile, étendu
Sur l'herbe, m'enivrant d'un frisson entendu
Et d'admirer aussi la rose coccinelle,
Et d'aider seulement de ma voix fraternelle,
Cependant que rugit cette meute aux abois,
Le champignon sauvage à pousser dans les bois!

                            Janvier 1857.

           Méditation poétique et littéraire

On écrivait encore, en ces temps romantiques
Où les chants de Ducis étaient des émétiques,
Où, sans pourpoint cinabre, on se voyait banni,
Où Prudhomme, ravi de tomber avec grâce,
Était jeté vivant dans une contre-basse
Pour avoir contesté les vers de Hernani.

On écrivait, tandis que maintenant on gèle.
Où sont les Antony, les Ruy-Blas, les Angèle,
        Et ces jours, morts, hélas!
Où Frédérick, faisant revivre Aristophane,
Sous le mépris des sots et la robe d'un âne
        Cachait Tragaldabas?

On écrivait, au sein de l'antique Bohème
Où le chat de Mimi brillait sur le poëme,
Où Schaunard éperdu, dédaignant tout poncif,
Si quelqu'un devant lui vantait sa pipe blonde,
Lui répondait: " J'en ai pour aller dans le monde
Une plus belle encore, " et devenait pensif.

Aujourd'hui Weill possède un bouchon de carafe,
Arsène a des maisons, Nadar est photographe,
        Véron maître-saigneur,
Fournier construit des bricks de papier, et les mâte,
Henri La Madelène a fait du carton-pâte:
        Lequel vaut mieux, Seigneur?

                            Décembre 1856.

           A Augustine Brohan

Thalie, amante des grands coeurs,
Voix éloquente et vengeresse,
J'ai bu les amères liqueurs:
Prends mes chansons, bonne Déesse.

Berce-les au bruit des grelots!
Muse au beau front, nymphe homérique,
De ta lèvre coule à grands flots
Notre inspiration lyrique.

Ton rire, comme un clair soleil,
Épanouit les gaîtés franches,
Pourpre vive, rosier vermeil,
Éblouissement de dents blanches!

Que de fois, chancelant encor
Sous le mal dont je suis la proie,
Tes accents de cristal et d'or
M'ont rendu la force et la joie!

Oh! que de fois j'ai mendié
L'enthousiasme et l'ironie
Sur le théâtre incendié
Par les éclairs de ton génie!

C'est pourquoi, ne dédaigne pas
Le pur diamant de mes rimes,
Nymphe, dont j'ai baisé les pas
Sur la neige des grandes cimes.

Car sur ton front céleste a lui
L'ardent rayon qui me déchire,
Et nous nous aimons en Celui
Qui nous a légué son martyre.

O spectacle trois fois divin
De voir une telle écolière
Tremper sa bouche dans le vin
Dont s'enivra le grand Molière!

Toi qui le charmes au tombeau,
Thalie, Augustine, âme élue
Pour ce délire encor si beau,
L'Ode est ta soeur, et te salue.

                            Septembre 1858.

           La Sainte Bohème

                  ...Il chanta d'une voix tonnante à laquelle
                nous répondîmes en choeur: Vive la Bohême!
                            George Sand, La dernière Aldini.

Par le chemin des vers luisants,
De gais amis à l'âme fière
Passent aux bords de la rivière
Avec des filles de seize ans.
Beaux de tournure et de visage,
Ils ravissent le paysage
De leurs vêtements irisés
Comme de vertes demoiselles,
Et ce refrain, qui bat des ailes,
Se mêle au vol de leurs baisers:

Avec nous l'on chante et l'on aime,
Nous sommes frères des oiseaux.
Croissez, grands lys, chantez, ruisseaux,
Et vive la sainte Bohème!

Fronts hâlés par l'été vermeil,
Salut, bohèmes en délire!
Fils du ciseau, fils de la lyre,
Prunelles pleines de soleil!
L'aîné de notre race antique
C'est toi, vagabond de l'Attique,
Fou qui vécus sans feu ni lieu,
Ivre de vin et de génie,
Le front tout barbouillé de lie
Et parfumé du sang d'un dieu!

Avec nous l'on chante et l'on aime,
Nous sommes frères des oiseaux.
Croissez, grands lys, chantez, ruisseaux,
Et vive la sainte Bohème!

Pour orner les fouillis charmants
De vos tresses aventureuses,
Dites, les pâles amoureuses,
Faut-il des lys de diamants?
Si nous manquons de pierreries
Pour parer de flammes fleuries
Ces flots couleur d'or et de miel,
Nous irons, voyageurs étranges,
Jusque sous les talons des anges
Décrocher les astres du ciel!

Avec nous l'on chante et l'on aime,
Nous sommes frères des oiseaux.
Croissez, grands lys, chantez, ruisseaux,
Et vive la sainte Bohème!

Buvons au problème inconnu
Et buvons à la beauté blonde,
Et, comme les jardins du monde,
Donnons tout au premier venu!
Un jour nous verrons les esclaves
Sourire à leurs vieilles entraves,
Et, les bras enfin déliés,
L'univers couronné de roses,
Dans la sérénité des choses
Boire aux Dieux réconciliés!

Avec nous l'on chante et l'on aime,
Nous sommes frères des oiseaux.
Croissez, grands lys, chantez, ruisseaux,
Et vive la sainte Bohème!

Nous qui n'avons pas peur de Dieu
Comme l'égoïste en démence,
Au-dessus de la ville immense
Regardons gaîment le ciel bleu!
Nous mourrons! mais, ô souveraine!
O mère! ô Nature sereine!
Que glorifiaient tous nos sens,
Tu prendras nos cendres inertes
Pour en faire des forêts vertes
Et des bouquets resplendissants!

Avec nous l'on chante et l'on aime,
Nous sommes frères des oiseaux.
Croissez, grands lys, chantez, ruisseaux,
Et vive la sainte Bohème!

                            Juin 1847.

           Ballade de la vraie sagesse

Mon bon ami, poëte aux longs cheveux,
Joueur de flûte à l'humeur vagabonde,
Pour l'an qui vient je t'adresse mes voeux:
Enivre-toi, dans une paix profonde,
Du vin sanglant et de la beauté blonde.
Comme à Noël, pour faire réveillon
Près du foyer en flamme, où le grillon
Chante à mi-voix pour charmer ta paresse,
Toi, vieux Gaulois et fils du bon Villon,
Vide ton verre et baise ta maîtresse.

Chante, rimeur, ta Jeanne et ses grands yeux
Et cette lèvre où le sourire abonde;
Et que tes vers à nos derniers neveux,
Sous la toison dont l'or sacré l'inonde,
La fassent voir plus belle que Joconde.
Les Amours nus, pressés en bataillon,
Ont des rosiers broyé le vermillon
Sur le beau sein de cette enchanteresse.
Ivre déjà de voir son cotillon,
Vide ton verre et baise ta maîtresse.

Une bacchante, aux bras fins et nerveux,
Sur les coteaux de la chaude Gironde,
Avec ses soeurs, dans l'ardeur de ses jeux,
Pressa les flancs de sa grappe féconde
D'où ce vin clair a coulé comme une onde.
Si le désir, aux yeux d'émerillon,
T'enfonce au coeur son divin aiguillon,
Profites-en; l'Ame, disait la Grèce,
A pour nous fuir l'aile d'un papillon:
Vide ton verre et baise ta maîtresse.

                 ENVOI

Ma muse, ami, garde le pavillon.
S'il est de pourpre, elle aime son haillon,
Et me répète à travers son ivresse,
En secouant son léger carillon:
Vide ton verre et baise ta maîtresse.

                            Décembre 1856.

           Le Saut du Tremplin

Clown admirable, en vérité!
Je crois que la postérité,
Dont sans cesse l'horizon bouge,
Le reverra, sa plaie au flanc.
Il était barbouillé de blanc,
De jaune, de vert et de rouge.

Même jusqu'à Madagascar
Son nom était parvenu, car
C'était selon tous les principes
Qu'après les cercles de papier,
Sans jamais les estropier
Il traversait le rond des pipes.

De la pesanteur affranchi,
Sans y voir clair il eût franchi,
Les escaliers de Piranèse.
La lumière qui le frappait
Faisait resplendir son toupet
Comme un brasier dans la fournaise.

Il s'élevait à des hauteurs
Telles, que les autres sauteurs
Se consumaient en luttes vaines.
Ils le trouvaient décourageant,
Et murmuraient: " Quel vif-argent
Ce démon a-t-il dans les veines? "

Tout le peuple criait: " Bravo! "
Mais lui, par un effort nouveau,
Semblait roidir sa jambe nue,
Et, sans que l'on sût avec qui,
Cet émule de la Saqui
Parlait bas en langue inconnue.

C'était avec son cher tremplin.
Il lui disait: " Théâtre, plein
D'inspiration fantastique,
Tremplin qui tressailles d'émoi
Quand je prends un élan, fais-moi
Bondir plus haut, planche élastique!

" Frêle machine aux reins puissants,
Fais-moi bondir, moi qui me sens
Plus agile que les panthères,
Si haut que je ne puisse voir
Avec leur cruel habit noir
Ces épiciers et ces notaires!

" Par quelque prodige pompeux,
Fais-moi monter, si tu le peux,
Jusqu'à ces sommets où, sans règles,
Embrouillant les cheveux vermeils
Des planètes et des soleils,
Se croisent la foudre et les aigles.

" Jusqu'à ces éthers pleins de bruit,
Où, mêlant dans l'affreuse nuit
Leurs haleines exténuées,
Les autans ivres de courroux
Dorment, échevelés et fous,
Sur les seins pâles des nuées.

" Plus haut encor, jusqu'au ciel pur!
Jusqu'à ce lapis dont l'azur
Couvre notre prison mouvante!
Jusqu'à ces rouges Orients
Où marchent des Dieux flamboyants,
Fous de colère et d'épouvante.

" Plus loin! plus haut! je vois encor
Des boursiers à lunettes d'or,
Des critiques, des demoiselles
Et des réalistes en feu.
Plus haut! plus loin! de l'air! du bleu!
Des ailes! des ailes! des ailes! "

Enfin, de son vil échafaud,
Le clown sauta si haut, si haut,
Qu'il creva le plafond de toiles
Au son du cor et du tambour,
Et, le coeur dévoré d'amour,
Alla rouler dans les étoiles.

                            Février 1857.

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