Janvier 2004
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Noël sans se poser de questions




Dimanche 4 janvier


En lisant le noël d'Eva, j'ai envie de sortir de mon mutisme. Je pensais à ceux que j'ai vécu dans mon enfance, et ceux de ces dernières années. Chez nous, cette fête a toujours été prétexte à de grandes réunions familiales. Autrefois c'était avec oncles, tantes et cousin-cousines, désormais c'est autour de mes parents avec frère, soeurs, conjoints et enfants. Le chiffre reste le même: une bonne vingtaine.

Autrefois, sans me poser de questions, j'aimais bien. Mais depuis quelques années je trouve lourd ce retour d'une convivialité éphémère. Pourtant, je crois que quelque chose me plaît dans cette ambiance festive marquée par un repas qui, sans que j'en comprenne le sens, se voudrait gargantuesque. Si je n'aime pas ces agapes qui s'étirent en longueur, ni les vagues discussions-débats sans aucune portée qui les accompagnent, j'apprécie ces moments de mise en contact de nos différences et ressemblances. En fait, plutôt passif, j'observe. Parfois je ris, retrouvant cette ambiance complice d'initiés, parfois je m'ennuie de voir ces vies si dissemblables qui ne se cotoient plus que lors d'occasions similaires. Et je regrette qu'il soit devenu un peu tabou de se poser des questions autour de cette complicité superficielle.

Mais j'ai beau rouspéter devant des retrouvailles "obligatoires", je pense que si je m'en privais elle me manqueraient, à la longue. Ne serait-ce que pour me sentir exister en dehors de cette famille d'où je suis issu et dans laquelle je me reconnais parfois peu. Ne serait-ce que pour trouver des réponses aux questions que je me pose.


Je pense aussi aux noëls que je vis dans la famille de Charlotte, dans une toute autre ambiance. Chez eux cette fête était presque un jour comme les autres. La tradition consistait à boire un bol de chocolat le soir, et à s'offrir des cadeaux dans une effusion pseudo-affective. Mais dans une famille ou le père et la mère ne se supportent pas, les festivités duraient peu. Si la venue des conjoints, puis des petits-enfants à quelque peu égayé ce moment en lui donnant un air plus festif... je me suis toujours emmerdé à ces noëls-là. La connivence aigre, marquée de douleur et de non-dit qui existe dans une famille bancale ne donnera jamais qu'une fausse gaité. Mais bon, là il n'est même pas question de se poser des questions...

Jamais je ne me suis senti heureux dans les noëls de cette famille, où une ambiance lourde de reproches prêts à fuser bannit toute légereté. Les petits enfants grandissant, ces retrouvailles tendent à se disloquer, ou ne compter qu'une part des membres de la famille. Les tentative de créer un sens de la fête ne dureront sans doute pas plus que l'enfance de la jeune génération...

Un peu triste quand j'y pense. Mais il y a longtemps que je n'espère plus rien de cette "belle-famille" dans laquelle je suis entré de fait en me mariant avec Charlotte. Elle-même s'est beaucoup mieux intégrée dans ma famille, qui est presque devenue "sa famille". Reste que les liens de sang et le passé commun demeurent, quels qu'aient pu être les souvenirs d'enfance.


Mon noël préféré aura été celui que nous avons passé tous les cinq, avec Charlotte et les enfants. Notre petite fête à notre mesure, toute simple, mais pleine de bonne humeur et de vie. Juste un repas amélioré, pas compliqué, et du temps ensemble. Et puis quelques cadeaux déposés au pied du sapin illuminé.

Cette année, noël avait pour Charlotte et moi une teinte particulière. Nous savions tous les deux en tête l'idée qu'il pourrait bien être le dernier que nous allions vivre sans nous poser de questions...








31 décembre 2003, 12h30




Mardi 6 janvier

Depuis quelques temps je me suis placé dans un relatif silence. Alors que pendant quelques mois il m'arrivait d'écrire quotidiennement, et longuement, j'ai espacé mes interventions sur ces pages. J'ai tenté aussi de me distraire des réflexions permanentes qui envahissaient toute mon existence. Je pense que ç'aura été profitable.

Comme des feuilles mortes à la surface de l'eau qui finissent un jour par glisser vers le fond, j'ai laissé mes pensées couler en moi. Je sentais que j'avais parcouru tout l'éventail de possibilités qui s'offraient et j'ai compris qu'il devenait vain de les brasser en permanence. J'étais bien imprégné par toutes les éventualités, il était temps de me déterminer.

D'ailleurs, ma vie n'attendait plus que ça pour pouvoir reprendre. Prolonger l'attente présentait le risque de voir fermenter trop longtemps ces pensées. De jour en jour je me sentais m'engluer, entrainant avec moi les personnes qui me sont le plus chères. Alors j'ai décidé de m'isoler. Prendre du temps pour moi, seul, en face à face avec moi-même.
D'abord par une interruption des contacts transatlantiques pour un temps indéterminé, puisque mon esprit n'était plus assez disponible. Ensuite par un isolement géographique d'avec Charlotte.


Je suis parti en montagne... pour "travailler" sur le problème qui avait peu à peu envahi ma vie depuis... euh... un mois? non... trois mois. Ou peut-être même un an? Je dis travailler, parce que je suis parti avec un énorme dossier sous le bras. 272 pages exactement, soit les six derniers mois d'écriture de ce journal (imprimé pour l'occasion). De juillet à décembre.

Je me suis donc retiré dans une vieille ferme, au milieu d'un superbe paysage de neige et de givre. Après avoir bien rempli le poële à bois, je me suis immédiatement mis au travail. Relecture méthodique de mes écrits, Stabilo vert-fluo dans une main, et stylo dans l'autre. Je marquais chaque paragraphe important et surlignais les phrases déterminantes. Sur une feuille je notais parfois quelques éléments-clé.

Combien d'heures ai-je passé, durant ces trois jours, à relire ainsi de façon méthodique mes pensées anciennes? Au moins une dizaine.
Oh, je ne faisais pas que ça, puisque je suis quand même allé marcher un peu dans la neige, respirer l'air froid et profiter du paysage, puis m'acheter de quoi me sustenter dans la bourgade voisine. Mais la détente n'était pas l'objectif de ce petit séjour.


Lisant de mois en mois (en moi?), j'ai retrouvé l'évolution de mes idées, puis de la situation. Quelque chose m'a marqué: au début j'écrivais «je vis!», alors que sur la fin, les «je ne vis plus» se répétaient. L' incertitude, quand elle concerne des choix de vie, est une non-vie.

J'ai alors noté ceci: «J'avais beaucoup progressé en moi jusqu'à la rencontre. Et puis tout s'est grippé parce que Charlotte, mon soutien, mon assurance affective... ne me suit pas. Les rouages se grippent, grincent, patinent. Toute la machine est bloquée et ne parvient pas à poursuivre le virage amorcé. Rien ne se passe, sauf un échauffement, de la souffrance, des tensions. Alors soit je fais marche-arrière... soit j'avance»

En fait j'étais parti en me disant que j'allais explorer toutes les voies qui pouvaient me faire choisir la solution que je ne "sentais" pas bonne pour moi. Me donner la chance de penser "à l'envers" de ce que j'avais égrenné tout au long de ce journal.
Ça n'a pas fonctionné. Dès le début j'ai retrouvé des tas d'éléments qui confirmaient ces pensées que je savais inscrites au fond de moi (et écrites sur ces pages). A chaque fois j'étais ramené dans le sens qui a toujours été le mien: celui de ne pas renoncer à une relation dont je sens tout ce qu'elle a d'évidence à être suivie.
Alors, après quelques heures de réflexion, je me suis conditionné en écrivant délibérément dans le sens contraire. En optant pour un renoncement de ma relation avec nathalie afin de voir tous les "avantages" qu'il y aurait à reconstruire ma relation de couple. J'ai écrit une page... sans aucune conviction. Ça sonnait creux. J'avais l'impression de faire de la fiction. Ce n'était pas "moi" qui écrivais.

Bon... après cette tentative infructueuses j'ai poursuivi ma lecture, comptant sur je ne sais quel déclic pour m'aider à me déterminer plus franchement.

En fait... tout était évident. Page après page, tout confirmait ce que je savais déjà. Pourquoi, dès lors, ne parvenais-je pas à exprimer mon choix?
Parce que j'avais peur! Une trouille immense. Une frousse terrible à l'idée de me lancer vers l'inconnu en sachant que je perdais beaucoup de l'environnement affectif qui me rassure. «Le choix que vous devez faire, c'est entre l'enfant et l'adulte», m'avait dit ma psy. L'adulte savait quel était son choix, mais l'enfant ne voulait pas lâcher.

[Je passe sur le détail de mes tergiversations, puisqu'elles sont énoncées sur ces pages depuis des mois.]


Le deuxième soir tout était donc là, devant mes yeux, flagrant. Je sentais bien que j'approchais de la fin de mes réflexions, mais cette peur d'oser restait là. J'étais seul dans cette maison, pour quelques jours, et je réalisais que mon choix m'orientait vers ce genre de solitude sur le long terme. Voire jusqu'à la fin de mes jours. Je voyais avec crainte se confirmer un scénario que je redoutais: mon choix ferait que Charlotte allait me quitter, me laissant donc "seul" (célibataire), et devant trouver une autonomie financière que je n'ai pas actuellement. Sans parler de l'autonomie affective...

Il y avait en moi un mélange de crainte et d'audace. Envie de sentir le vent de la liberté gonfler les voiles, et lâcher ces amarres affectives, vestiges outrepassés de cordon ombilical. Ouais... tout cela était fou, je le savais bien. Je pressentais que mon chemin était là. Je ne pouvais plus renoncer à moi-même.

Je devais choisir entre Charlotte et moi. Je devais choisir entre l'abandon inquiet d'un passé stable, ou le renoncement à un avenir et tous ses possibles. J'ai alors écrit «Puisque je souffrirai dans les deux cas, je crois que je dois choisir la souffrance de l'abandon du passé plutôt que celle du renoncement au futur.
D'un coté je perds ce qui a été beau... en étant confiant dans l'avenir. 
De l'autre je renonce à ce qui pourrait être merveilleux... par peur de l'avenir
».

Mais en fait il y a longtemps que je sais que, quelle que soit la façon dont je reformule les alternatives du choix, il va toujours dans le même sens.


C'est Charlotte qui, involontairement, m'aura aidé. Lors d'une conversation au téléphone, alors que je tenais à lui rappeller que c'est elle qui voulait quitter notre couple alors que je désirais poursuivre, elle s'est énervée en refusant d'endosser cette responsabilité. Elle voulait que j'en assume ma part. Elle a poursuivi en disant que j'étais buté, que je n'écoutais que les gens qui allaient dans mon sens, idem pour les livres que je lui citais, puis à fini en disant: «tu rêves, tout cela n'est que de la théorie, tu n'es pas réaliste, tu ne te poses pas de questions!».
Bon... il est certain que nos réalités et références sont différentes. Mais dire que je ne me pose pas de questions...
La conversation, qui avait pourtant très bien commencé, s'est mal finie, chacun ayant fini muet et froid. J'étais en colère contre elle (et réciproquement), et j'ai mesuré une nouvelle fois combien nos modes de fonctionnement étaient différents.

Notre incompatibilité sur certains points était caractéristique.

J'ai dormi là dessus.
Il a du se passer quelque chose durant mon sommeil, parce que le lendemain j'ai compris que je ne pouvais effectivement pas avoir un rôle passif dans ce qui allait advenir. Me contenter de dire que je ne renonçais pas à ma relation parallèle, laissant à Charlotte la responsabilité de se séparer de moi... non, ça n'allait pas. J'ai cogité un moment, puis ai fini de relire ce journal. J'ai parcouru les notes que j'avais prises durant ce séjour. Quelques phrases étaient fortes: «Charlotte n'accepte pas mon évolution, celui que je deviens et les idées que j'exprime».
Mais surtout: «Si je renonce à nathalie, c'est parce que j'ai peur que Charlotte ne me quitte. Je ne choisis pas Charlotte, mais la sécurité affective». Je finissais mes notes ainsi: «Je dois être lucide: je n'aime plus Charlotte amoureusement. Le temps est passé. Trop de différences».

Clair, net et précis.

Une fois que j'avais cette lucidité, par honnêteté envers moi-même, et vis à vis de Charlotte, je ne pouvais plus reculer.
Je suis resté un moment songeur, tête vide, devant le poële qui ronronnait. Je crois même que je me suis assoupi.

Et puis je ne sais pas comment ça s'est produit, mais j'ai compris que je devais prendre ma part de responsabilité et devenir acteur de mon choix. Alors tout d'un coup je me suis décidé à écrire un brouillon de lettre.

«Charlotte,

Puisque je ne peux renoncer à ma liberté d'être ce que je suis, et puisque cette liberté me pousse à vivre d'une façon que tu ne peux supporter de ma part, alors je suis d'accord pour que nous nous séparions. [...]
».

C'est sorti comme ça, spontanément, parce que c'était évident. Il était 12h30, ce 31 décembre 2003.
J'ai rassemblé mes papiers et fermé mon dossier. J'avais terminé mon travail.










A nous d'inventer




Mercredi 7 janvier


Après avoir pris fermement la décision de notre séparation, je me suis senti plutôt léger. Nulle tristesse, mais un sentiment de liberté. Je me libérais enfin d'un énorme poids en sortant de l'incertitude. Je me sentais désormais détaché de Charlotte. L'impression ne dura pas, j'allais m'en rendre compte un peu plus tard...

J'ai fini ma journée tranquillement en lisant un des bouquins d'affirmation de soi que j'avais emporté. Une fois de plus j'ai été surpris d'y retrouver des modes de fonctionnement que je sais appliqués par nathalie. Elle ressent intérieurement les grands principes d'épanouissement personnel et la façon de vivre harmonieusement les relations avec les autres. Je perçois chez elle une grande lucidité sur ce plan là et j'en suis souvent impressionné.
Je sais que j'ai encore beaucoup à apprendre pour améliorer mes interactions avec autrui, en osant simplement croire en moi, écouter mes ressentis, et les exprimer. Tout cela s'inscrit parfaitement dans cette démarche de réappropriation de soi. Celle là même qui m'entraîne vers cette mutation de ma vie de couple. En fait, je sais bien que tout est lié.


Le soir du 31 décembre ma soeur (celle avec qui j'ai parlé de ce qui nous arrive) et sa famille sont arrivés dans la vieille ferme où j'étais depuis trois jours. Charlotte est arrivée plus tard. Nos retrouvailles ont été très sobres puisque notre froid de la veille n'était pas dissipé. Le repas s'est déroulé de façon plutôt détendue et personne n'a fait allusion à notre situation.
A minuit, nous étions affalés sur un canapé autour du poële, en train de discuter mollement. Les enfants se sont un peu excités mais nous n'avons pas bougé. Ça m'a quand même fait une drôle d'impression, parce que c'est la première fois que je n'embrassais pas Charlotte pour cette occasion. Apparemment personne n'y tenait, pas même le couple de ma soeur. Je n'ai pas pris l'initiative de bouger.

Dans ma tête... je songeais quand même très fort à quelqu'un que j'aurais bien aimé embrasser ce soir là, même si je savais qu'elle et moi n'étions plus dans la même année.


Le lendemain, je me suis réveillé très tôt, presque au moment ou nathalie changeait d'année. Et j'ai de nouveau pensé à elle, si loin de moi. Puis j'ai sombré à nouveau dans le sommeil.

Au réveil nous avons longuement discuté dans le lit avec Charlotte. Notre froid était encore perceptible. Elle a fini par me dire qu'elle pressentait que j'avais pris ma décision...
J'aurais voulu lui laisser le temps de tranquillement finir notre petit séjour, mais je ne sais pas tricher. Alors je lui ai dit, très clairement, ce que j'avais écrit la veille: «je suis d'accord pour que nous nous séparions». Elle n'a rien dit. J'ai poursuivi en lui expliquant les raisons de mon choix, et comment j'étais parvenu à voir qu'il n'y avait pas d'autre chemin.
C'était comme si un autre moi s'exprimait. Les mots sortaient très calmement, sans fard, sans atténuation. C'était la nue vérité de ce que je ressentais. Je m'entendais énoncer des phrases qui marquaient cette séparation que pourtant je craignais.

Charlotte a longuement pleuré, mais sans aucune agressivité ni révolte à mon égard. J'étais très proche d'elle, la tenant dans mes bras. J'essayais de lui faire passer toute ma tendresse et l'accompagner dans ce moment difficile. Puis nous sommes restés un long moment comme ça, un peu abasourdis.

Le dialogue est revenu, avec une évaluation des changements pratiques que cela allait occasionner. Tout est à inventer...

L'après-midi nous sommes partis nous promener dans un paysage féérique de givre, en raquettes et ski de fond. Tout semblait aller bien. Ma soeur et mon beau-frère n'ont pu percevoir aucun changement d'attitude. D'ailleurs nous n'avions pas de rôle à jouer puisque nous étions très proches, et souriants. En fait je crois que nous nous sentions libérés de cette incertitude, et c'était plutôt réjouissant.




Depuis... nous laissons doucement les choses pénétrer en nous. Tout notre processus de pensée est en train de s'adapter à ces nouvelles données. Nous sommes à la fois extrêmement proches, avec des discussions très approfondies, et en voie d'autonomie. Nous commençons à raisonner individuellement.

Il y a des moments assez bizarres, lorsque nous tombons d'accord pour constater que... nous sommes différents. Nous apparaissent tous les points qui nous relient et pourraient laisser croire que nous nous entendons finalement très bien... mais aussi nos points de divergence fondamentale qui montrent l'irréductible fossé qui nous sépare.

Alors nous oscillons entre enthousiasme et découragement. Nous avons bien des difficultés à intégrer en nous cette inconciliabilité, alors que nous tenons tous les deux à l'autre et au maintien de notre relation. Ou du moins... d'une forme de relation.

Reste à savoir comment nous allons la faire évoluer afin que nous en soyons tous les deux satisfaits... pour le mieux. A nous d'inventer ce qui nous conviendra.







Trois mots




Jeudi 8 janvier

Psy 3.19

Trois mots me sont venus en tête pendant que je patientais dans la salle d'attente: Père, mère, aimer.
Je crois que c'est autour ce ça que tout se focalise dans mon cas.


Petit état des lieux, entre d'où je viens et vers où je vais.


1 - Le passé

Mon père n'avait pas de marques d'amour envers moi et tenait des propos dénigrants (ou perçu comme tels), alors qu'il avait "naturellement" toute mon estime de fils. 
Il "communiquait", mais exclusivement sur le coté matériel des choses (scolarité, sciences et techniques, culture générale, etc). [c'était sa façon de montrer qu'il aimait]

Mon père n'avait pas d'estime envers ma mère, elle-même seule source d'amour pour moi mais dévalorisée par le regard paternel-référent. [en fait mon père avait une estime partielle pour ma mère]


D'où une carence, un manque qui cherche sans cesse à être comblé. Je cherche à être aimé par quiconque, et d'autant plus que j'estime cette personne (en référence au père).
[bien noter l'association amour/estime, qui fait que l'estime constitue un préalable à l'amour!]



2 - Ce dont j'ai pris conscience et que je dois améliorer.

2.1 Différentes composantes de l'amour que je peux donner selon les rôles que j'ai au quotidien.


- Moi-père ==> Reproduction de ce dont j'ai manqué: peu de marques d'amour envers mes enfants.

Mais je recherche et valorise la communication verbale (idem père) en l'orientant vers le domaine émotionnel et affectif (différenciation d'avec mon père)


- Moi-mari ==> Reproduction du modèle parental: tendance à être exigeant envers Charlotte, stigmatisation sur les aspects d'elle que je n'estime pas. [besoin de l'estimer pour l'aimer?]

Mais recherche et attente d'amour via la communication: verbale, affective, tactile. ==> Peu par la sensualité et la sexualité (idem père).


- Moi-homme ==> Pas de modèle sexué masculin paternel: difficulté à laisser émerger (à assumer) cette part (cf. ci-dessus).



2.2 Traduction dans mon comportement depuis l'adolescence jusqu'à la prise de conscience des dernières années (en pleine évolution)


- Moi-social ==> Sous double influence active (père) et passive (mère): tendance à la dévalorisation, peu d'estime pour moi, sentiment d'insignifiance, de ne pas être aimable, ni de mériter l'amour que l'on me porte (je ne me laisse pas aller à être aimé, ni à aimer, en dehors de l'amour-amoureux).

Je ne m'aime pas face aux autres, tout en attendant d'être aimé. Comme s'il fallait deviner qui je suis (sens favorable) sans que je n'aie à prendre le risque de le montrer (sens défavorable).
[le moi-social a un lien fort avec l'estime, une fois de plus]



- Moi-solitaire ==> plutôt une grande confiance en ce que je suis, conviction dans les intuitions que j'ai, ténacité pour suivre le chemin que je sens être le mien.
Seul état dans le quel je me sens en bien-être intérieur (et où je m'aime).


- Moi-couple ==> J'attends (attendais?) un autre moi-même, avec acceptation mutuelle totale, amour fusionnel (amour maternel? retour in-utéro?).
Etat ambivalent, parfois de bien-être, parfois de mal-être, selon que mes besoins sont satisfaits ou pas. La prise de conscience récente consiste à accepter que je n'aie pas à attendre de l'autre que mes besoins soient satisfaits (autonomie).


- Moi-enfant ==> besoin d'être toujours rassuré, encouragé, aimé. Peur de l'abandon, peur de me retrouver seul et vulnérable. Enfant tyrannique, demandeur, exigeant, égocentriste. 
En atténuation depuis plusieurs années.

Contrecarré par:

- Moi-adulte ==> Désir d'autonomie, de liberté, de me prendre en charge seul, de ne pas dépendre d'autrui.
Etat émergent (pour ce qui concerne l'amour), activé après une longe période de latence.


2.3 Constat:
L'amour que je n'ai pas perçu fait que je ne sais pas donner d'amour.

==> J'ai longtemps privilégié le seul amour-amoureux.

==> L'amour parent-enfant ne s'est développé que lentement et reste en retrait par rapport à ce que je souhaiterais. Mon sentiment de père aimant ne s'est pas développé dans toutes ses dimensions (quoique bien davantage que ce que j'ai reçu).

==> L'amour envers les autres ne s'était que très peu développé (sauf ces dernières années). Régime de survie, liens minimaux pour ne pas être isolé. Pas d'amis, les relations étaient surtout entretenues par l'intermédiaire de Charlotte.
Je n'avais pas su voir qu'on pouvait m'aimer (m'apprécier), ni n'avais cherché à aimer (hors de l'état amoureux).



3 - Ce qui est en cours de changement

Je sais désormais qu'en m'aimant (croire en moi, estime de moi) j'aurais moins besoin de l'amour d'autrui (autonomie affective). Partant de là j'oserai de plus en plus être authentique, ce qui fait que je pourrai être aimé pour ce que je suis (par certains, mais pas par tous).

En me sachant aimé, je pourrai aimer en retour.
En aimant, je pourrai aussi être aimé en retour.

Tout doit se faire simultanément. Je dois être acteur de ce changement et cesser d'attendre que ça vienne d'autrui.



4 - Perspectives

Je dois admettre que ne pas être aimé (apprécié) doit être accepté au même titre que l'amour. C'est même en ressentant le non-amour (différences) qu'on apprécie d'autant plus l'amour (ressemblances). C'est l'effet de contraste qui donne valeur aux choses, aux sentiments.

Plutôt que conserver mon référentiel par rapport à un être unique, dominant, et figé dans le temps passé (le père de mon enfance), c'est en fonction d'une diversité de personnes actuelles que je peux exister en tant qu'adulte. Les frictions ne sont donc pas à craindre, ce sont elles qui m'aident à grandir.

En ne craignant pas le rejet je donne à l'amour la chance d'exister.




Ce récapitulatif de ce que j'ai compris depuis quelques mois est une façon de mieux conceptualiser les choses en me focalisant sur l'essentiel. De bien assimiler selon quel processus j'ai tendance à fonctionner. Je ne peux me sortir de ce comportement qu'en étant très vigilant sur mes tendances à reproduire des modèles inconscients que je sais nuisibles.








Détachement en douceur





Vendredi 9 janvier


Il y a un an, je rencontrais à Paris quelques diaristes. Nous mettions un visage sur des personnalités que nous connaissions de longue date, mais uniquement au travers de leurs écrits. Je garde un excellent souvenir de ces rencontres, même si alors assez peu de nos intimités respectives avaient été échangées. Ce n'était pas ce qui comptait ce jour là, mais la découverte des présences qui émanaient de ces "vraies" personnes. J'avais ressenti alors toute l'authenticité qui peut exister entre les écrits et la réalité.

Depuis nous restons en contact épisodique, du moins lorsque les affinités particulières sont restées réciproques.

Il y a un an, à cette occasion, des photos avaient été prises. Elles allaient jouer un rôle dans mon rapprochement avec nathalie.


Oui, il y a environ un an que ma relation avec nathalie a pris davantage d'intensité. Sans qu'aucune date précise ne marque ce moment là. Contact téléphonique, photos, confidences... la conjonction de ces quelques éléments s'est produite au moment opportun: nous étions sans doute prêts à entrer dans cette nouvelle dimension de notre amitié.

J'ai vécu cette année 2003 très intensément. Autant dans le bonheur que dans la tristesse. Je me suis épanoui, non sans quelques souffrances. J'ai vécu des moments faciles et d'autres bien difficiles. Et je sais que je n'ai jamais autant "avancé" sur mon chemin de vie. Je me connais infiniment mieux, et surtout en ce qui concerne le rapport que j'entretiens avec l'amour, au sens le plus élargi. Il restait beaucoup de zones inexplorées dans ce vaste territoire dont je sais l'importance. Je crois que j'ai mis à jour l'essentiel de ce qui fonctionnait mal et empêchait ma progression.
Désormais je vois s'ouvrir des étendues vierges et lumineuses que j'ai envie d'explorer. Je sais que j'ai beaucoup de belles choses à y découvrir, et j'en suis avide.

Simultanément (gourmand que je suis!) j'ai le désir d'investir l'amour dans toutes ses dimensions. Amour de l'autre, connu ou inconnu. Amour envers mes proches, à qui je n'ai pas su manifester l'importance qu'ils avaient pour moi. Cela va des amis, aux frère-soeurs, de mes parents à mes enfants. Et bien sûr envers nathalie et Charlotte.

Pour le moment je me consacre à cette séparation d'avec Charlotte, qui consiste à mettre au jour ce qui nous relie et ce qui nous sépare. C'est une prise d'autonomie, la formalisation de ce 1+1=3 que nous pressentions. Nous retrouvons chacun notre unité et observons ce qui existe dans cette troisième unité que constitue notre lien. Nous étions encore trop pris dans le 1+1=1, tout en sachant très bien que ça ne convenait pas.

L'ambiance ne cesse de me surprendre, puisqu'au coeur de cette séparation nous nous découvrons et nous apprécions davantage. Les choses sont pourtant très claires puisque nous commençons à concrétiser cette séparation physique. Pas une conversations sans que nous parlions de nos vies à venir, chacun de son coté. Nous avons ressorti les actes de propriété, étudions les aspects financiers de cette séparation, nous préparons à vendre une part de notre patrimoine commun afin de pouvoir acquérir un autre logement.

Une chose semble reportée dans le lointain: le divorce. Tout semble si compliqué et lourd, avec des procédures strictes, des frais, des avocats et notaires... Brrr! Après tout, puisque nous nous entendons bien, nous n'avons pas pour le moment besoin que l'administration vienne se mêler de nos affaires. Et puis... nous ne sommes pas prêts pour un acte aussi définitif.

Pour tout dire, il y a même un léger sentiment d'euphorie dû aux changements envisagés. Ça ne nous déplaît pas de nous imaginer libres chacun de notre coté, disposant de son emploi du temps sans comptes à rendre.

Certes, d'aucuns pourraient voir dans cette situation un peu floue une hésitation à franchir le pas. Ce n'est pas impossible, mais puisque pour le moment ça nous convient à tous les deux, ne nous en privons pas. Nous verrons bien ce qui se passera dans l'avenir. Il reste clair que ma relation avec nathalie est le principal objet de notre séparation. Même si ce fût l'occasion de révéler bien d'autres choses.

Mais je sais que même si tout se passe bien aujourd'hui, les choses peuvent rapidement basculer. Désormais plus rien n'est acquis ni définitif. Nous devenons libres l'un de l'autre. C'est sans doute ce qui modifie notre rapport puisque nous ne cherchons plus à plaire. Nous sommes devenus un peu plus authentiques, avec parfois de belles surprises. Je préfère de beaucoup ce rapport, et il en est de même pour Charlotte.
En fait, nous découvrons des aspects de l'autre sous une vision nouvelle. Nous savons mieux voir chez l'autre ce qui nous plaît, et n'attendons plus qu'il convienne à nos désirs.

Mine de rien... ça fait une énorme différence.


De l'autre coté, avec nathalie, nos contacts sont espacés durant le temps nécessaire à ce que je trouve mon nouvel équilibre, afin que les deux relations n'interfèrent pas. Je crois que nous avons désormais une telle confiance en l'autre que le silence ne l'affecte pas. Notre avenir n'est qu'une question de patience.


Ça ne m'empêche pas de penser à toi...




Leur confiance en moi





Samedi 10 janvier


J'ai l'impression de me trouver encore dans un état d'entre-deux. Le pas que j'ai fait vers la prise d'autonomie, parce que je ne me sentais plus en accord avec le statut conjugal qui était celui de mon couple, n'a pas changé grand chose dans le quotidien. Tout se passe dans la tête et rien, aucun acte vraiment engageant, ne concrétise cette décision.

Je ne sais pas si j'envierai un jour les gens qui prennent vite des décisions, tranchent net, mais j'ai l'impression que c'est plus facile que de faire les choses en douceur. A vouloir ménager les souffrances (surtout la mienne?), je maintiens durablement un état d'incertitude et de questionnements.

L'état de grâce que je vis actuellement avec Charlotte m'entraînerait vite vers le faux confort de la non-décision. Je laisse assez volontiers le temps s'écouler en attendant je ne sais quel déclic qui m'aidera à franchir le pas suivant plus aisément.

Le pas suivant? C'est l'action. Matérialiser notre séparation en lançant le processus, sans possibilité de status quo ni de retrait. Pour nous ça passera par un engagement financier. Il va falloir trouver de l'argent afin de faire face à une augmentation de nos dépenses. Deux logements coûtent bien plus qu'un seul. Et quand on est déjà "juste", c'est un peu angoissant. Ce coté bassement matériel des choses m'inquiète un peu. Je crains de disposer de beaucoup moins de temps libre qu'actuellement, d'avoir davantage de soucis, de réduire fortement mon train de vie (déjà loin d'être fastueux). En bref, je crains de perdre ce que j'ai cherché à atteindre: une certaine sérénité sans soucis. Il se pourrait que ce que je gagne comme liberté mentale le soit au détriment de la liberté matérielle. C'est quand même un peu inquiétant... Peut-être à tort?


Il y a quelques temps je me disais que je ne me sentais plus en accord avec la vie que j'avais, mais pas encore prêt à vivre selon celle que je souhaite avoir. Situation très inconfortable.
En choisissant d'aller vers ce chemin qui est le mien je quitte une certaine sécurité (affective et matérielle). Ce que je dois apprendre maintenant c'est à m'installer dans cette liberté que je prends. Entrer dans cet état d'autonomie, mais tout seul. Je veux dire par là qu'il n'est pas question que je passe d'une sécurité affective à une autre. Ou plus simplement: je ne me sépare pas de Charlotte pour aller vers nathalie.
Je dois d'abord prendre le chemin de l'autonomie, et ensuite je pourrai aller librement vers nathalie. Et c'est assez compliqué de ne pas céder à cette fausse facilité. C'est sans doute pour cette raison que nathalie, qui sent très bien les choses, m'encourage à maintenir actuellement un certain retrait entre nous: je me détermine seul.

Sa lucidité ne cesse de m'étonner. Bien souvent elle ressent avant moi ce qui pourrait se passer, et sait déjouer les possibles pièges. C'est comme si elle pressentait ce qui est bon pour moi, pour elle, pour nous.
Je reste assez fasciné par sa perception des choses. J'ai davantage confiance en elle qu'en moi pour éviter les principaux éceuils. Elle me permet de temporiser et entendre en moi ce à quoi je tiens vraiment. Nulle précipitation de sa part. A tel point que parfois j'ai eu du mal à comprendre une apparente distance.
Je sais désormais quel est le sens de ces émotions contenues, et comment elles sont toujours là, prêtes à jaillir lorsque je suis réellement à son écoute. Lorsque je cesse d'avoir peur, lorsque je m'exprime avec confiance plutôt que crainte... qui n'est autre que de la méfiance.

nathalie a une extraordinaire confiance en moi, comme si elle savait voir en moi mieux que je n'en suis capable. C'est ma propre force intérieure qu'elle me retourne, qu'elle oriente afin que je garde cette énergie pour le meilleur de moi-même. Elle sait voir loin, au delà des apparences.

Et plus j'apprends à la connaître, mieux je mesure la chance que j'ai eu de la rencontrer. Et pourquoi il y a au fond de moi cette confiance en nous qui me rend capable d'aller vers un chemin absolument pas "raisonnable". C'est tout cela qui fait que nous pouvons nous aimer malgré les 5900 km qui nous séparent.


Aujourd'hui, cela fait quatre mois que nous nous sommes rencontrés. Deux petits jours et demi au milieu d'une année que nous nous aimons. C'est fou, non? Et pourtant ces deux petits jours et demi nous ont montré que notre réalité était bien conforme à cette "virtualité" dans laquelle nous nous rencontrons depuis trois ans et demi. Mieux: par la mise en jeu des sens cette réalité à dynamisé ce qui était alors resté dans le mental. La conjonction de l'amour cérébral et de l'amour sensuel a pu générer cette extraordinaire alchimie qui nous unit désormais.

C'est cela que je veux continuer à vivre avec elle, et magnifier encore.


Pour cela, je dois auparavant être libre d'être ce que je suis.
Je veux pouvoir rencontrer nathalie sans ressentir la culpabilité de "laisser tomber" Charlotte. Ma prise d'autonomie consiste aussi à me sortir de cette culpabilité à suivre un chemin qui peut faire souffrir Charlotte.

Et il se pourrait bien que ces scrupules soient absurdes puisque Charlotte a choisi elle-même de quitter la souffrance. Elle a su choisir ce qui lui convenait, en respectant mon choix tout en se respectant elle-même.
Lorsque nous en parlons elle me dit préferer la situation actuelle, claire, plutôt que l'incertitude des derniers mois. Elle a envie de vivre heureuse et sait se prendre en charge pour cela.

Charlotte aussi à confiance en moi, et souhaite mon bonheur tout comme je souhaite le sien. Nos chemins s'écartent actuellement, et pourtant nous n'en restons pas moins lié à l'autre. Et de façon beaucoup plus éclairée qu'auparavant. Je sais qu'elle aime celui que je deviens... 







L'extraordinaire potentialité
des forces de frottement




Dimanche 11 janvier


Vivre c'est choisir. Choisir, c'est confronter des forces opposées. Et de cette confrontation, de ces frottements internes, naît une énergie nouvelle. Une énergie de vie. Il y a friction entre les désirs et les obligations. Entre la passion et la raison. Entre l'intuition et l'intellect. Toutes choses qui ont parfois été simplifiées, de façon fort commodément culpabilisante, entre "bien" et "mal".

Je vis une période de frictions intenses et répétées. Entre mouvement et résistance, des forces contraires m'animent sans cesse.

- Me lancer vers de vastes étendues vierges de la connaissance de soi, mais ne pas m'égarer loin des territoires connus.

- M'aventurer vers ce qui m'attire, mais ne pas oser franchir les limites héritées de mon éducation

- Vivre ce que la chance m'offre, mais ne pas perdre ce dont je dispose déjà.

- Laisser le temps aux choses de se préciser, mais ne pas laisser passer le temps de ce qui est là, au présent.


Toutes ces forces contraires peuvent détruire ou construire, selon l'orientation que l'on privilégie. Et l'attentisme immobile ne produit rien.
Par contre, chaque fois que j'opte pour la force positive je fais céder la force négative, rétrograde, archaïque. Et par cette option positive je naît en moi-même. Je laisse émerger le meilleur de mon être: la pulsion de découverte, d'aventure, de progrès, de création. Je laisse venir en moi l'inconnu, confiant dans ma capacité à réagir et m'adapter à quelque chose de nouveau. Je m'inscris dans le mouvement de la conscience collective de l'humain pour ce qu'il a de meilleur, et que chacun d'entre nous sait discerner en son âme et conscience profonde.



Hier j'écrivais que je devais d'abord me détacher de ma relation de couple, afin d'investir une autonomie affective encore imparfaite, avant de de libérer mon potentiel amoureux envers nathalie. Oui, ça me paraît clair... mais est-ce que je peux isoler cette problématique du reste de mon existence?
Car simultanément j'ai besoin de sentir très vivante l'attraction envers cet amour que je vis avec nathalie. Parce que c'est cette force qui m'a donné le courage d'avancer à contre-courant de mes idées régressives. C'est ce qui a dopé mon énergie positive, modifiant l'équilibre en jeu au profit d'un mouvement vers l'avant.

Alors je ne peux pas dissocier totalement les différents éléments de ma vie. S'il n'y a pas de lien direct entre ma relation avec Charlotte et ma relation avec nathalie, il y a toutefois un lien commun prépondérant: la prise d'autonomie. Avec chacune d'entre elle je tend vers cette liberté, cette nécessité d'être moi. Me détacher de Charlotte aura été motivé par mon envie de vivre mon rapprochement vers nathalie, parce qu'il est devenu mon aspiration profonde. Il correspondait à ce qui était en moi depuis toujours. Et cet attachement librement partagé, par son coté extraordinaire, me donne l'énergie nécessaire pour poursuivre mon chemin d'autonomie, m'aide à aller vers moi-même. Je dois donc simultanément prendre mon autonomie vis à vis de Charlotte ET vivre ma relation avec nathalie.

Et sans culpabilité, cette puissante force régressive qui coupe les ailes.
Au contraire: puisque en optant pour ma liberté d'être j'ai débloqué le mécanisme qui se grippait, je dois profiter de toute cette énergie en mouvement. A la fois parce que ce mouvement libère l'imagination et parce que les avancées produisent une énergie renouvellée. Il se produit une force autogénératrice stimulante. Tout bouge en même temps afin que chaque élément de ma vie trouve sa place optimale. Il ne faut pas ralentir le mécanisme lorsqu'il est lancé, car l'apport d'énergie initiale est rare.

Charlotte m'aura durablement permis de trouver en moi cet élan vital. Plus récemment ce fût nathalie qui a redynamisé cette ardeur enthousiaste.
Il n'y pas d'antagonisme entre Charlotte et nathalie, chacune m'offre son amour, chacune souhaite mon bonheur, chacune m'apporte sa richesse interieure, et chacune se nourrit d'une part lumineuse qui émane de moi. Ces deux relations vont dans la même direction.



Ces fameux choix que j'ai dû faire étaient liés à façon dont nathalie et Charlotte répartissent chacune leurs propres forces contraires. Privilégiant la liberté ou la sécurité, la confiance ou le doute, la volonté d'avancer ou la crainte de l'inconnu, la confiance en la vie ou la peur de l'avenir, la volonté active d'une découverte de soi ou une certaine passivité.

Les deux relations vont bien dans le même sens, mais pas à la même vitesse, ni n'en sont au même point. Et si frottements il y a, c'est surtout celui de la résistance à l'avancement de l'une alors que l'autre engage un dynamisme résolument positif. C'est sans doute ce que j'ai mis du temps à comprendre.
Et moi, pris entre ces deux façons d'avancer, trop freiné par Charlotte et sentant que la présence de nathalie stimulait mon propre avancement, j'ai trouvé dans le frottement issu de nos différences ma propre dynamique.
L'une me propulse, et l'autre me ralentit, bien que nous allions dans la même direction.

J'ai confiance en Charlotte et espère que mon évolution l'aidera à évoluer à son tour vers un épanouissement, mais actuellement nos chemins ne peuvent que se dissocier, même s'ils restent parallèles et étroitement reliés.



Cependant la confrontation des différences, toute bénéfique qu'elle puisse être, n'est pas nécessairement rugueuse et chaotique. Les frottements et frictions ne sont pas forcément douloureux. Si dans le domaine de l'intellect ce brassage est parfois violent, il est d'autres formes de frottements qui dégagent toute leur énergie de la douceur.

Je ne suis pas sûr que s'il n'y avait pas eu l'infinie tendresse du frôlement de la peau de nathalie sur la mienne autant d'énergie libératrice serait née. Si nous ne nous étions pas rencontrés, la vitalité qui a surgi de nos échanges aurait été moindre. Charlotte aurait sans doute mieux admis cette relation distante et le peu de frictions qui en aurait résulté nous auraient privés de la lucidité sur notre couple. Et moi je n'aurais pas ressenti aussi fort toute la potentialité du sentiment amoureux. Je veux parler là de sa dimension physique.

Car l'énergie que j'ai ressenti en présence de nathalie, et conscient que ma propre présence lui apportait la même énergie, a dynamisé la puissance qui était en moi. Jamais je n'oublierai ce qui s'est passé durant ce temps de coexistence, de contact de nos sens, de nos corps, de nos âmes.

Cette force là est désormais en moi. J'ai eu accès à cette connaissance. Désormais je sais.

Cette vitalité insoupçonnée est née non plus de forces contraires, mais de forces conjointes. Il ne s'agissait plus de frictions, mais de transmission d'énergie par mouvements qui s'accompagnent dans un même élan. Caresse des regards, effleurement de nos doigts sur la peau de l'autre aimé, douceur de la présence vivante, infinie plénitude de nos corps longuement enlacés, peau contre peau.



Cette femme me révèle ma part lumineuse tout autant qu'elle me permet d'accéder à ma part d'ombre. Avec elle je perçois la lumière qui est en moi, et en tout être. Elle éclaire mon chemin en me montrant celui qu'elle a parcouru.
Je vois aussi mes peurs, je sens mes blocages, je vis les limites qu'une part sombre de moi impose à la part lumineuse et créatrice.

Il est rare que des êtres se rencontrent de telle façon, s'apportant mutuellement et durablement ce qu'ils recherchaient sans même le savoir. Aucune folie, aucune passion ne nous anime au point de perdre le sens des choses. Notre passion, je la perçois lorsque la place lui est faite d'exister. Lorsque nous sommes en conjonction, vibrant dans un même élan. Ce sont ces moments où quelque chose de supérieur à la conscience oriente nos actes, nos mots, nos gestes. Alors quelque chose apparaît, sans doute trop rare pour que le mot qui le caractérise ne soit tombé en désuétude: la félicité.

Ce que j'ai compris dans cet amour, et dans tout amour, c'est que l'impermanence est sa raison d'être. On ne peut figer l'amour, ni le maintenir dans un perpétuel état de félicité. On ne peut que se mettre en état de l'accueillir, favoriser l'éclosion des moments de grâce.

Vouloir garantir l'amour est le condamner, parce que la simple peur de le perdre génère l'attente. Or l'amour ne doit pas attendre. L'amour va et vient, on entre dans cet état d'hyperconscience et d'hypersensualité voluptueuse, mais on en sort inévitablement. Peut-être que, tout comme les plaisirs sexuels sont constitués de mouvements de va-et-vient, l'amour lui même à besoin de ces va-et-vient pour ressentir l'extase. J'entre et je sors de l'amour vivifiant, sachant bien lorsque je suis entré que j'en ressortirai, et la confiance patiente fera que j'y rentrerai à nouveau lorsque nous serons en conjonction.
Souvent j'ai vécu ces moments de moindre intensité dans une crainte croissante de l'éloignement. J'ai alors perdu confiance dans ce "nous" uni, parce que je perdais confiance en elle, parce que je ne m'aimais pas assez pour croire qu'elle puisse m'aimer. Mais le temps passe, et je vois qu'elle est toujours là, confiante, sûre d'elle, confiante en mon moi profond, confiante dans ce "hasard" de la vie qui nous à réunis contre toute évidence géographique.

Sa force, c'est la confiance.
Notre confiance réciproque est notre force.
Avec cette force, avec cette confiance, avec notre volonté de vivre cet amour, nous avons toutes les chances pour vaincre les difficultés.




Je me souviens...

... de tes lèvres tendres et de la douceur inouïe de nos baisers. Je te regardais, pour ne rien perdre de toi, de ton regard, de ton abandon. Plaisir ineffable que de te vivre là, partageant longuement dans un parcours savoureux l'intériorité de nos visages.

Mes mains solides ont survolé ta peau étonnamment douce, se sont attardées autour des rondeurs de tes épaules. Elles ont parcouru avec une fébrile lenteur tout ce qui leur était accessible, libérant à chaque découverte une énergie irradiante et suave. Tes mains au doigts longs se sont glissées sous mes vétements, se sont insinuées où elles désiraient aller. Chaque territoire parcouru éveillait des ondes inconnues, des frissons de l'âme.

Nous avons passé beaucoup de temps dans ces contacts, avides de nous imprégner de la présence charnelle de l'autre, de tout ce qui constituait cette part inaccessible de son être par delà l'océan. 

Tu te souviens combien nous étions silencieux, communiquant sans mots? Un sourire permanent, un regard émerveillé, parfois un rire partagé, et encore ce regard pénétrant. Et puis ces effleurement de caresses insatiables, des heures durant. A l'aurore dorée d'un matin ou au coeur d'une nuit de pleine lune, avec le bruit des vagues comme seul témoin.

Ô combien j'ai désiré ce corps que mes doigts parcouraient..
.










A cause de moi





Mardi 13 janvier


Culpabilité! Ombre écrasante qui me vient très souvent en tête lorsque je réalise que mes agissements font que Charlotte va me quitter.
Et pourtant, je ne serai responsable que des mes actes, pas de ceux de Charlotte. Certes, en connaissant les conséquences annoncées, je prends ma part de responsabilité dans son choix. Je ne peux pas dire que je ne savais pas ce qui allait advenir. Mais... il existait aussi d'autres options, que je proposais. L'inéluctabilité de ce qui va arriver ne m'appartient pas. Il aurait pu en être autrement.

La culpabilité s'insinue partout, entrave mes avancées, perturbe mon cheminement. Je vois trop dans mes choix les actes définitifs qui vont mettre fin à notre relation conjugale, perturber notre vie familiale.
Or je ne fais qu'écouter ce qui est en moi. Je n'ai pas à me sentir coupable de m'écouter et de me donner le droit de vivre ce que je désire. Mais c'est bien difficile quand mes choix ont des conséquences directes sur la vie de Charlotte et des enfants.


Pourquoi cette culpabilité? Et d'abord, comment se manifeste t-elle?

Exemple, hier soir. Trois heures au téléphone avec nathalie. J'étais bien avec elle, nous avons abordé beaucoup de sujets qui me préoccupent, me font avancer, m'aident dans mon cheminement. Nous avons eu aussi des paroles réconfortantes, rassurantes. Bref, rien que du bon. J'étais très bien.
Je suis allé me coucher et j'ai vu Charlotte qui dormait seule dans ce grand lit. La culpabilité m'a instantanément envahi. Parce que je pensais que d'ici quelques temps cette femme qui m'aime dormirait seule, et que c'était de ma faute si tout cela arrivait. Impression de l'abandonner.

Voila, c'est ça ma culpabilité: c'est à cause de moi si nous en sommes à nous séparer. Même si je sais qu'il y a des raisons qui m'ont amené à aller trouver ailleurs ce qui me manquait...

C'est à cause de moi si Charlotte souffre actuellement et pleure de sentir l'homme qu'elle aime se détacher de son amour pour elle. C'est moi le fautif dans l'arrêt de cette aventure conjugale, alors que c'est moi qui avais insisté il y a bien longtemps pour que nous partagions notre vie. Encore cette impression d'abandonner Charlotte.
Et pourtant... je sais que ce en quoi j'ai cru a été déçu, que j'en ai ressenti des manques, que je les ai exprimés des années durant sans qu'ils ne soient entendus.
Je sais aussi que ce que nous vivons est une évolution de notre couple, et que comme toute évolution réfléchie elle va dans le sens d'un meilleur. Je crois que ça peut être une chance pour peu que nous sachions bien vivre cette situation.

Il n'empêche que ma culpabilité reste là. Sans doute parce que je vis encore trop selon le modèle hérité: un amour qui cesse est un échec. Une rupture, un divorce, ce sont des échecs. C'est "pas bien".
Pourtant... en mon for intérieur, je sais qu'il ne s'agit pas d'une rupture, mais d'une adaptation à une situation nouvelle. Et donc que c'est quelque chose de "bien", de réfléchi, d'intelligent.


Pourquoi coupable alors?

Et bien... parce que Charlotte souffre et qu'il est intolérable de voir souffrir quelqu'un qu'on aime. Aussi parce que je sais qu'il suffirait que je change d'avis pour que les tourments de Charlotte cessent. J'ai l'écrasant pouvoir de détenir la clé du bonheur ou du malheur de Charlotte. Et pourtant... je ne suis en rien responsable de sa façon de vivre les choses. Après tout, elle pourrait aussi les vivre avec un certain enthousiasme de retrouver une liberté à laquelle elle aspirait.

Non mais... vous rendez-vous compte que c'est à moi de décider envers laquelle de deux femmes qui m'aiment je vais offrir délivrance ou souffrance? Mais c'est horrible de détenir un pareil pouvoir! Comment rester sûr de soi face à la détresse de celle qui semble avoir compris son aveuglement passé? Comment ne pas sentir vaciller ma détermination face à la souffrance déchirante de celle qui semble être pleine de courage pour tout changer? Charlotte m'aime, me le pleure, me le dit avec ces mots que j'aurais tant aimé entendre depuis des années...

Sans vraiment s'en rendre compte (?) Charlotte fait le forcing émotionnel. Elle ravive ma culpabilité, semblant me promettre que tout peut recommencer entre nous et qu'il ne dépend que de moi que ce soit le cas. Elle m'attribue le pouvoir de faire notre bonheur à nouveau... et surtout son bonheur. Et moi qui ne souhaite que ça... me culpabilise en me disant que je n'ai peut-être pas tout tenté. Charlotte insinue le doute sur ce qui pourrait advenir, si jamais je ne m'entendais pas avec nathalie, arguant que je ne sais rien de son quotidien. Insistant sur le fait que je me retrouverai alors seul.

Je sais que ce n'est pas son but, ou alors parce qu'elle est désespérée, mais elle tente de jouer sur mes cordes sensibles. Et moi, effectivement sensible, je dois resister à ses assauts tout en ne pouvant rester insensible à sa détresse.

Je crois que je cherche trop à l'accompagner et diminuer sa douleur... et il se pourrait bien que le "remède anti-douleur" soit pire que le mal. Car elle s'accroche à ma gentillesse, mon écoute, ma sollicitude envers elle. Elle ne peut s'empêcher d'y voir un espoir. Même si je ne cesse de lui dire de ne pas y croire.

Et moi qui ai déjà beaucoup de mal à faire le deuil de cette relation, suis sans cesse remis en face de ce qui aurait pu être. De ce qui aurait pu exister... si la conscientisation de notre dysfonctionnement était apparue entre nous à temps. Il est maintenant trop tard.

Ses mots d'amour de ces derniers jours me touchent, mais ne m'ont pas fait vibrer. Ils m'ont ému parce qu'elle se livrait en confiance, pas parce qu'il éveillaient des émotions en retour. C'est triste de faire ce constat. Je ne crois plus en nous. En ce nous amoureux.

Le seul "nous" que j'imagine est celui d'une amitié-tendresse. Celui qui existe depuis pas mal de temps déjà. Ce qui a changé depuis que Charlotte à parlé de me quitter, c'est que je n'ai plus l'espoir de retrouver de l'amour-amoureux entre nous. Je ne sens plus qu'il soit possible. Cet amour là se voile jour après jour. Parce que nous ne parvenons plus à nous retrouver vraiment, sauf sur ce qui concerne notre amitié. Même la tendresse est parfois compromise puisque je ne sais pas toujours comment me comporter avec Charlotte. Elle vit mal les gestes affectueux que j'ai souvent, ne comprenant pas leur sens. Alors, ne voulant pas la brusquer, je n'en fais plus sans qu'elle ne soit à l'initiative. Et encore... je reste plutôt en retrait.

Bon... tout cela c'est du raisonnement, mais... au fond de moi... quand je songe à ce vers quoi je vais...
j'ai peur
j'ai peur
j'ai peur!

____________




Tout à l'heure je regardais Charlotte qui revenait vers la maison en rentrant du travail. Je l'ai trouvée belle, avec sa grande écharpe dans le vent. Image romantique.

Finalement, que sais-je de cette femme dont j'atteins la sensibilité au plus profond de son être? Qui est cette inconnue dont je partage la vie depuis vingt ans? Que sais-je de ce qu'elle ressent vraiment dans cette relation que nous vivons??

Elle est rentrée et m'a dit bonjour du bout des lèvres. Nous sommes restés chacun de notre coté pendant un bon moment. Puis je suis monté la voir, lui ai massé un peu les épaules. Nous nous sommes pris dans les bras, longuement, silencieusement, avec une très forte intensité. Des souvenirs me sont revenus. Ceux de notre premier jour, de notre première étreinte. Ce jour merveilleux où je sentais la vie s'ouvrir devant moi, avec cette fille que j'aimais et qui m'aimait. Oh j'y ai beaucoup cru à notre amour. J'avais une confiance immense dans la vie et je pensais vraiment que nous partions pour très longtemps.
Ces souvenirs de notre jeunesse, de nos espoirs... confrontés à des chemins qui se séparent maintenant. Ce corps que je serrais dans mes bras, le même que celui que j'étreignais il y a presque un quart de siècle... ça fait un peu trop d'émotions. Je me suis effondré en larmes dans ses bras, tellement désolé de ce qui nous arrive, et de casser les rêves de celle qui croyait en nous.
Quelques mots échangés, signe de notre incompréhension devant l'absurdité de ce qui nous arrive... je la sens espérer encore que je changerai d'avis. Alors je lui répète de ne pas attendre.

Il ne faut plus qu'elle attende, parce que ça ravive ma culpabilité, crée un malaise, ramène mes questionnements sur le bien-fondé de ce que j'entreprends. Il ne faut plus qu'elle cherche à m'influencer, c'est trop difficile à vivre. Nous souffrons tous les deux de cette déchirure que nous ne voulons pas. Il nous faut regarder les choses en face: nos chemins sont résolument incompatibles. Nous avons tous les deux essayé tout ce qui nous était possible, et il n'y a rien à faire. Espérer ne fait que prolonger la souffrance.


[mise en ligne le 16 janvier]






Agir





Vendredi 16 janvier


Le texte précedent aura été mis en ligne en différé parce que je n'étais sans doute pas prêt à assumer ce qu'il signifiait. D'ailleurs je n'ai plus ressenti le désir d'écrire les jours suivants. Il y a eu des émotions fort contradictoire et, pour tout dire, j'étais plutôt perdu.

La culpabilité et la peur entraient en conflit avec mes désirs. Dans la même journée j'ai pu être tantôt plein de détermination, tantôt rongé par le doute: et si je me trompais? Et si mon attirance envers nathalie était une illusion? Est-il raisonnable de bouleverser ma vie à un tel point alors que nous vivons si loin l'un de l'autre?

Ces moments de questionnements régressifs ne duraient pas, mais minaient mes audaces. Pourtant quelques heures plus tard je retrouvais tout mon enthousiasme et ma certitude de suivre le bon chemin. Mais le lendemain ce chaud-froid pouvait se manifester à nouveau. Très éprouvant.

Alors une fois de plus je me suis dit que je devais agir, et ne pas laisser mes craintes me gouverner. Je craignais qu'avec le temps l'alliance de la culpabilité et des peurs ne fassent pencher la balance vers une résignation devant l'ampleur des changements. Il me semblait qu'il existait un risque que ma lâcheté, ma frousse, ne l'emportent sur mon envie d'avancer. Je craignais de perdre mon courage. Je n'avais pas envie de rester dans ce vague status quo, sans décisions déterminantes. Charlotte espérait, tout comme moi, qu'on reconstruise quelque chose... tout en sachant pertinemment que c'est impossible. Toutes nos conversations se terminaient sur cette inconciliabilité.

D'un coté je sentais que je devais poser un acte déterminant, et de l'autre j'avais besoin de revoir nathalie, afin de retrouver ce souffle qui a changé ma vie depuis quatre mois. Le voyage au Québec que j'envisageais sans oser faire le pas était cet acte. Mais je craignais qu'il ne soit précipité à l'égard de Charlotte... tout en estimant que c'était une façon de concrétiser ma décision.

Voyant que le calendrier ne m'attendait pas, que dans peu de temps ce voyage serait professionnellement impossible... il devenait urgent de me décider.

Tout s'est précipité hier. D'abord parce que Charlotte a remarqué ma joie rayonnante lorsque je consultais les différentes possibilité de vol. Elle s'est dite amère... et je m'en suis culpabilisé.

Ensuite j'ai eu une très longue conversation téléphonique avec nathalie. J'ai évoqué un peu ces montagnes russes de culpabilité, peur, et désirs. Elle m'a écouté parler avec beaucoup d'attention. Et puis... je ne sais pas comment elle me "sent" à ce point, mais elle a deviné qu'il y avait quelque chose d'autre. Je n'en avais pas vraiment conscience auparavant, mais j'ai su ce dont il s'agissait immédiatement: j'étais très mal à l'aise de ressentir des pensées régressives. De sentir en moi une telle puissance de résistance à l'avancement, telle qu'elle pouvait faire vaciller mes convictions. Et c'est contre ça que je voulais me garantir en agissant afin de faire un pas décisif vers l'avant. Je crois que nathalie a été déstabilisée par cet aveu, elle qui a foi dans notre relation.

Je n'ai pas du tout aimé sentir que je lui faisais du mal... Entre les jours ou je suis plein d'enthousiasme et de force, et les jours où je ne sais plus où j'en suis, c'est forcément déstabilisant pour ceux qui sont en face.
D'ailleurs Charlotte est perturbée par mes incessants va-et-vient entre affection, tendresse, mots gentils... et la réalité de cet amour qu'elle voit s'échapper.


Il allait ressortir beaucoup de choses de cette conversation avec nathalie. Elle sait me mettre face à mes incohérences, mes propres mensonges intérieurs. Me rassurer aussi, autant par ses mots que par sa voix. Elle m'a suggéré de chercher ce que signifiaient mes peurs, et quelles en étaient les origines. Par contre, elle ne m'a pas encouragé à entreprendre ce voyage maintenant, estimant que je ne devais pas précipiter les choses, parce que je n'étais pas prêt à venir en toute sérénité. Discussion approfondie durant laquelle, chacun, nous avons davantage précisé ce que nous ressentions par rapport à la situation, et l'un pour l'autre. 
Parfois je m'entendais parler comme si c'était un autre moi, le "vrai" moi, celui qui sait absolument ce à quoi il tient, et n'a aucun doute à ce sujet. L'antithèse de cet autre moi timoré qui avouais mes doutes un peu plus tôt. Lutte incessante de ces différentes voix, cacophonie d'où rien ne sort.
Mais quand mon "vrai" moi parle, je sais que c'est celui que je dois écouter. C'est le même que celui qui me fait écrire des phrases décisives dans ce journal.

Les mots et idées que nathalie a énoncés face à ce que je lui dévoilais ont été autant de graines qui allaient germer dans la nuit et murir le lendemain.


Et le lendemain, donc ce matin, c'était ma séance psy.

J'ai expliqué que j'étais perdu entre mes peurs, mes doutes, mes désirs, et une énorme culpabilité. Peur viscérale contre force intérieure venue du plus profond de moi. Quelle valeur devais-je attribuer à ces peurs? Etaient-elles des messages que je devais écouter? Ou au contraire n'étaient-ce pas mes démons qui tentaient de me retenir?

Et mes désirs, étaient ils profonds ou bien rêves fantasmés que j'essayais de transposer dans la réalité?
Je n'avais même pas besoin de répondre aux questions. En les énonçant je connaissais la réponse...

Tout allait dans me même sens, comme toujours. Celui que mes peurs refusent d'écouter. J'ai bien dû convenir que les seules raisons qui m'empêchaient de m'éloigner de Charlotte étaient la culpabilité et les peurs. Mais pas l'amour...

Je sais désormais que je ne suis pas amoureux de deux personnes simultanément. Il n'y en a qu'une que j'aime et avec qui je sens un désir d'avenir...

[J'ai toujours préféré dire "aimer" plutôt que "amoureux". Entre autres raisons parce que je n'aurais pas pu dire que j'étais amoureux de Charlotte...]


Lorsque j'ai énoncé à la psy la version "raisonnable" qui me vient parfois en tête et qui consiste à mesurer le déséquilibre que j'induis dans ma vie familiale et professionnelle, j'ai fini avec cette ritournelle: «Mais choisir quelqu'un qui vit à 6000 km de moi, et que je n'ai vu que deux jours et demi, ça semble fou...»

«Pourquoi est-ce fou?» m'a t'elle demandé.

«Euh... parce que... ben... je sais pas.». Ouais, je n'avais aucune réponse. Je sais bien que tout depénd de moi et de la volonté que j'aurais que mes désirs se réalisent...

Une fois de plus c'est en sortant de chez la psy que quelque chose s'est déclenché. Les larmes me sont venues aux yeux et, en quelques minutes, j'ai intégré enfin ce qui ne restait qu'intellectuel: je n'aime plus Charlotte. Entre nous, c'est fini.

L'amertume des pleurs que je préférais cacher dans la rue m'a amené vers un parc, ou j'ai achevé cette prise de conscience.


En rentrant à la maison j'ai lu "Le couple brisé" destiné à accompagner les séparations. Et là j'ai du rapidement sortir mon mouchoir. Une culpabilité immense m'accablait en songeant à cette femme que je n'aimais plus, alors que j' avais tant cru à cet amour. J'ai compris que j'entrais vraiment dans la période de deuil de notre relation.

Lorsque Charlotte est rentrée, je lui ai expliqué mes regrets vis à vis de tout ce que j'ai pu lui dire ces derniers temps et qui avait pour but inconscient de me déculpabiliser. Tous ces constats des manques que je ressentais, cette énumération de nos dysfonctionnements... n'était destinée qu'à trouver de "bonnes" raisons pour expliquer cet éloignement. Tout me semblait si clair maintenant...

Nous avons parlé très franchement, non sans émotions, de nos sentiments l'un pour l'autre. Et elle a convenu qu'elle n'avait jamais été vraiment heureuse avec moi. Je crois que je le savais depuis longtemps. Et toutes ces attentions qu'elle avait à mon égard, cette gentillesse, étaient peut-être, selon elle, un moyen pour de compenser cet amour qu'elle sentait défaillant. Elle s'en culpabilisait.

Et moi je me suis rendu compte que si je disais que mon amour pour elle n'avait pas changé depuis que je connaissais nathalie... c'était surtout parce que ça faisait bien longtemps que je n'étais plus amoureux d'elle. Il n'avait donc pas besoin de le changer, puisqu'il n'était plus là...

Bref... nous nous sommes rendus compte de l'étendue de nos "mensonges" inconscient, surtout perpétrés pour ne pas faire souffrir l'autre et ne pas regarder en face ce qui était un aveu d'échec.

Nous avons convenu que nos gestes de tendresse devaient désormais être sans ambiguité. Je lui ai clairement dit que je ne l'aimais plus d'amour et de ne plus en espérer le retour. Elle a semblé soulagée d'apprendre tout ça. Nous nous sommes libérés l'un de l'autre. Le dialogue s'est fait en confiance, comme de très bon amis. Je crois que dans nos têtes quelque chose avait déjà changé...







Transmutation




Dimanche 18 janvier


Dans ma dernière mise à jour j'ai eu besoin d'écrire que je «n'aimais plus» Charlotte, comme pour exorciser cette idée longtemps inadmissible. C'est bien évidemment faux littéralement parlant, une façon de jouer sur l'ambiguité des divers sens de ce mot. J'aime Charlotte, et je l'aimerai tant que notre complicité nous unira. Tant que nous nous respecterons et écouterons. Tant que nous serons ces "amis" étroitement liés.

Nous ne sommes plus amoureux, sans doute depuis très longtemps, mais nous n'en avions pas vraiment conscience parce que notre attachement l'un à l'autre est très fort. Distinguer un fort attachement de l'amour-amoureux n'est pas flagrant (surtout si on n'a pas d'élement de comparaison).

Nous sommes bien ensemble, très bien même. Nous avons une grande écoute (d'encore meilleure qualité depuis quelques temps), des gestes de tendresse, une sexualité... mais d'amour-amoureux il n'en reste guère. Et cela nous manquait. Euh... en tous cas me manquait. Et c'est cela que mon inconscient m'a poussé à aller chercher ailleurs, en écho d'une thérapie par laquelle je découvrais mon besoin de prendre confiance en moi, de croire en moi, d'écouter mon moi-profond. J'ai donc suivi mes désirs sans savoir où ils me menaient, faisant confiance à celui que je me sentais être. Et voila comment, dans ce souci d'authenticité avec moi même je me suis trouvé face à l'amour-amoureux, sans savoir que je le cherchais. Oh, j'aurais pu le fuir bien sûr, résister à ce bonheur qui s'ouvrait devant moi, selon les principes de fidélité du couple. Mais je n'aurais pas été fidèle à moi même... ni à ma femme. Parce que mon amour pour elle n'était "plus que" une très grande amitié (même si alors je n'en avais pas encore conscience).

Maintenant que je peux comparer les sensations, et que j'ose mettre les vrais mots, je sais que je ne peux pas être amoureux de deux femmes simultanément. Mais "aimer", oui, si on reste dans le sens général du mot. Car bien sûr j'aime énormément Charlotte, qui est ma "meilleure amie" (ou du moins la plus ancienne).

Tout cela pour dire, une fois de plus, que chercher à établir une limite claire entre amour et amitié n'est pas simple. Pas plus que de mettre des mots sur les sentiments. Et c'est peut-être ce que je cherchais avec le "polyamour". Aimer plusieurs personnes à la fois, mais en sachant bien que le sentiment amoureux, ce feu intérieur, n'est sans doute pas divisible.
Il n'empêche qu'on doit pouvoir trouver, à mon avis, une façon de dynamiser une relation de couple en autorisant l'autre à être amoureux ailleurs. Et préserver ainsi la sécurité affective qu'une profonde amitié-complicité apporte aux deux partenaire (y compris avec une dimensions sensuelle, voire sexuelle?). Et peut-être permettre ainsi de vivre, chacun de son coté, un état amoureux sans l'éteindre dans la routine de la vie quotidienne? [j'en reste encore aux questions sans réponses...]
Sous réserve, bien entendu, que chacun accepte cette situation...
[Ahem... c'est ce que j'avais très mal évalué].


Actuellement, avec un très bon dialogue, une redécouverte de nos qualités respectives, une écoute attentive et beaucoup moins attentiste... nous continuons à évoquer, incrédules, notre séparation. Nous sommes à la fois tristes tous les deux de nous "perdre", mais conscients qu'il n'y a pas d'autre issue à notre évolution personnelle. Nous allons faire ça au mieux, mais ce sera quand même forcément douloureux. Nous entrons dans la période de deuil d'une relation à laquelle nous tenions énormément... mais qui ne peut se poursuivre sous la même forme. Il est évident que nous allons rester des amis très très proches, mais cela doit apparemment passer par une séparation de nos vies. Charlotte ne peut vivre la situation actuelle en sachant que je suis amoureux d'une autre qu'elle. Je ne peux que respecter sa souffrance et faire au mieux pour l'atténuer.

Et j'ai la chance extraordinaire d'avoir nathalie qui me laisse cheminer à mon rythme, très respectueuse du "travail" que je fais, m'accompagnant de son écoute attentive... parce qu'elle a confiance en celui que je suis. A ce point là, c'est même de la foi.

Et j'ai aussi la chance d'avoir Charlotte qui respecte tout autant ce cheminement de ma part, bien qu'il nous éloigne l'un de l'autre, bien qu'elle risque d'y perde son compagnon de vie. Elle admire même le courage de ma démarche, et me le répète régulièrement. Elle aime encore plus celui que je deviens.

Face à ces deux femmes que j'estime beaucoup... je me dis que j'ai une immense chance de recevoir l'amour qu'elles me portent.
[oups... en suis-je digne?]



Je vais apprendre posément à transmuter ce que je croyais être amour-amoureux en amour-amitié avec Charlotte. Simplement mettre les bons concepts en face des réalités, puisque finalement mes sentiments n'ont pas évolué dans leur nature.
Simultanément je vais lentement libérer cette part amoureuse qui rendait ma relation avec nathalie parfois un peu tortueuse dans mon esprit (fidélité envers Charlotte).


D'ailleurs, rien qu'à la lecture de ce journal je constate que je suis actuellement davantage préoccupé par ma "séparation" (mentale) d'avec Charlotte que par la construction de ma relation avec nathalie. Comme s'il fallait que les choses se fassent dans un certain ordre. Alors qu'il y a quelques mois c'est cette relation en construction qui occupait l'essentiel de mes textes.


___________


Je commence quand même à constater nettement les effets positifs de mes années d'introspection. Avec mes enfants surtout.
Ce matin ma fille est venue me voir pour me parler de ses difficultés à être elle-même avec les autres [tiens tiens, comme c'est étonnant...]. Je l'ai longuement écoutée, cherchant à comprendre vers quelle piste ses rélexions l'orientaient [j'avais l'impression d'être un psy...]. Je lui ai fait part de mes suggestions, tentant de l'aider à découvrir en elle les origines de ses craintes. Ce qui était bien c'est qu'elle savait me dire lorsque, à son avis, je faisais fausse route.
J'ai aussi voulu lui faire prendre conscience que nos comportements de parents pouvaient avoir induit chez elle une reproduction de nos problèmes. Un enfant considère que ses parents disent la vérité, et agissent selon la "bonne" façon. Bref, que ce qu'il a perçu d'eux est la réalité des choses, la référence sur laquelle il se base. Je lui ai clairement dit que nous avions pu, et moi en particulier, "l'empoisonner" avec des comportements ou des idées toxiques. Et qu'il était donc nécessaire qu'elle sache entendre en elle sa propre voix intérieure, garder un esprit critique par rapport à ce que nous avions pu lui transmettre.
J'ai aussi insisté sur le fait que nous l'aimions, que je l'aimais, et que je n'avais peut-être pas toujours su le montrer, surtout auparavant. 

Je me sens bien différent de ce père que j'étais il y a quelques années, encore autoritaire dès que le conflit menaçait, tendant à être exigeant avec eux comme je l'étais envers moi-même, refusant toute manifestation d'estime de soi [eeeh oui... (soupir)]. Honnêtement, je suis de plus en plus satisfait de ce rapport que j'entretiens avec mes enfants. Surtout les aînés, avec qui je peux avoir des discussions approfondies, et presque "d'égal à égal". Seule mon expérience de vie fait la différence, mais pas la pertinence de nos raisonnements respectifs. Sans doute parce que le leur va dans un sens assez semblable au mien, j'en conviens... Mais je sais que ce sens, celui de l'épanouissement de soi, du respect d'autrui, de la tolérance, de l'ouverture d'esprit... est le bon. D'ailleurs je vois nos grands ados disposer de tout ce qu'il faut pour être bien dans sa tête. Il ne manque plus qu'un peu de confiance en soi, de croire en soi, d'estime de soi.



[mis en ligne le 20 janvier]





Questions d'écriture





Lundi 19 janvier


Je ne devrais pas traîner avant mes mise en ligne, parce qu'à la relecture je serais tenté de reprendre mes textes... déjà partiellement périmés le lendemain. Mais bon, c'est aussi ça un journal: la trace d'un processus évolutif. Un travail à la fois très lent [je n'ose même pas imaginer combien de fois je répète des choses similaires...] et rapidement obsolète.
Et puis je n'aime pas jeter mes écrits. J'en suis encore à la conservation précieuse de ces instantanés, trace de cette maturation étirée dans le temps qui m'amène vers celui que je serai et que j'ignore encore.

Un jour viendra, sans doute, ou je ferai comme les plus anciennes diaristes en ligne que je lis: des entrées de plus en plus espacées, et sans doute de plus en plus élaborées. Quoique je me demande parfois si c'est le moindre besoin d'écrire qui fait que leurs écrits s'espacent, ou bien l'exigence de qualité qui s'y rattache...
En tous cas, cela va vers quelque chose de plus concis, de plus réfléchi, de plus essentiel. Peut-être aussi d'un peu plus mystérieux, à lire parfois entre les lignes.
C'est une évolution que j'ai constatée, je ne sais pas si elle est inéluctable. Pour l'heure je reste dans ma narration en longueur, travail auto-analytique parsemé de compréhensions marquantes perdues dans un océan d'avancées infimes.




Puisque je suis dans l'aspect rédaction de ce journal, je poursuis...
Je remarque que, depuis que je raconte mes tribulations d'homme marié en cours d'émancipation de son statut conjugal [ouaaais, ça fait bien, hein?], mon mode d'écriture a évolué. J'utilise plus fréquemment la mise en ligne différée, je relis mes textes, et parfois les retravaille un peu.
En fait j'écris avec une plus grande conscience du lectorat qu'auparavant. J'ai l'impression, tout en m'auto-analysant devant des lecteurs-témoins-confidents, de raconter une histoire, un peu comme si j'écrivais un roman au jour le jour. Chaque épisode n'est pas traité de la même façon. Parfois j'en passe sous silence, ou bien j'attends que quelque chose se précise pour l'aborder. Ce n'est plus forcément un compte-rendu fidèle de mes avancées du jour puisque je choisis davantage ce que je publierai. Il m'arrive même... de ne pas évoquer certaines choses en sachant que j'en parlerai ultérieurement. Un peu comme si je scénarisais mon récit [façon de dire qu'en ce moment je pourrai en dire davantage que je ne le fais... ], tout en restant dans la "vérité" des choses (si toutefois on considère qu'elle existe). Disons que... je n'invente rien, mais que ma sincérité est parfois différée. Oh, non pas pour ménager un quelconque suspens, mais parce qu'il me faut un certain temps d'intégration afin que ne se diffuse que quelque chose de relativement cohérent. Je pense en particulire aux périodes durant lesquelles je suis en grand trouble intérieur. Si je laissais tout sortir, ça serait du n'importe quoi.




A propos de diarisme, j'ai subi, comme chaque membre de la CEV, la fermeture sans préavis de celle-ci. Bon, mis devant le fait accompli, ignorant de ce qui s'est vraiment passé... nous n'avons pu que prendre acte des faits.
Ne participant plus au microcosme de la communauté diariste, je ne sais pas si cela déclenche des réactions. J'ai lu que Valclair pressentait que ce qui s'est passé n'était qu'une suite de péripéties plus anciennes. Et effectivement les affres de la CEV, ou même de communautés antérieures défuntes, n'ont rien de nouveau. Il y avait dèja eu des guerres fratricides et des débats passionnés avant que je connaisse l'écriture en ligne.
Pour ma part j'avais compris, alors que je tentais de m'investir un peu plus dans cette "communauté" à laquelle je croyais, que le fait d'écrire en ligne était un point commun insuffisant. Les motivations d'écriture sont trop différentes pour nous relier en une communauté. Je ne crois plus du tout à des tentatives de rassemblement sur des critères généralistes.
D'ailleurs... j'ai l'impression que le désir de s'intégrer à une communauté existe au départ, puis s'inverse dans le temps. Les diaristes "anciens" ont un lectorat fidèle, ainsi qu'une idée plus précise de leur personnalité d'écriture qui ne s'intègre pas forcément dans un vaste conglomérat trop diversifié. J'imagine bien plus volontiers des groupements restreints, et davantage ciblés, plutôt que de vouloir tout unifier. Quitte à rassembler différentes micro-communautés dans une plus grande, pourquoi pas?
Pour ma part, je sais très bien dans quelle genre de catégorie je peux, ou non, m'insérer.



[mis en ligne le 20 janvier]




Cliquer sur [Valider]




Vendredi 23 janvier


Une fois de plus je n'ai pas écrit durant quelques jours, alors que pas mal de choses se passaient dans ma vie. Mais c'était un peu trop en mouvement pour que je puisse tenter de figer les choses. Alors j'attendais que le tourbillon s'apaise, que la décantation se fasse.

Le problème, c'est que maintenant je ne sais plus par quoi commencer...

Mais bon, si je considère que ma vie actuelle est aussi palpitante qu'un roman... c'est surtout pour moi. Je ne sais pas s'il est nécessaire pour qui que ce soit que je cherche à retracer le fil des évènements, le détail de mes cogitations, les va-et-vient de mes audaces et hésitations. Même pour moi il se pourrrait bien que ce soit inutile, une fois que j'ai franchi les barrières qui me faisaient piétiner sur place.

Mais euh... quand même, je vais dire un peu où j'en suis, où nous en sommes, pour l'essentiel. Si ça ne sert à personne, ça ne nuira pas non plus.

Hum... par quel coté je commence? Par quelle relation, puisque désormais je suis en pleine évolution des deux cotés?


Allez, je commence par la plus "simple", la plus facile, la plus évidente, celle qui ne me fait pas trop poser de questions. Ou du moins... celle pour laquelle je ne m'en poserais pas tant si une autre relation ne prééxistait pas.

Donc, j'en étais resté à... [hop, relecture rapide...] ah oui: agir. Je devais agir à la fois pour marquer cet inéluctable séparation d'avec Charlotte, et pour vivre avec nathalie ce que nous construisons patiemment et avec détermination depuis tant de temps. Je sentais que je devais faire quelque chose. Et ce quelque chose c'était aller voir nathalie.

Etonamment, alors que j'étais déterminé à le faire mais rongé par la culpabilité, la peur, le doute, nathalie m'a fait comprendre que je devais prendre le temps qu'il faudrait, ne rien précipiter. Hum... peut-être craignait-elle que ma volonté d'agir dans un délai trop court présente le risque de me placer devant un choix insupportable? Et que je ne résiste pas à un tel déchirement intérieur?
Elle m'a permis de freiner mon enthousiasme, reprendre un peu de recul et de bien mesurer ce vers quoi je m'engageais. Personne ne pourra jamais dire que c'est elle qui aura cherché à m'influencer! Pourtant le lendemain, après ma séance psy fortement secouante, j'étais plus que jamais déterminé. Je lui ai téléphoné dès son lever du lit (ce qui ne m'était jamais arrrivé), assez excité, pour lui dire que cette fois je n'hésitais plus: j'étais certain de devoir agir comme me guidait mon intuition, et il ne me restait qu'à choisir quel vol je prendrai. Hop, j'avais tergiversé des semaines, laissé mûrir doucement... et d'un coup je m'engageais "officiellement" [c'est à dire avec le coeur] devant elle. Plus question de reculer!

Bon... j'ai quand même passé l'après-midi à chercher une date adéquate, des prix attractifs, comparer, hésiter... et peut-être était-ce un moyen de ralentir le passage à l'acte réel. Hmouais... parce que le temps passant, pffff, mes peurs ressurgissaient. Grouillantes comme des vers qui dévoreraient mes certitudes.

Un ou deux jours de flottement avant le grand saut, dont je mesurais tout ce qu'il marquait pour chacune des deux relations [pfff, je vous assure que prendre ce genre de décision n'est pas une partie de plaisir!]. Je ne voulais plus traîner, il fallait agir, sortir de ces hésitations qui bouffent l'existence.

Alors j'ai finalement cliqué sur "valider"... pour commander mes billets.

Et hier, je les ai reçus!!!! Ouiiiii, je les ai, je vais aller voir nathalie pour de bon! Dans vingt-sept jours je serai avec elle, de nouveau les yeux dans les yeux.

Ha ha ha, c'est-y pas une bonne nouvelle ça? Yeeepee, je suis content, content, content.

Et aujourd'hui j'ai reçu mon passeport et suis donc paré pour l'aventure. Ne reste que plus qu'à finir de m'y préparer psychologiquement. Evacuer la culpabilité, les doutes, les peurs. Cet infernal cocktail empoisonné qui m'empêche trop souvent de vivre pleinement mon existence.


Ouais, parce que ce que je dis pas...[enfin si, justement, je le dis], c'est que le lendemain de la commande du billet, je me suis réveillé avec une angoisse terrible. Dévoré, bouffé de l'intérieur par ce cocktail corrosif. La peur au ventre, en me disant «mais qu'est-ce que je fais, mais je suis fou, mais vers quoi je m'engage???». Ah je vous assure, c'était effroyable. Je ne savais plus du tout où j'en étais. Toutes mes pensées fonctionnaient à l'envers, à m'en rendre malade.

Mais... c'est là que les vertus de l'écriture sont manifestes: j'avais tellement écrit sous toutes les formes ma détermination, et les raisons qui me menaient à suivre ce chemin, que je savais que c'était un mauvais passage. Un vilain tour de ma "raison" qui se rebellait contre cette folle audace d'avoir été vraiment "moi". Et puis... il y avait la force de ce que j'ai construit avec nathalie, cette foi en nous, cette foi qu'elle a en moi... Je savais que je passais un mauvais moment et qu'il ne durerait pas [euh... du moins je voulais y croire très fort].
Et ouuuf, le mauvais passage s'est effacé très vite. Même si les matins suivants je me suis encore réveillé avec cette impression de ne plus maîtriser ma vie [ben voui, puisque j'ai donné les rênes à mon vrai moi et qu'y fait ce qu'y veut, le bougre...].

Depuis, et puisque nous avons à cette occasion repris des contacts plus rapprochés, je sens que nous recommençons à "avancer", émergeant de cette longue période de flottement hésitant. Ouais! ça fait du bien!



Mais tout cela n'est possible que parce que, simultanément (ou préalablement), je "travaille" sur ma relation avec Charlotte. Et là... c'est beaucoup plus complexe [ah? parce que ce qui précède était simple?].

C'est complexe... mais ça avance quand même, là aussi. A force d'envisager toutes les éventualités possibles, il semble se dessiner quelques pistes encourageantes. Et ça, c'est extrêmement agréable. Parce que rester dans une incertitude permanente, bloqué devant des murs de choix impossibles, sans aucune vision d'avenir satisfaisant... c'est quand même pas bien rigolo.

Alors on parle, on parle... on passe des heures à parler, comme ça ne nous était jamais arrivé. On s'écoute beaucoup, on se découvre, on se plaît... et puis on accepte l'autre dans ce qu'il a de différent. C'est extrêmement enrichissant. Vraiment nous avons un dialogue étonnant, que je n'aurais pas cru possible entre nous.
Y'a pas à tergiverser: on s'aime beaucoup. Et désormais on se respecte. Tant l'autre que soi.

On s'aime beaucoup, mais on ne peut pas vivre ensemble. Ça pourrait paraître débile... oui, si on se réfère à des schémas préétablis. Le schéma "couple = amoureux = vie ensemble". Ouais, admettons, pourquoi pas. Après tout on a bien vécu selon cette image pendant vingt ans. Mais justement, ce n'était sans doute qu'une image. Une façade qui a fait illusion, et avant tout envers nous-mêmes.

Le hasard à voulu qu'une émission Télé (Ça se discute), aborde la question des "ex", et de l'amour qui reste entre eux. C'est Charlotte qui m'a proposé de regarder. Le résultat était édifiant: certains couples vivent bien mieux depuis leur séparation librement choisie. Ils ne se considèrent plus comme étant "ensemble", mais continuent pourtant à se voir régulièrement et partager des tas de choses en commun. Simplement, ils ne correspondaient plus à l'image traditionnelle du couple amoureux qui vit ensemble. Il s'aiment, mais ne sont plus amoureux. Et ils ont besoin de l'autre comme d'un ami très proche, avec qui ils ont partagé des tas de choses.

Ben oui, pile poil ce que je vis avec Charlotte! Et c'est marrant, parce que de temps en temps je lui glissais ce genre d'idée, lui proposant d'envisager qu'on devienne "amis"... mais elle ne mordait pas trop à cette éventualité. Là, cette émission semble avoir éveillé une certaine résonnance pour Charlotte, bien qu'elle ne soit pas encore aussi enthousiaste que moi.

Bon... faut pas se leurrer. C'est pas parce que cette ouverture nous redonne de l'oxygène que ça va se faire tout seul. Il y aura encore de la souffrance, comme il y en a très souvent depuis ces derniers mois. Franchement... on vit parfois des moments extrêmement pénibles. Le sentiment de perte est parfois atroce, avec l'impression de se retrouver seul, et toutes les peurs liées à l'angoisse d'abandon qui se manifestent. Il y a des jours où semble très très sombre, sans espoir.
Mais là aussi on apprends [oui oui, il y a toujours du positif dans les moments difficiles]. On comprend que c'est cette peur de l'abandon, donc la peur de n'être plus aimé, qui a toujours déclenché beaucoup de nos réactions... et disputes. Parce que la peur de n'être pas aimé fait que l'on se protège de cette souffrance insupportable. Et on s'en protège en s'enfermant en soi. C'est une façon de se défendre, mais qui génère de la violence dans la relation. Violence dans la communication, par le silence qui éloigne, par les mots qui blessent, ou même le ton de voix. Chacun de nous réagissions de cette façon, nous le comprenons maintenant.

Que l'un se sente blessé, et il blesse à son tour, sans même s'en rendre compte... et la spirale est enclenchée. Echange de "violences" sans qu'aucun coup ne soit jamais porté. La violence mentale est invisible mais redoutable.

C'est toute cette façon de dysfonctionner que nous décortiquons jour après jour. Nous devenons complices très proches dans la découverte de ce qui n'allait pas entre nous. Et respectueux des choix de l'autre, que nous comprennons désormais. C'est ce qui nous permet d'accepter plus sereinement cet évolution inéluctable de notre rapport de couple.
Jour après jour nous "construisons" cette séparation. L'idée s'installe lentement, avec un avenir que nous savons désormais différent de ce qui a toujours été. Ce que se sera, nous ne le savons pas encore vraiment, nous tâtonnons...

Nous en sommes a envisager les différentes options pratiques, notamment pour mon retour de chez nathalie. Nous sommes d'accord sur le fait que quelque chose va marquer notre prise d'indépendance. Quelque chose de physiquement perceptible, temporaire ou permanent. Je crois que nous en avons tous les deux besoin.


Je dois dire que je suis assez satisfait [à la date d'aujourd'hui...] de la façon dont nous évoluons. Si nous ne pouvons pas faire l'économie de la souffrance, du moins pouvons nous agir pour qu'elle soit minimale. Et j'aime que nous nous retrouvions sur ce souhait commun. Je crois que ça nous soude dans un nouveau rapport. Je me demande même si on ne va pas s'aimer avec plus de sérénité dans l'amitié que dans l'amour [termes simplificateurs, mais vous comprenez, hein?]. Parce que nous ne serons plus en attente de quelques chose que l'autre ne peut pas nous donner.


Finalement, je commence à me dire que ce séisme émotionnel et conjugal est peut-être une chance...










Passage à l'acte





Samedi 24 janvier


En cliquant sur [Valider] pour commander un billet d'avion, je cliquais aussi sur [Valider] pour m'engager vers une rupture d'avec une façon d'être. Conscient des conséquences, j'ai choisi de m'affranchir d'un mode de vie qui ne me convient plus totalement. Ce simple clic de souris, fait sans état d'âme particulier, a concrétisé ma volonté d'agir sur ma vie.

J'avais tous les éléments dont je pouvais disposer entre les mains. J'avais eu largement le temps de réfléchir, tout en ayant aussi celui de prendre conscience que ce délai ne pouvait pas s'éterniser. J'étais donc prêt... il ne me fallait plus qu'avoir le courage de franchir la limite. Et il était essentiel que je le fasse pour mettre mes actes en conformité avec mes pensées. Passer à l'acte pour matérialiser l'infléchissement, la rupture de parcours.

L'instant du clic, ce simple abaissement de la dernière phalange de mon index droit, ne m'a demandé aucun courage. C'est toute la démarche qui était en amont du geste qui en nécessitait. Le geste n'aura été que le dernier d'une série qui le préparaient.

Avant chacun de ces actes déterminants, il y a eu comme un dédoublement de personnalité. Je me sentais tiraillé entre mes aspirations et mes peurs. Entre celui que je me sent être et celui que je n'ose pas être. Mais bizarrement, dans ces moments-clé, même si les voix régressives s'affollent et se manifestent avec force, elles ne parviennent pas durablement à empêcher l'avancement vers celui que je me sens être. J'hésite, tergiverse, me perds, me décourage... mais c'est comme si une boussole persistait à m'indiquer la "bonne" direction. C'est quelque chose de plus intuitif que réfléchi. Ce n'est pas forcément "logique", ni "raisonnable", mais je sens pourtant vers où je dois aller.



Si je devais expliquer un choix aussi déterminant que celui que je viens de faire, ça me serait sans doute difficile sans longues explications. Intellectuellement je suis encore encombré par un mode de raisonnement qui m'a été appris et que j'avais intégré... parce qu'il devait alors me convenir. Je serais tenté de trouver des explications rationnelles, des justifications pour ces actes "insensés", afin de ne pas me sentir coupable. Mais ce genre de choix n'obéit pas à la même logique que celle de beaucoup de gens (ou du moins en ai-je l'impression). Je me suis déterminé selon des critères subjectifs, intérieurs et personnels, dont moi seul (et encore...) connaît vraiment l'origine. J'ai choisi d'être moi. J'ai choisi d'aimer mes aspirations, leur donner la chance d'exister. J'ai tout simplement choisi d'aimer celui que je suis.

Ça peut paraître un peu bête comme concept. Narcissique diraient certains, ou égoïste [rhôôô, les vilains pêchés!]. Et pourtant cela fait partie de cette prise de conscience de... du respect de soi. Cette notion fondamentale si on veut pouvoir aller vers les autres libre de soi-même. Me libérer de mes craintes, de mes peurs, de mes blessures, de tout ce que je transpose sur autrui et perturbe l'établissement de relations sereines.

Maintenant que j'en ai pris conscience, je réalise chaque jour à quel point ma vie est régie par ce genre de réactions d'auto-protection défensives. Pour un petit rien je peux me sentir "menacé" de la perte de quelque chose qui m'est essentiel: l'attention (l'amour) de l'autre envers moi. Je suis hyper-dépendant de l'attention des autres, parce que je manque d'estime de moi. Et que sans cet apport de leur part, je me sens enfermé en moi, prisonnier de mes peurs, presque coupé du monde des autres.

Voila pourquoi je suis resté si longtemps renfermé et timide, me concentrant sur des relations dont j'étais à peu près certain qu'elles me garantissaient un amour durable: ma mère, ensuite transposée en partie sur ma femme, dont j'avais tenté de m'assurer qu'elle resterait avec moi pour la vie [ouais ouais, j'ai honte...]. Il y a même eu pire: un amour idéalisé et impossible dont l'éternité n'existait que tant qu'il restait rêve irréalisé...

J'avais peu de relations marquantes avec le reste du monde. Je craignais trop l'abandon, la trahison, pour vraiment investir des amitiés. Je restais prêt à ce que tout cesse... et c'est effectivement ce qui se passait. Je n'ai jamais cherché à retenir qui ne semblait plus s'intéresser à moi. Mais je n'ai jamais non plus vraiment manifesté mon attachement...

Il en a résulté un sentiment de manque. Le vide affectif initial ne se comblait jamais, parce que, ne sachant même pas qu'il existait, je ne prenais ni ne donnais ce qui aurait pu aider à le remplir. Ce n'est que dans les dernières années que j'ai admis que les amitiés me manquaient. J'avais toujours cru que j'étais un solitaire dans l'âme, indépendant des relations avec autrui. Ahurissant, non?



Tout cela est en mouvement depuis quelques années, et notamment grâce à internet. Cette fameuse "virtualité" qui, bien qu'amputant les relations d'une part essentielle, m'a pourtant permis de prendre conscience de ce qui me manquait. La virtualité n'est pas un but relationnel, mais un moyen, évidemment.

En parvenant à mon vrai moi "d'exister" grâce à l'écrit, j'ai pu lentement croire en ce que je suis. J'ai aussi compris que je pouvais donner/reçevoir, et que cela me nourissait.
Et cette connaissance de moi était ce qui me manquait pour aller vers les autres. Ce que je n'aurais pas su comprendre avec les relations dites "réelles", ç'aura été par la virtualité que je l'aurais intégré. Mais finalement, quelle importance a le moyen d'y être parvenu? Une prise de conscience spontanée, ou par l'intermédiaire de livres, ou encore dans une démarche psy est tout autant virtuelle.



C'est un peu tout cela que j'aurais du mal à expliquer si je devais justifier l'origine de ma démarche. Quelque chose qui va bien au delà du simple geste de prendre un billet d'avion.
Choisir d'aller tout seul de l'autre coté de l'Atlantique uniquement pour partager quelques jours de bonheur. Le bonheur comme objectif premier, et seulement lui. Me faire du bien, penser à moi, m'aimer. Et entrer en communion avec nathalie, dont les objectifs coïncident adéquatement avec les miens à ce moment là.

En me libérant de toute réflexion parasite autour de ce que j'aurais ou non le "droit" de faire. Me donner les moyens de vivre librement ma vie.




«La faille entre le passé et le futur qu'ouvre toute rupture est un formidable espace de réflexion, elle est un passage d'un état d'illusion à un état de lucidité. Cette transition est l'un des temps périlleux du processus de la rupture. On n'est plus dans le passé et pas encore dans l'avenir. C'est un étrange moment fait à la fois d'absence et de tension. On y découvre beaucoup de choses -parfois surprenantes - sur soi-même et autrui. La rupture a cela de bon qu'elle met fin, souvent sans précaution, à la confusion de la pensée, au flou de certaines situations, à sa propre indécision.»

"La rupture pour vivre - Faire les bons choix pour un nouveau départ"
Simone Barbaras








Dissection d'un dysfonctionnement




Lundi 26 janvier


Les réflexions avec Charlotte autour de l'évolution de notre couple se poursuivent, et elles sont fructueuses. Ces derniers jours j'ai compris, à l'occasion d'un froid né d'une insignifiante broutille, comment nous fonctionnions. Comment je fonctionne, puisque je ne peux m'exprimer qu'en mon nom.

Je ne respecte pas Charlotte dans ce qu'elle a de différent. Sans même en voir conscience j'attends d'elle qu'elle corresponde à ce que je souhaite. Oh... c'est pas si simple que ça bien sûr. Ça se passe de façon détournée, sinon ce serait invivable.

Comme je sais que je ne peux pas attendre ni exiger... tout se passe de façon insidieuse. Par des remarques, une intonation de voix... Rien de flagrant, mais des détails qui finissent par laisser une empreinte. Je ne m'en rends même pas compte, mais Charlotte, qui y est très sensible, le perçoit plus ou moins consciemment.
Par réflexe de protection, elle se défend de manière similaire. Juste quelques mots signifiants, un ton marqué d'un soupçon de quelque chose de négatif. Et ma sensibilité capte ce message, qui me blesse.

Que ce soit l'un ou l'autre qui "commence", le processus est le même: blessure en réponse à une blessure initiale, parce que nos sensibilités sont ainsi faites (et c'est généralement en rapport direct avec des douleurs d'enfance: peur de n'être pas aimé, culpabilité).

Bon... comme on ne peut pas fonctionner sur ce mode, on a vite compris qu'il fallait apprendre à désamorcer les choses. Être plus conciliant, faire des concessions, tenter d'adoucir les angles, d'expliquer... Et ça fonctionne plutôt bien. Avec les années nous sommes parvenus à un modus vivendi tout à fait satisfaisant, avec des disputes de moins en moins fréquentes, de moins en moins lourdes. Finalement, tout allait de mieux en mieux.

Ouais... en apparence.
Parce qu'en fait tout ce travail de négociation intérieure, de renoncements, de prise sur soi, d'acceptation... Tous ces efforts consacrés à l'amélioration du fonctionnement de notre couple... ben ça consomme une énergie constante, et certainement considérable. Nous gaspillons notre énergie vitale a faire en sorte que la machine fonctionne sans à-coups et sans surchauffe.

Et nous ne nous en étions jamais aperçu!

Il aura fallu que nous soyons en situation très délicate, réfléchissant en profondeur sur notre mode de fonctionnement, pour que cela m'apparaisse.

Et l'effet pervers de cette énergie consommée à injecter de l'huile dans le mécanisme, c'est qu'elle fait défaut pour que le couple s'épanouisse. Il fonctionne "bien", mais ne peut donner le meilleur. Plus assez de ressouces!

Et voila ce qui m'a manqué, et que j'ai ressenti le besoin de trouver hors du couple. Il me manquait cette dimension qui fait qu'on se situe réellement dans le domaine amoureux, au delà du profond attachement. Cette forme de relation si particulière qui fait atteindre des sommets de complicité et de bien-être partagé, qui éveille des sensations uniques, conjonction de l'esprit et du coeur.


Alors nous constatons que, sur ce point, nous ne sommes pas «faits l'un pour l'autre». Nous avons, sur certains points, un comportement qui entre en conflit avec celui de l'autre. Nous nous nuisons.
Même si pour d'autre cotés nous nous apportons beaucoup [ben oui, quand même, sinon on aurait pas tenu tout ce temps...].

Cette lucidité nouvelle confirme ce que je ressens depuis quelques temps: ma relation avec nathalie aura été un élément déclencheur, puis un catalyseur de compréhension, mais le problème de mon couple était préexistant. Ce n'est pas l'arrivé de nathalie dans ma vie qui aura bouleversé le couple, mais le malaise au sein du couple qui m'a entraîné vers nathalie.

C'est pour cette raison que mes réflexions sont essentiellement tournées vers le couple depuis quelques mois, sans lien direct avec ma relation avec nathalie.

Ce qui est cocasse, c'est que c'est la demande de choix de la part de Charlotte qui m'aura contraint à voir clair. Je me suis retrouvé obligé de peser le pour et le contre, jauger l'une et l'autre des relations (ce que je voulais initialement éviter)... et il m'a fallu décortiquer leur fonctionnement. Avec un élément de comparaison, les diffférences devenaient flagrantes. Et c'est toutes les dysfonctions du couple qui me sont apparues. La comparaison était d'ailleurs inégale puisque vingt ans de vécu quotidien ont forcément un poids de choses cachées et de non-dits considérable.
Mais bon... le "hasard" a voulu que les choses se passent ainsi.


Bien sûr je n'occulte pas le fait que j'aurais pu me baser sur cette meilleure connaissance de nos problèmes pour tenter de relancer le couple sur ces bases assainies. Certes... c'est ce qui aurait pu se passer si j'avais découvert cela tout seul, dans une démarche autonome.
Mais toute cette lucidité ne m'est apparue que parce que je vivais une autre relation, avec un fonctionnement différent, beaucoup plus harmonieux, évident, fluide, et surtout marqué par un très grand respect.
Dès lors, la compréhension des problèmes n'existe que parce qu'il y a cette double relation. Que je la supprime... et plus rien n'avance [hum... sans même parler de cette flamme qui s'éteindrait en moi].
Voila une des raisons qui faisait que je ne pouvais pas renoncer à nathalie. Pour l'épanouissement de mon couple, ma relation avec nathalie était bénéfique, aussi surprenant que ça puisse paraître. Et sans oublier que le bonheur que j'y trouve ne pouvait que rajaillir sur mon entourage.

Il y a une autre raison qui fait que je ne pouvais donner la priorité à mon couple: le poids de vingt-trois ans de mauvais plis. Pour avoir constaté combien on retombe immédiatement dans nos habitudes, alors même qu'on les scrute et cherche à les briser, je sais qu'il y en aurait pour des années de "travail", sans être certain que nous parviendrions à un résultat à la hauteur de nos besoins. Des années à dépenser cette énergie de fonctionnement, mais privé de la stimulation actuelle qui décuple notre capacité de réflexion et notre volonté de trouver des solutions d'ajustement.
Je n'ai pas le courage, ni l'envie, d'attendre tout ce temps. J'ai envie de vivre le bonheur maintenant, parce que je sais qu'il m'est accessible maintenant. Je n'ai pas envie de tout miser sur l'avenir alors que j'ai quelque chose à vivre au présent.

Je sais désormais que le bonheur est un choix, mais aussi qu'il faut le prendre lorsqu'il se présente.







L'amour en trois dimensions





Mardi 27 janvier


Psy 3.20 [environ...]

Le lendemain de l'achat de mon billet d'avion, j'ai ressenti un phénomène assez bizarre, qui aurait pu m'inquiéter si je n'avais deviné de quoi il s'agissait.
Alors que depuis des semaines j'avais mené une réflexion intense pour faire cette démarche audacieuse, tout à coup, à peine avait-elle été faite, je ressentais un sorte de dépression. Quelque chose auquel je ne m'attendais pas du tout et contre lequel j'étais impuissant.

Je me disais: «mais pourquoi ai-je fait ça? Quel est le sens de cette démarche? Ne me suis-je pas nourri à l'illusion et au fantasme?». Tout en pensant dans ce sens négatif, je supposais que c'était une étape transitoire. Je savais que cet acte était très profondément réfléchi. Mais j'ai quand même eu peur de sentir ainsi ma pensée échapper à mon contrôle.

Avec le recul, je crois que parmi les nombreuses composantes qui ont motivé mon choix, il existait celle de me surpasser. D'accomplir un geste un peu fou. D'oser. Et une fois le passage à l'acte effectué... il s'est produit une décompression puisqu'une part de l'objectif était surmontée.
Il n'a pas fallu longtemps pour que ces pensées s'éteignent. Quelques heure plus tard elle n'existaient plus.



J'ai alors évoqué, avec ma psy, mes questionnements sur les motivations réelles de ce voyage. Car qui peut prétendre savoir exactement pourquoi on agit de telle ou telle façon? J'ai expliqué [euh... j'ai rien à expliquer à la psy, c'est à moi que je me l'explique] qu'il y a quatre ans, lorsque je cherchais les limites de ce que je pouvais vivre avec une autre femme que Charlotte, j'avais constaté une sorte de dégoût de moi-même. Il y avait à la fois une très forte envie de vivre mes désirs, qui me stimulait... mais aussi une culpabilité latente qui se déclenchait immédiatement après nos rencontres. Et finalement, le jour où je me suis approché de trop près de la limite de ce qui me semblait autant inconcevable qu'attirant... tout désir de poursuivre s'est éteint!

Je ne sais pas bien ce qui, de la culpabilité ou du surpassement avait été atteint, mais il est certain que j'avais été "trop loin". Avais-je eu trop peur d'aller plus loin? Avais-je eu l'impression d'avoir "atteint mon objectif"? Sans doute y avait-il quelque chose de ça, même si je n'avais aucune conscience d'en avoir eu un.

J'ai déjà parlé de cette peur à nathalie, anticipant sur de possibles réactions que je ne maîtriserais pas. Et peut-être ces craintes réapparaissent-elles maintenant que je vais aller la voir. Franchement... c'est assez flippant de sentir la possibilité d'une telle réaction!



Oui, parce que, quand même, il faut être honnête: si je vais voir nathalie, c'est en grande partie pour remettre nos présences en contact. En langage clair et sans détour: c'est pour réintroduire la dimension physique dans notre relation [encore plus clair: c'est pour... euh non, j'ai rien dit]. Oui, se voir, se toucher, s'étreindre. Et toute autre possibilité de contact physique avec quelqu'un qu'on aime.
Ben voui, hein, ne nous leurrons pas.
[ben ouais, t'es un gars normal, avec des désirs, des pulsions...]

Les deux dimensions que constituent pensée et sentiments peuvent exister à distance. Oui... mais bon, au bout d'un moment, on sent bien que la troisième dimension manque beaucoup. Je me souviens combien je dissertais sur tous les sens du contact direct qui nous manquaient avant notre rencontre. Ah oui, on avait vraiment très envie, et surtout besoin de savoir qui était l'autre dans son corps, dans sa présence physique entière. Et euh... je crois qu'on a pas été déçus. Ooooh noooon, pas du tout déçus! Et pour ma part, ce que j'ignorais, c'était non seulement l'importance que pouvait avoir cette troisième dimension de l'amour... mais surtout qu'elle ouvrait à la quatrième dimension: l'alliance des trois autres. Et ça, c'est grandiose. Epoustouflant et sérénissime.

Oui, aussi étonnant que ça puisse paraître, c'est à 42 ans que j'ai découvert que tête, coeur et sens [hmmm... sexe?] pouvaient avoir une telle potentialité en se conjuguant. Et l'impact de nos deux jours et demi de présence aura été tel qu'il m'aura poussé à chambouler ma vie pour pouvoir vivre ce genre de choses librement. Ça m'avait tellement manqué, sans même que je ne le sache... Je crois que je le sentais confusément, et ça m'a attiré.

Et si bien trivialement on dit parfois que c'est "le cul" qui intéresse les hommes, je crois que c'est aller bien vite en raisonnement, et oublier à quel point cette dimension physique est précieuse et magnifique. Encore faut-il l'avoir touchée du doigt, si je puis dire...

Bref, vous voyez, j'étais encore très naïf et candide sur une grande part des choses de l'amour.
[ah ça, on ne peut pas le nier!]



L'autre idée qui s'est dégagée de cette séance psy, c'est celle de... l'amour séquentiel [quoi c'est que ça?]. Hum... disons que je me suis rendu compte récemment que je vivrais mieux la sérénité amoureuse si je savais ne pas laisser l'amour envahir ma vie. J'avais déjà compris que l'amour ne demandait ni n'attendait... mais ça ne fonctionnait pas toujours. Parfois je... ben j'attendais quand même. Parce que je considérais que l'amour ça se manifestait de telle ou telle façon. Et notamment par une présence quasi-continue [hum... la présence à 5900 km, c'est pas très simple...]. Pour moi, aimer c'était vouloir être avec la personne aimée dès que c'était possible. Funeste erreur! Ce serait une aliénation.
Alors je suis en train de comprendre qu'on peut avoir la (ou les...) personne aimée "dans la tête", vivre avec sa présence confiante en soi... sans pour autant avoir besoin de signes permanents. Enfin... je le savais, mais entre tête et coeur, il y a toujours ce temps de transmission assez long.
Et là, je crois bien que ça rentre dans l'intimité de mes sentiments.

Ce qui se passe, c'est comme si l'amour était en veille, prêt à fonctionner dès que l'autre est là. C'est possible par la double confiance: en soi et en l'autre (mais la confiance en l'autre découle de la confiance en soi...). Tant que le contact n'est pas là, l'attente ne se manifeste pas, et les sentiments restent comme quelque chose d'intérieur, serein. Mais dès que le contact devient possible, ou envisagé, alors les sentiments se réveillent, se rallument, s'expriment, et sont prêts à répondre à l'expression des sentiments de l'autre.

C'est là que chacune des trois dimension a son importance, puisque lorsqu'on en est momentanément privé d'une ou plusieurs d'entre elle, je crois que l'intensité amoureuse ne peut s'exprimer entièrement. Il me semble qu'une longue période sans échanges approfondis, et a fortiori une longue période sans contacts physiques, fait que l'amour ne peut atteindre une certaine potentialité. La trinité amoureuse (tête-coeur-sexe) est nécessaire. Que l'une, ou deux dimensions soient moins actives, alors la troisième ne pourra s'exprimer totalement.
Sauf si on est dans un phénomène d'idéalisation, qui donne une impulsion extraordinaire... mais pas nécessairement fondée.

Si j'en suis venu à ça, c'est parce que ces derniers temps je n'ai pas vraiment pu poursuivre la construction de ma relation avec nathalie. J'étais trop préoccupé par mes problèmes de couple pour développer mes pensées autour de "nous". Et nathalie elle-même n'était pas dans une période propice à l'échange soutenu de réflexions... Nous étions donc en plein dans ce que j'appelle "amour séquentiel": une phase relativement neutre au sein d'une période durant laquelle deux dimensions manquantes faisaient que la troisième restait relativement modérée. Ce qui n'empêchait pas le désir de nous retrouver via nos moyens habituels, ni même au manque de se manifester lorsque nous étions volontairement isolés l'un de l'autre.



Mais avec la promesse de cette rencontre revient le temps de l'investissement affectif. Car dans trois semaines, nous pourrons à nouveau conjuguer les trois dimensions de l'état amoureux. Et vivre une nouvelle séquence intense de notre amour séquentiel, mais néanmoins continu.


Hmmmm, j'en ai hâte!







Se permettre d'aimer



Jeudi 29 janvier


Depuis combien d'années la séparation entre Charlotte et moi était-elle "programmée"?
Certainement bien plus longtemps que ces quelques derniers mois. Dans quelle mesure Charlotte ne m'a t-elle pas laissé agir en devinant inconsciemment vers quoi nous allions? Si elle a été aussi tolérante avec moi lorsque j'avais mes premières soirées dans l'intimité virtuelle des tchats, n'était-ce pas un accord tacite pour aller vers une issue prévisible? Ou du moins envisageable.

Qu'en aurait-il été si, dès le départ, elle avait refusé catégoriquement que je discute avec d'autres femmes? Et pourquoi, alors que dès le premier jour j'avais pu constater toutes les potentialités de ce genre d'échange, ai-je continué obstinément... jusqu'à trouver ce que je cherchais? Pourquoi ai-je préféré passer mes soirées ailleurs que dans ses bras?

N'avons-nous pas été tous les deux complices dans cette ligne de rupture que je traçais?

Et jusqu'où faut-il remonter pour trouver le point d'origine. Ce moment où l'un de nous a, pour la première fois, pensé «sommes-nous vraiment faits l'un pour l'autre?». Je sais que Charlote l'a envisagé très tôt. Dans les premiers mois qui ont suivi notre mariage, et puis assez régulièrement dans les années suivantes. Pour ma part, ce fût beaucoup moins fréquent, mais la première fois devait aussi se situer dans nos premiers mois de vie commune.

Ce n'est que par suite de concessions et renoncements que nous avons pu maintenir notre cohésion, mais pas vraiment par ajustements volontaires et enthousiastes. Il y avait déjà des ruptures d'avec nous-même dans ces tentatives de conciliation. Mais... nous nous apportions aussi beaucoup de bien-être à d'autres moments, et c'est sur cela que nous nous focalisions.

Je ne sais pas si j'aimais encore amoureusement Charlotte dans ces années-là. Je crois que j'aimais cette présence rassurante à mes cotés, j'aimais notre amitié, j'aimais notre confiance, et j'avais... l'espoir que l'état amoureux revienne (y croyais-je vraiment?). Mais à bien y penser, je crois que je n'étais déjà plus amoureux.

Trop de différences entre nous, malgré tous les points communs. Dès les premières semaines qui suivaient notre rencontre il y avait eu des disputes, des incompréhensions. Un manque d'acceptation de nos différences aussi. Puis des reproches, des attentes. Très tôt se sont positionnées nos incompatibilités, chacun dans son domaine. Les premières fissures étaient nées.



Dans les trois dimensions amoureuses, je crois que rapidement il en manquait une part. Dans le domaine intellectuel nous ne fonctionnions pas vraiment de la même façon, n'avions pas les mêmes centres d'intérêt, ni la même curiosité, ni le même humour, ni la même fantaisie. Souvent nous nous heurtions sur des idées, n'acceptant pas celles de l'autre. En fait, la plupart de nos disputes sont nées de ce genre de différences.

Dans le domaine du coeur et des sentiments il y avait un décalage initial: j'avais été davantage amoureux qu'elle. Et puis nous nous étions retrouvés en conjonction quelques mois plus tard... avant que ce coté sentimental ne commence à s'effacer inexorablement (pas assez de concordances?). Les sentiments forts ont fait place à de l'attachement... qui a fait illusion depuis.

Dans le domaine sexuel... alors là... il faut que je remonte très très loin pour retrouver un véritable désir relié aux sentiments. Oh, du désir il y en a eu, c'est certain... mais... je ne sais pas bien de quoi il découlait. Spontanément, je ne le relie pas à l'état amoureux. Peut-être au partage de pensées et à l'échange approfondi, mais sans que cela soit véritablement accompagné du sentiment amoureux. C'est un peu bizarre quand j'y pense. En fait... je crois que c'est comme si je partageais une sexualité avec une amie très proche. De la douceur, de la tendresse, mais point de passion. Ce qui explique bien des choses par rapport à ma capacité à aimer deux femmes simultanément...

Pour résumer, assez trivialement: Charlotte est une amie avec qui je vis et baise.

Bon, je dis "amie", mais c'est évidemment bien plus que ça... sans doute parce que, précisément, plusieurs ingrédients de ce qui caractérise l'amour font partie de notre relation.



Et en fait, suite à une très intéressante conversation avec nathalie, je me rends compte à quel point notre relation conjugale avait priviligié le couple plutôt que l'amour. Ce qui nous importait, finalement, c'était de faire durer ce couple. Non par convention sociale (quoique... en y réfléchissant bien...), mais parce que nous trouvions dans cette union le soutien affectif dont nous avions besoin. Tant pis pour le feu amoureux, du moment que nous gardions intacte notre relation. Et nous avons patiemment oeuvré à maintenir intacte cette union. A coup de concessions et renoncements.

Les fissures ont été en permanence rebouchées, colmatées, suturées... mais maintenant il y en a de partout. Et la brèche que j'ai ouverte toute grande en recherchant ailleurs l'état amoureux qui n'existait plus entre nous, fait que tout l'édifice craque. Jour après jour nous constatons l'ampleur de ce que nous nous cachions.

Ce n'est pas triste. C'est même réjouissant! Ensemble nous regardons l'étendue de notre mensonge commun, tacitement complices des illusions que nous voulions préserver.

Charlotte vient de me le dire: elle ne s'est jamais sentie avec moi aussi proche qu'avec son premier amour (qu'elle avait minimisé pendant très longtemps).



Mais ce n'est pas tout: hier, dans cette même conversation avec nathalie, elle a su me faire sortir des mots que je ne savais même pas avoir en tête. Me voyant tournicoter autour du pot, de circonvolutions en périphrases, elle m'a aidé à formuler très clairement les choses.

Alors voila: je ne me laisse pas aller à aimer. Je ne me sens pas libre d'aimer [mais cherchant justement à le devenir!]. Je ne m'autorise pas à croire que l'amour me soit accessible. C'est pas pour moi, c'est pas possible, ce serait trop bien... [trop bien pour moi?]. C'est comme si j'avais peur de ce que je désire le plus ardemment. Peur de le laisser se développer... peut-être par peur de le perdre ensuite?

Et même... je me demande si je n'aurais pas une certaine capacité à l'auto-sabotage, lorsque mes peurs, ma culpabilité [coupable d'aimer???] tentent de miner ma détermination [autrefois du genre «est-ce qu'elle m'aime?» et maintenant «est-ce que je l'aime?»].

J'aime nathalie. J'aime sa façon de penser, sa curiosité, son écoute très attentive, son respect total de ce que je suis, sa capacité à aller au fond des choses, sa détermination à vivre l'amour. Et je suis énormément touché par sa foi en moi, et en nous.
J'aime ce qu'elle est, j'aime ce que nous sommes, j'aime celui que je suis avec elle [tant que je suis "vraiment moi"...]. Et je sens très bien que, tous les deux, nous pouvons vivre une relation assez extraordinaire. Je crois qu'une telle symbiose est rare.


Alors tout le reste n'est qu'un combat d'arrière garde. Tentatives d'un surmoi dépassé et à la légitimité usurpée, introduisant sans cesse l'aiguillon pervers du doute afin de m'empêcher d'aller vers ma liberté d'être "moi".

Et le combat est long et pénible, comme on peut le constater...

Mais je vaincrai!



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Ces derniers temps, j'ai souvent écrit des choses pas très favorables envers Charlotte. Peut-être cela donne t-il une vision fausse de ce que je pense d'elle. Car si j'ai mis en avant tout ce qui ne me convenait pas, ce n'était nullement dans un but de la "noircir", mais plutôt une façon de trouver des "bonnes raisons" d'agir comme je le fais. Ben oui... une façon de me déculpabiliser. C'est tellement difficile à vivre, cette impression de "laisser tomber" celle à qui je tiens et qui tient à moi. Même si, objectivement, il s'agit d'une bifurcation, d'une évolution qui ne doit pas être retenue.

J'avais besoin de me libérer de notre couple, et en pointer tous les dysfonctionnements en était la meilleure façon. Cependant je ne donne que ma version des choses et Charlotte m'en dit tout autant en ce qui me concerne. Ce qui se passe maintenant, c'est que la séparation se faisant dans nos têtes, notre perception de l'autre est largement modifiée. Puisqu'on a pris acte de ce qui nous sépare... alors on voit bien mieux ce qui nous réunit. N'attendant plus de l'autre qu'il nous plaise... on perçoit justement ce qui nous plaît. Amusant non?

La situation pourrait paraître absurde de se retrouver au moment où nous nous séparons. Mais ce regard que nous portons sur l'autre ne change rien à nos sentiments disparus. Si nous nous apprécions et voyons en l'autre tout plein de qualités et charmes... ça ne fait pas renaître l'amour.

Je crois que le processus de séparation est désormais inexorable. Il se fera sans doute très en douceur, mais nous sommes tous les deux d'accord sur l'issue. L'idée marque son empreinte chaque jour un peu plus dans nos esprits.








Il est temps de poursuivre





Vendredi 30 janvier


Je viens de faire une bonne ballade dans la neige, par un beau temps au froid vif. C'était l'occasion d'inaugurer mes nouvelles chaussures, destinées à affronter les rigueurs de l'hiver Québecois, dans une vingtaine de jours.
Un peu distrait, je réfléchissais, une fois de plus, [nooon, sans blaaague?] à la situation actuelle. Mais pour une fois ça ne tournait pas dans tous les sens. Je faisais un petit état des lieux, en ayant pris conscience que je devais apprendre à me soustraire de l'idée de culpabilité. En fait, non seulement cette culpabilité n'apporte strictement rien, mais en plus elle infondée.



Récapitulatif: [j'aime bien ça...]

Ê
tre tombé amoureux d'une amie, cela n'a évidemment rien de coupable. Et si mon coeur a pu trouver de la place pour une autre parce qu'il n'était pas comblé, je n'en suis pas davantage coupable.

J'ai donc simplement choisi de vivre en accord avec moi-même, ce qui n'a rien de condamnable. Certes, c'est une évolution et en cela je modifie le contrat tacite qui existait entre Charlotte et moi ["toi et moi pour la vie"]. Mais jusque là, il n'y a, à mes yeux, rien de condamnable. Il n'est pas impossible de poursuivre une vie conjugale et une relation parallèle, hormis pour des questions d'acceptation personnelle... ce qui est le cas. Mais le fait que Charlotte ne puisse accepter la situation ne me rend pas d'avantage coupable de rester authentique avec mes convictions. C'est sur une décision commune, afin que chacun reste fidèle à soi, que nous allons nous séparer.

Donc il n'y a aucune autre faute dont je puisse me sentir coupable [euh... sauf vis à vis de la loi, pour qui l'adultère est une faute, motif légitime de divorce, mais que vient faire la loi dans l'amour, hein, je vous le demande?] .


Alors je vais laisser cette culpabilité derrière moi, et continuer à avancer.



Bon... il reste la question des enfants, puisque conjointement avec Charlotte [mais ce n'est pas une décision qui m'incombe unilatéralement] nous allons les priver d'une certaine convivialité familiale. Là, oui, c'est problématique. D'autant plus qu'on ne peut pas invoquer une athmosphère détestable qui serait plus néfaste qu'une séparation. Ceci dit, il sont grands et en âge de comprendre, surtout que nous en parlons bien avec eux. Et puis nous sommes décidés, avec Charlotte, à maintenir cette cohésion familiale. Tout devrait donc se passer assez bien. Ce peut même être l'occasion de rendre plus festifs les moments où nous seront tous les cinq réunis.

Hmmm, oui, je pense que cette culpabilité aussi je peux la laisser de coté. De toutes façons elle ne changera rien du tout.



Qu'est-ce qui reste? Euh... ah oui: l'éventuelle possibilité que, pour quelque raison que ce soit, quelque chose ne fonctionne plus avec nathalie [ben vi hein, ça peut arriver...]. Dans ce cas, j'aurais chamboulé ma vie et celle de ma famille pour quelque chose qui n'aurait pas duré.

Oui... mais, quoi qu'il advienne, il y a quand même eu cette compréhension du dysfonctionnement du couple. Et toute la remise en question/prise de conscience de ce à quoi je tiens, de ce qui compte pour moi, de ce qui me manque. J'ai gagné une fantastique lucidité. Donc quelque chose de très positif. Et cette lucidité a aussi été apportée sur notre relation de couple. Donc c'est aussi quelque chose de positif, lorsqu'on veut ouvrir les yeux sur soi.

Donc, là encore, toute culpabilité anticipatoire est sans objet.



Alors? Où reste t-il des traces de culpabilité? Hmmm? .
Je cherche, je cherche... et je n'en trouve pas. .

Conclusion: je n'ai aucune raison de me sentir coupable de quoi que ce soit. Sauf si on considère que l'intégrité avec soi et les autres est un acte coupable... Ce qui n'est évidemment pas mon point de vue.

Je vais donc essayer de... non, je décide de cesser de me culpabiliser autour de toute cette belle aventure [ouais, faut dire ce qui est, je trouve que c'est quand même une sacrée belle histoire que cette rencontre transcontinentale, qui aurait été impossible il y a seulement dix ans, avant le développement d'internet].

Je vais faire gaffe [gnnnnn, faudra que je sois vigilant...] à ne plus me laisser emporter dans des auto-justifications, rééxplications permanentes, avec comme seul but de me convaincre que ce que je fais est correct [voire courageux... si, si...] et que je n'ai pas à m'en sentir coupable. Ouais ouais, là, aujourd'hui, j'y crois vachement. Faudra pas que j'oublie...

Et puis je vais tacher de cesser de toujours ramener ça sur le tapis, non seulement ici [mais là c'est pas bien grave, puisque vous vous êtes portés volontaires pour me lire...], mais aussi avec Charlotte [ben oui hein, faut qu'on continue à vivre bien nos derniers mois ensemble], et surtout avec nathalie [qui suit mes envahissants états d'âme autour de cette séparation...].

J'ai envie de vivre vraiment. Retrouver le sens des choses, me réouvrir au monde extérieur. Là je vis intensément... mais dans un monde réduit à ma problématique. C'est très enrichissant, épanouissant et tout et tout... mais je crois que je commence à en avoir fait le tour. Je sais où j'en suis en moi, où nous en sommes dans mon couple, et où nous en sommes avec nathalie. J'ai bien élargi les sujets qui m'intéressaient, maintenant je peux continuer à avancer. Il est temps de poursuivre...
Poursuivre ce qui peut encore exister avec Charlotte, et poursuivre ce qui se construit avec nathalie.


C'est dans cet état d'esprit que j'ai terminé ma marche, ayant depuis un bon moment décroché de mes questions, absorbé par les grands espaces blancs étincellant d'éclats de cristaux de glace, les forêts velues piquées sur les flancs des collines, et au loin les falaises des montagnes environnantes.

En rentrant dans la maison, après avoir tapé bien fort mes pieds pour en faire tomber la neige, j'étais bien. Je suis venu écrire tout ça ici et je suis en pleine forme.





Mois de février 2004