VII   L'influence probabiliste de l'iode dans l'évolution biologique

 

Première partie

 

 

Version anglaise

 

1 Les sources de l'iode

 

La seconde application de notre modèle concerne l'influence probabiliste d'un autre élément chimique environnemental (son cycle et ses sources) dans les processus biologiques de l'hominisation et particulièrement de l'encéphalisation. Tout comme le calcium, l'iode contenue dans l'écorce terrestre et les océans peut être considérée comme un stimulus auquel réagissent les organismes.

Rappelons ci-dessous les quantités d'iode que renferme notre globe (Bernard 1939):

Origine

Quantité d'iode en tonnes

 

 

 

Intérieur de la terre

600.000.000.000.000

Croûte terrestre comptée sur une

2.300.000.000.000

sur les continents

une épaisseur de 20 Km

4.600.000.000.000

sous les mers

 

 

Croûte terrestre comptée sur une

115.000.000.000

une épaisseur de 1 Km

 

 

Mers et océans

2.700.000.000

Couche atmosphérique

340.000

Houillères

600.000

Réserve d'iode récupérable

600.000

dans les gisements de salpêtre

 

Dans les sols, l'iode est retenu par l'argile mais surtout par la matière organique. Le contenu en iode augmente avec le taux de matière organique (Jean Duval 1991).

L'iode suit un cycle à la surface du globe que nous ne pouvons mieux préciser qu'en citant quelques lignes extraites de l'ouvrage de L.M. Bernard : " L'iode atmosphérique et l'iode tellurique, fixés par les plantes, sont assimilés par les êtres organisés. La décomposition finale de ces êtres libère ensuite le métalloïde. Entraîné par les eaux de ruissellement, il est rejeté vers les mers. Les plantes marines l'absorbent et le concentrent dans leurs cellules. Des plantes marines, l'iode passe dans l'organisme des poissons et des crustacés. Par leur disparition et leur précipitation au fond des mers, les uns et les autres forment les terrains sédimentaires dont la richesse en iode .....a été mise en évidence par K. Scharrer".

Nous avons résumé, dans le tableau suivant, les teneurs en iode, en g %, de différentes roches, eaux, air, êtres organisés, etc... selon plusieurs auteurs, avec la moyenne approximative .

(1969)

(1939)

(1989)

(1960)

(1972)

Moyenne

Duval

Bernard

Lederer

Pascal

Ivanoff

Mers et océans

2,3 10-4

2,3 10-4

2,3 10-4

2,25 10-4

à 2,4 10-4

Poissons marins

10-3

8 10-2

40 à 100 fois

8 10-4

3 10-4

à 10-4

à 2 10-4

les aliments

à 3 10-5

à 10-5

non marins

Eaux minérales

10-2

1,4 à 6 10-2

0,4 à 1 10-2

et sources chaudes

Algues

10-3

3 10-3

1 à 10-3

Eaux salées, puits

10-2

1 10-2

de pétrole,

à

10-3

à

charbons, tourbe

10-3

4 10-3

Roches sédimentaires

10-4 à 10-5

1,18 10-4

3 10-5

Roches éruptives

10-5

3,6 10-5

3 10-5

Viandes

10-5

2 10-6

10-5

à 10-6

à 7 10-6

à 10-6

Végétaux terrestres,

1 10-6

1 10-6

2 10-6

pain, légumes, etc...

2 10-6

à 5 10-6

à 5 10-6

à 6 10-6

Eau de pluie

10-6

2 10-6

à 5 10-6

0,47 10-6

(Paris)

(Athènes)

Air marin (g/m3)

1,5 10-5

1,6 10-5

1,5 10-5

1,5 10-5

(Manche)

Air continental (g/m3)

1,1 10-6

1,1 10-6

1,1 10-6

1,3 10-6

(Paris)

 

A la lecture de ce tableau, on constate que les sources ponctuelles issues de l'intérieur de la croûte terrestre (eaux minérales et sources d'eau chaude, eaux salées des gisements de pétrole, de tourbes et charbons), ont les teneurs en iode les plus grandes. Puis viennent, en moyenne, par ordre décroissant, les mers et océans (2,3 10-4 g %), les roches sédimentaires (10-4 à 10-5 g %), les roches éruptives (10-5 g %), puis les eaux de pluie (10-6 g %). L'air marin (1,5 10-5 g/m3) contient 12 à 13 fois plus d'iode que l'air continental (1,1 10-6 g/m3). De même, chez les êtres organisés, animaux et végétaux, les teneurs en iode sont plus ou moins importantes, selon leur origine marine ou terrestre, algues (10-3 g %), poissons marins (10-3 à 10-4 g %), viandes (10-5 à 10-6 g %), végétaux terrestres, pain, légumes, etc...(2 10-6 g %).

L'iode, 47ème corps par ordre d'importance sur la croûte terrestre (5,83 10-8 %) ( Duval 1969) est concentré dans les éléments liquides (mers et océans, lacs et fleuves) puis les roches sédimentaires. La teneur actuelle en iode dans les océans est à une concentration que le seul lessivage de la croûte terrestre ne saurait expliquer. Il doit provenir d'un dégazage, au cours des périodes géologiques, de l'intérieur du globe terrestre, de l'asthénosphère (Bardintzeff 1992), analogue à celui qui se produit encore aujourd'hui lors des éruptions volcaniques (Ivanoff 1972), (Erdmann, Brandes, Bergeat, Matteuci, Riccardi 1960) avec dégagement d'acide iodhydrique (fumerolles du Vésuve), dans les sources d'eau chaude (Boeloe à Java) (Duval 1969), et dans les failles des Rifts.

La salinité moyenne des mers et océans, de l'ordre de 3,4 à 3,5 g % (Ivanoff 1972), (Guilcher 1965), qui peut atteindre 20 g % dans la Mer Morte, est plus faible dans les lacs, de 1 g à 1,3 g %, avec des exceptions telles que le lac de Karabogaz, en voie d'assèchement, avec 20 g %. Elle est plus faible dans les fleuves, inférieure à 0,06 g %, teneur dans la Bear River qui alimente le Grand Lac Salé. Le Jourdain a une salure exceptionnelle, à Jéricho, de l'ordre de 0,77 g %. L'iode, qui contribue, à l'état de trace, à la salinité, a ainsi, proportionnellement, une concentration décroissante dans les mers et océans, puis les lacs puis les fleuves (loi de Dittmar sur la constance de la proportion relative des différents sels) (Ivanoff 1972). On peut ainsi estimer, avec vraisemblance, les teneurs moyennes en iode, approximativement, de l'ordre de 2,3 10-4 g % dans les mers et océans, 7 10-5 g % dans les lacs et 4 10-6 g % dans les fleuves. L'iode, absent de l'eau des glaciers (Pascal 1960), existe à l'état libre dans les produits gazeux ou solides de l'activité volcanique et magmatique qui l'introduisent par lessivage dans le cycle de l'iode tel qu'il est décrit plus haut.

 

2 L'iode et les organismes

 

Le rôle morphologique et physiologique de l'iode dans les organismes est important. L' influence de l'iode sur le développement ou la régression des tissus caudal ou cérébral est bien connue: hypertrophie du cerveau chez le têtard de grenouille par injection d'iode, métamorphose des Amphibiens Anoures et Urodèles sous la dépendance de l'iode (Roth 1946), transformation de l'Axolotl sous alimentation thyroïdienne, etc... L'hormone thyroïdienne agit à peu près sur tous les tissus mais avec plus d'efficacité sur les tissus osseux et nerveux. Les effets de la thyroxine dépendent de sa dilution. Son efficacité, dans la métamorphose expérimentale complète des têtards, agirait à une dilution entre 1 pour 100 millions et 1 pour 100 milliards. Selon la dilution, on peut provoquer la poussée des pattes postérieures sans atrophier la queue. Le développement de l'encéphale réclame des doses plus élevées. Chez les animaux privés de thyroïde, le cerveau est plus ou moins atrophié. Chez les jeunes larves de crapauds, l'ablation de la thyroïde supprime la régression de la queue (Rostand 1941). Si, par contre, à un têtard de grenouille, par exemple, on greffe une thyroïde supplémentaire, son encéphale s'hypertrophie à tel point que le crâne peut parfois éclater (Rey 1948). Il est intéressant de constater que, chez les Hominoïdés, le développement de l'encéphale soit concomitant avec la disparition de l'appendice caudal. L'influence de l'iode dans le développement du tissu cérébral chez l'homme a été mise en évidence par de nombreuses recherches (Pharoah, Ellis, Williams 1976). Chez l'homme, l'organisme adulte contient de 15 à 20 mg d'iode dont 70 % à 80 % se trouve dans la thyroïde (Underwood 1989). L'influence de l'iode sur le développement de l'encéphale est bien connu: myxoedème congénital des hautes vallées montagneuses, qui produit un nain physiquement et un idiot intellectuellement (Delange, Ermans 1976), en raison de la pauvreté de l'eau en iode, carence en iode agissant directement sur le développement du cerveau (Pharoah, Ellis, Williams 1976) ou insuffisance thyroïdienne liée à un manque de développement de la thyroide (Dumont, Ermans, Bastenie 1963). De nombreuses études ont montré que la déficience en iode dans l'alimentation est néfaste à la croissance du cerveau. La carence en iode entraîne une production insuffisante d'hormones thyroïdiennes indispensables à la croissance et au développement du cerveau. Un article paru dans le Journal de Médecine de Nouvelle-Angleterre (Mars 1996) met en évidence que la thyroxine qui traverse le placenta de la mère vers le foetus est nécessaire au développement du cerveau du foetus. Dans le passé, d'autres études ont également montré que de bas niveaux de thyroxine sont présents chez les enfants mentalement retardés. Les experts de la santé estiment que 100.000 crétins naissent chaque année dans le monde en raison de carence d'iode (A.B.C. News 1998). Le crétinisme (Iode Deficiency Disorder) résulte d'une sévère déficience en iode pendant le début de la grossesse.La carence en iode est la cause la plus fréquente du retard mental dans le monde. On estime, qu'en 1997, 54 millions d'Indiens souffrent de goitre, 6,6 millions de retards mentaux et 2,2 millions de crétinisme, pour cause de déficience en iode (O.M.S. 1998).

 

3 Les scénarii de l'hominisation

 

Les scénarii de l'hominisation, c'est-à-dire l'évolution d'une lignée de Primates en l'espèce Homo sapiens ou la sous-espèce Homo sapiens sapiens (Stoczkowski 1992) sont très nombreux. Ils se fondent sur un certain nombre de caractères dont les plus fréquemment invoqués sont : les outils, la bipédie et la main libre, le volume du cerveau et les différentes activités culturelles (langage, vie sociale, division du travail, facultés mentales, etc...). Les outils (Goodall 1971), de même que le langage (Linden 1979) ne sont pas le seul apanage d'Homo. La bipédie, qui est un fait établi pour les Australopithèques, pourrait remonter à 5-6 millions d'années, époque où la lignée des plus anciens Hominidés a divergé de celle des Panidés (Lovejoy 1981). Au demeurant, la bipédie existe également dans d'autres groupes d'animaux, comme les Oiseaux. La cérébralisation, c'est-à-dire le développement et l'enrichissement en circonvolutions de l'encéphale (25 % chez le chimpanzé pour 65 % chez l'homme) (Leakey, Lewin 1985), peut apparaître comme le critère fondamental de l'hominisation avec le rapport cerveau/poids du corps (1/40). Comparé au même rapport pour la baleine 1/10.000, l'éléphant 1/600, mais seulement 1/12 pour le ouistiti et inférieur à celui de l'homme pour le sagouin, le marsouin et même la musaraigne arboricole (Leakey, Lewin 1985). Le coefficient de cérébralisation de Heinz n'est pas plus convaincant (Camps 1982).

On pourrait considérer que l'hominisation est la résultante de l'évolution de l'ensemble de ces caractères et tenter d'établir entre eux un coefficient de corrélation de Pearson. L'entreprise semble difficultueuse et artificielle. Le Q.I. et le facteur g de Spearman (Jensen 1979) apparaissent comme très réducteurs et guère convaincants.

Nous ne tiendrons compte, dans notre recherche, conformément au modèle probabiliste, que d'un paramètre, l'accroissement du volume de l'encéphale et sa complexification, dans le processus d'hominisation. Nous n'inférons pas, par cette démarche, que la seule évolution du cerveau chez les Primates , les Hominoïdes, les Hominidés puis les Homos soit le paramètre exclusif de l'hominisation. Notre méthodologie se rapproche de l'analyse cladiste, selon laquelle la recherche d'un groupe monophylétique repose essentiellement sur la ressemblance des caractères morphologiques (Hennig 1966). Notre recherche concerne simplement l'évolution de l'encéphale chez les Hominidés et les Homos. L'accroissement du volume de l'encéphale chez les Hominidés, pendant des millions d'années, a entraîné des modifications morphologiques concomitantes de la forme du crâne, de la face, des mandibules, de la denture, de la posture (bipédie). La multiplication et la complexification des connexions neuronales engendrées par l'accroissement du volume du cerveau et de ses circonvolutions n'ont pas été sans conséquences fondamentales sur les comportements (alimentation, outils, facultés cérébrales, socialisation, langage, culture, etc...).Ainsi, 50 % du cortex des humains consiste en surfaces consacrées aux processus visuels impliqués dans des fonctions linguistiques. Les aires auditives du cerveau interviennent également dans l'élaboration du langage. Ce dernier semble être apparu entre 50.000 et 100.000 ans (Martin I Sereno 1990). Ces modifications se sont traduites, chez les Hominidés, par une évolution des genres et des espèces qui va, en l'état actuel des connaissances, d'Artipithecus ramidus (4,4 M.A.) (White et all. 1994 - Wood 1994) à Homo sapiens sapiens type Cro-Magnon (actuel). Notre modèle probabiliste d'interaction entre un stimulus de l'environnement, l'iode, et un groupe d'animaux, les Hominidés, se manifestant essentiellement par l'accroissement du volume de l'encéphale, accessoirement par la disparition de l'appendice caudal, nous amène à rechercher si une corrélation probabiliste peut être établie entre les sources et la diffusion de l'iode à la surface du globe et cette encéphalisation, simplement caractérisée par l'accroissement du volume du cerveau et de ses circonvolutions, leur complexification, et l'évolution des Hominidés. Notre recherche concernera, d'une part, les périodes géologiques et préhistoriques, d'autre part, à l'heure actuelle, la localisation et l'intensité de peuplement de la sous-espèce Homo sapiens sapiens. Notre modèle de corrélation iode/encéphalisation des Hominidés ne se présente pas comme un modèle réducteur et une explication univoque aux processus d'hominisation mais comme un facteur probabiliste, c'est-à-dire prédominant, parmi la pluralité des facteurs causals possibles.

 

4 L'hominisation et l'évolution du volume de l'encéphale

 

La classification des organismes varie plus ou moins selon les auteurs. Dans la classe des Mammifères, qui "explosent" au Cénozoïque, l'encéphale est remarquable par les grandes proportions des hémisphères cérébraux et du cervelet. Parmi les 18 ordres de Mammifères, l'ordre des Primates comporterait 13 familles (Simpson - Walker 1945) mais de nombreuses classifications divergentes ont vu le jour. Quoi qu'il en soit, des Primates primitifs aux Primates évolués, on constate un développement cérébral exceptionnel. Le plus ancien Primate connu serait Pergatorius ceratops daté d'environ 70 M.A. On classe généralement les Primates en deux sous-ordres, les Strepsirrhiniens (Prosimiens) et les Happlorhiniens (Anthropoïdes). Ces derniers ont de plus grands cerveaux et se divisent, à l'Oligocène, entre Singes du Nouveau-Monde (Platyrrhiniens) et Singes de l'Ancien Monde (Catarrhiniens). Ces derniers ont un cerveau plus grand que les Platyrrhiniens. Les Catarrhiniens se divisent, à leur tour, en 2 Superfamilles : Cercopithécoïdés et Hominoïdés. Alors que les Cercopithécoïdés ont de longues queues, les Hominoïdés n'en possèdent plus. Le cerveau des singes sans queue est supérieur à celui des autres singes par ses dimensions et ses circonvolutions, tout en restant inférieur à celui des Hominidés, un des plus tardifs rameaux des Primates qui se développe au Pliocène (Leakey, Hay 1979), (Pilbeam 1992).La nomenclature des premiers Hominoïdés, datés d'environ 23/25 M.A. est incertaine et controversée. On classe souvent les Hominoïdés en trois familles : les Pongidés, dont trois genres ont survécu (chimpanzés, gorilles et orangs-outangs), les Hylobatidés (gibbons) et les Hominidés. Les Hylobatidés sont parfois considérés comme une sous-famille des Pongidés. D'autres relations phylogénétiques sont également proposées. Parmi les Hominidés, on distingue deux genres, les Australopithecus et les Homos et, plus récemment, Ardipithecus. Au fur et à mesure que les recherches se développent, les espèces découvertes sont de plus en plus nombreuses. Parmi les dernières venues, on peut citer Australopithecus garhi (Adis-Abeba, environ 2,5 M.A.) et Homo antecessor (environ 780.000 années, 1994-1996 Gran Dolina, Espagne, Bermudez de Castro), Orrorin tugenensis (Tugen, Kenya, Brigitte Senut et Martin Pickford, 6 M.A., 2001), Kenyanthropus platyops (Lomekwi, Turkana, Meave Leakey, 3,5 M.A. 2001). L'évolution des Hominidés n'est pas linéaire mais apparaît plutôt comme un arbre buissonnant avec des rameaux se terminant en impasse (comme Australopithecus robustus ou peut-être Homo habilis et Homo neanderthalensis).

Dans le tableau qui suit, nous avons recensé la majeure partie des Hominidés connus à ce jour, dans l'ordre chronologique de leur apparition ainsi que le volume de leur cerveau. Il est évident que les données de ce tableau sont des moyennes approximatives, étant donné que les dates et les volumes fluctuent parfois fortement selon les sources (Tim Mooney et Alan F. Benjamin 1995; Ember et Ember 1996; Robert J. Huskey 1998; Donald Johanson et Blake Edgar 1996; Aaron Valenzuela, Mary Reed et Dr Anna Pike-Tay 1999; Jim Foley 1999). Par ailleurs, le volume du cerveau dans les espèces est une donnée brute qui doit être appréciée avec une formule corrective selon les dimensions du corps. Ainsi, les plus anciens Australopithecus, anamensis et afarensis, ont un volume comparable à celui du chimpanzé (environ 400 cc), pour une taille inférieure (environ 1m,20), alors que les gorilles ont une moyenne élevée (500 cc) mais pour une taille bien plus grande (environ 2m). Génétiquement, les chimpanzés sont les organismes les plus proches des Homos (écart génétique d'environ 1 %, King, Wilson 1975).

Espèces

Volume moyen

Datation

du cerveau en cc

En M.A.

 

Dryopithecus (Proconsul)

(considéré comme un Proto-hominidé)

167

23 - 20

Ardipithecus ramidus

360

4,4 - 4,0

Australopithecus anamensis

400

4,2 - 3,9

Australopithecus afarensis

375/500

3,9 - 3,0

Australopithecus bahrelghazali

375/500

3,5 -3,0

Australopithecus africanus

485

2,9 - 2,4

( Mr ou Mrs Ples)

Paranthropus aethiopicus

410

2,7 - 2,2

Australopithecus garhi

<450

2,5

Paranthropus boisei

520/550

2,3 - 1,2

Paranthropus robustus

550/600

2,0 - 1,0

Homo habilis

~650

2,2 - 1,6

Homo rudolfensis

750

2,1 - 1,8

Homo ergaster

> 850

1,8 - 1,2

Homo erectus

900/1200

1,3 - 0,15

Homo antecessor

1000

> 0,780

Homo heidelbergensis

< 1600

? 0,5 - 0,2

Homo neanderthalensis

1450

0,3 - 0,03

Archaïc Homo sapiens

1250/1300

0,2 - 0,13

Homo sapiens sapiens

1350

0,04

 

On peut, à la lumière de ce tableau, faire les remarques générales suivantes, en première approximation :

1) Chez les Australopithecus, on constate une progression parallèle entre la moindre ancienneté de l'apparition des espèces et l'accroissement du volume du cerveau (à l'exception d'Australopithecus aethiopicus). Ainsi, de 4.4 M.A. à 1 M.A., c'est-à-dire en à peu près 3,5 M.A., le volume du cerveau augmente de 50 % (360 à 550/600 cc).

2) Le même parallèlisme s'observe chez les Homos (à l'exception d'Homo neanderthalensis) avec une accentuation du rythme d'accroissement du volume du cerveau qui double en environ 2,5 M.A. (d'environ 650 cc pour Homo habilis à 1350 cc pour Homo sapiens sapiens).

En définitive, chez les Hominidés, le volume du cerveau aura presque quadruplé depuis l'apparition des premiers Hominidés il y a environ 4,5 M.A.

Cette évolution progressive est corroborée par l'accroissement du cerveau d'un Homo erectus récent, Homo erectus pekinensis, qui vécut dans le site N° 1 de Zhoukoudian entre 0,46 et 0,23 M.A. avant notre ère. Les capacités crâniennes vont de 915 cc pour le crâne le plus ancien à 1075 cc pour des crânes plus récents et 1140 cc pour le plus récent (Rukang, Shenglong 1992). Cet accroissement progressif de la capacité crânienne des Hominidés ressort avec évidence de la distribution des fréquences des capacités crâniennes des Australopithecus africanus et des Homos habilis d'Afrique de l'Est et des Homos erectus les plus anciens et les plus récents (Wolpoff 1991). Les premiers Homos sapiens (Archaïc Homo sapiens) semblent issus d'une sous-population d'Homo heidelbergensis vivant en Afrique entre 500.000 et 130.000 ans, les Homos sapiens modernes (type Cro-magnon) datant d'environ 40.000 ans.

Résumons sommairement l'état actuel des connaissances sur l'évolution de l'encéphalisation dans les processus d'hominisation. Nous ne prendrons pas parti dans les controverses nombreuses et fécondes sur la filiation des lignées. Nous ne retiendrons que la succession (et souvent la coexistence) des différents Hominoïdés et Hominidés au cours du Miocène, du Pliocène, du Pléistocène et de l'Holocène.

Proconsul, considéré comme un Protohominidé (23-20 M.A.), possède un cerveau de 167 cc avec une encéphalisation, rapport poids du cerveau/poids du corps, supérieure à celle des singes actuels (Coppens 1983), (Beard, Teaford, Walker 1986). Il n'a plus de queue. Les Hominoïdés, dont les plus proches des Hominidés sont les Chimpanzés, se diversifient entre 15 M.A. et 6 M.A. et peut-être, selon des données de phylogénie moléculaire, de 4 à 5 M.A. (Adoutte 1992). Les premiers véritables Hominidés actuellement connus apparaissent vers 4-5 M.A. dans l'Est africain (Ardipithecus ramidus, Australopithecus anamensis et afarensis) puis au Tchad (Australopithecus bahrelghazeli) (Leakey, Walker 1997) et en Afrique du Sud (Australopithecus africanus). Selon les espèces, le volume du cerveau des Australopithécinés évolue entre 400 cc (anamensis) et près de 550/600 cc (robustus). Les premiers Homininés africains apparaissent en Afrique orientale vers 2,5-2,2 M.A. avec un cerveau bien plus volumineux, Homo habilis (~ 650 cc), puis Homo rudolfensis (750 cc) et Homo ergaster (> 850 cc). Homo erectus (900 à 1200 cc) (1,3 - 0,15 M.A.) précède Homo antecessor et Homo heidelbergensis. Homo sapiens serait connu depuis environ 0.2 M.A. Apparaît enfin Homo sapiens, connu presque partout dans le monde, depuis environ 0,150 M.A. (Vandermeersch 1995) avec un volume moyen du cerveau de 1350 cc (pouvant aller de 1000 à 2000 cc). A l'heure actuelle, les relations entre Homo erectus, antecessor, heideldenbergensis et neanderthalensis sont loin d'être claires. L'espèce ou sous-espèce des Néandertaliens classiques, avec un cerveau d'un volume moyen de 1500 cc (80.000-27.000 A.) semble être une voie sans issue. Environ 4,5 M.A. séparent l'espèce Ardipithecus ramidus de la sous-espèce Homo sapiens sapiens.

Deux scenarii rivalisent pour expliquer cette évolution des Hominidés dans les différentes parties du monde : 1) le modèle multirégionaliste (Regional continuity) 2) le modèle Out of Africa (Replacement). Le premier modèle soutient une évolution des espèces, parallèlement, dans diverses régions du globe. Le second argumente sur plusieurs vagues migratoires originaires d'Afrique: la première, de 2 à 1 M.A. prend naissance en Afrique orientale et se répand dans l'Ancien Monde (Europe occidentale, Inde, Java, Chine); la seconde, aux environs de 0,8 M.A., s'étend à travers l' Afrique et vers l'Asie et l'Europe; la troisième, vers 0,12 M.A., émerge d'Afrique orientale et atteint le Moyen-Orient, l'Afrique du Sud, l'Europe et l'Asie centrale (Roy Larick et Russell L. Ciochon 1996; Ian Tattersall 1996). Nous ne prendrons pas parti dans le conflit entre les deux modèles, en constatant néanmoins que le second semble actuellement l'emporter dans le consensus des chercheurs.

En Europe, Homo sapiens neanderthalensis ou Homo neanderthalensis (Hublin 1998) (80.000-27.000 A.) et ses précurseurs anté et prénéandertaliens (400.000-500.000 A.) succèderait à Homo heidelbergensis; puis apparaîtrait l'homme moderne Homo sapiens sapiens (type Cro-Magnon) dont l'origine ne semble pas antérieure à 40.000 A. L'homme occupe toute la planète, envahit le continent américain, par le détroit de Behring , et l'Australie. Les civilisations préhistoriques et historiques se développent alors à partir de quelques foyers de civilisations pour aboutir au peuplement actuel du globe.

En résumé, l'évolution des Hominidés, pendant environ 5 M.A., est caractérisée par une encéphalisation progressive incontestable, quadruplant le volume du cerveau des taxons de 360 cc à 1350 cc. Le cycle et les sources de l'iode, tels que nous les avons constatés plus haut, nous incitent à rechercher si, à l'instar du calcium, l'iode peut être considéré comme un stimulus de l'environnement auquel réagissent, de façon probabiliste, les organismes vivants et particulièrement les Hominidés.

 

5 La corrélation probabiliste entre les sources de l'iode et l'hominisation

 

Nous avons vu, dans le chapitre 1 (Les sources de l'iode), que la dissémination de l'iode minéral à la surface du globe (Ivanoff 1972) est le fait du lessivage de la croûte terrestre mais que ce lessivage est insuffisant à expliquer la teneur actuelle moyenne en iode des océans (2,3 10-4 g %). Au cours des ères géologiques, l'iode de la croûte terrestre et de l'asthénosphère a été transporté de l'intérieur du globe à sa surface par le magma et les laves et donc, essentiellement, par le volcanisme, continental ou océanique (Bardintzeff 1992) et les émissions fissurales des failles. L'iode de l'asthénosphère se répand dans la biosphère par les produits gazeux et solides de l'activité volcanique (Pascal 1960). Les volcans émettent des gaz durant les éruptions et lorsqu'ils ne sont pas en éruption, des gaz s'échappent à travers les fissures du sol. Ce sont les fumerolles qui peuvent durer des centaines de milliers d'années après la fin des éruptions.Ces gaz sont, habituellement, de la vapeur d'eau (90 %), du dioxide de carbone, du dioxide de soufre, de l'hydrogène sulfuré, de l'hydrogène, de l'argon, etc... et d'autres composés à l'état de traces (iode). Ces gaz peuvent être diffusés par le vent à des dizaines de kilomètres de leur source (Miller 1989; Hoblitt et all. 1987; Wright et Pierson 1992; Myers et Brantley 1995). Les différents produits sont lessivés et l'iode s'introduit dans la chaîne alimentaire des régions volcaniques ou situées à proximité. L'influence volcanique peut aussi s'étendre relativement loin des volcans par la dissémination des cendres (cendres des volcans de l'Eifel jusqu'à Berlin, les lacs de Zurich et de Genève, etc...) (Kraft, de la Rouzière 1991). Le jeu des failles et le volcanisme plio-pléistocène caractéristiques de la "révolution pliocène" (Furon 1959) affectent la plus grande partie de l'Europe (Méditerranée occidentale et orientale, Grèce, Italie, Massif Central, Kaiserstühl, Massif Schisteux Rhénan, Tchécoslovaquie, etc...) mais aussi l'Amérique (Ouest des Etats-Unis, Patagonie, etc...) et l'Afrique ( Rift Valley de l'Est africain, Great Dyke de l'Afrique du Sud). Il existe également, à cette époque, d'importantes zones de compression (chevauchements de la chaîne du Zagros). En Asie, à Java et en Chine, le volcanisme pléistocène et les fissures quaternaires sont également intenses. Pendant des millions d'années, l'iode de l'asthénosphère diffuse sur les continents, essentiellement par le biais du volcanisme local et des émissions fissurales, pour aboutir, par le lessivage de la croûte terrestre, à la teneur actuelle en iode des océans.

Nous avons constaté (Chapitre 2: L'iode et les organismes) que l'iode joue un rôle important, chez les organismes vivants, dans la morphologie et la physiologie de l'encéphale et de l'appendice caudal. Tout comme le calcium est apparu comme un stimulus fondamental dans l'édification des exo et endosquelettes des organismes, nous proposons un rôle probabiliste, c'est-à-dire prépondérant, du stimulus iode, dans le processus d'hominisation, considéré essentiellement dans son caractère morphogène d'accroissement du volume et de complexification de l'encéphale. Au stimulus de l'iode dans l'environnement, la réponse de l'organisme est l'accroissement du volume de l'encéphale et de la complexification de ses circonvolutions. A des doses plus faibles, ce stimulus atrophie ou fait disparaître l'appendice caudal. Si l'iode est bien un stimulus probabiliste du développement de l'encéphale chez les Hominidés, nous devons pouvoir établir une corrélation d'ordre probabiliste entre les sources de l'iode au cours des époques géologiques (volcaniques et fissurales) et le processus d'hominisation tel que nous l'avons envisagé plus haut. Cette corrélation entre la chaîne alimentaire de l'iode et l'évolution de l'encéphale étant d'ordre probabiliste, doit avoir 1) un caractère nécessaire mais non suffisant 2) un caractère statistiquement dominant mais non exclusif (des facteurs secondaires relativement importants peuvent intervenir dans l'évolution et les sites d'habitation des Hominidés tels les climats, glaciations, sécheresses, etc.., favorables ou défavorables, la végétation, le relief, les niches écologiques, l'isolement géographique, les migrations - voir plus haut-, les éléments psychologiques, etc...).

 

Suite : Deuxième partie

 

Retour vers Page d'accueil

 

Retour vers Table des matières