Stephane Dupuy

 

Introduction

Vers la démocratie électronique ?

Vers l’anarchisme ?

Contre l’Etat

Conclusion

Bibliographie

 


Introduction

 

Avertissement
Problématique
Cadre théorique
Méthodologie
Informatique, multimédia
La société de l’information
Internet : définition, fonctionnalité
Historique
Direction
Utilisation
Internet, quel média ?
Communautique et cyberspace

Avertissement

Ce travail peut paraître bien discutable, tant par son contenu que par la forme. Si vous avez des commentaires à faire, n'hésitez pas à me faire parvenir vos avis et critiques divers. De même, références bibliographiques et autres sites seront les bienvenus. Toutefois, étant absent pour l'été pour cause de voyage, ne vous inquiétez pas si vous ne recevez pas de remerciements (acquis d'avance) ou de réponses à d'éventuelles questions.
De plus, en convertissant mon texte en HTML, toutes les notes de bas de page faisant référence aux auteurs ont disparu, et je n'ai hélas pas le temps de rendre à César ce qui lui appartient, du moins pour l'instant. Si vous êtes vous-même concerné, n'en prenez pas trop d'ombrage...
Merci et bonne lecture.
 
 
 
 

Aujourd’hui, dimanche 25 mai 1997, ont eu lieu des élections législatives en France. Le taux d’abstention est de plus de 30 %. Tout va-t-il si bien que les gens considèrent comme inutile d’aller voter ? Personne n’oserait seulement croire à une telle fadaise. Non, la population ne croit plus à l’importance des élections. Réfléchissons-y un moment : un tiers des électeurs français n’a pas cru bon d’aller voter, c’est «le plus grand parti de France». Sans compter ceux qui ne sont pas inscrits... Dans une semaine, des élections auront lieu au Canada ; le même schéma va-t-il se reproduire ? Parmi les affiches officielles des candidats, d’autres proclament : «Votez bien, votez rien».
Dire que la société va mal, c’est une gageure : tout le monde le sait et le ressent, le malaise social s’étend. Nous vivons dans un monde en mutation constante, dans un village global où chacun cherche tant bien que mal à se raccrocher à quelques valeurs locales. Il nous semble intéressant d’essayer de comprendre en quoi notre système politique peut avoir une influence sur la société, et quels sont les aspects qui peuvent en être critiqués.

Problématique

Autour d’une problématique qui remet en cause notre système démocratique, une hypothèse principale : les nouvelles technologies de l’information et de la communication participent au bouleversement du système, sont en train de changer les règles de notre démocratie. Les formes d’organisation, les relations de pouvoir, les rapports entre l’Etat et l’individu sont en mutation. Le média électronique permet d’expérimenter des formes de démocratie plus directes, et plus participatives, de décentraliser et délocaliser le pouvoir. Ces tendances vont dans le sens d’une organisation de la société sous une forme anarchique. L’individu acquiert une place prépondérante dans la communauté, qui tend à s’auto-organiser.

Nous commencerons par définir notre nouveau monde de communication en donnant quelques définitions liés à l’informatisation. Egalement, nous verrons quelles sont les implications sociales de ce nouveau média. En conclusion nous donnerons une définition de ce que nous entendons par démocratie électronique.
Ensuite nous rendrons compte des expériences concrètes en matière de démocratie électronique : forum électroniques, e-mail, listes de diffusion... Nous nous appliquerons donc à faire un bilan des expériences et analyses dans ce domaine. Nous aurons bien évidemment à voir l’Internet. Nous ferons un parallèle entre les changements de pouvoir dans les organisations et la société. Surtout, nous traiterons des implications directes de ce nouveau média sur la vie démocratique.

Il nous semble dénué de tout intérêt la question de la république électronique si on ne la situe pas dans le contexte, si on ne la justifie pas. Pour expliquer un grain de blé, il faudrait démonter le monde, disait Pascal. C’est un peu le problème rencontré ici, car pour parler de démocratie électronique, il faut définir la démocratie, ses tenants et aboutissants. Il faut aussi parler de représentation, de problèmes sociaux et économiques, qui sont le cœur de la question et qui justifient la démocratie électronique. Nous aborderons aussi des notions d’individualisme, de globalisation, de responsabilité, de la place de l’Etat aujourd’hui et de son rôle. Nous glisserons de la démocratie électronique à l’anarchisme, car il n’y a qu’un pas à franchir entre les deux, et c’est peut-être le moment de le faire. Nous éclairerons donc les tendances sociales actuelles sous la «lumière noire» de l’anarchisme.

Il y dans ce travail des mots-clés qu’il est bon de noter et de se rappeler car ils aident à la compréhension globale : des mots tels que représentation, auto-organisation, auto-gestion, ordre et désordre, responsabilité, globalisation, présents dans les premières pages ne prendront tout leur sens que dans la seconde moitié du mémoire.

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Cadre théorique

Pour traiter le sujet, plusieurs perspectives, parfois imbriquées, ont été choisies : construction sociale, déterminisme, appropriation, cybernétique, systémique, théorie du chaos sont les bases théoriques choisies pour étudier le problème.

La théorie systémique utilisée dans le mémoire pour expliquer certains points est aussi l’approche choisie dans le cadre du mémoire : au lieu d’analyser en détail certains aspects liés à la démocratie, nous avons privilégié une approche plus globale qui permet mieux d’appréhender le système social dans sa complexité.

Cependant, pour aborder le sujet, nous nous sommes restreints à une approche communicationnelle, sans aller chercher d’explications du côté de la philosophie politique. Nous avons limité notre travail aux changements organisationnels dans la société, et à leurs implications sur les formes de pouvoir. Aussi, certains aspects importants des pratiques démocratiques ne sont pas abordés ; les conditions d’accès aux nouvelles technologies, l’éducation des citoyens, le rôle des médias en tant que quatrième pouvoir dans la démocratie ne sont pas traités ici.

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Méthodologie

Si le mémoire est essentiellement théorique, il s’appuie sur des études faites dans les organisations portant sur les changements liés à l’arrivée des nouvelles technologies.

Devant l’ampleur du sujet, nous nous rendons bien compte à quel point notre travail peut paraître présomptueux, surtout pour un mémoire de maîtrise. Nous savons pertinemment que chaque notion abordée ici pourrait constituer un travail en soi.
Notre approche peut paraître simpliste, utopique même. Les sujets ne seront abordés que superficiellement, et l’approche pourra sembler grossière et simpliste.
Cependant, l’analyse systémique nous semble être la plus juste pour mettre en relief notre problématique ; celle-ci, aussi outrecuidante qu’elle puisse être, consiste à chercher une solution à un système politique qui conduit le monde à sa faillite. Sans prétention, nous avons cherché à formaliser une idée que nous avions ressentie depuis longtemps déjà, à savoir que la liberté de l’individu, essentielle, prime sur l’Etat, et que celui-ci ne doit devenir ni instrument de coercition sur les citoyens, jamais, ni les décharger de leurs responsabilités.

Ce mémoire a été réalisé à Montréal où nous suivions des cours dans le cadre d’un échange inter-universitaire. L’exil sur le continent américain nous a permis d’établir des comparaisons entre les systèmes politiques, il nous a également permis d’avoir accès à de l’information de source «usanienne» en anglais.

 

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 Réseaux informatiques et démocratie


Informatique, multimédia

Au commencement était l’ordinateur, machine de calcul, et aussi capable de mémoriser de l’information, mais machine barbare, obscure et effrayante qu’un nombre limité d’individus, la caste des informaticiens, parvenait à dompter. Il est devenu aujourd’hui un outil indispensable dans tous les secteurs de la société, et le jour n’est pas loin où cet appareil se trouvera dans les foyers au même titre que le poste de télévision. Des vagues successives de miniaturisation des composants, de développement en puissance des capacités, et une amélioration des interfaces devenant de plus en plus user-friendly ont permis à l’ordinateur de se frayer un chemin. Sans compter la diminution des coûts et l’augmentation des capacités des ordinateurs, qui mettent l’ordinateur à la portée de n’importe quel revenu moyen. Dorénavant, même les enfants de l’école primaire l’apprennent et sont capables de l’utiliser

De plus, les progrès dans le codage de l’information permettent désormais de numériser texte, images fixes et animées, sons, ce qui signifie qu’on peut regarder un film ou écouter des disques sur un ordinateur. Il est capable de tout traiter, c’est ce qu’on appelle la convergence des médias vers le tout numérique, le multimédia.

Mais le plus important, c’est qu’un ordinateur peut être relié à d’autres ordinateurs, simplement par le réseau téléphonique, grâce à un modem (modulateur/démodulateur de fréquence). Et là réside le cœur du sujet, les ordinateurs qui communiquent.

L’ordinateur est un outil, et déjà en tant que tel, il bouleverse les méthodes traditionnelles de travail ; et ce faisant, toutes les pratiques faisant appel à l’informatique, jusqu’à l’organisation des entreprises s’en trouvent transformées. Mais la société dans son ensemble est touchée par le phénomène, et il est courant d’entendre que d’une société industrielle, nous passons à une société post-industrielle de l’information, nous voyageons sur les autoroutes de l’information. Qu’est-ce que ces expressions signifient ?

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La société de l’information

Les autoroutes de l’information : ce terme est employé pour désigner les réseaux informatiques qui permettent la circulation importante d’information, résultat logique de la convergence vers le tout-numérique, et d’une société dont l’information constitue une matière première vitale.

Selon Steven Rosell , la société de l’information est une interaction entre des dynamiques sociales et techniques, dont :

Rosell voit aussi certains effets de la société de l’information sur le processus de gouvernement :

Nous ne détaillerons pas plus ces différents points pour l’instant, mais nous aurons l’occasion de les reprendre par la suite. Nous verrons quelles sont les implications directes de ce que l’on appelle la société de l’information. Daniel Bell  en deux petites phrases va maintenant nous introduire les enjeux clés de la révolution des communications que nous vivons concernant le pouvoir :

...oui il s’agit d’une révolution des transmissions ; elle se trouve à l’intersection de ces vastes changements sociaux et elle pose un problème fondamental d’adaptation nouvelle : comment trouver l’unité sociale appropriée ? Quelle doit être sa dimension, sa portée ? et quels problèmes doit-elle résoudre ? une unité qui puisse répondre aux petits problèmes de la vie de tous les jours et aux grands problèmes internationaux.

Ici ce sont tous les problèmes de réorganisation de la société dans son ensemble qui sont posés, mondialisation comprise.

On dispose d’une technologie mondiale et on a l’amorce d’une économie mondiale. Et cependant les unités politiques ne réagissent pas du tout dans le même sens.

Et là, il nous montre du doigt LE problème : le retard du politique sur l’économique.
Ce que nous allons tenter de montrer, c’est que les deux phénomènes, bien évidemment liés, appellent une seule et même réponse, le retour du pouvoir au citoyen, sous une forme qu’il nous reste à définir. Mais pour commencer, nous allons nous appliquer à définir quelles sont les conséquences de l’informatisation sur la société.

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Internet : définition, fonctionnalités

Créé en 1969 par les militaires américains, récupéré dans les années 1970 par les libertaires, utilisé ensuite par les scientifiques, le réseau Internet connaît maintenant un développement exceptionnel auprès du grand public. Il est aujourd’hui devenu en moins de quatre ans un média d’importance dont la croissance est considérable. Qu’est véritablement ce réseau, comment s’est-il constitué ?

Historique

L’Internet est né il y a vingt ans, à partir d’un projet de connexion du réseau Arpanet, du département de la défense américain, avec des réseaux radios et satellites extérieurs. Arpanet était un réseau expérimental créé à des fins de recherche militaire, appliquées entre autres à l’étude de réseaux pouvant supporter des dommages partiels tout en restant opérationnels. La philosophie de base est que chaque ordinateur du réseau peut dialoguer d’égal à égal avec n’importe quel autre ordinateur connecté.

Les utilisateurs qui y avaient accès devinrent rapidement enthousiastes et les demandes de connexion se multiplièrent. Les développeurs portèrent les logiciels IP (Internet Protocol) sur tous les types de machines.

Les technologies de réseaux locaux se développaient lentement et en 1983 les premières stations de travail, qui utilisaient les protocoles IP, apparurent. Cette apparition créa une nouvelle demande; plutôt que de connecter un seul gros système par site, les organismes souhaitaient pouvoir connecter leur réseau local dans son ensemble à Arpanet, ce qui permettait à tous les ordinateurs de ce réseau local d’accéder aux services d’Arpanet. Dans le même temps, d’autres grandes sociétés ou organismes commencèrent à construire des réseaux privés d’entreprises à partir des mêmes classes de protocoles.
Le plus important de ces nouveaux réseaux fut NSF-NET, financé par la National Science Fondation (NSF), une agence gouvernementale américaine finançant la recherche. A la fin des années 1980, la NSF créa cinq grands centres de calcul, équipés de super-calculateurs, dans de grandes universités réparties sur le territoire américain. En créant ces centres, la NSF voulait les mettre à la portée de n’importe quel chercheur universitaire. Seuls cinq centres furent créés pour des raisons de coût et devaient donc être partagés. Cela posait un problème de communication ; il fallait relier ces centres entre eux, et permettre d’autre part aux utilisateurs d’y accéder. Une première tentative utilisant Arpanet échoua pour des raisons bureaucratiques.
En réponse, la NSF décida de construire son propre réseau, reposant sur la technologie IP d’Arpanet. On mit en place des réseaux régionaux. Dans chaque région, les universités étaient connectées à leur plus proche voisin. Chaque ensemble régional était connecté à un des centres de calcul de manière unique, les cinq centres étant enfin reliés entre eux. Dans cette configuration, chaque ordinateur pouvait communiquer avec n’importe quel autre en transitant par les sites voisins.
En 1989, des chercheurs du Centre Européen de Recherche Nucléaire développèrent un nouveau protocole permettant à l’Internet de porter des images : le Web était né. Basé sur la navigation en hypertexte, très convivial, c’est la plateforme la plus connue du grand public. Aujourd’hui texte, bien évidemment, mais aussi sons, imges fixes et animées transitent par le Web à travers le monde entier.

Direction

L’Internet n’a ni président ni directeur technique. Les réseaux qui le constituent peuvent avoir des présidents ou des directeurs mais il n’y a pas d’autorité unique de l’Internet.
En fait, l’organe d’orientation de l’Internet repose sur l’Internet Society (ISOC). C’est une organisation dont les membres sont volontaires et dont le but est de promouvoir l’échange des informations à l’aide des technologies de l’Internet. Il constitue un conseil des sages qui a la responsabilité de la direction technique ainsi que de l’administration de l’Internet.
Le conseil des sages est composé d’un groupe de volontaires appelé l’IAB (Internet  Architecture Board). L’IAB se réunit régulièrement pour «donner sa bénédiction» à des standards et allouer des ressources, comme des adresses.
Les utilisateurs de l’Internet peuvent exprimer leur opinion au travers des réunions de l’Internet Engineering Task Force (IETF). L’IETF est une autre organisation de volontaires qui se réunit régulièrement pour discuter de problèmes techniques ou opérationnels de l’Internet. Lorsqu’apparaît un problème qui semble important, l’IETF peut mettre en place un groupe de travail pour l’analyser. Chacun peut assister aux réunions de l’IETF et faire partie des groupes de travail.

Utilisation

Principalement deux enquêtes nous ont fourni les chiffres qui vont suivre : celle du Réseau inter-ordinateurs scientifique québécois  (Risq) et de l’Association française de télématique  (Aftel).
La première concerne les internautes québécois, interrogés tous les six mois sur leurs usages par le Risq. Du premier au 30 septembre 1996, 5 500 internautes ont complété le questionnaire diffusé sur le site Web du Risq. Ces répondants ne constituent pas un échantillon représentatif, car remplissaient le questionnaire ceux qui voulaient.
L’enquête de L’Aftel constitue le premier chapitre de son rapport : Internet : les enjeux pour la France (édition 1997). L’auteur lui-même nous met en garde sur la méthode employée, le caractère décentralisé rendant le recensement difficile.

Il faut s’appuyer sur des sources parcellaires, toutes imparfaites. Les plus solides, qui présentent par ailleurs l’avantage d’exister depuis longtemps et d’avoir donc donné lieu à des mesures cohérentes, portent sur les domaines et les hosts ; ces statistiques donnent une idée de la dynamique de l’Internet et de la place de chaque pays, mais les chiffres absolus ne signifient pas grand-chose. Pour estimer le nombre d’utilisateurs, il faut recourir à des enquêtes par sondage, dont la fiabilité est variable et qui ne mesurent pas toutes la même chose.

La croissance sur le Net est très rapide. En juillet 1996, 13 millions d’hosts étaient connectés, soit 94 % de plus qu’en juillet 1995.
Canada : 552 029
France : 189 786
Entre 50 et 55 millions de personnes ont eu accès à l’ensemble des ressources du réseau dans le monde, 300 à 400 000 en France

Fréquence d’utilisation : 70 % des utilisateurs américains interrogés par Nielsen déclarent avoir accédé au réseau dans la dernière semaine, et 34 % dans les dernières 24 heures. 12 % déclarent l’utiliser plus d’une fois par jour. Plusieurs enquêtes tendent cependant à montrer que la fréquence et la durée moyenne d’utilisation décroît, notamment du fait de l’arrivée de nouveaux utilisateurs à la fois moins rôdés et moins passionnés par l’Internet : seuls 4 % des nouveaux utilisateurs, contre 24 des anciens, se connectent plus d’une fois par jour.
Il semble toutefois que la fréquence d’utilisation croisse à mesure que l’on se familiarise avec le Net et que celui-ci s’enrichit : selon Médiangles, 35 % des utilisateurs français se connectent de plus en plus souvent, contre 3 % qui déclarent l’utiliser de moins en moins.
La durée moyenne d’utilisation en avril-mai 1996 était de 10 heures en moyenne chez les français et de 12 chez les américains. Le NDP Group, qui mesure l’usage réel du Web et non un usage déclaré, estime le temps moyen passé par chaque utilisateur du Web à 2,6 heures par jour.
Selon l’enquête du Risq, la très grande majorité des répondant se servent de la toile pour se divertir, soit 88 % d’entre eux.

Le courrier électronique permet d’envoyer et de recevoir des messages d’ordinateur à ordinateur.
Entre 70 et 75 millions de personnes ont accès au courrier électronique dans le monde, 700 000 à 900 000 en France.
C’est le service le plus utilisé pour 23 % des répondants à l’enquête du Risq.

Le World Wide Web est l’interface multimédia de l’Internet, qui supporte texte, image et son. Elle est l’origine de l’engouement du grand public pour le réseau. La toile occupe une part croissante des usages, à égalité dans les déclarations des américains avec le courrier électronique. En mars 1996, 47 % des internautes américains déclaraient l’utiliser fréquemment contre 35 % en août 1995.
Au Québec, la toile est le service le plus fréquemment utilisé pour 69 % des répondants.
En France, le fournisseur d’accès Calvacom a analysé quelques-unes des données du trafic de ses abonnés :

AltaVista a fait le compte des pages Web : en septembre 1996, il en dénombrait 30 millions, contre 11 en avril...

Les Chat sont des logiciels qui permettent de dialoguer par écrit en direct avec d’autres personnes. L’un des plus connus est « Palace », interface graphique dans laquelle nous prenons une icône pour nous représenter. Sous cette forme, on se déplace dans le château, d’une pièce à l’autre et on discute au fil des rencontres.

CuSeeMe est un nouveau logiciel qui permet de parler et de se voir à l’aide d’une caméra sur le Web sans payer de frais d’interurbain.

Les forums de discussion : le courrier électronique permet de participer aux discussions de communautés virtuelles. On peut suivre les discussions d’un forum thématique sur Usenet et/ou se faire inscrire sur une liste de diffusion pour recevoir les messages du groupe. Les forums sont des espaces collectifs dans lesquels des gens partageant les mêmes intérêts laissent des articles ou des messages publics. Ils sont l’équivalent électronique du tableau d’affichage.
Offertes sur abonnement, les listes de diffusion permettent de recevoir par courrier électronique toutes les interventions des autres abonnés.

Internet, quel média ?

Internet est d’abord une gigantesque base de données, où l’on peut obtenir une quantité incroyable d’informations. C’est un lieu de diffusion très ouvert.
Sur l’Internet, la communication fait place à l’action : le récepteur peut devenir à tout moment un émetteur dont le message pourra être reçu par des milliers de personnes. C’est ce qui le distingue des autres médias : le support Internet se laisse imprimer par qui bon lui semble. Le réseau est la porte ouverte à toutes formes de participations. En outre, c’est un support qui cumule des fonctions de mémorisation, de duplication et distribution, tout cela à grande échelle.
La communication médiatisée par ordinateur offre un nouveau mode de communication : à partir du moment où quelqu’un lance un message sur le réseau, ce message échappe à son destinataire, qui ne contrôle pas la discussion. Tous ceux qui sont intéressés peuvent prendre la parole pour répondre, ce n’est pas à chacun son tour, et toutes les voix seront entendues. Mais l’orientation de la discussion échappe à l’initiateur, chacun rajoutant son morceau à l’ensemble. Cette forme d’interaction sociale rompt avec les deux schémas traditionnels de communication, soit de un à un, soit de un émetteur à plusieurs récepteurs (communication de masse).

Ainsi, selon l’usage que l’on fait d’Internet, celui-ci peut devenir moyen de communication interpersonnel, au même titre que le téléphone, ou bien puissant média de masse.

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Communautique et cyberspace

L’appropriation du cyberspace : nouveau «cadre social d’échange et de réciprocité»

Les communautés virtuelles sont, selon Harvey , un concept fondamental dans l’analyse de l’appropriation des nouvelles technologies. Une communauté virtuelle est :

un espace public caractérisé par une communication entre les groupes, c’est-à-dire entre les membres et leur groupe, entre les membres eux-mêmes et entre différents groupes. Les groupes développent des intérêts communs : affinités professionnelles, culturelles, géographiques ou autres...

De nouveaux réseaux de sociabilité se développent donc. On constate une fragmentation des auditoires, qui entraîne une tribalisation de la société. Celle-ci se base sur l’interactivité grâce aux systèmes télématiques et voit la multiplication de petits groupes de réseaux. Ces groupes interagissent entre eux et s’approprient les contenus, les réseaux, les technologies.

Pierre Lévy  prêche pour la construction d’une intelligence collective (intelligence partout distribuée, sans cesse valorisée, coordonnée en temps réel, qui aboutit à une mobilisation effective des compétences) :

nous inventerions progressivement les techniques, les systèmes de signes, les formes d’organisation sociale et de régulation qui nous permettraient de penser ensemble.
 

Les usagers ont su construire une technologie dans l’Internet (ou en dehors) qui réponde à leurs besoins en s’appropriant véritablement le média.

Au début du Minitel, celui-ci était distribué gratuitement afin de remplacer l’annuaire. Mais très vite les premières messageries apparaissent, constituant une fraude au système, les concepteurs n’ayant pas imaginé pareille utilisation. Le système de messagerie a connu un grand développement, grâce aux messageries roses principalement. Ceci constitue un bel exemple de construction de technologie par les usagers, et malgré les pressions politiques et économiques de gens qui s’inquiètent de cet engouement, les messageries s’imposeront.

La fonctionnalité de courrier électronique était prévue dans le réseau Arpanet (l’ancêtre d’Internet), mais elle était accessoire. Elle devint néanmoins rapidement une des plus utilisées. Les chercheurs s’en servaient pour échanger des idées et débattre avec leurs collègues et des étudiants. Une communauté se constitua rapidement, malgré que quelques administrateurs s’opposaient à ce qu’ils considéraient comme une utilisation abusive.

Le freenet est un réseau d’information permettant d’avoir accès gratuitement aux services offerts par les institutions et les organismes. Il est surtout destiné à tous ceux qui n’ont pas les moyens de s’offrir du matériel et une connexion privée.
Depuis 1985, la Case Western Reserve University (CWRU) de Cleveland a expérimenté un système informatique communautaire ouvert et gratuit à de nombreux services. Un ordinateur multi-usagers, appelé un serveur freenet, est établi à un endroit centralisé. Le serveur est accessible avec un modem par une ligne téléphonique ; il permet aux usagers d’avoir accès à une multitude de services : courrier électronique, éducation, loisirs, politique... N’importe qui dans la communauté peut avoir accès au freenet, accessible également par Internet.
Les services sont fournis par les usagers de la communauté sur une base de bénévolat.
Fin 1992, le Cleveland freenet comportait plus de 36 000 membres et recevait 11 000 appels par jour.

Ainsi de nouvelles communautés se créent et se développent grâce au support informatique, et aujourd’hui essentiellement dans l’Internet. Mais les réseaux ainsi développés n’ont pas tous la même fonction. Friedland  définit quatre modèles de réseaux :

Ils développent une justice sociale, prennent en charge certains problèmes de société comme l’environnement, les sans-abris... La responsabilité est distribuée. Ces réseaux tirent leurs informations en grande partie de leurs membres. Il existe aux Etats-Unis deux réseaux représentatifs : IGC (Institute for Global Communications), qui lutte pour les droits de l’homme et l’environnement et HandsNet, un groupe constitué de communautés locales luttant contre la malnutrition et les problèmes d’hébergement. IGC est le résultat de la fusion de PeaceNet et d’EcoNet, traitant respectivement de paix et d’écologie. Se rajoutèrent ensuite les réseaux LaborNet, ConflictNet et Women’s Net. Tous ces réseaux «sont la même chose. Ils partagent des sources d’information et donnent aux gens un sens communautaire et un sentiment d’appartenance à un groupe». IGC est basé sur un modèle complètement décentralisé. Il héberge plus de 1 000 forums. Aujourd’hui IGC compte environ 13 000 membres, et 300 à 500 organisations. Il accueille aussi d’autres réseaux spécialisés, comme l’UNICEF par exemple.

Ces termes recouvrent plusieurs types de réseaux : babillards, réseaux civiques... Le plus important aux Etats-Unis est le NPTN (National Public Telecomputing Network). Il compte plus de 380 000 adhérents actifs, ce qui suggère un fort potentiel de participation démocratique.

Aux Etats-Unis, le gouvernement joue un rôle important dans la régulation des infrastructures, les gouvernements locaux ont beaucoup de pouvoir et ont joué un rôle important dans le développement des communautés locales.

La chute des prix des matériels informatiques va élargir le nombre de gens susceptibles de publier des documents électroniques. Une expérience menée par des étudiants a montré que les coûts de publication étaient relativement faibles ; de plus, la structure du réseau permet de rassembler des documents éparpillés pour une republication. Enfin, les liens hypertextes permettent de composer un texte adoptant plusieurs points de vue, avec des informations supplémentaires plus ou moins riches selon les desiderata des usagers. Cela permet la mise en perspective d’une information, par exemple en permettant la consultation d’archives.

Tout le monde ne partage pas cette idée de l’agora virtuelle, loin s’en faut. Selon Léo Scheer ,

La communauté qui s’édifie sur ces bases ne met donc rien en commun, elle connecte ou elle commute, mais n’invite pas à partager un objet, une valeur ou une référence qui conduirait à évacuer la singularité ; ce qui se définit comme le «commun». L’être quelconque est enfant de l’aléatoire. Il est n’importe lequel, et pourtant il est celui qui importe, quelle que soit sa nationalité, sa race, sa religion. Il participe de cette forme de vie proprement impossible à sauver, car rien n’y est à sauver. Il est en suspens dans l’ordre flottant de la démocratie virtuelle, qui lui ouvre la possibilité de tout vivre, y compris ses passions sans objet.

Il semble pourtant qu’il y a une chose au moins, essentielle, que les gens partagent sur le réseau : c’est leur présence, indéniable, et le partage de l’information et des idées. Il prend l’échange d’information et la participation au débat pour une espèce d’existence virtuelle dénaturée, alors que ce sont des sujets communs, des intérêts réciproques qui lient les participants d’un groupe de discussion par exemple.

Dans l’entreprise aussi (d’abord, devrait-on plutôt dire), l’informatisation apporte de nouveaux changements sociaux, les agents deviennent acteurs, et Saint-Pierre   se demande si on assiste à un «triomphe de la gestion participative».On constate également un mouvement important d’individualisation. Nous verrons plus tard quelle importance cela peut avoir.

Les technologies de la micro-informatique pourraient servir d’outils à la mise en forme et à la consolidation de ces orientations au niveau de l’organisation du travail. Mais elles pourraient aussi servir de support à la constitution de nouveaux réseaux de solidarité sociale et de nouveaux rapports laissant émerger des acteurs sociaux autonomes et créatifs, directement impliqués dans la mise en forme des outils de production et dans la mise au point des produits.

Nous venons donc de voir que la société intègre les nouvelles technologies, les développe selon ses besoins et se les approprie. Avec les réseaux la société virtuelle prend forme et grandit chaque jour, modifiant les pratiques de travail et de communication au quotidien ; les rapports entre les individus changent. L’intérêt de traiter de la communautique réside dans le fait que si les citoyens acceptent le média et l’utilisent autant, il y a des chances que ce même média soit utilisé de façon plus sérieuse dans le jeu démocratique. Nous allons donc maintenant nous pencher sur les effets de l’informatique sur les différentes composantes de la démocratie.

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Vers la démocratie électronique ?

 

La diffusion de l’information
Le vote électronique : vers la démocratie directe ?
Vote électronique
Démocratie directe
Critiques
Le débat : vers plus de participation ?
Expériences
Quelques principes
Evaluation
Décentralisation/centralisation
Qui décide de l’informatisation ?
La délocalisation du pouvoir
Tactiques et stratégies
Application à l’entreprise
Conclusion
Conclusion

Pour traiter pareil sujet, il faudrait commencer par définir ce que l’on entend par démocratie, en présenter les variantes et les assises philosophiques. Mais un tel travail est hors de question compte-tenu du cadre d’étude. Néanmoins, nous pouvons présenter quelques notions essentielles à la compréhension. Une démocratie, par définition, est le gouvernement du peuple par lui-même. Ce gouvernement, dans nos sociétés, est élu par le peuple qui délègue sa voix par le biais du vote à des représentants. Le gouvernement a pour but d’assurer, grâce à la structure de l’Etat, le bien-être des citoyens, qu’il représente.

Or donc, aujourd’hui, les réseaux apportent de multiples changements dans le rapport des citoyens au pouvoir, que ce soit en matière d’information, de consultation ou de prise de décision.
Selon Friedland , deux approches co-existent concernant le pouvoir électronique :

Proposé par les futuristes comme Alvin Toffler, il reflète le marché et ceux en meilleure position de mobiliser les médias seront bien placés pour obtenir les suffrages d’éventuels plébiscites selon Friedland.

Il s’appuie sur la démocratie représentative et essaie de renforcer la participation, la technologie n’est pas un but en soi. Il s’appuie sur des réseaux sociaux déjà présents dans la «réalité».

Nous allons voir que si les deux modèles existent bel et bien, les effets de l’informatique ne se réduisent pas à ces deux types.

La diffusion de l’information

Cela paraît évident, mais Internet est avant tout un lieu d’information. Cette nouvelle bibliothèque de Babel virtuelle est une source d’information considérable, dans laquelle n’importe qui ayant un accès peut puiser. Notons quand même que l’accès peut considérer un gros problème, notamment dans les pays du Tiers-Monde. Mais même dans ces pays, les accès se multiplient, et les scientifiques peuvent désormais accéder aux articles scientifiques en même temps que les chercheurs occidentaux, chose inconcevable auparavant, la diffusion d’articles et de livres dans les pays d’afrique pouvant prendre parfois plusieurs années.
L’Internet apporte aussi une prise de conscience dans les pays opprimés, et la censure étant difficile à établir sur le réseau, les populations découvrent les sociétés démocratiques par le biais du réseau.
Il s’agit du côté positif de la réception d’information, mais il ne faut surtout pas oublier le côté émission d’Internet qui permet grâce à son langage HTML (Hyper Text Mark-up Language) une édition simple pour quiconque désire créer et diffuser ses propres documents. C’est en fait un des moyens de communication les plus économiques et des plus simples. De nombreux journaux électroniques alternatifs existent et font contre-poids aux médias traditionnels, plus conservateurs.

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Le vote électronique : vers la démocratie directe ?

Partout dans le monde des expériences de vote électronique sont testées. Certains y voient l’avènement d’une nouvelle démocratie plus directe. Celle-ci aurait l’avantage de rendre les élus plus sensibles aux aspirations des citoyens, d’augmenter la participation des citoyens. De fait, d’autres craignent le pouvoir d’une majorité toute puissante qui dicterait ses lois à une minorité sans protection, les élus étant censés gouverner pour le bien de tous et pas seulement de la majorité qui les a élus. Nous allons d’abord faire un tour d’horizon des expériences de vote électronique, puis nous verrons ensuite l’analyse qu’en font certains chercheurs.

 Vote électronique

Lors des dernières élections présidentielles américains, le milliardaire Ross Perot, candidat, promettait de gouverner par plébiscites, par séances télévisées interactives. Lors de sa campagne, il a court-circuité les médias traditionnels.
Dans quelques Etats aux Etats-Unis, les votes et référendum remplacent les procédures législatives d’établissement des lois ou de vote des budgets. De même, le public prend désormais part dans le judiciaire avec les procès télévisés, et c’est une réalité dont les magistrats tiennent compte. Ils utilisent eux aussi les médias pour influencer l’opinion publique.
Comme le note Grossman ,

Today, however, electronic voting, polling, and opinion registering technologies are changing in radical ways, although most of these technologies still reside somewhere on the periphery of officials democratic practice. In the 1994 statewide elections, voters decided nearly 150 ballot initiatives. Oregonians alone considered 19 issues, Coloradans 12, and Californians 10, on everything from gay rights issues, to cutting off public benefits for illegal aliens, to term limits.

Dans le domaine financier, le vote existe déjà et chaque jour des milliards transitent par les réseaux.

Est-ce que le vote électronique peut constituer une réponse efficace aux problèmes démocratiques que nous connaissons aujoud’hui ? Est-il souhaitable, ou même viable de voter par le biais de ce nouveau média ? Les avis sont partagés, mais ce qui est certain, c’est que c’est une forme de prise de décision vers laquelle nous nous acheminons. Comme le dit Grossman,

The question is not whether the transformation to instant public feedback through electronics is good or bad, or politically desirable or undesirable. Like a force of nature, it is simply the way our political systm is heading. The people are being asked to give their own judgment before major governmental decisions are made. Since personal electronic media, the teleprocessors and computerized keypads that register public opinion,are inherently democratic-some fear too democratic-their effect will be to stretch our political system toward more sharing of power, at least by those citizens motivated to pariticipate.

Les sondages d’opinion sont en quelque sorte une forme de démocratie directe : ces consultations du peuple permettent aux représentants de la nation d’avoir une idée de l’opinion des gens, qui leur permet de rectifier éventuellement le tir dans leur décisions. C’est ce que souligne Grossman :

If computer-driven electronic keypads were put in the hand of every voter, such national referenda would be relatively easy to conduct on a regular basis. Whether or not the nation actually adopts these or similar measures of direct democracy, unofficial instantaneous public opinion polls will continue to be available on demand. The federal government will have no choice but to operate in a political environment of virtual plebiscites, even if such votes are not officially recognized

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Démocratie directe

Comme le remarque  Michael Ogden , la démocratie électronique vient de la démocratie directe et implique d’importantes conséquences :

Cyberdemocracy -the exercice of democratic principles in cyberspace- implies an electronic form of grass-roots direct democracy beyond that of local ballot initiatives and referenda. It includes the possibility that future fovernance in the twenty-first century would include national advisory plebiscites, initiatives, and referenda that would impose the public’s will directly on government policy, or at least on certain issues of national importance.

Cependant, il ne faut pas croire que la démocratie soit née avec le média électronique. Historiquement, la démocratie a vu le jour à Athènes, et c’était une démocratie directe dans laquelle le peuple (demos) lui-même gouvernait (cratein) la cité, d’où le mot démocratie.
Cependant, ce peuple ne représentait qu’une partie de la population totale. Robert Escarpit  explique que les Grecs et les Latins avaient deux mots pour désigner le peuple : démos et populos pour désigner les membres de l’organisation collective ayant une identité politique, une minorité de citoyens à part entière ; laos et plebs pour désigner l’ensemble indifférencié et anonyme des individus de tout le système. 15 % des citoyens seulement avaient le droit de siéger à l’ekklesia (réunion fermée aux non-membres), eux-mêmes ne représentant que 15 % du total de la population. La souveraineté du démos se manifestait par un vote, un rapport de force numérique d’où le consensus était exclu. Dès lors, la décision avait force de loi.
A d’autres époques, d’autres ont soutenu la démocratie directe. Pour Jean-Jacques Rousseau, la représentation aliénait la liberté de l’individu. Enfin Thomas Jefferson estimait que c’était au peuple de prendre les décisions qui le concernait :

I know of no safe depository of the ultimate powers of the society but the people themselves, and if we think them not enlighted enough to exercise their control with a wholesome discretion, the remedy is not to take it from them, but to inform their discretion.

Julian Eule, que cite Gamble  identifie deux types de démocratie directe :

Ce sont les référendum législatifs, qui permettent à la population de s’exprimer avant qu’une loi ne soit passée. Le législatif et les votants agissent de concert.

Ce sont les référendum populaires, qui permettent de remplacer certaines lois ou de voter des budgets.

On peut aller plus loin dans la distinction et distinguer différents types de référendums qui co-existent  :

Les citoyens sont appelés à se prononcer en faveur ou contre une proposition importante du Parlement. Existe en France et en Suisse.

Les citoyens, à l’initiative du gouvernement, expriment leur appui ou leur opposition envers une mesure envisagée par le Parlement. Il n’a qu’une valeur consultative. La France a dans sa constitution une loi qui permet au Président de la République de convoquer un référendum populaire. Créée par De Gaulle pour contourner les Assemblées, il faut toutefois noter que ce référendum est décidé «d’en haut», il ne constitue pas une initiative populaire.

Il intervient lorsque le processus législatif est bloqué par l’opposition entre deux instances institutionnelles (Assemblée Nationale et Sénat par exemple).

Demandé par une partie de la population, qui lance une pétition, et moyennant un nombre minimum de signatures, peut forcer le Parlement à organiser un référendum. Au cas où la proposition est acceptée, le Parlement a obligation de modifier la loi. C’est en Suisse et en Californie que ce type est le plus utilisé. De 1980 à 1990, 264 initiatives populaires ont été déposées en Californie

Vise à destituer un élu.

Initiative de citoyens visant à faire annuler une loi votée par le Parlement.

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Critiques

La plus importante affirme que le peuple ignorant des affaires publiques n’est pas capable de se gouverner lui-même, et qu’il faut des gens éduqués pour. La meilleure réponse à donner consiste à reprendre Jefferson : il faut développer l’éducation et l’information des citoyens.
D’ailleurs, comment peut-on continuer à penser que le peuple est incapable de comprendre les affaires d’Etat, alors que dans un pays comme la France, la majorité d’une tranche de la population possède désormais le baccalauréat. Cette vision élitiste de la politique remonte à Platon, qui estimait que l’on ne devait pas confier au peuple le soin de choisir ses gouvernants, car seuls ceux qui ont appris, grâce à la philosophie, ce qu’est la justice sont capables de diriger la Cité.

L’informatique autorise la société en temps réel, dixit Joël De Rosnay . Dès lors, la possibilité de vote instantané existe aussi, et la peur de mouvements populaires vient avec. Certains craignent en effet que suite à certains événements, la population ne réagisse émotivement et inconsidéremment. L’argument ne tient pas, ce n’est pas parce qu’on peut faire connaître son opinion aussitôt l’événement produit qu’on doit agir immédiatement. Des procédures peuvent être mises en place permettant un délai avant qu’une proposition soit adoptée, permettant le temps de la réflexion et la baisse de tension.

Ogden  reprend les conclusions d’Abramson, Arterton, et Orren (1988) : quand les votants expriment des choix privés de leurs foyers, les processus sociaux et les institutions politiques qui modèrent les besoins individuels en regard des intérêts de la communauté sont éliminés.

De plus, il faut noter que les riches peuvent se permettre des campagnes de presse qui influencent considérablement les votants. Ainsi aux Etats-Unis Grossman  relève le fait que de puissants groupes de pression ont les moyens d’influencer les votants en leur faveur :

To defeat the 1990 California alcohol tax initiative, the alcohol industry spent 38 million dollars. Citizens’ groups, often outspent by 20 to one, have no hope of matching or coming close to offsetting these massive one-sided efforts. In 1980, Chevron, Shell, ARCO, and Mobil outspent supporters of a proposed California oil surtax by a hundred to one. Early polls showed a majority of Californians favored the surtax. By election day, only 44% actually voted for it. A study by the Council on Economic Priorities found that in state initiatives, the corporate-backed side almost always outspends its opponents and wins about 80 % of the time.

Autre critique importante contre la démocratie directe : la majorité pourrait écraser la minorité et ne tenir aucun compte de son opinion. Gamble  a effectué une enquête sur les expériences d’initiatives populaires aux Etats-Unis. Selon elle, il y a des preuves flagrantes que la majorité a utilisé les pouvoirs de la législation directe pour priver les minorités de leurs droits civils. Gamble propose une étude en examinant 3 aspects :

L’auteur a analysé toutes les initiatives concernant les droits civils aux Etats-Unis de 1959 à 1993. Sur 74 votes concernant les droits civils, 78 % ont vu reculer les droits des minorités. Ce sont les citoyens de la majorité qui ont le plus souvent fait appel au vote direct : sur 74 votes, seulement six n’étaient pas de leur initiative, ce qui représente un taux de 92 % d’initiative. Il s’avère que souvent les initiatives populaires apparaissent en réponse à des décisions du législatif ou de l’exécutif qui cherchent à protéger les droits des minorités. Ses conclusions sont que la majorité fait appel à la démocratie directe pour diminuer les droits des minorités avec un grand succès. Gamble affirme que la protection des droits des minorités est un des éléments fondamentaux de toute démocratie.

On peut contrebalancer ces arguments par quelques remarques. D’abord, le système représentatif ne protège pas de ces tendances, au contraire. Les sujets discutés sont tous polémiques, ce qui polarise les opinions. De plus, en tant qu’outil pour l’instant marginal, la démocratie directe favorise les extrémistes de tous bords, les majoritaires étant évidemment favorisés.
Mais Gamble a mis le doigt sur un problème d’importance concernant cet aspect démocratique. Peut-être que les problèmes, avant que d’être mis au vote, auraient mérité d’être débattus.

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Le débat : vers plus de participation ?

Plus que sur le simple vote, la démocratie repose sur la participation des citoyens et le débat. La mise en relation des ordinateurs permet de discuter à distance, de se concerter et de prendre des décisions. Le courrier électronique et les forums de discussions sont les principaux vecteurs de développement des concertations démocratiques.

Expériences

Partout dans le monde des activistes participent à des forums électroniques. L’Internet permet dorénavant aux associations de faire entendre leur voix et de faire pression sur des gouvernements. Bissio  relate le cas d’une militante écologique indienne qui a réussi à faire plier le gouvernement américain. Le président Clinton avait signé un accord sur la biodiversité dans le cadre du sommet de Rio, mais le document d’interprétation allait à l’encontre des accords et des intérêts des paysans indiens. Un message d’alarme lancé sur le Net et entendu par d’autres associations réussi à lancer un débat et à faire avorter l’accord.

De même au Brésil les assassins du leader écologiste Chico Mendes furent arrêtés et condamnés parce qu’une ONG avait demandé le soutien d’autres associations afin de faire pression sur le gouvernement pour qu’il recherche les responsables.

A Amsterdam  des systèmes ont été mis en place combinant le télétexte et le téléphone afin d’obtenir un feedback des citoyens sur les décisions des élus locaux, ou bien dans le but d’impliquer plus activement les citoyens en leur faisant prendre des décisions virtuelles : un système intelligent permettait aux citoyens de prendre conscience des conséquences de leurs décisions.

Groper  pense que le courrier électronique peut renforcer la démocratie et l’électorat. Il pense que les gens doivent être éduqués sur l’importance de la participation. Le but est de convaincre l’électorat que la participation mènera à une vie meilleure, parce qu’il prendra part aux décisions et ne subira plus les décisions des autres.

Plusieurs types de participation sont possibles sur les réseaux :

Des réseaux de courrier électronique ont été mis en place pour permettre une meilleure communication entre les représentants du gouvernement et les représentés, comme le LIN (Legislative Information Network) en Alaska et le PEN (Public Electronic Network) à Santa-Monica, Californie. Le LIN avait été conçu pour permettre d’informer les citoyens les plus éloignés sur la législation, et leur permettait de donner leur opinion. Ce réseau devint vite très populaire, et permît à une population qui, de par le climat et sa situation géographique était plutôt apathique, de devenir extrêmement active. Le PEN, réseau de messagerie électronique sponsorisé par la municipalité permettait aux citoyens d’envoyer des messages aux membres du conseil et autres élus. Des recherches ont montré (Dutton, 1994) que les citoyens sont devenus plus actifs, notamment certains qui n’auraient pas pu s’impliquer dans des affaires publiques de par leur situation familiale ou professionnelle.

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Quelques principes

La délibération peut libérer de l’aliénation que le modèle représentatif a créé (Offe & Preuss, 1991, cités par Barney  :

Barney donne ici certains éléments éclairant sur la participation des citoyens, qu’il reprend d’autres études. Le schéma de délibération n’est pas forcément celui de personnes éclairées éduquant des ignares mais plutôt un modèle où les citoyens rencontrent et prennent en compte d’autres citoyens dont les vues et positions sont différentes des leurs. (Manin, 1987) En confrontant leurs différences, ce qui les oblige à réajuster leur propre jugement, les citoyens peuvent construire des bases communautaires, ce qui n’est pas le cas lors de plébiscites prenant en compte les intérêts privés. (Mansbridge, 1992) Ces formes d’engagement dans la prise de décision publique ont pour conséquence de légitimer ces processus et les décisions, à un degré que les formes traditionnelles de représentation ont été incapables d’atteindre. (Manin, 1987)

En 1991, un meeting d’universitaires, de politiciens, et de technocrates travaillant sur les town-meeting électroniques produisit une charte : les critères pour une démocratie réussie étaient les suivants :

De même, Barney cite Jeffrey Abramson, qui après observation de la démocratie électronique depuis de nombreuses années, identifie plusieurs critères permettant de valider le caractère démocratique d’un town-meeting électronique :

Schneider  résume plusieurs études ayant été faites sur la communication médiatisée par ordinateur (CMO). Certains (Ess, 1992) ont examiné les relations entre l’accès à l’information et la distribution du pouvoir dans la société, et suggéré que la CMO pourrait permettre un pouvoir plus largement distribué. D’autres ont noté le potentiel de créativité et de coopération parmi les participants (Kiesler, 1984 ; McCormick, 1992). D’autres soulignent le fait que l’absence de preuves attestant du statut social ou du genre pourrait créer une communication plus démocratique (Graddol & Swann, 1989). Enfin, Fisher (1994) a montré que les utilisateurs des forums de Usenet étaient plus actifs dans leurs relations que la moyenne des citoyens.
Pour Steven Schneider, les discussions politiques menées sur les réseaux informatiques peuvent renforcer la sphère publique. D’autres suggèrent que les réseaux servent surtout à relier les élites politiques aux quasi-élites de la population. Il en relève d’autres encore qui voient le développement des activistes sociaux qui se créent des liens. Selon lui, avec la discussion médiatisée par ordinateur (CMO), il y a un réel transfert de pouvoir d’un groupe à un autre. Des individus sans voix, ou plutôt sans public peuvent se retrouver dans un forum dans lequel ils expriment leurs opinions que d’autres écoutent.

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Evaluation

On peut se demander si les réseaux favorisent réellement la participation des individus à la vie publique. Pour ce faire, Schneider a étudié la participation dans un groupe de discussion. Son travail porte sur l’analyse d’un groupe de discussion sur Usenet dont le sujet est l’avortement. Il révèle un taux important d’inégalité de participation : très peu de participants sont responsables d’une grande partie du contenu. Selon Schneider, trois dimensions sont nécessaires à l’établissement de la sphère publique telle que la définit Habermas : l’égalité, la diversité et la réciprocité. Le but de son travail ici est de juger l’égalité, qu’il évalue selon le taux de participation parmi les participants. Durant les 12 mois qu’a duré l’étude, d’avril 1994 à mars 1995, toutes les discussions sur talk.abortion furent archivées. 46 592 articles furent envoyés par 3 276 auteurs différents, distribués selon 7 831 sujets. Résultats : la concentration est élevée : le premier contributeur est responsable de 11 % des articles, les 10 premiers de 40 %. Selon Schneider, la sphère publique créée par les participants du groupe de discussion ne satisfait pas les critères d’égalité de la sphère publique idéale d’Habermas.

Les Newsgroups de Usenet partagent toutes les caractéristiques de la sphère publique idéale. Ils ne sont pas redevables ni à des entreprises ni à l’Etat. Ils existent dans un espace essentiellement possédé et contrôlé par les participants ; il n’y a pas de barrières d’entrée, mais pourtant le niveau démocratique que l’on pourrait espérer n’est pas atteint.

Le problème, selon nous, est qu’on ne juge pas une démocratie sur la participation mais sur la possibilité de participation. Et Schneider évalue seulement la participation.

En conclusion de son livre Le citoyen dans un cul-de-sac, John Saul  vante la participation des citoyens d’Athènes :

Athènes, 40 000 citoyens : 7 000 qui participaient - qui ne se contentaient pas de voter, ils participaient - c’est-à-dire 17,5 % de la population. Imaginez qu’une même proportion de notre population consacre quelques heures par semaine à la participation démocratique ! Cela serait une révolution extraordinaire, cela changerait totalement notre société. Cela serait une ouverture.

On voit que le pourcentage de participation est loin du 100 %, et qu’il estime que ce serait quand même une révolution. Donc point n’est besoin de faire participer tous les citoyens.

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Décentralisation/centralisation

Quand on parle d’informatisation de la société ou des organisations, là encore les vues peuvent être complètement opposées concernant la répartition du pouvoir, à savoir : l’informatique favorise ou défavorise-t-elle la concentration du pouvoir ? Certains craignent que ne s’établisse une société totalitaire dans laquelle les gouvernements auraient accès à tous nos dossiers. Big Brother is Watching you, le risque soulevé par George Orwell dans 1984 est plus que jamais d’actualité. Inversement, d’autres pensent que l’informatisation amène la décentralisation des informations et du pouvoir.

On peut peut-être commencer par se demander pourquoi vouloir décentraliser. La réponse est simple : la décentralisation cherche à concilier deux aspirations apparemment contraires de l’individu : son autonomie, et plus largement sa liberté, et les désirs d’appartenance à un grand ensemble.

Les craintes concernant l’informatisation à outrance sont fondées, et techniquement il est tout à fait possible de connecter tous les grands fichiers entre eux : sécurité sociale, ANPE, permis, fichiers de police... Mais des lois existent et protègent les citoyens ; en France, la loi Informatique et libertés de 1978 interdit cette connexion des grands fichiers entre eux. Aux citoyens d’être vigilants sur l’utilisation de l’informatique.

Toujours en France, le système Vidéotext du Minitel facilite la centralisation de l’information. Ce gigantesque serveur central est facilement censurable, on peut y appliquer une surveillance qui est sans commune mesure avec ce que l’on peut faire sur Internet. Les deux réseaux présentent deux tendances opposées : l’une centralisatrice (qui n’est pas française pour rien...), l’autre décentralisatrice au possible, sans centre aucun : la toile.

Les organisations sont un sujet d’étude plus aisé que la société dans son ensemble, plus facilement analysable et pour lequel on peut faire des expérimentations, des observations relativement aisément. Mais les analyses faites sur les organisations peuvent être, avec quelques réserves, portées à la société dans son ensemble. La question qui se pose donc est de savoir si la technologie modifie ou non l’organisation.

Pfeffer  a essayé d’expliquer le lien entre les technologies de l’information et la structure de l’organisation. En cherchant des statistiques, des chiffres, en interrogeant des dirigeants, il en est arrivé à la conclusion qu’un des aspects des technologies de l’information est qu’elles facilitent la délégation de pouvoirs de la part du manager vers des participants d’un niveau hiérarchique plus bas. Il semble que la rapidité du feedback de ces technologies soit associée à la décentralisation, et à moins de formalisation. Il trouve une corrélation positive entre les technologies de l’information et la structure de l’organisation. Plus il y a de technologie, plus il y a de départements et de niveaux de hiérarchie. En prenant comme mesure de décentralisation la somme d’argent que les départements peuvent dépenser sans aval d’un supérieur, on s’aperçoit que cette variable est liée à l’implantation technologique dans l’entreprise. Selon lui, il y a plus de contrôle des individus, plus de liberté. Son approche est fonctionnaliste : l’organisation est structure ; la technologie est facteur de changement organisationnel.

Le problème de la centralisation contre la décentralisation ne date pas d’aujourd’hui, même concernant les technologies de l’information. En 1979, la France, à l’initiative du président de la République, organisait un colloque Informatique et société , réunissant 22 pays et 165 personnalités françaises. Cinq thématiques étaient proposées, dont une qui nous concerne plus particulièrement : Informatique et démocratie. A l’intérieur du volume cité, un chapitre traitait de la décentralisation du pouvoir. Parmi les comptes rendus du colloque, nous soulignerons rapidement quelques éléments importants :

Le pouvoir corrompt, et le pouvoir intellectuel ne fait pas exception. Il faut donc que ce pouvoir soit distribué de façon aussi équitable que possible. Cela exige qu’on investisse dans les inventions qui décentralisent les informations, aussi bien que dans celles qui centralisent. Cela demande peut-être des vetos et des quotas, que nous n’avons pas encore vus. Cela demande surtout de ne jamais opprimer d’êtres humains au moyen de machines qui les font fonctionner au-dessous de leur vrai niveau d’intelligence et de capacité. Si l’informatique est vraiment utilisée pour informer, et non pas comme outil, elle engendrera certainement ce qu’on appelle en chimie nucléaire des masses critiques. Là ce serait la catastrophe. En politique, je crois que ce serait le salut.

«Il semble que la décentralisation du pouvoir passe par la création d’un nouveau pouvoir, le pouvoir associatif». Nous avons vu que c’était le cas avec le développement de la communautique.

Ici on insiste sur le fait que ce sont les décideurs, pas les citoyens, qui bénéficient de la décentralisation :

Nora quant à lui fait une distinction entre informatique déconcentrée, décentralisée et autonome (pas de connexion).

En conclusion, nous pouvons dire que l’informatique peut favoriser et/ou la centralisation et la décentralisation.

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Qui décide de l’informatisation ?

En fait, le problème de décentralisation/centralisation dépend tout simplement de la variable humaine : qui décide de l’informatisation, pour quoi faire, comment et dans quel contexte les usagers vont-ils utiliser l’informatique ?

Selon Groper , si l’on cherche à situer le problème dans un schéma déterminisme social (le contexte social et la culture déterminent l’apparition d’une technologie, il y une cohérence logique) versus constructivisme (principe de négociation entre différents acteurs sociaux, ceux qui produisent la technologie, mais aussi ceux qui l’utilisent), on s’aperçoit que les relations de communication dépendent de la volonté politique qui met en place ces projets, et l’utilisation du courrier électronique peut varier de la diffusion d’information du haut vers le bas à un système plus interactif prenant en compte les avis de la population.

Ogden  cherche à savoir qui contrôle la technolologie. Selon lui, c’est le peuple qui possède le cyberspace en tant qu’espace social ou même politique : Electronic Power to the People. Il souligne que certains voient la technologie comme un tyran déshumanisé autonome et incontrôlable, et les technologies de l’information vont mener à Big Brother. D’autres la voient comme une libératrice, l’âge de l’information s’en vient, la société va devenir plus égalitaire, il y aura moins de hiérarchie, le pouvoir sera décentralisé, la démocratie sera renforcée grâce aux referendum en ligne. Or ces deux visions sont déterministes. La technologie peut aussi être considérée comme une construction sociale influencée par le contexte historique, social, culturel et politique. Mais il faut voir que ce sont les gens au pouvoir qui dans une certaine mesure dictent les règles et imposent certaines technologies.

Selon Barney ,

Rien dans la technologie elle-même ne détermine si son usage sera constructif ou non. En fait, ce sont les choix de ceux qui configurent son déploiement qui définiront l’élargissement ou la diminution de la sphère publique.

Nora  quant à lui affirme que l’usage de la technologie est complètement déterminé par les concepteurs du système :

Dans tous les cas, c’est la direction qui choisit les degrés de liberté dont disposeront les cellules de base. Nul n’est de son chef habilité à programmer le terminal : c’est en cela qu’une telle informatique est déconcentrée et non décentralisée.

Mais aujourd’hui, avec Internet, il n’y a plus que des terminaux sans unité centrale...

Pierre Lévy  pense que «la forme et le contenu du cyberspace sont encore partiellement indéterminés. En la matière, il n’existe nul déterminisme technologique.» L’intelligence collective est en marche. Pourtant, il faut, comme le dit André Vitalis , «reconnaître le pouvoir de l’usager, mais un pouvoir contraint et fortement limité par le pouvoir dominateur de la production.» Dans notre cas, nous pourrions rajouter au pouvoir imposé par la production, qui est énorme dans le domaine des nouvelles technologies, le pouvoir des gouvernements : cela fait beaucoup de contraintes.

Nous avons vu que l’instauration de la démocratie électronique relève d’une

interaction, une négociation entre technologie et utilisateurs, entre la fonction de l’une et le projet des seconds (ces projets n’étant d’ailleurs pas essentiellement utilitaires mais ressortissant plutôt d’une recherche de lien social),

dixit Vedel , qui correspond bien à la définition de la théorie de Michel De Certeau concernant l’utilisateur en tant que producteur de technologie, que nous allons maintenant aborder.

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La délocalisation du pouvoir

Les nouvelles technologies de communication sont en train de bouleverser notre société, notre façon d’agir, de travailler, de penser. De nouveaux usages se dessinent au quotidien.
On assiste à une modification de la notion d’espace. Les médias électroniques entraînent un développement de la téléprésence, qui entraîne un changement dans la perception de la position sociale, jusqu’à présent liée à la place physique. Ce sont désormais les flux informationnels qui conditionnent le statut, redéfini, à l’intérieur de communautés dites «virtuelles».

Tactiques et stratégies

Michel De Certeau , dans L’invention du quotidien, présente une théorie qui nous permet de comprendre les jeux de pouvoir dans un cadre de délocalisation.

Il existe des manières de détourner un ordre établi, un Etat de fait qui consistent à jouer le jeu de l’adversaire. Les règles existent, mais on trouve le moyen de les contourner, de faire des «coups fourrés» pour résister à l’adversaire. Les objets, les techniques valent par l’usage qui en est fait, ce à quoi ils servent. Ainsi l’ouvrier qui «fait la perruque» ruse contre les patrons pour effectuer un travail créatif et sans profit, dont l’œuvre, gratuite, n’a de sens que dans la résistance au pouvoir dominant des patrons. Ce détournement, effectué avec la complicité des autres ouvriers, s’inscrit dans un cadre social ayant pour valeurs l’échange et la réciprocité.
Une manière d’utiliser des systèmes imposés constitue une résistance à un Etat de fait et à un ordre contraignant. Ces ruses, ces braconnages traduisent des intérêts différents que ceux que les techniques organisatrices de systèmes voudraient imposer.

On peut faire une distinction entre stratégies et tactiques :

«Une stratégie est le calcul ou la manipulation des rapports de force qui devient possible à partir du moment où un sujet de vouloir ou de pouvoir (une entreprise, une armée, une cité, un gouvernement, une institution scientifique) est isolable.» Ces sujets de pouvoir exercent leur domination sur un lieu bien défini, comme les frontières pour l’Etat, dans un endroit où le contrôle est rendu possible.

La tactique n’a pour lieu que celui de l’autre, elle doit jouer sur le terrain de l’adverse, dans son champ de vision et dans un espace contrôlé par lui. Elle ne peut pas avoir de projet global et agit au coup par coup. Elle profite des occasions, elle braconne, elle ruse : c’est l’art du faible. La tactique est déterminée par l’absence de pouvoir, comme la stratégie est organisée sur le postulat d’un pouvoir.

Comme le dit De Certeau, le pouvoir est lié à un lieu propre, c’est la victoire de l’espace sur le temps. Sur cet espace, les pouvoirs peuvent voir et surveiller. C’est le cas des gouvernements qui règnent sur des espaces bien définis, les Etats. Sur Internet, c’est le règne du temps réel, la victoire de l’immatériel sur les espaces. C’est en soi une tactique fabuleuse, dont les membres s’affrontent parfois au pouvoir des Etats. Le Net ne connaît ni Dieu ni maître, et certains usagers défient régulièrement les pouvoirs légaux : les hackers . Il leur suffit d’une connexion au réseau et d’un ordinateur pour semer la pagaille dans un système à l’autre bout du monde, juste pour le plaisir, comme les ouvriers qui perruquent les patrons de De Certeau. Ce sont d’ailleurs eux qui ont imposé sur le Net leur éthique libertaire. Les gouvernements essaient de réagir contre les abus des hackers, mais il est très difficile de faire appliquer les lois propres à un pays à une personne qu’on ne peut parfois même pas localiser. Les lois existent, mais sont rendues caduques par la structure étoilée du réseau. Cela peut avoir des incidences fâcheuses, comme par exemple dans le cas de la pornographie infantile, ou des jeux d’argent. Au Japon , les parieurs et les amateurs de photos pornos, dont les pratiques sont interdites à l’intérieur du pays peuvent en toute impunité s’adonner à leurs vices respectifs sur le Net dans la mesure où les serveurs sont hébergés dans des pays étrangers. Ils ne sont pas en infraction. «La réalité défie la loi et le système.» Comme le dit un membre de l’agence de police de Tokyo,

il est très difficile de trouver une législation commune quand on se trouve en présence de pays ayant des religions et des codes éthiques différents. Je me demande si les Etats arriveront à se mettre d’accord sur un mode de contrôle à l’échelle internationale.

Cela peut aussi être une bonne chose pour le développement des droits et libertés dans le monde. En Chine par exemple, les pouvoirs publics font pression sur les fournisseurs d’accès pour qu’ils refusent l’accès à des sites dangereux pour leur «pollution intellectuelle» comme Far Eastern Economic Review ou Playboy. Ainsi les serveurs interdisent aux routeurs de relayer les demandes pour certains sites, en bloquant les adresses IP (Internet Protocol). Evidemment, ce problème se contourne très facilement en passant par des lignes téléphoniques internationales ou en utilisant des petits programmes informatiques, transmis sur le Net d’un utilisateur à un autre grâce au courrier électronique (autre tactique...). La censure est presque rendue impossible sur le réseau, car pour un accès interdit, il y en a des milliers d’autres libres.

L’appropriation croissante du média électronique fait dorénavant partie du quotidien de millions de personnes. L’interactivité permise par le média et la connexion au réseau changent les règles du jeu social. De nouvelles formes de démocratie font leur apparition, sous forme expérimentale. C’est ici que les tactiques des citoyens prennent tout leur sens : la construction des réseaux électroniques constitue en soi une résistance au pouvoir dominant des gouvernements.

Cependant, Scheer  fait remarquer la spécificité du Minitel français qui constitue une exception notable à la règle, étant, comme nous l’avons déjà signalé, placé sous le signe de la centralisation française, et sous le joug du pouvoir en place, qui en contrôle accès et financement :

Du côté d’Internet : la topologie aléatoire des réseaux locaux de fanatiques d’ordinateurs. Du côté du Minitel : l’ordonnancement de l’annuaire téléphonique. Ici une tarification anarchique de services incontrôlables, là un système de kiosque qui permet une tarification homogène et une répartition des revenus dans la transparence. D’une part le déracinement et le fantasme généralisé par-dessus les frontières et les cultures, de l’autre la version électronique de l’enracinement communautaire.

Pour finir, Escarpit  affirme que

Le niveau de performance d’un système de communication dépend moins du nombre et de la capacité de ses composants que du nombre, de la variété et de la redondance des interconnexions qui les relient. L’aspiration auto-gestionnaire serait infiniment plus crédible si elle faisait passer cette exigence d’interconnexion avant même son exigence de pouvoir décisionnel local : un pouvoir local qui reste localisé est condamné à l’impuissance.

Nous voyons ici trois aspects liés que nous retrouverons plus tard : la connexion, la délocalisation du pouvoir (qui a des conséquences sur le phénomène de mondialisation/régionalisation) et l’auto-gestion.

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Application à l’entreprise

Norbert Alter  a fait des études de cas dans une entreprise concernant l’installation d’innovations technologiques : traitement de texte, fax, réseaux de bases de données. Il n’a pas trouvé de relation entre les différentes techniques et les effets. Par contre, il a définit trois types d’acteurs :

Ce sont les cadres hiérarchiques, supérieurs.

Ce sont les cadres d’études, les secrétaires, les documentalistes.

Ce sont les dactylos, aides-documentalistes, employés.

Précisons que cette distinction entre les différentes catégories ne vaut que pour cette entreprise.

Alter définit le pouvoir comme la capacité d’agir grâce à la compétence. C’est quelque chose de relationnel, les individus sont considérés comme des acteurs. Selon lui, l’implantation technologique donne la possibilité d’agir à la catégorie qu’il appelle les innovateurs, la bureautique est créatrice de structures nouvelles.
Des pouvoirs de compétence se développent par rapport à ceux de la hiérarchie. L’organisation est

un chaos dans lequel le pouvoir est l’un des éléments essentiels des rapports sociaux et même un facteur conséquent dans la répartiton des tâches.(...) L’organisation est un terrain de jeux sur lequel il est possible d’agir.

La spécificité des innovateurs réside dans leur attachement à la formation, à la liberté de s’auto-organiser. Ils souhaitent pouvoir inventer leur mode d’utilisation : ce désir exprime la volonté de maintenir la liberté et le pouvoir acquis. Les secrétaires sont prêtes à effectuer un travail plus dur si celui-ci est enrichissant et permet de participer à l’organisation du travail. Le désir d’innover se fait sentir de façon durable, ce n’est pas seulement une stratégie pour obtenir le pouvoir, mais une espèce de philosophie du changement et de refus de l’installation, par opposition aux gestionnaires et à leurs règles. C’est exactement ce que définit De Certeau dans sa «tactique». Les innovateurs récupèrent le discours des gestionnaires, jouent le jeu, mais à leur façon. L’entreprise est un terrain de jeu, d’action, où les règles de pouvoir sont modifiables :

Désir d’une sorte de démocratie directe dans l’entreprise : mode de commandement moins hiérarchique et des rapports de travail plus conviviaux» sont des souhaits exprimés ouvertement. Ce mouvement tend vers une «collaboration groupale, statutairement indifférenciée et fondée sur l’intercompétence.

Alter compare les coopératives auto-gérées avec les entreprises classiques, et leur trouve comme points communs «l’instabilité des lieux et des modes de domination» ; il constate dans les deux cas une «transformation globale touchant à la fois l’organisation formelle du travail, les interactions, les représentations collectives et le système social d’ensemble, chacun de ces quatre éléments étant interdépendant et constitutif du changement global.»

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Conclusion

Les tactiques des innovateurs contre les stratégies des gestionnaires, l’adaptation et le changement permanent contre la rigidité et la hiérarchie des structures. Là encore, il y déplacement du pouvoir, qui ne se trouve plus dans les structures formelles de l’entreprise mais dans les compétences des innovateurs. Dans quelle mesure ce schéma peut-il être appliqué à la société dans son ensemble ? Nous avons vu que le réseau Internet participait de ces tactiques d’innovateurs. Peut-être faudrait-il considérer les entreprises elles-mêmes comme de formidables innovateurs, et ainsi expliquer la mondialisation du marché et de l’économie. Les entreprises s’installent là où elles trouvent leur avantage, elles cherchent constamment à contourner les lois des Etats trop pesantes à leur goût (charges trop élevées, main d’œuvre trop chère...), ce qu’elles réussissent (malheureusement) à faire avec un franc succès. John Saul  :

(...) la mondialisation. C’est-à-dire que vous ne pouvez pas faire payer des impôts aux grandes sociétés, car si vous le faites, elles partent. Le résultat est que, par exemple au Canada, la part des impôts des grandes sociétés est tombée de 35 % à 17 % environ des impôts globaux.

Les gouvernements réagissent à ces tactiques par des stratégies balourdes, quand ils s’en donnent la peine, avec de plus en plus de lois, toujours aussi inutiles, on le voit, dans le phénomène de globalisation. Dès lors, comment faire pour lutter contre ces tactiques économiques ? Jouer le jeu de l’adversaire, être plus tactique que lui : redonner le pouvoir au peuple.
On peut aussi voir cette méthode du point de vue de la théorie de Watzlawick ), qui préconise le paradoxe pour guérir les individus ; en l’occurrence, ici, ce pourrait être libéralisation accrue du marché... en espérant que les citoyens feront en sorte de contrebalancer le pouvoir économique. Nous expliciterons ce point de vue plus loin.

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Conclusion

Les termes de république électronique, démocratie virtuelle, agora informationnelle sont indifféremment employés pour parler du vote à distance, des forums électroniques ou de la simple diffusion d’information civique. Ainsi sous des termes semblables sont réunies des pratiques complètement différentes. Il est bon d’être prudent lorsqu’on entend les mots démocratie électronique, et de chercher quel est le type de démocratie auquel on fait référence par ce terme.

Bon gré mal gré, la société se transforme, et les moyens de communications informatiques actuels n’y sont pas étrangers. Qu’avons-nous vu dans les pages précédentes ? En résumé, ceci : que la société, pourrait, par certains aspects, se démocratiser davantage dans les années à venir : une information plus riche et accessible, une démocratie plus directe, plus de participation, une décentralisation du pouvoir, et une délocalisation du pouvoir sont caractéristiques du phénomène de société de l’information que nous vivons actuellement. Cette société de l’information, que l’on qualifie de post-industrielle, se caractérise donc par de nouvelles formes d’organisation que nous venons de décrire. Nouvelles ? Non pas. L’organisation qui se met en place porte un nom depuis bien longtemps, peu usité, peu recommandé : c’est l’anarchisme.

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Anarchisme et chaos

 


 

Vers l'anarchisme ?

 

Economie versus politique
Le fédéralisme
L’Individu

Voici un mot qui n’a pas bonne image et peu employé par les gens recommandés. Les nihilistes de la fin du 19ème siècle ont marqué les esprits par les bombes qu’ils faisaient sauter un peu partout. C’est de cette terreur que les gens semblent se rappeler, sans voir que derrière ces extrémistes se cachaient de nombreux individus ayant une vision progressiste de la société. Et de nos jours, les seuls à revendiquer quelque attachement à ce mouvement ont pour unique politique de communication d’afficher qui un crâne rasé, qui une crête colorée, et quelques A tagués sur des murs sales...
Qu’est-ce que l’anarchisme ? Quels sont les principes fondamentaux de ce mouvement politique ? Nous ne présenterons pas les théories anarchistes au complet, sinon quelques points essentiels qui résument leurs idées.

Economie versus politique

C’est une gageure de dire que le pouvoir politique laisse le champ libre à l’économique. Partout on ne voit que les mots privatisation, déréglementation. L’Etat-Nation français est en perte de vitesse, ce sont les entreprises qui mènent le bal. C’est ce qu’avait prédit Proudhon  : l’anarchie sera la victoire de l’économique sur le politique, la dissolution du gouvernement dans l’organisme économique. «L’atelier remplacera le gouvernement». Convaincu que la multitude des éléments qui composent la société ne peut être réduite à une unité quelconque et que l’antagonisme continuel est la loi constante de toute vie, il s’oppose à un Etat qui cherche à dominer des forces sociales opposées. Il cherche au contraire l’équilibre entre des éléments contradictoires qui peut s’établir dans une société débarassée de toute tutelle.
Notons au passage qu’aujourd’hui si loi du marché est synonyme de perte de protection sociale, Proudhon ne le voyait pas de cet œil, lui qui a «inventé» coopératives et sociétés de secours mutuels. N’oublions pas non plus que les premiers syndicats étaient anarchistes.
Nous avons parlé plus haut d’une société dans laquelle il faudrait rendre le pouvoir aux citoyens selon la méthode du paradoxe et libéraliser encore plus la société. L’idée ici est que chacun est à la fois citoyen et consommateur/producteur, mais que ce dédoublement de personnalité schizophrénique n’est pas fondé, et que les deux fonctions doivent se retrouver en une seule et même attitude. L’individu politique ne doit pas être séparé de l’individu économique.

Quelle est la fonction de l’Etat aujourd’hui ? Sert-il encore vraiment à défendre les droits des citoyens, et si oui, comment pourrait-il expliquer les millions de chômeurs et les nombreux sans domicile fixe ? Aujourd’hui, l’Etat n’a de raison d’être que de défendre les biens économiques de la classe possédante, pour reprendre un terme désuet, mais qui n’a rien perdu de sa valeur, et il empêche les citoyens de réagir en les enfermant dans des cocons institutionnels. De manière moins manichéenne, on peut voir l’Etat comme quelqu’un qui est «assis entre deux chaises», incapable de régir l’économique comme le politique. Un outil inutile, en somme. Nous verrons plus loin que la théorie d’Escarpit   sur les groupes, comme la systémique, permettent de justifier un tel point de vue. L’idée que nous défendons, c’est que la diminution des pouvoirs et prérogatives de l’Etat doit faire place à une prise en charge par les citoyens eux-même, tout en sachant que cette baisse d’autorité est provisoirement, nous l’espérons, synonyme de perte d’acquis et de protection sociale.

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Le fédéralisme

Nous avons vu précédemment que nous nous acheminons vers une société dans laquelle les pouvoirs tendent à se déplacer aux dépens de l’Etat qui perd de ses attributions. C’est un des points essentiels de l’anarchisme.

Le fait de penser que le gouvernement est quelque chose de nuisible ne signifie pas pour autant qu’anarchisme rime avec désordre complet. Tous les théoriciens de l’anarchisme reconnaissent la nécessité d’une organisation. Malatesta  écrit que

l’organisation n’est que la pratique de la coopération et de la solidarité, elle est la condition naturelle, nécessaire de la vie sociale, elle est un fait inéluctable qui s’impose à tous, tant dans la société humaine en général que dans tout groupe de gens ayant un but commun à atteindre.

Et pour Proudhon , les idées de liberté et d’unité, ou d’ordre, sont «adossées l’une à l’autre, comme le crédit à l’hypothèque, comme la matière à l’esprit, comme le corps à l’âme. On ne peut ni les séparer, ni les absorber l’une dans l’autre ; il faut se résigner à vivre avec toutes deux, en les équilibrant...»

Concernant le rôle de l’Etat, De Paepe  note qu’on peut bien concevoir un Etat non autoritaire, c’est-à-dire qui ne vote pas les lois et ne fait que les exécuter. Celles-ci pourraient, selon lui, être votées dans les communes ou dans des groupes quelconques. Allant plus loin, il est possible aujourd’hui d’imaginer un Etat dans lequel le gouvernement jouerait le rôle d’agenda-setting dévolu aux médias vis-à-vis des différents groupes, et se «contenterait» de faire appliquer des lois qu’il ne déciderait pas. De Paepe définit l’Etat comme une fédération régionale ou nationale des communes, un Etat fédératif formé de bas en haut, ayant à sa base un groupement économique.

Par le fédéralisme, les anarchistes cherchent à remplacer l’organisation étatique. Une infinité de contrats s’engendrant les uns les autres et s’équilibrant d’autant plus facilement qu’ils ne sont point immuables ni définitifs, soit sur le plan professionnel, soit sur le plan régional, soit encore sur le plan national ou même international, voilà un édifice d’apparence chaotique, mais qui, grâce au maintien du principe de l’autonomie de la liberté individuelle à tous les échelons, aboutit à une union librement consentie dont l’existence est certainement mieux garantie que celle d’une union imposée.

Bakounine  défendait pour sa part un fédéralisme inspiré des libertés communales, qu’il recommande de défendre contre la centralisation préconisée par les légistes de la monarchie et les Jacobins de la Révolution Française.

Malatesta définit la révolution, entre autres comme la «création d’institutions nouvelles, vivantes, de nouveaux groupements, de relations sociales nouvelles», « la constitution d’innombrables groupements libres, basés sur des idées, des souhaits et des goûts de toutes sortes, tels qu’ils existent parmi les hommes». C’est bien ce qui se passe aujourd’hui dans nos sociétés avec le développement du tissus associatif et des communautés virtuelles.

De même, Annie Gentès  affirme que la démocratie participative vise à la réalisation d’une intégration sociale. Elle ne repose pas sur la reconnaissance des fonctions mais sur l’appartenance à des groupes idéologiques : association de consommateurs, de défenseurs de l’environnement... Ainsi des présidents de missions locales de tous bords s’associent pour résoudre les problèmes des exclus. Elle cite Jacques Donzelot :

On soutiendra l’hypothèse que, si ces nouvelles missions procèdent d’un déclin des formes classiques de l’expression publique, elles suscitent en contrepartie l’amorce d’une nouvelle étape de la vie publique, plus concrète qu’idéologique, plus effective qu’incantatoire, mais aussi plus démocratique.

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L’Individu

 

C’est ainsi qu’on est conduit à admettre - et c’est un premier pas vers une théorie politique - que dans l’étrange univers de la communication rien ne peut être collectif qui ne soit d’abord individuel, car, par sa production informationnelle, chaque individu y est au centre de tout.

Escarpit

L’autre prémisse fondamentale de l’anarchisme est le respect de l’individu.

Dans L’ère du vide, Lipovetsky  affirme que nous rentrons dans une nouvelle ère d’émancipation, qui serait l’aboutissement d’un processus de libération et d’auto-réalisation de l’individu : le procès de personnalisation. L’autonomie individuelle est aujourd’hui un état de fait incontestable de nos sociétés, où le bonheur individuel a été érigé en valeur absolue, l’individualisme a force de loi. Selon Gilles Lipovetsky, nous avons fondé une nouvelle culture éthique fondée sur le principe des droits de l’individu. L’émancipation morale aurait pour conséquence de provoquer l’auto-régulation des individus dans leurs comportements : «la culture postmoraliste fonctionnerait comme un désordre organisateur.» Les mots de «désordre organisateur» prendront tout leur relief plus tard.

Paul Yonnet  propose une thèse intéressante, selon laquelle les masses des pays industrialisés, loin d’être manipulées par des pouvoirs occultes ou déterminées par des conditions économiques, construisent de manière consciente, à travers leurs jeux et leurs modes, le modèle de société qui leur convient : «La massification est le chemin de la démocratie. Elle est l’œuvre des individus»  Massification, individualisme, dépolitisation sont les trois caractères essentiels des pratiques de la modernité. Il fait la distinction entre les masses pacifiques et les foules. Ceux qui composent les foules qu’il définit agissent au nom de choix individuels de consommation, et leurs enjeux privés se caractérisent par la défiance à l’égard du politique.

Yonnet associe dans sa thèse individualisme et dépolitisation, ce qui est discuté par Saul :

On oublie aussi que la vraie définition de l’individualisme, c’est l’obligation de participer à la société. Parce que si vous n’êtes pas actif dans la société, vous n’êtes pas un citoyen. Et l’idée du citoyen est à la base même de l’individualisme occidental.

En conclusion, nous pouvons affirmer que les principes fondateurs du mouvement anarchique semblent être solidement ancrés dans nos sociétés. On peut toujours se demander si l’individualisme exacerbé de nos contemporains est une bonne chose, ce n’est pas notre propos d’essayer de répondre à cette question.

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Contre l’Etat

 

Communication et marketing politique
La déresponsabilisation
Contre la représentation
Contre la centralisation et la hiérarchie : l’auto-organisation
Quelle dimension ?
La systémique
La cybernétique
Vers le chaos ?
Conclusion

Par contre, il nous semble intéressant de voir en quoi l’anarchisme en tant que système politique sans gouvernement, ou disons un autre type de gouvernement, peut être une chose souhaitable. Pour ce faire, nous verrons par le biais de plusieurs théories de communication, comment les assises de notre système politque peuvent être remises en cause.

L’Etat a sa raison d’être dans l’organisation de la société pour le bien de ceux qui la composent. En structurant, hiérarchisant la société, l’Etat a permis le développement d’une société qui n’aurait pas vu le jour sans lui. Mais la civilisation moderne telle que nous l’avons connue semble atteindre ses limites. La société évolue, elle tend d’elle-même à aller dans un sens plus auto-organisé, qui est celui de la liberté de l’individu, d’elle-même.

Les gens ressentent un gros malaise social, l’impression d’être dans une impasse et qu’on ne peut rien y faire. Peut-être la théorie développée par Watzlawick  peut-elle être appliquée ! Que dit-elle ? En résumé, que parfois on tourne en rond à chercher la solution d’un problème dans un cadre donné, et que dans ce cadre, on ne peut pas trouver de solution. La solution consiste à sortir du cadre et à élargir le problème. Il donne l’exemple du conducteur qui veut accélérer : dans un premier temps, il appuie sur la pédale ; mais arrivé au plancher, il aura beau appuyer, la voiture n’ira pas plus vite, il faut pour cela changer de vitesse. Nos politiciens s’acharnent à chercher des réponses à l’intérieur d’un système politique qui constitue le vrai problème. Ce ne sont pas de nouvelles lois, et autres pseudo-réformes qui vont changer quoi que ce soit, ou comme le dit Watzlawick, «plus de la même chose». On ne soigne pas une fracture ouverte avec un pansement, qu’elle soit corporelle ou sociale.

Un des problèmes majeurs de nos sociétés occidentales est la décrédibisation du politique. C’est quasi-quotidiennement en France que des affaires éclaboussent nos élus. La corruption de ceux-ci semble être chose admise. Il n’est qu’à voir également le taux d’abstention aux urnes, révélateur d’un malaise profond. De plus, ceux-ci sont incapables de trouver une issue à la crise, et s’occupent souvent davantage plus de leur image et de leur taux d’écoute en vue de prochaines réélections que de faire avancer les choses.

Communication et marketing politique

L’importance qu’a pris la communication politique en atteste. La politique a en outre tendance à céder la place au marketing. Nous donnerons en exemple une étude faite par Hall  sur l’utilisation du Net par les politiciens lors de la campagne présidentielle américaine en 1996.
Le Web a été largement employé par les républicains et les démocrates, qui s’en sont servi pour vanter les candidats. Quant aux médias, ils s’en sont servi pour développer leur fonction de lieu de débat d’information et d’opinion. Les deux partis sont satisfaits parce qu’ils ont atteint l’élite technique, qui est grandement composée de leaders communautaires, de contributeurs et vraisemblablement de votants. Autrement dit, le public est une très bonne cible. De plus, le rapport prix-efficacité des serveurs Web est vraiment intéressant, et des milliers de sympathisants ont pu être atteints efficacement.
De nouvelles techniques de propagandes ont vu le jour : les démocrates ont encouragé les visiteurs de leur site à envoyer des cartes postales électroniques avec photos et messages des candidats à leurs connaissances. Lors de l’envoi de ces cartes, le nom du destinataire était enregistré, et on pouvait ainsi lui envoyer des messages plus tard...
Internet offre aussi un contact direct avec les votants, sans passer par l’intermédiaire des médias. Chacun peut être atteint individuellement. Comme chaque serveur enregistre de l’information sur chaque personne qui visite le site, cela donne la possibilité aux gestionnaires de pouvoir recontacter les gens plus tard, de savoir aussi quels sont les autres sites qui ont été visités. Hall estime que lors de la prochaine campagne, les responsables marketing seront capables de délivrer des messages ciblés spécifiquement pour chaque utilisateur qui visitera le site. Autrement dit, il n’y aura sur ce site que ce qui vous intéresse. «La prochaine campagne sera démagogique et individualisée.»

Gentès  souligne que certains journalistes trouvent plus pratique de reprendre parfois intégralement les communiqués de presse des organisations politiques ou des entreprises. En 1995, aucune question embarassante n’a été posée aux principaux candidats : c’était du publireportage. Ce qui pose le problème du rôle des médias, qui ont toujours été liés au pouvoir, et ont parfois du mal à s’en détacher.

Nous ne nous attarderons pas plus sur le rôle de la communication politique mais le fait que l’on puisse voter pour quelqu’un selon l’image qu’il donne de lui, selon la qualité de la campagne qu’auront menée ses chargés de communication en dit long sur niveau démocratique.

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La déresponsabilisation

Les citoyens ont le sentiment de n’avoir plus aucune prise sur les décisions politiques, et souvent une fois le bulletin glissé dans l’urne, ils s’en remettent pour le meilleur et pour le pire aux représentants.
Quant à ceux désireux de participer, ils ont en pratique peu de moyens d’intervenir dans le pays élitiste qu’est la France, où il y a ceux qui gouvernent et les autres.
Le plus grave de l’affaire est que notre système conduit les citoyens à une déresponsabilisation complète comme le soulignait Yonnet. C’est comme si le pays traversait une crise d’adolescence avec double contrainte (qui renvoie à Bateson ): on nous dit qu’on est en République, on dit nous considérer comme des citoyens, on nous dit de voter, d’agir, mais on nous empêche de le faire. Et face à l’Etat-Père tout puissant, une seule réponse de crise : les manifestations.
Voici un extrait tiré des machines totalitaires  qui en dit long sur notre degré de responsabilité :

Une confirmation impressionnante de la fragilité des démocraties est fournie par les entretiens qui suivaient les expériences de Milgram. Quand on demandait aux sujets qui avaient obéi jusqu’au bout (envoyer des décharges électriques à des hommes pouvant donner la mort) pourquoi ils l’avaient fait, ils donnaient, isolément ou en combinaison, trois réponses :

Ce sont là, très précisément, les trois justifications invoquées par les nazis au procès de Nuremberg.

Evidemment, rien ne permet d’affirmer qu’il y a rapport de cause à effet entre le système politique représentatif et le manque de responsabilisation. Disons que c’est un pari que nous prenons...

Pour Gentès, les médias vivent dans la discontinuité de l’information et peuvent influencer la vision de la vie politique en la présentant comme autant de coups médiatiques et en sacrifiant le nécessaire enracinement de la démocratie. La logique du divertissement n’est pas loin non plus de la déresponsabilisation des citoyens. Les médias donnent à penser au citoyen qu’il est au plus près du pouvoir alors que son statut l’éloigne au contraire des réalités politiques.

Nous ajouterons que l’échec du siècle, sur lequel tant d’espoirs avaient été fondés, est le communisme. Or, la cause principale de la chute de l’empire soviétique se trouve bien évidemment dans la structure hautement hiérarchisée de l’Etat tout-puissant et ultra-rigide, qui ne permettait aucune évolution, aucune action individuelle, aucune liberté.

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Contre la représentation

Un des principes de base de l’anarchisme repose sur le refus de la délégation de pouvoirs.
Et notre système politique repose sur la délégation de pouvoirs, ce qui nous semble conduire à une certaine déresponsabilisation d’une part des citoyens.

Si nous avons passé 2 500 ans à créer cette élite, il me semble qu’elle n’a pas le droit de dire : « Finalement, on va garder notre place, mais pas du tout dans les conditions que vous avez imaginées. Vous, les citoyens, vous devez rester passifs, et nous, nous allons gérer l'inévitable. » Il me semble que c’est plutôt eux qui sont en train de rater leur travail, le travail pour lequel on les a mis en place, pour lequel on a créé cette structure.

Saul

Escarpit  nous explique que

le problème du statut de l’identité individuelle dans l’identité collective, qui est celui de la démocratie représentative, doit être posé en fonction d’un facteur structurel et aussi dimensionnel. Il démontre mathématiquement que 2 éléments d’un système à 12 éléments interconnectés disposent pour communiquer de près de 10 millions de voies. C’est le principe de fonctionnement du cortex cérébral où des dizaines de milliards de neurones sont interconnectés. Il est difficile de contrôler ou de réguler la production informationnelle d’un tel système. De plus si un élément dominant se manifeste, les messages qu’il est en mesure de faire parvenir aux autres sont compensés et corrigés par l’apport informationnel des intermédiaires.

Aux Etats-Unis, Bill Clinton  a utilisé le courrier électronique pour faire connaître ses idées auprès de l’électorat et aussi mobiliser ses troupes durant la campagne électorale présidentielle. Un des buts avoués était aussi de court-circuiter les médias traditionnels, ce qui n’est pas une mauvaise chose en soi quand on sait leur importance dans la représentation qu’on se fait d’un candidat et de ses idées. Mais c’est un autre débat.

En outre, la Maison Blanche est dotée d’un service de messagerie électronique qui permet de distribuer les documents officiels et les discours du président. Les citoyens peuvent également adresser des e-mail à leur président. Si le flux d’information est encore du haut vers le bas, le but de Clinton est d’établir des relations bi-directionnelles, dixit le responsable du courrier électronique à la Maison Blanche, Jonathan Gill.

Travaillant sur la construction sociale de la science, Michel Callon  a pris pour sujet d’études trois chercheurs travaillant sur la reproduction des coquilles Saint-Jacques et les négociations autour de ce travail avec les coquilles, les marins-pêcheurs et la communauté scientifique. Il définit quatre étapes dans leur travail de traduction (voir la définition de la traduction plus loin) :

 

Consiste en la formulation de problèmes et dans l’identification d’acteurs qui doivent être convaincus que les chercheurs leur sont indispensables. Une seule question peut problématiser, c’est-à-dire lier et définir toute une série d’acteur. La problématisation définit des acteurs, des associations et les problèmes qui s’interposent entre elles et leurs buts.

 

C’est l’ensemble des actions par lesquelles un acteur s’efforce de stabiliser et d’imposer l’identité des autres acteurs définie par la problématisation. Les acteurs peuvent se soumettre ou refuser les définitions posées. Durant le processus d’intéressement, les définitions des acteurs évoluent, et les dispositifs vont de la force à la séduction. L’intéressement est fondé sur une certaine interprEtation de ce que sont et veulent les acteurs à enrôler et auxquels s’associer. Le dispositif d’intéressement fixe les entités à enrôler tout en interrompant d’éventuelles associations concurrentes et en construisant un système d’alliances. Des structures sociales prennent forme, composées à la fois d’entités naturelles et humaines.

 

Désigne le mécanisme par lequel un rôle est défini et attribué à un acteur qui l’accepte, c’est un intéressement réussi. Certaines forces s’opposent au lien que certains acteurs veulent définir.

 

Des chaînes d’intermédiaires aboutissant à un seul et ultime porte-parole peuvent être décrites comme la mobilisation progressive d’acteurs qui s’allient et font masse. Mobiliser, c’est rendre mobiles des entités qui ne l’étaient pas. Par la désignation de porte-paroles successifs, les acteurs sont rassemblés au même moment en un seul lieu.

Qui parle au nom de qui, telle est la question ? Parler pour d’autres, c’est d’abord faire taire ceux au nom desquels on parle. Les groupes ou populations au nom desquels s’expriment les porte-paroles sont à proprement parler insaisissables. La réalité sociale et naturelle est une conséquence à laquelle aboutit la négociation généralisée sur la représentativité des porte-paroles.

Un porte-parole ou un intermédiaire est-il représentatif ? Le traducteur, c’est le traître.
La traduction est l’ensemble du processus qui amène tous les acteurs concernés, au terme de métamorphoses et de transformations variées, à passer par l’acteur central (ici les chercheurs).
Traduire c’est déplacer, c’est exprimer dans son propre langage ce que les autres disent et veulent, c’est s’ériger en porte-parole. En bout de course, on entend un discours unifiant qui a mis en relation intelligible les différents acteurs.

La traduction n’est rien d’autre que le mécanisme par lequel un monde social et naturel se met progressivement en forme et se stabilise pour aboutir, si elle réussit, à une situation dans laquelle certaines entités arrachent à d’autres, qu’elles mettent en forme, des aveux qui demeurent vrais aussi longtemps qu’ils demeurent incontestés.
Le processus de la traduction permet d’expliquer comment s’établit le silence du plus grand nombre qui assure à quelques-uns la légitimité de la représentativité et le droit à la parole.

Ce qu’il est important de retenir ici, c’est le fait que ce sont les représentants qui choisissent les populations qu’ils représentent et non l’inverse. Les coquilles se laissent enrôler par les chercheurs, par la force des choses... Autrement dit, les gens que nous croyons élire pour nous représenter, ce sont eux qui nous choisissent. Les politiciens définissent une cible, un électorat, qu’ils cherchent à représenter, par tous les moyens marketing possibles.

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Contre la centralisation et la hiérarchie : l’auto-organisation

L’Etat peut paraître sous bien des aspects indispensable à la vie en communauté, et on peut se demander - à juste titre - comment serait organisée la société s’il n’y avait la structure étatique. Nous proposerons deux réponses à cette question, la première d’Escarpit , la deuxième tirée de la systémique et de la cybernétique.

Quelle dimension ?

Communication et groupe

Escarpit affirme que selon le nombre de personnes impliquées dans la communication, les échanges seront différents. La situation idéale est celle de groupe (12 personnes : apôtres, groupes de combats, joueurs de foot, chevaliers de la table ronde) où toute l’information circule dans tout le système et où, la valeur de pertinence des informations étant la même pour tous, chacun exerce sur les autres une influence égale pour un enjeu commun. Dans la structure délibérative (environ 40 personnes : classe, commission, bordée), l’évaluation et la décision sont issues d’un échange informationnel, mais la dimension du système ne permet pas à tous de participer également à l’échange. Le système devient très vulnérable aux influences, surtout s’il se trouve des personnalités dominantes, dont l’information sera privilégiée. A partir d’un certain seuil, un appareil se forme, qui vise à assurer le commandement. La manipulation du système prend le pas sur la production informationnelle, un petit groupe se créée sous l’autorité d’un meneur. Les Etats doivent quant à eux établir une information hiérarchique basée sur des relais et une organisation univectorielle, ce qui est en train de se réaliser.

Escarpit donne du groupe la définition suivante : un ensemble dont le cardinal (nombre qui caractérise la puissance d’un ensemble) pourrait être soit connu, soit indéterminé et supposé très grand. La masse n’est rien d’autre qu’un cas particulier du groupe, que l’on appelle ensemble-groupe. L’ensemble-groupe se structure normalement en un réseau de petits groupes égalitaires.

Il ne peut y avoir de pluralisme réel sans isonomie, c’est-à-dire sans égalité devant la loi. Or, le pouvoir d’Etat, qui s’est fait le garant de l’isonomie, en a profité pour imposer son autocratie. Or toute structure sociale doit tendre à préserver son maximum de capacité informationnelle à chaque individu. Cela veut dire que chaque individu doit pouvoir exercer son maximum de libre arbitre (et donc de responsabilité) avec un minimum de conditionnement. Cela veut dire que les systèmes de base appelés à prendre des décisions, dont ils ressentent la pertinence et dont le mode de vie de leurs membres est l’enjeu, ne doivent pas dépasser la dimension critique au-delà de laquelle l’influence des individus est oblitérée. Cela veut dire que l’isonomie doit être assurée par délibérations entre systèmes de base et que s’il faut, pour la garantir, élaborer un appareil, cet appareil doit être assez léger pour exercer le minimum de contraintes et doit voir sa compétence décisionnelle limitée à la gestion du service public. Cela veut dire que la conscience collective doit naître de consensus, de compromis, de débats entre systèmes de base et non d’antagonismes artificiellement créés (par la dichotomie des partis, des élections binaires).

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Grande dimension et petite dimension

Les systèmes d’information univectoriels et hiérarchisés comme ceux de la politique et de l’économie deviennent d’une extrême fragilité dès qu’ils dépassent leur dimension critique. D’où la loi générale que l’on peut tirer : la grande dimension domine ou fait disparaître la petite dimension, mais l’hyperdimension rétablit le pouvoir de la petite dimension. En termes politiques, la petite dimension correspond aux régions, la grande aux Etats, et l’hyperdimension à la mondialisation. Escarpit prévoit même, que le retour à la petite dimension en arrive à menacer de dislocation l’appareil informationnel des Etats, c’est-à-dire des ensembles-groupes structurés par le système hiérarchique univectoriel du pouvoir politique, et cela d’autant plus que les interactions entre Etats, de plus en plus nombreuses, les impliquent dans un super-système à l’échelle mondiale.

Ce sont ici les phénomènes de mondialisation et régionalisation qu’Escarpit nous explique avec sa théorie. Le consensus est incompatible avec la grande dimension, la décision ne peut être obtenue dans cette dimension que par un rapport de forces au mieux numérique, quelquefois physique et souvent économique. L’arbitrage d’un appareil d’Etat de grande dimension ne peut être qu’une loi imposée.

Dans le monde hyperdimensionnel où les identités cherchent à s’affirmer à travers les résurgences de systèmes de petites dimensions et le foisonnement des ensembles groupes, un certain anarchisme plus verbal que réel, mais parfois redoutable dans ses effets, est une des réponses spontanées que l’individu oppose à la loi anachronique des appareils.

La démocratie numérique (nombre) ne répond pas à l’exigence pluraliste, à la prise en compte maximale de la production informationnelle des individus. Au contraire, dans la mesure où elle fonctionne comme un mécanisme homéostatique destiné à neutraliser les perturbations émanant des individus, des petits groupes et systèmes, elle est génératrice d’autocratie. Cela revient à dire que le pouvoir de l’appareil d’Etat, qui est une exigence de la grande dimension, est antinomique avec le pluralisme. Si l’on admet l’exigence pluraliste, la production doit être placée là où elle est le plus proche de l’individu : dans le petit groupe ou le système de petite dimension. Il faudra alors que le réseau soit adapté à cette situation, c’est-à-dire qu’il soit composé d’une multitude de petits réseaux très hautement interconnectés où tous les producteurs d’information se trouvent en situation égalitaire. Cela suppose des regroupements, des ententes, une discipline, une organisation avec ses lois et son isonomie. Il faudra, d’une façon ou d’une autre, déléguer à cette organisation le monopole de la distribution. Mais est-il besoin de l’Etat pour cela ? Ce qui est collectif n’est pas nécessairement étatique. Le schéma peut être appliqué au domaine politique.

Tout pouvoir a une vocation totalitaire à partir du moment où il est confronté à des problèmes hyperdimensionnels. L’impuissance où se trouve l’Etat à contrôler les systèmes humains le conduit à les considérer comme une masse, un ensemble d’éléments interchangeables qu’il est possible de traiter globalement.

Dans la grande dimension, c’est l’appareil économique qui tend à imposer ses exigences à l’appareil politique. Dans l’hyperdimension, les appareils ne sont plus capables de contrôler l’ensemble des systèmes qu’ils affectent et de se contrôler l’un l’autre. Ni le dirigisme politique ni le libéralisme économique n’ont de sens.
Et ici il faut se rappeler ce que nous disions plus haut de l’Etat qui est «assis entre deux chaises», et n’est capable ni de gérer la politique ni l’économique dans un contexte de mondialisation. Dès lors, que peut-il se passer si l’Etat est incapable gouverner, et si le magma social s’épaissit chaque jour ? Allons-nous droit vers le chaos ?

Ce qui sous-tend la théorie d’Escarpit, ce sont les théories systémique et cybernétique. Pour expliquer celles-ci, nous nous appuierons sur le livre de Joël de Rosnay , Le macroscope, qui les définit en détails. A titre anecdotique, on peut établir un lien entre la cybernétique et l’anarchisme par une voie détournée : dans son livre Théorie générale de l’information et de la communication, Escarpit présente les cybernéticiens comme la famille Frankenstein ; or, l’auteur du roman du même nom, Mary Shelley, n’est autre que la fille d’un des tout-premiers théoriciens de l’anarchisme, Max Stirner. Il semble qu’il y ait comme une analogie de pensée...

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La systémique

L’approche systémique consiste à avoir une vision globale d’un système, à penser la totalité, dans la structure et la dynamique. On recompose l’ensemble des relations dans le système, et on s’attache au contexte. Trois principes fondamentaux :

Le tout forme un ensemble qui surdétermine les éléments constituants, il est supérieur à l’ensemble des parties.

Tous les éléments interagissent, sont interdépendants dans un système. Si on enlève un élément, tout le système change.

Action en retour qui permet la régulation du système. La systémique est rattachée au paradigme du fluide, le cercle n’est pas vicieux mais vertueux.

Le principe de rétroaction qui permet de réguler le système est appelé feedback, et peut être de deux sortes :

sur lui repose la stabiblité, la régulation du système, son auto-conservation
L’homéostasie, qui est la résistance au changement, repose sur ce principe.

sur lui repose le changement, l’évolution. Il conduit à l’explosion ou au blocage.

La systémique est une pensée organiciste : les paradigmes des sciences de la vie sont incontournables. On voit la société comme un organisme. On donne parfois l’image de l’orchestre dans lequel les musiciens s’accordent les uns sur les autres sans chef d’orchestre, il n’y a pas de hiérarchie.

Nous pouvons analyser la société en tant que système complexe au même titre que les autres. Un écosystème, un organisme sont des systèmes complexes. Un système complexe est un système homéostatique, lui-même un système ouvert maintenant sa structure et ses fonctions par l’intermédiaire d’une multiplicité d’équilibres dynamiques. Les systèmes homéostatiques sont ultra-stables : toute leur organisation interne, structurelle, fonctionnelle contribue au maintien de cette même organisation. Leur comportement est imprévisible, anti-intuitif : lorsqu’à la suite d’une action précise on s’attendait à une réaction déterminée, c’est un résultat tout à fait inattendu et souvent contraire qui est obtenu.

Comment une organisation stable, dont la finalité est de se maintenir et de durer, peut-elle changer et évoler ? La croissance d’un système complexe dépend des boucles de rétroaction positives. Celles-ci sont équivalentes à des générateurs aléatoires de variété, elles génèrent de la complexité en démultipliant les possibilités d’interaction. Variété et complexité sont étroitement liées. Mais la variété est aussi une des conditions de la stabilité d’un système. En effet, l’homéostasie ne peut s’établir et se maintenir que grâce à une très grande variété de régulations. Plus un système est complexe, plus le système de contrôle doit, lui aussi, être complexe, afin d’offrir une réponse aux multiples perturbations provenant de l’environnement. C’est ce qu’exprime la loi de la variété requise proposée par Ashby en 1958. Cette loi, extrêmement générale, établit sous forme mathématique que la régulation d’un système n’est efficace que si elle s’appuie sur un système de contrôle aussi complexe que le système lui-même.
La génération de la variété peut donc conduire à des adaptations par accroissement de la complexité. Mais par confrontation avec l’aléatoire de l’environnement, elle génère aussi de l’imprévu, qui est la sève du changement. Un système homéostatique évolue donc grâce à un processus de désorganisation, totale ou partielle et de réorganisation.

Parmi les dix commandements de l’approche systémique, De Rosnay énonce le rétablissement des équilibres par la décentralisation. Le rétablissement rapide des équilibres exige que les écarts soient détectés aux endroits mêmes où ils se produisent et que l’action correctrice s’effectue de manière décentralisée. Très souvent, l’action correctrice se réalise avant même qu’il ait été nécessaire de remonter jusqu’aux centres supérieurs de décision. C’est le cas en biologie notamment où les corrections d’équilibre par exemple se font inconsciemment, sans que nous y pensions. La décentralisation du rétablissement des équilibres est une des applications de la loi de la variété requise. Elle est de règle dans l’organisme, la cellule ou l’écosystème.

Or, le problème est que dans nos sociétés étatisées, ces actions correctrices décentralisées font cruellement défaut. Mais l’informatique, par les capacités de réaction en temps réel qu’elle permet, pourrait pallier à ce défaut.

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La cybernétique

La cybernétique est la science du contrôle et des communications, des solidarités et des systèmes. Elle relève d’une approche interdisciplinaire, est basée sur l’échange d’information et la notion de réseau. Le monde est vu comme des relations entre des éléments. Tous les processus sont appréhendés comme des activités relationnelles, chaque phénomène n’existe que par sa relation avec l’autre. On ne s’intéresse pas aux êtres mais à leurs rapports naturels. Il y a une idéologie de la transparence, tout est communication. Des analogies sont faites entre systèmes nerveux et d’autres systèmes artificiels. Le but ultime est l’auto-organisation, la lutte contre toute hiérarchie. Dans le domaine social, les applaudissements, les huées, les sondages, les votes politiques sont des feedback qui participent d’une nouvelle forme de pilotage social à l’opposé de la centralité. Ils permettent aussi aux hommes politiques d’adapter leur discours, ce qui peut conduire à une certaine démagogie.
La cybernétique est l’art de rendre une action efficace grâce au feedback, la notion d’efficacité est très importante. Elle est imprégnée d’un idéal de transparence. L’homme nouveau doit être sans intériorité, tout est dehors, la société n’a pas de secret, l’échange d’information se fait grâce aux nouvelles technologies de l’information. Voilà pourquoi Internet procède d’un esprit libertaire. Le Net est le résultat le plus éclatant de la cybernétique, et c’est aussi pour cela qu’il peut permettre les changements de pouvoir dans la société. En fait, le réseau constitue une étape vers l’auto-organisation : la théorie cybernétique a permis la construction du réseau, qui logiquement pourrait permettre l’édification d’une société nouvelle. La volonté d’auto-régulation s’explique par le fait qu’après la guerre, il y a eu accusation du pouvoir qui n’a pu empêcher la barbarie. On prône une société sans Etat, une régulation sociale en réseaux, par opposition à la hiérarchie, l’autogestion dans l’entreprise.

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Vers le chaos ?

Il semble bien que oui, mais le chaos, qui a longtemps définit l’anarchisme, prend aujourd’hui ses lettres de noblesse en devenant une science à part entière. La théorie que nous allons présenter vient du livre de James Gleick , La théorie du chaos.

Le chaos est une «science des processus plutôt que des états, une science du devenir plutôt que de l’étant». Il supprime les frontières entre disciplines scientifiques. C’est une science de la nature globale des systèmes. C’est l’étude des systèmes dynamiques complexes. Nous allons donc essayer de définir les propriétés du chaos à travers quelques définitions, et nous donnerons des exemples de l’application de la théorie dans le champ social.

L’ordre est enraciné dans le désordre apparent. Le chaos est un désordre ordonné engendré par des processus élémentaires. Les données véritablement aléatoires restent éparpillées dans un désordre indéterminé alors que le chaos-déterministe et structuré- concentre les données en des formes manifestes. L’irrégularité est l’élément fondamental de la vie.

Dans les systèmes complexes adaptatifs, les agents s’auto-organisent car il n’y a pas d’autorité centrale capable de dicter des stratégies efficaces. Même quand le système s’organise et évolue dans le désordre, il produit des schémas de comportement cohérents, ordonnés. Il le fait à travers un processus d’organisation du bas vers le haut sans centralité.

Stacey et Michaela

L’effet papillon est la dépendance sensitive aux conditions initiales. Une succession d’événements peut atteindre un point critique au-delà duquel une petite perturbation peut prendre des proportions gigantesques. Le chaos signifie que ces points existent partout. C’est ce qui  explique que les systèmes sont déterministes, mais imprévisibles.

Selon Stacey et Michaela, les problèmes des organisations internationales qui oeuvrent dans le domaine du développement sont des problèmes d’incapacité de la part de ces institutions à s’adapter au changement et à se transformer. Ils se posent la question de savoir si la capacité à gouverner est liée à la capacité des dirigeants à diriger en prévision de changements, ou au contraire, à une émergence de schémas d’adaptation venant du bas sans cesse en action.
Dans le premier cas, on prend pour acquis que les gouvernants de systèmes adaptatifs complexes (chaotiques) sont capables de prendre en compte les actions locales dans une perspective globale d’action.

Les systèmes complexes adaptatifs sont capables de trois types de comportement :

qui correspond à un feedback négatif
«Les canaux de communication créés pour atteindre la petite dimension ne réussissent qu’à transmettre des messages à but homéostatiques»(Escarpit)

qui correspond à un feedback positif

ils peuvent passer du premier au deuxième comportement, ils peuvent être stables et instables en même temps : c’est la transition de phase, durant laquelle les systèmes sont capables de nombreux comportements, et sont rendus imprévisibles. Dans les organisations humaines, c’est ce qui se passe lorsque les acteurs d’un système informel agissent à l’encontre des desiderata des responsables des systèmes formels. Ces tensions produisent des conflits et une variété imprédicible. La transition de phase correspond à un changement de niveau d’organisation.

L’instabilité par bonds dans les organisations résulte de la tension entre la stabilité de la centralisation, de la bureaucratie et de la conformité, constituant l’attracteur constructif et l’instabilité venant de la décentralisation et de l’individualisme, constituant l’attracteur désintégrant. Les organisations qui sont maintenues entre le chaos et la stabilité, en transition de phase, dans un état paradoxal, sont les plus créatives.

Les structures émergentes sont des systèmes capables de passer d’un état de désordre à un état d’organisation. L’émergence exprime l’apparition des propriétés nouvelles qui apparaissent dans le nouveau système.

Les conséquences, à long terme, des actions individuelles dans des systèmes complexes sont imprévisibles, car les causes et les effets sont noyés dans les multiples interactions du système, ce qui signifie que personne ni à l’intérieur ni à l’extérieur ne peut contrôler le système ; le comportement émerge.

Farmer dit :

A un niveau philosophique, cela m’apparut comme un moyen opérationnel de définir le libre arbitre, et de le définir d’une manière permettant de réconcilier le libre arbitre et le déterminisme. Le système est déterministe, mais vous ne pouvez dire ce qu’il va faire l’instant d’après. En même temps, j’avais toujours eu le sentiment que les problèmes importants, là, dans le monde, avaient à voir avec la création de l’organisation, dans la vie ou l’intelligence. Mais comment étudier cela ? Ce que faisaient les biologistes me paraissait tellement appliqué et spécifique ; les chimistes ne l’étudiaient certainement pas, les mathématiciens pas du tout, et c’était une chose à quoi les physiciens ne touchaient simplement pas. J’avais toujours senti que l’émergence spontanée devait faire partie de la physique.
 C’était comme les deux faces d’une pièce de monnaie. D’un côté il y avait l’ordre, avec une émergence de hasard, puis, le coup d’après, il y avait le hasard, avec son propre ordre sous-jacent.

Les attracteurs sont des zones vers lesquelles la fonction étudiée tend à converger. C’est ce point limite que l’on nomme attracteur. Sa représentation est une orbite d’une longueur infinie qui ne se reproduit jamais ni ne se recoupe jamais dans une surface finie : une fractale.

L’entropie, issue du second principe de la thermodynamique, traduit la tendance inexorable de tout système isolé à évoluer vers un Etat de désordre croissant. Les attracteurs étranges sont des machines à information. En fusionnant l’ordre et le désordre, les attracteurs étranges créent de l’imprédicibilité, ils augmentent l’entropie, ils créent de l’information là où il n’en existait pas. Lorsqu’un système devient chaotique, il engendre, strictement en vertu de son imprédicibilité, un flux constant d’information. Le comportement désordonné des systèmes simples agit comme un processus créatif qui engendre la complexité. L’information (au sens de «mettre en forme»)est ici considérée comme facteur d’ordre dans un système dans la mesure où il diminue l’incertitude, c’est la mesure de l’organisation d’un système. Cette définition est issue de la théorie mathématique de l’information de Claude Shannon.

Les réseaux informels dans les organisations structurées permettent de générer de l’innovation et de définir de nouvelles stratégies. Des tensions peuvent se créer entre les deux organisations, et des conflits naissent de nouveaux comportements. Cette démarche montre comment les systèmes adaptatifs complexes évoluent. Nous avons déjà vu cela plus haut, sous d’autres formes, avec les tactiques (opposés aux stratégies) de De Certeau ou les innovateurs (opposés aux gestionnaires) d’Alter. En fait, cette idée est directement issue d’un pionnier de l’auto-organisation, qui affirme que l’ordre nait du bruit (le bruit, dans la théorie mathématique de l’information, parasite le message, empêche sa compréhension, il réduit l’information), et qu’il ne peut y avoir d’organisation qu’à la frontière entre l’ordre parfait et le désordre.

Stacey et Michaela donnent en exemple le cas d’une organisation, l’European Technology Liaison Committee (ETTC), oeuvrant pour le transfert des technologies vers les pays en voie de développement. Leur étude montre que l’organisation informelle de base qui s’est mise en place après la seconde guerre mondiale s’est avérée efficace, s’est institutionnalisée, puis au fil des ans s’est trouvée incapable d’action valable. Alors au sein de l’organisation un individu a pris des libertés par rapport aux lignes directrices de son organisation et a créé un réseau informel très utile mais en marge. Puis à son tour, ce réseau s’est formalisé. Alter  a fait les mêmes constatations concernant l’informatisation dans l’entreprise, où les innovateurs, travailleurs du savoir, souhaitent leur avenir comme une suite d’innovations, par opposition aux gestionnaires des structures hiérarchiques, qui subissent des contraintes institutionnelles :

Plus qu’à un changement, on a affaire à un processus de changement, à une évolution permanente prenant successivement appui sur la transformation des structures et des règles, des interactions et des capacités stratégiques, des représentations de l’organisé et des projets canalisés par un système de valeurs.

La bureautique fait penser et agir autrement. Les relations de travail et l’organisation ne sont plus pour personne les éléments finis d’une structure rigide mais un ensemble chaotique et évolutif, incluant les rapports de force.

Le passage sur les rapports de force nous amène à parler des systèmes adaptatifs complexes qui sont paradoxaux : coopératifs et compétitifs, stables et instables. La coopération entre des concurrents dont aucun ne domine conduit à un apprentissage plus rapide, le système est mené par la co-évolution des deux rivaux, qui apprennent chacun l’un de l’autre. La transition de phase au bord du chaos est un état dans lequel l’information est à la fois librement diffusée et retenue.

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Conclusion

Les nombreuses théories abordées dans ce deuxième chapitre ont la particularité de converger vers les mêmes conclusions, à savoir l’importance de l’auto-organisation et du désordre dans le phénomène d’organisation. Les tactiques de De Certeau, la petite dimension d’Escarpit, la systémique, la cybernétique, la théorie du chaos, toutes parlent en faveur d’une organisation de la société fondée sur de petits groupes souples, adaptatifs, auto-organisés et respectant l’individu en tant que producteur d’information-créateur. C’est le principe du «roseau qui plie mais ne rompt pas», le combat de David contre Goliath. L’anarchisme semble être l’application sociale directe de ces différentes théories.

Mais l’organisation de la société par groupes communautaires adaptatifs, sous forme de fédérations, n’exclue pas l’idée d’une sorte d’Etat généré par le bas, qui contribuerait à stabiliser le système. Tous les éléments de la société ne sont pas des innovateurs, et si «la vie ne vaut que par les extrêmes, elle ne dure que par les moyens.» Selon Stacey et Michaela, le gouvernement doit être compris en termes de processus dialectique. Les systèmes formels sont capables de s’adapter à un environnement particulier, mais le changement réside dans les systèmes informels, qui s’adaptent spontanément. Et ces changements s’institutionnalisent à leur tour, laissant la place à d’autres organisations informelles. Le gouvernement procède des deux principes, selon qu’il anticipe les problèmes ou s’adapte instantanément. Ainsi la stratégie de De Certeau n’est valable que dans un cadre tactique, la petite dimension n’exclut pas la grande dimension. Les systèmes chaotiques établissent un pont entre les échelles macroscopiques et microscopiques. Elles sont dialogiques.

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Conclusion

Curieuse coïncidence, c’est au moment d’écrire cette conclusion que nous venons d’avoir connaissance, tout à la fin de notre travail, de la théorie de la complexité. Celle-ci, veut «articuler le tout et ses parties, le global et le particulier en un aller et retour incessant», selon Achille Weinberg . Sfez  donne de la communication une définition particulière :

Expression, seconde définition de la communication (...) J’exprime le monde qui m’exprime. Le sujet global, c’est le monde naturel. Mais l’individu n’a pas perdu ses droits (...) La communication est l’insertion d’un sujet complexe dans un environnement lui-même complexe.

Edgar Morin   définit quant à lui la complexité comme

la pensée qui traite avec l’incertitude et qui est capable de concevoir l’organisation. C’est la pensée capable de relier (complexus : ce qui est tissé ensemble) de contextualiser, de globaliser, mais en même temps capable de reconnaître le singulier, l’individuel, le concret.»

C’est tout le long de notre travail que nous avons essayé de pratiquer cette approche, sur le sujet et dans la forme du travail. Mais rien d’étonnant à cela quand on sait que la théorie de la complexité rassemble les théories de l’information, de la cybernétique, de la systémique, de l’auto-organisation et du chaos ! Comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir, nous avons esquissé une approche complexe. Entre parenthèses, la chose a un côté rassurant : durant l’année, nous avons pu nous faire dire que notre travail était une «poubelle», parce que tout (du moins beaucoup de choses) rentrait dedans, donc de savoir que d’autres croient à cette approche est plutôt réconfortant. L’aspect plus inquiétant, c’est de découvrir cette approche au dernier moment, alors que justement, pensant qu’il faut relier, j’ai cherché dans cette voie...

Ce qui nous amène à conclure par la présentation de plusieurs perspectives :

Le modèle stratégique devient le tout totalitaire. Il se pourrait que peu à peu il constitue l’espace où s’activerait une société de type cybernétique avec d’innombrables et invisibles tactiques. On aurait une prolifération de manipulations aléatoires et incontrôlables, à l’intérieur d’un immense quadrillage de contraintes et d’assurances socio-économiques : des myriades de mouvements quasi invisibles, jouant sur la texture de plus en plus fine d’un lieu homogène, continu et propre à tous.

C’est une autre façon de définir la mondialisation... Le modèle de De Certeau peut sembler paradoxal si on l’applique à notre champ d’étude : l’appropriation du réseau par les usagers est de plus en plus grande mais elle conduit à une institutionnalisation du cyberspace et condamne la démocratie électronique à devenir stratégie d’un pouvoir et non plus tactique de citoyens. Mais nous avons vu dans le paragraphe précédent que la société procédait par vagues d’institutionnalisations stratégiques et d’informalisations tactiques successives ou simultanées.

Mais Escarpit, plus optimiste, affirme qu’

Un régime totalitaire est un régime dont l’appareil politique inclut la totalité de la population contrôlée. Il n’est pas forcément antidémocratique. Si l’organisation de l’appareil politique est telle que tous les individus ou groupes participent également à la production informationnelle collective, on peut imaginer une forme supérieure de démocratie, une «laocratie» qui serait totalitaire, sans que ce mot ait un sens péjoratif.

Ce qui débouche sur Levy et De Rosnay, pour qui la société va s’organiser en réseaux qui vont fédérer les intelligences individuelles en intelligence collective, dans un nouveau cadre social d’échanges de savoirs, où l’abondance des opinions pourra s’exprimer librement. De nouvelles formes de démocraties vont apparaître, plus participatives, grâce aux nouvelles technologies de communication. Les expériences des communautés virtuelles attestent des possibilités en ce domaine. Lévy nomme démodynamique cette nouvelle force du peuple.

De notre toute récente découverte de la complexité, et de la citation de De Certeau, nous pouvons augurer d’une société future qui, si elle s’achemine vers ce que nous avons dessiné, ressemblera à un espèce de magma social dans lequel l’identification des acteurs sera très difficile.
Loin de parler de société de l’information, c’est de surinformation chronique et de pollution d’information qu’il faudra parler. De même qu’il est impossible d’identifier l’émetteur d’une message ou d’une page web si celui-ci ne le désire pas, une société auto-organisée court le risque de manquer de repères. La question est : si j’entre dans un conflit quelconque, sera-t-il possible de demander des comptes, ou seulement d’identifier la personne ou le groupe qui peut être virtuel ? Rosell pose le problème d’une identité commune qui rattache les individus mais devrait cruellement manquer dans l’avenir :

Dans la société, plus d’acteurs non-gouvernementaux sont engagés dans le processus de gouvernement ; il devient important et difficile de développer des perceptions communes, des agendas partagés, et des images du monde dans lequel des gens avec des intérêts et des valeurs différents peuvent travailler ensemble et innover. Comme la société et les acteurs engagés se diversifient, nous ne pouvons plus considérer comme acquis que nous partageons les mêmes représentations du monde. Au contraire, nous devons les construire. Générer de telles toiles de fond (mythes partagés, histoires et interprétations) devient une part centrale du processus de gouvernement.»

Ce qui débouche sur un autre problème : la responsabilité des individus. Pouvons-nous faire confiance aux gens pour assumer les responsabilités accrues par l’auto-organisation ? Sommes-nous vraiment éduqués dans ce sens, préparés ?

Nous avons vu que l’anarchisme conciliait les logiques économiques et sociales qu’on a tendance à penser contradictoires de nos jours, et nous pensons qu’une des façons de diminuer l’impérialisme économique et la logique du tout-économique réside paradoxalement dans la réorganisation d’une société auto-gérée. Ceci dit, force est de constater les dégâts actuels de l’économie à échelle mondiale sur la société. Pour fermer la boucle et revenir à Internet, on s’aperçoit qu’aujourd’hui les entreprises ont pris le relais des libertaires. L’Aftel le note dans son enquête, «la dynamique est avant tout commerciale», ce sont les entreprises le moteur de la croissance. Le nombre de domaines a crû de 306 % entre juillet 1995 et juillet 1996, et de 411 % pour le seul domaine «.com», qui représente à lui seul 58 % des domaines enregistrés dans le monde. Avec la globalisation du marché, «c’est le triomphe de l’entreprise, de ses valeurs, de l’intérêt privé et des forces du marché. Avec tout ce que cela signifie de recul des forces sociales et de déclin du rôle de l’Etat-nation-providence et de la philosophie du service public.», comme le souligne ArmandMattelard . D’un point de vue théorique, cette libéralisation signifie la prise en compte du récepteur actif qui peut agir dans le village planétaire et d’un consommateur libre dans un marché libre. Mais en fait, citoyens et consommateurs sont soumis à la pression de l’économie qui dicte ses standards et impose ses règles. Ici le diffusionnisme prend ici toute sa valeur explicative. Ainsi, avant de servir le citoyen, Internet aidera probablement les publicitaires à segmenter le marché pour nous vendre grâce à des publicités interactives de beaux produits on-line. D’autres craignent que ce soient ceux qui possèdent les télécoms, les riches, qui manipulent les autres et possèdent le pouvoir. Le phénomène de concentration des médias s’accentue, les cablo-opérateurs pouvant maintenant posséder et diffuser des contenus.

Nous pourrions aussi parler des conditions d’accès au réseau problématiques, pour le moment bien peu démocratiques et réservées à une élite culturelle et sociale. Ne parlons pas des conditions de consultation pour les pays en voie de développement.

Nous déplorons de n’avoir pas fait d’étude de terrain digne de ce nom pour vérifier les hypothèses de départ. Cela dit, nous n’avons toujours pas trouvé de méthode permettant cette vérification, compte tenu de la complexité du sujet. Il faut dire aussi que la compréhension du sujet, aussi limitée soit-elle, a demandé un gros effort théorique de notre part. Jacques Lévy  affirme d’ailleurs que le paradigme de la complexité se caractérise, entre autres, par «l’insistance sur la nécessité de vigoureux efforts théoriques face à un empirisme et un éclectisme encore très présents dans la vie quotidienne de la recherche : comprendre nécessite d’expliquer, qui suppose de décrire, qui exige d’inventer - de fabriquer des objets discursifs.»

Comme nous l’avons vu, si le chaos est déterminé, il est en même temps imprévisible. Nous voudrions échapper par là au reproche qui pourrait nous être fait d’avoir une vision déterministe des technologies de communication sur la société en affirmant que loin de croire à l’illusion techniciste qui consiste à penser que la technologie nous amène vers un monde où tout est pour le mieux, nous croyons au libre arbitre des individus, et à leur rôle dans la construction de la société. Il est vrai que l’importance accordée à la technologie dans notre travail pourrait de prime abord paraître être en contradiction avec la place de l’individu dans l’anarchisme. Mais le chaos, c’est aussi le paradoxe...

Pour finir, disons simplement que nous vivons une période instable, nous sommes dans une transition de phase sociale ; espérons que du désordre anarchiste que nous prônons émergera une société créatrice et responsable conciliant ordre et désordre.

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