Notes

 

J-C Gracia

Les libertés de communication

Jacques Georgel

           

            Des trois parties du livre, seule la deuxième (vidéosurveillance) est ici complètement synthétisée. La première (contrôles d'identité) a été conservée afin de rappeler les grandes lignes de la législation et d'étudier les éventuels pouvoirs de personnes privées. La troisième (écoutes téléphoniques) ne traite que des écoutes sauvages et non des écoutes administratives ou judiciaires qui ne concernent pas notre sujet.

I.          Les contrôles d'identité

 

A.  L'état de la question jusqu'à la loi du 10 août 1993

 

            Les contrôles d'identité sont longtemps restés une simple pratique peu encadrée par le droit, même si leur principe a été admis par la Cour de Cassation dans un arrêt Friedel de 1973, qui a posé deux principes :

            - les contrôles peuvent être effectués soit pour prévenir les atteintes à l'ordre public, soit pour rechercher les auteurs d'une infraction;

            - il s'agit dans tous les cas d'une opération de police judiciaire placée sous le contrôle de l'autorité judiciaire.

 

            La législation en la matière est très mouvante, car de 1981 à 1993 le législateur s'est saisi à quatre reprises de la question, au gré des alternances politiques : loi "Peyrefitte" sécurité et liberté du 2 février 1981, loi du 10 juin 1983, loi du 3 septembre 1986, et enfin loi du 10 août 1993.

 

B.  La législation

 

1.   Pour les forces de police

 

            Organisé par les articles 78-1 à 78-8 du code de procédure pénale, le contrôle d'identité est exercé par les officiers de police judiciaire et leurs subordonnés. Il peut comporter deux phases : l'interpellation à fin de contrôle puis, si nécessaire la vérification de l'identité qui implique sa rétention dans un local de police et peut être décidée quand l'intéressé ne peut ou ne veut justifier son identité. Cette rétention ne peut durer plus de quatre heures et sa durée s'impute sur une éventuelle garde à vue.

           

            La législation permet toujours de pratiquer les contrôles dans les deux cas définis par la Cour de Cassation en 1973. En 1993, le législateur avait autorisé le contrôle d'identité de "toute personne, quel que soit son comportement", afin de contourner une jurisprudence plus restrictive de la Cour de Cassation qui exigeait que les contrôles soient justifiés par des circonstances particulières (arrêt Kandé de 1984), ou par le comportement de la personne dont l'identité est contrôlée (arrêt Bassilika de 1982). Dans sa décision du 5 août 1993, le Conseil Constitutionnel a maintenu en vigueur les conditions posées par la Cour de cassation en marquant de fortes réserves d'interprétation : "l'autorité concernée doit justifier dans tous les cas des circonstances particulières établissant le risque d'atteinte à l'ordre public qui a motivé le contrôle".

 

2.   Pour les autres citoyens (commerçants en particulier)

 

            Les commerçants et leurs vigiles ne disposent d'aucun droit pour exercer des contrôles d'identité sur les particuliers. Ces pratiques ont été déclarées illégales :

            - par la cour de Cassation, en cas de séquestrations arbitraires (Cass. Crim. 1988 Bull);

            - par le tribunal de police de Carvin, dans le cas de palpation ou fouille (TP Carvin 1994 X c. Mme Y) : la fouille d'un autre particulier même sous la forme légère de palpation est illégale en l'absence d'indices apparents d'infraction flagrante : n'ayant ainsi pas de pouvoir légal de fouille, les commerçants n'ont pas le droit d’obliger leurs clients à présenter le contenu de leurs sacs ou de leurs poches : toute contrainte est prohibée, qu'elle soit physique ou simplement psychologique.

 

II.   La vidéosurveillance

 

A.  L'état de la question jusqu'à la loi du 21 janvier 1995

 

            "Il faut rappeler que Big Brother concerne les lieux privés, les appartements et non les lieux publics". (A. Marsaud, magistrat député, à l'Assemblée Nationale, 5 octobre 1994).

 

            La première municipalité à s'être équipée sur une grande échelle d'appareils de vidéosurveillance est semble-t-il Hyères : elle a confié à la police municipale la gestion de ses activités video et informatique. Peu après, le maire d'Avignon décida de l'installation de 93 caméras. La minorité du Conseil municipal saisit le tribunal administratif de Marseille et obtint l'annulation de la délibération au motif d'atteinte à la vie privée. Levallois est l'une des villes les mieux équipées avec 100 caméras pour 50 000 habitants. Roubaix dispose en revanche de 15 caméras pour 100 000 habitants. Le maire avait consulté la CNIL au début de l'opération : celle-ci avait suggéré une mise à l'essai d'un semestre en marquant son hostilité à l'enregistrement et à la conservation des images. En effet, en cette matière non prévue par la loi de 1978, la CNIL ne peut formuler que des conseils de nature à protéger les libertés.

 

B.  La législation et les débats qu'elle suscite

 

            En juillet 1994, à l'occasion du débat au Sénat, sur le projet de texte légalisant la vidéo surveillance, quatre thèmes majeurs ont fait l'objet de discussions :

 

- la question de l'organisation et du contrôle de la surveillance : C. Pasqua souhaitait laisser ce pouvoir entre les mains de l'exécutif (via le Préfet) en écartant explicitement la CNIL. Celle-ci dans sa délibération du 21 juin 1994 avait en effet souligné que les possibilités de filmer, associées aux capacités de stockage risquaient de permettre la constitution de fichiers de personnes hors de toute intervention de l'autorité judiciaire. De son côté le Conseil d'Etat avait jugé indispensable l'intervention de la CNIL dans ce domaine législatif.

 

- l'étendue de la surveillance : les parlementaires acceptèrent le raisonnement du Ministre (la surveillance peut rendre certains services sans porter atteinte aux libertés), mais pas la manière de le mettre en œuvre : outre les cas de vidéosurveillance offerts aux autorités publiques, le projet prévoyait que "les lieux établissements ouverts au public" pourront faire l'objet de dispositifs de vidéosurveillance. Cette disposition a été jugée trop peu précise par les parlementaires qui ont obtenu de la remplacer : rentrent désormais dans le champ de la loi "les lieux et établissements ouverts au public particulièrement exposés à des risques d'agression ou de vol".

 

- l'octroi de l'autorisation de vidéosurveillance : Préfet, commission consultative ou autorité judiciaire? En vertu de la Constitution, l'opposition se tournait vers l'autorité judiciaire. La formule finalement retenue est une autorisation préfectorale après avis d'une commission départementale présidée par un magistrat du siège ou un magistrat honoraire. Cette commission peut également être saisie par tout particulier en cas de difficulté relative à un  système de vidéosurveillance, sans toutefois disposer d'attributions contentieuses qui restent du ressort des tribunaux de l'ordre judiciaire.

 

- l'information à donner aux citoyens soumis à la surveillance : le ministre a accepté de faire figurer dans la loi le principe d'une information claire et permanente des citoyens. En pratique F. Seligmann racontait au Sénat qu'à Levallois un avis figure dans la presse locale mais qu'à la Mairie on éconduit les citoyens désireux de connaître l'emplacement des caméras.

 

II.         Les écoutes téléphoniques

 

A.  L'état de la question jusqu'à la loi du 10 juillet 1991

 

1.   L'importance de pratiques privées de sanctions efficaces

 

            La loi du 17 juillet 1970 “ tendant à renforcer les garanties des droits individuels des citoyens ” avait prévu de soumettre à autorisation ministérielle -sous peine de sanctions pénales- la fabrication, l'importation, l'offre et la vente des appareils conçus pour écouter, enregistrer ou transmettre les paroles prononcées dans un lieu privé". Mais faute de décret d'application, ces dispositions sont restées inapplicables pendant plus de 20 ans.

 

            En 1973, la commission Marcilhacy avait relevé l'importance des écoutes sauvages et énuméré les instruments qu'un bon détective privé savait se procurer : micro clou, micro à bretelles, pastille pour téléphone... Même si le salon où sont présentés les dernières nouveautés est réservé aux professionnels, nombreux sont les officines et les particuliers capables de mener des écoutes clandestines : ainsi en correctionnelle, on a vu des exemples de personnes branchées sur des scanners leur permettant d'intercepter les conversations de la police, ou des chefs d'entreprise écouter des conversations dans les ateliers.

           

            La répression de ces infractions est prévue au civil par l'article 9 du code qui protège la vie privée; par les articles 368 à 371 qui sanctionnent la captation de paroles ou d'images, la conservation et la divulgation d'enregistrements et de documents ainsi obtenus, la fabrication et le montage, etc... Mais il est souvent difficile d'obtenir réparation. En effet, les conditions cumulatives de constitution du délit sont exigeantes. Il faut :

            - que soient captées au moyen d'un appareil particulier, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées dans un lieu privé;

            - que cette action constitue une atteinte volontaire à l'intimité de la vie privée.

           

La commission Schmelk[1] a estimé que l'interdiction de ces écoutes non officielles était justifiée en raison du secret des conversations téléphoniques. Elle observait en revanche que les protections assurées par l'article 368 du code pénal et l'article L41 du Code des postes et des télécommunications ne possédait pas un caractère suffisamment étendu :"aucune disposition législative ne réprime pénalement les écoutes téléphoniques en tant que telles". Elle suggérait donc de compléter l'arsenal législatif. Ses propositions n'ont été retenues que de manière tardive et incomplète par la législation ultérieure.

 

2.   Deux faits divers qui ont défrayé la chronique

 

            En 1990, une entreprise, "Century", est engagée dans une affaire d'écoutes sauvages : la société se livrait à des affaires d'ordre privé (écoutes dans le cadre familial et à des activités de détente grâce à du matériel qui était alors en vente libre au tarif de 30 000 F la semaine : espionnage industriel, concurrence commerciale, surveillance du personnel. L'affaire s'est terminée au tribunal correctionnel de Paris.

            En 1991, P. Mourleau est interpellé alors qu'il "relevait un compteur" chez un journaliste. L'affaire s'est terminée en correctionnelle sans qu'il ait livré l'identité de ses commanditaires.

 

B.  La législation

 

            La loi du 10 juillet 1991 ne constitue pas une rupture pour les écoutes sauvages : elles sont interdites avant comme après cette loi. Seule l'autorité publique est autorisée à porter atteinte au secret des télécommunications sous le contrôle d'une commission indépendante (la CNCIS créée à cette occasion). La loi introduit en revanche deux dispositions essentielles :

 

     la sanction à l'égard des délinquants (article 25 de la loi; aujourd'hui article 226-15 du Code pénal) : un emprisonnement de 6 jours à 5 ans et une amende de 5000 à 100 000 francs[2] sanctionne l'action de toute personne ayant :

            - de mauvaise foi procédé à l'installation des appareils conçus pour réaliser les interceptions;

            - on encore intercepté, détourné, utilisé ou divulgué des correspondances émises, transmise ou reçues par voie de télécommunication.

            (les sanctions sont plus aggravées si un fonctionnaire se rend coupable de ce type de délit)

 

     l'interdiction des appareils d'écoute (article 24 de la loi) : la loi ordonne l'établissement par décret en CE d'une liste d'appareils permettant d'effectuer des écoutes illégales (au sens défini par l'article 25). Le texte a été pris le 29 mars 1993; il renvoyait à un arrêté qui a été pris le 9 mai 1994, complété par un autre arrêté du 23 février 1995.

 

      Selon la CNCIS, l'application effective de ces dispositions justifierait de mettre en place une organisation policière et judiciaire adaptée en créant par exemple un office de police judiciaire spécialisé.

 



[1]Commission de 17 personnes présidée par le premier président de la Cour de Cassation Schmelk. Constituée en 1981 pour faire le bilan des règles applicables en matière d'écoutes téléphoniques, et proposer d'autres formules conciliant liberté individuelle et intérêts de l'Etat. 

[2]ou une de ces peines seulement