X Conclusions générales

 

Version anglaise

 

.1) Action probabiliste de l'environnement.

 

Au terme de notre recherche, nous pouvons conclure que notre modèle voit sa crédibilité étayée par un faisceau de preuves et d'arguments factuels solides. Les extinctions de masse sélectives à la limite KT et les quatre autres plus importantes, l'acmé et la disparition des Dinosaures, l"'explosion cambrienne", constituent les arguments les plus convaincants d'un effet probabiliste du stimulus calcium. Le processus d'hominisation et le peuplement actuel de l'écoumène, avec leurs corrélations paléontologiques et géographiques, valident l'hypothèse d'une influence probabiliste du stimulus iode. Le parallèlisme entre l'accroissement du taux de PO2 P.A.L. et l'évolution des systèmes biologiques et respiratoires témoigne également, sans équivoque, de l'influence probabiliste du stimulus oxygène. .

Si, comme nous avons tenté de le montrer, des stimuli chimiques comme le calcium, l'iode, l'oxygène, semblent jouer un rôle majeur dans l'évolution biologique, il est vraisemblable que bien d'autres éléments chimiques, ou stimuli, comme le carbone, l'hydrogène, l'azote et d'autres moins abondants, exercent une influence probabiliste considérable ou appréciable. De même, de nombreux couples probabilistes , stimuli physiques/réactions physiologiques, ont dû jouer un rôle important dans l'évolution : ondes électromagnétiques/vision, ondes sonores/ouie, phéromones/odorat, etc... Tous ces paramètres s'insèrent dans un contexte probabiliste plus vaste et complexe, les conditions environnementales générales, où de nombreux facteurs interviennent plus ou moins, selon les circonstances (facteurs climatiques, courantologiques, sédimentologiques, orogénie et volcanisme, transgressions et régressions, écosystèmes, niches disponibles, isolement, contraintes mécaniques sur les caractères anatomiques, etc... ). L'interaction environnement/organismes est globale et s'exerce simultanément sur des embranchements éloignés (calcium sur les Invertébrés et les Vertébrés, oxygène sur la majeure partie des embranchements). Nous examinerons au paragraphe 9 l'influence du génome dans cette interaction.

 

2) Probabilité et hasard

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Un mot sur le hasard. La notion de probabilité s'oppose au concept de déterminisme (Laplace 1814) qui se réfère à une causalité stricte alors que, dans la probabilité, la relation causale est plus lâche et la prévisibilité statistique. La probabilité statistique n'a, néanmoins, rien de commun avec le hasard qui est la contingence pure, l'imprévisibilité et qu'on peut définir comme la rencontre de deux séries causales indépendantes (Cournot 1843). Ainsi, dans l'extinction de masse à la limite KT, l'hypothèse du choc météorique (Alvarez 1980) ressort de la contingence pure et est le résultat, a priori imprévisible, de la rencontre de deux trajectoires indépendantes, celles de la terre et d'une météorite. Dans le modèle probabiliste, le phénomène s'interprète par l'influence probabiliste du stimulus calcium sur les organismes (Vertébrés et Invertébrés), qui se manifeste à la fois par l'acmé et la disparition des organismes à métabolisme calcique important, la sélectivité des extinctions, la radiation et l'extinction des Dinosaures (avec ses localisations paléogéographiques), etc... Tous ces faits sont inexplicables dans les modèles fondés sur le hasard, qui ne prennent en compte que les extinctions, sans leur sélectivité, et ignorent totalement les phénomènes de radiation antérieurs. La même argumentation s'applique dans les phénomènes d'émergence chronologique des systèmes biologiques et respiratoires, dans de nombreux embranchements, en relation avec la croissance du stimulus oxygène PO2 P.A.L. Il en est de même, comme nous l'avons mis en évidence, dans la corrélation entre le stimulus iode et l'évolution du volume du cerveau des Hominidés.

Les corrélations que nous avons établies dans les trois applications du modèle probabiliste (influence du calcium, de l'iode et de l'oxygène) entre des paramètres chimiques de l'environnement et une évolution orientée des groupes animaux n'ont rien de commun avec des corrélations accidentelles. L'acmé et la disparition d'organismes à métabolisme calcique important, la concomitance, dans le temps et l'espace, de sites fossilifères d'Hominidés et de sources volcaniques d'iode, l'accroissement du taux de PO2 P.A.L. et l'émergence de nouveaux taxons et de nouveaux systèmes respiratoires valident le modèle probabiliste d'interaction entre l'évolution environnementale et l'évolution biologique. Loin d'être des corrélations dûes au hasard et imprévisibles, ces corrélations entre paramètres de l'environnement et évolution des organismes apparaissent comme des concomitances induites par la loi des probabilités engendrant des évolutions biologiques prévisibles. 

 

3) Complexification de l'évolution

 

L'évolution biologique, des eubactéries et archaebactéries (Woese 1977 - 1998) (Lake 1983), jusqu'aux Primates "supérieurs", comme l'espèce Homo sapiens, ne peut être qualifiée de progressive sans que soit émis un jugement de valeur. On peut néanmoins observer, aussi bien dans le monde des unicellulaires que celui des multicellulaires, une tendance générale à la complexification. Celle-ci est irrégulière, en mosaïque, parfois régressive, et se manifeste par des plans d'organisation historiquement de plus en plus complexes, par exemple, chez les métazoaires, les états triploblastiques après les états diploblastiques, les coelomates après les acoelomates, l'endothermie des Mammifères et des Oiseaux après l'ectothermie des Reptiles. Cette évolution historique des embranchements et des classes, irrégulière mais nette, vers une complexification croissante, est en phase avec le modèle probabiliste où les évènements surviennent, statistiquement, selon la loi des probabilités, du plus au moins probable, proportionnellement à leurs chances. Un organisme (ou un évènement) simple a plus de chance, ou de probabilité, de se produire qu'un évènement complexe, ou moins probable.

 

4) L'adaptation

 

Le fait même d'exister implique, pour un organisme, d'être adapté. La vie est adaptation. On peut définir l'adaptation comme l'ajustement d'un organisme aux contraintes du milieu. Cet ajustement s'applique aux différents niveaux biologiques, aussi bien macroscopiques que moléculaires : morphologique (pattes, ailes, nageoires...), métabolique (respiration, nutrition, excrétion...), histologique (branchies, poumons, trachées, estomacs, reins....), génétique (génome et code génétique, enzymes....), etc...

La T.S.E. (Théorie Synthétique de l'Evolution), le modèle standard actuel de l'évolution, fondé sur l'enrichissement, par la génétique des populations, la génétique et la biologie moléculaires, du schéma darwinien, explique l'évolution par deux facteurs : 1) la variation génétique par les mutations au hasard du génome 2) la sélection naturelle des mutations favorables qui assure l'adaptation (Dozhbansky, Mayr 1993). Une "supersynthèse", élaborée avec les acquis de la génétique moléculaire des organismes eucaryotes interprète l'évolution par différents niveaux d'intégration organique (Armand de Ricqlès).

Le modèle probabiliste de l'évolution propose une interaction probabiliste entre les variations de l'ensemble des stimuli de l'environnement et les réactions des organismes, parmi le choix des possibles (François Jacob 1981). Cette interaction a été illustrée par l'étude de la variation de plusieurs stimuli chimiques (Ca, I, O) et ses conséquences sur celle des organismes. Si le modèle probabiliste propose une alternative crédible à l'évolution des organismes fondée sur la sélection naturelle des mutations génétiques aléatoires favorables, cette alternative semble insuffisante pour expliquer le phénomène général de l'adaptation des organismes. Le recours à d'autres concepts nous semble indispensable.

 

5) Un concept nécessaire : le Principe d'optimisation

 

Les sciences physiques sont tout entières dominées par des principes de conservation. Le mouvement se conserve : loi d'inertie ou première loi de Newton, conservation du moment cinétique, du moment angulaire, etc... L'énergie se conserve, aux réserves quantiques près : conservation ou transformation des énergies électrique, cinétique, chimique, etc... Constantes physiques : c (vitesse des ondes électromagnétiques), G (constante de gravitation), h (constante de Planck).

Parallèlement aux principes de conservation, la modèlisation des phénomènes physiques s'interprète en termes de principes d'économie ou d'optimisation. Dans la gravitation einsteinienne, l'attraction newtonienne, concept dynamique, est remplacée par un concept cinématique, la géodésique d'espace-temps (la trajectoire la plus courte parcourue par une particule d'épreuve dans un espace quadridimensionnel plus ou moins courbé par les masses et l'énergie). La physique quantique utilise le concept de niveau fondamental minimal d'énergie (état non excité de l'atome). En mécanique quantique, le quantum d'action de Planck h, action minimale, est la pierre angulaire de tous les phénomènes physiques. En mécanique classique, domine le Principe de moindre action de Maupertuis. L'importance de ce Principe se retrouve dans l'électrodynamique quantique où les équations du mouvement, dans les théories des champs, découlent d'un Principe de moindre action quantique ( Hildebrandt 1998). Dans ces différents domaines, le mouvement, l'énergie, l'action sont minimaux. Ce qu'on peut traduire en un Principe d'économie ou d'optimisation des phénomènes physiques.

Nous postulons l'unicité des lois de la nature. Toutes les avancées de la connaissance indiquent qu'il n'existe pas de solution de continuité entre le domaine de la vie et celui de la matière inanimée. Les lois qui régissent la physique ou la chimie minérale et organique s'appliquent aussi bien à la biologie moléculaire et, plus largement, à la biochimie. Il n'y a pas de différence de nature entre la chimie abiotique et la chimie de la vie mais une différence de degré, de complexité, en raison notamment de la différence considérable du nombre de molécules qui interviennent dans les réactions chimiques des deux domaines. Si un Principe d'économie, ou d'optimisation, domine les phénomènes physiques, il semble donc légitime de l'étendre aux phénomènes biologiques.

L'interprétation des processus biologiques est, historiquement, de nature finaliste et utilitariste (organes et fonctions, c'est-à-dire activité des organes en vue d'une fin, plutôt que structures et leurs propriétés). Cette interprétation conduit directement au concept de sélection naturelle, c'est-à-dire à la primauté, dans l'évolution du vivant, des processus, des morphologies ou des organismes avantageux (mutations, phénotypes, espèces). Elle constitue un véritable jugement de valeur et apparaît comme un concept au premier degré du vivant. Elle est assimilable au concept, également au premier degré, de la gravitation par l'attraction newtonienne. Au second degré, la gravitation ressort comme une simple propriété de la courbure de l'espace-temps quadridimensionnel. Parallèlement, l'interprétation, au second degré, de l'évolution des organismes, ressort au concept de probabilité.

En tout état de cause, l'évolution biologique débouche sur une adaptation des organismes.

Nous proposons donc l'existence d'un Principe d'optimisation (ou d'économie) spécifique à la complexité des phénomènes biologiques. Ce Principe d'optimisation représente une synthèse biologique des différents principes physiques d'économie ou d'optimisation, et notamment de moindre action ou d'action minimale. Ce Principe d'optimisation concerne tous les niveaux biologiques, aussi bien moléculaires que cellulaires, macroscopiques, métaboliques, histologiques, morphologiques, physiologiques, ou même comportementaux. La résultante de cette optimisation globale a pour conséquence le phénomène majeur des processus biologiques : l'adaptation.

Selon notre modèle, l'adaptation, à tous les niveaux des processus biologiques, découle de l'existence du Principe d'optimisation. En vertu de ce Principe, les organismes, en tant qu'entités, de même que leurs parties (anatomiques, physiologiques, cellulaires, génétiques ...) fonctionnent de façon globalement optimale. Il est clair que cette optimisation est un compromis, qui a pour limites les contraintes, à la fois du milieu et de l'organisme lui-même. Les mécanismes mis en oeuvre dans cette optimisation des processus biologiques sont multiples (actions et rétroactions enzymatiques, moléculaires, histologiques...).

 

6) Le Principe d'optimisation en oeuvre

 

Depuis 4,6 milliards d'années, âge dont on crédite la terre, la croûte terrestre est le thêatre de modifications incessantes de ses différents paramètres, chimiques (Si, Ca, O, I, C, N, H, etc...), physiques (volcanisme, tectonique, orogénie), écologiques (transgressions et régressions, glaciations et réchauffements, écosystèmes), etc... Les variations de ces paramètres de l'environnement ont exercé une action probabiliste sur les organismes vivants, comme nous nous sommes efforcés de le montrer. Les réactions des organismes se sont manifestées par des réponses multiples et complexes (exosquelettes et endosquelettes, encéphalisation, aérobiose et systèmes respiratoires). Selon le Principe d'optimisation, les réactions probabilistes des organismes aux variations environnementales sont des réactions optimisantes, c'est-à-dire adaptatives.

On peut constater cette optimisation des processus biologiques au niveau moléculaire, puisqu'en dernière analyse, ce sont les propriétés des molécules biologiques qui déterminent celles des organismes. Si l'oxygène n'est pas indispensable à la vie (anaérobiose), "couplé à la chaîne respiratoire, le cycle (de Krebs) a ainsi l'efficacité maximum rencontrée en biologie quant à la récupération d'énergie d'oxydation sous forme d'A.T.P." (Schoffeniels 1984). Par la glycolyse et la voie fermentative, les cellules anaérobies fabriquent, à partir du glucose, 2 molécules d'A.T.P., alors que la même réaction, se poursuivant par la respiration dans les cellules aérobies, produit 32 molécules d'A.T.P. (phosphorylation oxydative du cycle de Krebs) soit 16 fois plus d'énergie (Mason 1992, Robert J.Huskey 1998).

Après que le taux d'oxygène ait atteint, dans la biosphère, vers 2 milliards d'années, un taux minimum de 0,01 PO2 P.A.L., sont apparues les premières cellules eucaryotes utilisant le cycle de Krebs. Les cellules procaryotes, quelles que soient l'origine des cellules eucaryotes (hypothèse de l'endosymbiose de Lynn Margulis 1981), ont réagi à l'augmentation du taux de PO2 P.A.L. par une évolution optimisante de leur métabolisme, le cycle de Krebs, 16 fois plus efficace que la voie fermentative. Au niveau biochimique, l'adaptation est donc fondamentalement un processus d'optimisation (Schoffeniels 1984). Les expériences de mutations anormalement élevées que nous avons citées chez les colibacilles (Cairns, Overbaugh et Miller 1988) et chez les bactéries Escherichia coli (Barry Hall) (Allorge-Boiteau 1991) (Chapitre II), de même que l'apparition, chez des protozoaires ou des insectes, de phénomènes de résistance à des produits chimiques (insecticides) ou à des antibiotiques s'interprétent, de façon identique, comme des processus biologiques d'optimisation par rapport à un environnement modifié.

Toute l'évolution des systèmes respiratoires des Métazoaires porte la marque de l'optimisation des processus biologiques. Lorsque la taille d'un animal aquatique n'est plus compatible avec la possibilité d'un approvisionnement en oxygène des organes profonds (tube digestif, gonades ...) par respiration cutanée, apparaissent des dispositifs perfectionnant la respiration transtégumentaire : convection externe (cils, flagelles, chooanocytes des Eponges, cellules endodermiques chez des Hydraires, cellules du siphonoglyphe chez les Anthozoaires), convection interne (appareil circulatoire avec sang ou hémolymphe chez les Coelomates), synthèse de pigments respiratoires chez les Métazoaires évolués (hémoglobines des Vertébrés, hémocyanines des Mollusques et des Arthropodes). La respiration branchiale, externe ou interne, qui se manifeste, historiquement, plus tardivement que la respiration cutanée chez les Métazoaires aquatiques, constitue le système le plus performant pour répondre aux besoins en oxygène des organismes de grande taille. Parmi les animaux à respiration aérienne, l'appareil trachéen représente, chez les Arthropodes, l'embranchement d'Invertébrés le mieux adapté à la vie terrestre, un système respiratoire particulièrement performant, réalisant un compromis efficace entre la couverture des besoins en oxygène des tissus et les risques de déshydratation. L'appareil respiratoire des Amniotes, à l'exception de celui des Oiseaux, est caractérisé par des perfectionnements tels que l'alvéolisation de plus en plus poussée de l'épithélium pulmonaire, ou l'individualisation d'un système conducteur de l'air (trachée, bronches, bronchioles). Ces perfectionnements confèrent une grande efficacité, surtout chez les espèces homéothermes (Mammifères), dont les besoins en oxygène sont considérables. Le poumon des Oiseaux ne possède pas d'alvéoles mais ses voies bronchiques constituent un véritable réseau tubulaire. Ils disposent de sacs aériens qui participent à la circulation de l'air dans l'appareil pulmonaire. Tous ces dispositifs assurent, pendant le vol, l'approvisionnement considérable en oxygène nécessité par une activité musculaire intense et parfois de longue durée (migrations). (Turquier1994). On a montré que, pour la respiration à haute altitude, l'efficacité de l'appareil respiratoire des Oiseaux est très supérieure à celle du poumon mammalien (Tucker 1968).

L'optimisation des systèmes respiratoires des Métazoaires, aussi bien aquatiques (respiration cutanée et/ou branchiale, externe ou interne) que terrestres (systèmes trachéens et/ou pulmonaires), leur a permis de conquérir tous les milieux. Si on exclut toute conception finaliste de progrès dans l'évolution biologique, on ne peut que constater une complexification des organismes et un perfectionnement fréquent (dans le sens d'une plus grande efficacité) des structures et des fonctionnements (coelome, système hémal, homéothermie). Dans de nombreux domaines, l'optimisation de l'évolution biologique a permis la transformation, vers plus d'efficacité, de dispositifs anatomiques ou de processus physiologiques existants; ainsi l'endiguement du liquide circulant dans un appareil circulatoire clos (Némertes, Annélides, Céphalocordés, Vertébrés) (Turquier 1994). Le défaut de la circulation sanguine chez les Amphibiens, qui apparaissent au Dévonien supérieur est le mélange des sangs vicié et oxygéné. Ce défaut est corrigé chez les Reptiles, connus à partir du Carbonifère supérieur, par une double circulation (pulmonaire, de régénération et aortique, d'utilisation), dispositif optimisant qui réalise une séparation complète entre les sangs viciés et régénérés (Bailenger 1989). L'optimisation peut se manifester par une indépendance accrue vis-à-vis du milieu (l'homéothermie des endothermes, Oiseaux et Mammifères) ou de simples corrélations entre des facteurs environnementaux et des caractéristiques morphologiques : la transformation de la surface des molaires, chez l'ancêtre du cheval, et une alimentation à base d'herbe à la place d'une alimentation à base de feuillages (les radiations adaptatives selon G.G. Simpson) . Citons également, parmi de nombreuses adaptations remarquables l'optimisation du stockage de l'oxygène par le phoque de Weddell, plongeur émérite (Zapol 1988).

Comme tout Principe, le Principe d'optimisation, comme le Principe de sélection naturelle, est indémontrable. C'est un postulat. Qui n'a de valeur que par sa fécondité et tant qu'il n'est pas démenti par les faits (Popper 1980). Il se présente comme une alternative au Principe de sélection naturelle. Celle-ci est censée trier, parmi les variations génétiques, celles qui sont favorables à l'individu ou à l'espèce, lorsqu'elles ne sont pas neutres (Kimura 1990). C'est donner, en dépit des dénégations vigoureuses de ses partisans (Mayr 1993 - 2000), une signification finaliste aux phénomènes biologiques, les orientant vers une fin panglossienne (Gould, Lewontin 1979).

L'optimisation des processus biologiques ne s'inscrit pas comme une loi isolée du monde vivant. Elle n'est que l'expression synthétique, dans l'univers biologique, d'un phénomène général, l'optimisation des phénomènes physiques (mouvement, énergie, action).

 

7) Le Principe d'optimisation et la probabilité

 

Le Principe d'optimisation, que nous proposons, est donc un principe synthétique d'économie des moyens, assurant l'adaptation des organismes. Quels sont ses rapports avec le concept de probabilité ?

Ainsi que nous l'avons rappelé (Chapitre I), la théorie des probabilités se fonde sur la loi des grands nombres ou loi de Bernoulli (1680), qu'on peut traduire sommairement ainsi : les "évènements", dont la probabilité ou les chances sont très faibles, ne se produisent pas et, vice-versa, se produisent ceux dont la probabilité ou les chances sont élevées. La probabilité est un facteur de causalité forte mais non absolue, transcendant la multiplicité des causes ou conditions, qui apparaissent comme secondaires (constitution physique ou chimique d'un objet, force, hauteur, durée du jet, etc... dans les exemples d'une pièce de monnaie ou d'un dé, jetés en l'air). La probabilité ordonne et simplifie les "évènements": le résultat des lancers, selon leurs chances mathématiques, en l'occurrence 1/2 ou 1/6.

En définitive, la probabilité sélectionne, parmi les nombreux paramètres qui conditionnent la production d'un "évènement" (dans les exemples précités, la structure, la composition chimique, l'énergie cinétique de l'objet, etc...), un seul paramètre, le nombre de faces de l'objet (2 ou 6), qui simplifie le phénomène et détermine les chances mathématiques auxquelles s'applique la loi de Bernoulli. On constate ainsi que, dans la théorie des probabilités, on retrouve le processus d'économie ou d'optimisation, que nous avons mis en évidence dans les phénomènes physiques de mouvement, d'énergie et d'action. S'il en est bien ainsi, il n'est pas surprenant que, dans les processus biologiques de l'évolution, intégrés dans un modèle probabiliste, nous constations l'existence d'un processus biologique spécifique d'économie ou d'optimisation, que nous avons désigné sous le terme de Principe d'optimisation et qui assure l'adaptation des organismes.

Le Principe d'optimisation globalise, au moyen de la loi des grands nombres de Bernoulli, dans le domaine biologique, les principes d'économie qui régissent les phénomènes physiques généraux (mouvement le plus court, énergie minimale, moindre action). Le Principe d'optimisation apparaît donc, en dernière analyse, comme l'expression synthétique biologique de la théorie des probabilités, appliquée aux processus biologiques.

 

8) La T.S.E. et le modèle probabiliste de l'évolution

 

La T.S.E. (Théorie synthétique de l'Evolution) constitue, aujourd'hui, le modèle standard pour l'explication de l'évolution. Le mérite de la théorie darwinienne est d'avoir proposé, au XIXème siècle, une vaste théorie crédible de l'évolution des êtres organisés. La sélection naturelle est l'aboutissement de nombreux siècles (sinon millénaires) où les notions biologiques se fondaient sur des concepts anthropomorphiques (avantages), finalistes (organes et fonctions) et, en définitive, des jugements de valeur. La T.S.E. l'a réorientée vers des disciplines rigoureuses et fécondes, comme la génétique des populations, la génétique cellulaire ou la biologie moléculaire mais le péché originel du finalisme persiste. L'adaptation, moteur de l'évolution, se présente toujours, dans la T.S.E., comme un concept utilitaire. La nécessité d'appréhender les phénomènes biologiques sans a priori finaliste apparaît incontournable. Parler, par exemple, du "rôle" de la mélanine, plutôt que de ses propriétés, nous semble une dérive finaliste inacceptable scientifiquement. Il est évident qu'une telle proposition ne peut être acceptée sans énormément de résistance. Elle se heurte à des millénaires, d'attitude téléologique. On doit toutefois la considérer comme inéluctable, si on souhaite l'existence de sciences biologiques neutres, c'est-à-dire exemptes de présupposés finalistes.

Sur le plan explicatif, le reproche qui est généralement fait à la T.S.E., est son insuffisance à rendre compte de la macro et de la mégaévolution. Anagenèse, en fonction des changements de la zone adaptative, cladogenèse en fonction de l'occupation de niches écologiques nouvelles, gradualisme ou équilibres ponctués trouvent leur origine dans les mutations aléatoires du génome (Tintant 1983). Celles-ci, qui interviennent dans les processus de spéciation, ont une capacité explicative très insuffisante en ce qui concerne la chronologie de l'apparition des classes et des embranchements. L'origine de la plus grande partie des phyla actuels au Cambrien basal et moyen, avec ou sans squelette (certains auteurs envisagent l'apparition à cette époque de 60 à 100 Baupläne, Valentine 1986), ne trouve pas sa place dans la T.S.E. Il en est de même pour les extinctions de masse, la tendance générale de l'évolution vers plus de complexité, d'efficacité et d'indépendance vis-à-vis du milieu (organismes diploblastiques, triploblastiques, amniotes, homéothermes). Tous ces phénomènes majeurs échappent au modèle standard de la T.S.E. Les corrélations que nous avons établies entre certains paramètres de l'environnement (Ca, I, O) et l'évolution induite de la biodiversité ne trouvent pas non plus d'explication dans le cadre de la T.S.E.

Nous proposons donc, comme alternative à la T.S.E., un modèle probabiliste d'interaction entre l'évolution environnementale et l'évolution des organismes. Il est clair que les paramètres de l'environnement ne se réduisent pas aux seuls stimuli chimiques que nous avons étudiés mais s'étendent à tous ceux qui sont importants (C, N, H, P, S, ... pour n'en citer que quelques-uns), aux stimuli physiques (ondes électromagnétiques, ondes sonores et vibrations, phéromones, températures, etc...), aux situations écologiques variées, aux relations prédateurs/proies, etc...

L'environnement de la biosphère est infiniment complexe et se situe à tous les niveaux, aussi bien macroscopiques que moléculaires. La réaction des organismes à l'influence des facteurs environnementaux est multiple et diverse (radiation et disparition des organismes à métabolisme calcique important, encéphalisation, systèmes respiratoires aquatiques ou aériens, etc...). Elle se situe aussi bien au niveau du génome que du comportement, à celui de la biologie moléculaire, de l'embryogenèse et des structures anatomiques.

La relation entre les paramètres environnementaux et les organismes, telle que nous la proposons, est de nature probabiliste. Le modèle probabiliste interprète les évènements majeurs de l'évolution (c'est-à-dire la macro et la mégaévolution), mais aussi les spéciations, comme la résultante de l'influence probabiliste des interactions du couple environnement/organismes, dans un environnement en perpétuelle modification : "explosion" cambrienne, radiations et extinctions de masse, transformations anatomiques et physiologiques des systèmes respiratoires ...

Contrairement à la T.S.E., où les variations génétiques n'intéressent que des populations ou des espèces, le modèle probabiliste intègre des phénomènes collectifs affectant simultanément des classes et des phyla éloignés (Invertébrés et Vertébrés). Dans la T.S.E., la sélection naturelle trie, parmi les mutations génétiques aléatoires, celles qui sont favorables à l'individu ou à l'espèce (le gène égoïste de Dawkins 1990). Le résultat de ce choix, c'est l'adaptation. Dans le modèle probabiliste, l'évolution des organismes est une réaction à l'évolution environnementale. Cette réaction est probabiliste et optimale. Elle se situe nécessairement au niveau du génome, mémoire et moteur de l'organisme, par des mutations orientées par les paramètres environnementaux, chimiques, physiques, ou autres. Nous avons vu plus haut (paragraphe 6, Allorge-Boiteau 1991) qu'on a observé des mutations optimisantes de colibacilles et de bactéries Escherichia coli provoquées par un environnement modifié. Le modèle probabiliste échappe à la critique finaliste de la T.S.E. Les concepts de probabilité et d'optimisation (ou d'économie) sont des concepts neutres, objectifs et constants dans les sciences de la nature. Comme nous avons tenté de le montrer dans trois exemples chimiques (Ca, I et O), ils offrent une capacité explicative remarquable.

 

9) Génome et modèle probabiliste

 

Le modèle probabiliste de l'évolution biologique met l'accent sur l'influence de l'environnement et de ses variations. La T.S.E. se fonde essentiellement sur les mutations aléatoires du génome et la pérennisation des mutations favorables par la sélection naturelle pour assurer l'adaptation des organismes à un environnement changeant.

Le modèle darwinien est un modèle où les facteurs internes de l'organisme, les mutations génétiques aléatoires, sont à l'origine de l'évolution orientée par la sélection naturelle. Parmi ces mutations aléatoires, certaines sont neutres, d'autres sont létales, d'autres sont considérées comme avantageuses et donc retenues par la sélection naturelle qui assure ainsi l'adaptation des organismes. Nous ne nous étendrons pas sur ce point qui a suscité de violentes controverses. On peut simplement faire observer que des mutations, d'origine strictement interne, qui convergent opportunément avec des modifications de l'environnement (augmentation du taux de calcium, de l'iode ou de l'oxygène) se rapprochent étrangement de coïncidences miraculeuses. Alors que, dans le modèle probabiliste, cette convergence est induite directement par la réaction des organismes à l'influence des stimuli de l'environnement.

Le modèle probabiliste est un modèle où les moteurs de l'évolution sont essentiellement externes. L'influence des paramètres de l'environnement passe néanmoins, nécessairement, par la modification du génome et donc des mutations génétiques. Alors que dans la T.S.E., celles-ci sont strictement aléatoires, dans le modèle probabiliste, elles traduisent la réaction des organismes, via le génotype et le phénotype, aux variations des paramètres de l'environnement. Nous avons vu plus haut que des mutations génétiques peuvent être induites par des modifications de l'environnement. Contrairement au modèle de la T.S.E., dans le modèle probabiliste, les mutations génétiques évolutives ne sont pas aléatoires mais orientées, de façon probabiliste. Comme nous l'avons montré, les évolutions phénotypiques peuvent être datées, chronologiquement, par les variations des paramètres environnementaux (croissance du taux de PO2 P.A.L., influence du stimulus calcium dans les radiations et extinctions de masse, "explosion cambrienne", etc...) et donc, a posteriori, les mutations génétiques correspondantes.

 

10) Intégration de la T.S.E. au modèle probabiliste

 

Le modèle probabiliste ne s'oppose pas à la T.S.E. et à ses acquis: mutations génétiques, taux de mutations, génétique des populations, expériences des cages à populations (Dobzhansky), etc... Il intègre la T.S.E. en interprétant, de façon différente, les relations entre organismes et environnement. Selon la T.S.E., l'interaction permanente entre les variations génétiques aléatoires et la sélection naturelle, qui trie les variations favorables, assure l'adaptation des organismes au milieu. Selon le modèle probabiliste, l'interaction permanente entre les organismes et un environnement fluctuant, oriente les mutations génétiques. Cette interaction, non finaliste, de nature probabiliste et optimale, assure l'adaptation des organismes à leur environnement. La T.S.E. interprète ainsi les résultats des expériences des cages à populations comme la survivance des plus aptes (jugement de valeur). Le modèle probabiliste intègre ces faits, en les interprétant de façon différente, objective, comme la résultante de la théorie des probabilités. Les individus, ou les espèces, dont les chances mathématiques de survie sont les plus grandes, par leur robustesse, ou tout autre facteur, sont ceux qui survivent. Ainsi, la fécondité, comme tout autre avantage, n'est plus interprété, dans le modèle probabiliste, comme un avantage qui pérennise l'individu ou l'espèce, mais comme un accroissement des chances mathématiques de survie. Les individus, ou les espèces, dont les chances mathématiques de survie sont plus faibles (plus fragiles, plus vulnérables, moins féconds, etc...), sont éliminés. C'est l'application simple, dans ces expériences, de la loi des grands nombres.

Comme la relativité einsteinienne a absorbé la gravitation newtonienne, le modèle probabiliste intègre les variations génétiques de la T.S.E. et leurs prolongements, taux de mutations, génétique des populations... en les orientant et en substituant à une logique finaliste, la sélection naturelle, une logique neutre, probabiliste et optimisante. Cette logique probabiliste se retrouve dans l'exemple classique de Biston betuleria que nous avons évoqué dans le chapitre IV. Ce que la T.S.E. interprète comme un avantage sélectif, le modèle probabiliste l'interprète comme une chance mathématique de survie. D'un côté, un concept utilitaire, finaliste, de l'autre, un concept probabiliste. Dans le modèle probabiliste, l'"avantage" darwinien est conservé mais s'interprète en terme de "chance" mathématique, dans le cadre de la théorie des probabilités. De façon parallèle, toutes les interprétations darwiniennes de variations génétiques favorables pérennisées par la pression de sélection naturelle peuvent et doivent s'interpréter en termes de chances mathématiques et de variations probabilistes. Les mêmes faits relèvent donc de deux interprétations différentes, l'une finaliste, l'autre strictement neutre et probabiliste.

De surcroît, le modèle probabiliste dépasse la spéciation, domaine privilégié de la T.S.E. Il englobe les phénomènes biologiques majeurs de la macro et de la mégaévolution, extinctions de masse, "explosion" cambrienne, concomitance chronologique de l'évolution des stimuli de l'environnement (Ca, I et O) et des réactions collectives des organismes, dont la T.S.E. ne peut rendre compte.

Si les facteurs de probabilité ont une influence considérable dans l'évolution, il semblerait abusif de leur attribuer un rôle exhaustif dans l'explication de toutes les structures et les propriétés biologiques. La neutralité et la spécificité de certains phénomènes biologiques ne peut être négligée (mutations neutres, dérive génétique, liaison des gènes, croissance différentielle des tissus etc...).

Loin d'attribuer une orientation panglossienne (Gould, Lewontin 1979) aux phénomènes biologiques, le modèle probabiliste interprète la biodiversité comme le plus probable des mondes possibles, dans un environnement donné. Il est vraisemblable que, tout comme l'évolution de la matière vivante, les facteurs de probabilité ont dû jouer un rôle décisif dans l'origine de la matière vivante sur la terre. La disponibilité d'un certain nombre de molécules chimiques ( C, H, O, N, P), des conditions physiques adéquates (température, pression, etc...) et d'autres paramètres indispensables (énergie solaire, refroidissement de l'écorce terrestre, etc...) ont créé les conditions où la probabilité de l'émergence de la chimie biotique étaient réunies. On peut ainsi considérer que l'émergence de la vie sur la terre n'est pas le fait d'un hasard ou d'un miracle mais bien plutôt la conséquence la plus probable, induite par les chances mathématiques suffisantes d'une chimie biotique possible, d'un environnement idoine.

Ainsi interprétée, l'existence de la matière vivante sur d'autres planètes apparaît non plus comme exceptionnelle mais plutôt comme hautement vraisemblable et banale, dès que des conditions suffisantes de probabilité sont présentes.

Pour conclure, il est significatif de rappeler que l'utilisation de la théorie des probabilités est une constante dans l'étude et la modèlisation de nombreux phénomènes naturels. Citons, pour mémoire, la mécanique statistique, la thermodynamique (notamment sa seconde loi), la théorie cinétique des gaz, la physique quantique, les lois de Mendel en génétique, etc...

Suite XI Références

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