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Tension superficielle : gouttes, capilarité, bulles et surfusion

Projet pour la foire aux questions du forum usenet fr.sci.physique (FAQ-fsp).
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Tension superficielle : gouttes, capilarité, bulles et surfusion
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Hiérarchie : Physique générale - thermodynamique
Enoncé : expliquer de manière simple le concept de tension superficielle
Version : 0.4
Date : 02/07/2002
Niveau : élémentaire
Mots-clef : énergie d'interface, tension superficielle, capilarité, surfusion
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1 -- Présentation

Le but de cet article est d'introduire la notion de tension superficielle. Cette notion joue un rôle important lorsque deux milieux différents sont au contact sans se mélanger. Elle permet d'expliquer entres autres la forme des gouttes et des bulles, la mousse, les problèmes de capilarité et la surfusion.

2 -- Milieux non miscibles

À la base, il y a des phases qui ne se mélangent pas, p. ex. l'huile et l'eau, ou bien l'air et l'eau [#] ; on dit qu'ils sont «non miscibles».

Si l'huile et l'eau ne se mélangent pas, c'est qu'une molécule d'huile est mal à l'aise d'ans l'eau, et une molécule d'eau est mal à l'aise dans l'huile. Mal à l'aise, ça veut dire que la molécule d'huile a tendance à être attirée par d'autre molécules d'huile et à être repoussée par les molécules d'eau, et vice-versa. Ou, pour parler en termes physiques et chimiques, l'énergie chimique d'une molécule d'huile est plus grande dans l'eau que dans l'huile, et vice-versa.

[#] - en fait, il y a un peu d'eau dans l'air (humidité) et un peu d'air dans l'eau (ce qui permet aux poissons de respirer), mais en quantités très faibles.
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3 -- Energie d'interface - tension superficielle

Maintenant, imaginons un petit volume d'huile V en suspension dans l'eau, par exemple les yeux du bouillon. Les molécules mal à l'aise sont celles qui se trouvent à l'interface (la surface de contact entre l'huile et l'eau), donc plus l'interface est grande, plus le système est mal à l'aise, plus l'énergie chimique est grande.

On peut définir l'énergie d'interface comme étant le surplus d'énergie chimique par rapport au cas où la gouttelette d'huile se trouverait dans de l'huile.

Le système va spontanément prendre la configuration d'énergie minimale, c'est à dire que la goutte va adopter la forme ayant la plus petite interface possible. Cette forme est une sphère [##].

Si l'on déforme la goutte, en touillant l'eau par exemple, elle va reprendre sa forme comme s'il s'agissait d'une balle élastique soumise à une tension (dans le sens "traction") ; de fait, cette énergie d'interface porte aussi le nom de «tension superficielle».

Si maintenant on "casse" la gouttelette en deux, on va créer de la surface, deux sphères de volume V/2 ont une aire plus grande qu'une seule sphère de volume V. Donc si les deux goutelettes se rencontrent, elles vont avoir tendance à se fusionner pour minimiser la tension superficielle. Vous pouvez l'observer en poussant l'un contre l'autre deux yeux du bouillon.
réunion de deux gouttes pour réduire l'énergie d'interface
Fig. 1 - Réunion de deux gouttes pour réduire l'énergie d'interface

La notion de tension superficielle est une notion "globale" qui permet de prédire le comportement. Si l'on regarde ce qui se passe au niveau des molécules, on peut décrire les phénomènes par les interactions classiques : interactions électrostatiques, forces de Van der Waals...

## - dans le cas des yeux du bouillon pris en exemple, vous me direz que c'est un disque plutôt qu'une sphère, et là je vous dis oui, vous avez raison, mais il y a aussi des gouttelettes qui nagent sous l'eau. Non mais !
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4 - Autre énergie en jeu

Considérons maintenant que le poids joue un rôle, et prenons deux configurations possibles :

Dans le cas 2, la surface est plus grande que dans le cas 1, donc l'énergie d'interface aussi, mais la goutte étant moins haute, l'énergie potentielle de gravité sera plus faible que dans le cas 1.

L'énergie totale est :

énergie d'interface + énergie potentielle de gravité,
la goutte prendra la forme minimisant l'énergie totale. Si la diminution d'énergie potentielle de gravité est plus importante que l'augmentation de la tension superficielle, alors la gouttelette sera applatie.

5 - Plusieurs types d'interfaces

Si maintenant la goutte est posée sur une surface solide horizontale (une table quoi), il faut considérer trois interfaces : gaz/liquide, gaz/solide et liquide/solide. L'énergie chimique dépend alors des aires de ces trois interfaces. Il faut ici considérer l'énergie par unité de surface (la densité surfacique d'énergie).

La goutte peut avoir deux types de forme :

  1. si cela nécessite peu d'énergie d'étaler la goutte (la densité d'énergie de l'interface solide/liquide est faible), on a juste une calotte posée (une ellispoïde tronquée au-dessus de l'équateur) ; l'aire de l'interface liquide/solide est grande, celle de l'interface liquide/gaz petite ; le cas extrême est une flaque étalée ;
    goutte étalée
    Fig. 2 - Goutte étalée, comme une calotte posée
  2. si par contre le liquide est "repoussé" par le solide (la densité d'énergie de l'interface solide/liquide est grande), on a une ellispoïde coupée en dessous de l'équateur, l'aire de l'interface liquide/solide est petite, celle de l'interface liquide/gaz grande ; le cas extrême ressemble à une bille de verre posée.
    goutte repoussée
    Fig. 3 - Liquide repoussé par le support
La configuration adoptée sera celle qui minimise la somme des énergies d'interface entre ces trois milieux.

6 - Applications

a - Capilarité, ménisque

Si vous regardez un liquide dans un tube de verre étroit (type tube à essai), vous verrez que l'interface est bombée vers le bas, l'eau remonte le long des parois ; la surface forme un ménisque. Ceci peut aussi se voir de manière moins flagrante sur les bords d'un verre. En effet, l'énergie d'interface verre/eau étant plus faible que l'énergie d'interface verre/air, il est plus "intéressant" de diminuer la surface verre/air au prix d'une augmentation la surface air/eau lorsque celle-ci se bombe, et d'une augmentation de l'énergie potentielle de gravité.

Autre façon de voir : le verre "attire" les molécules d'eau (force de Van der Waals), donc celle-ci montent, elles sont pour le coup plus à l'aise sur du verre qu'entre elles, et ce malgré le poids qui les tire vers le bas.

Le phénomène de capilarité peut se décrire par le même principe : l'eau monte le long des parois dans de petites cavités, par exemple lorsque vous trempez le bout d'une feuille de papier dans une verre d'eau, l'eau monte le long des fibres de papier.

b - Produits tensio-actifs, lessive, émulsion, mousse

Si l'énergie d'interface entre un solide et l'eau est forte, alors l'eau ne s'étale pas et reste sous forme de goutelette ; c'est ainsi que, comme le montre une célèbre publicité de lessive, "les synthétiques laissent glisser l'eau". On peut alors ajouter un produit dans l'eau qui diminue l'énergie d'interface ; la goutte s'étale alors et peut pénétrer dans le tissus. On appelle ces produits des "tensio-actifs".

Les émulsifiants sont des tensio-actifs : si vous laissez reposer une vinaigrette, les gouttes d'huile se regroupent (cf. §3) et forment bientôt une couche d'huile. Si l'on veut garder l'huile sous la forme de petites gouttelettes, ou émulsion, il faut diminuer la tension superficielle afin que le gain d'énergie de surface lorsque deux gouttes se réunissent soit faible. C'est ainsi que les vinaigrettes du commerce sont sous forme d'émulsion alors que la vôtre faite maison se sépare en quelques minutes.

Les tensio-actifs permettent aussi de stabiliser les bulles. Si vous soufflez dans un verre d'eau avec une paille, la bulle, lorsqu'elle atteint la surface, crève. Si maintenant vous mettez du sirop dans l'eau, lorsqu'elle atteint la surface, la bulle reste. L'augmentation de surface due à la présence de la bulle ne provoque pas une grande augmentation d'énergie car le tension superficielle est faible. Donc la bulle est stable. Si vous avez bien suivi, les lessives contenant des tensio-actif, elles forment des bulles facilement, d'où la mousse.

c - Surfusion

Lorsque l'on réchauffe de la glace à pression atmosphérique, celle-ci fond à 0 °C. Mais lorsque l'on refroidit de l'eau, celle-ci gèle en-dessous de 0 °C. En effet, lorsque l'on forme le premier petit cristal de glace, on crée une interface solide/liquide, donc de l'énergie d'interface. Or, plus on descend en température, plus l'énergie d'interface (eau liquide)/(glace) est faible. Ainsi, il est plus facile de créer un premier cristal de glace lorsque la température est plus basse que 0 °C.

On peut voir aussi cela de la manière suivante : si un petit cristal se forme, il est dissout par l'agitation de l'eau. Plus il fait froid, plus l'eau est calme, donc plus il sera facile de former un cristal.

Lorsque l'on introduit un défaut - poussière, aspérité... - ceci permet également d'amorcer la cristallisation plus facilement, et d'annuler l'«effet retardant» de la tension superficielle. Cet effet est à l'origine d'une anecdote célèbre, rapportée par exemple par Hubert Reeves (L'heure de s'enivrer, 1986, éd. du Seuil) :

«Malaparte [###] raconte la mort dramatique d’un millier de chevaux russes dans les glaces du lac Ladoga, pendant l’hiver 1942. Pour échapper à un feu de forêt provoqué par les bombardements aériens, les chevaux se précipitent dans le lac. Malgré la vague de froid récemment arrivée, l’eau est encore liquide. Pendant que les chevaux, la tête tendue hors de l’eau, nagent vers l’autre rive, il se fait un grand bruit. L’eau gèle subitement, enfermant les bêtes dans une gangue de glace.
Le lendemain, le soleil illumine les crinières rigides, couvertes de glaçons transparents. Immobilisée, chaque tête est une sculpture, dont en d’autres circonstances, on eut admiré la beauté.»
(Merci à Olivier "Rue des Prairies" et à Michel Talon pour cette anecdote).

Pour aller un peu plus loin : en dessous de 0 °C, la transformation liquide->solide s'accompagne d'une diminution de l'énergie du système. Cette diminution est proportionnelle à la masse transformée, donc au volume de glace formé. Pour que la transformation se fasse, il faut que l'énergie gagnée soit plus importante que l'énergie nécessaire pour créer l'interface liquide/solide.

Dans le cas d'un petit cristal, il a une faible masse, donc sa formation libère peu d'énergie volumique par rapport à l'énergie de surface nécessaire. Comme il est impossible de créer immédiatement un gros cristal, la solidification ne peut pas se faire. Donc la température continue à descendre en dessous de 0 et l'eau reste toujours liquide. L'arrivée d'un crin de cheval ou d'une poussière change localement la tension superficielle et permet de former un gros cristal autour de cette impureté. Ce gros cristal peut ensuite croître, c'est l'amorce de la solidification. S'il n'y a pas d'impureté, il faudra attendre que le bilan énergétique soit favorable pour que la solidification commence.

Ce faisant, comme la solidification libère de l'énergie, cela fait remonter la température à 0 °C, la solidification va se continuer à cette température.

La modification locale de la tension superficielle permet également d'epliquer :

### - Curzio Malaparte (1898-1957), écrivain italien, auteur de Kaputt en 1944
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7 - Lien

Donné par notre ami Gilgamesh, le site de Jean-Pierre Petit sur la forme de la bulle de savon
http://www.jp-petit.com/science/maths_f/calcul_variationnel/coincer_bulle/coincer_bulle.htm