Histoire du protestantisme en Belgique et à Uccle.

 

    " Les protestants belges sont des inconnus dans leur propre pays". C'est l'historien belge Jean Meyhoffer qui a un jour écrit cela. Loin de moi l'idée de le contredire. Je crois que Jean Meyhoffer ne nous apprend rien. La Belgique se présente comme étant un pays catholique même si on estime que seulement 10 à 15 % de la population est ce qu'on appelle "pratiquante". Le protestantisme apparaît donc comme largement méconnu et minoritaire puisque le peuple protestant belge est évalué à environ 1% de la population, c'est à dire un peu plus de 100.000 personnes.

    Cette situation n'est pas sans conséquences : du côté protestant, elle entraîne souvent l'impression d'un manque de racines, d'un manque d'histoire. Le côté positif est que, comme dans tout mouvement minoritaire, le protestant est généralement très engagé. On rencontre peu de protestants dits non pratiquants. Pour les personnes étrangères au protestantisme par contre, ce caractère minoritaire inquiète ou intrigue. Pour ceux qui ne connaissent pas, la peur d'avoir affaire à une secte est souvent présente. Les autres se demandent qui sont ces gens dont on connaît si mal la foi et la pratique religieuse et qui sont souvent présentés de manière un peu caricaturale comme des anti-catholiques. Voilà pourquoi nous avons voulu vous présenter, ici, dans la commune d'Uccle, le protestantisme et les protestants que nous sommes.

   Nous attacherons à exposer les racines du protestantisme en Belgique et à Uccle, racines qui remontent jusqu'au seizième siècle, jusqu'à la Réforme.

   Plusieurs parmi vous, j'en suis certain, seront étonnés d'apprendre combien ces racines peuvent être importantes. Qui sait en effet que la Belgique fut pendant environ 10 ans en majorité protestante ? Qui sait que Bruxelles se proclama République calviniste indépendante ? Anvers, Gand, Bruxelles, Malines, Louvain, Tournai, Mons, Courtrai, Alost, Ostende, Ypres, Audenarde, Lierre, Diest, Hasselt, Saint-Trond, Menin, toutes ces villes ont été protestantes. Savez-vous que la femme de Calvin, ce grand réformateur, est une liégeoise ? Pour la petite histoire, elle s'appelait Idelette de Bure.

   Un tel passage en revue nous oblige à ce constat : le protestantisme a bien une histoire belge ou la Belgique a bien une histoire protestante. Pour la découvrir il nous faut faire un bond de près de 400 ans et nous plonger dans l'histoire du XVIe siècle. Après une présentation rapide de la manière dont les idées de la Réforme ont pris pied chez nous, nous nous arrêterons sur le cas particulier d'Uccle. Nous découvrirons le rôle important joué par Uccle pour les protestants bruxellois au XVIe siècle, ensuite nous nous arrêterons sur quelques personnalités protestantes ayant marqué l'histoire uccloise et enfin sur les manifestations diverses de la présence protestante à Uccle.

   Mais revenons tout d'abord au XVIe siècle et à la percée de la Réforme dans nos régions qui s'appelaient encore les Pays-Bas. Nous sommes sous contrôle espagnol même si le monarque, Charles Quint, est un peu belge puisqu'il est né à Gand en 1500. Ambitieux, il rêve d'une monarchie européenne unique. Cette monarchie, bien entendu, ce sera la sienne, elle sera absolue et soutenue par une seule religion. Charles Quint poursuit donc le désir de faire de l'Europe un bloc uni. L'Eglise catholique romaine devient pour lui non seulement un exemple mais aussi une alliée: fortement structurée, bien hiérarchisée, elle assure ainsi une grande cohésion. De plus, elle est présente dans toute l'Europe, y compris le royaume de France, ce royaume qui coupe l'empire de Charles Quint en deux. Un seul empire, un seul roi, une seule religion pourrait donc être le credo de Charles Quint à ce moment.

   La guerre qui l'oppose à François Ier, roi de France, voit déjà notre pays servir de champ de bataille. Mais la paix est signée sans qu'il y ait de véritable vainqueur. Les deux monarques signent un traité, dit "paix de Crespy", dans lequel ils s'engagent à travailler à la défense de l'Eglise contre les Turcs et à sa pacification interne. Cette pacification interne, c'est bien entendu la lutte contre la Réforme qui vient de naître.

   En effet, à cette même époque, la Réforme gagne de plus en plus d'adeptes en nos régions. Cela entraînera des édits impériaux de plus en plus répressifs et finalement la guerre civile. Arrêtons-nous donc sur la propagation de la Réforme qui, sans le vouloir, jouera un si grand rôle politique.

   Traditionnellement, et pour simplifier la présentation, on divise la propagation de la Réforme en Belgique en trois temps. : le luthéranisme, l'anabaptisme et le calvinisme.

  1°- Le luthéranisme.

    En gros, la période d'influence du luthéranisme en Belgique s'étend entre 1520 et 1530. Nul n'ignore le rôle important joué par Luther, ce moine augustin allemand, dans l'apparition de la Réforme. Moine catholique, Luther était connu pour son zèle : il s'infligeait de nombreuses privations, allant jusqu'à la flagellation, en espérant ainsi trouver la paix et gagner son salut. Appelé à donner un cours sur l'épître aux Romains, ce fut l'illumination lorsqu'il rencontra ce texte biblique "Le juste vivra par la foi". Il compris alors que l'homme ne peut rien faire pour se sauver et qu'il doit recevoir le salut que Dieu lui offre par pure grâce au moyen de la foi. Par conséquent il s'éleva contre le trafic des indulgences qui avait lieu à l'époque, trafic qui consistait à vendre, pour faire simple, des bons de réduction de temps au purgatoire. Continuant son exploration de la Bible, il voulu évacuer de la religion catholique tout ce qui ne pouvait être soutenu au moyen de l'Ecriture Sainte. Opposé à des théologiens émissaires du Vatican, il affirmera : " Si l'on me convainc d'erreur par le moyen de l'Ecriture, je me rangerai, si non, ma conscience est prisonnière de l'Ecriture". Personne n'y parvint. Luther persévéra donc. Son désir était de réformer l'Eglise, c'est dans ce sens que la Réforme est une protestation. Jamais Luther, ni aucun autre Réformateur, n'a voulu fonder une nouvelle Eglise. Mais Luther fut excommunié. Il n'avait donc guère plus le choix.

   A Erfurt, où il était moine, Luther partagea un moment sa cellule monacale avec un belge, Jacob Praepositus, prieur du couvent des Augustins d'Anvers. C'est donc dans cette ville cosmopolite, cette ville de commerce obligée à une certaine tolérance pour survivre économiquement, que les idées de Luther prirent pied. La réaction fut immédiate : en 1519, avant toute réaction officielle du Vatican contre Luther, la doctrine de la justification par la foi seule, si chère à Luther, est condamnée par l'université catholique de Louvain. En 1520, le prieur du couvent des Augustins, qui a une grande influence sur le peuple et la bourgeoisie, est emprisonné. Libéré à condition de rentrer dans le rang, il persistera dans la propagation des idées de la Réforme et s'exilera finalement en Allemagne où il terminera sa carrière en tant que pasteur protestant. Son successeur à la tête du couvent des Augustins suivra la même voie. Les autorités décident alors de fermer le couvent et les moines sont emprisonnés. Trois d'entre eux refusent de se rétracter: Henri Voes, Jean Van Eschen et Lambert Thoren. Henri Voes et Jean Van Eschen furent les premiers martyrs de toute l'histoire de la Réforme : ils seront brûlés sur la grand-place de Bruxelles le premier juillet 1523. Une plaque commémorative nous rappelle cet événement et ce triste record pour notre capitale.

   Le sort de Lambert Thoren est moins certain. Pourtant c'est là que l'histoire du protestantisme et celle d'Uccle semblent se croiser pour la première fois puisque l'hypothèse la plus sérieuse veut que Lambert Thoren soit mort en prison à la Steenpoorte et enterré le 15 septembre 1528 au Flotsenberg, lieu d'exécution situé non loin de l'Altitude Cent.

   Pourtant, les disciples de Luther n'avaient aucune idée révolutionnaire. Certes, ces premiers réformés étaient insatisfaits de la situation du moment, ils désiraient du changement, ils revendiquaient la liberté de conscience, mais ils étaient prêts à composer avec le pouvoir en place. Par manque d'organisation, cette branche luthérienne de la réforme disparut presque totalement.

   2°- L'anabaptisme

    Le deuxième temps de la propagation de la Réforme en nos régions est donc marqué par l'anabaptisme. C'est peut-être le groupe qui a fait le plus d'adeptes, sa période d'apogée se situant entre 1530 et 1545. Certains furent iconoclastes et violents : c'est notamment à eux qu'on doit l'incendie du couvent du Boetendael en 1579. Cependant, dans leur grande majorité, les anabaptistes étaient non violents, refusant le port d'arme et le serment, n'acceptant que le baptême d'adultes, et militant pour la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Ce dernier point particulièrement fut perçu comme une mise en danger de l'empire. Par conséquent les anabaptistes furent très violemment poursuivis par le pouvoir impérial. Dès le 4 février 1528, Charles Quint déclare : "en vertu de notre pouvoir impérial, nous ordonnons ce qui suit : tout anabaptiste, soit homme ou femme, doit être mis à mort, soit par le glaive, soit par le feu, soit par tout autre moyen, sans aucune justice inquisitoriale préalable". Plus radical et expéditif, cela ne se fait pas !

Ce mouvement très peu structuré est difficile à suivre. En raison des persécutions, les anabaptistes vivaient en cachette et ne tenaient aucun registre de membres. Cependant, un rapport des autorités inquisitoriales recense plus de 2.000 anabaptistes rien qu'à Anvers et ce en 1565 encore.

 

3°- Le  Calvinisme

Le troisième temps est marqué par le Calvinisme qui pénètre chez nous vers 1540. C'est le mouvement de la Réforme qui s'installera avec le plus de durée et de structure. Marqué par l'influence de Calvin, le réformateur français installé à Genève, il sera représenté en Belgique par l'action de Pierre Brully, successeur de Calvin à Strasbourg et nommé en 1542 à Tournai. Condamné au bûcher en 1545, Pierre Brully sera remplacé par Guy de Brès qui mènera à bien sa mission d'enseignant et d'organisateur de l'Eglise Réformée ou Protestante belge. L'organisation est la grande force de Guy de Brès : les pasteurs sont formés à l'étranger, des Eglises de refuge existent en Angleterre et en Suisse notamment pour les périodes de trop grande persécution et des liens étroits unissent les paroisses entre elles. C'est ainsi qu'en 1561 est publiée la "Confession de foi Belge", dite "Confessio Belgica" et rédigée par Guy de Brès avec le synode des Eglises Protestantes Belges. Cette confession de foi sera notamment envoyée par dessus les murailles du château de Tournai pour démontrer aux autorités impériales que les Réformés n'ont rien contre l'empire mais demandent simplement à pouvoir vivre librement leur foi.

   Le pouvoir impérial espagnol ne l'entendra jamais de cette oreille. Depuis 1550, il a proclamé sa suprématie sur les droits et les privilèges des provinces. La lutte pour la liberté de pensée et la liberté religieuse que menaient jusque là les protestants prend alors une tournure de plus en plus politique puisque cet édit touche aux privilèges acquis par les Pays-Bas. Provoquer ou favoriser une discussion religieuse est passible de la peine de mort. Manger de la viande le vendredi entraîne le bûcher. L'arrivée au pouvoir de Philippe II, fils de Charles Quint, n'arrange rien. Moins intelligent que son père il ne fera qu'endurcir les positions. En montant sur le trône en 1555, voici ce qu'il déclare : "Je suis la colonne de l'Eglise, c'est là ma mission divine. Avant de souffrir la moindre chose qui porte préjudice à la religion ou au service de Dieu, je perdrais plutôt mes états, et perdrais même cent vies si je les avais, car je ne pense ni ne veut être seigneur d'hérétiques". Les hérétiques sont bien entendu les protestants. Philippe II obtient la création de 14 nouveaux évêchés en nos régions. Cela veut essentiellement dire que 28 nouveaux inquisiteurs sont nommés car chaque évêché compte 2 inquisiteurs. Pourtant en 1561, le nombre des calvinistes est énorme. A tel point que le grand inquisiteur Titelmans n'ose plus se montrer à Anvers et voyage incognito.

   Ce que ni le luthéranisme ni l'anabaptisme n'avaient réussi à faire, le calvinisme y parvint. Le luthéranisme n'avait pas enflammé les foules, le calvinisme touche toutes les couches de la population, de la base à la noblesse, en affirmant qu'il est juste de s'opposer à un pouvoir qui lutte contre l'Evangile. L'anabaptisme n'avait pas réussi à s'organiser et à grouper ses efforts de manière structurée, la grande force du calvinisme est son organisation. Grâce à elle, des pasteurs capables sont envoyés là où il n'y en a plus, les ministres du culte persécutés trouvent refuge à l'étranger, l'instruction des fidèles est réfléchie et la doctrine enseignée quasiment la même partout. Cette unité, cette union, fera la force du mouvement.

   Alors que l'opposition impériale devient très violente, des cultes sont organisés dans les forêts. Uccle donne asile à de nombreuses assemblées, essentiellement calvinistes. C'est l'époque à laquelle les Réformés prennent le nom de "gueux". Plusieurs lieux de rencontre sont recensés:  

    - le lieu dit Heegde, massif forestier qui s'étendait à l'Ouest de la chaussée de Waterloo jusqu'aux portes de l'Abbaye de Forest est un lieu de rencontre privilégié.

    - la petite Espinette prend vite le sobriquet de "l'Espinette des gueux" ou "Hutte des Hérétiques" tant les rencontres réformées y sont fréquentes.

    - le hameau Saint-Job est également touché. Ses habitants portaient naguère le surnom de "preekheren" "messieurs de prêche". En effet les prédicateurs calvinistes qui venaient y parler s'appelaient "Prêcheurs dans le vert".

    Les assemblées réformées en plein air se multiplient tant à Uccle que Jean de Locquenghien, Amman de Bruxelles, publia une série d'ordonnances les interdisant. La dernière parut le 17 janvier 1565. Mais cela n'empêcha pas le protestantisme de se répandre. Philippe II décida donc l'envoi du duc d'Albe à Bruxelles en août 1567. Sa réputation est si terrible qu'un bon nombre de belges protestants s'enfuient : on les retrouve comme premiers colons sur l'île de Manhattan aux États-Unis ou encore comme fondateurs de la sidérurgie suédoise.

   Le duc d'Albe ne connaît qu'une seul méthode : la violence. Son Conseil des Troubles est très vite baptisé Conseil du Sang par le peuple, Gand perd 2/3 de sa population, en peu de temps, le pays est ruiné. Suite à la répression sanglante mise en œuvre par le duc d'Albe, la plupart des belges n'ont plus que la vie à perdre. Ils se révoltent et, fait historique, beaucoup de catholiques se joignent au gueux protestants, tant la brutalité espagnole les révulse. Sans adopter les idées réformées, ils se rangent du côté de ceux qui luttent pour la liberté. Parmi eux, les comte d'Egmond et de Hornes.

   Ce combat, dont Guillaume d'Orange prendra la tête bon gré mal gré, aboutira à la scission entre les Pays-Bas du Nord, avec le Taciturne, surnom de Guillaume d'Orange, comme roi, et les Pays-Bas du Sud sous contrôle espagnol. Les territoires du Nord étaient en majorité protestants mais, autre fait historique, ils furent les premiers à reconnaître officiellement les cultes protestant et catholique. Les états du Sud, regagnés par la force au catholicisme par le duc d'Albe et ensuite par Alexandre Farnèse, deviendront bien plus tard la Belgique.

   Comment Uccle est-elle passée à travers tous ces remous de l'Histoire ? Nous avons déjà vu qu'Uccle, commune boisée de la proximité bruxelloise, a accueilli de nombreuses assemblées réformées sur son territoire. Mais ce n'est pas tout. Uccle a aussi été le lieu d'habitation de personnalités jouant un rôle important dans l'ébullition de ce XVIe siècle. Arrêtons-nous sur Gaspard Van der Noot, Seigneur de Carloo dont le fief se situait à Uccle, et qui avait servi sous les ordres du comte d'Egmont. Il faisait déjà partie de la délégation envoyée par les Confédérés à la gouvernante Marguerite de Parme le 5 avril 1566 pour demander la fin des hostilités et la reconnaissance du culte protestant. Lorsque le duc d'Albe installa sa répression sanglante, l'arrestation des comtes d'Egmont et de Hornes poussa Gaspard Van der Noot à se ranger dans le rang des opposants directs au régime. Avec son frère, il prépara un complot pour éliminer le duc d'Albe le 16 avril 1568. Mais un soldat trahit la conspiration. Les comploteurs furent pourchassés et les comtes d'Egmont et de Hornes décapités le 5 juin 1568. Gaspard Van der Noot choisi l'exil et devint le 22 mai 1573, colonel de cavalerie dans l'armée des Gueux. Il mourra pendant le siège de Haarlem, pour la cause de la tolérance et de la liberté religieuse.

   Aujourd'hui encore, nous avons au moins une trace bien visible du passé protestant ucclois de ce XVIe siècle. Il s'agit de l'estaminet "Au vieux Spijtigen Duivel" qui se trouve non loin d'ici, à l'angle de la chaussée d'Alsemberg et de la rue Joseph Bens. Ce titre lui vient en effet de son histoire.

A la fin du XVIe siècle, des saltimbanques réformés, réfugiés dans ce cabaret, entreprirent d'y jouer une farce intitulée "De Spijtigen Duivel" (le diable repentant), parodie qui visait particulièrement le duc d'Albe. Informés par des espions, les soldats firent un jour irruption dans l'établissement et poursuivirent les réformés qu'ils massacrèrent dans les collines. Quand le sinistre duc eut quitté nos régions, le tenancier, qui avait frôlé la pendaison, donna à son auberge le nom de cette farce qui s'était finie de manière si tragique.

   Déjà riche, le passé protestant ucclois ne s'arrête pas au XVIe siècle. Il est donc temps de passer au deuxième volet de notre exposé et de porter notre attention sur quelques personnalités protestantes uccloises.

   Commençons par Paul Greiner, protestant allemand, valet de chambre du prince Philippe sous Léopold Ier et bibliothécaire royal sous Léopold II. Ucclois, il fut inhumé dans le vieux cimetière d'Uccle. Son épouse était très active au sein de l'Eglise dite de "Bruxelles-Musée", à la place du Musée. On peut encore citer dans ce domaine, Max-Léo Gérard, secrétaire du roi Albert I.

   Plus célèbre, Georges Brugmann, qui a donné son nom à une des avenues les plus connues d'Uccle, fut sans doute, au XIXe siècle, le personnage le plus important de notre commune. Originaire de Verviers mais élevé à Bruxelles, il fit son instruction religieuse et sa confirmation à l'Eglise protestante de Bruxelles Musée. Il fut toujours l'un des membres les plus actifs du culte Réformé. Il fit partie du Consistoire de l'Eglise dont il fut le secrétaire puis le président. Longtemps membre du Synode des Eglises Protestantes Belges, ce banquier heureux était un des plus grands philanthropes du siècle passé, démontrant par-là l'idéal protestant d'un service et d'un amour des autres comme conséquence de l'amour que Dieu nous a manifesté par pure grâce.

   Les hospices et hôpitaux de la capitale ainsi que l'Institut de Bactériologie et d'Hygiène de l'ULB furent au bénéfice de sa constante générosité. A Uccle, il finança la construction de l'hôpital pour convalescents fondé par Latour de Freins; il créa un hospice et un orphelinat et combla maintes fois le déficit du Bureau de Bienfaisance. Urbaniste hors du commun, c'est grâce à lui qu'Uccle cessa d'être un village puisque nous lui devons la réalisation de nombreuses artères parmi lesquelles : l'avenue Brugmann, l'avenue du Longchamps devenue aujourd'hui l'avenue Winston Churchill, les avenues Albert, Messidor et Dolez. C'est également lui qui présida à la construction de la ligne omnibus "Ma Campagne-Uccle". Décédé en 1900, il fut pleuré par un grand nombre de pauvres qui défilèrent dans la chapelle ardente aménagée au château de Boetendael.

   Autre nom célèbre à Uccle, Edith Cavell était fille de pasteur anglican. Infirmière de formation, elle prit la direction de l'école d'infirmières d'Uccle en 1907. Profondément religieuse, elle mit toutes ses capacités au service de sa tâche. En août 1915, elle est arrêtée par les Allemands. Elle ne nia aucune accusation : Oui, elle avait soigné des hommes et leur avait donné de l'argent en sachant qu'il s'agissait d'opposants au régime allemand. Oui, elle savait qu'ils allaient tenter de passer la frontière hollandaise. Pendant ses 10 semaines de prison, elle prit le temps de se recueillir avec pour compagnons la Bible, ainsi que le Prayer Book et l'Imitation de Jésus-Christ, deux livres de la spiritualité protestante. Le 12 octobre 1915, elle était exécutée.

   La présence protestante à Uccle ne se limite cependant pas, heureusement, à quelques personnalités remarquables. Plusieurs réalisations importantes montrent que le protestantisme a toujours été un acteur de la vie communale. Nous allons donc essayer d'en faire un rapide inventaire non exhaustif.

   Parmi les oeuvres sociales d'inspiration protestante encore bien actives aujourd'hui, nous notons "la Maison de la Mère et de l'Enfant", fondée en 1897 par l'Armée du Salut, œuvre protestante certainement la plus connue au monde. Cette maison de relèvement pour jeunes filles s'est agrandie en 1964 par un nouveau complexe portant le nom de "Clair matin" et qui accueille des enfants et des jeunes en difficulté. Cette entité eut par deux fois l'honneur de la visite royale, tout d'abord le 22 avril 1950 en la personne de la reine Elisabeth et ensuite en 1972 en la personne de sa Majesté la reine Fabiola.

   Au n°16 de la rue Xavier de Bue, c'est une clinique de 20 lits qui vit le jour après la deuxième guerre mondiale. Fondé par le pasteur Hoeck, son but était d'évangéliser par les soins aux malades. La majorité des infirmières qui y travaillaient étaient d'origine hollandaise. Afin d'assurer leur hébergement, l'immeuble en face de la clinique fut acheté en 1928. Ouverte à toutes personnes, protestantes ou non, on trouvait dans chaque chambre une Bible à emporter jusque en 1965. Le développement rapide de la science médicale, les exigences posées par la loi, ont progressivement amené la suppression de plusieurs départements. En 1966, l'établissement était devenu uniquement une clinique chirurgicale, avec agrégation jusque en 1973, année où elle ferma ses portes.

   La volonté d'être au service du prochain dans la collaboration avec les autres communautés protestantes se marqua encore à Uccle par l'ouverture en 1873 de l'orphelinat "Notre Maison" à la chaussée d'Alsemberg, transféré à l'avenue Coghen en 1930 afin de trouver la place pour loger tous les pensionnaires. 26 juifs dont quelques adultes y ont été cachés pendant la guerre. Peu à peu cependant, la maison perdra son caractère d'orphelinat et elle deviendra le Foyer International Protestant David Livingstone, transféré dans les locaux de l'avenue Coghen le 21 avril 1961. Il avait pour but de rassembler les Africains séjournant en Belgique en vue d'organiser pour eux des activités spirituelles, éducatives et culturelles tout en leur fournissant logement et nourriture. En 1967, il s'est ouvert aux stagiaires et étudiants étrangers, leur assurant hébergement, activités culturelles et éducatives, service social, aumônerie et contact avec les Eglises Protestantes.

   Les besoins sociaux étant nombreux, c'est encore une maison de diaconesses dont le but était d'avoir des jeunes filles disponibles et consacrées pour le service des communautés réformées du pays qui ouvrit ses portes en 1909 à la rue Vanderkindere. Sans tarder, un dispensaire fut ouvert dans ce quartier jadis pauvre et populeux. Ce dispensaire était associé à un large travail de soin et de sensibilisation à l'hygiène à domicile. Mais la tourmente de la première guerre mondiale fit sombrer ce bel engagement.

   Cela ne découragea pas les initiatives puisque c'est à la sortie du drame de 14-18 que deux oeuvres importantes virent le jour. La première fut fondée le 7 octobre 1920, au 112 de l'av. Longchamp, actuellement av. Winston Churchill : il s'agit d'une institution comprenant non seulement un jardin d'enfants et une école primaire mixte mais aussi une école secondaire avec internat pour jeunes filles. Ce fut la première école secondaire protestante ouverte en Belgique. Elle connut une période de succès où le nombre d'élèves dépassait 200, ce qui est beaucoup pour ce type d'école à l'époque. Des méthodes pédagogiques d'avant-garde furent appliquées et les élèves bénéficiaient d'une culture large et harmonisée. Malheureusement, la crise économique vint à bout de cette école qui dut fermer ses portes le 31 juillet 1932.

   C'est encore ce souci du sort des plus faibles à la fin de la guerre qui amena l'ouverture, en septembre 1920, du foyer des enfants de la rue Beeckman. Ce foyer fut fondé par le pasteur William Thonger, dont deux des filles participent toujours à la vie de notre communauté. Sous l'égide de la Mission Méthodiste, il accueillait des enfants nécessiteux et orphelins de guerre âgés d'au moins trois ans. Ce travail dura jusque en 1958. Pendant ce temps, la direction de ce foyer fut confiée dès 1938 au pasteur et à Mme Lheureux : ils vécurent les années difficiles de la Seconde Guerre Mondiale et n'hésitèrent pas à cacher au Foyer une vingtaine d'enfants juifs. Appelés en 1943 à desservir une paroisse, le pasteur Lheureux et son épouse laissèrent leur place au pasteur et à Mme Antoon Visser, le pasteur Visser habitant toujours Uccle aujourd'hui. Le pasteur Visser et son épouse continuèrent à cacher des enfants juifs, les faisant ainsi échapper à la Shoah. En reconnaissance de cette action, ils ont un arbre planté à leur nom dans l'allée des Justes qui perpétue à Jérusalem le souvenir des héros de la résistance au génocide nazi.

   Le travail d'évangélisation allait de pair avec ces diverses expressions de l'idéal protestant : être au service du prochain dans la collaboration avec les autres Eglises protestantes de Bruxelles. Un culte régulier fut bientôt institué à la rue Beeckman.

   Le besoin de recueillir des orphelins n'étant plus si urgent, l'immeuble fut transformé en centre d'hébergement pour l'Exposition universelle de Bruxelles en 1958. Par la suite, furent accueillis de nombreux réfugiés russes, pris en charge par le Conseil Oecuménique des Eglises. Enfin, l'Eglise méthodiste décida l'ouverture d'une maison du troisième âge, le Home Suzanna Wesley, du nom de la mère de ce pasteur anglais, John Wesley, au ministère si fécond et à l'origine du mouvement méthodiste dans le protestantisme. Parallèlement, la communauté ecclésiale se consolida et devint rapidement un foyer de spiritualité évangélique dynamique et entreprenant. L'accent fut mis sur le travail parmi les jeunes avec le résultat de susciter plusieurs vocations pastorales. La transformation de la salle de culte et des locaux annexes permit de mieux élaborer un programme d'activités diverses bien fréquentées. L'installation, avec le soutien des autorités communales, d'un orgue, conçu pour l'acoustique du temple, donna lieu à l'organisation pendant un certains temps de nombreux concerts de qualité. Un travail d'évangélisation parallèle s'était poursuivi au quartier du Homborch jusqu'à ce que les locaux prêtés fussent repris par la Société d'habitations du quartier. Le groupe Homborch fut facilement intégré à la communauté de la rue Beeckman. La fusion de la Conférence belge de l'Eglise méthodiste et de l'Eglise protestante Evangélique de Belgique vit le pasteur Paul Vandenbroeck, un des ministres de la succession pastorale uccloise, également responsable à l'époque de la Radio-Télévision protestante, prendre place au conseil exécutif de la nouvelle entité ecclésiale belge.

   L'augmentation du nombre de membres, l'accroissement des activités paroissiales, ont amené un engagement plus intensif des fidèles et la nomination d'un pasteur auxiliaire. Après le nouvel élargissement de l'Eglise protestante Belge sous le nom d'Eglise Protestante Unie de Belgique, la responsabilité des Eglises et des oeuvres au plan local fut encouragée. Devenues propriétaires des terrains qu'elles occupent, l'Eglise d'Uccle, qui prenait comme appellation officielle le nom d'Eglise Evangélique d'Uccle, et la Résidence Suzanna Wesley, restent liées entre elles et collaborent régulièrement.

   Vous voilà donc au bout de ce périple qui vous aura fait voyager dans 4 siècles d'histoire et d'un bout à l'autre de la commune d'Uccle, depuis la petite Espinette où se tenait les réunions du XVIe siècle, en passant par le dispensaire de la rue Vanderkindere et l'avenue Brugman, pour arriver à la rue Beeckman. La paroisse actuelle compte 63 membres votants et a un registre de sympathisants groupant de 750 à 1.000 personnes. Si vous vous joignez à nous un dimanche matin, vous pourrez constater que l'assistance au culte varie entre 50 et 80 personnes, auxquelles il faut ajouter dix à vingt enfants suivant les dimanche. Notre paroisse se veut accueillante, soucieuse du travail missionnaire local, national et mondial. C'est ainsi que nous sommes actuellement engagés comme partenaires du Centre Social Protestant de Bruxelles, d'un atelier protégé pour handicapés au Burkina-Faso, de l'Alliance Missionnaire Evangélique, d'un travail d'évangélisation et de conscientisation à une citoyenneté responsable en Albanie et d'une action d'éducation et de socialisation des enfants de la rue en Roumanie.

   Consciente des problèmes du monde moderne, l'Eglise d'Uccle se veut témoin de Jésus-Christ dans sa commune. C'est pourquoi nous organisons des cessions d'étude de la Bible et nous portons une attention toute particulière à l'entraide entre nos membres.

   Nous espérons que ce parcours ne vous aura pas lassés mais qu'au contraire il vous aura permis de découvrir la présence et l'action protestante à Uccle, vous donnant ainsi l'envie de venir voir de plus près nos activités actuelles. Nous ne sommes pas toujours à la hauteur de nos prédécesseurs, mais comme eux nous tentons de répondre à notre vocation de chrétiens : touchés par la grâce de Dieu, nous voulons aller vers l'autre pour partager cet amour de manière concrète et présenter la foi qui nous anime. Si notre passé est riche, il nous reste un présent et un avenir à écrire, nous l'espérons, sous la conduite de Dieu.

 

        Philippe Laurent, pasteur.   pfrlaurent@hotmail.com

 

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