DEBORDIANA

CORRESPONDANCE
1989

 

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Guy Debord à Editorial Anagrama

Jean-François Martos, Correspondance avec Guy Debord
Le fin mot de l’Histoire, Paris, août 1998

Guy Debord
aux bons soins des Éditions Lebovici
27 rue Saint-Sulpice
75006 P
ARIS

M. Le Directeur
Editorial ANAGRAMA
Calle Pedró de la Creu, 58
08034 B
ARCELONA

copie aux Éditions G. Lebovici

Paris, le 7 juin 1989

CHER MONSIEUR,

Je viens de recevoir sans autre explication une ébauche de la traduction de mon livre par les Éditions ANAGRAMA. Je me suis pour l’instant borné à examiner les trois premières pages de ce manuscrit, ainsi qu’une difficulté que je prévoyais à sa page 6l. Je fais tout de suite les observations suivantes :

1) La traduction du titre est infidèle et maladroite. Il faut dire sobre. Si j’avais voulu écrire des commentaires « à » la Société du Spectacle, cela eût voulu dire des Commentaires à mon précédent livre sur ce sujet ; et j’ai voulu traiter de ce qu’est devenue cette société elle-même, vingt-et-un ans plus tard.

2) Dans la dédicace, le terme emboscada ne convient pas. Il pourrait s’appliquer à une embuscade militaire ; à la guerre. Et j’ai employé le mot qui évoque apparemment le banditisme, le style de la hampa. Il me semble que c’est le mot asechanza qui serait juste.

3) Dans la page 1, il ne faut pas me faire dire que je suis quelqu’un d’entendido ! J’ai dit que je suis considéré comme étant un conocedor. Quant à l’époque malheureuse, j’ai employé à dessein l’expression classique « le malheur des temps ». L’équivalent castillan doit être : la desdicha de los tiempos, ou peut-être las desdichas del tiempo. Je ne crois pas que l’on doive traduire « leurres », originellement terme de chasseurs, qui évoque la piste perdue, par le brutal trampa (il n’y a dans mon livre aucune fausse information, qui pourrait faire « tomber dans l’erreur » son lecteur) : le terme général d’engaño doit être le meilleur.

4) Page 6l. Le livre de Gracián s’appelle véritablement El Oráculo manual y Arte de Prudencia. Gracián n’a donc pas écrit ce qu’imagine, à partir du français, votre traducteur, mais cette phrase bien connue : « El gobernar, el discurrir, todo ha de ser al caso. Querer cuando se puede, que la sazón y el tiempo a nadie aguardan. » Je vous assure que le respect que j’ai pour la culture espagnole, dans ses meilleures époques, est assez grand pour que je refuse absolument de paraître avoir pris la responsabilité de la bafouer à ce point de barbarie.

Je vous prierais tout de suite de bien vouloir me faire savoir si vous êtes en accord avec mes présentes observations. Et dans ce cas, je vous demanderais de me faire parvenir une version un peu plus élaborée, de la traduction. Enfin, j’aimerais connaître le nom de votre traducteur — celui-ci ou le suivant, si vous croyez plus efficace d’en changer. Car je pense que l’anonymat peut parfois amener des traducteurs à prendre d’imprudentes libertés avec le texte dont ils se sont chargés ; en pensant, mais à tort, qu’ils n’ont rien à y perdre.

Veuillez croire, cher Monsieur, que je vais accorder la plus vive attention à la suite de cette affaire. Je vous prie d’agréer mes salutations très distinguées.

GUY DEBORD

 

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