10 avril 1944 : Leval dans la tourmente

Depuis le mois de septembre 2001, via les média de plus en plus performants, les populations du monde entier ont les yeux tournés vers les USA et le proche Orient.

J'ignore si les jeunes, qui ont d'autres préoccupations - études, travail, loisirs - peuvent encore s'intéresser aux faits qui se passent loin de chez eux, mais les plus âgés ne manquent pas de commenter et de donner leur opinion quant aux dérives de certains fanatiques et à leurs conséquences.

La comparaison, pour eux est donc aisée puisque voici une cinquantaine d'années des faits similaires faisaient la une de l'actualité.
La seule différence est qu'en ce temps-là, notre pays se trouvait au cœur du conflit.

Gilbert Adam

L'école de la Croix-Rouge quelques heures après le bombardement du 10 avril 1944

 

 

 

 

 

avec l'aimable autorisation de Georgette DURIEUX

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L'odyssée de François Denis

Citoyen de Mont-Sainte-Aldegonde, François Denis, jeune marié, habitait Leval quand les faits qui vont être narrés ont eu lieu.
Le destin peut être très surprenant. Tel qui se prépare à passer une vie tranquille peut parfois, à sa grande surprise, être amené à jouer les héros, rôle auquel il n'aurait jamais rêvé. C'est en émettant cette pensée que François Denis termine le récit de l'aventure qu'il a connue durant la dernière guerre.
Tout commence dans la nuit du 26 au 27/11/1943. 5 résistants ont été dénoncés et des patrouilles de SS allemands les recherchent dans Leval.
4 sont arrêtés dont un seul a survécu. Il a pu s'évader du camp de concentration de Vucht, en Hollande. Quant à François Denis, le 5ème , il a pu fuir juste à temps.
Il gagne la France qu'il a déjà parcourue en 1940 lors de l'évacuation. Il a échoué alors à Bagnères de Bigorre dans les Pyrénées. C'est cette destination qu'il a choisie. Il y a fait des connaissances qui ne manqueront pas de l'aider à passer en Espagne. Son but ultime, c'est de gagner l'Angleterre afin d'y rejoindre les Forces Belges Combattantes.
Traverser la France, par les temps qui courent, n'a rien d'une sinécure : interdit de se faire remarquer. Il faut éviter les centres d'une certaine importance infestés de soldats allemands. Les contrôles d'identité se multiplient. On est amené le plus souvent à parcourir de longues distances dans les grands espaces de la campagne française. De 40 à 50 km à pied par jour, c'est une bonne moyenne quand tout marche bien.
Parfois, on est forcé de se tenir caché pendant plusieurs jours à certains endroits où les troupes d'occupation redoublent de zèle. Soit un sabotage, soit une autre action des maquisards locaux sont à l'origine de cette poussée de fièvre. Parfois aussi des détours inattendus sont nécessaires pour échapper à des situations dangereuses. Ceci allonge d'autant le parcours déjà si harassant .
Et pourtant, il arrive que, las de marcher, on se risque à sauter dans un train. Jamais pour un très long parcours, car, par manque d'argent, on ne peut se permettre de prendre un ticket. Heureusement, un énorme culot combiné à une bonne dose de chance permet souvent de s'en tirer sans dommage.
Cela n'empêche qu'un jour, il s'en faut vraiment de peu pour que tout chavire.
Il saute dans un train bondé. Sans autre possibilité, il s'assied dans le couloir à même le plancher pour se reposer.
Terrassé par la fatigue, il s'endort profondément. Depuis combien de temps est-il là ? Il n'en sait rien. 2 Feldgendarmes, qui vérifient les identités et les coupons de parcours afin de connaître la destination des voyageurs, le secoue énergiquement
Le train est à Vierzon, point de passage de la ligne de démarcation entre la zone occupée et la zone dite libre, c'est à dire sous la coupe du Gouvernement du Maréchal Pétain. Ayant dormi plus que prévu, François n'a pas pu s'éclipser assez tôt pour pouvoir passer la " frontière " à un endroit plus discret.

Gilbert Leclercq

François Denis, quelques années après la guerre.

 

 

 

 

 

avec l'aimable autorisation de François Denis

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La précision n'a jamais été la qualité première des Américains.

juillet 2002

Des pilotes chargés de détruire une batterie antiaérienne en Afghanistan ratent leur cible et détruisent un village. On parle de 40 à 100 victimes. Il s'agit dit-on d'une bavure …

Dans notre brochure précédente, nous nous posions la question pour connaître le motif véritable du bombardement du quartier de la Croix-Rouge à Leval, le 10 avril 1944 dans la soirée,( à 19H40 exactement, selon les archives communales) avec les conséquences que l'on connaît, à savoir une vingtaine de morts et plusieurs maisons démolies ou fortement endommagées Depuis le mois de juin de cette année, une découverte dans les archives communales permet d'apporter quelques éclaircissements concernant ces faits.

Pour rappel, du 15 mars 1944 à 11H20 du matin, jusqu'au 1er septembre entre 9H00 et 10H00, les nombreux bombardements sur la région du Centre par l'aviation alliée, firent, selon la Croix-rouge de Belgique 140 tués, 141 blessés hospitalisés, 165 blessés soignés sur place, 165 blessés soignés dans des postes de secours, 684 immeubles complètement détruits, 286 partiellement détruits, 3530 légèrement détruits et 4490 sinistrés.
Bien que jusqu'en 1944, les Anglais et les Américains ne soient pas sur la même longueur d'onde à propos des moyens à utiliser pour terminer au plus rapidement la guerre en la gagnant, il fut décidé que le débarquement en était la seule solution.
La décision fut donc prise d'isoler au maximum la zone d'invasion (la Normandie), notamment en bombardant les centres vitaux tels que les gares de formations et les ateliers de réparations, dans le but de nuire à la mobilité des troupes et des transports allemands vers cette région de France.

La découverte dont nous parlions concerne des documents datant de 1953, à la lecture desquels on peut se faire une idée du motif des frappes aériennes sur Leval.

En effet, dans une lettre datée du 3 février 1953, adressée à Monsieur A. LEMAIRE, chef Régional du corps de sécurité civile, 7, Impasse de l'Opposition à La Louvière, dépendant du Ministère de l'Intérieur, Monsieur le Bourgmestre de Leval-Trahegnies attire l'attention du service précité sur la présence dans notre commune de plusieurs ateliers (près de la gare) particulièrement dignes d'intérêt, faisant référence au bombardement de la Croix rouge en 1944.
Nous sommes alors en pleine guerre froide et en plein dans la guerre de Corée.
Dans le cadre d'un plan de défense passive des régions, il est demandé par ce service de sécurité d'effectuer des essais d'utilisation des sirènes d'alerte publiques et privées dans les usines, de prévoir des plans d'assistance avec les communes voisine,s de rechercher des centres susceptibles d'accueillir des réfugiés, de marquer les points d'eau, des abris et endroits sensibles sur des cartes.
Il est même fait état de locaux pouvant servir de " chapelles ardentes "…
Mais revenons à nos usines prises pour " cibles " par les bombardiers ; il ne s'agissait en fait que les quelques petites entreprises situées autour de la gare de Leval.

Gilbert Adam

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Bombardier américain " Martin Marauder ".
Ce sont des avions de ce type qui bombardèrent Leval, le 10/04/1944.

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En 1945, LA MISERE
LES CONDITIONS DE VIE DE NOS AIÊUX

 

Comme vous le savez certainement, notre cercle d'histoire locale a créé son site Internet (www.chez.com/delevalaumont). Par ce biais, quiconque de par le monde peut découvrir Leval-Trahegnies et Mont-Sainte-Aldegonde et nous laisser d'éventuels messages. C'est ce qui est arrivé il y a peu.
Une personne de Limoges découvre dans les affaires de sa famille une lettre émanant d'Hector Schmitz de Leval-Trahegnies, datée du 25 février 1945…
Avec l'aimable autorisation de cette limougeaude et de la famille d'Hector Schmitz, nous vous en donnons connaissance, sans autre commentaire qui nous parait superflu.

" Mademoiselle Albin,
Maintenant qu'officiellement les relations postales sont rétablies entre le midi de la France et la Belgique, je suppose que vous recevrez enfin de nos nouvelles et que vous pourrez nous en envoyer de vous et de votre famille. Depuis bientôt cinq ans que nous avons quitté Limoges, je vous ai écrit plusieurs fois : du fait que je n'ai jamais reçu de réponse, je crains que mes lettres ne vous soient jamais parvenues;
Qu'êtes-vous devenus tous depuis 1940 ? Êtes-vous toujours en bonne santé ? Votre vieux papa vit-il encore ? Monsieur Lacabanne et sa famille vont-ils toujours bien ?
Je vais vous raconter brièvement les évènements qui se sont passés depuis notre départ de Limoges en juillet 1940.
Le voyage du retour a duré trois jours complets, car nous avons dû attendre à maints endroits le bon vouloir de ces messieurs les Allemands pour avoir de l'essence et puis nous avons dû suivre un itinéraire qu'ils nous ont imposé. Bref, nous avons logé à Châteauroux, Orléans et Beauvais. Nous avons retrouvé notre maison dans l'état tel que nous l'avions laissé, avec les carreaux cassés ; on nous avait volé nos provisions de vivres, mais le linge et le mobilier avaient été épargnés.
On s'est remis au travail, j'ai repris ma place à l'usine, les enfants sont rentrés à l'école et la vie a repris tant bien que mal.
Plus la guerre avançait, plus le ravitaillement devenait difficile et plus la vie devenait chère. On a dû pour se nourrir acheter des marchandises en dehors du marché officiel, et on les payait à des prix extraordinaires. Pour vous en faire une idée, on a payé le pain de 1 ko … frs ; le beurre … le ko , la viande de bœuf ..... fr le ko, le lard .... fr le ko. Une paire de souliers ordinaires la paire ... frs et les vêtements sont à des prix inabordables.
A partir de Paques 1944, une autre source de tourments est venue s'ajouter aux autres : la terrible période des bombardements, sabotages, réquisitions, otages... etc.

Le lundi de Pâques, 10 avril 1944, la commune de Leval-Trahegnies a été bombardée, et on a eu à déplorer à 200 m de chez nous 25 tués et de nombreuses maisons endommagées (celle de ma sœur, entre autre, a été fortement abîmée et est inhabitable). Par la suite, les gares de formation de Haine-St-Pierre et celles de Marchiennes et de Monceau (près de Charleroi) ont été bombardées chacune une quinzaine de fois et chaque fois c'était des victimes et des destructions.
En même temps, des actes de sabotage contre des chemins de fer, des usines, des centrales électriques étaient faits par des patriotes ; des Belges traîtres et même des soldats allemands étaient abattus, ce qui fait que nous étions très souvent punis : on ne pouvait plus sortir entre 7 heures du soir et 6 heures du matin. On prenait des otages soit pour l'Allemagne soit pour les camps de concentration. On devait porter des postes de TSF.
Cette tragique période a duré jusque la libération qui a eu lieu le dimanche 3 septembre. Nous avons
eu la chance d'être débarrassé des Allemands et de ce fait, la région n'a pas souffert des batailles.
Mais depuis quelque temps, pour nous montrer qu'ils ne nous oublient pas, les Allemands nous envoient des V1 et même, le lendemain de Noël, ils sont venus bombarder la grande route où passent, sans arrêt, d'interminables files de tanks, canons, camions chargés d'hommes et de matériel.
Voilà donc la situation dans laquelle nous nous trouvons, et nous ne nous plaignons pas encore trop car personne de notre famille ne manque, et nous sommes tous en bonne santé.
Nous sommes impatients d'avoir de vos nouvelles pour savoir de quelle manière vous avez traversé cette maudite période. Ecrivez-nous longuement.
Rappelez-nous au bon souvenir de Monsieur Lacabanne et de sa famille, ainsi qu'à celui de votre bon vieux papa, si vous avez encore la chance de l'avoir en vie près de vous.
Seriez-vous assez aimable de nous donner aussi des nouvelles des Madame Balalet ? 14, place des Jacobins, chez qui nous sommes descendus lors de notre arrivée à Limoges.
Recevez, Mademoiselle Albin, nos meilleures amitiés,

Signé : Schmitz Hector,
61 Rue d'Haine,
LevaL-Trahégnies

 

NDLR : Les lettres de l'époque étaient " passées à la censure ", c'est pourquoi les prix des denrées ont été découpés sur la lettre originale.

Témoignage d'Hector Schmitz
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MARCEL MAIRESSE, 1er soldat belge tué pour notre liberté

Premier Belge et Levallois à avoir donné sa vie le 23/12/1943 dans l'entreprise de reconquête de l'Europe à partir de l'Italie.
Comme nombre de jeunes garçons de son âge, Marcel Mairesse quitte sa famille le 14 mai 1940 pour gagner Ypres. En tous cas, c'est ce qu'il croit. En fait, il est bien vite dirigé vers la France. Et puis, on connaît maintenant l'histoire : l'avance allemande est à ce point rapide que la plupart des fuyards se font rattraper. Le plus grand nombre rentre au foyer. D'autres, par contre, refusent de se soumettre à l'occupation nazie. Ils gagnent sans hésiter les ports les plus proches et veulent se faire embarquer sur les derniers navires en partance pour l'Angleterre.


Marcel Mairesse est de ceux-ci. De même que quelques garçons de son âge désireux de continuer la lutte contre l'envahisseur.
Mais qu'on ne s'y trompe pas ! L'accueil réservé par les Anglais à tous ces étrangers n'a rien de chaleureux. Au contraire, ils observent tout ce monde désemparé d'un oeil suspicieux. Que n'a-t-on déjà dit à propos de la 5ème colonne ? On voit donc des espions partout et il faut tout un temps avant que les arrivants soient mieux considérés. Finalement, ceux désireux de s'engager dans la lutte armée sont regroupés à Tenby, près de la côte. Les autorités anglaises ont vite compris que rien ne serait de trop pour opposer une résistance un tant soit peu valable à une tentative de débarquement que les Allemands prétendent imminente.
Il faut savoir qu'à ce moment les Britanniques n'ont guère que 150 000 hommes en état de combattre à déployer face à la marée nazie qui submerge une bonne partie de l'Europe et qui maintenant se présente aux frontières.
Heureusement, il y a la Manche !
Toutefois, à Tenby, nos jeunes gens s'impatientent. Ils sont mal nourris, mal payés. Le cafard gagne parfois car ils ne se sentent pas pris au sérieux. Les garçons se considèrent plus comme des réfugiés que comme des militaires. Le mécontentement provoque quelques énervements collectifs qu'il n'est pas toujours facile de calmer. L'oisiveté, une fois de plus, est la plus mauvaise compagne. Après quelques crises, un commandement est enfin confié au major Piron, chargé d'organiser la formation des ressortissants belges. C'est ainsi que naissent bientôt, entre autres groupements, des corps de commandos et de parachutistes. On y prend que des volontaires. Ceux-ci sont destinés à exécuter des missions très spéciales. Seuls ceux qui se révéleront tout à fait aptes seront embrigadés. Marcel est de ceux-là ! Plus de 40 commandos seront mis sur pied.
En fin de compte, ils auront effectué 1470 opérations dans les lignes ennemies tant en Norvège qu'en Sicile ou en Yougoslavie, en passant par Saint Nazaire, Dieppe et les îles de la Manche.
En attendant, ils sont transférés en Écosse dans un camp établi loin des regards indiscrets et interdits de rapport avec le monde extérieur et d'ailleurs très lointain. Un mode de vie plus que spartiate y est rythmé par un entraînement intensif de plus en plus sévère. Seuls les plus solides et les plus tenaces peuvent aller jusqu'au bout. Pour ceux là, il y a enfin un embarquement à Liverpool à l'automne 43. Trois semaines de traversée et on atteint Alger,
puis Tunis. Après une nouvelle attente, c'est l'Italie par Tarente. Ils passent par Malfetta sur l'Adriatique, puis, par camion, prennent la direction du front.
C'est ainsi que le 12 décembre, ils prennent position à San Pietro Avellaria, village à front de montagne que les Allemands viennent de quitter. L'essentiel de la mission : effectuer des opérations d'appui en préparation de la grande bataille pour Monte Cassino.
Et voilà bientôt qu'un engagement sérieux se présente. Il s'agit d'anéantir par surprise un poste allemand important qui interdit toute progression par la seule voie possible dans la région mais qui se trouve à 2 kilomètres à l'intérieur des lignes ennemies.
L'opération est menée à bien, mais on compte un blessé grave. Ramené par ses camarades, il succombe bientôt à ses blessures : il s'agit de Marcel Mairesse. Ce sera la seule perte enregistrée à cette occasion.
Marcel est donc le premier Belge a avoir donné sa vie dans l'entreprise de reconquête de l'Europe à partir de l'Italie.

Gilbert Leclercq

Marcel Mairesse et sa jeune épouse le jour de leur mariage

Témoignage d'Hector Schmitz
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14 mai 1940 : des bombes sur la Joncquière

Qui s'en souvient encore ?
L'invasion allemande débuta le 10 mai. Nous étions donc au début des hostilités. Très éloignés des opérations, nous nous sentions encore en parfaite sécurité. Nous n'avions pas à ce moment là l'expérience de ces engins de mort capables de semer la détresse loin de leurs points d'envol.
En ce jour, cependant, les esprits étaient très préoccupés. Le gouvernement avait fait placarder des affiches. L'ordre était donné à tous les hommes de 16 à 35 ans non encore mobilisés de rejoindre Ypres.
Il était évidemment question de constituer une armée de réserve avec tous ceux qui n'avaient pas encore été rappelés. Et, en plus, avec les jeunes gens des quatre classes suivantes. Manifestement, l'état-major de l'armée belge en était encore au schéma de 14-18. Derrière Ypres, c'est l'Yser. Partout c'était la tristesse. Dans toutes les familles, on essayait de consoler mère et épouse qui avaient vu partir fils et mari.

Et, c'est dans un tel contexte que des avions surgissent et laissent tomber un chapelet de bombes dans le bas du village. Six bombes explosent, s'échelonnant du charbonnage de Cronfestu jusqu'à la rue Basse.
A la rue Basse justement, à moins de 100 mètres de sa jonction avec la rue de Namur, une famille habitait dans une maisonnette. Il s'agissait d'un ancien wagon de chemin de fer coquettement aménagé, parachevé par une façade en maçonnerie joliment décorée. C'est là que vivaient Monsieur Gustave Michel avec sa femme et sa fille.
La dernière bombe de la lignée pulvérise la façade et éventre la modeste demeure. Dans les débris, on retrouva l'épouse et la fille de Gustave gravement blessées. Elles décédèrent durant leur transport vers l'hôpital. Gustave, quant à lui, en sortait indemne : il était à ce moment occupé dans le jardinet à l'arrière de la maison. Une dame, Rosa Lefèvre, habitant de l'autre côté de la rue, eût une jambe à ce point abîmée qu'il fallut l'amputer, restant ainsi handicapée pour le restant de sa vie.
En une fraction de seconde, juste à la limite entre Mont-Sainte-Aldegonde et Leval, la Joncquière compta donc 3 victimes dès les premiers jours de la guerre. Sur les dépendances du charbonnage de Cronfestu, deux bombes n'occasionnèrent que des dégâts mineurs.

Mais pourquoi des bombes à un tel endroit?
A première vue, il n'y aurait pas d'explication susceptible de justifier une attaque aérienne contre ce quartier paisible. Sinon que les Allemands étaient passés maître dans l'art de semer la terreur au sein des populations civiles autant que parmi les soldats ennemis.
La panique incitait les gens à fuir, provoquant le plus grand désordre sur les routes. L'encombrement ainsi produit gênait considérablement le déplacement des troupes vers les lieux de combat.
Et, c'est justement dans la soirée même du bombardement et dès le lendemain que l'on vît bon nombre de familles de Mont-Sainte-Aldegonde et de Leval s'élancer dans une évacuation très aléatoire

Peut-être y aurait-il aussi une autre raison ?
Depuis deux jours, des troupes françaises avaient investi le village.

Notamment, une batterie de DCA s'était installée dans la prairie de la ferme Sauvage actuellement Dendhoven.
Dès le matin de leur arrivée, les deux canons et les mitrailleuses lourdes s'en prirent à un avion allemand probablement en mission de reconnaissance.
Les Français jugèrent-ils qu'ils faisaient une cible trop facile à cet endroit ? Toujours est-il qu'ils décidèrent de quitter les lieux. Et une partie d'entre eux vinrent s'installer dans un petit bosquet à l'arrière de la maison de Gustave Michel. Avaient-ils déjà été repérés ?
Quoique qu'il en soit, il ne resta que la détresse des braves gens de chez nous, le malheur d'un homme ayant perdu sa famille et la souffrance d'une femme meurtrie à jamais.

Gilbert Leclercq
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Samedi 22 août 1914 

Collarmont, lutte sanglante

Pourquoi voulons-nous parler de ce qu’on appelle communément la bataille de Collarmont ?
Tout simplement parce que, pour la plupart d’entre nous, nos parents et grands parents ont été directement concernés par ce qui s’est passé là-bas ce jour-là et dans les jours qui suivirent. En fait, les combats du 22 août 1914 se déroulèrent sur cinq communes qui se rejoignent toutes à Collarmont. D’un côté de la rivière, la Haine, se situent Carnières et Anderlues entre lesquelles vient se coincer Piéton. De l’autre côté, nous trouvons Mont-Sainte-Aldegonde et Leval. Les premiers coups de feu retentirent d’abord sur Piéton pour bientôt s’étendre sur le quartier de Lalue à Anderlues et Carnières à la lisière du Bois des Vallées.

Le point culminant de ce qui devenait un véritable carnage se déroule sur Collarmont et Mont-Sainte-Aldegonde, entre la Rosière et le bois de Chèvremont. Cela s’achève par les Trieux d’Anderlues et la partie extrême de Leval au-delà de la rivière la Haye et allant du chemin d’Escosson jusqu’au moulin de la Haie.

Et, autre raison qui montre pour nous le rappel de ce jour funeste, c’est que cette bataille qui fit s’entretuer là soldats français et allemands n’est mentionnée dans aucun livre d’histoire. C’est comme s’il s’agissait d’un fait divers tout à fait négligeable ! Et pourtant, quand on sait qu’à l’issue de ce combat, on dénombre plus de 4000 morts, on devinera mieux l’ampleur de ce qui s’est passé ce jour-là sur ce petit coin de terre.

Offensive allemande

Les antagonistes

L’envahisseur allemand était entré en Belgique le 4 août. L’Allemagne voulait en découdre avec la France, répondant à une vieille querelle qui se perpétuait. Mais, comme pour envahir la France, l’accès est plus facile en passant par la Belgique, le traité sensé garantir notre neutralité a été proprement ignoré. Il ne restait plus à la petite armée belge, forte de 50.000 hommes, qu’à résister avec ses faibles moyens.

Bien sûr, les garants de notre neutralité, la France et la Grande-Bretagne, vinrent à la rescousse. C’est ainsi que, dès l’entame des opérations, un contingent de cavalerie française, notamment, se distingue. Il doit toutefois céder régulièrement du terrain à un ennemi incomparablement supérieur en nombre et en matériel. Le corps de cavalerie Sordet, présent à Carnières le 21 août, est finalement au bord de la rupture. Cavaliers et chevaux sont harassés par les marches incessantes. Ils ont grand besoin de souffler. Il est surtout urgent d’accorder aux chevaux soins et repos.

Pour cela, il faut tout d’abord leur permettre une retraite tranquille qui leur permettra d’aller se retremper quelque part à l’arrière des premières lignes. Pour cela aussi, il faut absolument imposer un arrêt suffisamment important à l’avance ennemie.

L’infanterie à la rescousse

C’est pour répondre à ces impératifs qu’une ligne de défense a été choisie par le commandement français, allant de Piéton à Mont-Sainte-Aldegonde en passant par Anderlues et Carnières. Le point fort du dispositif devait en être Collarmont. C’est au 24ème régiment d’infanterie qu’échut l’honneur de venir chez nous à cet effet. Quittant le fort d’Ambervilliers le 6 août, les soldats gagnent la gare des Battignoles à Paris. Une partie du déplacement eut donc lieu en train. Passant par Soissons, Laon et Reims, ils arrivèrent finalement à Rethel le 7 août à 1 h. et demi du matin.

Tout le reste du parcours fut accompli à pieds. Ils pénétrèrent en Belgique par Macon, le 17 août. Le 19, ils traversèrent Beaumont. Le 20, Cour-sur-Heure et Ham-sur-Heure. Le 21, à 7 heures du soir, un nouveau départ les amenait à Anderlues vers 2 heures du matin.

Dès 5 heures et demi, les habitants du coin les reçoivent avec enthousiasme et leur distribuent tout ce qu’ils trouvent dans leurs réserves. Mais, à peine les soldats ont-ils le temps de se régaler que l’ordre leur est donné de prendre les positions qui leur sont désignées. Le capitaine Rey ne cache rien à ses hommes de ce qui les attend. Il leur dit sans ambages : « Mes enfants, l’affaire va être chaude aujourd’hui. Qu’importe, soyez braves et dites-vous que c’est pour la France ! »

A 8 heures 45, les premiers Allemands tombaient au lieu-dit « la Reine des Belges ». C’étaient des éclaireurs. Aussitôt, l’attaque teutonne se mettait en branle et les coups de feu crépitaient de partout. Cela ne devait cesser qu’après 17 heures avec les résultats désastreux que l’on connaît : plus de 4000 morts dont 958 Français.

Pour ces garçons partis de Paris quelques jours plus tôt, ce fut le baptême du feu, un baptême bien sévère, on en conviendra.

La plupart n’avait jamais quitté leur pays, ni même leur village. Puis, un jour funeste, les voilà partis pour venir échouer à Collarmont.

Chez eux, ils auraient pu continuer à couler des jours heureux dans leurs familles, avec leurs amies et amis. Ils auraient pu poursuivre une vie normale, tranquille, en s’adonnant à leurs occupations habituelles. Pour certains, c’était le temps des moissons. Et voilà, qu’ici, chez nous, c’est eux qui furent fauchés. !

Ils étaient 1800 à leur arrivée. On leur avait demandé de se sacrifier pour permettre à un régiment d’élite de se replier sans encombre derrière la Sambre. Il avait fallu pour cela tenir tête et arrêter 18000 Allemands supérieurement armés.

A 1 contre 10, ils ont accompli la mission qui leur a été confiée. Mais, ils ont payé le prix fort ! Plus de la moitié de leurs effectifs est restée sur le champ de bataille.

Les familles reçurent les médailles avec les mots de circonstances.

Dans la grisaille, une lueur quand même.

Pour certains, le destin est décidément bien étrange.

Parti comme tous ses camarades sans savoir où cela le conduisait, l’un de nos braves combattants de Collarmont est devenu par après un vrai Carnièrois et même un vrai Collarmontois.

René Parisot, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a été blessé à 2 reprises.

Une première fois, un éclat d’obus l’avait atteint à la jambe. Par après, alors qu’il avait de grandes difficultés pour se mouvoir, une balle de fusil lui a entièrement traversé le corps.

Quand le lendemain, les Allemands autorisèrent, enfin, aux ambulanciers de la Croix-Rouge de se rendre sur le champs de bataille, il fut de ceux qu’on dirigea vers l’asile du Sacré-Cœur, en bordure de la place de Carnières.

Il était si gravement atteint qu’à plusieurs reprises, on crut devoir assister à ses derniers instants. Et pourtant, malgré tout, René a survécu et fini par guérir. Durant sa longue convalescence, il fut particulièrement bien soigné par une jeune Carnièroise, Ida Paul. Celle-ci se dévoua corps et âme pour assurer son rétablissement. Il promit de ne jamais l’oublier.

En mai 1915, reconnu valide, il est transféré en Allemagne comme prisonnier de guerre, de même que les autres survivants.

La guerre terminée, il ne manqua pas de revenir à Carnières pour retrouver Ida qui avait si bien veillé sur lui.

Cela finit par un mariage. René et Ida eurent une fille : Anne-Marie qui, plus tard, épousa Richard Dassonville. Anne-Marie et Richard, quant à eux, eurent 2 fils qui à leur tour eurent plusieurs enfants.

René Parisot a donc bien toujours de la descendance à Carnières. Avec sa femme, il avait élu domicile à Collarmont même, rue Sault à Sault, c’est-à-dire à un jet de pierre de l’endroit où il avait été blessé le 22 août 1914.

René Parisot

Ida Paul

Gilbert LECLERCQ
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