Les recettes de Cennino Cennini :

Cennino CenniniIl libro dell ’arte, Paris : Berger-Levrault, 1991

 

    Contemporain du Maître de la Miséricorde, Cennino Cennini est un peintre italien du 14ème siècle (né en 1370 mais pas de date de décès connue).Il fut l’élève d’ Agnolo Gaddi, mais toutes ses toiles ont aujourd’hui disparu. Seul son Libro dell’arte, sorte de manuel destiné aux peintres et à leurs apprentis, existe toujours. 
Elle est la source principale de renseignements sur la technique des peintres  italiens du XVème siècle. Il comporte des études sur le broyages des couleurs, la préparation des supports, la fabrication des plumes et des pinceaux ainsi que sur la manière de rendre le clair-obscur, de peindre les visages ou d’appliquer des surfaces d’or sur des panneaux.

Barry X Ball et d'autres artistes contemporains s'y réfèrent explicitement.

 


Comment on doit mettre la toile sur le panneau.

« Une fois que tu as encollé le panneau, prends une toile, c’est-à-dire une vieille toile de lin, fine en fil blanc, sans aucune tache de graisse. Prends ta meilleure colle ; coupe ou déchire des bandes de cette toile, grandes et petites, trempe-les dans cette colle ; étends-les avec les mains sur la surface plane des panneaux ; enlève d’abord les coutures ; aplanis-les bien avec les paumes ; laisse sécher pendant deux jours. Sache que l’on peut coller et enduire de plâtre… »

 


La technique de collage de l’or

Le bol d’ Arménie.

Il s’agit d’une argile naturelle rouge très fine, due à la présence d’oxyde de fer, de silicium, calcium et de magnésie utilisée au Moyen Age comme sous-couche pour la dorure à la feuille, élément tangible de prestige. Comment obtenir le plus bel effet en employant le moins possible de ce métal onéreux ? Les batteurs d’or savent réaliser des feuilles d’or si fines (0,1mm) qu’elles sont transparentes. Leur couleur est alors nuancée par la teinte du substrat et par le vert de la lumière transmise par l’or. Les doreurs déposent la feuille sur une sous-couche jaune (pour renforcer la composante jaune réfléchie par l’or) ou rouge (pour absorber la lumière verte transmise). Cette solution est fabriquée avec de l’eau et de colle ou de blanc d’œuf pour améliorer son pouvoir d’adhérence, le bol était prêt à recevoir la feuille d’or. Il se présentait sous forme de boule, de l’italien bolo.

 

Comment on dore sur un panneau.

    « Prends un pinceau assez gros de petit-gris (1), prends ton or fin ; avec une paire de petites pinces, saisis délicatement une feuille d’or que tu as en main. Prends une carte taillée carrée, plus grande que la feuille d’or, écornée à chaque coin. Tiens-là dans ta main gauche et avec ce pinceau dans la main droite, mouille le bol, seulement là où il doit recevoir la feuille d’or que tu as en main. Mouille uniformément : qu’il n’y ait pas plus d’eau à un endroit qu’à un autre. Puis, approche délicatement l’or de l’eau sur le bol : mais fais en sorte que l’or dépasse la carte d’une lisière de façon que la « petite pelle » de la carte ne se mouille pas. Maintenant, aussitôt que tu as mis l’or en contact avec l’eau, ramène vite vers toi la main qui tient la petite pelle. Si tu vois que l’or n’est pas entièrement en contact avec l’eau, prends un peu de ouate neuve et aussi légèrement que tu le peux, presse l’or. 
Mets d’autres feuilles de la même façon. Et quand tu mouilles pour le seconde feuille, garde-toi d’aller avec ton pinceau si près de la feuille déjà placée que l’eau ne passe pas par dessus. Fais en sorte de recouvrir avec la feuille que tu mets, celle qui est mise, sur la largeur d’une lisière ; souffle d’abord sur cette dernière pour que l’or adhère là où il est recouvert.

Lorsque tu as placé trois feuilles environ, reviens presser avec la ouate sur la première, en soufflant dessus ; ceci te montrera si elle a besoin d’une réparation. Prépare alors un petit coussin de la grandeur d’une brique ou pierre cuite, c’est-à-dire une planche bien plate, sur laquelle est fixé un cuir de belle qualité, sans graisse, de celui dont on fait les ceintures. Cloue-le bien partout et remplis-le entre le bois et le cuir, de bourre. Mets sur ce coussin une feuille d’or, bien étendue et avec un grattoir plat, découpe l’or en petits morceaux, en fonction de ce qu’il te faut, pour les réparations qu’il te reste à faire. Prends un petit pinceau d’écureuil, avec la tempera indiquée, mouille les endroits à réparer. Ainsi, en humectant un peu, avec les lèvres, l’extrémité du manche du pinceau, cela suffira pour saisir un petit morceau d’or et le mettre sur l’endroit à réparer. Quand tu as bien achevé les surfaces planes, aie grand soin de ramasser les petits bouts, afin d’économiser l’or le plus possible. »

(1) pinceau en poils de queue d’écureuil

 
les outils pour dorer à la feuille

 

Comment brunir l’or.

« Quand tu juges que cet or est à brunir, prends une pierre appelée sanguine ; je veux t’apprendre comment on la prépare. Quand on n’a pas cette pièce, il vaut mieux, si l’on peut faire cette dépense, prendre des saphirs, des émeraudes, des rubis, des topazes et des grenats, de l'agate : plus la pierre est précieuse, mieux elle convient. En outre, on peut utiliser une dent de chien, de lion, de loup, de chat, de léopard. (...)

…Prends ton panneau ou ce que tu as doré. Mets-le à plat sur deux tréteaux ou sur un banc. Prends ta pierre à brunir et frotte-la contre tes vêtements…Réchauffe-la bien et tâte l’or pour sentir la moindre poussière, sous la pierre et si cela crisse le moins du monde, comme ferait la poussière entre les dents, prends une queue de petit-gris et d’une main légère, époussette l’or. Brunis ainsi une surface plane, d’abord dans un sens puis dans l’autre. Et si parfois, sous le frottement de la pierre, tu t’aperçois que l’or n’est pas uni comme un miroir, alors prends de l’or et mets-en une feuille ou une demi-feuille dessus et brunis le avec ta pierre. L’or devient presque brun à force d’être brillant. »

 


Comment tu dois marquer les figures sur fond d’or.

    "Une fois que tu as dessiné ton panneau, prends une aiguille placée dans un petit manche ; et gratte les contours de la figure à la limite des fonds que tu dois dorer, et les ornements qui sont à faire sur les figures, et certains vêtements en drap d’or."

 


Les couleurs

    Les peintres du Moyen Age se servent de pigments minéraux importés ou locaux, issus de procédés « alchimiques » comme le mentionne Cennini. Le principal était le rouge de cinabre généralement conçus par des moines chez lesquels s’approvisionnaient les peintres. Il s’agit d’un minerai composé de sulfure de mercure de couleur rouge. Cette roche, après plusieurs détrempe donne la couleur rouge vermillon. Cennini précise que cette couleur est la plus couramment utilisée sur panneau car elle s’y conserve le mieux. On trouve aussi le rouge minium ou rouge de cochenille ou du réalgar (roche qui contient du sulfure rouge d’arsenic).

   
détail de La Vierge et l'Enfant avec quatre Saints.

Le bleu est aussi minéral qui subi des longs traitements pour obtenir sa qualité (lapis-lazuli, le plus utilisé au Moyen Age, indigo).


détail de La Vierge et l'Enfant avec quatre Saints.

KL