DEBORDIANA

Internazionale situazionista
Revue de la section italienne de l’Internationale situationniste
Numéro 1

Directeur : Paolo Salvadori — Milan, juillet 1969

[Section italienne de l’Internationale situationniste, Écrits complets. 1969-1972
Traduits par Joël Gayraud et Luc Mercier. Éditions Contre-Moule, Paris, juin 1988]

 

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Comité de rédaction :
C
LAUDIO PAVAN, PAOLO SALVADORI, GIANFRANCO SANGUINETTI

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Quand seul le meilleur suffira

 

« Notre mandat de représentants du parti prolétarien, nous ne le tenons que de nous-mêmes, mais il est contresigné par la haine exclusive et générale que nous ont vouée toutes les fractions du vieux monde et tous les partis. »

MARX, lettre à Engels, 18 mai 1859.

 

LE PREMIER ACTE du nouveau drame révolutionnaire sur le continent européen vient maintenant de commencer, et avec lui commence le vieux mélodrame contre-révolutionnaire. En France, le prolétariat a déjà obtenu une victorieuse défaite et le pouvoir une misérable victoire ; la révolution pénètre dans la vie quotidienne et la réaction fait le compte de ses chiens fidèles. Le mouvement révolutionnaire prolétarien, bloqué dans la première moitié du siècle par la contre-révolution russe, contrecoup de la régression social-démocrate en Occident, et par la réaction fasciste de la bourgeoisie, nous revient dans la seconde moitié du siècle et s’annonce dans tous les pays.

Le processus de reconstruction du mouvement révolutionnaire total ne peut se produire sans passer par la dissolution totale de l’image séparée que perpétuait le mouvement communiste international, au-delà des fausses oppositions entre les défenseurs de la bureaucratie de Moscou et les adorateurs de la bureaucratie de Pékin. À l’ouverture du second assaut du mouvement révolutionnaire, il doit régler son compte à sa propre fausse conscience antérieure, et il lui reste à accomplir un travail absolument nécessaire : la critque des débris idéologiques provenant de la décomposition de l’immense cadavre du parti révolutionnaire international, critique qui lui permette de considérer de manière totalement désabusée l’histoire cachée du présent. La critique de l’idéologie est la condition première de toute critique ; elle ne trouve pas sa conclusion en elle-même, mais dans le seul projet possible de notre époque, celui dont la réalisation est dans la rue.

Il faut cependant accélérer le processus de décomposition du « marxisme » (ouvriérisme et bureaucratisme ; sous-développement théorique et idéologie du sous-développement), pour qu’il ne se maintienne pas au-delà de son point d’explosion en continuant à freiner la réapparition d’une pratique révolutionnaire consciente. C’est la tâche des nouveaux théoriciens du prolétariat révolutionnaire — mais pas d’eux seuls — de non seulement ridiculiser les fanfaronnades qui forment le noyau de l’idéologie « moderne » des jeunes-marxistes et qui sont accueillies, en Italie, par le public avec un respect mêlé d’effroi, mais encore de révéler les circonstances qui permettent à des personnages médiocres et grotesques de jouer les héros. Leur première tâche sera de démasquer la fausse contestation entachée d’idéaux misérables, qui est l’expression la plus avancée du mouvement italien stagnant et qui ne le rend pas seulement incapable de créer des situations, mais encore de produire des pensées, au-delà de ses réveils subits et partiels.

Il y a des moments où s’accroît la sourde friction des classes, mais où rien ne s’oriente encore vers la révolution ; moments où le passé montre toute son impuissance, mais conserve toujours le pouvoir d’empêcher l’apparition du nouveau. Pourtant, dans aucune autre période, nous ne trouvons un mélange plus hétérogène de fausses professions de révolte et d’indécisions et de passivité réelles, de déclarations de renouvellement plus illusoires et de domination plus assurée de la vieille routine, de luttes plus spectaculaires entre éléments solidaires du monde existant et d’antagonismes plus profonds montant de toutes les couches de la société. La résurrection des morts, dans ces luttes, sert à parodier les anciennes révolutions, non à concevoir les nouvelles ; à fuir leur réalisation, non à reprendre les tâches qu’elles se fixaient ; à en mettre en circulation le spectre, non à en retrouver l’esprit. Les révolutionnaires de 1789 s’habillaient à la romaine ; les militants néo-bolcheviques de 1969 s’habillent à la russe, à la chinoise ou à la cubaine. Comme dans les révolutions bourgeoises, il faut des évocations historiques pour se faire des illusions sur la réalité du projet moderne. De même que « la bourgeoisie russe naissante acceptait le marxisme comme soutien idéologique de sa lutte contre le féodalisme et l’autocratie » (E. Carr, la Révolution bolchevique), de même la bourgeoisie occidentale décomposée accepte encore le « marxisme » comme soutien idéologique de son ultime tentative pour se préserver de la révolution. L’histoire ne fait qu’exécuter la sentence pour se préserver de la révolution. L’histoire ne fait qu’exécuter la sentence que la bourgeoisie s’inflige à elle-même en prétendant s’approprier le marxisme de façon séparée.

Mais même dans cette époque d’expériences doctrinaires, le temps ne passe pas en vain. Pour prendre conscience de son contenu, le conflit social contre les conditions modernes de la survie fait venir à la surface, en un seul et même courant, toutes les charognes du passé dont il s’emploie à libérer le terrain. Le changement accéléré d’illusion, qui semble présider à toutes les tentatives des individus de s’engager enfin dans la voie qui rende impossible tout retour au passé, dissout peu à peu l’illusion du changement, faisant affleurer la question brutale du changement réel, la question historique pour elle-même.

Démasquer le caractère idéologique d’un mouvement révolutionnaire trop longtemps resté absent des pays modernes, et des formations pseudo-révolutionnaires que cette époque a produites, est aujourd’hui le premier acte indispensable en faveur du nouveau mouvement qui s’annonce partout. Tout le reste n’est que récupération dérisoire du passé par une génération « marxiste » qui cherche à vendre à la première occasion la dernière édition de la révolution manquée, travestie en révolte moderne. Les Tronti, les Bellochio, les Masi, les Viale, les Rieser, les Cazzaniga, les Piperno, les Pasolini, les Meldolesi, les Rostagno, les Sofri, les Della Mea. Les gémissements idéologiques de ce dernier demi-siècle ne sont que des trucages ; mais les chefs-d’œuvre de l’intelligence de deuxième ordre qui dominent cette fin d’époque honteuse ne sont plus que des trucages éculés pour étudiants, auxquels ils sont destinés. Les conditions réelles doivent rester hors de discussion, et la consommation de l’idéologie doit au contraire soutenir une fois de plus l’idéologie de la consommation. Si, aujourd’hui, l’impuissance de gauche se lamente de devoir aussi assister, après l’échec des stratégies classiques du mouvement ouvrier, à celui de toutes leurs modernisations confuses et dégénérées, c’est parce que ces dernières sonnent le glas d’une même idéologie révolutionnaire en portant ses prémisses trompeuses à leurs ultimes conséquences pratiques. Les nouvelles solutions sont toujours les moins modernes. Mais ce qui est radicalement moderne retrouve d’abord la vérité du vieux mouvement prolétarien provisoirement refoulé. « Le programme actuel redécouvre à un niveau supérieur le projet de l’abolition des classes, de l’accès à l’histoire consciente, de la construction libre de la vie ; et il redécouvre la forme des Conseils ouvriers comme moyen » (Viénet, Enragés et situationnistes dans le mouvement des occupations). Nous ne doutons pas que ce sera la première banalité de base du mouvement de libération possible de notre temps.

La révolution de notre époque ne fait que renouer la chaîne régulière avec les révolutions passées. Aujourd’hui, nous reprenons le fil indestructible de la dialectique impersonnelle interrompue après les premières expériences précoces et avortées des révolutions défaites de l’intérieur. Jusqu’aujourd’hui, l’idéologie révolutionnaire n’a fait que changer de main : il s’agit maintenant de la dissoudre en lui opposant la théorie révolutionnaire.

Ce que nous disons existe déjà dans toutes les têtes, et c’est ce qui existe en suspens dans la préhistoire des hommes. Pendant dix ans, les situationnistes ont écrit des livres. En un mois, la plupart de leurs phrases couvraient la plupart des murs de Paris. Quelle que soit l’intelligence d’un homme, les découvertes de la pensée sont égales pour tous. « La théorie devient pratique quand elle pénètre les masses. » Qu’une vérité objective appartienne à la théorie n’est pas une question théorique, mais bien une question pratique. C’est seulement dans sa réalisation révolutionnaire, dans la critique pratique de l’ensemble des conditions existantes, qu’elle peut être comprise rationnellement et devenir vraie. Des idées aux faits, il n’y a qu’un pas. Les actions les amélioreront. Les hommes ne peuvent faire moins que de tenir compte de la vérité de ce qui les regarde ; mais, pour le faire, ils découvrent vite qu’ils doivent en créer les conditions pratiques, qu’ils doivent donc renverser les conditions existantes. Le pouvoir de la pensée est sa vérité, mais sa vérité est sa propre existence en actes.

Au moment où la critique théorique peut réapparaître dans notre époque, et ne peut compter que sur elle-même pour se diffuser dans une pratique nouvelle, on croit encore — et toutes les conditions sont là pour qu’on tente aussi le coup en Italie — nous opposer les exigences de la pratique, quand ceux qui en parlent, à ce niveau de délire méthodologique, se sont en toute occasion abondamment révélés incapables de réussir dans la moindre action pratique. Quant à nous, nous sommes enclins à la colère et à la révolte. Mais si l’I.S. est d’abord un groupe de théoriciens, c’est parce que nous ne nous considérerions absolument pas pratiques à laisser les représentations répétitives — que d’habiles charlatans font circuler comme nouvelles découvertes — entretenir une situation de falsification générale. Un théoricien peut donner aux mots une signification d’utilité. Ce n’est plus un simple théoricien. Un idéologue donne à n’importe quel mot son utilité. Est toujours un idéologue celui qui fournit les idées utiles aux maîtres. La théorie n’est que la concentration pratique du projet révolutionnaire, comme la pratique n’est que la théorie à un tel degré de concentration qu’elle conquiert sa réalisation. Jusqu’à présent, la prétendue « théorie » n’a fait qu’interpréter le monde ; il s’agit maintenant de le transformer. Jusqu’à présent, la pratique n’a fait que renforcer le monde existant ; il s’agit maintenant de le renverser.

Jusqu’à présent, donc, personne n’a osé prendre parti de manière radicale pour la révolution. Nous le ferons. Le vieux monde se tord en convulsions de rage en découvrant que les idées théoriques des situationnistes sont destinées à prendre une valeur d’usage, qu’elles apparaissent dans la rue, et que la dimension réelle du conflit qu’elles annoncent est mondiale, son défi irréductible, le scandale de son existence irrécupérable. Partout où il apparaît, il n’a que faire des litanies démocratiques qui, interprétant la pensée de la « nation », déplorent l’irresponsabilté et le désordre, ainsi que les nouvelles habitudes qui inaugurent le commencement d’une époque ; ni de tous les staliniens réunis, acoquinés dans leurs partis populaires, qui, « interprétant la pensée de la classe ouvrière », déplorent la même chose avec toute la vanité et la modération de leur profession stérile. Tandis qu’en cette Sainte Alliance ils confessent leur terreur, il n’est pas seulement du devoir d’une publication révolutionnaire de reconnaître la raison des prolétaires révolutionnaires, mais encore de contribuer à leur donner leurs raisons, à enrichir théoriquement la vérité dont l’action pratique exprime la recherche. « Notre tâche consiste en une critique impitoyable, encore plus dirigée contre nos soi-disant “amis” que contre les ennemis déclarés ; et pour la remplir, nous renonçons volontiers à une popularité démocratique à bon marché. »

Notre projet est le plus simple et le plus radical possible : c’est, avec l’appropriation par le prolétariat de sa propre vie, ainsi que de la propriété privée et de l’État dissous dans le pouvoir absolu des Conseils, le projet même de l’histoire consciente et des hommes devenus ses protagonistes absolus. Dans cette époque insurrectionnelle, notre programme comme organisation est de ne négliger rien de ce qui sert à unifier et à radicaliser les luttes éparses, à fédérer les groupes autonomes, communautés d’individus en révolte ouverte qui expérimentent pratiquement les formes d’organisation des prolétaires révolutionnaires. Il n’y a aucune « présomption » à avancer ce programme, parce que les conditions de sa réalisation existent déjà. Nous sommes si peu présomptueux que nous voudrions être connus des prolétaires de tous les pays, rendus inutiles par la pensée de leur action. Et nous sommes si peu vaniteux que la confiance et l’alliance de dix révolutionnaires décidés — mettons onze — nous réjouit et nous honore. Si nous avons donné une modeste contribution au projet révolutionnaire, nous n’en serons pas payés. Ceux qui écrivent pour donner un projet à la révolution veulent faire la révolution pour réaliser ce qu’ils projettent dans leurs écrits. Ceux qui veulent être des interlocuteurs valables doivent bien savoir qu’ils ne peuvent avoir avec nous des rapports inoffensifs. Pour qui veut être révolutionnaire de façon cohérente, le minimum est qu’il sache se séparer radicalement du monde de la séparation, qu’il sache montrer par son action exemplaire qu’il se distingue de tout ce qui, existant autour de lui, fait partie du désordre spectaculaire de l’ordre constitué, et n’en est pas la négation. Et, à plus forte raison, au moment où la situation présente tend naturellement à produire le mouvement de sa propre négation par le seul fait de priver de la moindre bribe de justification toutes les fausses alternatives qui jouent le rôle du dernier remède. Celles-ci, reproduisant et alimentant toute hiérarchie, reproduisent et alimentent les conditions de leur maintien. Il faut donc anéantir une fois pour toutes ce qui peut un jour détruire notre ouvrage.

La révolution est radicale et va jusqu’au fond des choses ; elle dissout « tout ce qui existe indépendamment des individus », à l’extérieur comme à l’intérieur d’elle-même. La révolte des Noirs américains comme les combats des étudiants japonais, les luttes antisyndicales des ouvriers occidentaux comme les mouvements d’opposition et de résistance aux régimes bureaucratiques de l’Est, sont les signaux de la troisième révolution contre la société de classes, dont nous sommes nous-mêmes un signe précurseur. Ces faits, électrisant les capitales comme un même courant négatif, montrent que la révolution défaite dans le monde entier revient à l’assaut dans le monde entier. Certes, dans ce mouvement, l’I.S. elle aussi devra disparaître, dépassée et reprise dans la richesse révolutionnaire qui se réalise dans l’autogestion généralisée de la société et de la vie. L’I.S. n’est pas le meilleur, puisque son projet historique a pris forme dans le temps même des conditions modernes de l’aliénation. Si évidemment son rapport avec elle se réduit strictement à une opposition directe et par conséquent aussi à un air de ressemblance, c’est seulement que nous sommes réellement contemporains. Mais dans le mouvement du présent, l’I.S. préfigure en même temps l’avenir du mouvement. Quand toutes les conditions internes seront remplies, quand le prolétariat aura accumulé l’énergie nécessaire pour réaliser l’appropriation, pour supprimer la division des classes et les classes elles-mêmes, la division du travail et le travail lui-même, et pour abolir l’art et la philosophie en les réalisant dans la créativité libérée de la vie sans temps mort, quand seul le meilleur suffira, le monde sera gouverné par la plus grande aristocratie de l’histoire, l’unique classe de la société et la seule classe historique des maîtres sans esclaves. Cette possibilité revient aujourd’hui, peut-être pour la première fois. Mais elle revient.

 

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Notes à propos du livre la Société du spectacle
placées en appendice à la traduction du quatrième chapitre

I) « Le prolétariat comme sujet et comme représentation » est le quatrième chapitre du livre de Guy Debord, la Société du spectacle, dont l’éditeur De Donato a publié en septembre 1968 une « traduction ». C’est précisément ce qui en rend nécessaire et urgente une nouvelle édition intégrale, du fait de la déformation du texte et des méprises parfois grotesques des « traducteurs ». Nous publions ici une nouvelle traduction de ce chapitre revue par Debord. Bien que ce livre ait eu en Italie une diffusion assez large, il ne peut avoir été vraiment compris dans l’édition De Donato, qui ajoute aux difficultés réelles du livre — issues du retard théorique réel du mouvement italien actuel — les incompréhensions et les falsifications que nous devons à deux ineptes crétins, Valerio Fantinel et Miro Silvera. Ils ont réussi à transformer un texte limpide et géométrique en un déluge de bourdes et de contradictions obscures, où l’on a peine à reconnaître un passage intact. Pour commencer par la première ligne de ce chapitre, la définition donnée dans l’Idéologie allemande du communisme comme « le mouvement réel qui abolit les conditions existantes » est faussée dans l’autre version : « une réelle action répressive des conditions existantes ». Éloignés de toute aventure dialectique et soutenus par un zèle catastrophique, ces pisse-copie ont vraiment cru que « la victoire de la bourgeoisie » ne produisit qu’« une réelle action répressive » sur les bonnes « conditions existantes », et non au contraire le mouvement de leur négation ! À la thèse 95, « mais assortie d’une référence contemplative au cours de l’histoire » devient : « mais résumé dans le cours de l’histoire par une référence contemplative ». À la thèse 97, le mouvement réformiste des ouvriers anglais, qui se passait d’idéologie révolutionnaire, se transforme en « mouvement réformiste des ouvriers anglais qui passeront par l’idéologie révolutionnaire ». La mainmise de la bourgeoisie sur la société devient sa « falsification de la société » (thèse 87) ; « constatable » devient « contestable » (thèse 92) ; « l’autorité », « l’activité » (thèse 93) ; « l’arriération russe », « le recul russe » (thèse 102) ; « inconséquence », « congruence » ; « au mieux », « tant bien que mal » (thèse 112) ; « l’émancipation économique du travail », « l’émanation économique du travail » (thèse 116) ; « la reconnaissance », « la gratitude » (thèse 121). Il est inutile de continuer, mais on le pourrait. Sans doute ces « traducteurs » et ces éditeurs possèdent-ils le rare don de Midas, d’être comme la « triste tripe qui change en merde tout ce qu’on avale ». Notons en passant que l’introduction est un bon exemple de l’inintelligence asservie qui, « en collectionnant les termes, les traduit dans la perspective » du pouvoir. « Un des chefs du mouvement, Guy Debord », « un groupe de jeunes universitaires », « la bible du Mouvement situationniste », « les Conseils ouvriers y compris le retour d’un général Ludd », « L’imagination au pouvoir [En français dans le texte (N.d.T.)], mot d’ordre détonateur du happening parisien de mai, slogan préparatoire de la contestation étudiante et ouvrière, [qui] a été tenu sur les fonts baptismaux par un groupe minoritaire, le Mouvement situationniste », etc., sont les trivialités de cette marchandise falsifiée.

II) La Société du Spectacle, parue en France à la fin de novembre 1967, a eu une influence évidente sur une fraction avancée des révolutionnaires qui sont apparus, six mois plus tard, dans le mouvement des occupations (à ce moment, la première édition était épuisée. Une deuxième édition est sortie au début de 1969). Bien que les thèses de ce livre n’aient pas cessé d’être confirmées à tout moment à la fois par l’action réelle du spectacle mondial et par l’éclatement de son image illusoire caractéristique de cette époque, qui voit la recomposition du mouvement révolutionnaire international, il marque aussi, positivement, une phase de ce mouvement, et sa conscience négative. Quand il annonce « les signes avant-coureurs du deuxième assaut prolétarien contre la société de classes » (thèse 115), il se réfère encore aux éléments isolés d’« une nouvelle lutte spontanée qui commence sous l’aspect criminel ». Le mois de mai en France a confirmé devant les masses du monde que les luttes ouvrières « sont réprimées d’abord par les syndicats » et que les courants en révolte de la jeunesse unissent dans leur recherche « le refus de l’ancienne politique spécialisée, de l’art et de la vie quotidienne ». Et la lutte des Enragés de Nanterre a réellement commencé, en janvier, sous l’aspect le plus « criminel » qui se soit jamais vu dans une université. Simplement, peu après, l’année 1968 a montré que le mouvement révolutionnaire de notre époque a dépassé son moment « criminel ». Il agissait déjà ouvertement sur toute la société, en tant que mouvement historique.

III) « Le prolétariat comme sujet et comme représentation » est le chapitre qui occupe la partie centrale du livre. Le premier chapitre expose le concept de spectacle. Le deuxième définit le spectacle comme un moment dans le développement du monde de la marchandise. Le troisième décrit les apparences et les contradictions socio-politiques de la société spectaculaire. Le quatrième, traduit ici, reprend le mouvement historique antérieur (en procédant toujours de l’abstrait au concret) sous forme d’histoire du mouvement révolutionnaire. C’est une synthèse de l’échec de la révolution sociale et de son retour. Il débouche sur la question de l’organisation révolutionnaire. Le cinquième chapitre traite du temps historique et du temps de la conscience historique. Le sixième décrit « le temps spectaculaire » de la société actuelle comme « fausse conscience du temps » et comme « temps de la production » d’une société historique qui refuse l’histoire. Le septième critique l’organisation de l’espace social, l’urbanisme et la division du territoire. Le huitième replace dans la perspective révolutionnaire historique la dissolution de la culture en tant que « séparation du travail intellectuel et travail intellectuel de la séparation », et unit à la critique du langage une explication du langage même de ce livre, qui « n’est pas la négation du style, mais le style de la négation », l’emploi de la pensée historique, surtout celle de Hegel et de Marx, et l’emploi historique de la dialectique. Le neuvième considère la société spectaculaire comme matérialisation de l’idéologie et l’idéologie comme « la base de la pensée d’une société de classes ». Au comble de la perte de la réalité correspond sa reconquête par la pratique révolutionnaire, la pratique de la vérité dans une société sans classes organisée en Conseils, là « où le dialogue s’est armé pour faire vaincre ses propres conditions ».

 

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La pratique de la vérité

 

Touché par des mains ennemies
l’or pur de l’Internationale se transforme en charbon

NOUS CROYONS devoir signaler que des individus et des « organisations » qui n’ont jamais eu aucun rapport avec l’I.S., ni avec aucune forme de pensée critique, se présentent, à des fins diverses, comme « porteurs » de la théorie radicale. Immanquablement, la nature idéologique et récupératrice de chacun de leurs gestes leur ôte un tel droit et les démasque. Il est aussi facile pour eux de chercher à nous abuser qu’il est difficile pour nous de nous abuser sur eux. L’Internationale situationniste doit à elle-même et au projet historique dont elle est l’expression une rigueur totale pour tout ce qui concerne son autodéfense contre toute tentative, d’où qu’elle vienne, de récupération et de dégradation au niveau de la pensée spécialisée. Il est normal que nos ennemis cherchent à nous utiliser partiellement ; en 1964, les situationnistes écrivaient : « Tout comme le prolétariat, nous ne pouvons pas prétendre à être inexploitables dans des conditions données. Ceci doit seulement se faire aux risques et périls des exploiteurs. » Les révolutionnaires ne plaisantent pas sur les questions de calomnie et de mystification, contrairement aux bureaucrates et aux politiques qui règnent grâce à la manipulation des mensonges.

En janvier, quelques individus ont écrit à la section française une lettre de dénonciation particulièrement grossière contre Claudio Pavan, Paolo Salvadori et Gianfranco Sanguinetti, qui les connaissaient bien. Par cette lettre, ils entendaient ébranler, pour prendre leur place, la position de trois membres de l’I.S., en s’imaginant pouvoir compromettre par des mensonges la confiance objective des rapports communs. Mais ils ont commis l’impardonnable légèreté de croire qu’ils ne seraient pas jugés par l’I.S. comme ils l’avaient déjà été par trois de ses membres : leur lettre ne faisait que révéler tous les aspects de leur misère et ne pouvait par conséquent donner lieu à plus de cinq minutes de commentaire entre les autres membres de l’I.S. On a donné, à eux et à leurs intrigues, une réponse précise et définitive.

Ces mêmes personnes, réunies dans la maison d’édition Ed. 912 et dans l’organisation fantôme qui en est le support « politique » (Servizio Internazionale di Collegamento-I.L.S.), ont entrevu la possibilité d’un succes commercial-révolutionnaire dans la diffusion des thèses de l’Internationale situationniste. Jusqu’à présent, ils ont publié deux livres : un recueil d’extraits de l’I.S. (L’estremismo coerente dei situazionisti) et une « édition critique » du texte de Paul Cardan, Capitalisme moderne et révolution. En ce qui concerne le premier, la pauvre fureur extrémiste de l’introduction et de l’appendice ne peut tromper personne ; il ne s’agit que de proclamations vides, dont l’inconsistance théorique est rendue encore plus évidente par les textes auxquels on a eu la maladresse de les accoler. Le deuxième livre, en dehors de l’article « Socialisme ou Planète » (paru dans le numéro 10 de l’I.S.) reproduit en annexe, ne contient rien qu’on puisse définir comme critique : dans leurs ridicules prétentions et dans leur banalité réelle, la « critique » de la pensée de Cardan (on y reconnaît facilement la même veine que celle des trivialités du premier livre) et son objet sont parfaitement homogènes. Quant aux tracts signés par des groupes « radicaux » qui existent encore moins que l’I.L.S., il ne vaut pas la peine de s’en occuper en détail : toutes les manifestations de ces loqueteux sont contenues dans cette unique mystification que constitue leur existence. La seule « aptitude » de ces individus sans aptitudes est de rabaisser à leur niveau tout ce qui l’excède.

Évidemment, le spectre situationniste hante la cervelle de ces individus : mais dans leurs batailles illusoires avec le réel, ils ne font que s’affronter sans cesse aux limites de leur conscience schizophrénique. L’ambition malheureuse qui les pousse à sortir de leur rôle et l’obstination fébrile avec laquelle ils miment la critique révolutionnaire les couvrent de ridicule ; mais ils ont une tâche à accomplir et ils ne prennent pas conscience que s’ils essaient de ressembler aux situationnistes, c’est seulement pour pouvoir en falsifier et en fragmenter l’opposition irréductible. Couverts par le fait que tous les textes de l’I.S. peuvent être librement reproduits, traduits ou adaptés, ils ont lancé leur commerce : ceux qui sont incapables de s’approprier la valeur d’usage de la théorie révolutionnaire ne pourront que la transformer en valeur d’échange. C’est seulement dans une perspective étroitement concurrentielle qu’on peut comprendre pourquoi ces malheureux continuent à nous poursuivre de leur présence importune. Nous n’avons aucune indulgence envers ceux qui cherchent à faire de nos thèses des marchandises pour en revendre au détail un pauvre succédané : la même théorie qu’ils tentent sottement d’utiliser pour leurs propres fins ne peut que se retourner contre eux et les dénoncer pour ce qu’ils sont, rien d’autre que des ennemis. Comme le niveau misérable de ce qu’ils peuvent faire ou dire est déjà un jugement définitif de chacune de leurs initiatives, il est possible que ces individus, sentant manquer sous leurs pieds un terrain qui, du reste, n’a jamais été le leur, adoptent un nouveau déguisement, ou au contraire décident de se montrer à découvert, en abandonnant leurs sigles et en utilisant leurs noms. C’est seulement à cet égard qu’il n’est pas inutile de les communiquer : il s’agit de Sergio Albergoni, Gianni Sassi, Carlo Gaja, Marco Maria Sigiani, Paolo Borro et Antonio Pilati. À ceux-ci s’ajoute un nombre fluctuant d’étudiants et d’imbéciles d’un autre genre, recrutés et regroupés sur des bases sous-léninistes autour du noyau central. L’Internationale situationniste refusera tout rapport avec quiconque se compromettra avec eux. Au moment où leur importunité dépasserait la dimension actuelle du bruit de fond, nous nous trouverions dans l’obligation de recourir à une intervention directe que personne, dans leur entourage, ne pourrait ignorer.

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AU MOIS DE JANVIER, un tract fut diffusé à Trente sous le titre L’ennui est toujours contre-révolutionnaire, signé, entre autres, « Internationale situationniste ». Le texte de ce tract est constitué d’un collage de phrases extraites arbitrairement du livre de Raoul Vaneigem, Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations. L’initiative en revient à deux étudiants en sociologie, Pasquale Alferi et Giuseppe Galante : consommateurs passifs de la critique situationniste, ils n’en connaissent que la réception unilatérale et l’utilisation spectaculaire. Le projet d’éblouir leurs camarades d’école par une audace politico-esthétique et de se gagner, devant leurs yeux respectueux de toute nouveauté, on ne sait quel prestige garanti par l’étiquette « I.S. » doit avoir semblé bien alléchant. Le résultat n’exprime que leur impuissance et leurs ambitions dérisoires.

Les spécialistes de l’avant-gardisme qui reproduisent, dans leur pratique « subversive », les conditions aliénées de la communication du monde dominant ; les récupérateurs qui, en faisant passer dans le beau monde un peu de « situationnisme » diffus, ne font que dégrader la pensée critique ; ceux qui choisissent le plaisir douteux de parler en notre nom recourent à la falsification, et montrent par là qu’ils ne peuvent même pas parler en leur nom propre : leur intérêt ambigu et contemplatif ne nous amuse ni ne nous honore.

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DANS LA PREMIÈRE MOITIÉ du mois de mai, l’I.S. a rompu tous ses rapports avec Mario Perniola, qui, dans les années passées, avait quelque peu contribué à la diffusion des thèses situationnistes en Italie. Dès que les circonstances réclamèrent l’abandon de sa position de sympathisant, qui lui permettait de maintenir un rôle contemplatif, les réserves et les carences évidemment entretenues et dissimulées jusqu’alors sont devenues manifestes. On a d’abord pu constater sa lenteur de réaction devant les conditions créées par la constitution de la section italienne de l’I.S. — un attentisme persistant qui trouvait son origine dans l’incompréhension presque complète des positions situationnistes ; ensuite, ses déficiences théoriques et pratiques qui rendaient toujours plus illusoire et unilatérale l’affirmation d’un accord total ; et, enfin, conséquence naturelle de tout cela, l’idéologie du dialogue, reflet de la négation idéologique de l’isolement : la recherche de contacts sans discrimination avec n’importe quel groupe ou individu, pourvu qu’il soit « intéressé », et les exigences retardataires d’une réorientation théorique et organisationnelle de l’I.S., maladroitement accompagnées de protestations d’accord total. Perniola, après avoir accumulé une série de gaffes, ce qui, dans le langage de l’impuissance, signifie hostilité, est naturellement passé à l’hostilité ouverte, en effectuant de l’extérieur une série de manœuvres destinées à présenter comme un fait accompli les résultats de son prosélytisme égalitaire et à introduire la séparation dans l’I.S. Précisons que Perniola n’a pas été exclu de l’I.S., parce qu’il ne s’est jamais suffisamment trouvé en accord avec nous pour pouvoir en faire partie auparavant.

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Les faux de De Donato

NOUS AVONS DÉJÀ dénoncé les deux honteuses éditions de textes situationnistes mises subrepticement en circulation par l’éditeur De Donato. Il n’a jamais reçu des éditions Buchet-Chastel le copyright pour la Société du spectacle, mais, chose plus grave, il n’a pas hésité à publier Banalités de base sous l’indication d’une inexistante « propriété réservée » de l’I.S. Par cela, il ne se permet pas seulement de se présenter comme « l’éditeur réservé » de ces textes en Italie, mais il se donne même l’air de les avoir négociés avec nous ! Mais ce en quoi les responsables ont exagéré et qui leur ôte tout droit pour le passé, pour le présent et pour le futur, c’est le traitement auquel ils ont soumis ces textes, qui en sont sortis complètement défigurés. Et si les « traducteurs » déforment délibérément, les introductions mentent, conscientes de leurs mensonges. Il ne s’agit pas seulement d’une escroquerie particulièrement grave, qui ne respecte même pas les règles commerciales de ce genre d’entreprise ; nous considérons qu’entre toutes les actions hostiles accomplies par de dangereux petits mystificateurs, celle-ci est l’une des plus sournoises, comme peut l’être une opération semi-respectueuse à notre égard et essentiellement falsificatrice. L’I.S. s’est souvent trouvée en situation de devoir se défendre des distorsions médiocres de ses positions, toujours effectuées d’une manière ou d’une autre dans la recherche consciente d’un succès de seconde main, mais il n’était jamais arrivé qu’elle ait été utilisée pour une dégradation au niveau le plus bas de la commercialisation spectaculaire d’une « opposition » à laquelle nous ne réservons que violence. Si cela a été possible deux fois en Italie, et dans le silence, cela réussira plus difficilement maintenant.

Ce ne sont pas là seulement des précisions indispensables, mais une sommation à l’encontre des marchands de l’information truquée. Pour eux, les mots ne suffisent pas. Ils le savent bien, Valerio Fantinel et l’autre salaud, l’auteur des introductions. S’ils ont laissé entendre que le « mouvement situationniste » était mort et enterré depuis longtemps, s’ils espéraient qu’il était au moins suffisamment loin et ne pourrait pas les atteindre, ils ont dû constater personnellement la réalité de ces chimères. En mai, quelques jours après la parution de Banalités de base, trois situationnistes les ont agressés et dissuadés de continuer de s’occuper de l’I.S. Le peu de mots que les deux personnages ont eu le courage de prononcer a suffi pour accumuler les mensonges, qu’ils se croyaient encore tenus de donner en guise d’explications. Changeant de mensonges dès qu’ils devaient convenir de leur inconsistance, ils se sont même naïvement hasardés à affirmer qu’ils avaient reçus une lettre des auteurs. Mais toute leur arrogance, qui leur faisait imaginer qu’ils pourraient traiter la chose avec légèreté pour avoir l’air de sauver la « face », s’est effondrée d’un coup dans l’indignité sitôt qu’un seul d’entre nous les eut pris au collet. Ces individus indécrottables auxquels il n’a manqué aucune arrogance ont en réalité supporté tout, dont par deux fois nos crachats au visage. Sans nul doute, voilà qui donne à penser.

En tout cas, ils ne pourront espérer classer l’événement comme un épisode fâcheux. Nous publions ici la traduction de la lettre envoyée à De Donato, le 5 juin :

L’Internationale situationniste
à l’éditeur De Donato

DE DONATO,

Depuis que trois situationnistes italiens, cosignataires de cette lettre, sont allés malmener, le 24 mai, dans tes bureaux, les deux châtrés — à voir leur vigueur sur le plan intellectuel comme sur le reste — qui te servent de traducteurs et de préfaciers (Fantinel et un autre), tu dois savoir que l’I.S. a désormais l’œil sur tes menées éditoriales en Italie.

Tu as publié, l’an passé, la Société du spectacle de Guy Debord, dans une traduction déjà infecte. Maintenant, tu récidives avec un pseudo-livre attribué à un certain Vaneigam, dans lequel on parvient à reconnaître, malgré le déluge de contre-sens qui se déverse à chaque page, le texte « Banalités de base » et deux autres articles de Raoul Vaneigem.

Fait encore plus grave, s’il est possible, de cette infâme traduction — qu’on croirait faite avec une bite, si nous n’étions pas convaincus qu’il te manque aussi cela —, tu prétends avoir eu le copyright de l’I.S. et te le réserver pour l’Italie. Malgré le mensonge répété de l’un de tes deux employés le 24 mai, tu sais très bien que tu n’as ni demandé à l’I.S. ni obtenu d’elle aucune sorte de copyright. D’ailleurs, les textes publiés dans l’I.S. sont explicitement présentés comme libres de tout copyright (nous laissons en dehors de cette résolution le problème de tes rapports avec l’éditeur Buchet-Chastel). Mais le fait que nous laissions reproduire librement les textes publiés par l’I.S. ne signifie absolument pas qu’un chien de marchand puisse espérer nous compromettre en publiant une caricature de nos écrits. De plus, tes notes d’introduction concentrent en quelques mots une série d’erreurs complètes et de calomnies. Debord n’est pas un « ex-communiste ». L’I.S. a été fondée en 1957, mais pas à Turin et surtout pas à l’occasion d’une exposition. Nous renonçons à t’énumérer les aures falsifications (idéologie, philosophie…), parce que tu es aussi con que Fantinel et, par conséquent, incapable de comprendre ce dont nous parlons.

Tu es une belle pute, De Donato. Mais tu croyais pouvoir continuer tes falsifications dans l’impunité ? Eh bien non !

Que comptes-tu faire pour te faire oublier ? As-tu l’intention de laisser en vente le faux grossier attribué à Raoul « Vaneigam » ? Comment penses-tu rectifier les mensonges déjà publiés contre l’I.S. par tes deux petits gigolos ?

Il est sûr que l’organisation révolutionnaire au nom de laquelle nous parlons ne s’abaissera pas à engager contre toi une quelconque poursuite devant la justice bourgeoise. Mais si tu ne fais pas maintenant marche arrière, tu en subiras toutes les conséquences personnellement et physiquement.

Puisque nous savons que tes employés, dont tu as eu l’audace de faire des « traducteurs » de nos textes, ne comprennent absolument pas le français, et qu’il est pour toi de la plus haute importance de comprendre vite et bien notre lettre, nous en joignons une traduction italienne exacte.

Pour la section française de l’Internationale situationniste :
D
EBORD, KHAYATI, SÉBASTIANI, VANEIGEM, VIÉNET
Pour la section italienne de l’Internationale situationniste :
P
AVAN, SALVADORI, SANGUINETTI

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Les habitudes des éditeurs et les nôtres

L’I.S. CHOISIT quelquefois d’utiliser la forme d’édition concurrentielle pour obtenir une diffusion de ses thèses qualitativement différente de celle qu’elle peut se garantir de façon autonome. En ce qui nous concerne, nous sommes bien conscients des limites de ce choix et nous n’attendons, d’une maison d’édition commerciale, que des rapports purement commerciaux (il suffit de savoir que nous n’accepterons de discuter ni le contenu ni la forme des textes que nous désirons publier). L’édition de type bourgeoise-concurrentielle ne prétend pas, en général, garantir une quelconque cohérence entre elle et ses auteurs, et elle n’engage pas leur responsabilité dans son comportement.

C’est précisément sur ces bases que nous prétendions fonder nos rapports avec la maison d’édition Sugar, après qu’elle eut acquis de Gallimard les droits de reproduction pour l’Italie du Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations. Cela avait été soumis à la condition, posée par Vaneigem, que la traduction et l’introduction éventuelle soient confiées à Gianfranco Sanguinetti ou à une personne désignée par lui. Le fait que la collaboration de notre camarade ne soit pas acceptée sans réserve, l’opposition continuelle d’obstacles et de retards sans motifs, et, pour finir, la rumeur de rapports complaisants entre le rédacteur Luigi Guidi et certains anti-situationnistes, avaient accumulé tous les éléments d’une situation intolérable. Guidi s’est même cru autorisé à écrire à Vaneigem une lettre assortie d’expressions de vain respect et d’insinuations sur la section italienne de l’I.S. À ce moment, il ne restait qu’à provoquer une clarification suffisante et définitive : à la lettre de Vaneigem qui réitérait tous les termes de l’engagement et qui ne permettait plus aucune ambiguïté, les Éditions Sugar ont répondu en décidant de renoncer à la publication du livre, montrant qu’elles ne voulaient ni ne pouvaient se permettre une correstion incompatible avec leurs arrière-pensées. Ensuite, l’éditeur Sugar a inopportunément adressé à Gallimard la lettre que nous publions avec notre réponse, dans laquelle il doit enfin s’être reconnu. Ce que l’éditeur croit ne pas partager, ce ne sont pas nos « principes », mais, heureusement, notre manque de principes.

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CHÈRE MADAME KASTELITZ,

C’est avec un grand regret que nous nous voyons obligés de renoncer à signer le contrat pour le livre de Vaneigem, Traité de savoir-vivre. En effet, nous avons constaté que la clause II concernant le traducteur nous engage par trop, sans compter l’attitude bizarre de M. Vaneigem, ses lettres qui n’admettent pas la possibilité d’une rencontre. Nous regrettons franchement beaucoup que cela se produise avec une maison comme la vôtre, à l’égard de laquelle nous avons tant d’estime, mais nous sommes sûrs que vous comprendrez la situation et aussi qu’il n’est pas possible pour un éditeur qui a traduit des auteurs bien plus difficiles, comme Burroughs et Lukàcs, de se faire imposer un traducteur que nous ne connaissons pas et dont nous ne partageons pas les principes.

Vous trouverez ci-joint le contrat.

Veuillez croire, chère Madame, à l’expression de nos sentiments les meilleurs.

Sugar Éditeur
M
ASSIMO PINI

Milan, le 19 mai 1969

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POUBELLE,

À force d’emboucher la trompette de Burroughs et de Guidi, tu as fini par te nourrir exclusivement de leurs pertes blanches. Ne change pas de nourriture. Les pavés sont indigestes, et, par les temps qui courent, faire l’éditeur est un métier dangereux.

Quand tu as compris que tu ne pourrais pas avaler le morceau, tu as battu en retraite avec une prudence que l’un de tes collègues aura vite l’occasion de t’envier. Ainsi, tu n’as pas seulement sauvé tes meubles — parce que si la traduction n’avait pas été celle de Sanguinetti, tu aurais pu mesurer la fragilité des choses —, mais tu te trouves en plus protégé d’une couche supplémentaire de mépris.

Ceci, au moins, ne te semblera pas bizarre : je te pisse à la raie. Lèche !

RAOUL VANEIGEM
Bruxelles, le 17 juin 1969

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Les publications de l’I.S. depuis 1965

NOUS FOURNISSONS ICI quelques informations sur les publications de l’I.S. durant les quatre dernières années.

En France, en mars 1966, est paru le numéro 10 de la revue Internationale situationniste ; en octobre 1967, le numéro 11 ; le numéro 12 est actuellement sous presse. Le livre de Guy Debord la Société du spectacle (Éditions Buchet-Chastel) a été publié en novembre 1967 ; ce livre étant depuis longtemps épuisé, il a fait l’objet d’une réimpression en mars 1969. Le Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations de Raoul Vaneigem a été publié (chez Gallimard), pour un premier tirage, en novembre [décembre] 1967 ; une réimpression est sortie en juillet 1968. Tant le livre de Debord que celui de Vaneigem sont en cours de traduction en Allemagne, en Espagne, au Portugal, en Angleterre et aux États-Unis. Sur le mouvement des occupations en France est paru, en octobre 1968, le livre de René Viénet Enragés et situationnistes dans le mouvement des occupations (Gallimard). Le comics par détournement le Retour de la colonne Durruti a été diffusé à l’automne 1966 à Strasbourg, après quoi a été publiée la brochure de Mustapha Khayati De la misère en milieu étudiant (A.F.G.E.S., Strasbourg). La première réédition de De la misère… date de mars 1967 (I.S., Paris) ; il y a eu en outre de nombreuses rééditions « spontanées » dans le reste de la France. Entre autres brochures, rappelons l’Adresse aux révolutionnaires d’Algérie et de tous les pays (en français, en allemand, en espagnol, en anglais et en arabe) publiée à Paris en novembre 1965, et le Point d’explosion de l’idéologie en Chine, publié à Paris en août 1967. Sur l’exclusion de Frey, Garnault et Holl a été diffusée, en janvier 1967, l’affiche Attention, trois provocateurs ! Les pricipaux documents publiés pendant la révolution de mai ont été : Rapport sur l’occupation de la Sorbonne (19 mai), Pour le pouvoir des Conseils ouvriers (22 mai) et Adresse à tous les travailleurs (30 mai). Ces textes ont également été reproduits en diverses autres langues.

Algérie : en juillet 1965, aussitôt après le putsch de Boumediene, l’Adresse aux révolutionnaires d’Algérie et de tous les pays a été ronéotypée et distribuée clandestinement en Algérie ; et, en décembre de la même année, les Luttes de classes en Algérie.

Espagne : en 1968 est parue en Espagne la traduction clandestine de la brochure de Khayati (cette traduction est en cours d’impression au Mexique).

Allemagne : De la misère en milieu étudiant a été traduite et publiée sous le titre Das Elend der Studenten (Berlin, juin 1968).

Scandinavie : en 1967, la brochure de J.V. Martin Ny-irrealisme a été publiée à Copenhague ; des traductions de De la misère… ont été publiées au Danemark (Randers, 1968 : Elendigheden i studentes milieu) et en Suède (Lund, 1967 : Misaeren i studentens miljoe). En mars 1969 est paru un supplément à Situationistisk Revolution n° 2 comportant divers documents du mouvement des occupations en France.

Angleterre : en 1966 a été traduit et publié sous forme de brochure l’article de Raoul Vaneigem « Banalités de base » (The totality for kids) ; la brochure De la misère… a été publiée sous le titre Ten days that shook the university (Londres, 1967). En 1966, la revue londonienne Cuddon’s a republié Decline and Fall of the “spectacular” commodity-economy (on Watts), que les situationnistes américains avaient traduit du français.

États-Unis : en décembre 1965, la traduction de l’article « Le déclin et la chute de l’économie spectaculaire-marchande » a été publiée en brochure ; en 1967, la traduction anglaise de l’article de Vaneigem « Banalités de base » a été republiée ; enfin, en 1968, les situationnistes américains ont réédité Ten days…, texte qui a été reproduit par divers journaux américains. Toujours en 1968 est parue la brochure de Robert Chasse le Pouvoir de la pensée négative. Le premier numéro de la revue américaine est en cours d’impression.

Japon : en 1965 a été publiée la brochure les Situationnistes et les nouvelles formes d’action dans la politique et l’art par les soins de la Ligue communiste révolutionnaire, Zengakuren. De plus, divers documents ont été publiés dans Leçons de la défaite de la révolte de mai en France (Tokyo, juillet 1968).

Italie : la brochure Della miseria nell’ambiente studentesco (Feltrinelli, décembre 1967) a été le premier texte situationniste connu dans ce pays. En ce qui concerne les éditions italiennes du livre de Guy Debord et de l’article de Vaneigem « Banalités de base » (De Donato éd.) et le recueil d’articles des numéros 10 et 11 d’Internationale situationniste, L’estremismo coerente dei situazionisti (Ed. 912, décembre 1968), nous renvoyons aux notes qui s’y réfèrent.

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La VIIIe Conférence de l’I.S. aura lieu en Italie au mois de septembre.

 

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