DEBORDIANA

Potlatch
Bulletin d’information de l’Internationale lettriste
Numéro 26
7 mai 1956

 

 

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« Misérable Miracle »
Méprisable métier

 

1

LA POÉSIE MODERNE s’est faite dans une opposition constante aux forces dominantes de la société où ses créateurs ont vécu. Ceux-ci se virent reprocher également les singularités de leur œuvre et celles de leur existence. Longtemps l’idéologie régnante ne les intégra pas sans réserves à son panthéon, même quand leur apport fut devenu difficilement discutable. Mallarmé défendait encore Poe d’avoir puisé son inspiration « dans le flot sans honneur de quelque noir mélange ». Bref, la pensée bourgeoise se défendait sur tous les fronts.

Aujourd’hui, le pouvoir est aux mains des mêmes gens, mais on sait qu’ils n’en sont plus à soutenir une pensée qui leur serait propre. Ils s’en consolent en niant la possibilité même d’une pensée soutenable (ceci pour les plus avancés, bien sûr il y a encore des chrétiens). Et les formes d’art qui détruisaient leur culture et leurs goûts ont si bien triomphé qu’ils arrivent, à présent qu’elles sont épuisées et rabâchées, à en admirer les dernières redites et à en respecter les infirmités mêmes.

C’est ainsi qu’Henri Michaux peut faire une exposition et un ou deux livres (Misérable Miracle) fondés sur ce seul intérêt qu’ils ont été produits sous l’influence de la mescaline. La folie, la drogue restent les éternels moyens de diversion d’une arrière-garde patentée, dépourvue désormais de toute contrepartie positive, servant à sa petite place — entre les potins de Elle, les dernières découvertes d’Hitchcock et les jeunes Turcs du parti radical — au grand travail d’abrutissement des foules.

 

2

Proposition d’Asger Jorn : pour accélérer lucidement ce processus de décomposition, la Comédie-Française se doit de jouer les classiques (et, à son défaut, un quelconque théâtre de la Huchette, hospitalier aux petits inventeurs, pourrait y gagner de l’estime) sous l’empire de drogues appropriées et annoncées sur les affiches et programmes. Une grande variété d’interprétations de la même pièce est garantie selon que la troupe sera tout entière sous l’effet de l’opium ou de l’héroïne ; pour le lendemain goûter du haschisch, ou même de stupéfiants aussi diversifiés qu’il y a d’acteurs. Régal pour le lettré et assurance d’un stable public de drogués, qui contribuera à remédier à la crise financière de notre théâtre.

Au cas où l’on aurait le courage d’en venir promptement à ces extrémités, les lettristes s’engagent à assister aux spectacles en état d’ivresse manifeste, à la suite de l’absorption de rhum, vodka, vin rouge ou d’un autre breuvage choisi par le régisseur en harmonie avec ses propres tentatives.

 

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Modeste préface à la parution d’une dernière revue surréaliste

ANDRÉ BRETON voyait venir le 18 février dernier son soixantième anniversaire. Par les soins de nos camarades de la revue Les Lèvres Nues, de fausses invitations furent lancées qui menèrent dans les salons de l’hôtel Lutétia un nombre indéterminé de dupes (plusieurs centaines d’après L’Express, mais l’envoyé de Combat n’y a vu que « quelques invités non prévenus »).

Trois jours après, les mêmes invitations, envoyées de Belgique aux mêmes personnes, s’étaient enrichies d’une phrase en surimpression qui avouait la fausse nouvelle, et d’où venait le coup.

Nul cependant n’avait été gêné par la forme délibérément ridicule d’une invitation qui annonçait que Breton saisirait cette occasion pour traiter « de l’éternelle jeunesse du surréalisme ». La preuve est donc faite qu’aucune bêtise ne peut plus surprendre si elle se recommande de cette doctrine.

Inutile même de souligner que personne ne s’était proposé de « réussir » une mystification de plus aux dépens du Tout-Paris cultivé, mais de bien faire remarquer une date significative. La presse n’y a pas manqué.

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Réponse à une enquête de « La Tour de Feu »

MESSIEURS,

Ayant pris connaissance du questionnaire de l’enquête que La Tour de Feu « a cru nécessaire et urgent » de mener sur les rapports de la peinture et de la poésie, au sein d’une révolution qui affecterait l’« infiguré », nous ne surprendrons personne en avouant que cette espèce ne nous paraît pas comporter de réponse.

Mais, à défaut, nous croyons être utiles à une pensée visiblement plus mystifiée que mystifiante, en vous proposant ces quelques sujets de méditation : quels rapports peut-on établir entre vos questions et l’intelligence, même peu avancée ? Entre votre vocabulaire et la langue française ? Entre votre existence et le XXe siècle ?

pour l’Internationale lettriste : G.-E. DEBORD, GIL J WOLMAN

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Pour un lexique lettriste

1. dériver, détourner l’eau (XIIe s., Job ; au fig. gramm., etc.), dérivation (13, 77, L.), -atif (XVe s.), empr. au lat. derivare, -atio, -ativus, au propre et au fig. (rac. rivus, ruisseau).

2. dériver, écarter de la rive (XIVe s., B.), comp. de rive.

3. dériver, mar., aller à la dérive (XVIe s., A. d’Aubigné, var. driver), croisement entre l’angl. to drive (proprem. « pousser ») et le précédent. — Dér. : dérive, -ation (1690, Furetière).

4. dériver, défaire ce qui est rivé. V. river.

 

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Rédaction : 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

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5 février 2001

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