DEBORDIANA

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Le Déshonneur des poètes
[Tract rédigé par René Riesel et l’un de ses camarades enragés]

 

LUNDI 11 DÉCEMBRE 1967, une troupe de poètes-étudiants « pour la plupart édités » (!) ont présenté dans cette faculté un spectacle intitulé Happ poèmes.

S’agissait-il de happening (quoi qu’il en soit, Jean-Jacques Lebel est un con) ? De toute façon, il finit mal : les gardiens de la paix sur la scène ; dans la salle, les machines et les psychiatres démocrates : démocratie, tilt, spectacles, tilt, poésie, tilt, tilt, tilt et tilt.

La vie est ailleurs.

C’est ce que n’ignoraient pas, et crièrent en conséquence deux mauvais étudiants : « Les flics, les curés de demain seront aussi des poètes ! » Si les professeurs-ordinateurs attendent en général une année entière pour faire la peau de ces mauvais étudiants lors des examens, seule occasion pour eux de faire usage de leur minuscule puissance de petites frappes, les poètes-étudiants, pour leur part, ont choisi de leur casser la gueule sur-le-champ.

Rien là d’étonnant. Une seule chose pourrait encore étonner quelques naïfs : que ces flics se fassent appeler « poètes ». Mais que les naïfs se rassurent : ils n’ont pas affaire à une nouvelle race de poètes ; tout au plus à une nouvelle race de flics.

De toute façon, ces étonnés feraient mieux de s’occuper d’autre chose que de poésie ; qu’ils se mêlent plutôt de nous parler de Nanterre (Hauts-de-Seine), ville-pilote, bidonvilles, foyer des travailleurs nord-africains de la préfecture de police, métro express, mairie stalinienne, future préfecture, future caserne de la garde républicaine. Et qu’ils nous parlent aussi de la faculté de Nanterre, université ghetto en voie de cybernétisation, répression sexuelle, policière, liste noire pour trublions, communauté chrétienne, jeunes bureaucrates de l’U.N.E.F., prêtres et poètes-étudiants, sans compter les bonnes sœurs qui traînent un peu partout, activités culturelles en tout genre…

« Comme on va pouvoir s’ennuyer là-dedans ! » disait déjà Breton en 1932.

L’ENNUI EST CONTRE-RÉVOLUTIONNAIRE !

La lutte contre les flics, les curés, les cybernéticiens, les professeurs et les sociologues de demain commence aujourd’hui.

Pas de quartier pour les professionnels et les apprentis du spectacle.

Contre l’ennui, le jeu.

Contre les « poètes », la vie.

François X, assassin de quinze ans, est avec nous !

Pour en finir avec les maquereaux des bidonvilles et les maquereaux de la culture, cultivons l’ennui général jusqu’à ce qu’ils en crèvent.

« De tout poème authentique s’échappe un souffle de liberté entière et agissante, même si cette liberté n’est pas évoquée sous son aspect politique ou social, et, par là, contribue à la libération effective de l’homme. » (Benjamin Péret.)

La jouissance est notre but :

TRANSFORMER LE MONDE,
C’EST AUSSI CHANGER LA VIE.

Nanterre, 13 décembre 1967

 

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En attendant la cybernétique les flics
[Tract des Enragés]

[René Viénet, Enragés et situationnistes dans le mouvement des occupations. Éditions Gallimard, Paris, octobre 1968]

 

CAMARADES !

Grappin-la-Matraque ¤ épaulé par son Bouricaud ¤ soutenu par les arguments des Morin & Touraine ¤ a donné la mesure de ce qu’il veut bien « désavouer » en plaçant son ghetto et leurs rackets sous la protection de la gendarmerie ¤

Les Accords du Latran qui régissent ce vieux monde et son Université moderniste avouent leur ultima ratio ¤ leur raison d’État : le recours à la violence policière éclaire les conditions réelles du « dialogue » sur le campus ¤ Abus de confiance à gauche ¤ Abus de pouvoir à droite ¤

« Pour tirer l’esprit du cachot
« Soufflons nous-mêmes notre forge,
« Battons le fer quand il est chaud

(L’Internationale)

Nanterre ¤ le 29 janvier 1968

 

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Chant de guerre des Polonais de Nanterre
(Sur l’air de La Carmagnole et du Ça ira)

[René Viénet, Enragés et situationnistes dans le mouvement des occupations. Éditions Gallimard, Paris, octobre 1968]

 

M’SIEUR GRAPPIN avait résolu (bis)
De nous faire tomber sur le cul.
(bis)
Mais son coup a foiré
Malgré ses policiers.

Refrain
Valsons la Grappignole
C’est la misère ou la colère.
Valsons la Grappignole
C’est la colère
À Nanterre.

Ah ! ça ira, ça ira, ça ira
Morin, Lefebvre, on les emmerde.
Ah ! ça ira, ça ira, ça ira
Et le Touraine on s’le paiera.

Et si on s’le paie pas
On lui cass’ra la gueule.
Et si on s’le paie pas
Sa gueule on lui cass’ra.
(Air connu)

Bourricaud s’il fait des dégâts (bis)
Ce n’est pas avec ses gros bras.
(bis)
C’est la sociologie
Qui pète quand il chie.

Au refrain

Ricœur n’crach’ pas sur les bonnes sœurs (bis)
Mais il préfère les pasteurs.
(bis)
C’est tous les jours dimanche,
Et le Bon Dieu dans la manche.

Au refrain

Maisonneuve écrit dans L’Aurore (bis)
C’n’est pas un singe, c’est un porc.
(bis)
Doazan n’aime pas Fourier
C’est qu’il est constipé.

Au refrain

Les staliniens de l’U.E.C. (bis)
Voudraient baiser les ouvriers.
(bis)
Ils n’ont qu’leurs permanents
À se fout’ sous la dent.

Au refrain

Les étudiants sont des pantins (bis)
Moi, j’en chie vingt tous les matins.
(bis)
Déjà leurs lendemains
Chantent comme des catins.

Final
Valsons la Grappignole
Flics en civil, murs de béton.
Valsons la Grappignole
Profils d’étude, programmation.

Cette chanson vous est offerte par les ENRAGÉS DE NANTERRE. Si vous voulez en savoir plus long sur l’Université et sa misère, attendez avec impatience notre catalogue illustré.

Nanterre, le 13 février 1968

 

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Courant d’air sur le pommier du Japon
[Le tract comportait au verso une reproduction
du tableau de Marcel Duchamp Courant d’air sur le pommier du Japon (1914)]

[René Viénet, Enragés et situationnistes dans le mouvement des occupations. Éditions Gallimard, Paris, octobre 1968]

 

MESDAMES,
MESDEMOISELLES,
MESSIEURS,

Henri Lefebvre, un des plus célèbres agents de la Récupération de ce demi-siècle (on sait comment les situationnistes l’ont fort proprement mouché — lui, et tout le gang d’Arguments — dans leur tract Aux poubelles de l’histoire !) se propose d’ajouter Zengakuren à son tableau de chasse. Le C.N.R.S. a ses émissaires, la PRAXIS a ses chargés de recherches.

Le métaphilosophe Lefebvre est moins bête que le pataphilosophe Morin. Mais le métastalinien devrait avoir l’élégance de s’écraser — quand il s’agit de luttes de classes.

À bon entendeur, salut.

Nanterre, le 19 mars 1968
LES ENRAGÉS

 

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La Rage au ventre !

[René Viénet, Enragés et situationnistes dans le mouvement des occupations. Éditions Gallimard, Paris, octobre 1968]

 

CAMARADES,

En dépit de la collusion avérée des staliniens de l’U.E.C. et des réactionnaires, les magnifiques bagarres de vendredi dernier prouvent que les étudiants, dans la lutte, commencent à accéder à une conscience qu’ils n’avaient pas jusqu’alors : où commence la violence, commence de finir le réformisme.

Le Conseil de l’Université qui s’est réuni ce matin aura beau faire : cette forme désuète de la répression ne peut rien contre la violence dans la rue. L’exclusion pour cinq ans de toutes les Universités de France de notre camarade Gérard Bigorgne — passée sous silence par toute la presse, tous les groupuscules, et associations étudiantes —, celle qui menace aujourd’hui notre camarade René Riesel et 6 autres étudiants de Nanterre sont tout de même pour l’autorité universitaire une manière de les livrer à la police.

Face à la répression, la lutte qui s’annonce devra conserver ses méthodes d’action violente, pour l’heure sa seule force. Mais elle devra surtout susciter une réflexion parmi les étudiants qui la mèneront. Car il n’y a pas que les flics : il y a aussi les mensonges des divers groupuscules trotskistes (J.C.R., F.E.R., V.O.), prochinois (U.J.C.M.L., C.V. base), anarchistes-à-la-Cohn-Bendit. Réglons nos affaires nous-mêmes !

L’exemple donné par les camarades arrêtés vendredi à la Sorbonne, qui se mutinèrent dans le car où ils étaient emmenés, est un exemple à suivre. Tant qu’il n’y aura que trois flics par panier à salade, nous saurons quoi faire. Le précédent du brigadier Brunet, trépané hier, fera jurisprudence : mort aux vaches !

Déjà la violence ferme la gueule des petits chefs des groupuscules ; la seule contestation de l’Université bourgeoise est insignifiante quand c’est toute cette société qui est à détruire.

VIVE LA ZENGAKUREN !
VIVE LE COMITÉ DE SALUT PUBLIC DES VANDALISTES (Bordeaux) !
VIVENT LES ENRAGÉS !
VIVE L’I.S!
VIVE LA RÉVOLUTION SOCIALE !

Paris, 6 mai 1968
LES ENRAGÉS

 

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Le château brûle !
Adresse au Conseil de l’Université de Paris

[René Viénet, Enragés et situationnistes dans le mouvement des occupations. Éditions Gallimard, Paris, octobre 1968]

 

VESTIGES,

Votre ignorance crasse de la vie ne vous autorise à rien. En voulez-vous la preuve ? Si vous pouvez siéger aujourd’hui, c’est avec un cordon de police derrière vous. De fait, personne ne vous respecte plus. Pleurez donc sur votre vieille Sorbonne.

Que certaines ganaches modernisantes se soient piquées de me défendre, s’imaginant — à tort — qu’après leur avoir craché dessus, je pourrais redevenir assez présentable pour qu’ils me protègent, me fait seulement rire. Malgré leur persévérance dans le masochisme, ces arrivistes ne sauraient même pas replâtrer l’Université. Monsieur Lefebvre, je vous dis merde.

Ils seront de plus en plus nombreux, ceux qui prendront dans le système des études ce qu’il a de meilleur : les bourses. Vous me l’avez refusée, je n’ai rien eu à cacher, j’ai tout à mordre.

Le procès d’aujourd’hui est bien sûr une fable dérisoire. Le véritable procès s’est déroulé dans la rue, lundi, et la justice temporelle a déjà retenu une trentaine d’émeutiers. Pour mes camarades, ce qui importe c’est la libération inconditionnelle de tous les condamnés (y compris les étudiants).

La liberté est le crime qui contient tous les crimes. Gare à la justice seigneuriale quand le château brûle !

Paris, 10 mai 1968
RENÉ RIESEL

 

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27 octobre 2000

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