Août 2003
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La fracture des mots



Dimanche 3 août


C'est arrivé sans prévenir, du jour au lendemain. Tout d'un coup une impression de déséquilibre, de vulnérabilité, de transparence excessive. Mes mots, ceux qui s'égrennent habituellement ici, se sont sentis trop seuls.


Au delà de leur brouhaha, brusquement, un silence venu d'ailleurs devenait assourdissant. Ils se sont inquiétés, embrouillés, égarés. Alors je les ai effacés, puis j'ai recommencé à les aligner dans un ordre différent, pour tenter d'en faire émerger de nouvelles idées. Mais ils se sont trouvés à nouveau dans une impasse. J'ai laissé tout ça de coté.


Je suis revenu le lendemain, plein d'idées à écrire. Les idées sont venues mais elles ne me convenaient pas, je n'avais pas envie de les montrer. Ou peur. Ou un peu des deux. Je ne savais plus que faire de ces paquets de phrases. J'ai tout gardé.


Quelque chose n'allait plus dans mon écriture. Je ne trouvais plus le ton juste. Trop, ou pas assez sincère? Dire ou taire? Tout s'est bloqué. Ce n'était pas grave, j'aurais du attendre... mais je n'avançais plus. Les idées tournaient en sarabande dans ma tête


Alors j'ai cherché dans toutes les directions... avec d'autres mots. N'est-ce pas comme ça que j'ai toujours procédé pour me comprendre, pour me sortir des situations complexes?


Mais cette fois ça ne fonctionnait plus. La recherche des mots ne faisait que semer davantage la confusion dans ce qu'ils voulaient dire. Perdu, désemparé, fragilisé, j'ai tenté de les lancer vers l'ailleurs... Avec prudence, avec des sourires et de la confiance... car je craignais leur pouvoir caché.


Ce que je voulais éviter se produisit pourtant, bien pire que les plus noirs cauchemars que je n'ai jamais imaginé. Un cataclysme à coup de mots échangés. Ils fusaient, se répondaient, piquaient, mordaient, blessaient, déchiraient... mais n'ont rien expliqué.


Les mots ne permettaient plus de se comprendre. Au contraire ils embrouillaient tout, gonflaient, se dilataient, se déformaient dans des grimaces hideuses et grossières.


Ces mots, autrefois précieux alliés, partenaires qui s'entraidaient à se soutenir les uns aux autres dans un ordre précis, devenaient ennemis qui se repoussent. Blessés, ils blessaient en retour. Les mots qui servaient à construire sont devenus des mots qui cassent.


En peu de temps, non contents de semer la confusion, se perdre et se mélanger avec les idées qu'ils auraient du véhiculer, ils ont dévasté ce qu'ils avaient patiemment construit auparavant. A n'y rien comprendre.


Pourtant... c'est comme si tout était en germe. Une prémonition. Car dans les mots perdus qui avaient précédé cette fracture, il y avait ceux ci:

«Je dois aussi...
Accepter des différences que je ne comprends pas.
Accepter de ne pas comprendre ces différences.»

Quelques jours plus tard ils résonnent bizarrement, bien loin dans l'ailleurs... Triste doulceur


Alors depuis... mes mots n'osent plus se montrer. Ils sortent à l'écart, loin du monde, s'assemblent en files interminables, s'enchainent, se complètent... et permettent à nouveau de comprendre. De me comprendre... un peu tard, comme toujours. Car ils ne peuvent servir qu'à ça.


Ensemble ils se cachent, hésitent, ne savent plus s'ils sont utiles ou inutiles. Dans le doute... se font discrets. Se font silence.


Ailleurs, d'autres mots, ceux qui manquaient, sortent du silence... c'est ainsi.





Comprendre



Lundi 4 août [nuit]


«Accepter de ne pas comprendre», avais-je écrit sur mon journal "off" il y a quelques jours.

Mais pour accepter... il me faut d'abord comprendre.
C'est ainsi que je fonctionne depuis des années, et c'est en comprenant que j'avance. Car tout a une explication, pour peu qu'on la cherche.


Maintenant, j'ai compris pourquoi je ne comprendrai jamais.


Et c'est bien suffisant...




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Lundi 4 août [matin]


Bon... je suis un grand garçon. Je ne vais quand même pas me laisser anéantir pendant trop longtemps. Quelques jours d'émotions fortes, de grosse tristesse (restons pudique...), d'une confiance ébranlée... et le moral revient.
Après tout, il n'y a rien de cassé. Du moins rien qui ne soit réparable. C'est juste une question de temps. Et puis de compréhension aussi. Car pour moi c'est très important de comprendre le pourquoi des choses.


Alors j'ai réfléchi


Qu'ai-je fait qu'il ne fallait pas faire? Qu'ai-je dit qu'il aurait fallu taire? Qu'est-ce qui a pu toucher la sensibilité de mon amie au point de réveiller une telle colère?

J'ai trouvé certaines choses, en ai mesuré l'importance, ai cherché les raisons qui m'y avaient conduit. J'ai vu aussi ce que je ne pouvais pas éviter, ce qui fait partie de moi, ce qu'il est normal que j'exprime. J'ai accepté ma part de responsabilité. Au delà... je ne peux pas aller.

J'ai cherché à comprendre les raisons de ce qui s'est passé entre nous. Certaines me sont à jamais inaccessibles, et peut-être le sont-elle aussi pour mon amie. Mais j'en ai trouvé quelques unes qui, finalement, m'on satisfait.

J'ai surtout compris une chose essentielle, qui concerne la dualité des personnages. Et que cette dualité s'exprime parfois fort différement chez chacun d'entre nous. Je ne suis pas obligé d'accepter quelqu'un que je n'aime pas, qui me fait du mal.

Alors quand ce personnage, cette ombre, ce double, prend la place de quelqu'un que j'aime... et bien je n'ai plus qu'à m'en protéger. Et attendre que la personne que j'aime réinvestisse ce corps et cet esprit. Simple question de temps et de confiance.

C'est ce que j'ai compris hier et qui m'a instantanément rassuré. Mon amie est en exil et quelqu'un d'autre à pris sa place. Elles se ressemblent comme des jumelles mais sont pour moi soeurs ennemies. Je n'ai rien de commun avec l'une d'elle et ne veut rien avoir à faire avec elle.

Il ne me reste plus qu'à être vigilant et attentif pour fuir impérativement le contact de celle que je n'aimerai jamais. Et que personne n'aimera jamais, je pense.



Un corps pour deux, un coeur pour deux... c'est un peu étroit. Lorsque l'une prend la place, l'autre s'efface. L'une se nourrit de douceur, de rire, de partage. C'est ce qui lui donne sa force, et la fait rayonner de toute la beauté de son âme.
L'autre est tapie dans l'ombre et se hérisse de pointes à la moindre sollicitation. Elle est la gardienne jalouse des fragilités enfouies et mystérieuses. Elle gronde, pique et mord d'autant plus qu'on la nourrit.

Pour laisser à l'une toute la place de s'épanouir, se magnifier, être capable de donner son meilleur, il suffit de ne jamais nourrir l'autre. Et si cette autre a déjà été nourrie et a pris de la place, s'armer d'un solide bouclier et tenter de voir si la première a encore assez de force pour être ranimée... ou laisser tomber s'il est déjà trop tard. Attendre des jours meilleurs.

Car rester c'est prendre de très gros risques: donner de la force à cette part sombre qui enflera et eclipsera la part lumineuse d'autant plus fort et plus durablement qu'elle aura été nourrie. Fuir, c'est protéger mon amie d'elle-même.

Fuir, fuir au plus vite, c'est me protéger avant qu'elle ne réveille mon ombre à moi. Mon autre moi, ce Moloch qui va prendre toute la place et me faire partager sa souffrance.

C'est aussi de lui que je dois protéger mon amie, car c'est parfois lui qui réveille, ou stimule son ombre à elle. Surtout lorsqu'elle est fatiguée, stressée, sans que je n'y sois pour rien.

Notre confiance en notre relation, notre conscience de sa précieuse valeur, c'est notre plus grande force. Celle qui nous permet de résister aux blessures que s'infligent Moloch et celle que j'appellerai désormais "Fatalie". Nous devons apprendre à nous protéger d'eux, qui sont parfois les plus forts (très très forts!). Et qui nous rendent témoins et victimes pantelantes de leur acharnement stupide à se mécomprendre.

Mon amie me le disais ce jour là: «on dirait qu'on ne parle plus le même langage». Elle avait raison. Deux inconnus sans aucun point communs ne peuvent se comprendre. Moloch et Fatalie ne se connaissent pas et ne peuvent se comprendre. Seulement se détruire mutuellement.


Et ils pourraient, dans un accés de démence, nous faire prendre des décisions que nous ne pourrions que déplorer ensuite...

Gardons-nous de les mettre en contact... et nous vaincrons!


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Fort de cette compréhension, mon calvaire s'est adouci, apaisé... J'ai même pu discuter et rire avec une amie, dire ce que j'avais sur le coeur. Comme je l'avais fait la veille avec une autre amie qui partage parfois des soucis similaires. Je ne me suis pas senti seul... bien que ma si proche amie se soit réfugiée dans le silence à mon égard.

J'ai aussi reçu des mots encourageants de lectrices habituellement silencieuse, ainsi qu'un texte plein d'enseignements. J'en ai été touché. Ce petit monde d'internet est loin d'être froid et distant (je le savais, mais en avoir des preuves fait du bien au coeur).


Et ce matin, je me suis réveillé serein. Je savais que mon amie, même si elle devait rester longtemps dans un silence semi-transparent (je me préparais déjà à devoir patienter les trente et un jours du mois d'aôut...), serait toujours là. Ma confiance en elle était intacte, car tant de mots anciens de sa part m'en avaient assuré (hmmm douceur des mots-souvenirs...).

Aussi, ai-je presque été surpris de recevoir un message de sa part ce matin...

Il suffit souvent de ne plus attendre pour voir les souhaits s'exaucer.




Crache! Mais crache le morceau!!!



Mardi 5 août


J'avais remarqué que je mangeais peu depuis quelques temps. Bon, c'est souvent le cas lorsqu'il fait chaud... mais là ça me surprenait un peu. J'étais rassasié très vite (beurp... plus faim!).
Le phénomène s'est accentué depuis ces tout derniers jours. Là c'était clair, c'est ce qu'on appelle "avoir l'estomac noué". Je n'avais connu ça que lors de jours de fort stress, et ça n'avais jamais duré au delà du repas qui précédait la source dudit stress.

Bon... pas besoin d'être grand clerc pour comprendre l'origine de mon anxiété des derniers jours. Et quand je dis anxiété... c'est un euphémisme. C'était carrément un cocktail de déprime, de tristesse, de révolte... et d'angoisse, avec cette impression d'envie de vomir. La "trouille au ventre", expression significative (eh, la trouille que nathalie abandonne, tiens!!!).

Hier matin, avec un pressentiment, je suis allé me peser (boah, si je le fais deux fois par an, c'est bien le maximum tant je suis équipondéré). Houk?! Surprise.... six kilos de perdus! J'ai retrouvé le poids de mes dix-huit ans, avec 70 kilos. Je ne suis pourtant pas particulièrement épais...

Oh la la... c'est quand même bizarre ça. On ne perd pas 6 kilos en trois jours.

Mouais... trois jours seulement? Non non, déjà avant ça n'allait pas très bien. J'étais déjà anxieux. Voyons voir... ouais, je ne parvenais plus à écrire ici. Quelque chose me torturait l'esprit... Je ne savais plus comment écrire ici en pensant à certains regards (au pluriel?).

Hmmm, oui, ça m'a sacrément travaillé cette histoire. C'est même à cause de ça que tout est parti entre nathalie et moi. Je bloquais dans l'écriture et... bon... me manquait quelque chose d'elle et bla bla bla.

Oui oui, j'étais sacrément stressé.

Mais... pourquoi? Pourquoi ce soudain blocage? Pourquoi cette sensation de gêne, de transparence excessive (moi qui n'ai jamais été très secret ici) sont-elles devenues insurmontables. Cherchons...


[là, on dirait que je ferais semblant de chercher, passque en fait je sais très bien où je veux en venir]


Qu'est-ce qui a pu faire que, brutalement, je ne me sente plus libre d'écrire... Quel est le regard qui paralysait mes mots (ou plutôt leur mise en ligne, car les mots sont sortis sans aucun souci, comme d'habitude)?

Hum... j'ai bien une petite idée...


[là on dirait que je ferais comme si y'avait du suspensss...]


Est-ce que ça serait pas, par hasard (je suppose, hein...) le regard de celle avec qui j'ai eu cette énorme incompréhension quelques jours plus tard?

Heu... ouais, je vois pas qui ça pourrait être d'autre.

Bon... on va partir sur cette supposition. Qu'est-ce qui aurait pu me faire craindre son regard? Quelque chose à cacher? Hmmm?


Peut-être... un gros malaise? Peut-être une hyper-méga-contradiction interne dont il aurait été bien difficile de parler?


Celle-là même qui à fait l'objet d'une séance psy 3.5 qui n'a pas été relatée ici?


Cherchons...



[la suite au prochain épisode]










Hé hé, je vous ai bien eus hein?
Hum... un peu de sérieux, le sujet le mérite.

Il faudrait remonter dans les archives et voir ce qui s'est passé assez récemment. Disons... aux alentours du 23 juillet. La mise à jour du soir par exemple (au hasard). Elle était titrée "Eventualité hypothétique". Extrait:
«Sauf que... la lointaine possibilité est devenue depuis quelque jour une "éventuelle et hypothétique possibilité prochaine". Ça ne change pas fondamentalement les choses... mais ça me met face à quelque chose que je pensais bien loin. Ça réveille en moi un mélange d'espoir et d'inquiétude: et si... il devenait possible que je rencontre nathalie, non pas dans son pays, mais qu'elle aie l'opportunité de venir?»

Un mélange d'espoir et d'inquiétude, disais-je. "Inquiétude"... tiens tiens. Se pourrait-il que cette inquiétude se soit démesurément dilatée, au point d'envahir tout un pan de mes pensées? Au point de devenir oppressive? En lisant la suite, je vois (je sais) que j'ai un peu évité le sujet. Je parlais même des tomates vertes, pour faire diversion. Et je pense que je voulais me leurrer moi même (tentative d'auto-persuasion-méthode-coué) en écrivant à plusieurs reprises des phrases comme «J'aurais bien le temps de cogiter, rien n'est décidé».

Ouais, ben justement. Cette incertitude à prolongé mon angoisse (sans que j'en ai conscience alors).
L'angoisse, c'est de me demander comment Charlotte peut réagir à ça. Ben oui... parce que pour la première fois, et bien plus tôt qu'envisagé, j'allais devoir la mettre face à une situation délicate. Et que le risque de blocage n'est pas exclu. Et qu'il me contraindrait alors à faire un choix... qui pourrait-être lourd de conséquences. C'est bien pour cette raison que l'éventualité d'une rencontre était toujours restée lointaine.

Mais c'est pas un choix, c'est un dilemme. Une torture.

Et ça... et bien ça me tord le ventre.

Et voila pourquoi j'ai perdu 6 kilos depuis le 23 juillet.
Et voila pourquoi je n'ai plus pu écrire ici... ce qui, par suite de conséquences, nous a menés à nous déchirer violemment avec nathalie... et n'a rien arrangé coté émotions, stress, angoisse, puisque je n'ai toujours rien compris aux raisons qui l'ont mise en colère.


Mouais... c'était un peu compliqué de remonter jusqu'à à la source du stress. C'est ce que j'ai fait depuis ces jours de silence, sur un journal "off" qui ne sera sans doute jamais mis en ligne (finalement, l'aboutissement de mes réflexions, en condensé, est tout aussi palpitant, non?)


Bon, normalement ça pourrait s'arrêter là... sauf que rien n'est résolu.

Je ne sais toujours pas si nathalie viendra dans quelques semaines. Je n'en ai donc toujours pas parlé à Charlotte (et finalement ne le ferai sans doute pas avant, ni durant, nos vacances... pour ne pas transférer mon inquiétude chez elle).

Et surtout... et bien je viens de prendre le risque, là, sous vos yeux avides... d'informer nathalie de ce que je vis (ce que j'ai justement voulu éviter en rendant ce journal muet...).

Donc le risque... qu'elle renonce à son voyage. Ou du moins à me rencontrer.

Tout le dilemme "tord-ventre" est là: le dire à nathalie et prendre le risque de ne pas la voir (or j'en ai (avais?) trèèèèèèèèèèèèès envie), ou bien ne pas lui dire et... euh... risquer je ne sais quelle complication si on peut se voir. Car les secrets et les gênes se sentent forcément... et que je ne veux pas vivre cette éventuelle rencontre avec cette pression-là. D'ailleurs... les complications se se sont pas faites attendre. Car comme l'a suggéré son ami, il est fort possible que nous ayons fait (inconsciemment) «tout pour saborder cette rencontre», tellement elle nous stressait. Parce qu'évidemment, s'ajoute à tout ça le stress de la rencontre proprement dite.


Ouffffffffff, quelle histoire!

On aurait pas pu faire plus simple? On commençait à bien trouver notre rythme, c'était pas si mal.

Doooonc, maintenant, je fais quoi?

* * *



6h 30 du matin

Voila, mon texte en était là hier après-midi, prévu pour être mis en ligne aujourd'hui (il n'était pas terminé). J'attendais de savoir si je pouvais lancer ça, comptant sur une discussion avec nathalie pour sentir où elle en était. Et en déduire s'il était opportun ou non de mettre en ligne cette "révélation" délicate.

Mais la discussion a été très courte. Nathalie avait choisi de sortir ce soir là... me laissant dans un état de... frustration intense... que j'ai tenté de surmonter tant bien que mal. J'avais pu, dans la journée, retrouver un bon moral et un bel optimisme (texte d'hier) et je me réjouissais (non sans stress...) de la retrouver après le silence qui a suivi notre calamiteuse incompréhension. Mon coeur s'est mis à battre à 120 (j'ai pris mon pouls...) lorsque je l'ai vue se connecter... mais est vite redescendu lorsqu'elle m'a annoncé qu'elle ne resterait pas. Bon... ça fait partie du pacte: liberté. J'accepte.

Notre court échange a été très bizarre. On n'osait pas vraiment se parler, sachant qu'on ne pouvait pas trop aborder ce qui nous avait tellement secoués. Mais on n'avait que ça en tête. J'ai quand même tenté de rester serein en lui montrant que ça allait bien. J'aurais même presque tenté un peu d'humour (pensant que ça lui donnerait le sourire)... mais elle s'est dite triste... et ça m'a déstabilisé. Ouais... ma "bonne humeur" n'était qu'une très très fragile façade.

Bon... une fois qu'elle était partie... je suis resté courageux. Je lui ai écrit un petit mail, lui expliquant ce que je viens d'écrire ici.

En fait... je n'ose plus lui écrire. Je ne sais pas si elle souhaite rester tranquille sans que je ne me manifeste. Ou au contraire que je fasse preuve d'une présence discrète. Ou bien que je lui montre mon attachement...
Je ne sais plus du tout comment agir. Et je ne peux évidemment pas lui demander sans craindre d'être trop présent, envahissant.


Bref... c'est un peu la catastrophe en ce moment. Je ne pense plus qu'à ça. Normalement je devrais me dire: «attends, patience, tout s'arrangera...». Sauf que les jours passent et que je pars jeudi soir pour une quinzaine. Il n'en aurait pas été de même si rien ne pressait. «Et alors... qu'est-ce que quinze jours» me rétorquera t-on (plus cinq!). Ouais... quinze jours si le moral est bon, ça va. Mais quinze jours après une incompréhension qui a installé un silence lourd... ben ça va pas. Ça ne me va pas. Je suis quelqu'un de dialogue, pas de silences. Pas de silence sans dialogue préalable, sans entente mutuelle.



Au dodo vers minuit, je me suis réveillé à... 4h du matin: insomnie (ça ne m'arrive jamais). Une heure plus tard j'allais me lever et Charlotte s'est inquiétée. Faut dire que la veille j'avais laissé sous-entendre que je savais très bien d'où venait cette anxiété qui me nouait l'estomac. Mais je n'en avais rien dit.

On a parlé un peu. Je lui ai dit que j'allais écrire. Puis la question normale: «qu'est-ce qui ne va pas? Tu ne serais pas en train de couver une dépression toi?». Mouais... j'y avais un peu pensé (ça se manifeste comment une dépression?). Je constate bien que quelque chose est en train de me ronger de l'intérieur. Je vis dans la peur. Et là, si c'est ma santé qui commence à être en jeu... ça devient inquiétant. Je ne peux pas me mettre dans des états pareils. Et je ne parle même pas des idées qui... euh... bon, n'en parlons pas.

Ouais, ça va pas du tout! Je ne peux pas continuer comme ça.
Alors je lui ai parlé de cette inquiétude autour du silence de nathalie. Du décompte des jours avant que nous partions en vacances (glup... ne reste que deux soirs pour discuter!) et de mon désir de nous "réconcilier" auparavant. Charlotte m'a donné des conseils en me disant de garder confiance en nathalie, et de la laisser vivre son besoin d'isolement.
Ma confiance est là... mais l'enjeu de cette amitié qui a pris une place considérable dans ma vie fait que... parfois... la peur que notre lien ne se soit devenu tellement suspendu à un fil fragile (tant de silence alors que j'ai tant besoin de parler avec elle) me tord le ventre. J'ai peur de faire un faux-pas, dire ce qu'il ne fallait pas dire, et ne pas dire ce qu'il faudrait dire. Peur de ne pas être assez présent ou l'être trop. Je laisse volontairement beaucoup de silences en ne lui écrivant pas... et j'ai peur qu'ils soient pris pour du détachement...

Et puis... et puis... j'ai tout dit à Charlotte! J'ai craché le morceau. Tout ce que je viens de raconter au sujet de cette éventuelle rencontre, autour de cette terrible anxiété qui me bouffe la vie comme jamais ça ne m'est arrivé. Et le poids de ce secret que le lui cachais... que je cachais à nathalie aussi...

Je l'ai dit et j'ai complètement craqué. Déchiré par les pleurs je lui ai énoncé ce dilemme terrible que je vivais en pensant à ce choix que j'aurais peut-être à faire bientôt: rencontrer nathalie ou devoir y renoncer.

Et en lui disant ça, tout s'est éclairé. Ne serait-ce que par la sincérité émotionnelle de mes sentiments. Je lui ai répété à quel point je l'aime (Charlotte) et que ma vie est avec elle. Elle a bien mesuré la souffrance que je vivais en voulant la protéger absolument des conséquences de la très belle relation que je vis avec nathalie.

Il m'a semblé alors limpide que ma façon d'aimer nathalie et l'amour que je ressens pour Charlotte n'ont "rien" de commun. Je l'ai assuré qu'elle restait bien la "femme de ma vie", que c'est avec elle et uniquement avec elle que j'entendais poursuivre ce chemin d'amour.

Mais que ce que je ressens pour nathalie est d'une autre nature, d'une très grande force, et que la peur que nous ayons endommagé ce lien si précieux me minait totalement. nathalie est quelqu'un qui compte extraordinairement dans ma vie. C'est "l'amie de ma vie".

Je sais maintenant ce qu'est ce [pas de mot existant] que j'ai souvent évoqué. Je le vis à l'intérieur de moi. Il m'aura fallu passer par ce moment de déchirement entre ces deux femmes que j'aime pour que je comprenne la nature exacte des sentiments que je ressens envers nathalie. Et je n'ai pas besoin de les définir. C'est là, en moi, et c'est ce qui compte.

Je sais aussi que j'ai eu raison de suivre ma voix intérieure en parlant de tout ça à Charlotte. J'aurais dû la suivre plus tôt d'ailleurs, comme je l'avais envisagé. Charlotte est capable de comprendre ce genre de choses. Et elle préfère savoir la nature de mes tourments plutôt que de me voir préoccupé au point que ma santé et ma disponibilité d'esprit en pâtissent (et pourtant, je m'efforce de ne pas me laisser envahir par ça en présence de ma famille).

Je sais aussi qu'il fallait que tout ceci sorte, enfin (après de multiples tentatives avortées), et que nathalie sache ce qu'il en est pour moi. Et qu'elle comprenne l'origine de ce qui nous a si fortement secoués.
Le message passe par l'intermédiaire de ce journal, parce que je n'aurais pas pu le faire par mail sans craindre de la déranger (j'aurais eu un ton plus personnel, et j'aurais envahi son intimité). Et puis parce que j'avais envie d'en parler là. Parce que ce journal fait partie de ma vie, et de notre relation. 


Alors maintenant je ne sais pas ce que nathalie décidera. Venir ou pas? Me rencontrer ou pas? J'accepterai les deux, ça ne dépend plus de moi. D'ailleurs... elle a décidé ce voyage sans moi. Sans doute trop tôt dans le déroulement de notre relation. On voit les conséquences directes que cela aura occasionné. Nous n'y étions pas prêts. Pas moi en tout cas.

Ça ne rend pas la chose impossible et mon désir de la rencontrer reste intact... pour peu que nous retrouvions d'ici là notre complicité. Mais je n'aurais plus cette pression d'un délai qui se réduit et m'oppresse. Je ne verrai plus s'approcher cette date (encore hypothétique) avec angoisse en constatant l'état actuel de notre relation... alors que quinze jours de séparation (vacances) vont nous priver de contact. Il ne resterait qu'une seule semaine pour nous "retrouver" avant cette éventuelle rencontre. Trop peu pour renouer ce qui s'est accidentellement délié. Alors voila: je suis prêt à ne pas te voir nathalie. Tu es libre de moi. Tu peux venir en France sans que l'on ne se voie, se touche, s'effleure... comme on en avait tant rêvé.

Peut-être que cette perspective nous a fait peur. Parce que notre relation est trop belle pour qu'on ose prendre le risque de la ternir. Peut-être parce que notre lien est si précieux que nous avons eu peur qu'une rencontre n'y change quelque chose. Une peur d'être déçu? Ou de décevoir? Ou d'aller au bout d'un rêve? Des peurs irraisonnées, inconscientes, inaccessibles? Je n'en sais rien, mais il est fort possible qu'il y ait un peu de tout ça.

En tous les cas, j'ai envie de l'interpréter comme ça. De l'expliquer comme ça. J'ai envie de croire que notre incompréhension s'est produite parce qu'on s'aime trop, d'un amour bien spécial, bien particulier, et qu'on a eu peur de quelque chose. Et qu'au lieu de se réconforter l'un l'autre, de s'encourager, on s'est isolés dans nos peurs personnelles. Ou plutôt que je lui ai trop parlé des miennes, alors qu'elle ne me parlait pas assez des siennes. C'est représentatif de notre façon d'exprimer nos soucis. Elle par le silence, moi par les mots. Contradiction qui fait que nos besoins sont alors radicalement opposés.



Un jour nathalie à écrit: «Mais j'aurais également envie de gueuler bien fort (euh... ou d'écrire en caractère gras!) pour révéler à tout un chacun :
Voyez comme ce genre de lien entre deux personnes peut être extraordinaire!».

Je me demande si ce n'est pas la peur que ce lien extraordinaire ne disparaisse qui a occasionné chacune de nos frictions. De ma part ou de la sienne, chacun l'exprimant à sa façon et en réponse à ce qu'on croyait voir chez l'autre. Moi, la peur que ses silences signifient un éloignement (toujours, toujours cette raison), et elle, la peur que par mon insistance à l'expression ne l'oppresse... et joue dans ce lien de liberté que nous avons. Il nous a fallu des mois pour surmonter bien des pièges... mais nous sommes finalement tombés dans le plus gros: celui du désir de nous rencontrer. La seule chose que nous avions reportée bien loin en sachant toute la complexité qu'elle aurait à se réaliser sans interférences.


Alors voila, aujourd'hui j'ai "craché le morceau". J'ai tout raconté à Charlotte. Je dis tout à nathalie ici même. Et je dis tout à ceux qui me lisent et suivent cette histoire depuis qu'elle à commencé.

Je verrai bien ce que ça donne. Je sais que je dois le faire de cette façon, maintenant. Je suis tout à fait déterminé et réfléchi. Ce soir il est prévu qu'on se téléphone avec nathalie. Elle aura alors lu tout ça....


* * *



Par un message subliminal qui arrive à point nommé (il suffit parfois de si peu)... je sais que nathalie est perdue dans ses propres mots. Et qu'elle en souffre. Et qu'elle sait que j'en souffre. Alors la patience et la confiance m'enveloppent immédiatement, m'évitant de sombrer dans la détresse qui me happe parfois.

Quelques dizaines de ses mots, croisant ceux que j'écris en ce moment. Un souffle d'espoir... savoir qu'elle pense à moi. M'évitant de couler... et de l'entraîner dans mon sillage.

Quelques mots... il n'en faut parfois pas plus...
Ils sont arrivés juste à temps ces mots-là...
J'étais en train de couler.


J'avais besoin de tes mots, car j'ose de moins en moins écrire les miens vers toi. Parfois, j'ai l'impression que chaque mot que j'énonce t'éloigne de moi.

Mais une relation sans mots... alors qu'on ne peut ni se voir ni se toucher... c'est quoi? Ça existe comment?



Peut-être dans le silence de la présence invisible de l'autre... la confiance dans l'absence...
Et dans l'observation attentive du moindre signe, du moindre mot et de tous les sens cachés, mais complices, qui peuvent en émaner.


J'ai retrouvé de la force dans tes mots.



[12h 00. Après multiples relectures et ajouts/retraits, je mets en ligne. De l'autre coté de l'océan, tu dors. J'ai écrit tout au long de ta nuit...
Alea jacta est. Ma santé, physique et mentale, est à ce prix]




Du silence aux silences



Mercredi 6 août


Il y a eu ces quelques mots, tendus vers moi, dans ce langage clair-obscur dont elle savait que moi seul pouvait percevoir la réelle essence. Des mots entre nous, murmurés parmi le monde. Mots-passerelle porteurs de tous les espoirs.

Il y a eu mes aveux nécessaires, lus avec les yeux que j'espérais...

Il n'en fallait pas davantage pour que nos mots retrouvent les chemins qui nous relient l'un à l'autre. Sa parole s'est libérée et son rire s'est exprimé. Alors j'ai pu respirer, enfin. Ooouuuf!

Pourtant je n'avais plus peur, j'étais déjà confiant. Mais... la certitude à meilleur goût sans traces d'inquiétude.

Le silence-distance s'est effacé.

Alors le silence-présence à pu prendre toute la place. Ces silences qui entrecoupent parfois nos voix, lorsque nous entendons l'autre respirer... à 5900 km de distance (et pourtant... on ne respire pas si fort!). Le silence éloquent, celui qui n'a pas besoin des mots.

Mais c'est surtout la parole qui a pris la place. Celle qui répond, se fait écho, complète, précise. On en avait des choses à se dire... même s'il y en beaucoup qu'on a préféré ne pas dire. Pas nécessaire, pas maintenant. Oublier ce qui n'a existé que le temps d'un enfer incompréhensible. L'heure (euh... les 4 heures!) n'était pas aux explications, mais au bien-être de la parole retrouvée et des rires échangés. Bien se dire à nouveau à quel point on tenait à l'autre. Même s'il y a parfois... comme une prudence avant de croire que c'est possible.



* * *



Ce matin, j'ai lu les mots que tu m'as offert, choisis pour nous deux. Oh, si tu savais comme je les ai savourés, par petits bouquets que je cueillais lentement afin d'en bien saisir toutes les nuances... Le bouquet de mots s'assemblait doucement et je sentais mes yeux picoter. C'était tellement juste, tellement "pour nous deux"... que sur une phrase trop belle toute l'émotion contenue s'est libérée. Et ça me faisait du bien de la sentir couler sur mes joues en abondance, venant du plus profond de moi. Ce n'était même pas du bonheur. C'était au delà. Peut-être une joie-tristesse intense? La joie de retrouver ce lien que j'ai eu (parfois) si peur d'avoir perdu.
Il peut exister, entre la tristesse de la perte imaginée et la joie de retrouver, une étonnante ressemblance. La mesure de toute la valeur de ce qui nous relie à l'autre aimé.



* * *



Dans peu de temps je serai plus près de toi que je ne l'ai jamais été. En regardant le soleil se coucher sur l'atlantique, je saurai que tu es juste de l'autre coté, à... seulement 5300 km... (quel optimisme forcené!)

Mais je serai plus distant que je ne l'ai été depuis lontemps, parce que nous ne pourrons plus communiquer. Deux semaines sans contact direct. Deux semaines pendant lesquelles je vais laisser venir en moi LA décision qui m'angoissait tant.

On s'est entendus tous les deux bredouiller et peiner à sortir des mots bien hésitants sur ce qui serait forcément un moment très fort. Un peu comme si nous voulions le garder secret à nous-même... et ne pas trop l'imaginer à l'avance.

Nous avons cependant dit l'indispensable. Désormais chacune des personnes concernées sait exactement ce qu'il en est. Toi tu sais ce que tu désires, malgré le trac prévisible. Il était important que je le sache après ce qui s'est passé. Dans deux semaines... ce sera à moi de choisir.

Je ne suis plus anxieux. Je sais que le choix qui naîtra en moi sera le bon. Celui qui fera que, quelle que soit l'option retenue, je la vive en toute sérénité. Sans regrets, sans inquiétude, sans culpabilité.

Nous savons que c'est la condition indispensable pour vivre harmonieusement ce moment fort. Et je sais que tu accepteras mon choix.


Je vais laisser le temps au temps. Et compter sur l'inspiration que m'apporteront le ciel et les rochers, les vagues et le vent, le silence et l'immensité (oui, il faut au moins ça...). Laisser venir les choses comme elles doivent venir.

Et puis... surtout, écouter beaucoup la parole de Charlotte. Ses inquiétudes, sa tolérance face à des idées un peu... audacieuses, sollicitant très fort la confiance qu'elle a en moi, en elle. Et cette part ancrée très loin dans l'inconscient: le besoin de se sentir exclusif.
La rassurer sur l'amour que je lui porte, nullement amputé ni contrarié par ce sentiment de [pas de mot existant] que j'ai pour toi.

Et c'est parce que je ne ressens pas la moindre part de doute à cet égard que pourrai, je l'espère de tout mon coeur, la convaincre qu'elle n'a rien a craindre de ce que nous vivons toi et moi.





Aurevoirs



Jeudi 7 août


C'est une impression bizarre. Comme si quelque chose se terminait. La parenthèse des vacances me semble souvent marquer un changement de cycle. Probablement parce que, dans mon métier, cette période charnière marque le changement de saison. Dès mon retour je préparerai l'automne, même si l'été sera encore là.

Cet été infernal qui, cette année, nous donne l'impression de vivre en région méditerranéenne. Beau temps sans discontinuer depuis plus de deux mois, 36° depuis plusieurs jours. Du jamais vu. Je ne sais plus ce qu'est la couleur verte de l'herbe. Depuis juin cette teinte paille a envahi tout le paysage. Même les forêts qui s'accrochent sur les pentes sèches et rocailleuses, après avoir montré un drôle d'automne estival, roussissent en zones immenses, chaque jour plus grandes. Des pans entiers de montagne sont devenus bruns et je me demande comment cela se rétablira ensuite.
Il y a là quelque chose de profondément triste et inquiétant. Vraiment inquiétant. Certains spécialistes évoquent ce genre de dérèglement climatique ponctuel comme conséquence directe de ce "réchauffement climatique" dont il est beaucoup question dans les discours... mais contre lequel on ne fait rien puisque "rien n'est sûr". La fuite en avant, toujours... mais jusqu'à quand?

Mon métier, en contact direct avec cette nature si dépendante de la météo, est soumis à des épreuves assez catastrophiques d'une année à l'autre, parfois opposées dans leurs effets. Exactement comme c'est prévu par certains spécialiste.
Parfois je perds courage devant ces aléas imparables qui réduisent à néant des années d'efforts et de patience. Je crois qu'à force ça me mine le moral, de façon insidieuse, imperceptible, mais profonde.


C'est sans doute ce qui explique ma moindre passion pour ce métier*, et me fait consacrer du temps à autre chose. Comme cet énorme travail de découverte de moi qui occupe une grande part de ma vie.


*[Aparté qui n'a rien à voir, mais... alors que j'étais en train de finir ce texte, j'ai répondu longuement au téléphone aux questions d'une journaliste qui me demandait mes conseils "de spécialiste" pour un magazine. Ce n'est pas la première fois que je suis sollicité et on voit même parfois ma binette sur ces journaux. Je ne dis pas que ça ne flatte pas un peu mon égo... mais bon, sans plus. Et curieusement (?) c'est maintenant que je commence à avoir une certaine notoriété que je perds la passion de mon métier... Peut-être que cette (très relative) petite (infime) notoriété à répondu au déficit de confiance que j'avais en moi? Et que maintenant que je sais que mes compétences sont reconnues... je suis tenté par autre chose. Plus en accord avec ce que je ressens être moi. Je n'en ai encore aucune idée, mais... l'écriture a pris une telle place dans ma vie... je sais pas... peut-être un jour quelque chose m'attirera dans cette direction?]


* * *



Hier soir... hmmmm, hier soir... la discussion avec nathalie a été très agréable.

On a commencé bien détendus, plutôt dans la bonne humeur. Je crois qu'on se sentait très bien... encore tout heureux de nous retrouver intacts. Et puis aussi parce qu'un de ces étonnants hasards nous avait rapprochés par delà nos consciences. Oui, même nos inconscients semblent communiquer: on a tous les deux fait un rêve très très semblable. Avec des détails... qui sont de drôles de coïncidences. C'est parfois stupéfiant.

Alors forcément... à ces moments là on se sent vraiment proches. Et comme on savait que c'était notre dernière soirée/nuit ensemble (hé hé, ça fait marrant de dire ça comme ça) avant un peu plus de deux semaines... ben on avait envie de partager ça tout en douceur et complicité [je dis "on" au lieu de "je"... parce que je le ressens vraiment comme des impressions partagées]. Bref, la soirée s'est très bien déroulée. Sauf quelques crampes aux joues... à force de garder ce sourire béat en se regardant (vouais, parfaitement, on se regarde sans mot dire... et c'est très bon).

Puis bon... vous imaginez bien ce que ça peut être. Un homme et une femme qui se plaisent, se sentent très proches, se noient dans des regards croisés... woufff, ça dope les sentiments tout ça. Et nathalie était particulièrement en beauté hier, avec un regard... oOooh ce regard...

Je ne sais pas comment, mais notre conversation à dévié sur la mort, cette séparation définitive de ceux qu'on... aime... euh... (glups, on est masos ou quoi?). On a vite arrêté (beuh... pas drôle!) mais... on avait déjà un peu sollicité nos émotions.

Ah ben c'est malin! Parce qu'ensuite il a fallu qu'on se prépare à la coupure (provisoire, hein!) de contact. Et pis là... ben ç'était pas évident du tout. On a bien tenté de plaisanter... y'avait quand même une boule, là. Moment «aigre-doux» comme disait nathalie. Alors on a pris notre temps, mais sur la fin... ben on a pas trop traîné quand même... Ça devenait un peu (juste un peu?)... hum... émotionnant.

Mouais, ce [pas de mot existant] réserve parfois bien des surprises quand au registre des sentiments qu'il permet.


* * *



Ce matin, il me restait donc dans la tête tout le bonheur de cette soirée et de notre si belle complicité (woufff, ce qu'on se fait du bien parfois!). Et cette pointe de mélancolie, due à l'absence à venir, qui fait jouer des émotions contradictoires. Encore une fois bonheur et (petite) tristesse sont très proches. Je crois que... c'est quand même très doux. Et très "vivant" à l'intérieur de soi.

Mais j'avoue que me suis senti un peu en décalage d'avec Charlotte, toujours prise dans des activités quotidiennes, ou dans son monde de pensées ou d'activités diverses. Je la regardais, ma femme... Je regardais le fond de ces yeux mobiles, insaisissables.. Je songeais à toute cette personnalité encore mystérieuse, aussi riche que ce que je découvre de nathalie. Je cherchais à capter dans son regard une intensité que je ne vois plus que rarement.
Un peu bizarrement, cette femme qui m'aime et me voudrait pour elle exclusivement... n'a pas le même regard que celui que je sens sur moi de la part de celle qui ne m'a jamais voulu en exclusivité. Et moi... je cherche parfois en vain ces échanges d'âme à âme avec elle...

C'est quelque chose de bien mystérieux que le sentiment d'amour...

Et je ne désire pas forcément tout comprendre. Je vis ce que je peux vivre, et le partage avec qui peut le vivre simultanément avec moi. Et c'est très bien ainsi.


* * *



En fin d'après-midi j'ai écrit un dernier court message à nathalie. A peine envoyé elle me répond qu'elle en terminait un pour moi. Alors je patiente... en sachant qu'elle est en ligne de l'autre coté. Euh... hum.. et si je tentais un p'tit coup de mini-chat? Hmmm? Oh non, je peux pas, on va devoir recommencer toute la procédure de séparation... Hmoui... mais elle est là... Hmrgnn, je fais quoi. J'y vais ou pas?

Boh... je peux toujours y aller voir. Après tout, si elle y est c'est qu'elle en aura aussi eu envie... Bingo! Elle y était. Chiiiiiiiic!

Et hop, on s'est repris une petite heure supplémentaire! Et on a bien ri. Vraiment très très détendu. Ça m'a fait beaucoup de bien et donné un super-moral (encore mieux que la veille). Il y avait moins ce coté... un peu snif snif... Même si sur la fin... ben ça a de nouveau été hum... bien étiré comme procédure de déconnection. Mais tout en sourires. Hé hé, c'est marrant, on dirait des amoureux...
Meuh non... enfin euh si, un peu, mais pas comme... [bon, on s'en fiche!]

Mais dites, les lecteurs/lectrices... je sais pas si je vais continuer longtemps à raconter nos p'tites histoires intimes. Ça vire un peu au feuilleton là. Mouais... je sais pas si ça me convient. On verra comment ça évolue dans les semaines à venir... Parce que maintenant je mets ce journal en position "off" jusqu'à la fin du mois. Vacances!

J'espère ne pas trouver le même genre de mauvaise surprise que l'an dernier à mon retour (quoique maintenant, je m'en fous un peu).



Je vous souhaite à tous de bonnes lectures dans ce vaste monde des écrits intimes, de bonnes écritures pour ceux qui s'y adonnent. Sans oublier toute la vie dans le monde des sens.

A bientôt.



Mes derniers mots sont pour toi, ma très intime amie...
Toi qui est là, et seras là, en moi. Présence douce qui désormais, même dans l'absence, me donne force et sérénité.

Le reste... chuuuut, ça ne regarde que nous.





Garder la trace



Lundi 25 août


Depuis combien de temps n'ai-je plus écrit dans ce journal? Si je ne réfléchissais pas, je dirais volontiers «des mois». Le temps s'est distendu. Je n'ai plus de repères. C'est presque comme s'il ne s'agissait plus de la même vie, du même personnage qui s'exprime.
Il s'est passé tant de choses dans ma tête que je ne sais même plus où j'en étais avant de partir en vacances. Il y a eu comme le basculement de quelque chose, un changement d'état. Un changement d'être.

Et pourtant... seulement une quinzaine de jours se sont écoulés. Et je n'ai même pas fait tant de choses que ça. Je ne suis pas parti au bout du monde, je n'ai pas vécu des aventures extraordinaires. Quoique... l'aventure nécessite t-elle forcément le déplacement? Ne peut-on pas vivre une aventure intérieure? Hmouais... je crois que c'est ce que j'ai vécu durant ces dernières semaines.


Tout à commencé avec la perspective inattendue de la visite de ma complice en France. Révolution personnelle bien plus importante que ce que je soupçonnais. Mes écrits, ici même, montrent bien cette sous-estimation. Il aura fallu que mon écriture se bloque pour que je commence à comprendre ce qui se passait: la venue de nathalie donnait à mon aventure intérieure une dimension insoupçonnée. Elle me plaçait dans la perspective d'une mise à l'épreuve de la réalité de cette relation bien particulière. Ma vie entière s'est trouvée empreinte de cette échéance, devenant soudainement très proche. C'est à partir de ce moment là que le temps à cessé de s'écouler de la façon habituelle. L'échelle du temps s'est trouvée comptée en fonction d'une rencontre hypothétique, à une date imprécise... mais qui pourtant marquait quelque chose de déterminant. Une parenthèse temporelle dans laquelle je demeure encore. Il y avait cette période de l'avant-rencontre qui devenait la seule mesure de temps. Point de repère, point de mire, objectif. Ma vie focalisée sur une rencontre, dans un délai de quelques semaines.

Ceux qui me lisent régulièrement auront vu à quel point l'anxiété aura été forte à ce sujet, au point d'agir sur ma santé, ce qui n'est absolument pas dans mes habitudes de vie. J'ai toujours été très peu à l'écoute de mon corps, mais il a su se manifester à cette occasion là, de manière indubitable et vérifiable par des critères bien cartésiens: la mesure d'une balance n'est pas sujette à interprétations hasardeuses.


Ce que je retiendrai plus particulièrement des dernières semaines sera ce moment de totale incompréhension avec celle dont je me sentais si proche. Pour que nous en arrivions à ce point, il fallait qu'il y ait une raison majeure. Sans doute (plus j'y pense et plus j'y vois l'explication) la peur de l'enjeu de cette rencontre nous avait-elle placés en position de repli sur soi. Nous étions peut-être tellement préoccupés, au niveau inconscient, que nous en avions oublié de nous soutenir l'un et l'autre. Phénomène de sauvegarde?

Ce qui s'est passé à ce moment là aura été décisif. J'ai mesuré, au plus profond de moi, à l'épreuve de la réalité, ce que notre relation représentait pour moi. Et j'ai eu (très) peur qu'elle ne se fut perdue dans cette épreuve. Même si la confiance restait là, solide et établie, et que la patience me dictait d'attendre le retour de la complicité... je me souviens que la peur tiraillait très fort. Je sais aussi, depuis, que nathalie elle-même à eu très peur. Et c'est cette peur, sa peur avouée, qui m'a fait comprendre bien des choses.

Car au delà des mots échangés depuis des mois, avec de possibles illusions ou emballements, des rêves effleurés... il y avait cette réalité d'un attachement très profond. Et le bouleversement que nous avons ressenti en craignant sa perte, chacun de notre coté, aura été révélateur. Nous étions tous les deux assommés, très fortement ébranlés. Et complètement perdus après cet enfer que nous avions vécu sans rien y comprendre.

Ces quelques jours muets, le fait de nous retrouver chacun seuls de notre coté, dans un silence propice à l'écoute de soi, nous ont permis de réfléchir et d'intégrer tout ça.

[Je me permet d'utiliser un "nous" car je crois pouvoir le faire sans dénaturer les pensées de nathalie. Parler au "je" enlèverait, il me semble, toute une part de ce qui fait cette complicité.]

Puis est venu le moment de la reprise de contact. Avec prudence, par petites touches, nous avons reconstruit le lien qui nous unit. Relancé des filins de communication, rétabli des passerelles à distance. Et dès que le contact direct à été de nouveau possible... toute la force de notre complicité s'est restaurée. Portés par ce désir de nous retrouver, de sentir à nouveau palpiter cet attachement, nous avons très rapidement "oublié" tout ces malentendus par lesquels nous nous étions blessés. L'heure était aux retrouvailles... in extremis avant une période de séparations à venir.


Ce moment de réconciliation a, pour moi, permis de prendre conscience de beaucoup de choses. D'abord que nous pensions "pareil" (je simplifie) quand à l'importance de notre lien. Mais surtout, de conscientiser, intimement, sans la moindre place pour des doutes qui avaient pu exister, à quel point nathalie est attachée à moi. Quelque chose qui surpassait bien des mots l'ayant signifié, que pourtant je gardais en mémoire. Comme si ce qu'elle me disait me pénétrait enfin. Ce n'étaient plus seulement des mots bienfaisants qui, bien souvent, avaient eu un effet limité dans le temps, sans cesse sapés par l'assaut des doutes. Ça ne se passait plus "en surface", mais ça irradiait à l'intérieur de moi.
Enfin, mes résistances s'étaient levées, enfin je me laissais... aimer. Un amour pénétrant, quelque chose qui surpasse les mots. Quelque chose qui se communique d'âme à âme. Pourtant... je ne l'ai pas saisi tout de suite. La révélation se sera faite juste après, une fois que fus parti.

Car en nous préparant à cette séparation temporaire, nous avons envisagé le pire. En comprenant l'intensité de cet attachement, et la nature de cet amour (à entendre dans le sens le plus large du terme), s'est manifestée la peur de la séparation... la peur de la perte. Alors que l'échéance devenait palpable, que nous pouvions y croire, nous pensions dèjà à je ne sais quelle catastrophe qui aurait pu empêcher le rêve de devenir vécu. A mots couverts, mais explicites, nous en avons parlé sans trop approfondir, vu la sensibilité du sujet. Mais ces allusions avaient pour moi une signification forte, et ont contribué à une prise de conscience.
Quelque chose de bouleversant.

Alors que m'éloignais de mon domicile avec ma famille, pour traverser la France, me sont revenus en tête nos mots de la veille. Ceux qui parlaient clairement de la séparation, ceux qui signifiaient l'attachement. Alors, en quelques instants, c'est comme une vague de fond qui m'a envahi. Et j'ai compris. Tout est devenu lumineuse évidence. J'ai ressenti ce qu'était l'amour. Oh, pas seulement l'amour amoureux, mais l'amour au sens large. J'ai compris le coté "absolu" de ce sentiment.
Parce que nathalie m'avait montré qu'elle tenait à moi, parce que ses actes, ses mots, tout son être exprimaient la sincérité et la force de cet attachement, brusquement je ressentais qu'on pouvait m'aimer. Aimer celui que je suis, avec ses forces et ses faiblesses. Aimer sans condition autre que celle de me laisser aimer. Pour la première fois je me laissais envahir par cette sensation pleine et entière. Non plus seulement au niveau du conscient, ou même de l'inconscient qui finit par se laisser persuader, mais au niveau de quelque chose de... hum... quasi mystique. Sans doute comme certains ressentent un jour un appel à la foi.

Cette révélation s'est faite dans un bain de larmes. Durant une heure j'ai roulé dans cet état sur l'autoroute qui traverse le massif central, dans un paysage magnifique et sous un ciel d'un superbe bleu. Les enfants étaient occupés à l'arrière et n'ont rien vu. Charlotte me regardait, me tenait la main, vaguement interrogative, ne comprenant pas bien ce qui se passait. Pourtant mes mots accompagnaient les larmes, mais il est des choses qui ne peuvent se vivre que de l'intérieur. Expérience intime, non partageable. Ce n'étaient pas des larmes de tristesse, oh non. Pas même des larmes de bonheur, quoique ça y ressemblait. Non, c'étaient des larmes de révélation. Je comprenais, j'intégrais, j'ingérais le sentiment d'amour. Et en même temps que je découvrais celui qui provenait de cette si proche-lointaine amie, je passais en revue tous les gens qui m'aiment. Mes amis, les vrais, qu'ils soient proches ou lointains. Mes proches, mes parents. Mes enfants.
Seule Charlotte avait su, jusqu'à ce jour, avec les années, me faire prendre conscience de l'amour (amoureux) qu'on pouvait me porter. Celui qui venait d'autrui vers moi. Même si, avec elle, cela s'est fait davantage par une compréhension intellectuelle que "mystique".

Dans la suite des pensées qui s'installaient dans mon esprit est venue la concrétisation d'une réflexion en cours depuis quelques jours. Cela touchait à quelque chose de tout aussi fort, tout aussi fondamental, et fortement corrélé à l'idée d'amour.
J'ai compris la valeur de la vie et du rapport de celle-ci avec l'idée d'amour.

Et j'ai eu peur de la mort. Cette mort que nous avions un peu évoquée avec nathalie. Cette fragilité extrême de nos vies, et cette échéance fatale inéluctable. Je songeais qu'un jour nathalie disparaitrait de ma vie, à moins que ce ne soit l'inverse. Et que, de toutes façons, notre lien était condamné à la disparition, dans quelques décennies au plus tard. Autrement dit, dans un rien de temps. Je crois que jamais la mort ne m'avait paru être si proche. Et l'envie de vivre n'en devenant que plus forte.

Mouais... en fait me revenaient en tête les paroles bouleversantes de la chanson "Les vieux", de Brel, écoutée la veille de mon départ. Entendue comme jamais je ne l'avais entendue. «Celui des deux qui reste se retrouve en enfer». Rien que de l'écrire... hum... bon.


En tentant de mettre tout cela en mots, je me rends compte que c'est très réducteur: dire que je découvre l'amour, alors que je me sais aimé (intellectuellement parlant) par beaucoup de gens peut paraître un peu bizarre. Prendre conscience de la préciosité de nos courtes vies alors que j'aime Charlotte depuis presque un quart de siècle est inattendu. Mais c'est ainsi. J'ai ressenti quelque chose avec un sens qui ne m'était jamais apparu.

Et c'est avec nathalie, dont depuis bien longtemps j'ai pressenti à quel point cette femme à quelque chose d'exceptionnel dans mon parcours de vie, que se déclenche ce qui était en germe depuis longtemps grâce à Charlotte. L'une m'a ouvert à la vie, et la seconde me la révèle. L'une m'a ouvert les yeux, l'autre m'a permis de me servir de ce regard. Et moi... depuis toutes ces années, par mon cheminement intérieur je me préparais à ça sans même le savoir.

Depuis cette révélation assez spéciale je reste marqué. Une heure durant, j'ai pleuré entre mots et silences (les mots s'étranglaient) en pensant beaucoup à celle qui m'avait permis de découvrir ça. Charlotte n'a sans doute pas bien mesuré l'importance de ce que je vivais, et je regrette qu'elle n'aie pas été plus attentive. Peut-être était-elle un peu inquiète? Elle reste souvent un peu en retrait lorsqu'elle me voit trop ému. Présente physiquement, aimante, mais me laissant souvent dans le silence...

Pudeur d'homme... ou pudeur tout court, je n'ai pas osé arrêter la voiture pour me laisser aller à éclater en sanglots. Je pensais à mes enfants qui se seraient posés des questions. Je pensais à l'incongruité de la situation, sur une aire d'autoroute. On ne choisit pas forcément le lieu et l'heure d'une "révélation".

* * *


Après une telle expérience, s'installer en camping et passer à l'ambiance "vacances" causait un décalage certain. Charlotte restait silencieuse sur le sujet (normal, elle n'est pas vraiment concernée), et ma soeur et mon beau-frère, qui nous accompagnaient, étaient totalement immergés dans l'ambiance pour laquelle nous étions là-bas.

nathalie me manquait... Je pensais à toutes ces conversations que nous avons régulièrement, je pensais au bien-être que je ressens avec elle. J'avais envie de partager ce que j'avais vécu et que je sais très important. Je supposais aussi qu'elle pouvait être inquiète, sachant toute la route que j'avais parcourue. Je n'avais qu'une idée en tête: la rassurer. Mais cela m'obligeait à m'absenter... ce qui était délicat à faire passer auprès de Charlotte qui était plutôt contente de cette coupure forcée avec internet et tout ce qui s'y rattache (dont, évidemment, nathalie...)

Internet étant impossible d'accès facilement, j'ai opté pour le téléphone, retrouvant cette voix du bout du monde... si proche de mon oreille. Doux murmure. Le crédit téléphonique a été dévoré bien plus vite que ce que je croyais et la conversation a été courte, donc un peu frustrante... mais tellement bienfaisante.
J'ai pu alors retrouver un peu de tranquillité d'esprit.

Mais les conversations creuses et insipides qui parsemaient les journées ont vite pesé sur mon moral. Les vacances c'est très bien... mais encore me faut-il un minimum d'enrichissement et de plaisir dans le partage. Je vis trop de choses importantes, depuis quelques mois, pour mettre toutes mes réflexions en sourdine Au bout de trois ou quatre jours à ce régime, je perdais patience, je me démoralisais. J'avais besoin de retrouver une certaine solitude, que je préférais largement à la promiscuité du vide relationnel.

Et puis... j'avais besoin de réfléchir à quelque chose en particulier, que je ne pouvais faire que seul. Pour la fin de la quinzaine je devais avoir décidé si je rencontrerais nathalie. Les bla-blas ne m'apportaient rien, parasitaient même mes lectures. Car je n'étais pas parti les mains vides. J'avais, au dernier moment et guidé par je ne sais quel hasard, pris un bouquin que j'avais déjà lu il y a quelques années. Quelque phrases parcourues en le feuilletant m'avaient inspiré pour l'ajouter aux bagages. Titre évocateur: "Le courage d'être soi". Ce livre allait beaucoup m'aider dans ma réflexion.


Un soir je me suis extrait du groupe et je suis allé, à la nuit tombante, réfléchir au son des vagues. La plage de sable, immense, était vide. Je me suis adossé contre une dune au pied des touffes d'oyats qui la parsemaient. J'ai regardé le ciel et les nuages. Loin, vers l'ouest, aussi loin que le regard portait.

J'ai pensé à ce qui serait positif si je rencontrais nathalie, puis à ce qui serait positif si je ne la rencontrais pas. J'ai songé à ce que je risquais de perdre en la rencontrant; puis à ce que je risquais de perdre si je ne la rencontrais pas. Quels regrets aurais-je pu avoir ultérieurement, selon que je choisissais l'une ou l'autre solution?
Le bilan était vite fait: je savais tout ce que je gagnais en allant face à cette rencontre et tout ce qu'elle pouvait signifier. De l'autre coté, je savais ce que, peut-être, sans certitude, je risquais comme conséquences du coté de mon couple.

Depuis des jours les idées flottaient dans ma tête, presque en permanence. Je n'y pensais pas vraiment, mais je les savais là. Je savais que ça "travaillait". Alors ce soir là, j'ai su quelle serait ma décision finale. Je savais que le courage était de ce coté là. Être moi-même, qui est un objectif, c'était être à l'écoute de mes désirs. Or mon désir le plus cher était de rencontrer celle qui m'a tant aidé à "avancer" vers moi. Rien, objectivement, ne pouvait justifier que je refuse cette rencontre. Sauf... le fait que notre attachement va au delà de l'amitié "simple".
Je n'avais pas envie que ma conduite soit dictée par des règles morales dépassées. Je n'avais pas envie, afin d'épargner mon épouse encore engluée dans ce dont je cherche à m'extraire, de me priver d'un acte à la fois espéré, rêvé, et hautement symbolique. Car m'affranchir de ces barrières morales, c'est aussi une émancipation nécessaire. C'est me dire "je fais ce qui me plaît" (dans le respect de l'autre, évidemment).

Le coté inconnu, et c'est bien sûr celui qui m'a fait m'interroger depuis si longtemps sur l'opportunité d'une rencontre, est aussi celui qui m'a rendu malade: savoir jusqu'où notre proximité pourra s'exprimer. C'est en fait le seul "problème" qui existe et qui a génèré tous les blocages. Qu'en sera t-il de la physicalité de notre relation? Jusqu'où aurons nous le désir de nous toucher, de nous mettre en contact, de laisser nos sens percevoir l'autre? Car si nous évoquons clairement nos désirs de cette mise en sensitivité/sensualité, jamais nous n'avons vraiment abordé la réalité des choses. Je ne peux que supposer les désirs de nathalie, et elle ne peut que faire de même vis à vis des miens. Nous avons toujours gardé le silence sur ce sujet, tacitement, préférant sans doute nous fier à ce que nous ressentirons lorsque nous serons en présence.

Il n'empêche que ce qui vient à l'esprit de tout homme et toute femme, même non formulé, pèse lourd dans la balance.

Pourtant, en toute conscience, j'ai choisi, dans cette nuit pélagique au son des vagues, de suivre mon chemin: je rencontrerai nathalie. Parce que ça doit se faire ainsi. Parce que nous en avons une immense envie tous les deux. Parce que cette opportunité ne se représentera pas de sitôt. Parce qu'il est bon de passer la barrière de la réalité. Parce que mon chemin passe par là. Parce que mon intégrité à moi-même l'impose. Parce que ma fierté résidera dans ce choix là, non dans la fuite.

Parce que je le veux, tout simplement.

Je gardais pourtant ma décision en attente, préférant me laisser le temps de réfléchir dans un sens contraire. Je voulais me donner toute la liberté de choisir, sans précipitation.

* * *



Le lendemain j'ai trouvé une connection internet qui m'a permis de lire un message de nathalie qui m'attendait. Je lui ai répondu que ma décision se précisait, qu'elle était déjà quasiment sûre... mais je suis resté un peu flou quand au choix de la décision. Je ne voulais pas risquer une fausse joie.

Et puis... j'ai lu des mots éloquents de sa part. Des mots sans ambiguité, troublants, excitants... J'ai lu aussi ce qu'elle formulait indirectement, mais très clairement. Un des rares "conseils" qu'elle s'est jamais permis de me donner: «Car c'est court la vie, tu sais. C'est précieux aussi.»

Des mots qui correspondaient exactement aux pensées que j'avais eues sur cette plage. Que j'avais déjà bien souvent eues auparavant. Des mots importants qui me rappellaient ses souhaits. Je suis rentré au camping avec le sourire aux lèvres...


Le soir Charlotte a disparu du camping sans un mot. J'ai supposé qu'elle était allée se promener vers les dunes et la mer. Je l'ai retrouvée la bas, assise dans le noir. Ça n'allait pas. Elle m'a parlé de séparation, de trop grandes difficultés à partager avec moi toutes ces remises en questions. Elle se sentait inintéressante, pas à la hauteur de ce dont j'ai besoin. Et avait de la difficulté à me voir préoccupé alors que nous étions en vacances... que j'avais acceptées pour lui faire plaisir.

J'ai essayé de la rassurer au mieux, en douceur, lui rappellant l'importance qu'elle avait pour moi. Je lui ai répété que je tenais à notre relation, et que je l'appréciais sur quantité de points. Que même si elle ne répond pas à toutes mes attentes, elle en satisfait beaucoup de primordiales.
Forcément la présence de nathalie est venue dans ses mots... Alors j'ai expliqué, une nouvelle fois, toute la particularité de cette relation. Et surtout l'importance considérable de nathalie dans l'évolution que je vis actuellement.
Charlotte l'a bien compris, le sait, et l'accepte entièrement... intellectuellement parlant. Mais pas du point de vue émotionnel. Elle m'a demandé ce qui se passerait si je la voyais, craignant bien évidemment que cela aille plus loin que ce qu'elle peut accepter. Je n'ai pas triché, et ne lui ai rien promis. J'ai dit la vérité de ce que je ressentais. Mes désirs vis à vis d'elle, Charlotte, afin de ne pas la faire souffrir... et mes désirs vis à vis de nathalie, en n'occultant pas tout le coté flou de la physicalité.

Les jours suivants se sont déroulés sans problème. Nous nous étions retrouvés avec Charlotte, et je continuais à avoir les moments de solitude dont j'avais besoin. Mes réflexions se poursuivaient, se précisaient, devenaient de plus en plus définitives. Nos activités vacancières m'occupaient suffisamment l'esprit pour que je ne m'ennuie plus. Un peu de vélo, de la lecture sur la grande plage aux heures les plus tranquilles, un peu de promenade sur les rochers à marée basse, parfois une excursion dans une ville voisine.


Mais est venu le moment où j'ai ressenti le besoin de savoir comment Charlotte réagirait. C'était quand même important... Je lui ai bien précisé que je n'attendais ni conseil, ni avis, ni "feu vert", mais qu'il me fallait bien savoir quels étaient les risques que je prenais.
Je savais déjà que le blocage ne serait pas total: le premier jour des vacances, apprenant la certitude du voyage de nathalie, elle m'avait dit «alors tu vas aller la voir?». Ma décision n'étant pas encore assez réfléchie, je n'avais rien confirmé, lui disant que je lui en parlerai plus tard (bon... en fait mon choix était fait depuis toujours, je crois, mais je voulais prendre ce temps de réflexion en tête à tête avec moi-même).

J'ai donc dit à Charlotte «J'aimerais te parler. Tu m'accompagnes pour marcher?». Nous sommes allés sur le même sable de plage, dans la nuit. Tout de suite elle m'a dit «Je sais que tu vas aller la voir...». Ce que je lui ai effectivement confirmé, cette fois, non sans longues explications et réassurance de l'importance de notre couple. Elle m'a presque surpris en me demandant si ça serait un seul jour, deux ou trois, ou une semaine. En fait... nous n'avions jamais évoqué de durée avec nathalie! En restant tellement à quelque chose d'hypothétique sur lequel nous ne voulions pas fonder d'espoirs vains, tout restait dans le flou.

Quelques jours plus tard, ne voulant pas laisser ma si chère complice plus longtemps dans une incertitude difficile à vivre, perçue au cours d'une conversation téléphonique trop courte (pfff, 1/2 heure c'est pas assez!), je lui ai retéléphoné beaucoup plus longuement. Et je lui ai annoncé ma décision. Elle en a paru être émue, et très heureuse. Hmmmm, quelle douceur que ces deux heures passées ensemble. J'entendais ses soupirs de satisfaction... et l'expression inimitable de son plaisir. Je me sentais très bien, très à l'aise. Fort du choix que j'avais fait. Elle semblait presque hésitante à oser y croire, tout en cédant au plaisir de jouir de cet accord tant espéré.
Et moi même, réalisant que je nous avais engagé dans ce processus, mesurais peu à peu à quel point ça devenait réel. Mais sans aucun regret d'avoir osé ce pas.

Nous avons alors pu évoquer un peu plus clairement le coté pratique de cette rencontre, notamment sur la durée envisagée. J'ai hésité longuement (mouais... quelques seconde en fait) avant de répondre à sa question: «pour combien de temps?». Je n'osais pas... parce que je savais très bien que j'intégrais dans cette durée... davantage qu'une seule journée. Or entre les jours... il y a des nuits. Donc... un moment bien spécial à partager. Mais il était évident pour moi que ce moment là était à la fois nécessaire et désiré. C'est comme ça que je le ressentais.

En songeant aux yeux qui me lisent (oui, ça m'arrive encore, parfois...) je me dis que prendre autant de précautions avant d'envisager de vivre une nuit avec une femme avec qui je partage une telle relation peut passer comme totalement ahurissant. Et pourtant... je ne parle que de nuit, sans pousser plus loin ma réflexion!

Je crois que cette relation est tellement importante et "spéciale", notamment à cause de la distance, de mon statut conjugal, et de la préciosité de notre attachement, que j'ai (nous avons?) toute la retenue que la prudence impose vis à vis de cette physicalité. Parce qu'elle constitue une dimension inconnue de ce qui nous lie l'un à l'autre. Et que, bien qu'élement constitutif très important, et attirant, il n'en est pas pour autant fondamental. Mais... ne l'ai-je pas déjà écrit des dizaines de fois?

Ben... sans doute parce que c'est là que se situe à la fois une part de ce qui nous attire l'un vers l'autre, et que nous sentons bien toute la délicatesse de ce passage.

* * *



Depuis, je suis rentré de vacances. Des problèmes sont réapparus (et arrangés) avec Charlotte, non plus au sujet de cette relation, mais à cause de l'énorme investissement que représente cette démarche personnelle d'épanouissement que je poursuis. Je sais très bien que j'entraîne Charlotte dans mon sillage et dans les remous qu'il génère. Or, même si elle a conscience du coté bénéfique qu'elle en retire, elle n'a pas vraiment choisi cette remise en question.

Même si elle sait très bien que la relation riche et confiante que j'établis avec nos enfants se fait parce que je me remet perpétuellement en question, elle a du mal à accepter que je passe tant de temps à m'introspecter. Tout en reconnaissant les cotés bénéfiques indiscutables...

Pourtant nous finissons toujours par nous retrouver très proches, parfois après des discussions tendues. Ce qui devient épuisant est la fréquence des rechutes...

Ouais... c'est pas simple de remettre autant de choses en question. C'est une démarche lourde. Mais dont on ne peut pas, je le crois, faire l'économie lorsqu'on en a découvert les implications et les résultats. Pour cette raison je sais que je ne peux y renoncer, même si je dois tenter d'aménager au mieux les implications négatives sur mon entourage.

Il m'arrive de penser (assez souvent) au fait que Charlotte puisse m'abandonner. Sans doute ne prends-je pas vraiment conscience de ce que ça impliquerait, mais, même si je devais en souffrir, même si nos enfants devaient en souffrir, je sais que je ne peux renoncer à ce chemin inconnu qui s'ouvre devant moi. C'est mon salut, à l'heure actuelle. Peut-être que ça changera plus tard?

Ce qui est un peu tragique, c'est que c'est au moment où j'accepte de plus en plus entièrement Charlotte, avec ses limites, ses possibilités, les manques que je peux ressentir... qu'elle ne se sent "pas à la hauteur". Alors que ces mots ne signifient plus rien pour moi. Je n'ai plus d'exigences, plus d'attentes impérieuses. Je la prends telle qu'elle est, avec ce qu'elle peut m'offrir. Même si ses silences me pèsent parfois, même si je ne trouve pas avec elle la résonnance de mes réflexions comme je peux la trouver avec d'autres.

Parfois tout me semble si simple, alors que Charlotte me voit encore comme ce personnage exigeant et insatisfait que j'ai été autrefois. Je ne me sens plus le même.

Je suis dans cette période délicate qui se situe entre deux états. Je ne suis plus celui que j'étais, mais pas encore celui que je me sens devenir. Moment fragile, de grande vulnérabilité, durant lequel il faut lacher une corde pour en attraper une autre. Si maintenant il se passait quelque chose de difficile, je sais que j'aurais bien du mal à le vivre... tout en sachant que je crois en être capable.

* * *



Pourquoi écrire un si long état des lieux? Parce que j'avais envie de garder trace de ces quelques semaines qui auront marqué, je le crois, un tournant décisif. Pourtant, je me demandais comment j'allais aborder ça dans mon journal. Je me demandais même s'il m'était nécessaire de le faire. Je n'ai gardé que le condensé, me fiant à ma mémoire pour faire le tri.

Je ne me souviens pas m'être senti aussi détaché et lointain de ce journal. Il me fait penser à quelque chose issu de quelqu'un qui n'est plus (ouais, je sais que c'est pas vrai, mais c'est l'impression du moment).

En rentrant de vacances je ne me suis pas précipité frénétiquement sur mon ordinateur pour lire mes messages, ni pour prendre le pouls de la communauté diariste. Je me suis concentré sur l'essentiel, c'est à dire mon lien avec nathalie. Le reste pouvait attendre...

Ce qui compte, ce qui mobilise beaucoup de mon attention, c'est cette rencontre à venir. Préparer en pratique les modalités de cette rencontre (quand, où, comment?). Laisser flotter l'imagination... qui ne sait aller au delà de cet instant tant attendu.

Même mes rêves deviennent bizarres, puisque empreint de cette perspective je me réveille dans les bras de Charlotte... alors que je m'imaginais dans ceux de nathalie. Tendresse érotisée, à mi-chemin entre l'éveil et le sommeil. Mes mains sur un autre corps... Confusion en une même entité, presque en un même amour, pour deux personnes différentes.

Ma vie (dès lors qu'elle est disponible hors des relations de famille) est entièrement tournée vers ce moment là. Car quelque chose d'extraordinaire (pour moi, pour nous) va se passer. Un moment rare de l'existence, comme on n'en vit que rarement. Comme... je ne crois l'avoir vécu qu'une seule fois.

* * *


Jamais je n'aurais autant espéré quelque chose tout en voyant sa concrétisation se matérialiser avec une telle douce lenteur. Laisser tout le temps pour laisser naître l'idée, puis la voir, avec infiniment de précautions se mettre en place, grandir, oser apparaître.

Jamais je ne me serais préparé aussi longtemps à l'avance pour quelque chose que je désire avec une telle intensité. Attente croissante d'un rêve qui devient réalisable, rapprochement toujours plus établi. Et surtout plaisir et désir partagé, exprimé, vécu conjointement.

Quoi de plus enthousiasmant que de se préparer à un moment aussi fort en sachant qu'il le sera aussi pour la personne avec qui il sera vécu?
Délice-supplice de l'attente dont on sait qu'elle aboutira...

Et vivre enfin ce moment... à couper le souffle.





Ma vie est un roman



Mardi 26 août


Cet été je n'ai pas lu de roman. Et je n'en ai pas lu depuis bien longtemps. Même lorsque j'en ébauche la lecture, ça ne capte pas mon attention. Pas en ce moment. Je ne parviens pas à vivre ces vies par procuration. Je suis trop pris dans... le roman que je vis.

C'est l'impression que j'ai parfois, en songeant à ce qui se passe dans mon existence actuelle. La sensation est renforcée par le fait que j'en décrive une bonne part des développements ici même. D'ailleurs, je constate que la succession d'évènements que je relate se fait sous une forme presque feuilletonesque.

Ça s'est imposé tout seul, de raconter presque au jour le jour ce qui se passait dans ma relation de complicité. Je n'aurais pas écrit de la même façon si j'avais conservé un journal intime privé.

J'écris une aventure que je n'avais jamais imaginée possible, même si elle faisait partie de mes rêves secrets: vivre une très proche amitié avec une femme. Je me voyais déjà devoir accepter d'en rester frustré jusqu'à la fin de mes jours. Mais il faut croire que les désirs ont une force insoupçonnée qui les rend parfois réalisables.

Ce roman que je vis (que nous vivons elle et moi...), je le livre en supposant qu'il intéresse mon lectorat. Je me plais à croire que la force du vrai compense l'étirement en longueur, en temps réel, de la succession des évènements infimes qui l'animent. Car je sais que ce qui est tellement signifiant pour nathalie et moi ne peut que rester dérisoire pour ceux qui ne font pas partie de ce roman. Vous, qui n'êtes pas les "héros" de cette double aventure, même si une part vous touche, vous interpelle, vous rappelle quelque chose de votre propre vie, ne pouvez rester que distants et interpréter à votre façon tout ce qui n'est pas dit. Cette infinité de détails que vous ne saurez jamais car ils ne sont signifiants que dans la succession des instants. Ils tissent toute la finesse de ce qui nous relie.

Je n'ai jamais vraiment tenté l'aventure du roman fictif. Je ne pense pas que je serais bon parce que mon imagination reste trop bridée. Mais écrire au présent une aventure dont je choisis l'angle de présentation, le contenu, le degré de précision, c'est quelque chose qui me plaît. La "matière" brute est là, en abondance, et je n'ai qu'à choisir.

D'ailleurs... comment vais-je laisser se poursuivre ce roman-vivant dans les semaines à venir? Vais-je rester dans une narration précise, ou bien opter pour une forme plus vaporeuse? Dire ou suggérer?

Il y a un coté intimidant dans cette mise en scène de soi. Un désir ambigü de pudeur et de dévoilement. L'envie de faire partager quelque chose que je trouve beau, conjugé à un besoin d'en garder le coté intime.
Et pourtant, je ne peux nier que votre présence de lecteurs joue un certain rôle, sans que j'en mesure vraiment l'importance. Notamment lorsque je "m'engage" en écrivant quelque chose que je ne pourrai réfuter ultérieurement. Ce qui est écrit a pour moi valeur de preuve, et me pousse à respecter fermement mes décisions. Ainsi, "vous", tout indéfinis, invisibles et inconstants que vous êtes, faites un peu partie de cette histoire. Acteurs discrets agissant selon l'image que je me fais de vous...
Il demeure ainsi une part d'imaginaire dans ce qui devient réalité.

Tout comme mon héroïne garde une part d'imaginaire qui appartient à mes pensées et oriente mes actes réels.





Partir pour venir



Vendredi 29 août


Dans quelques heures nathalie va survoler cet océan qui nous as toujours séparés. Elle va partir pour venir. Elle s'en va, ce qui signifie que nous ne pourrons plus vraiment communiquer, mais elle vient et nous n'aurons jamais été aussi près. Les distances, dans le monde virtuel, n'ont pas la même signification que dans le monde réel. On peut être plus près physiquement, mais plus loin parce que sans moyens de communiquer. Même s'il suffit d'un instant pour retrouver, à l'occasion d'une connexion sauvage ou d'un coup de téléphone impromptu, cette "proximité", ce «nulle part qui nous appartient», comme l'appelle nathalie.

Elle sera à quelques centaines de kilomètres de moi, et les jours qui vont passer nous rapprocheront dans la dimension temporelle. Chacun d'eux marquera le compte à rebours du moment où nous irons l'un vers l'autre. Moment tant désiré qui fait naître, depuis longtemps déjà, des émotions à sa simple évocation.

Je ne réalise pas encore que la nuit prochaine, nathalie que je voyais si proche hier soir me deviendra invisible jusqu'à cet instant où je la verrai pour la première fois. Car je sais que ce visage que je reconnaitrais instantanément me sera inconnu. Je n'ai jamais vu le vrai visage de nathalie, comme elle n'a jamais vu le mien. Nous ne connaissons de l'autre que des images plates et fixes. Nous manquent le relief et la fluidité du mouvement continu. Je sais qu'hier j'ai vu cette nathalie constituée par mon imaginaire pour la dernière fois. Désormais, lorsque je la reverrai sur mon écran, même fixe et en plan, mon cerveau reconstituera les éléments qui ne peuvent passer par les circuits informatiques.

Je n'ai pas non plus intégré que ce dont nous avons tant parlé, ce sur quoi j'ai tellement réfléchi, deviendra réalité dans une douzaine de jours: le nulle part de l'intimité qui nous lie va exister quelque part dans ce monde. Un lieu qui deviendra, pour toujours, celui de cette rencontre. Le nom de ce lieu ne sera plus jamais le même. A chaque fois que je l'entendrai je me souviendrai qu'il nous a reliés. Notre bulle intime, qui n'existe habituellement que par nos pensées et nos sens mis en commun, va devenir palpable. Le contact direct de nos présences va réduire et dynamiser la force de cette intimité.

Et l'instant magique qui nous portera l'un vers l'autre dès que nos regards se seront réellement croisés pour la première fois... fait partie des mystères prometteurs qui nourissent l'attente et lui donnent une saveur à la fois rare, immensément précieuse et inimitable.

Tout ce qui suivra ce moment plein d'inconnu est le plus absolu mystère...
C'est ce qui le rend si intriguant et merveilleux.
Moments de vie intenses


Au nom de quoi aurais-je eu le droit de nous en priver?


* * *



Extrait d'un message reçu hier, intitulé fort justement "De quoi je me mêle" (ben oui, hein...)

«Ces correspondances par internet foute le bordel dans les couples
>mais peut-être que vous êtes à un point tournant dans votre vie
>et que vous voulez vivre autre chose. (avec quelqu'un d' autre)
>Mais s.v.p. assumer votre choix, ne l'enrober pas de tout ce charabia
>d'amitié profonde et autres lubies.
»

Alors c'est quoi «foutre le bordel dans un couple»?
Il semblerait que ce soit oser avoir une vie en dehors dudit couple... Comme si le couple était un tout qui devrait se suffire à lui-même et hors duquel toute relation forte deviendrait source de "bordel" à venir. Ne regardons pas à coté... on ne sait jamais ce qui peut arriver. Sans se dire que s'il devait arriver quelque chose... et bien ce serait significatif que quelque chose ne convient pas dans le couple.
Le couple est-il quelque chose d'immuable et autosuffisant?

En serais-je à un «tournant de ma vie»?
Ouiii, en plein dans le mille! Je deviens effectivement moi-même et c'est quelque chose de très bon. Il se trouve que cela se fait avec une personne dont je me sens très proche et à qui je dois beaucoup (le mot est faible...). Je crains que ce soit la présence de ce «quelqu'un d'autre» qui dérange le plus dans mon tournant de vie...
Aurais-je dû me priver de cette découverte sous pretexte que c'est partiellement en dehors du couple qu'elle se fait? Est-ce qu'il aurait été préférable que je patiente encore des années afin de découvrir tout cela avec ma compagne légitime, quitte à... peut-être ne jamais le découvrir vraiment?
Le couple est-il quelque chose de sacré dont tout devrait provenir?

Ce que je décris ici ne serait qu'un "charabia" destiné à masquer ce que je «n'assume pas vraiment»?
Bigre... merci pour ce jugement de la part de quelqu'un, je n'en doute pas un instant, à qui je peux me fier pour la compétence et la clairvoyance avérées! N'ai-je donc pas suffisament décrit toutes les étapes par lesquelles je suis passé? N'aurais-pas assez fait part des questionnements qui m'on assailli, torturé si souvent? Serais-je donc insincère dans ce journal (dans quel but?), essayant de tromper autant les lecteurs que moi-même?
Ainsi ce lecteur plein de bienveillance à l'égard de mon couple entend t-il me faire comprendre que je me leurrerais et que l'amitié que je ressens n'en n'est pas vraiment une? Ben oui, c'est bien connu, c'est soit blanc, soit noir. Amitié ou amour (de couple, évidemment!). Et ne cherchons surtout pas à voir si cette classification n'est pas un peu sommaire.

Je gage que je n'aurais pas eu ce genre de remarque si j'avais été célibataire...

Et bien, cher monsieur (et tous ceux qui auraient tendance à penser comme lui), je vous laisse à vos déductions. Elles doivent satisfaire votre besoin de ne pas trop changer les choses établies, ne pas s'éloigner des routes bien balisées. Je vous les laisse parce qu'elles ne me concernent pas.

J'assume entièrement ce que je vis avec ma complice, j'assume entièrement le fait que cela se déroule en parallèle de mon couple, j'assume entièrement le "bordel" (si on peut appeller comme ça la remise en question...) que cela peut mettre dans une relation à laquelle je tiens énormément, mais qui ne m'apporte pas toujours assez d'oxygène. Maintenant, je respire, je vis, et mieux que tout, je (re)nais et sors enfin la tête de l'eau. Mais tu te rends compte mon gars? JE VIS! Et j'aime cette vie!

Je crois en moi et... je m'aime comme ça.



La première personne que l'on doive aimer, c'est bien soi-même. Car ne pas croire en soi c'est attendre des autres qu'ils nous rassurent sans cesse. C'est être dépendant d'autrui pour son propre bien-être. C'est demander une attention qui restera toujours insatisfaisante dans la durée, donc fragile.
Il est nécessaire de s'émanciper, avoir le courage d'être soi, devenir autonome... afin de pouvoir aller vers l'autre libre d'attentes. Le prendre tel qu'il est.

Je respecte l'avis des gens qui privilégient coûte que coûte la solidité du couple. Je conçois fort bien l'idée de don de soi à l'autre, d'abnégation, de renoncement, d'engagement, de fidélité. Je les comprend d'autant plus que j'ai tenu ce discours pendant très longtemps... et que j'ai fini par en voir les limites.

La première fidélité consiste à l'être envers soi-même.

«Je m'engage, aujourd'hui, avec ce que je suis, envers toi, avec ce que tu es. Et j'engage aussi dans cette aventure relationnelle une partie de moi en devenir, et que j'ignore encore, envers une partie de toi en devenir et que tu ignores toi aussi. Je m'engage dans la durée avec une part d'inconnu de moi et une part d'inconnu de toi, c'est à dire sans connaître encore l'homme ou la femme que je serai, ni celui ou celle que tu deviendras toi-même.»
(Jacques Salomé dans "Le courage d'être soi")

C'est dans ce sens que je me suis engagé à être fidèle au couple que je constitue. J'y suis toujours fidèle et tiens à le rester. Je suis fidèle envers ma femme parce que mes sentiments à son égard, et mon désir de partager ma vie avec elle sont intacts.

Que certains voient dans une relation parallèle une "infidélité" basée sur des principes moraux discutables, ça les regarde. C'est une question d'opinion personnelle. Pour moi les sentiments ne sont pas exclusifs et on ne devrait pas désirer s'approprier ceux de l'autre sans partage. Aimer l'autre, c'est vouloir son bien être... tant que cela ne crée pas une infidélité à soi-même, à l'intégrité de celui qu'on se sait être.

Être fidèle à soi c'est se donner les moyens de vivre et de rayonner du bonheur intérieur que l'on en ressent.

C'est ce que j'essaie de faire.




Discrétion et intimité



Dimanche 31 août


Ces derniers jours, j'ai perçu, plus ou moins directement, diverses réactions après que j'ai écrit mes entrées récentes. Encourageantes de la part des gens qui comprennent ce que je vis (ou du moins en comprennent le sens). Plus circonspectes de la part de ceux que cela perturbe un peu.

Je me suis rendu alors compte que d'offrir mes pensées intimes, et des éléments de ma vie privée ou de celle d'autrui, pouvait déranger des personnes qui me lisent depuis longtemps. Ce n'est pas ce que je souhaite. Ces personnes me sont fidèles et... ça me gêne de les perturber. Je ne désire pas ça.

Une fois de plus la limite floue entre intime et public se manifeste.

Si le lecteur de passage reste libre de ne pas lire, je ne sais pas si je peux appliquer le même principe vis à vis de personnes qui me lisent parfois depuis des années. Ça me chiffonne un peu tout ça.

Mon chemin de vie fait que j'évolue, donc il n'est pas surprenant que mon journal évolue aussi, change de contenu, de sujets de préoccupation, aille plus loin dans des domaines nouveaux. Or ma vie a croisé d'autres vies au sein de ces liens virtuels. Des contacts se sont créés, des liens se sont noués, des entre-liens existent (entre diaristes, entre lecteurs et diaristes...). Tout un tissu relationnel au sein d'un cercle relativement restreint. Microcosme qui se connait... En parler nous expose très vite à de petites indiscrétions et il faut une solide confiance entre nous, un grand respect, afin que tout cela reste dans une atmosphère sereine, sans tensions excessives.
Des informations circulent sur les uns et les autres, sans aucune volonté de nuire, mais parce qu'un jour il devient difficile de ne pas être explicite...

J'ai beaucoup de respect pour les gens qui respectent les autres et ça me gêne de "forcer" les limites de discrétion que d'autres préfèraient garder. Et ce journal, parfois, en dit plus que ce que ne voulaient savoir les yeux qui le lisent... Quand il s'agit de personnes qui m'apprécient, ou du moins apprécient de me lire, je deviens mal à l'aise.

Le dilemme qui pourrait apparaître... c'est que j'en vienne à les "protéger" en devenant moins prolixe sur certains sujets, alors que je ressens au contraire un besoin de plus grande intégrité en osant davantage être moi-même. Deux options divergeantes.

Peut-être que la solution résiderait dans un journal compartimenté, comme j'y ai souvent pensé? J'aurais ainsi la possibilité d'être plus libre dans chacun des domaines retenus. Peut-être une part de journal sous mot de passe, afin de ne m'adresser qu'à un public identifié, avec plus de confiance que ces yeux dont je ne sais souvent rien?

Protéger à la fois mon intimité de ceux qui pourraient ne pas la respecter (je sais que cette crainte bride -mais de moins en moins- ma liberté), et celle de ceux qui peuvent être dérangés dans leur intimité par mes propos.



De toutes façons la limite de l'intimité se posera dans quelques jours... Je sais que je peux continuer à évoquer mon lent rapprochement temporel vers nathalie jusqu'au jour où j'irai à sa rencontre, mais ensuite?

Le sujet est trop sensible, à la fois pour moi et une part de mon lectorat, pour que je raconte par le menu ce qui se sera passé ou pas. Et notamment... dans la dimension la plus intime. Car c'est bien évidemment ce sujet qui dérange et qui a suscité diverses réactions. Je ne veux pas heurter les consciences, je ne veux pas non plus ressentir de jugement de quelque tendance que ce soit.*

Il sera alors probablement temps de jeter un voile pudique sur ce qui ne regarde que nathalie et moi...


__________



(*) «Je ne veux pas ressentir de jugement de quelque tendance que ce soit»... bigre, puis-je attendre que l'on me protège ainsi? Moi même, n'ai-je pas parfois des avis sur le comportement des autres?

Non... je crois que ce n'est pas en refusant, en craignant les jugements que je pourrai devenir moi-même. Je dois apprendre à ne pas me laisser trop ébranler par de possibles avis. Car, c'est certain, je ne pourrai jamais convenir à tout le monde. Par exemple, entre ceux qui me trouvent coincé et ceux qui songent à l'infidélité, il est évident que j'aurais "faux" quelque soit le chemin.

Je dois apprendre à croire en moi et en ma capacité de discernement. Car je suis non seulement le mieux placé pour ça, mais aussi le seul concerné par le chemin que je me choisis.


Tout ce que je vis en ce moment est le plus extraordinaire changement que j'ai jamais vécu. C'est le tournant majeur de mon existence. C'est tellement important que je ne sais même pas comment l'écrire dans ce journal. Depuis des jours je sens intérieurement tout ce qui se passe, les mécanismes qui se débloquent, s'entraînent, se conjuguent, s'accélèrent... mais c'est impossible à décrire. C'est trop immense.

Devenir moi-même, alors que je ne me suis toujours vu (ou ai cherché à me voir...) que dans le regard que les autres pouvaient porter sur moi, est une révolution complète de mon mode de pensée. Et si nathalie est un personnage aussi important dans ma vie, c'est que c'est par elle que j'ai compris ce chemin de libération.
C'est avec elle que je le poursuis, que je fais craquer mes chaînes. Et c'est en allant à sa rencontre que j'ose, de la façon la plus forte et la plus signifiante qui soit, m'affirmer en tant qu'individu libre. Libre de faire ce que je désire profondément, sans craindre le jugement des autres, et surtout celui de ceux qui comptent le plus pour moi. Mes proches, ma mère-morale, et même... de la femme que j'aime.

Mais tout cela, je pense que seuls ceux qui sont passés par là, ou y aspirent, pourront vraiment le comprendre.


* * *


Je pense à toi, qui es maintenant sur la même terre que moi. Encore loin, mais déjà si proche.
Et j'imagine...






Mois de septembre 2003