DEBORDIANA

L’I.S. vous l’avait bien dit

André Bertrand, Daniel Joubert, André Schneider — 14 avril 1967

Tract

Pascal Dumontier, Les Situationnistes et Mai 68
Théorie et pratique de la révolution. 1966-1972
. Éditions Gérard Lebovici, Paris, mai 1990

    

 

« Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire une seconde fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce. »

Le 18 Brumaire de Louis Napoléon Bonaparte.

 

« CE SCRUTIN est important dans la mesure où il permettra de juger l’influence des “situationnistes” au sein du monde étudiant. » C’est ainsi que la presse annonçait les élections de la M.N.E.F. comme un retour à l’ordre naturel des choses — comme si les situationnistes étaient gens à se soumettre au quantitatif d’une consultation électorale ! Après une campagne délirante où les deux partis se sont employés à parodier les formes prises par notre activité au sein de l’A.F.G.E.S., il nous faut préciser que la liste battue sous l’étiquette « Bureau Sortant » n’est pas plus situationniste que celle qui l’emporta. Leur commune référence à l’U.N.E.F. fait leur identité. Entre le réformisme néo-mutuelliste des sortants et le conformisme des vieux syndicalistes vainqueurs, la différence est mince : les uns et les autres convoitaient cette « institution sociale d’importance » et proposaient aux mêmes questions des solutions qui n’étaient que l’envers les unes des autres.

D’aucuns parmi les électeurs et les éligibles ont cru sentir passer sur eux le souffle de la Révolution et de l’Histoire en ces jours de farce. Les crétins, qui ont voté pour le bureau sortant, l’ont fait sans doute en vue d’instaurer un « conseil étudiant » qui montrerait ainsi le chemin aux ouvriers. S’ils ont cru que leur vote serait une réponse fière aux mesures coercitives du Conseil d’Université, ou une garantie pour que le B.A.P.U. restât fermé, leur naïveté et leur manque d’imagination doivent tout autant rassurer les gardiens de l’ordre universitaire. Ces 750 suffrages ne sauraient témoigner que quelque chose a changé chez les étudiants. La bonne volonté ne fait pas la force des armées révolutionnaires quand elle est à ce point accompagnée d’immaturité pratique et théorique. La critique radicale commence par des refus très simples, qui ont manqué à ces velléitaires. Un peu de bruit et de fureur assaisonné d’un zeste d’obscurité idéologique et de messianisme bradé¹, tout juste capable de flatter ceux qui pouvaient se reconnaître enfin dans l’image complaisante de l’« étudiant révolutionnaire » qu’on leur offrait, n’a jamais fait grand mal. Toutes les foires électorales se ressemblent.

Ceux qu’une inflation publicitaire fait encore passer pour des situationnistes, sont un ramassis d’individus rejetés par l’Internationale situationniste et par les auteurs du coup de l’A.F.G.E.S. Frey, Garnault et Holl furent exclus de l’I.S. dès le 15 janvier 1967 pour avoir si peu compris les nouveaux rapports de la théorie et de la pratique, instaurés dans cette organisation, qu’ils ont cru pouvoir y développer des manœuvres fractionnelles acceptables seulement dans les partis hiérarchisés et bureaucratiques. Leurs mensonges vulgaires devaient être sublimés, pensaient-ils, par une Vérité révolutionnaire supérieure dont ils se croyaient les propriétaires, alors qu’ils ne cessaient de s’engluer dans les pièges de l’idéologie². Ce sont les mirages de cette idéologie qui conquirent Vayr Piova, Millot et Ballivet : ces trois nostalgiques de l’engagement militant traditionnel ont prouvé, en rejoignant ce groupuscule unifié par un monologue délirant qui voulait changer une toute petite expérience en moment historique crucial, qu’ils n’ont jamais rien compris aux pricipes de notre action à Strasbourg.

Ces défauts mêmes sont apparus au grand jour dans leur propagande électorale. Leur logorrhée furieuse ne visait qu’à les maintenir à la tête d’une bureaucratie — eux ou ceux qu’ils manipulaient. De leur passage à nos côtés, ils n’ont su qu’abstraire les détails d’une critique, vite dénaturés en recettes destinées à rendre le syndicalisme « intéressant », par un renouvellement de ses thèmes idéologiques, et « piquant » par une certaine virulence polémique. Ils ont ainsi démenti leur insoutenable prétention à se proclamer les auteurs de la brochure « De la misère en milieu étudiant ».

Ils ne pouvaient par ailleurs que poursuivre le cours de leurs mensonges. On les vit très vite s’approprier les méthodes de conservation du pouvoir, en faveur dans toutes les bureaucraties, s’imaginant peut-être que ce qu’ils baptisent leur « sens de l’Histoire » rachèterait leurs innombrables truquages³. Bien entendu, les 39 candidats du bureau sortant, en se faisant les complices d’une aussi piteuse opération, et en cautionnant l’ouverte falsification du scandale de l’A.F.G.E.S., se sont automatiquement condamnés à nos yeux. Nous n’entretiendrons plus désormais aucune relation avec quiconque approchera ainsi ces ordures.

Vous n’avez pas fini d’entendre parler de l’Internationale situationniste. Elle ne cherche pas l’appui, le temps d’un vote, de ceux qui se démettent de leur liberté à travers un scrutin. Le bouleversement de toutes les conditions existantes, auquel elle œuvre, passe par la destruction de toutes ces institutions complices du pouvoir, et non par une réédition d’anciennes farces historiquement déjouées depuis longtemps…

ABERTRAND - DJOUBERT - ASCHNEIDER
Le 14.4.67


1. Le programme du bureau sortant, avec son amusante prise de position contre l’abolition de la lutte de classe au sein de l’université et de la médecine, aurait pu être signé par un pro-chinois ou un J.C.R.

2. Cf. le tract de l’I.S. : « Attention 3 provocateurs ».

3. Pour n’en citer qu’un : ils ont inscrit parmi leurs candidats, la veille du scrutin, un de nos amis, Pierre Bernard (Sciences politiques) sans même se préoccuper de son accord.


14 octobre 2000

FRANÇAIS (1952-1957) (1957-1972) (1972-1994)