Débarquement de Normandie

    6 juin 1944. Une aube blafarde se lève sur les côtes normandes. Des nuages bas, une mer grise, agitée. Une matinée comme les autres pour les centaines de guetteurs allemands qui, depuis de semaines, scrutent anxieusement l'horizon ? En réalité, les dieux en on décidé autrement. Overlord, le débarquement tant attendu, est en marche. Une immense armada est à la mer. Des centaines de navires convergent vers les côtes de France. Soudain, l'orage éclate. En vagues successives, des essaims de bombardiers font pleuvoir une grêle de bombes sur les défenses allemandes. Emergeant de la brume, les bâtiments de guerre prennent la relève, et des milliers d'obus de tout calibre s'abattent sur les fortifications du mur de l'Atlantique qui disparaissent dans la poussière et la fumée. Bientôt, c'est l'heure de l'assaut. Les landing craft approchent, s'immobilisent. Lourdement chargés, le cœur étreint par l'angoisse, les hommes sautent dans les vagues écumeuses tandis que la riposte se déchaîne. Des centaines de points lumineux s'allument sur les falaises "comme les plots d'un immense billard électrique". Le jour le plus long de la guerre vient de commencer :

CHAPITRE I
STRATEGIE DE LA GUERRE - ELABORATION PROGRESSIVE DES DECISIONS ALLIEES

« You will enter the continent of Europe and, in conjonction with the other united nations, undertake opérations aimed at the heart of Germany and the destruction of her armed forces... » (« Vous pénétrerez en Europe, et conjointement avec les autres
nations unies, vous entreprendrez des opérations dont le but sera le coeur de l'Allemagne et la destruction de ses forces armées... ») Tel est le libellé de la mission donnée au général Eisenhower, commandant des forces expéditionnaires alliées. Dans sa simplicité, cette directive exprime le but même de la guerre ; une certitude qu'il convient, pour les chefs alliés, de faire réussir, et pour Hitler, de faire échouer.

    Le 17 septembre 1940, Hitler renonce à envahir l'Angleterre alors que le moment en était favorable. Il donne l'ordre à la marine allemande de concentrer ses efforts contre le trafic maritime entre Angleterre et Amérique : la bataille de l'Atlantique déjà ouverte va s'amplifier.  A l'inverse, Churchill prévoit d'ores et déjà qu'il sera un jour nécessaire de faire retour sur le continent. Les relations entre Grande-Bretagne et États-Unis à partir de juillet 1940 se multiplient et se resserrent.  Successivement sont mises en vigueur des mesures d'échange et d'assistance, prêts de navires, fourniture de matériels compensant les pertes de la campagne de France, extension de la zone américaine de sécurité et de patrouille dans l'Atlantique...  La progression de cette aide sera couronnée par le vote le 8 mars 1941 de la loi prêt-bail (Land-Lease Bill) par le Sénat américain.

    L'ouverture des hostilités entre le Japon et les États-Unis instaure une phase nouvelle. Immédiatement après Pearl Harbor, Churchill et Roosevelt se réunissent à Washington en décembre 1941 (conférence Arcadia). C'est la deuxième conférence des chefs d'États alliés ; la première a eu lieu en août 1941 à Terre-Neuve et a abouti à la formulation de la «charte de l'Atlantique».

    Les ressources américaines sont immenses, mais en janvier 1942, la puissance de l'axe Allemagne - Italie - Japon est en fait à son zénith. Elle est victorieuse partout, en Russie, dans le Pacifique, en Atlantique, en Méditerranée ... Après l'arrêt de cette expansion, la reconquête de la liberté maritime est une des conditions préalables d'une traversée en force de la Manche par les Alliés. La victoire navale américaine de Midway, au milieu du Pacifique, le 4 juin 1942 marque le tournant de la guerre. C'est le premier revers des puissances de l'Axe. Celles-ci ont volé jusque-là de réussites en succès, et Midway, le premier coup d'arrêt, fait peu à peu passer l'initiative du côté des Alliés. Le déclin apparaît à l'horizon mais pour le moment il est encore loin.

    La menace sur l'Europe de l'Ouest sera entretenue par des attaques aériennes, des mesures de déception, des raids de commandos tel celui de Dieppe en août 1942. Ce débarquement, très coûteux pour les Canadiens qui le mènent, confirme la valeur de la défense allemande et donne aux Alliés des indications utiles sur son organisation. Le commandement allemand le place au niveau d'un débarquement plus que d'un raid à objectif limité. Il en grossit l'insuccès, il en acquiert une confiance excessive dans sa propre capacité de réaction défensive.

    En janvier 1943, Roosevelt et Churchill se rencontrent à Casablanca. Ils prennent la décision de réunir en 1943 les conditions préalables nécessaires à la réalisation du débarquement sur le continent en 1944, notamment la condition sine qua non de gagner la bataille de l'Atlantique, mais aussi grâce à cette liberté maritime reconquise réunir en Angleterre une force d'au moins 40 divisions, et enfin diminuer la capacité industrielle allemande actuellement toujours croissante par une campagne de bombardements aériens.  La conférence de Casablanca ajoute à ces décisions concrètes une déclaration de principe « La guerre sera poursuivie jusqu'à la reddition sans condition des puissances adverses. ». Cette déclaration en ne laissant au peuple allemand aucune autre issue que la lutte sans espoir est susceptible de prolonger la guerre.
 

CHAPITRE II
LA PREPARATION A LONG TERME

    Le 12 mars 1943, est désigné un chef d'état-major du commandant de l'opération du débarquement, le général britannique F. Morgan Chief Of staff to Supreme Allied Commander, C.O.S.S.A.C., il a pour mission de préparer trois types d'opérations possibles :

· Starkey : opération de diversion en 1943 pour fixer les forces adverses à l'Ouest et interdire le renforcement allemand en Russie et en Italie.
· Rankin : retour sur le continent à tout moment en cas de désintégration allemande.
· Overlord : assaut en force aussitôt que possible en 1944.

    Pour Starkey, les plans sont poussés assez loin. En effet un exercice a lieu le 8 septembre 1943. Il consiste en un rassemblement de troupes et de bateaux dans le sud-est de l'Angleterre  et en des débuts d'embarquement et de formation de convois. Il a pour objet de créer l'impression du montage d'un débarquement au travers de Douvres en direction du Pas-de-Calais, là où le franchissement est le plus court. Ce montage est délicat, il doit attirer l'attention de la Luftwaffe sans pour autant provoquer de bombardements supplémentaires au détriment de la population environnante. Il doit être interrompu assez vite, puis présenté rapidement à la presse, non comme un échec, mais pour ce qu'il est réellement, un exercice. Il doit néanmoins durer assez longtemps pour que l'aviation alliée et les résistants clandestins puissent observer les réactions allemandes: alerte des unités d'infanterie, d'artillerie et mouvement éventuel des réserves.
Pour ce qui est de la réalisation d'Overlord, deux problèmes sont essentiels à résoudre : le choix du lieu de débarquement et la détermination des forces à engager.  Le lieu le plus logique pour atteindre rapidement le coeur de l'Allemagne se trouve limité à deux zones sur les côtes de la Manche : celle du Pas-de-Calais – Somme et celle de basse Normandie. La zone nord, Pas-de-Calais - Somme, plus proche de l'Angleterre, pprésente des avantages incontestables : traversée maritime la plus courte ; distance de vol la plus brève ; plages favorables, deux grands ports (Le Havre et Anvers). La basse Normandie présente des plages de sable d'accès facile ; mais au-delà le bocage est souvent favorable à la défense. Les ports de Brest et Cherbourg sont bien placés pour accueillir par la suite des bateaux venant directement des États-Unis.  En juin 1943, Cossac décide en faveur de la basse Normandie et poursuit ses études sur cette hypothèse.  Ainsi se trouve soulevé le problème de l'entretien de la tête de pont pendant deux semaines, uniquement par les plages conquises. La création d'un port artificiel est une idée séduisante mais les moyens techniques de sa réalisation n'existent pas, tout au moins pas encore.

    La conférence de Québec (Quadrant) réunit, en août 1943, Roosevelt et Churchill. Il en ressort des ajustements portants sur les plan établis par COSSAC : ses prévisions de mises à terre, exagérément optimistes (de l'ordre de 18 divisions débarquées à J+18) sont revues à la baisse ; il est par contre est envisagé un débarquement dans le Midi de la France pour le mois d'août 44, mais Overlord est confirmée comme l'opération prioritaire pour l'année 1944 (date prévue mai).  Par voie de conséquence, l'état-major Cossac jusqu'alors uniquement planificateur, devient opérationnel. Il devient sous l'autorité des chefs d'états-majors combinés (Combined Chiefs of Staff) habilité à prendre des mesures d'exécution.
 

    En novembre 1943, 7 divisions (4 U.S. et 3 britanniques) ayant l'expérience des combats et des débarquements sont ramenés d'Italie et d'Afrique pour constituer le noyau dur et entraîné de la force de débarquement.

CHAPITRE III
REALISATION DES CONDITIONS PREALABLES

    Pour réaliser les conditions préalables au succès d'Overlord, les décisions portent essentiellement sur deux domaines : l'acquisitio de la liberté maritime par la victoire dans la bataille de l'Atlantique, et l'amoindrissement du potentiel industriel par les bombardement stratégiques sur l'Allemagne.

    La bataille de l'Atlantique a commencé dès septembre 1939. Entre cette date et juillet 1940, la marine allemande a perdu une quinzaine de sous-marins. Quelques chiffres illustrent cette formidable bataille qui ne basculera en faveur des Alliés qu'en mai 1943. En septembre 1939, la marine allemande possède 51 sous-marins, fin 1942, elle en dispose de 400. Recouvrer la liberté maritime est une condition préalable indispensable à l'envoi sur le sol anglais d'une force de plus d'un milliond'hommes…

    Le tournant sera pris au mois de mai 1943 ; la vie des sous-marins allemands devient de plus en plus difficile, ce qui n'empêche pas que la bataille restera âpre jusqu'à la fin des hostilités : Durant les quatre premiers mois de 1944, le tonnage coulé par les sous-marins allemands atteint encore 120 000 tonnes par mois, mais, au regard à la production américaine de Liberty-Ship devenue considérable, ce chiffre est alors négligeable.
 

    La 8e Air Force atteint fin 1943 près de 1 000 bombardiers. Cette bataille aérienne sur l'Allemagne est également très dure, elle s'attaque en premier lieu aux usines aéronautiques de chasseurs pour en débarrasser le ciel. Mais les bombardiers alliés doivent pénétrer de plus en plus profondément en Allemagne pour atteindre les centres industriels. Ces missions de jour et sans escorte de chasseurs sont très coûteuses. En octobre 1943, la 8e Air Force exécute avec 228 bombardiers une mission de bombardements sur le centre de production de roulement à billes de Schweinfurt. Il en coûtera 62 avions détruits, 138 endommagés et la perte de 599 aviateurs américains. Sans aucun doute, ces bombardements exercent en Allemagne un effet moral considérable et apportent une perturbation importante des communications.

    En cette fin de 1943, Churchill, Staline, Roosevelt se réunissent à Téhéran du 27 au 30 novembre. La situation générale de la guerre très améliorée est néanmoins encore précaire. Dans le Pacifique, l'arrêt des Japonais est réalisé (voir l'article la ligne rouge) , il laisse aux Américains la liberté de pouvoir porter toutes leurs forces en Europe. La bataille de l'Atlantique a basculé favorablement depuis juin dernier. Mais l'Allemagne reste militairement et industriellement très forte. Se concentrant sur elle-même, sachant exécuter quelques replis opportuns face à l'Est, elle peut tenir assez longtemps pour développer ses armes nouvelles et donner à la guerre un cours victorieux et définitif cette fois.
 
 

CHAPITRE IV
LA DEFENSE ALLEMANDE

Au sommet de la hiérarchie militaire est Hitler.

    Il a souvent forcé la main de ses généraux par des initiatives d'une audace excessive, et à laquelle la fortune a souri. Convaincu de son génie militaire intuitif, Hitler intervient directement au niveau de la conduite de la guerre : Il ne laisse aucune initiative aux généraux, et ne leur accorde qu'une faible confiance. Cependant, astreint à la défensive dès le début de 1943, il adopta pour idée dominante de ne pas céder un pouce de terrain. Des unités remarquables par leurs connaissances tactiques, leur expérience du combat et leur courage ont été ainsi transformées en hordes de prisonniers laissant sur le terrain des morts innombrables.

    A l'Ouest, Hitler attend depuis longtemps le débarquement.  Les renseignements parvenus après la conférence de Téhéran le lui confirment pour le printemps 1944.  Von Rundstedt est à nouveau rappelé pour l'ouverture du second front à l'ouest. Il a peu confiance dans le "mur de l'Atlantique" et dans les obstacles défensifs. Tenant classique de la mobilité qui lui a valu ses succès, il veut se constituer des réserves pour rejeter à la mer les forces débarquées, constituant un échec cuisant et définitif.  Il donne priorité à la zone du Pas-de-Calais, il écarte la côte normande qui n'ouvre pas accès rapidement à un port : il ignore - faiblesse du renseignement allemand - que depuis un an Churchill a lancé la fabrication d'éléments permettant la création d'un port artificiel.
 

    Début 1944, Hitler nomme à la tête d'un de ces deux groupes, au nord de la Loire, Rommel, le plus jeune maréchal. Rommel a des conceptions différentes de son chef von Rundstedt; pour lui tous les moyens blindés doivent être répartis près des côtes pour agir au plus vite. De même, les défenses côtières doivent jouer un rôle essentiel, et être portées à leur maximum d'efficacité.  Il en est venu à la conclusion - inverse encore de celle de Von Rundstedt - que la zone la plus dangereuse est la côte normande. Néanmoins la défense doit être uniforme car l'offensive alliée comportera probablement une attaque principale et une de diversion. Le "mur de l'Atlantique" couvre, en principe, de fortifications bétonnées et dedéfenses accessoires la totalité des côtes de la mer du Nord, de la Manche et de l'Atlantique. Les organisations offensives du Pas-de-Calais de 1940 sont devenues défensives dès 1941 pour protéger le coeur de l'Allemagne. De plus sont prévuesles mises en place dans cette zone nord des plates-formes de lancement des V.-1.

    Rommel se met à l'oeuvre avec l'énergie coutumière qu'on lui a connue durant toute sa carrière. Convaincu que le débarquement aura lieu à marée haute pour porter fantassins et véhicules au plus près des défenses actives et des objectifs, il truffe les plages d'obstacles de son invention qui éventreront bateaux et véhicules : pieux de fer entrecroisés, rails pointus fichés dans le sol, tétraèdres en béton, levées de béton destinées à gêner les sorties de plage des blindés. Il fait inonder les parties basses (au sud-ouest de Carentan par exemple) et couvrir "d'asperges de Rommel" (pieux pointus dressés vers le ciel) les terrains dégagés propices aux parachutages et atterrissage des planeurs.
 

    Au moment du débarquement, la défense allemande, pour beaucoup grâce à Rommel, aura été considérablement améliorée au cours des quatre derniers mois : aménagement des obstacles, entraînement des unités. Elle comportera cependant des lacunes : déficience de certaines unités, insuffisance du renseignement, déficits en matériels, canons, munitions : ainsi certaines fortifications seront lors du débarquement démunies des canons pour l'usage desquels elles avaient été construites.

CHAPITRE V
PRISE EN MAIN STRATEGIQUE D'OVERLORD PAR EISENHOWER

JANVIER 1944

    Le tournant favorable pris par la bataille de l'Atlantique en juin 1943 a permis l'acheminement et la montée en puissance des forces américaines en Grande-Bretagne. Les plans fixent les forces à réunir pour le printemps 1944 à 1 446 000 hommes. Fin 1943, l'effectif atteint voisine le million et les matériels de débarquement se rassemblent en Angleterre. Des matériels spéciaux, chars amphibies, véhicules amphibies, éléments de ports artificiels, existent ou sont en cours de fabrication. Certains ont été expérimentés dans le Pacifique comme les diverses péniches de débarquement (Landing Ship) .

    La première quinzaine de janvier 1944 est consacrée à l'étude de l'élargissement de la zone d'assaut pour inclure les plages : la zone d'assaut pourrait ainsi être portée de 40 km de largeur à 75 km. Face à une telle extension de l'opération (pratiquement doublée) Leigh-Mallory objecte que la D.C.A. et les difficultés de terrain du Cotentin peuvent causer à l'opération aéroportée des pertes de 75 % des effectifs engagés.

    Sitôt après son arrivée le 15 janvier, Eisenhower examine ce nouveau plan. Il l'approuve et l'adopte comme base de travail pour la préparation d'Overlord. Il est prévu par ailleurs de conjuguer avec Overlord un débarquement intitulé Anvil, sur la côte de Provence dans le but de maintenir sur place les forces allemandes et d'empêcher leur envoi vers le nord de la France ou l'est de l'Europe. Un décalage dans le temps d'Anvil donnerait la possibilité aux mêmes bateaux de participer d'abord à Overlord et ensuite au débarquement de Provence. Eisenhower propose de reporter Overlord d'un mois, et de retarder Anvil jusque fin juillet.  Grâce à ces mesures pourront être réunis les moyens de débarquement (6047 landing crafts) appropriés au volume de la force d'assaut souhaitée dans le plan révisé, à savoir 176 500 hommes et 20 000 véhicules (dont 3 000 canons, 1 500 chars et 5 000 véhicules blindés) mis à terre dans les premières 48 heures de l'invasion.  Au jour J (D day), Eisenhower commandera une force sans égale dans l'histoire : 37 divisions, qui seront rejointes par 50 autres venant directement des États-Unis ; une flotte de guerre s'élevant à 200 unités, additionnée d'une flotille de combat de 500 bateaux divers ; une flotte aérienne de chasse d'appui de 171 escadrilles (3 100 avions).
 

    Au 1er février 1944, lorsqu'est définitivement arrêtée la date du débarquement, il reste 4 mois au général Eisenhower pour prendre les dispositions qui conduiront cette immense masse de manoeuvre, encore en cours de constitution, au succès dans l'accomplissement d'une mission dont dépend le sort du monde.

CHAPITRE VI
LE CONCEPT DE MANŒUVRE

    Dans toute opération offensive, le concept de manoeuvre est la traduction opérationnelle - tactique en quelque sorte -, de la stratégie qui détermine l'objectif politique et militaire ; il dirige toutes les décisions, y compris celle concernant l'assaut initial. Cet assaut, lorsqu'il est amphibie, suscite des contraintes importantes pour le déroulement de la manoeuvre dont il ouvre la porte : aussi prend-il une place majeure dans le concept lui-même et ce sera le cas pour Overlord.
 

    Le concept stratégique - dont l'assaut amphibie est l'ouverture - peut se formuler ainsi : débarquer en Normandie, monter en puissance les ressources nécessaires pour une bataille décisive en Normandie-Bretagne, poursuivre en France sur un large front ; atteindre la frontière allemande et menacer la Ruhr ; faire jonction avec les forces venant du Midi tout en continuant la montée en puissance des forces à partir des ports en vue de la bataille finale, mener l'offensive sans désemparer avec le maximum de moyens, détruire les forces à l'ouest du Rhin, tout en cherchant à le franchir, lancer une attaque finale. Percer au travers de l'Allemagne suivant une direction alors à définir et nettoyer le reste de l'Allemagne.
 

    Tel est le schéma sur lequel Montgomery va pendant 3 mois monter une planification détaillée, progressivement complétée, modifiée, ajustée et précisée.

CHAPITRE VII
LA PRÉPARATION PROPREMENT DITE DE L'ASSAUT - MOMENT ET
MATÉRIELS DU DÉBARQUEMENT

    Après le lieu, le moment du débarquement est une décision de grande importance. Nombre de facteurs interviennent.

    En Méditerranée la plupart des débarquements de combat avaient eu lieu sous le couvert de l'obscurité de la nuit. Pour Neptune, l'attaque se fait de jour afin de faciliter l'identification des plages, la navigation de l'immense quantité de petites embarcations, et l'observation des objectifs des bombardements aériens et navals. L'horaire des marées intervient largement : Prévoyant un débarquement à l'aube et à marée haute, les allemands, sous l'impulsion de Rommel ont truffé les plages d'obstacles sous-marins invisibles sur lesquels viendront sauter et s'empaler les embarcations et véhicules amphibies.  Les Alliés décident donc, pour tromper les prévisions allemandes et être à même de voir les obstacles, de débarquer à marée basse ou demi-haute. Une autre considération à prendre en compte est la lune ; une pleine lune facilite l'approche aérienne des objectifs des divisions aéroportées qui doivent être larguées quelques heures avant l'assaut amphibie.  En conclusion, il est décidé que l'assaut aura lieu un jour ou la demi-marée haute a lieu 40 minutes après la première lueur du jour ; mais en juin 1944, de tels jour n'existent qu'au nombre de trois : les 5, 6 et 7. Le 17 mai, Eisenhower fixe le jour J au 5 juin avec report aux 6 et 7 juin, en fonction des prévisions météorologiques aux derniers moments.
 

    Le débarquement de Dieppe a appris qu'on ne peut espérer s'emparer d'un port en bon état, or la montée en puissance des forces après l'assaut est une condition indispensable au succès et elle ne peut être assurée uniquement au moyen des plages qui ont servi à l'assaut initial. L'idée est donc venue très vite de créer des ports artificiels avec des matériaux préparés à l'avance sur la côte anglaise et amenés sur la côte française pour y être mis en place. Telle est l'origine du projet très secret des 2 ports Mulberry. Chaque port consiste en des caissons fixés reliés entre eux par des quais flottants, et aux plages par des rampes flottantes. Les éléments sont construits en Angleterre et pourront être tractés par bateaux jusque devant la côte normande pour y être coulés ou fixés au nord de Bayeux. Ces éléments seront amenés à pied d'oeuvre lorsque la tête de pont sera assez élargie pour donner au port une zone de sécurité juste suffisante.
 

Jours

Forces Allemandes en division

Forces Alliées en division

J+1 


 

12 

10

J+3 


 

15 

13

J+7 


 

22 

16

J+10 


 

27 

18

J+20 


 

30 

24

J+35 

37,5

 30

CHAPITRE VIII
LES AIDES AU DÉBARQUEMENT: LA DECEPTION
PREPARATION DES TROUPES ET MATERIELS
L'APPORT DE LA RESISTANCE

    Le terme "déception" qui sera souvent rencontré signifie les actions destinées à décevoir l’adversaire c’est-à-dire à lui donner une idée inexacte de ses intentions, à induire en erreur ses sources de renseignements. En bref, la "déception" consiste à donner à l'adversaire l'idée la plus fausse possible de la réalité qui lui est opposée.

    Au cours de l'année 1943 se sont progressivement intensifiés les bombardements aériens alliés sur le continent afin affaiblir le potentiel industriel allemand. Néanmoins, cette action est lointaine et n'agit pas au profit direct de l'assaut "Neptune". C'est donc dans ce but qu'un plan de déception est établi, lequel a pour objet de laisser Hitler et Rommel dans l'incertitude sur le lieu du futur débarquement: ce plan prévoit la destruction des voies ferrées, viaducs  et un encagement de la zone entre Seine et Loire par la destruction méthodique des ponts sur ces 2 fleuves: 3/4 des ouvrages franchissant la Seine sont détruits au 5 juin.

    Les bombardements, par leur large répartition, contribuent également à entretenir l'incertitude sur la localisation des projets de débarquement ; ils rentrent en fait dans le plan de déception conçu et commencé depuis septembre 1943, appelé "Fortitude". Le plan "Fortitude" a pour objet de créer auprès du commandement allemand l'élément de surprise nécessaire au succès allié, en lui dissimulant la vérité, et en lui faisant croire des informations inexactes. La vérité est difficile à cacher, car la formidable concentration des forces terrestres, aériennes et navales dans et autour des îles Britanniques ne peut échapper à l'observation allemande, même entravée par la maîtrise de l'air alliée presque totale. La dispersion des forces réunies sur la totalité du territoire britannique, rendue nécessaire par leur densité, ne permet guère d'identifier la direction de l'attaque à venir. Cependant, l'activité plus importante des mouvements portuaires du sud-ouest de l'Angleterre a du être camouflée par une activité factice à l'est ; Ce camouflage sera poursuivi jusqu'au débarquement, et même après, afin d'entretenir dans l'esprit du commandement allemand la menace d'un deuxième débarquement:l'imagination des services de renseignement alliés est débordante.

    Le report de mai en juin d'Overlord contribue à la déception. Le très beau temps en mai est favorable à un débarquement. Aussi Von Rundstedt et Rommel mettent de façon répétée les unités en alerte, au point que ces avertissements devenus routiniers sont négligés, et ce d'autant plus que fin mai le temps devient très mauvais ; Rommel ira jusqu'à dire que le débarquement a peu de chance de se produire avant août. Cependant, le commandant allemand, mis en éveil par l'intensification des bombardements alliés et des messages adressés à la Résistance française, avertit début juin que l'invasion pourrait se produire entre le 3 et le 10 juin.

CHAPITRE IX
LA DERNIÈRE PHASE AVANT L'ASSAUT
LA METEOROLOGIE - LA DECISION

    En mai s'achève l'intense préparation directement axée sur Overlord et commencée le 1er janvier. Elle a eu pour objet de réunir en un faisceau étroitement soudé tous les moyens militaire en vue de l'invasion de l'Europe.

    Mongomery insiste sur le caractère résolu et immédiat que Rommel a certainement donné à sa défensive. C'est sur les plages mêmes que Rommel voudra vaincre Overlord, en interdisant toute pénétration, "en empêchant nos chars de toucher terre, et en utilisant les siens le plus vite possible".  A cette tactique, il faut opposer une volonté violente de pénétrer avec les blindés, et de gagner un espace suffisant avant que l'adversaire ne puisse amener des réserves importantes. Les attaquants doivent avoir toute confiance dans le plan offensif, être animés par un esprit agressif, violent et faire preuve d'un optimisme maladif contagieux. C'est l'esprit de croisade, dont Eisenhower donnera le nom au livre qu'il écrira par la suite Cruisade in Europe, qui doit animer les soldats chargés de libérer le continent.
Dans les premiers jours de mai, les unités terrestres sont dirigées vers les zones portuaires face aux forces navales, J, 0, S, G, J, B et L auxquelles elles sont adaptées. Elles sont enfermées dans leurs aires d'embarquement et tenues au secret le plus absolu. Elles n'ont plus aucune communication avec l'extérieur. Elles reçoivent alors leurs missions et sont munies de renseignements écrits et photographiques très précis sur leurs objectifs respectifs. Il en est de même pour les divisions aéroportées britannique et américaines. Cependant un des subordonnés du général émet auprès d’Eisenhower des craintes d'échec : la D.C.A. allemande, forte près de Cherbourg, les inondations et les obstacles peuvent causer des pertes allant jusqu'à 80 % des effectifs engagés.

    Certaines unités reçoivent des missions spéciales. La  compagnie britannique autonome de parachutistes doit s'emparer du pont de Bénouville 7 heures avant le débarquement sur les plages, le bataillon du Royal Ulster Riffes du lieutenant-colonel Otway, largué quatre heures avant l'heure H, à l'est de l'embouchure de l'Orne, doit s'emparer de la batterie de Merville dont les canons de 150 battent les plages. Dans les zones de parachutage est et ouest doivent être larguées peu après minuit des équipes de Path Finder (reconnaissance) pour baliser les zones d'atterrissage des parachutistes et des planeurs. Enfin 3 compagnies de rangers américains ont mission de s'emparer de la pointe du Hoc, un rocher élevé à pic au-dessus de la Manche à 4 km à l'ouest de la plage Omaha et dominé par une batterie côtière battant les 2 plages d'Utah et Omaha. Ces missions spéciales ont fait l'objet depuis plusieurs semaines de répétitions sur maquettes reproduisant aux détails près les objectifs à conquérir.
Le 3 juin au soir tout est donc prêt pour l'assaut aéroporté dans la nuit du 4 au 5 et amphibie le 5 à partir de 6 h 30.
 

CHAPITRE X
LA JOURNÉE DE VEILLE: LE 5 JUIN

    Lorsque le 5 juin à 4 h 15, à l'annonce d'une accalmie de la tempête, Eisenhower fixe J le 6, les mouvements de l'opération Neptune sont déjà commencés. Les convois navals, qui lavaient dû être arrêtés et faire demi-tour en raison du report du jour J, ont repris la mer, en particulier celui destiné à Utah pour lequel le trajet est le plus long.

    Deux sous-marins miniatures ont quitté Portsmouth dès le 3 pour identifier 24 heures à l'avance les plages Sword et Juno, faire surface à l'aube du jour J et guider par des signaux lumineux face au large les convois vers les deux plages étroites et
difficiles à repérer. Le 5 à 1 heure du matin, ils sont prévenus du report de 24 heures. Ils se posent au fond de la mer face à la côte où aucun mouvement d'alerte n'est constaté, et attendent sur place le moment de remplir leur mission le 6 à l'aube.  La machinerie de Neptune-Overlord est lancée. Il reste aux chefs qui l'ont mise en marche à assister à son déroulement, sans pouvoir, avant un certain écoulement de temps, l'influencer. Tout repose initialement sur les exécutants, jusqu'aux plus petits échelons. Toute la journée, par une mer démontée qui fera souffrir du mal de mer les combattants transportés, les convois navals s'acheminent vers la zone "Z" de rendez-vous, vulgairement appelée Picadilly. Les dragueurs de mines nettoient les chenaux d'accès aux cinq plages ; ils découvrent des mines nouvellement posées au sud de l'île de Wight. Les mines causent la première perte, celle du dragueur de mines Osprey, bientôt suivie de celle du destroyer britannique Wrestler. De son P.C., l'amiral Ramsay suit la marche des convois, qui se dirigent vers leurs plages avec un minimum d'erreurs et s'y présenteront avant l'aube. A minuit, il rend compte qu'en dépit de conditions météorologiques défavorables, la flotte de 7 000 bateaux navigue conformément aux plans.

    En l'air, depuis 22 heures des milliers d'avions volent vers le continent : bombardiers achevant l'isolement de la Normandie, transport et escorte des 3 divisions aéroportées, chasseurs bombardiers neutralisant les organisations défensives des plages. Au P.C. de la XVe armée allemande, à Tourcoing, le message adressé par la B.B.C. à la Résistance française - la deuxième partie de la strophe de VVerlaine – a été capté et compris : le débarquement est imminent. L'alerte est donnée ; par suite d'une erreur inexpliquée, elle n'atteint que la XVe armée, et non la VIIe dans la zone de laquelle va avoir lieu le débarquement. Quant au maréchal Rommel, commandant le groupe d'armée "B", tranquillisé par les prévisions météorologiques défavorables à un débarquement pour plusieurs jours, au moment même où Eisenhower prend le 5 au matin la décision d'attaquer le lendemain, il prend la route de l'Allemagne pour fêter un anniversaire familial.

    Au P.C. de la VIIe armée, le général Dollman qui durant mai a tenu ses troupes dans un fatigant et vain état d'alerte, vient de relâcher temporairement les consignes pour donner un repos indispensable. Il a convoqué à Rennes le 6 au matin ses grands subordonnés et les commandants des diverses divisions de la côte normande pour un exercice de réaction à un débarquement. Un des généraux convoqués, parti le soir pour Rennes est mis en éveil sur la route par le ronflement incessant des avions alliés ; il fait demi-tour dans la nuit: à l'entrée de son P.C. il est tué d'une rafale de mitraillette par des parachutistes américains qui viennent d'atterrir. En effet, quelques minutes après minuit, Overlord a commencé.

CHAPITRE XI
6 JUIN 1944, JOUR J
L'ASSAUT

Minuit : l'assaut aéroporté

    A l'est de l'embouchure de l'Orne, à 0 h 20, 6 planeurs se posent et les hommes qu'ils transportent se saisissent immédiatement des 2 ponts sur le canal et sur l'Orne de Bénouville. La défense antiaérienne quoique très dense se montre moins efficace que ne le craignait le général Leigh-Mallory ; des 805 avions de transport qui survolent le Cotentin, 20 seulement sont perdus ; à l'aube le général Taylor regroupe 1100 parachutistes sur 6600. 24 heures après il n'en aura encore auprès de lui que 3000.

    L'armada alliée approche Vers 2 heures du matin, l'alerte est donnée à la défense côtière allemande. Celle-ci ne mettra néanmoins aucune patrouille supplémentaire à la mer, les circonstances atmosphériques étant considérées trop défavorables pour un débarquement. Et pourtant l'armada alliée approche. Une force, celle de Utah, en avance sur son horaire, grosse de 1000 bateaux portant 30000 hommes et 3500 véhicules est, à 2 heures, à 15 km au large de son objectif, la plage de Saint-Martin-de-Vareville. Les bombardiers de nuit passent, à partir de minuit, au-dessus des forces navales d'assaut. Cependant les nuages gênent l'observation et les tirs ; les défenses allemandes sont moins détruites que prévu. Ceci explique la dure résistance que vont rencontrer les groupes d'assaut, en dépit de la relative surprise des soldats allemands en voyant brutalement émerger du brouillard à quelques centaines de mètres devant eux une flotte pour eux inimaginable par son importance et sa nature.  Le commandement allemand est également surpris par les comptes rendus qui, dans la matinée, vont lui parvenir des unités engagées sur la côte : surveillance côtière et radars ont été aveuglés et ne l'ont pas averti de l'approche, inaperçue, de milliers de bateaux alliés.  Entre 1 heure à 4 heures, alors que l'armada approche des côtes et que les bombardiers alliés sillonnent le ciel, 9 installations radars seulement et 18 des 92 stations radios existantes sont en état de fonctionnement. Le rapport matinal quotidien de la VIIe armée, à 6 h 45, après avoir indiqué les assauts aéroportés d'envergure de la nuit vers l'Orne et le sud Cotentin se termine par cette phrase : "La reconnaissance aérienne et navale à l'aube n'a saisi aucune nouvelle information." Depuis 15 minutes, les débarquements ont commencé à Utah et Omaha.

    Face à ces deux plages, à partir de 2 heures les navires alliés ont stoppé. Les hommes descendent des bateaux dans les chaloupes de débarquement à fond plat; les péniches spéciales, les véhicules amphibies approchent : la première vague doit toucher les plages d'Utah et d'Omaha à 6 h 30. les gradés allemands contemplent ahuris des centaines de navires de toutes tailles, et même des chars et des véhicules marchant sur l'eau. Tous se mettent dans leurs emplacements de tir. Sur les 5 plages, tout est en place pour que s'engage le dur affrontement des hommes. C'est à Utah et Omaha que les combats s'engagent les premiers.

    L'assaut amphibie à Utah et Omaha A Utah la première vague atteint la plage à 6 h 30 exactement. Sur l'ensemble de la plage, la résistance est relativement faible ; les chars amphibies l'abordent et la nettoient avec les fantassins qu'ils appuient. La jonction est réalisée avant 13 heures avec les parachutistes de la 101e Airborne Division, près de Saint-Martin-de-Vareville. Avant midi, un message, peut être plus optimiste que la réalité, informe le général Bradley à bord du croiseur Augusta que le débarquement se poursuit à Utah dans de bonnes conditions "Plages nettoyées, routes en construction, peu d'opposition..."

    Les informations reçues de Omaha sont moins satisfaisantes. La mise à l'eau des embarcations et des véhicules amphibies vers 3 heures du matin à près de 18 km du rivage dans une mer grosse est très difficile.  Un des deux bataillons de chars amphibies décide de ne pas mettre à l'eau et de pousser les porte-chars jusqu'aux plages. L'autre met ses chars à l'eau, peut-être trop loin dans une mer démontée, et 2 seulement sur 29 atteindront la plage. Sur les plages de Vierville et Saint-Laurent l'engagement est immédiatement très dur. Les chalands et les soldats encore à la mer sont pris sous le feu des divisions allemandes : la mer monte, laissant aux fantassins américains, en nombre croissant dû à l'arrivée des vagues suivantes, un espace de plus en plus étroit battu par les tirs allemands. Difficilement appuyées par l'artillerie navale en raison de l'étroitesse du contact avec les résistances allemandes, les unités américaines subissent des pertes. Jusqu'à midi, la situation reste critique - sur l'Augusta, le général Bradley sennt avec anxiété venir le moment où devra être envisagé de rembarquer.
 

La pointe du Hoc

    A mi-distance entre Omaha et Utah, la pointe du Hoc domine la mer de sa falaise verticale. Elle est couronnée par une batterie sous abri bétonné. Il faut s'en emparer pour libérer les plages de la menace qu'elle fait peser sur elles. Telle est la mission confiée à une unité américaine spéciale, le 2ème bataillon de rangers. La pointe du Hoc a fait l'objet, dans les jours précédents, de bombardements massifs et ses canons en ont été retirés et braqués vers l'Ouest. La position, au sommet de la falaise, reste cependant importante, et dure à conquérir. A partir de 7 heures les rangers y accèdent avec des échelles de pompiers installées sur des chalands ; ils lancent, par fusils, des grappins et des cordes pendant que l'artillerie navale les appuient au plus près. Toute la journée et le lendemain encore, ils devront repousser des contre-attaques allemandes. Pendant deux jours, se livre sur cette pointe de rocher un combat homérique.

L'assaut amphibie à Gold, Juno et Sword

    Accompagnées et appuyées au plus près par des chars fléaux et les chars amphibies qui par endroits précèdent l'infanterie, les brigades britanniques prennent pied à 7 h 30 à la Rivière et au Hamel, détruisant progressivement blockhaus et obstacles allemands. Le combat est dur pour les hommes qui retrouvent la terre ferme.  Ils débarquent dans l'eau, éprouvés par le mal de mer provoqué par une houle particulièrement forte sur cette côte. Les chars amphibies ne sont mis à l'eau qu'à 600 m en mer et gagnent la plage en nageant : d'autres sont débarqués sur les plages mêmes, tant la mer est houleuse. En raison du retard initial et de la poursuite selon l'horaire exact des débarquements suivants, un certain engorgement se produit sur les plages.

    Le bilan de la journée du 6 juin Ainsi se termine le premier jour du retour allié sur le continent, 4 ans après l'évacuation de Dunkerque. D'ores et déjà les Alliés ont une prise sur le continent: Ont débarqué par mer 132 715 hommes. S'y ajoutent 15 000 Américains et 7 000 Britanniques jetés à terre au sein du dispositif adverse par 2 395 avions et 867 planeurs. Ainsi, en dépit du mur de l'Atlantique, plus de 156 000 hommes foulent le soi de France après le premier jour de campagne. Les pertes éprouvées sont de l'ordre de 2 500 tués et 9 000 blessés, sans compter 1 millier de disparus dont un certain nombre sera retrouvé les jours suivants.
 

CHAPITRE XII
L'ÉLARGISSEMENT DE LA TÊTE DE PONT
(J + 1 à J + 12 [7 au 18 juin 1944])

    Le soir du 6 juin, jour J, la bataille de Normandie est commencée ; il apparaît qu'elle sera dure. Une tête de pont est établie : elle devra être élargie. C'est alors la percée et l'exploitation qui se terminera le 20 août par la fermeture de la poche de Falaise, fin de la bataille de Normandie - la route est alors ouverte vers la Seeine, Paris, qui sera libéré le 25 août, le nord et l'est de la France. Pendant ces deux mois, les Alliés grignotent la défense allemande, qui s'épuise, sans espoir de les repousser à la mer.

    La Ille armée canadienne arrivé le jour J aux portes de Bayeux y entre et libère la première ville française dès le 7 juin. Sur la côte, Britanniques et Canadiens font leur jonction et constituent ainsi une solide tête de pont longue de 30 km sur 10 à 15 km de profondeur. Le 7 juin, Eisenhower examine avec Montgomery et Bradley la situation. La situation à Omaha reste la plus soucieuse mais va bientôt s'améliorer, les Allemands n'ayant pour le moment pas de réserve à engager au centre en renfort de la 352e division usée par le combat du jour J. La jonction à Port-en-Bessin à l'est est faite avec les Britanniques. Le soir du 8 juin la tête de pont américaine d'Omaha a près de 10 km de profondeur et est réunie à la tête de pont britannique. Eisenhower et Bradley décident de tenter de réunir les têtes de pont de Utah et Omaha avant de chercher la capture de Cherbourg.

    Dans le Cotentin, aéroportés et débarqués continuent de se regrouper dans une tête de pont atteignant le 7 juin au soir 15 km sur 15 km, mais restant isolée. Au 12 juin (J + 6) soir, dans la tête de pont ont débarqué 16 divisions avec 326 547 hommes, accompagnés de 54 186 véhicules et 104 428 tonnes de matériels 9 américaines, 7 britanniques et canadiennes.

    Ce même 12 juin, Rommel adresse à Hitler un rapport péssimiste résumant la situation : "L'ennemi se renforce sous la protection d'une très forte supériorité aérienne. Notre aviation et notre marine sont incapables de mener une opposition valable. L'ennemi se renforce beaucoup plus vite que n'arrivent nos réserves... L'ennemi a une totale maîtrise de l'air sur la zone des combats, et jusqu'à 100 km en arrière... Notre aviation et notre D.C.A. sont totalement incapables d'interrompre sa puissance de destruction..." Rommel ose demander à Hitler ce qu'il pense des chances de continuer la guerre. La réponse sera "Cette question n'est pas de votre responsabilité mais de la mienne."

    A la date du 18 juin, les deux ports artificiels à Saint-Laurent et Arromanches sont mis en place et vont pouvoir fonctionner. Jusqu'alors les débarquements, faits directement sur les plages, ont été lents. La mise en fonctionnement des deux ports artificiels va dorénavant assurer l'alimentation du champ de bataille à un rythme suffisant pour envisager une action offensive.

CHAPITRE XIII
CONSOLIDATION DE LA TETE DE PONT
(J + 12 à J + 32 [18 juin au 8 juillet 1944])
LES BATAILLES POUR CHERBOURG (25 juin [J + 20])
ET CAEN (8 juillet [J + 32])

    Le 19 juin (J + 12) une tempête ravage les deux ports artificiels juste terminés et mis à l'abri des feux terrestres par l'éloignement de la ligne des contacts. Le port de la zone américaine face à Saint Laurent est endommagé à un point tel que la réparation n'en est pas possible. Celui en zone britannique à Arromanches fonctionnera à nouveau après réparation. Pendant quelques jours les débarquements se trouvent profondément ralentis.

    La remise en état des installations portuaires de Cherbourg commence aussitôt après la libération de la ville. Le premier bateau entrera dans le port de Cherbourg le 17 juillet.Avec Cherbourg aux mains des Alliés, l'élimination de la tête de pont ne sera plus possible. La marche prudente de Montgomery sur Caen et le sud de Caen parut à certains trop lente, en particulier aux aviateurs qui estimaient la saisie des terrains propres à installer des pistes un objectif essentiel alors que des coups de boutoir successifs et attirant les réserves allemandes paraissaient à Montgomery un excellent moyen pour déséquilibrer la défense allemande et favoriser une percée ailleurs.

    Au moment où Le général allemand Dollman, atteint d'embolie, meurt le 29 juin, les deux maréchaux Von Rundstedt et Rommel, sont à Berchtesgaden où Hitler les a convoqués : Le bilan fin juin des pertes allemandes s'élève à plus de 50 000 prisonniers. Les 7 Panzerdivisions engagées ont perdu plus de 300 chars. Le 7 juillet au soir, premier cas d'appui aérien tactique par les forces stratégiques, Lancaster et Halifax du général Harris larguent sur les faubourgs nord de Caen 2 500 tonnes de bombes. Le 8 juillet matin la convergence des 3e divisions canadienne et britannique permet d'occuper le nord de Caen, alors que les Allemands des 12e S.S. Panzerdivision et 272e division réussissent à se maintenir dans la partie de la ville située au sud de l'Orne.

    Capture de Cherbourg et occupation du nord du Cotentin les 26 et 30 juin, saisie de la partie nord de Caen le 8 juillet, marquent la conquête des objectifs fixés initialement à Overlord et la fin de la consolidation de la tête de pont. Derrière la ligne maintenant ininterrompue du cap Carteret à Caen va se poursuivre la montée en puissance en vue de l'offensive vers l'intérieur de la France.

CHAPITRE XIV
LA MONTÉE EN PUISSANCE ET LA PERCÉE (J + 32 à J + 55 [8 au 31 juillet 1944])
OFFENSIVE "COBRA" (25 juillet)

    Début juillet, force est de constater que si Caen est enfin entre les mains des Alliés, ses débouchés sud sont encore tenus solidement par le Panzergroupwest d'Eberbach. Aussi Montgomery prépare-t-il une nouvelle opération pour encercler et faire tomber Caen par l'est à partir de la "tête de pont des aéroportés", constituée dès le jour J.
 

    Bradley a prévu de prendre l'offensive, dénommée Cobra, le 20 juillet, grâce aux renforcements débarqués.  Mais la dislocation des ports artificiels de Saint-Laurent et Arromanches oblige à continuer les débarquements par les plages. En dépit de ces ralentissements, grâce en particulier à une utilisation intensive des plages Utah et Omaha, les Alliés réussissent en 7 semaines à mettre à terre 36 divisions, plus un grand nombre d'unités de support et d'appui, aériennes et terrestres soit : 1 566 000 hommes, 332 000 véhicules et 1 500 000 tonnes de matériel et munitions.
 

    Bradley prévoit de lancer Cobra le 20 juillet. Le débouché de l'opération est un succès : Aussitôt après le 28 juillet, l'offensive Cobra prend une ampleur inespérée lors de son déclenchement le 25. La 4e division blindée U.S. pousse audacieusement dans le trou ouvert à Coutances ; le 30 juillet au soir elle atteint Avranches, à 50 km plus au sud ; elle réussit à se saisir du pont de Pontaubault qui ouvre la route de Bretagne et de la Loire de Nantes. La percée est faite.  La dernière phase de la bataille de Normandie commence, celle de l'exploitation de la percée réalisée par la 11e armée américaine à Avranches.

CHAPITRE XV
L'EXPLOITATION DE LA PERCÉE
CONTRE-ATTAQUE ALLEMANDE DE MORTAIN (7 août)
DESTRUCTION DE L'ARMÉE ALLEMANDE
DANS LA POCHE DE FALAISE (15 au 20 août)
FIN DE LA BATAILLE DE NORMANDIE

    Si à la mi-juillet, la situation n'avait pas paru au commandement allié correspondre aux espoirs que lui avait donnés la réussite du débarquement, elle paraissait au commandement allemand très dangereuse. Rommel dans un rapport destiné à Hitler est pessimiste ; il écrit : "Dans un délai mesurable, l'ennemi réussira à percer notre front très mince, en particulier celui de la VIIe armée, et à pénétrer profondément en France ... A mon avis, il convient de tirer la conclusion de cette situation."

    Ce rapport est transmis le 22 juillet à Hitler par von Kluge qui y joint une communication personnelle : "Je suis arrivé ici avec la détermination de mettre en oeuvre votre ordre de tenir à tout prix. Mais lorsque l'expérience a montré que ce prix peut être la totale annihilation, lente mais certaine, des forces, l'anxiété pour l'avenir immédiat du front est trop justifiée... En dépit des intenses efforts, le moment est venu où ce front trop tendu va craquer..."  Les préparatifs de von Kluge pour rameuter ses blindés vers Mortain ne passent pas inaperçus ; le 7 août à l'aube, la 47e Panzerkorps qui réunit tous les blindés que von Kluge a pu rassembler attaque. La 2e S.S. Panzerdivision reprend Mortain mais ne va guère au-delà : Les chars manquent d'infanterie pour tenir le terrain. Le recul s'imposera et Mortain sera repris par les Américains.

    Bradley, alerté à partir du 5 par les préparatifs de von Kluge pour réunir les blindés prélevés sur le front nord en vue d'attaquer Mortain, fait part à Eisenhower des dangers pesant sur les arrières de Patton et sur les difficultés de ravitaillement en carburant et munitions des 4 corps aventurés au-delà d'Avranches, pour déborder les armées allemandes par le sud. Le 8 août Eisenhower lui prescrit de poursuivre les mouvements sans souci ; il s'engage à ravitailler Patton par air si les forces allemandes réussissaient à couper le cordon ombilical de la 111e armée à Avranches.  Dès lors, le sort des VIIe et VIe armées allemandes est scellé.  Le dénouement exigera une mélée inextricable de 12 jours.
 

    L'ouverture vers l'est de la poche dans laquelle sont enfermés les VIe et VIIe armées allemandes n'est plus que de 20 km. La poche elle-même se rétrécit tous les jours sous les attaques des divisions américaines, canadiennes et britanniques et sous les bombardements aériens incessants. Mais la résistance des divisions allemandes est admirable : soldats et chefs font preuve d'un courage qui mériterait un meilleur sort.  Mais cette véritable tenaille devient une fournaise, véritable "chaudron" d'où essaient de s'extirper des unités allemandes, sans leur matériel. Le corridor est refermé le 19 juillet par la jonction à Trun et Chambois des Canadiens et Polonais venus de Falaise et des Américains et des Français du 15e corps venus du sud.  Le 20 réussiront encore à s'échapper des isolés, à la faveur d'une contre-attaque menée de l'extérieur par des éléments de la 2e et 9e S.S. Panzerdivisions évacués de la poche le 17 août.  Ils sauvèrent leurs blindés et laissèrent la masse de leurs fantassins à leur sort, ce qui fut l'objet de commentaires amers de la part de ces derniers lorsqu'ils tombèrent entre les mains des alliés.

    Le 16 août la IIIe armée U.S. est déchargée de toute mission à l'égard de la poche et relevée par des éléments de la 1ère armée U.S. Elle lance tous ses corps d'armée en exploration dans le terrain ouvert vers la Seine. Orléans est atteint le 17 août, Fontainebleau le 20. Ainsi le 20 août (J + 75) s'achève la bataille de Normandie.

Conclusion
Bilan humain et stratégique

    Gagner la bataille de l'Atlantique était indispensable pour que soient amenés sur le sol anglais deux millions d'hommes... Les Alliés, et surtout les Anglais sur leur île au bord du continent étaient comme un chasseur qui n'a qu'une cartouche dans son fusil: il doit frapper à mort. Si le débarquement était rejeté à la mer, la reconstitution d'une nouvelle force aurait donné à Hitler le délai voulu pour produire des armes secrètes et peut-être nucléaires.

BILAN HUMAIN

    L'étendue de la défaite allemande est, humainement et matériellement, considérable. En Normandie, il n'y a ni reddition, ni capitulation : Une quarantaine de divisions ont été engagées ; de tout cela n'ont survécu que des scories. Aussi le coût de la bataille est-il du même ordre que celui des poches immenses du front de l'est : 450 000 hommes dont 200 000 tués, et en matériel : 1 500 chars, 2 000 canons et 20 000 véhicules détruits. Les pertes en généraux sont très fortes, bien que certains officiers aient réussi à se dégager de la poche avec quelques centaines d'hommes ; aussi on dénombre près de 20 commandants d'armées tués ou prisonniers, 3 commandants blessés (dont le général Rommel) et plus de 35 divisions hors-d'état.

    Un autre aspect est propre au cas particulier constitué par la bataille consécutive à un débarquement : La force débarquée livre bataille immédiatement et en quelque sorte à partir de 0, sans disposer d'espace. La création de l'espace demande un temps qui permet à l'adversaire d'amener des renforts à un rythme au moins aussi rapide, sinon plus, que celui du débarquement. C'est ce qui se produisit avec l'arrivée des renforts blindés du centre de la France et la venue de renforts d'infanterie de Bretagne. Les gaz ne furent pas employés : Hitler renonça en effet à user des gaz dont il disposait en larges stocks parce qu'il en avait lui-même souffert durant la Première Guerre mondiale, ont dit certains.
 
 

NORMANDIE: VICTOIRE STRATÉGIQUE DU CONFLIT

    La bataille de Normandie s'est ainsi close. Elle a commencé par un exploit sans pareil dans l'histoire et s'est poursuivie par un combat difficile occasionnant quelques retards sur les prévisions.  Elle s'achève avec 15 jours d'avance (J + 75 au lieu de J + 90) sur les prévisions d'Eisenhower, et une perspective ouverte sur la pénétration au cœur de l'Allemagne. Cette bataille est la victoire stratégique décisive et essentielle du deuxième conflit mondial.  Seul un débarquement en Europe pouvait permettre de rétablir l'équilibre mondial ; il fallait offensivement porter le fer au cœur de l'Allemagne, là où était né le totalitarisme nazi : Entreprise périlleuse, condition de la libération de l'Europe, de la fin du conflit et des holocaustes, Overlord devait réussir du premier coup : ce fut le cas.