Annexe 4

Copyright : Roger ALEXANDRE
Article dans le magazine L’Expansion (vers la fin des années 80)
Rubrique : L’opinion des autres

 

POUR EN FINIR AVEC LES RÉUNIONS

 

Je parie que vous en sortez. Ou que vous y allez. A moins que tout bonnement vous n’y soyez - en réunion ! (Dans ce cas, ne serait-il pas judicieux d’ouvrir votre Expansion à une page plus sérieuse ? Je vous assure qu’il y en a.) La réunion est devenue l’activité principale de la plupart des entreprises, tous secteurs confondus, et l’occupation de fond des décideurs. En fait, un décideur est un type qui décide essentiellement de l’heure des réunions auxquelles il participe (un cadre moyen doit se contenter d’en prendre note).

Cette réunionnite (sic) qui dévore notre temps, est-il encore possible de lutter contre elle ?

Notre réponse sera nuancée. Les méthodes recensées sont au nombre de trois. Deux sont inefficaces, la troisième implique une longue patience.

La première consiste à confier le problème à une task force. Seulement, pour analyser la situation, imaginer des remèdes, mettre au point des indicateurs, expliquer la nouvelle politique, assurer le suivi, qu’est-ce qu’elle va faire, votre task force ? Tenir des réunions, pardi… A rejeter !

La deuxième méthode, c’est de vouloir appliquer les manuels de management. Vous connaissez leur discours : " Votre problème n’est pas que vous fassiez trop de réunions. Il est que vous les faites mal. On va vous apprendre… " Eh bien, voilà le type même de la fausse solution ! Car si leurs conseils sont efficaces, que croyez-vous qu’on va faire du temps ainsi gagné ? Des réunions supplémentaires !

 

Cette réunionnite (sic) qui dévore notre temps, peut-on lutter contre elle ? Une seule méthode efficace : le sabotage

Donc, c’est clair, il faut s’attaquer au fond. Ebranler l’institution elle-même par un sabotage têtu, permanent, systématique. Chaque réunion à laquelle vous assistez doit offrir la démonstration parfaite que toute réunion est une perte de temps. Vous disposez pour cela un arsenal à peu près inépuisable. Si toutefois vous manquez d’imagination, vous pouvez recourir aux manuels de la deuxième méthode, à une condition : prendre scrupuleusement le contre-pied des conseils dispensés. Par exemple, si vous êtes l’organisateur, évitez d’exhiber un ordre du jour trop clair ; s’il l’est, faites tout pour vous en écarter ; orientez le débat vers les chemins de traverse, les culs-de-sac, les marécages et les sables mouvants ; cultivez le flou. Surtout, jamais de conclusion nette : " Bien… Nous étions là pour tirer les leçons du rapport Métadur. Certains sont pour, d’autres sont contre, quelques-uns se demandent si Métadur est un homme, plusieurs ne l’ont pas lu, Beyraudac dit qu’il préfère regarder "Jeux sans frontières" à la télé, beaucoup estiment que l’été a été particulièrement sec… Nous nous reverrons la semaine prochaine pour conclure sur ces conclusions. "

Naturellement, vous commencerez systématiquement avec un quart d’heure de retard. Vos gens prendront rapidement l’habitude de se présenter quinze minutes après l’heure, et, de quart d’heure en quart d’heure, vous en arriverez à commencer au moment de finir. Comme une autre réunion débute juste à cette heure là, il vous faudra bien lever la séance. Une de gagnée !

Soignez aussi l’environnement : inconfortable. Et toujours avec un gros fumeur en activité. Préférez les locaux largement vitrés, avec vue imprenable sur les fascinants trafics du couloir – surtout si la salle se situe en face du bureau de Simone Chaproutot, laquelle recèle sous sa robe de lin des développements plus mirobolants que le rapport Métadur.

Déstabilisez celui qui parle : faites mine de prendre des notes, puis levez la plume en le regardant d’un air accablé. Ensuite, revissez le capuchon de votre stylo et prenez-vous la tête dans les mains.

N’encouragez pas les échanges : " Vous allez me donner votre avis, mais, en tant que chef, voici d’abord le mien, et je le trouve assez génial… "

Si le débat s’amorce vraiment, faites-le dérailler en disant qu’on vous appelle au téléphone. Ou en lançant négligemment : " Au fait, vous savez qui j’ai vu ensemble ? Le directeur financier et Ginette Morneplaine ! Ils se tenaient la main dans la piscine à vagues de l’Aqualand. "

Inépuisable, on vous dit… Mais ne rêvez quand même pas. Les saboteurs comme ça ne sont-ils pas déjà légion dans nos entreprises ? La réunionnite (sic) ne s’en porte pas plus mal pour autant. Alors, courage !