ATTENTION ! Ce site n'est plus le bon car, suite au rachat de chez.com par Tiscali qui, apparemment ne fait plus correctement la maintenance, il ne peut peut plus être mis à jour que de manière très aléatoire et peu fiable.
Rendez-vous sur mon nouveau site : http://membres.lycos.fr/flesia/paradigme/pave.htm

 

LE PALIMPSESTE

DES PARADIGMES PERDUS

Faites connaissance avec l'auteur : http://www.chez.com/flesia/perso.html

"Celui qui sait respirer l'air de mes écrits sait que c'est un air d'altitude, un air tonique. Il faut être fait pour lui, sinon on risque fort d'attraper froid. La glace est proche, la solitude est terrible mais comme tout repose paisiblement dans la lumière ! comme on respire librement ! comme on se sent exalté ! Philosopher, comme je l'ai compris et ressenti jusqu'à présent, c'est vivre volontairement sur les cimes glacées." Friedrich Nietzsche.

Contenu

On peut dire que ce livre a été rédigé dans des placards . Ce sont ceux où je me suis trouvé plusieurs fois pour avoir manifesté ouvertement mon désaccord avec un certain nombre de pratiques vues et vécues dans le grand organisme de recherche qui m'emploie. Presque quinze années de vaches maigres, une sorte de traversée du désert qui semble ne pas avoir de fin. Tout cela pour avoir osé dénoncer l'innommable : incohérences, changements inconsidérés de politique, gaspillages, malversations, turpitudes et abus de pouvoir de la part de quelques (rares) individus véreux. Outre qu’un placard est inconfortable, être mis dans un placard vous condamne à une certaine solitude ; peu d'amis se souviennent alors de vous et ceux qui le font n'en sont que plus précieux et estimables. La solitude est dangereuse. Elle a, certes, un prix, mais également sa récompense quand le temps finit par vous donner raison. Mais je ne m'en félicite même pas : je n'ai ni assez le sens du tragique ni, je crois, assez d'orgueil pour cela. Je m'en inquiète plutôt, comme nous le verrons plus loin. La solitude, donc, est dangereuse. Elle oblige à réfléchir, à lire, à imaginer, bref elle force à la créativité. J'ai pu le constater de la manière la plus inattendue pour moi : à travers des placements financiers. J'ai ainsi pu faire quelques bonnes affaires. Ceci serait une autre histoire mais le lecteur trouvera dans certaines des pages de cet ouvrage des indications lui permettant de se faire une idée et surtout d'en faire autant – et même encore mieux sans doute – s'il le souhaite.

La solitude, et sa sœur l'oisiveté, sont mauvaises conseillères. Elles m'ont poussé à écrire, moi qui n'étais pas particulièrement porté vers ce genre d'activité. Chimiste de formation, je n'ai jamais été capable de mettre un mot derrière l'autre pour faire une phrase (le langage scientifique est souvent laconique, voire rudimentaire) et de mettre des phrases ensemble pour faire un texte ayant un sens. Ayant commencé à écrire, j'ai constaté que cette activité pouvait constituer une véritable thérapie. De fait, elle m'a empêché de sombrer complètement J. D'ailleurs, ma première œuvre fut un pamphlet tiré à compte d'auteur et en nombre relativement limité dans lequel j'ai dénoncé, épinglé devrais-je dire, sous forme humoristique, les dysfonctionnements du CNRS brièvement évoqués plus haut. Ce pamphlet a provoqué très peu de réactions officielles puisqu'il a été étouffé et j'en suis venu à me demander pourquoi. Les réactions non officielles, en revanche, ont été tout à fait intéressantes à observer, chose qui m'a fortement stimulé et m’a poussé, entre autres choses, à passer deux années dans un laboratoire de sociologie où j’ai pu m’intéresser – dans le calme d’une vie quasi monacale – aux œuvres de quelques bons auteurs classiques ; j’ai pu lire ainsi Michel Crozier, Alain Touraine, Michel Serres, Pierre Bourdieu (là, j'avoue avoir parfois eu du mal à comprendre ce que je lisais), et pas mal d'autres, y compris des étrangers. Je pense avoir, en cette occasion, beaucoup appris et c'est ainsi qu'est né le projet duquel est issu le présent ouvrage.

L'un de mes objectifs, en commençant à écrire, était de noter régulièrement – à partir de 1991 et souvent au jour le jour – les grandes questions que suscite l'actualité ainsi que mes états d'âme relatifs à ces grands problèmes ; également de commenter et éventuellement disséquer ce que je n'hésite pas à appeler certaines incohérences vues autour de moi, vécues dans ma vie de tous les jours ou lues dans la presse. C'est pourquoi j'ai souvent emprunté des phrases entières (ou presque) dans des articles divers et variés. D'aucuns trouveront qu'il est dangereux d'utiliser ainsi des phrases extraites de leur contexte. J'en suis évidemment bien conscient et j'ai essayé dans l'ensemble de corriger les effets trop pervers qui pouvaient en résulter, du moins ceux dont j'ai pu prendre conscience.

On pourra penser (c'était ce que je pensais jusque là) que noter comme je l'ai fait ses états d'âme est, d’une certaine manière, une pure vanité. Cette petite vanité n'aurait probablement pas grande importance si ces états d'âme – souvent moroses – ne concernaient que moi. Hélas ! vers quelque direction que je me tourne, je suis frappé de constater que nombreux sont mes contemporains qui semblent atteints par le même type de morosité. Il faut dire que les temps que nous vivons sont riches d'événements qui ont tout pour ébranler le plus stable ou le plus flegmatique des individus.

La vie politique, en particulier, offre un champ d'observation singulièrement propice. Or, l'homme moderne est un citadin et si l'on admet que la politique est, dans son acception la plus élevée, tout ce qui a trait à la vie de la cité, et si l’on accepte l’idée que l'administration est au cœur même de ce qui permet à la cité de fonctionner, force est de constater que politique et administration doivent être très intimement imbriquées l'une dans l'autre. Au grand dam du malheureux et naïf citoyen, que d'aucuns appellent parfois administré – ce qui en dit long sur les pensées secrètes de moult "administrateur". Ce pauvre citoyen est de plus en plus conduit à penser que la politique ne peut être que sale. Dans ce contexte, je demeure convaincu – idéal oblige (il n’est pas encore interdit d’être idéaliste) – que l'administration se devrait, elle au moins, d'être propre et de donner l'exemple. Le lecteur qui a des raisons de se plaindre a quelquefois l'impression que sa vie est de plus en plus infernale. J'espère qu'il appréciera.

Et pourtant, l'Enfer est, dit-on, pavé de bonnes intentions. N'ayant jamais eu l'occasion de m'y rendre personnellement, je dois avouer que je l'ignore. Quoique, par moments, j'ai ou j'ai eu – comme beaucoup d’autres – l'impression d'en être tout près, aussi bien dans ma vie professionnelle que dans ma vie de citoyen. Les actions dictées par les meilleures intentions du monde peuvent parfois conduire à des effets pervers regrettables. La raison en est sans doute que le monde est complexe ; à tel point que l'on n'appréhende que rarement la totalité des paramètres d'un phénomène donné.

De plus, cette complexité s'accroît tous les jours davantage. Il est bien connu, par exemple, que :

Ainsi, nos actes peuvent agir sur un ou plusieurs paramètres qui nous avaient échappé et provoquer des conséquences inattendues. Quelquefois, à petite cause grands effets. On voit mal – pour reprendre une image classique des spécialistes du chaos – comment le battement des ailes d'un papillon en Chine pourrait déclencher un typhon aux Antilles ou quel enchaînement causal pourrait se créer entre l'accouchement d'une jeune autrichienne et la deuxième guerre mondiale... sauf si la femme se trouve être une certaine Madame Hitler et que celle-ci a décidé de prénommer son fils Adolf.

Cette complexité qui constitue la trame de ma réflexion, rendait, à mon avis, caduque la structure linéaire classique que l'on rencontre dans tout livre qui se respecte. La complexité de l'univers humain et social s'accommode mieux d'une approche matricielle ou mieux encore neuronale au sens où les éléments qui le constituent sont inter-reliés ou mieux, maillés, dans toutes les dimensions. Ceci n'est évidemment qu'une analogie, comparaison simplifiée et donc réductrice.

C'est pourquoi cet ouvrage a pris la forme d'une suite de chapitres – le mot est abusif car certains sont parfois très courts – souvent déconnectés, en apparence, les uns des autres. Certains chapitres sont extrêmement courts : parfois une simple citation ou un aphorisme. Mais nous savons tous ce que peut contenir ou dissimuler une phrase, même d'apparence modeste ou anodine. Ceci dit, je reconnais que les mots mal utilisés peuvent constituer des armes terribles qui risquent d'influer sur la pensée et l'opinion de chacun : parfois en bien, souvent en mal. Les amalgames sont toujours dangereux lorsqu'ils apportent une confusion malveillante. Je demande donc au lecteur de faire preuve de la plus grande prudence et de beaucoup de discernement s'il trouve que mes propos sont parfois corrosifs ou pleins d'ironie. A aucun moment je n'ai voulu faire œuvre de désinformation. Aussi, que le lecteur ait à l'esprit que mon but n'est que de faire réfléchir en libérant l'imagination et qu’il veuille bien m’accorder un peu de son indulgence.

Malgré tous mes efforts pour donner au texte un minimum de structuration, le plan général ainsi que l'ordre des chapitres pourront apparaître bien arbitraires. Ils ne sont que la traduction de mes schémas de pensée, de ma sensibilité et de l'inspiration du moment qui variait elle-même au gré de la conjoncture. De plus, le texte a été continuellement remanié au fur et à mesure que tel ou tel élément m’apparaissait devoir s’y intégrer à tel point que ce livre s'intitule Le palimpseste des paradigmes perdus (mais il pourrait – et a failli – porter mille et un autres titres). Une lecture des chapitres dans un ordre différent de celui où ils sont présentés, un peu comme l'on procède pour un dictionnaire, n'est pas déconseillée, loin de là. Elle est même susceptible d'apporter des éclairages intéressants. Le mieux selon moi est de le parcourir en suivant sa propre humeur en y cherchant des mots ou des expressions (en fait, des chaînes de caractères) à l'aide de la fonction "rechercher" dont dispose tout bon navigateur (ou "browser") comme Interner Explorer ou Netscape.

Enfin, le texte n'est pas fait pour des lecteurs pressés. En effet, la longueur de chaque chapitre ou de chaque paragraphe n'est pas forcément reliée au temps qu'il convient d'y passer si l'on veut en apprécier pleinement le contenu. Aussi, je ne saurais trop recommander au lecteur de parcourir le texte lentement, de méditer sur les points qui l'interpellent ou même tout simplement de libérer sa rêverie. Alors, je serai comblé. C'est pourquoi ce texte a été placé sur Internet. Ceci permettra à l'amateur éclairé, grâce à la fonction "rechercher" par exemple, d'y tracer la route la plus adaptée à sa personnalité, de faire des rapprochements et même, je crois, de faire des découvertes grâce à la mise au jour de facettes cachées y compris celles auxquelles j'aurais pu ne pas penser. Ceci devrait lui apporter, du moins je l'espère, quelques menus plaisirs supplémentaires.
 
 

CONTENU


 

L'homme 

La famille

La société

L'Etat

La Constitution

Les collectivités

La France

Paris

Le système "D"

La langue française

L'ortografe

Les jargons spécialisés

Le goût des médailles

Vouvoiement et tutoiement

Les tabous

La sociolinguistique

La psycholinguistique

Les jeux de mots

Le péjoratif

L'optimisme

L'emploi du prénom

La patrie

Les Etats-Unis

Le match France-USA

Le match France-Japon

Le mercantilisme du monde moderne

L'argent

Consommation et épargne

L'impôt

L'impôt sur le revenu

Les lois et la justice

La criminalité

La peine de mort

La médecine

La sécurité sociale

Le scandale du sang contaminé

L'inné et l'acquis

Le corps et l’esprit

Les prestations sociales

L'homme politique

La géopolitique

Les partis politiques

L'argent du contribuable

La notion de contrat

L'administration

Le citoyen

Le fonctionnaire

La technocratie

L'école

L'école privée

L'instruction civique

L'éducation nationale

L'Université

La recherche scientifique

La recherche militaire

La communauté scientifique

Les chercheurs

La créativité

Les ovnis (alias les soucoupes volantes)

Les sociétés féodales

Les grandes familles

Les privilèges

Les grands corps

Le travail manuel

Le principe de Peter

La hiérarchie

Le chef

Le progrès technique

La propriété privée

L'ambition

Le pouvoir

La vertu

Les moralistes

Le conformisme

Particularismes ou métissage ?

L'enthousiasme

Clans et lobbies

Le corporatisme

Les francs-maçons

Les délits d'initiés

Les classes sociales

La société industrielle

La société de consommation

La croissance zéro

Le travail

L’art

Les sociétés de troc

L'entreprise

Le commerce

Grands groupes et PME/PMI

La création d'entreprises

Les "associations loi 1901"

L'économie

La bourse

L'art de gérer son argent

Le capitalisme populaire

Les marchés financiers

L'inflation

Le chômage

La disparité des salaires

La retraite

La responsabilité

Les catastrophes naturelles

Le tiers-monde

L'Afrique

Les grandes invasions

La production agricole

Des modèles de développement

Les grands programmes

L'électricité

L'énergie solaire

L'énergie éolienne

Le protectionnisme

Les relations entre les gens

La communication sociale

Le téléphone

Les réunions

L'automobile

Les transports

Le jeu

Le sport

La complexité

Les médias

La liberté de la presse

Le bon sens

Les opinions

Modes et modèles

L'originalité

Les gens de lettres

La faillite des idéologies

La révolution

La vérité

La foi et la raison

L'erreur

Le doute

Les contradictions

Le fanatisme

L’église catholique

Le culte de la personnalité

La culture

La liberté

L'égalité

Le temps


 

L'HOMME

L'homme est un animal supérieur (définition actuelle). Supérieur à quoi ? On peut parfois se le demander.

Une simple observation de détail en passant : comment l'homme pourrait-il dominer la nature puisqu'il n'en est qu'un tout petit morceau, une minuscule composante ? On voit mal comment la partie pourrait appréhender et connaître le tout. Et comment l'homme peut-il espérer dominer sa propre nature ?

Ce qui le fait marcher, ses moteurs fondamentaux, sont ses besoins vitaux, ses intérêts et ses idéaux. Les premiers sont dictés par la nécessité : le besoin de se nourrir (boire et manger) et de dormir ; pas question d'y déroger sans mettre sa vie en danger. Les autres besoins sont moins vitaux mais peuvent être tout aussi impérieux ; ils résultent des pulsions et des instincts (besoins émotionnels, psychologiques et intellectuels) : le besoin sexuel, la curiosité (observation, exploration, découverte), l'envie de se détendre, de jouer, de se mesurer aux autres (compétition et agressivité). Puis apparaissent tous ces besoins qui peuvent être qualifiés de culturels et sociaux dans la mesure où c'est la vie en société qui les suscite, les cultive ou les exacerbe : aimer et être aimé (n'est-ce que l'habillage "culturel" de l'instinct sexuel ?), se loger, se soigner, être éduqué, le besoin de reconnaissance, se défendre, posséder (ces trois derniers ne sont-ils que les habillages "civilisés" de l'instinct de compétition et de l'agressivité ?). Enfin, les besoins "spirituels" : grandir, donner un sens à sa vie, apporter sa contribution (sa pierre) au monde. Et on peut remarquer, qu'au passage, on rejoint aussi Pascal selon qui l'homme est né pour le plaisir.

LA FAMILLE

On appelle famille un groupe d'individus unis par le sang et brouillés par un tas d'autres choses (inspiré d'Etienne Rey).

La famille est un groupe de personnes qui a le mérite d'être "naturel" en ce sens qu'il n'est pas choisi par les individus qui le composent. En effet, hormis dans quelques cas particulièrement douloureux, on vient au monde dans une famille et, sauf exceptions, on ne s'en détache plus tout à fait.

La famille est aussi la cellule originelle de toutes les sociétés.

Notre époque est marquée par une baisse démographique assez forte. Moins d’enfants signifie un poids croissant des aînés par rapport aux puînés. Or, il se trouve que Frank Sulloway, chercheur au MIT, a étudié pendant 25 ans la vie de 6 566 personnalités – des gens qui ont réussi – du monde entier et de toutes les époques. Il observe que les aînés et les cadets ont des modes de réussite très différents : les premiers-nés d’une famille ont tendance à s’identifier à leur parents, aiment l’autorité et le pouvoir, sont ambitieux et dominants (exemples : Roosevelt, Churchill, Hillary Clinton) alors que les puînés réussissent parce qu’ils sont rebelles voire révolutionnaires, qu’ils émettent des idées novatrices ou qu’ils cherchent à transformer leur époque (exemples : Darwin, Copernic, Benjamin Franklin, Bill Gates, Madonna). Selon cet auteur, le rang de naissance modèle plus la personnalité que le sexe, la nationalité, l’ethnie ou la classe sociale*. Si la théorie de Sulloway s’avère bonne, on peut prévoir que la baisse actuelle de la natalité ne va pas manquer d’avoir des conséquences inestimables. 

* Cf. son ouvrage : Born to Rebel, Little, Brown and Co édit., Boston, 1996.

 

LA SOCIÉTÉ

Trois hommes ensemble font un gouvernement et sans doute un tyran, un ministre et un rebelle (André Suarès).

Une société est vivante ; c’est un être qui évolue dans le temps et comme n’importe quel être vivant elle peut être malade ou tomber malade. Certaines des maladies qui peuvent l’affecter ne sont pas sans rappeler des maladies mentales. Une discipline nouvelle s'est développée à partir des années 1960, la psychiatrie sociale (Roger Bastide, "Psychiatrie sociale et ethnologie") ou ethnopsychiatrie (G. Devereux, "Essais d'ethnopsychiatrie générale"). C'est incontestablement Freud qui, encore une fois, a posé les problèmes des "névroses sociales" et proposé une "pathologie des ensembles culturels" (malaise dans la civilisation). Cette discipline devra à la fois apprécier dans quelle mesure les déséquilibres psychiques sont socialement conditionnés, mais aussi dans quelle mesure un groupe donné peut – en tant que groupe – être névrosé. On notera au passage que l'ethnopsychiatrie peut être regardée comme une spécialité de l'ethnomédecine.

Une fois de plus, il convient d'éviter des malentendus : au-delà des particularismes culturels, on peut retrouver partout à l'œuvre des invariants. Devereux n'hésite pas à écrire que "l'uniformité de la psyché humaine implique également l'uniformité de la Culture humaine, avec un C majuscule" : il y a en même temps polymorphisme et identité.

L’analyse détaillée du fonctionnement des sociétés ne saurait nous laisser indifférents sous prétexte qu’elle apparaît encore un peu "fumeuse". Elle recèle en effet des énigmes scientifiques de première grandeur. La socio-analyse (mot composé que je vous suggère d’aller chercher dans une bonne encyclopédie) doit ainsi rester attentive à la démographie et à la biologie. Par exemple, on a mis en évidence depuis longtemps des phénomènes de groupe qui ne sont pas réductibles à la conscience ; c'est ainsi qu'après les guerres on observe une évolution des taux de natalité, d'une part en faveur d'une progression numérique, d'autre part en faveur d'une modification, pendant quelques années, du sex-ratio à la naissance, favorable à l'élément masculin (105 garçons pour 100 filles environ). On pourrait aussi poser de nouveau le problème du déclin démographique de certains groupes archaïques (les Marquisiens, les Bochimans, les Pygmées...), déclin qui s'est exprimé non pas par une élévation des taux de mortalité infantile, mais par une chute inexpliquée des taux de natalité. * 

* Derrière le sex-ratio se cachent peut-être des problématiques qui nous dépassent. Le Dr Victor Grech et ses collaborateurs de l'hôpital Saint-Luc à Guardamangia (Malte) ont analysé (British Medical Journal du 27/04/2002) les données de l'OMS concernant les naissances enregistrées entre 1958 et 1997 en l'Amérique du Nord et celles recensées entre 1950 et 1999 en Europe. Le résultat est qu’il s'avère y avoir eu significativement plus de naissances de garçons en Grèce, Italie et Espagne comparativement aux pays nordiques ou d'Europe centrale. La situation a été inverse en Amérique du Nord où le sex-ratio a été plus favorable aux garçons au Canada qu'au Mexique semblant par là éliminer une explication simple liée à la latitude ou au climat.

Poser la question d’une société affectée par la maladie pose la question des soins éventuels à apporter au malade. Faut-il le soigner ou faut-il laisser la maladie évoluer par elle-même quelles qu’en soient les conséquences ? Je ne répondrai pas à cette lancinante question, laissant le lecteur apporter les réponses qu’il jugera souhaitables. Comme je ne suis pas loin de penser que notre société est très malade, je suis néanmoins convaincu qu’il serait temps de lui administrer un traitement. Malheureusement, l’état du malade est tel qu’un remède de cheval est le seul qui puisse espérer – peut-être – le sauver. Mais nos sociétés (avec nos responsables administratifs, nos décideurs, nos technocrates et nos élus) en auront-elles le courage et/ou la possibilité ? Et d’abord, en ont-elles seulement fait le diagnostic ?
 
 

L'ÉTAT

L'État n'est que le gérant d'une société anonyme qu'il a pris l'engagement de servir, mais qu'il ne se charge, en réalité, que d'exploiter (Pierre Reverdy).

Personne n'a jamais vu un État. C'est une idée abstraite, un mode de fonctionnement théorique auquel les Français sont, plus que tout autre peuple, attachés – les rituels archaïques des commémorations républicaines perpétués depuis la III° République prouvent ce culte mystique du service d'État. Tout ce qui n'est pas discours ou sujet politique n'existe pas. L'économie devient dès lors pour les Français une sorte de vue de l'esprit, un terrain de batailles idéologiques et non de compétitions commerciales (Dominique Frischer).

Contrairement à l'Allemagne, au Royaume-Uni ou aux États-Unis, en France, l'État a précédé la nation. C'est l'État qui a fait la France. Nous avons ça dans la tête. C'est comme un gène. Casser l'État, en France, c'est d'une certaine façon casser la nation (Christian Saint-Etienne).

Malheureusement, l'État n'est pas un centre de décision, mais un ensemble diffus pénétré de toutes parts par ceux qui vont bénéficier ou pâtir des mesures prises. Dans cet État confus et mou, tout le monde parle à tout le monde, se mêle de tout, s'occupe de tout, les décisions sont longues à prendre, constamment remises en question, et tendent naturellement à maintenir les intérêts établis. Les conflits sont étouffés et les secousses évitées, mais les conséquences en sont aujourd'hui flagrantes. ... Un État arrogant, omniprésent et omnicompétent, est nécessairement impotent, car il ne sait qu'ordonner à partir de principes abstraits et de vues générales. Seul un État modeste peut vraiment se révéler actif, car il est seul en mesure d'écouter la société, de comprendre les citoyens et donc de les servir en les aidant à réaliser eux-mêmes leurs objectifs (Michel Crozier).

Le lecteur est en droit de se demander ce que je pense réellement des relations entre l’État et le citoyen – ce que je suis aussi. Après avoir beaucoup hésité, je crois devoir citer longuement la "Déclaration de souveraineté individuelle" de Pierre Lemieux, un économiste canadien, en laquelle je me retrouve assez bien. Il s’agit là bien sûr d’une adhésion philosophique et théorique que je ne suis pas – malheureusement – en mesure de mettre en pratique aussi parfaitement que je le souhaiterais. Il va de soi, en outre, qu’il faut qu’elle s’accompagne, pour tout individu qui entendrait s’en prévaloir, du principe de responsabilité faute de quoi la société deviendrait une jungle cruelle et redoutable.

"Je déclare être un individu souverain à qui personne n'a le droit moral d'imposer quoi que ce soit sans son consentement, à part l'obligation générale de respecter la souveraineté égale des autres individus. Je déclare donc que, à l'instar de M. Henry David Thoreau, "je ne veux être considéré membre d'aucune société à laquelle je n'ai pas adhéré" (A Duty of Civil Disobedience, 1849). Cette déclaration s'adresse à tout individu, maître-esclavagiste, groupe, mafia ou État qui prétendrait m'imposer des charges auxquelles je n'ai pas consenti soit dans mon intérêt, soit comme contribution libre et volontaire au bien commun.

La présente déclaration s'adresse notamment aux États qui prétendent m'imposer leur soi-disant souveraineté et leurs rackets camouflés sous le nom de "lois". J'admets que l'individu souverain peut, comme moindre mal, se soumette à un État auquel il n'a pas consenti parce qu'il juge que les avantages de celui-ci continuent de surpasser ses coûts en termes d'expropriation et de dignité personnelle. Mais cet État est au mieux qualifié de bon tyran, pour reprendre l'interprétation que M. John Simmons nous donne de M. John Locke (On the Edge of Anarchy. Locke, Consent, and the Limits of Society, 1993). Toutefois, quand l'État impose à un individu souverain des coûts plus élevés que la soi-disant protection qu'il le force d'accepter, il devient mauvais tyran – une "association de brigands et d'assassins" comme disait M. Lysander Spooner (The Constitution of No Authority, 1870). Je déclare être, en tant qu'individu souverain, le seul juge de l'utilité de l'organisation qui se pare du nom d'État.

Je rejette bien entendu le principe mafieux qui voudrait m'imposer de partir si je ne suis pas satisfait. Ce sont plutôt les oppresseurs de l'individu souverain qui violent le droit et qui sont dans l'obligation morale de se désister et de cesser de nuire.

A tous ceux que vise la présente déclaration, qu'il soit signifié que, le cas échéant, toute soumission de ma part ne relève que de la violence qu'ils exercent contre moi ou dont ils me menacent, et qu'elle ne préjuge nullement de mon consentement ni de ma soumission future devant eux. Je proclame ma volonté souveraine de vivre en paix et déclare que, en droit, leurs édits, obligations et prohibitions ne me concernent pas."* 

* Pour en savoir plus sur cette forme moderne de "libertarianisme", prière de visiter le site Internet de Pierre Lemieux : http://www.pierrelemieux.org/SiteFrames/fs-francaises.html. Malheureusement, Pierre Lemieux a jugé utile pour des raisons qui ne regardent que lui de retirer de son nouveau site la Déclaration ci-dessus. Personnellement, je pense que c'est regrettable. Le fait que j''apprécie certaines positions de Pierre Lemieux n'implique pas que j'adhère à toutes les siennes !

Un grand pas en avant a été accompli par la France en 1973, année où fut institué le Médiateur de la République qui reçoit les réclamations des citoyens en litige avec l’administration. Bien que la saisine de cette instance soit pour l’instant assez complexe et ne constitue pas une panacée (l’administré doit saisir le délégué présent dans son département ; si celui-ci ne peut rien faire, le citoyen doit alors faire appel à un parlementaire pour qu’il transmette le dossier au médiateur ; l’autosaisine du médiateur n’est pas prévue ; le médiateur n’a pas les moyens de faire face à une affluence de réclamations ; il est choisi par le pouvoir exécutif), l’intervention du médiateur transcende le droit puisqu’elle fait intervenir le principe d’équité et, à ce titre, constitue bien un progrès. C’est comme si le législateur avait pris conscience de limites qui sont l’essence même du droit. Le médiateur doit donc être regardé non pas comme un concurrent du juge administratif mais comme son complément*

* Bénédicte Delaunay, Le Médiateur de la République, collection Que sais-je ?, PUF édit.

 

LA CONSTITUTION

En France, la Constitution est un véritable monument historique. Il est très malséant, et donc très difficile, de vouloir y toucher, ce qui donne lieu chaque fois (7 fois de 1958 à 1993)* 

* On se souviendra qu'après l'avoir faite, le général de Gaulle l'a révisée une première fois en 1960 et s'est tout de suite empressé de la violer en 1962 en utilisant l'article 11 au lieu de l'article 89 prévu pour sa révision.

à des polémiques à n'en plus finir sur fond de changement de régime (la nième – et je n’ai pas écrit la énième – République). Aux États-Unis, la Constitution est retouchée chaque fois qu'elle doit s'adapter à une situation nouvelle, au fur et à mesure que les besoins de la société américaine évoluent dans le temps (5 fois de 1960 à 1971). Sieyès, qui était un connaisseur en matière de constitution, n’a-t-il pas écrit : "la Nation n’est pas faite pas la Constitution" mais "c’est elle qui la fait" ? A côté de cela il existe des pays qui n'ont pas de Constitution – Israël par exemple – mais, à bien des égards, ce pays peut être considéré comme une sorte de théocratie et ce n'est donc pas le lieu, ici, d'en parler*

* Il est intéressant de constater que tout juif qui met le pied sur le territoire israélien devient ispo facto israélien. Ce qui pose problème, c'est que, dans le cas d'un criminel, son extradition devient un véritable parcours du combattant dont l'issue est loin d'être assurée dans des délais raisonnables. C'est pourquoi on peut considérer qu'Israël n'est pas une nation comme les autres. N'est-il pas aussi surprenant qu'un jeune Français, de confession juive, ait la possibilité d'effectuer son service militaire indifféremment en France ou en Israël ?

Là où l’on note qu’il y a toutefois un progrès, c’est qu’en France, à partir des années 90, on semble beaucoup plus enclins à modifier la Constitution lorsque le besoin s’en fait sentir ; mais cela se fait souvent dans des polémiques innombrables et tous les médias y vont chacun d’au moins un éditorial sur cette épineuse question. Selon Didier Maus*

* Maus est énarque, professeur associé à l'université Paris I, et directeur de la Revue Française de Droit Constitutionnel. La citation est extraite d'une interview qu'il a accordée à l'hebdomadaire L'Express (n° 2395 du 29 mai 1997, p.146).

"La France est le seul pays occidental où la répartition exacte des rôles politiques entre le président de la République, le gouvernement et le Parlement dépend avant tout des résultats électoraux et non de la Constitution."
 
 

LES COLLECTIVITÉS

Entrent dans cette catégorie : les régions, les départements et les municipalités, énoncées dans un ordre qui part des plus éloignées du citoyen pour aboutir aux plus proches (du moins en distance). Il reste encore beaucoup à faire pour aboutir à une véritable démocratie dans laquelle ce seraient les collectivités les plus proches du citoyen qui géreraient le quotidien au maximum, ne délégant à l'échelon immédiatement supérieur que les affaires ne pouvant pas être traitées à leur niveau avec la même efficience. C'est ce que l'on appelle le principe de subsidiarité dont il est beaucoup question en ce moment (1993) à l'occasion des discussions sur l'Union Européenne.

Je ne puis m'empêcher de citer un extrait roboratif de l'Encyclique "Quadragesimo anno" du 15 mai 1931 qui y fait expressément référence :

"De même qu'on ne doit pas priver l'individu de sa capacité d'initiative et de réalisation personnelle pour la transférer systématiquement à la société, de même il est contraire à la justice de laisser accaparer par les collectivités de rang supérieur ce qui peut être correctement mené à son terme par les collectivités de rang inférieur ; agir ainsi serait à la fois inefficace et dommageable pour l'ordre social. Toute collectivité quelle qu'elle soit, est dans son essence subsidiaire ; elle est tributaire du soutien du corps social et ne doit en aucune manière les détruire ou les priver de leur substance."

Aussi, il peut paraître intéressant de regarder s'il existe des collectivités supérieures à l'État que ce soit au niveau du continent ou de la planète entière. On peut mentionner l'Union Européenne et, encore au-dessus, l'ONU. Pour la première, on a une véritable collectivité dans laquelle le peuple a des représentants élus. Pour la seconde, il s'agit plutôt d'une émanation des Etats eux-mêmes, chargée par ces derniers d'un certain nombre de missions pour lesquelles elle a reçu délégation.

Les Nations ont besoin de se regrouper. C’est ainsi que, en 2004 :

On voit là quelle est la véritable échelle des valeurs auxquelles adhère notre pauvre humanité malade.
 
 

LA FRANCE

La France est une idée nécessaire à la civilisation (Charles Morgan, écrivain britannique, sans doute dans un accès d’ironie).

Les Gaulois sont un peuple belliqueux (Jules César, La Guerre des Gaules).

Rien ne montre que la situation ait beaucoup changé depuis deux mille ans. Si les Français (à commencer par nos hommes politiques) passaient moins de temps à se disputer entre eux, la France se porterait probablement un peu mieux.

La France est aussi un pays dual : les riches et les pauvres ; l'aristocratie et le peuple ; les polytechniciens et ceux qui ne le sont pas ; les énarques et les autres ; les chômeurs et ceux qui travaillent ; les travailleurs et les planqués ; les élus et les délaissés (à interpréter à plusieurs niveaux) ; ceux de droite et ceux de gauche ; ceux qui sont pour le traité de Maastricht et ceux qui sont contre ; les joueurs de bridge et les joueurs de belote ; ceux qui aiment le foot et ceux qui préfèrent le golf, etc. Au lecteur le soin de poursuivre.

Enfin, la France n’a jamais cessé de se croire plus grande qu’elle n’est. Et c’est un pays qui prétend souvent donner l'exemple au monde. La révolution c'est nous ; les droits de l'homme c'est nous ; la liberté c'est nous ; l'égalité et la fraternité aussi ; le Canada – pardon ! le Québec – c'est encore nous ; la grandeur c'est toujours nous.

Mais pour pouvoir donner l'exemple, il faudrait savoir se vendre. Or, nous ne savons pas bien le faire. Normal, nous sommes une société aristocratique et le commerce n'est pas une activité très noble (les aristocrates n'ont toujours éprouvé que du mépris pour les marchands). Les aristocrates que nous sommes se contentent d'administrer leur patrimoine (et l'histoire a montré que cela s'est fait avec des fortunes diverses !). Nous sommes pourtant toujours convaincus – chose que les étrangers ressentent comme de l'arrogance – de posséder la meilleure fonction publique du monde.

Dans un pays où l'État est mégalomane les citoyens sont infirmes*

* Phrase empruntée au sociologue Pierre Bourdieu.

Mais cela n'est pas grave car au pays des aveugles les borgnes sont rois ce qui permet à certains de bien tirer leur épingle du jeu. C'est sans doute la raison pour laquelle on dit que la France est le pays des fromages ; les fromages que certains se partagent sans vergogne alors que d'autres doivent manger leur pain sec.

Ceci dit, notre beau pays n'a pas que des défauts ; nous possédons peut-être le meilleur système de santé au monde, la justice y est grosso modo pas trop mal rendue et le système d'assurances permet au citoyen malchanceux d'être remboursé de ses pertes dans des conditions en général tout à fait convenables même en cas de catastrophes naturelles. Certaines sociétés d'assurance à structure mutuelle sont, de ce point de vue, franchement exemplaires ce qui – malheureusement – permet à des individus peu scrupuleux de profiter d'elles en usant de pratiques qui s'apparentent parfois fort à de l'escroquerie.

Les sociologues ont remarqué que la France possède moult spécificités qui la rendent singulière dans l’ensemble des autres pays. Ils en arrivent souvent, chacun dans son domaine, à parler de l’exception française. Pourquoi sommes-nous si particuliers ? Il n’est pas simple de répondre à une telle question. Contentons-nous de relever quelques-unes de ces curiosités, laissant chaque lecteur se forger sa propre opinion.

Fin 1995 – car il est toujours important de dire à quel moment on se place, l’évolution des choses pouvant être rapide – nous avions le taux de syndicalisation le plus faible des pays de l’OCDE (fin 2006, nous sommes toujours, avec un taux de 8 % – et 5 % pour le secteur privé ! – les derniers parmi les 30 pays de l'OCDE). La présence de femmes au parlement est l’une des plus faibles d’Europe : avec 5,5 % nous arrivions au dernier rang (deux ans après nous avons, avec 11 % de femmes au parlement, dépassé la Grèce et n’étions plus qu’à l’avant-dernier rang !). Concernant le taux d'activité des citoyens, les choses ne sont pas tristes : le taux d’activité des quinquagénaires est, chez nous, le plus bas des pays développés. Le taux d'activité masculine (60 %) des personnes âgées de 55 à 59 ans est le plus faible (avec les Pays-Bas) des pays industrialisés (profitons-en aussi pour rappeler qu’il était de 81 % en 1971). Dans la tranche des 16-24 ans, 32 % des jeunes ont un travail contre 71 % au Royaume-Uni et 56 % en Allemagne. En 2000, 62 % des français en âge d’avoir un emploi travaillent (contre 65 % des Allemands, 70 % des Britanniques et 75 % des Américains. Dans l’Europe des Quinze, l’objectif général fixé à Stockholm en mars 2001 est un taux d’emploi pour les 55-64 ans de 50 % ; au même moment, la France en est à 30 % ! Dans un tout autre domaine, certains auteurs trouvent que nos procédures d'évaluation de la gestion publique et de l'administration ne sont appliquées nulle part ailleurs. La moyenne d’âge des responsables politiques est notablement plus élevée en France qu’ailleurs en Europe.

Voici, en vrac, quelques autres causes d’étonnement recueillies çà et là dans les médias. Le goût des Français pour le secret est particulièrement marqué : alors que dans la plupart des autres pays, quelqu’un qui viole le secret professionnel se voit condamné au simple versement de dommages et intérêts, chez nous il est sanctionné beaucoup plus sévèrement au pénal. En matière de patrimoine, 4,4 % de celui des Français est investi dans l’or et nous détenons presque autant d’or que tous les autres Européens réunis. Le taux des interruptions volontaires de grossesses est en France de 31 pour 100 naissances ; c’est le plus élevé d’Europe occidentale. En février 1997, il n’y a plus que chez nous et au Luxembourg qu’une femme puisse accoucher sous X c’est-à-dire dans l’anonymat le plus total. Contrairement à tous les autres pays (et ceci depuis l’an 2000), les médecins spécialistes sont chez nous proportionnellement plus nombreux que les généralistes (99000 contre 95000 ; est-ce que cela signifie que les premiers sont meilleurs chez nous et les seconds pires qu’ailleurs ?). Chez nous, on peut être délégué syndical sans avoir été élu et l'on peut donc, de ce fait – et à la limite – ne représenter que soi-même. Contrairement à la plupart des pays européens, le chocolat supporte en France une TVA à 20,6 % (comme les alcools, le caviar, les confiseries). La France a une école des Mines, un corps des Mines, un organisme de recherches minières (le BRGM), un holding minier mais il s’avère qu’elle n’a pas – ou presque plus – de mines. Plus précisément, le BRGM, qui a pourtant réalisé de nombreuses découvertes minières, n’a jamais réussi à passer à une dynamique industrielle.

En 1996, un gouvernement de droite – nous ne sommes plus à un paradoxe près – a réussi à concocter et faire voter une loi qui impose le paiement de charges sur les stock-options. Selon Denis Payre, cofondateur de Business Objects, entreprise française cotée à la Bourse de New York, nous serions le seul pays au monde dans ce cas (mais en contrepartie les actionnaires français seraient les seuls à avoir pu bénéficier d'un avoir fiscal qui représentait en gros 50 % des dividendes perçus ; ce privilège a été supprimé au 1er janvier 2005, après avoir été en vigueur pendant 40 ans). Autre paradoxe : les multinationales françaises sont les plus "étrangères" qui soient :

Continuons notre tour d'horizon des spécificités françaises. Dans le secteur de l’édition, nos goûts littéraires sont différents de ceux des autres pays occidentaux. Les best-sellers américains ne sont jamais assurés d’y rencontrer automatiquement le succès. C’est que la concurrence entre éditeurs y est moins féroce qu’en Italie ou en Allemagne où certains éditeurs n’hésitent pas à casser le marché. Ici, personne ne songerait à piquer des auteurs fidélisés par tel ou tel confrère. Enfin, le marché du livre y est assez fermé : moins de 25 % des livres sont traduits dans une langue étrangère. Cerise sur le gâteau qui n'a aucun rapport avec le reste : en France, l'administration hospitalière peut arbitrairement décider un internement psychiatrique sans faire appel à une décision de justice. Il est vrai qu'en matière psychiatrique nous avons des références : après l'attentat terroriste du 11 septembre 2001 à New York, la France détient le triste record mondial des fausses alertes à la maladie du charbon. À la fin octobre 2001, on comptait ainsi 200 alertes quotidiennes (après un pic à 360 le 18 octobre) ; soit 3 fois plus qu'en Grande-Bretagne ou en Allemagne et 10 fois plus qu'au Canada.

En fait, nous sommes un pays de rentiers avec toutes les tensions et les contradictions que cela suppose. Par exemple, nous critiquons volontiers les rentiers mais nous espérons que nos propres enfants pourront le devenir un jour. En effet, quelle meilleure rente que de les voir intégrer les études supérieures à travers les voies royales et arriver ainsi jusqu’aux sinécures : Polytechnique, Norm Sup, l’ENA et HEC*.

* On peut cependant être à la fois polytechnicien, énarque et "normal". Cf. Bernard Zimmern (qui n'est plus fonctionnaire), créateur et président de l'IFRAP (Institut Français Pour la Recherche sur les Administrations Publiques, une fondation de droit américain basée à Paris J. Zimmern est aujourd'hui citoyen américain et auteur de l'ouvrage Les profiteurs de l'Etat (Plon édit., 2000).

La mentalité de rentier est cultivée jusqu’aux plus hauts niveaux de l’État, employeur traditionnel de ces hauts-diplômés. Et c’est ainsi que, lors de changements politiques, on va trouver des points de chute "honorables" à des anciens responsables qui ne sont plus en cours. Les postes d’ambassadeurs sont fort appropriés pour cela. Or, cette pratique de népotisme est aussi un obstacle au fameux ascenseur social car elle est l’expression de la confiscation par un nombre réduit de citoyens de postes clefs de notre société. Au nom de quoi la collectivité serait-elle tenue de récompenser ainsi par une succession de sinécures tel militant ou tel larbin au prétexte qu’il a "bien servi" son patron ? Son patron qui n’était pas autre chose, au fond, que le serviteur de cette même collectivité.

Le Français, donc, est un rentier. Mais comme ce n’est pas bien d’être rentier, nous nous efforçons de donner le change au nom d’un égalitarisme de pacotille. Plus d’un homme politique français est tombé dans ce travers* 

* Je préfère effectivement penser – ou feindre de croire – qu'ils sont tombés dans le panneau par inadvertance plutôt qu'à la suite d'un calcul longuement prémédité.

de sorte qu’il est devenu politiquement correct d’épingler régulièrement chez nous les gens qui "s’enrichissent en dormant". Il y a donc là une profonde incohérence ; si l’on veut vraiment supprimer les rentiers, alors commençons par supprimer les grandes écoles élitistes. Comme quoi, en France, la démagogie a encore de très beaux jours devant elle. Il est en effet plus confortable de feindre d’ignorer que celui qui a fait le choix de vivre de ses rentes a, en général, travaillé dur pour y parvenir – sauf, bien sûr, ceux qui y sont arrivés par des moyens illicites, malhonnêtes ou immoraux comme le vol par exemple.

 

Lorsqu’on se trouve à l’étranger, il faut malheureusement constater que nos compatriotes apparaissent trop souvent comme des donneurs de leçons, parfois jusqu’à l’arrogance. Nos intellectuels ne dérogent pas à cette règle : pour se faire une idée claire concernant ces "intellos" (de Bernard-Henri Lévy à André Glucksmann, en passant par Philippe Sollers, Alain Minc, Philippe Dagen et Nicolas Bourriaud), il convient de lire d’urgence le livre d'Elisabeth Lévy, "Les Maîtres censeurs" (Lattès édit., Paris, 2002) qui les étrille copieusement. Cet auteur montre comment le débat intellectuel, conçu au départ comme un simple débat d'idées, a été confisqué par des rhéteurs – certes brillants – qui n’ont eu de cesse de le mettre au service de l'invective et de l'amalgame. Renvoyant dans les ténèbres tous ceux qui ne pensaient pas comme eux, ils ont investi la scène médiatique, réduisant la vie intellectuelle française à une "mascarade sans substance". Véritables gourous de la pensée unique, maîtres en certitudes, imposteurs intellectuels, ils en sont arrivés à bannir les vraies questions, à stigmatiser le doute et à criminaliser le trouble.

 
 

PARIS

Hors Paris, point de salut !

Et pourtant, Paris ce n'est pas la France. A tel point que l'historien Emmanuel Le Roy Ladurie rappelle que c'est à Marseille, vers 1580, dans des manifestations contre la Ligue favorable à l'Espagne, que l'on a crié pour la première fois : "Vive la France !".
 
 

LE SYSTÈME "D"

Parmi tous nos sports nationaux, il en est un qui occupe largement le devant de la scène à tel point que même les étrangers l’ont remarqué : le système "D" ; "D" comme débrouille. L'esprit d'adaptation de nos concitoyens a trouvé là un terrain d'élection où la créativité le dispute à la roublardise et à la méfiance envers l'autorité :

 

La preuve que le système "D" est, chez nous, institutionnalisé est que les pouvoirs publics semblent en prendre acte quand ils ne le reconnaissent pas explicitement. J'ai appris avec ravissement qu'existent chez nous :

 

Voici qui prouve – une fois de plus – que les peuples ont les lois – et, accessoirement, le gouvernement – qu'ils méritent.
 
 

LA LANGUE FRANÇAISE

La langue française est un monument, et comme beaucoup d'entre eux, en péril.

Le français est une langue pour diplomates parce qu'il permet, tout à la fois, d'exprimer les choses clairement et de rester en dehors de la question... (Christian Wilster, poète danois, en 1827, au sujet de la meilleure manière d'utiliser les langues).

Monsieur de La Palisse aurait dit qu'une langue vivante doit évoluer sinon c'est une langue morte. Cette évolution s'est toujours faite en empruntant des mots à d'autres langues. C'est ce que fait, en permanence, l'américain qui n'a vraiment rien d'une langue morte. Même l'anglais est obligé de suivre, ce qui n'est pas peu dire quand on songe au conservatisme de nos amis britanniques.

Le recul du français à travers le monde s'explique en partie par l'image vieillotte associée par les étrangers à notre – pourtant belle – langue nationale. La faute en incombe en grande partie à notre intelligentsia et à toutes les instances qu'elle a jugé utile de mettre en place : depuis le Haut Comité de Défense de la Langue Française (créé en 1966) jusqu'à l'Institut National de la Langue Française en passant par le Haut Conseil de la Francophonie, le Conseil Supérieur de la Langue Française, la Délégation Générale à la Langue Française, sans oublier le Secrétariat d'État à la Francophonie et, visées planétaires obligent, l'Organisation Internationale de la Francophonie, en déficit financier chronique (c'est le royaume du gaspi... mais on a pris l'engagement de résorber la dette dès 2007 – celle-ci a atteint 10 millions d'euros en 2006). Francophonie, franco-folie ? Tout le monde est un peu coupable mais l'Académie française (créée en 1634) un peu plus que les autres. L'Académie qui, au lieu d'accepter libéralement des mots étrangers (principalement anglo-saxons) mène un combat d'arrière-garde en s'efforçant, chaque fois qu'un nouveau mot étranger est phagocyté par le peuple, de créer de toutes pièces un équivalent français qui aura le mérite de fleurer bon le terroir de chez nous. Cette attitude des 40 membres de l'Académie est éminemment élitiste : il ne saurait être question de laisser le bon peuple abâtardir notre noble langue en y introduisant des mots puisés dans des idiomes barbares ou roturiers. A bas la spontanéité et vive le pilotage par un quarteron de notables dont la compétence n'a d'égales que la dignité et – accessoirement, très accessoirement – la responsabilité.

A titre d'exemple, je ne pense pas que les usagers aient gagné beaucoup lorsque l'on a remplacé les software (voire les softs) par les logiciels. Par bonheur, les choses allant de plus en plus vite, l'Académie n'arrive plus à suivre et l'usage sanctionne chaque année l'introduction de nouveaux mots dans le langage courant, introduction courageusement reconnue par le petit Larousse.

Il semble donc que la situation soit enfin en train d'évoluer dans le sens de la raison. Le français échappera, peut-être, au triste statut de langue morte réservée à l'usage d'une petite caste religieuse. Mais wait and see, inch'Allah.
 
 

L'ORTOGRAFE

Les sociétés ont besoin de conventions que leurs individus se doivent de respecter un minimum faute de quoi la vie en commun, la communication, etc. deviendraient rapidement invivables. L'élaboration progressive de l'orthographe qui a figé la représentation graphique des mots constituant les langues humaines peut s'expliquer de cette façon. Mais les différentes langues ont résolu ce problème de manière inégalement heureuse.

Je ne parlerai pas des langues qui s'écrivent à l'aide d'idéogrammes tant est grande mon ignorance en cette matière. Les autres, celles qui utilisent des caractères alphabétiques, offrent des singularités intéressantes.

L'espagnol ou l'italien s'écrivent – à peu près – comme ils se prononcent. Seul le doublement des consonnes arrive à donner du fil à retordre aux écoliers italiens.

Le français est déjà plus compliqué et tout le monde connaît la différence entre un seau, un sceau, un saut et un sot. On comprend qu'il puisse être utile de distinguer par l'écrit les différentes sens possibles d'un son articulé. Mais écrire chariot et charrette faut pas charrier, alors que ces deux mots dérivent, au fond, du même verbe. Ou encore comment justifier (je sais !) que tous les verbes finissant en -é(.)er (comme -ébrer, -écer, -écher, etc. etc.) soient un peu bizarres. Ainsi, le verbe céder donne je cède et je céderai... quel que soit l'accent de celui qui le conjugue. De même, combien de gens en France prononçaient bien "événement" de la manière dont il fallait écrire ce mot jusqu'à hier ? (mais "évènement" est aujourd'hui accepté). Ou encore, comment prononce-t-on le mot "allégement" ? Alors, pourquoi "réglementaire" et "règlement" ? Pourquoi un trait d'union à "au-delà" et pas à "en deçà" ? Pourquoi sous-estimer et surestimer ? Pourquoi écrit-on "un trafiquant" alors que l'on écrit "un fabricant" ? Pourquoi interpeller et renouveler ?

Le lecteur qui, malgré ce qui précède, continuerait à penser que le sujet de l'ortografe est futile devrait vite regarder les résultats récents de recherches internationales effectuées sur la dyslexie : plus une langue est complexe, plus elle comporte de pièges pour ceux qui sont atteints par cette handicapante maladie. Pour illustrer la complexité orthographique des langues précisons ceci : l'anglais disposerait de 1120 graphèmes (façons différentes d'écrire) pour écrire ses 40 phonèmes ; le français compte 190 graphèmes pour ses 35 phonèmes ; l'italien (langue orthographiquement très simple) n'a que 33 graphèmes pour ses 25 phonèmes. Le ministère français de l'éducation nationale ne reconnaît officiellement la dyslexie comme une maladie que depuis le 21 mars 2001 (date à laquelle des mesures ont été annoncées pour faciliter la scolarisation de cette catégorie de malades).

Je sé bien ka travert (sic) l'ortografe cé toute l'istoire d'une langue ki parle mé ne pouré ton pa élagué un brin é sinplifié un peu ?

Quant à l'anglais il est donc encore plus compliqué que le français. "Night" et "light" se prononcent comme "write". Ce qui autorise les Américains (il est vrai qu'ils sont très portés sur l'innovation) à écrire facilement "nite" et "lite". Quant au lecteur amoureux de la langue de Shakespeare, qu'il se divertisse à bien prononcer du premier coup et sans aucune hésitation : "enough, though, through, plough, cough, hough, hiccough" et "tough". Good luck!
 
 

LES JARGONS SPÉCIALISÉS

"Une refondation interdisciplinaire et un déplacement corollaire des paradigmes et des méthodologies s'impose. Personne ne se cache qu'ils seront difficiles". A propos de la compréhension du chômage, auteur anonyme, Le Journal du CNRS, n°45, septembre 1993, p.6.

Jacques Lacan, personnage surréaliste et pape de la phénoménologie structuraliste, ne pouvait pas faire moins qu'être hermétique dans ses écrits.

"Les réflexions menées dans le cadre [de ce club] se placeront dans le cadre de la modélisation constructiviste des systèmes complexes, jugé plus pertinente, ici, que l'approche traditionnelle de la modélisation analytiques (sic) des systèmes compliqués." (Les italiques sont dans le texte originel ; le pluriel abusif aussi). A propos du fonctionnement du club "Génie décisionnel", anonyme, supplément au numéro 12 de la Lettre des clubs CRIN (octobre 1993), association ECRIN.

Giovanni Gentile était le tenant d'un "idéalisme actualiste qui tend vers le subjectivisme". Perle trouvée par le journaliste Jean-Pierre Dufreigne, L'Express, n°2238, p.70, 26 mai 1994.
 
 

LE GOÛT DES MÉDAILLES

Le Français aime les décorations. Il n'est dépassé en cela que par les hauts dignitaires de l'ex-armée soviétique. Mais ces derniers avaient pourtant des circonstances atténuantes : leurs breloques pouvaient toujours servir de gilet pare-balles.
 
 

VOUVOIEMENT ET TUTOIEMENT

Dans les pays anglo-saxons, lorsque l'on rencontre quelqu'un pour la première fois, on lui dit "you". Trente ans après, c'est toujours "you" même si entre-temps on est devenus inséparables. Un jeune dira "you" à un étranger qui pourrait être son arrière grand-père et inversement. Et un deuxième classe dira "you" à son colonel. On dit également "you" à son pire ennemi.

Dans certains pays latins la situation est a priori plus compliquée car en plus du "vous" et du "tu", il y a la troisième personne de politesse ; on dit par exemple : "votre seigneurie veut-elle ?". C'est le "Usted" espagnol ou le "Lei" italien. C'est le plus souvent cette forme que l'on utilisait (et qui est encore utilisée) la première fois que l'on rencontrait quelqu'un. Mais, de plus en plus – y compris dans le milieu des affaires – le "tu" tend à supplanter d'emblée cette forme d'une autre époque. La raison en est que, dans un monde où les brassages sont de plus en plus importants et rapides, il importe de se simplifier la vie au maximum et d'aller vite à l'essentiel. Le maintien artificiel de barrières entre les gens grâce à des formules de politesse surannées n'a plus beaucoup de raisons d'être. Ces barrières constituent même un frein au bon fonctionnement d'une société moderne dans laquelle l'effacement des castes sera une étape obligée si l'on croit à un quelconque progrès de l'humanité.

En France, il est parfois (heureusement pas toujours et espérons-le, de moins en moins) difficile de franchir la barrière psycholinguistique constituée par le "vous" pour passer au "tu". Il faut avouer que le "vous" constitue une barrière, voire une défense bien commode qui permet de perpétuer certaines rigidités sociales et les modes de domination : la distance entre un chef et ses subalternes, entre l'aristocratie et le peuple ou encore la séparation entre les générations. Signe que les choses changent, on notera avec délectation qu’en juin 1997, au tout début de leur cohabitation, Chirac a même proposé à Jospin, son nouveau premier ministre, de l’appeler par son prénom, voire de le tutoyer, à la stupeur dit-on de ce dernier. Stupeur peut-être due à un fond de rigueur protestante ? Curieux pourtant, pour un ancien trotskiste…

Un des cas les plus pervers que l’on puisse rencontrer étant constitué par celui qui, après avoir évalué la position hiérarchique de ses interlocuteurs par rapport à la sienne, cherchera ostensiblement le tutoiement avec ceux qu'il considère comme ses pairs ou ses supérieurs (et de façon générale ceux qui pourraient toujours lui être utiles) et maintiendra le vouvoiement avec les autres (ceux qu'il considère comme ses inférieurs). Quant à ceux pouvant être pour lui une menace, il pourra les tutoyer ou les vouvoyer selon sa stratégie à leur égard et ses intérêts.
 
 

LES TABOUS

Toute société a des tabous et chaque société a ses tabous. Quant aux hommes, ils en ont aussi et chacun est différent de son voisin. Les tabous changent au fil du temps.

En France, on n'aime pas dévoiler ses revenus. Les Anglais n'aiment pas trop le contact physique (sauf au rugby). Les Américains n'apprécient pas lorsque l'on attente à leur liberté individuelle.
 
 

LA SOCIOLINGUISTIQUE

En France, on dit "prendre le risque". Aux Etats-Unis, on dit "to take a chance".

En France, on dit "j'ai le plaisir de vous présenter Monsieur Machin". Aux Etats-Unis, on dira volontiers "it's my priviledge to introduce Mister Someone".
 
 

LA PSYCHOLINGUISTIQUE

T'es toi quand tu parles (titre d'un livre de Jacques Salomé, psychosociologue, Albin Michel éd. Le même auteur a écrit "Heureux qui communique"). Le manque de communication entraîne la violence : le silence des mots aiguise la violence des maux.

"Les mots exercent sur nous une véritable tyrannie, jusqu'à faire de nous des victimes ignorantes de notre cervelle vide"*

* Le Vatican mis à nu, ouvrage signé par le "groupe Les Millénaires", probablement un collectif de hauts prélats de la curie (le gouvernement de l'Église) et dont l'une des têtes de file serait Mgr Luigi Marinelli, Robert Laffont édit., Paris, 2000 (traduit d'un ouvrage en italien ; malheureusement, la traduction n'est pas aussi bonne qu'elle aurait pu être), p.119. Quand on connaît la grande inclination que les gens d'Église ont toujours eue pour le verbe...

Bacon ne s'y était pas trompé : "Les hommes croient que leur esprit domine la langue ; en vérité, il se trouve que c'est la langue qui domine leur esprit."
 
 

LES JEUX DE MOTS

La langue française se prête merveilleusement aux jeux de mots de toute nature ; il en existe de bons et de mauvais. Mon but n'étant ni de constituer une anthologie, ni d'abuser de la patience du lecteur, je me contenterai d'en citer quelques-uns qui ne me laissent pas indifférent.

En France, il y a trop d'Etat. A commencer par l'état des entreprises qui est mauvais, celui des administrations qui n'a rien à lui envier et les tas d'ordures partout.

Le bonheur des citoyens est une des missions (ou démission) des hommes politiques.

Le code civil est un jeu de lois.

L'un des rares hommes politiques que la Grande-Bretagne ait connu depuis longtemps a été Margaret Thatcher.

C'est en tirant que je me sens le mieux (Buffalo Bill).
C'est en tyran que je me sens le mieux (tous les dictateurs).

Le coup de pied de l'âne : rira bien qui ruera le dernier.
 
 

LE PÉJORATIF

Pourquoi diable faut-il que certains mots ou expressions soient péjoratifs ? Ainsi, il est malvenu d'être – ou simplement d'apparaître –, selon le lieu, les circonstances ou l'époque : intégriste, fasciste, communiste, croyant, impie, populiste, noir, juif, riche, vaudois, libéral, marxiste, rentier, chômeur, clochard, naïf, crédule, angélique, protectionniste, corporatiste, fataliste, pessimiste, idéaliste, manichéen. Chacun de ces mots peut même être utilisé comme une injure dans certaines circonstances ou selon le contexte. Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà, a-t-on dit à une certaine époque. Rien n'a changé depuis. L'Autre a toujours tort ; c'est lui qui est dans l'erreur, pas moi ; ce sont ses croyances qui sont erronées, déplacées ou mauvaises, pas les miennes ; moi, je ne peux pas me tromper. Je vais donc m'efforcer de dévaloriser les croyances de l'Autre, tourner ce qu'il dit en dérision, le faire entrer dans une catégorie qui n'attire pas spontanément la sympathie des tiers que je vais m'empresser de prendre à témoins. Par la même occasion, mon ego s'en trouvera conforté et flatté, donc valorisé.
 
 

L'OPTIMISME

Le plus grand triomphe de la vie n'est pas de ne jamais tomber, mais de se relever à chaque fois (Nelson Mandela).

L'humanité ne produit des optimistes que lorsqu'elle a cessé de produire des heureux (Gilbert K. Chesterton).

Il y a de quoi être très optimiste quant à l'avenir du pessimisme (Jean Rostand).

Il y a encore peu de temps, il ne faisait pas bon être pessimiste. A en croire la presse, tout allait bien malgré de très nombreux indices qui auraient pu laisser croire le contraire. Les hommes politiques étaient plus partagés : pour ceux au pouvoir, tout allait bien ; pour ceux de l'opposition, tout n'était pas si rose. Voici un échange entre un pessimiste et un optimiste auquel on aurait très bien pu assister :

- La délinquence et la criminalité augmentent.
- On fait dire aux chiffres ce que l'on veut.
- Il y a de plus en plus de conflits à travers le monde.
- Il y a toujours eu des guerres.
- Le sida est une véritable calamité.
- Ne vous inquiétez pas trop, le vaccin ne va pas tarder ; l’Institut Pasteur y travaille.
- Les ressources de notre planète sont limitées.
- Vous plaisantez, le prix du pétrole vient encore de baisser.
- Et le trou dans la couche d'ozone ?
- Les experts ne sont même pas d'accord entre eux (ça c'est vrai) ; laissez-les donc se battre ; on verra après.
- Il y a de plus en plus de chômeurs.
- La majorité d'entre eux ne veulent pas travailler.
- Et la faim dans le monde ?
- Ils la cherchent. Au lieu d'acheter des armes, ils feraient mieux d'acheter de la nourriture.
- Et l'explosion démographique dans le tiers monde ?
- Il suffit d'attendre. C'est la famine et le sida qui régleront le problème.

 

Pour terminer – mais peut-on réellement en finir avec un tel sujet ? – je ne puis m'empêcher de citer Alain Minc : "Le pessimisme est une hygiène pour l'action." Je ne suis pas loin d'être tout à fait d'accord avec lui (sur ce point ; ce qui ne signifie pas que je le sois sur d’autres).
 
 

L'EMPLOI DU PRÉNOM

Aux États-Unis, l'emploi du prénom est une règle quasiment intangible, y compris dans les relations professionnelles.

En France, l'emploi du prénom répond à deux logiques distinctes selon que l'on se place dans un cercle d'amis ou dans des relations de nature professionnelle. Entre amis, l'utilisation du prénom est une chose normale et personne n'y trouvera rien à redire. Mais dans les relations professionnelles, le prénom peut constituer une arme aussi bien défensive qu'offensive.

Comme exemple on peut citer le cas du patron qui appelle sa secrétaire ou ses collaborateurs par leur prénom mais qui tiendra à ce qu'on l'appelle Monsieur en retour. Et même Monsieur tout court dans la mesure où Monsieur Untel pourrait apparaître comme un peu trop familier.
 
 

LA PATRIE

Mon pays est supérieur à tous les autres parce que j'y suis né (d'après G. Bernard Shaw).

La violence des mots entraîne les maux de la violence. [voir ici un développement par le linguiste Alain Bentolila]

Une nation peut se définir comme une société ayant une même conception, fausse, de ses ancêtres et cultivant une même haine pour ses voisins.

Je suis de l'avis de Thierry Wolton (La Fin des nations, Plon édit., 2002) qui pense que le concept d'Etat-nation est désormais plus néfaste qu'autre chose. C'est une forme d'organisation qui aura eu son utilité pendant deux siècles mais qui ne correspond plus à l'ordonnancement du monde moderne ; à ce monde nouveau il faut une science politique renouvelée.
 
 

LES ÉTATS-UNIS

Ah ! l'Amérique.

Les États-Unis sont un pays passé directement de la barbarie à la décadence sans avoir jamais connu la civilisation (Albert Einstein).

Et pourtant ! Tout ne saurait être mauvais dans un pays qui permet à un ancien acteur de cinéma de devenir président, ou qui force son président à démissionner si celui-ci le déçoit.

Dans le reste de ce chapitre, je ne dirai plus "les États-Unis" mais "les USA" ou même "les US" ; c'est plus rapide même si c'est moins français. Il se trouve que j'ai eu la chance de vivre aux USA pendant trois ans, de 1979 à 1982. C'était à Houston, Texas, et l'expérience fut pour ma famille et pour moi très enrichissante. Je me sens donc un peu autorisé à parler des US même si parler d'un tel pays n'est pas chose facile.

On ne peut pas comprendre les USA tant que l'on n'a pas parcouru ses vastes espaces. L'impression quasi constante de se trouver dans un monde dont on ne voit pas les limites, la sensation d'être sur une terre vierge dont on n'a pas fait le tour des possibilités, mais que l'on pressent immenses, a le don de débrider l'imagination. La relation qui s'établit entre un individu et l'espace qui l'entoure influe certainement sur la manière dont cet individu appréhende la vie et l'univers. Le fait de rouler longtemps sans croiser personne, de ne voir aucune trace tangible de présence humaine hors de l'étroite bande de route que l'on suit, créent le besoin de rencontrer l'autre et l'on est heureux, lorsque l'on rencontre d'autres êtres humains, de pouvoir leur parler. On est alors avec eux en pleine sympathie, au sens étymologique du terme. Malgré la modernité, les Américains ont su préserver, sauf peut-être dans quelques grandes mégalopoles déshumanisées de l'Est, ce besoin de l'autre, ce sens de l'hospitalité, de l'entraide qui remontent au temps des pionniers de la marche vers l'Ouest.

Parler des US est difficile pour une autre raison : on a un peu trop tendance à oublier qu'il s'agit des "États", et plus loin, un autre mot : "Unis". Le Français, ou même l'Européen, qui n'a jamais franchi l'Atlantique, n'imagine pas les différences qui peuvent exister entre les différents états, comtés (qui ne sont d'ailleurs pas appelés comtés dans certains coins de Louisiane mais parishes c’est-à-dire paroisses !) ou villes américaines. On a l'impression d'un véritable kaléidoscope de façons de vivre, d'ouverture d'esprit ou de préjugés, de mœurs et même d'accents. A propos d'accents, sait-on toujours qu'un Texan a quelquefois du mal à comprendre un Bostonien quand il parle ? Quant à l'inverse, c'est encore plus vrai ! Pour le simple citoyen, si la préoccupation principale a l'air d'être constamment : "comment faire de l'argent ?" l'importance qu'il semble accorder aux choses et aux lieux est inversement proportionnelle à la distance qui l'en sépare. Ainsi, sa maison est plus importante que sa ville, sa ville plus que le comté. Son comté l'est plus que l'État dans lequel il vit et son État plus que les États-Unis. Certes, les US sont sa patrie et d'ailleurs que de sang les boys n'ont-ils pas versé à travers le monde, y compris pour nous aider, nous Européens, mais le gouvernement (sous-entendu fédéral) est quelque chose dont on a toujours intérêt à se méfier un peu car la seule chose qu'il sache bien faire est de dépenser l'argent du contribuable.

Après les grands espaces et les particularismes locaux, ce qui m'a frappé aux US, c'est l'extrême gentillesse des gens et la facilité avec laquelle on peut établir des relations avec les autres. Houston comptait alors 3 millions d'habitants et était la quatrième ville des USA. Pourtant, en rencontrant des inconnus sur les trottoirs des rues du centre ville (ce qui arrivait assez souvent, comme on peut l'imaginer) et que nos regards se croisaient, le minimum était un sourire lorsqu'il n'était pas accompagné d'un "Hi !" sonore, l'exclamation habituelle de salut. Il est vrai que de telles surprises sont beaucoup moins fréquentes à New York.

Enfin, aux US, j'ai été constamment impressionné par le fait que chacun fait son travail et uniquement son travail. L'une des phrases que l'on entend très souvent est : "ceci n'est pas mon travail" sous-entendu "je n'ai donc pas à le faire ; il est donc inutile que vous me demandiez de le faire". En contrepartie, il est vrai que j'ai souvent été surpris par le faible niveau de qualification des gens que j'ai pu rencontrer.

Il se trouve que j'étais à Houston comme attaché culturel et scientifique, dépendant du ministère des Affaires étrangères, avec un passeport diplomatique, donc avec un statut de privilégié. En effet, par rapport à ce que je gagnais en France avant de partir, mon salaire avait été multiplié (en incluant toutes les primes) par 2,7 (la vie est chère aux US). Mais le véritable privilège n'était pas sur le plan pécuniaire, il consistait à se trouver dans une position d'observation idéale. J'ai pu me rendre compte que si l'image de la France était excellente au Texas (le Texas a été une république indépendante entre 1836 et 1845, et reconnue par notre pays qui y entretenait à Austin une représentation diplomatique, une légation), on ne pouvait pas toujours en dire autant des Français. Il était souvent reproché à nos compatriotes de rester un peu trop sur leur quant-à-soi. On (des amis sans doute, qui n'hésitaient pas à utiliser la flagornerie) disait à ma femme et moi que nous étions les meilleurs représentants que la France ait eus depuis longtemps (si l'on sé souvient dé més orizines, on persévra touté l'ironie dé la soze). En tant qu'attaché culturel, je devais exercer une tutelle discrète sur l'école française de Houston. Cet établissement était en fait une école privée américaine (the Awty school, du nom de ses fondateurs, Mr et Mme Awty, couple adorable et d'un certain âge que j'ai bien connu) avec laquelle la Mission Laïque Française avait passé des accords pour notamment la constitution d'une section bilingue (dont les effectifs passèrent de quarante à plus d'une centaine de 1979 à 1982). On trouvait dans cette section une majorité d'enfants d'expatriés (leurs parents travaillaient souvent pour de grands groupes internationaux liés au pétrole et bénéficiaient d'avantages pécuniaires autrement plus juteux que les miens), des enfants algériens (dont les parents dépendaient de la Sonatrach – l’office national algérien du pétrole) et quelques enfants texans dont les parents estimaient qu'une double culture française et américaine serait un avantage pour leurs héritiers. Les familles étaient en général aisées ou très aisées, capables en tous cas d'acquitter des frais de scolarité qui allaient de 2600 à plus de 3000 dollars par enfant et par an. Qu'il me soit permis, ici, de caricaturer. Participant aux réunions de parents d'élèves, j'ai toujours été étonné par le fait que l'ordre du jour américain comportait de très nombreux points touchant le plus souvent à l’organisation : inondation, cadenas des vestiaires, accident survenu à tel élève, etc. ; l'ordre du jour des Français était en revanche très bref : la liberté dans l'école par exemple. Ce qui donnait évidemment lieu à des discussions sans fin et de vives empoignades sur la pédagogie, le salut au drapeau américain, Dieu, la constitution et j'en oublie sans doute. Là où les parents américains avaient fini en une heure, les Français mettaient le double de temps et rien n’était réglé. Fin de caricature. J'ai omis de dire que tous les matins nos chérubins (incluant ma fille Christine née en 1973) devaient dire la prière et saluer le drapeau américain, la main droite sur le cœur. Cela ne m'avait jamais choqué car j'ai toujours pensé que cela remplaçait en quelque sorte les leçons de morale ou d'instruction civique de mon enfance mais cela choquait le gros des parents français qui apparaissaient donc aux yeux des Texans comme des impies (ce qui n'est pas grave) ou comme des râleurs invétérés (ce qui est moins bien pour notre image de marque). Or, la prière (de style protestant – baptiste du sud pour la précision) et le salut au drapeau ne choquaient pas les Algériens. Essayant de comprendre, je posai la question au père de deux d'entre eux. Il me répondit à peu près : "de toutes façons c'est le même Dieu et le reste est bon pour la discipline et la vie en communauté. Ça enseigne en outre aux enfants qu'il y a d'autres valeurs et d’autres repères que ceux qu'ils connaissent à la maison". Merveilleuse tolérance.

Un dernier mot sur les enfants. Nous avons constaté maintes fois que les jeunes enfants américains sont souvent de véritables petites pestes mais qu'à partir de l'adolescence, ils commencent à se socialiser et à se responsabiliser. Ils apprennent très tôt la valeur de l'argent et cherchent à en gagner. Ma fille a gagné son premier argent de poche (elle n'avait pas 9 ans) en récupérant des conteneurs de boissons en aluminium qu'elle revendait 25 cents la livre. En même temps ça contribuait à nettoyer l'environnement et ça empêchait les poubelles de trop déborder. D'autres enfants (adolescents cette fois) travaillent dans des supérettes où ils aident les clients à empaqueter leurs achats et à les porter jusqu'à leur voiture. Les jeunes peuvent se faire de l'argent de poche très facilement alors que chez nous un certain nombre de textes ont été mis en place pour éviter l'exploitation des enfants – ce qui est une louable intention ! – mais qui ont l'inconvénient d'empêcher un enfant de travailler un peu s'il le souhaite et s'il en a les capacités.

Les Français ont beaucoup d'idées préconçues sur les Américains. Ces derniers seraient des cowboys ; ce n'est pas moi qui, ayant vécu au Texas, les contredirai sur ce point mais je voudrais faire remarquer que "cowboy" ne me paraît pas être plus insultant qu'autre chose. En effet, le cowboy tient à sa liberté comme à la prunelle de ses yeux. Certes, le cowboy est inculte mais la culture est une valeur toute relative ; que restera-t-il de la nôtre dans 100 ou 200 ans ? Autre critique : les Américains placeraient l'argent au-dessus de toute autre chose. D'abord, je n'en suis pas si sûr. Ensuite c'est vrai qu'ils en parlent plus que nous mais simplement parce qu'ils n'y attachent pas de tabous. L'argent n'est qu'une valeur d'échange représentant du travail humain et du profit. Personnellement, je ne suis pas choqué par cela. Il est vrai que faire de l'argent aux US est facile : il suffit de bosser. Or, pour bosser, il faut avoir la santé. Autrement dit : pour (bien) vivre aux US, il faut une bonne santé et l'on est sûr de bien s'en sortir, à condition d'avoir envie de travailler. Malheur, en revanche, à celui qui est malade s’il n’a pas une bonne assurance et pas d'argent de côté. C'est ainsi que 35 millions d'Américains n'ont pas une protection sociale suffisante ou pas de protection sociale du tout. Sur ce point, nous avons de la chance ; notre système de protection sociale est l'un des meilleurs du monde mais restons vigilants car il suffirait de peu pour le mettre en pièces.

Aux US, on peut perdre son boulot du jour au lendemain. C'est très souvent vrai (bien qu'il puisse y avoir des disparités considérables d'un État à l'autre) mais le voisin (même s'il s'agit de celui qui loge à la Maison Blanche !) peut perdre le sien aussi facilement. Il m'a été donné de voir – et je considère cela comme un privilège – une université américaine (de deuxième ordre qui plus est) renvoyer un prix Nobel. Archer John P. Martin, l’un des deux co-inventeurs de la chromatographie, prix Nobel 1952, a été viré de l'université de Houston en 1981. Une telle chose est impensable en France. J'ai vu aussi un professeur renommé, employé par une université prestigieuse de l'Est partir s'enterrer dans une université du Colorado pour sentir un peu moins de pression sur son dos et pour mettre à profit le temps ainsi dégagé pour écrire un livre qui deviendra un ouvrage de référence. Le marché du travail aux US ressemble donc à un gigantesque jeu de chaises musicales qui aurait pour fonction de placer la bonne personne au bon endroit et au meilleur moment. Mais ces placements (et les déplacements qui vont avec) ne se font pas tout seuls. Il y a des gens qui décident. Ce sont ce que l'on nomme les managers ; et il y en a à tous les niveaux. Comme l'erreur est humaine, tout manager prend parfois des décisions qui ne sont pas les bonnes et un bon manager est alors quelqu'un qui prend plus de bonnes décisions que de mauvaises. Un mauvais manager est quelqu'un qui fait l'inverse. C'est aussi quelqu'un qui ne reste pas longtemps en place : il est viré lorsqu'il ne donne plus satisfaction. Attention ! Ceci ne signifie nullement qu'il soit mauvais ; il ne le vivra pas forcément comme un échec personnel et d'ailleurs, il partira souvent avant qu'on ne le vire. La signification de la chose est simplement qu'il n'est pas adapté au job qu'on lui a donné (ou l'inverse), bref, qu'il ne fait pas l'affaire. On va donc s'en séparer, ce qui ne posera aucun problème puisque l'intéressé pourra chercher un job mieux adapté à sa personnalité, à ses goûts et à son savoir-faire. Quant à celui qui l'a viré, il lui arrivera la même chose le jour où, à son tour, il ne fera plus l'affaire. Et ainsi de suite jusqu'à ce que chacun trouve le travail pour lequel il est fait. Dans un tel système, tout le monde a des comptes à rendre à quelqu'un. Jusqu'aux présidents de ceci ou de cela qui ont aussi des comptes à rendre aux gens qui les ont élus, de même, d'ailleurs, que les hommes ou les femmes politiques. C'est, à mon sens, ce qui s'apparente le plus à la véritable démocratie. Le fonctionnement de l'ensemble est rendu encore plus transparent grâce au rôle joué par la presse. Les journalistes ne sont pas là pour juger mais pour raconter ce qu'ils ont vu ou ce qu'on leur a dit (en citant leurs sources, cela va de soi).

Les Français disent souvent qu'aux US, le rôle des lobbies est excessif. C'est possible mais il faudrait avoir la lucidité de remarquer que les lobbies sont déjà à l'œuvre chez nous et que nous refusons de regarder ces choses-là en face. Je ne vois d’ailleurs pas, personnellement, ce qui distingue (et ceci me semble vrai à travers le monde) un parti politique d'un lobby*.

* Les professionnels français du lobbying, voulant s'inspirer du modèle québécois, expliquent leur volonté de moderniser et démythifier leur métier. Cf. l’ouvrage Influencer la démocratie, démocratiser l'influence, Chiron éditeur, 2005.

Un dernier point d’importance : le rôle des "sociétés secrètes" n’est pas négligeable aux US. À ceux qui seraient un peu énervés par cette affirmation, je ferai remarquer que George W. Bush (républicain) aussi bien que son adversaire John F. Kerry (démocrate) appartiennent à l’une de ces sociétés (ou fraternités), la plus influente peut-être des Etats-Unis, Skull and Bones (Crâne et os). Pour la petite histoire, ce "club" d’environ 800 membres regroupe certains des plus importants décideurs américains (tous domaines confondus) issus de la prestigieuse université de Yale, a l’habitude de tenir ses réunions dans un édifice appelé The Tomb (La Tombe). L’expression "être muet comme une tombe" prend ici tout son sens !

En conclusion, tout est loin d’être parfait aux États-Unis. La justice y est extrêmement procédurière, parfois expéditive et souvent brutale. Le pays est dur pour celui qui n’adhère pas au culte du dieu dollar et le système n’a pas beaucoup de pitié pour ceux qui n’ont pas de chance. Excès d’un pays de création somme toute assez récente, qui possède une culture fruste, encore en train de s’élaborer sous nos yeux, et qui paie en quelque sorte le fait d’être resté longtemps – jusqu’à l’orée du XXe siècle – dans un isolement qui fut certainement loin d’être splendide. Son modèle de développement est certainement peu exportable : c’est l’unique pays de la planète a avoir réussi à s’industrialiser grâce à son seul marché intérieur.

Quelques autres commentaires et anecdotes personnelles sur les Etats-Unis.
 
 

LE MATCH FRANCE-USA

La comparaison entre la France et les États-Unis n'a aucun sens car il s'agit de deux civilisations différentes.
 
 

LE MATCH FRANCE-JAPON

C'est une comparaison qui a encore moins de sens qu'avec les États-Unis car le Japon n'est pas une autre civilisation, c'est une autre planète.
 
 

LE MERCANTILISME DU MONDE MODERNE

Tout s'achète et tout se vend.

Chaque homme a son prix.

Dans le titre de ce chapitre, le mot "moderne" est de trop. En effet, depuis que le monde est monde, l'homme a attaché du prix à pratiquement toutes les choses de son environnement y compris les animaux et ses propres congénères. "Attaché du prix" signifie que l'homme a convoité (et continue de convoiter) certaines choses auxquelles il a fixé un prix qu'il est prêt à payer afin de se les approprier.
 
 

L'ARGENT

L'argent ne fait pas le bonheur mais il y contribue.

Il n'y a pas que l'argent dans la vie ; il y a aussi l'or et les diamants.

Donnez moi le contrôle sur la monnaie d'une nation, et je n'aurai pas à me soucier de ceux qui font ses lois. (Mayer Amshel Rothschild, 1743-1812).

L’histoire de l’humanité peut être décomposée en plusieurs grandes phases successives, par exemple l’âge de pierre et l’âge des métaux. L’âge des métaux, à son tour, est constitué par l’âge du bronze, l’âge du fer et l’âge de l’argent, période dans laquelle nous sommes actuellement. Et rien ne nous dit que ce sera un âge d'or.

Je n'en dirai pas plus. Comme tout bon Français, j'ai un problème relativement à l'argent : j'ai honte d'en parler. Car comment expliquer que l'argent soit propre lorsqu'il est dans ma poche et sale dans celle de mon voisin ?
 
 

CONSOMMATION ET ÉPARGNE

La cigale, ayant chanté tout l'été... (Jean de La Fontaine).

Il est des êtres humains comme des animaux : certains sont plutôt cigales, d'autres plutôt fourmis. L'épargne, autrefois était une vertu. Elle servait à se prémunir contre les années de vaches maigres. Les progrès de l'agriculture nous préservent heureusement de telles calamités, du moins sous nos latitudes. En effet, si l'on voulait généraliser cette dernière affirmation au reste de la planète, il faudrait au préalable aller demander à certaines peuplades du tiers monde (en particulier africaines) ce qu'elles en pensent.

Aujourd'hui, un nombre croissant de nos contemporains a tendance à oublier que l'épargne est une vertu. La preuve qu'elle reste pourtant d'actualité en est que l'épargne est en gros (pour combien de temps ?) plutôt bien rémunérée (voir votre SICAV de trésorerie préférée, même si ça ne paie plus autant qu’avant) et que le fisc essaie régulièrement de promouvoir des formules ad hoc liées souvent à l'épargne-retraite (là aussi, ça eût payé mieux il y a quelque temps).
 
 

L'IMPÔT

Toute société un tant soit peu évoluée a besoin de l'impôt. Pourtant chaque citoyen aura tendance à le considérer comme injuste. L'impôt devient donc quelque chose qu'il faut combattre et ce combat est personnel. La France est particulièrement active à cet égard* 

* Depuis avril 1992 se tient à Paris le salon annuel de la défiscalisation et des économies d'impôt.

mais tenter d'échapper au fisc est un sport aussi vieux que le fisc lui-même. Au 3ème siècle, déjà, des citoyens romains fuyaient pour aller s'installer au-delà du limes (les frontières de l'Empire) afin d'échapper à l'impôt. Aujourd'hui, c'est plus facile ou du moins moins risqué : il suffit de s'installer à l'étranger (une installation physique réelle n'est pas une nécessité absolue mais il faut passer en France moins de 183 jours par an – du moins officiellement, s'entend) et de prendre ainsi un statut fiscal de non résident.

A chacun, donc, de jouer d'astuce pour profiter, dûment ou indûment (c'est plus méritoire dans le second cas !), de certaines mesures. Le nec plus ultra est d'être salarié à l'étranger par une société étrangère basée dans un paradis fiscal ce qui vous permet en France de percevoir le RMI (ou tout autre avantage adéquat). Mais tout le monde ne peut pas jouer d'une telle possibilité. Alors, certains se rabattent sur de vilains expédients dont voici un exemple mesquin : j'achète à vil prix (pourquoi trop dépenser ?) un véhicule automobile de 13 CV fiscaux que je ne bougerai jamais de chez moi mais qui me servira officiellement à me rendre sur le lieu de mon travail, judicieusement placé à 29 Km de mon domicile. Et de déduire les frais réels. J'irai, bien sûr, à mon travail en cyclomoteur ou en patins à roulettes.

Je me suis également laissé dire que le papier à en-tête d'entreprises ayant disparu avait une certaine valeur vénale non négligeable. Vous vous demandez pourquoi ? Je ne répondrai pas mais j’avoue que l’on entre là dans le domaine bien peu recommandable des faux en écritures.

Quoiqu'il en soit, un bon nombre de contribuables tentent leur chance en se disant qu'ils échapperont peut-être à un contrôle fiscal. Ceci, bien souvent, avec raison car les pauvres fonctionnaires du fisc, en nombre insuffisant et complètement débordés, n'ont pas toujours le temps d'effectuer les vérifications qui pourraient s'imposer. La complexification de la déclaration des revenus avec le temps n'est pas faite pour arranger les choses : de 4 pages dans les années soixante-dix, nous sommes passés à 6 pages en 1991 ; la notice qui l'accompagne est passée dans le même temps de 4,5 à 16 pages puis à 23 pages en 2001 ; la fiche de calculs facultatifs de 4 à 8 pages (le lecteur qui voudrait vérifier est prié de noter que, le format des pages ayant changé au cours des années, il convient de faire une petite péréquation ! les nombres de pages donnés précédemment sont exprimés en équivalents-pages A4 abstraction faite des pages de publicité-propagande). Et pour corser le tout, qui pouvait bien réussir à naviguer au milieu des 116 déductions fiscales en tous genres qui existaient encore dans un passé récent ? Les petits futés bien sûr, et ceux bien informés.

Une dernière subtilité : le lecteur amateur de grosses berlines sera ravi d'apprendre que la vignette pour véhicules automobiles de plus de 11 CV fiscaux était encore illégale en 1992 et un certain nombre de citoyens bien informés en ont obtenu le remboursement après une requête motivée auprès de l'autorité compétente. Ceux qui ont osé faire la démarche se sont-ils mis sans le vouloir dans le collimateur des services fiscaux et ont-ils fait l'objet de contrôles plus tatillons les années suivantes ? Je l'ignore mais j'avoue que ce serait très intéressant à savoir.

Nous avons vu plus haut que fiscalité égale paperasse. En voici une nouvelle preuve : En 1995, le CNPF (devenu, depuis, le MEDEF) a dénoncé le fait que les chefs d'entreprise ont 3,60 mètres (on espère qu’il s’agit de mètres linéaires !) d'imprimés à remplir pour payer leur taxe professionnelle.
 
 

L'IMPÔT SUR LE REVENU

Les sociétés évoluées comme la nôtre ont mis au point toute une ribambelle d'impôts, taxes et autres prélèvements fiscaux. Le jour viendra sans doute, si l'on n'y prend garde, où l'on taxera l'oxygène que respire le citoyen. Et encore, le fisc se ferait sans doute un plaisir de taxer la totalité de l'air inspiré, oubliant, en fait, que les autres gaz atmosphériques (en particulier l'azote) ne sont pas utilisés par notre organisme et sont rejetés tels quels.

A mon avis – et ce qui va suivre n'engage que moi – seuls les revenus devraient, dans une société idéale, supporter l'impôt.

Agir différemment est la caractéristique d'un État plus ou moins totalitaire qui entend régenter la manière dont vivent, produisent et consomment les citoyens. Le plus étonnant pour moi est qu'en 1993, sous le gouvernement Balladur (gouvernement de droite sous un président de gauche, Mitterrand), l'idée de diminuer encore l'impôt sur le revenu a fait l'objet d'un consensus (consensus mou peut-être, puisque les forces sociales sont complètement avachies, mais consensus quand même !). En parallèle, puisque l'État a besoin d'argent, il a augmenté les autres formes d'impôt (contribution sociale généralisée, taxes sur les carburants, etc.) pour compenser le manque à gagner*

* Sans parler de la véritable explosion qu'ont connu les impôts locaux.

Ce qu'a confirmé ensuite le gouvernement Juppé (gouvernement de droite sous un président de droite, Chirac, mis en place en 1995) qui n'éprouve aucun état d'âme à augmenter la TVA de 18,6 % à 20,6 % (il a, sans doute, été obligé de se limiter à ce taux car c'est le maximum autorisé par les règles européennes !). L'argument majeur qui préside à de telles aberrations est que les autres formes d'impôt seraient indolores (ou moins douloureuses). Pourtant, cette mesure est diablement perverse :

 

Il faut avouer que la TVA est, pour l’État, une solution de facilité. C’est un impôt qui est beaucoup plus facile à faire rentrer que les autres car le consommateur verse cet impôt directement à son fournisseur, généralement une entreprise, qui le reversera à son tour à l’État. Le fisc n’a pas besoin de recruter des agents supplémentaires. Et voilà comment l’État transforme les entreprises en collecteurs d’impôts auxiliaires. La preuve que la TVA est une solution de facilité est que les Américains, pragmatiques et efficaces comme toujours, n'ont pas de TVA. Ils n'ont qu'une taxe sur les ventes – la Sales Tax – d'ailleurs variable d'un état à l'autre et inférieure à 8 ou 9 % (à noter qu'elle n'était que de 5 % environ à la fin des années quatre-vingt) mais ils discutent de l'opportunité d'en créer une. Les malheureux ! ils feraient bien, avant de décider, de regarder où la TVA nous a conduits, nous, pauvres Européens.

Comment s'en sortir ? Je suggère de revenir aux pratiques qui ont fait leurs preuves : plus tu gagnes, plus tu payes. Et pas de dérogations ou de régimes particuliers. En cas d'évasion fiscale, tous les gains non déclarés devraient être reversés au fisc en intégralité pour le plus grand bien de la collectivité. On me dira que le Français ne voudra jamais d'un tel système. Je rétorquerai : un citoyen ça s'éduque. Il serait grand temps que l'école enseigne ces choses-là aussi à nos petits chérubins faute de quoi ils deviendront plus tard comme nous (ou mieux que nous, ce qui serait encore pire !).*

* Le fait que ces lignes, écrites en 1990-1991, n’étaient pas si idiotes que cela vient de trouver en 2002 un début de confirmation. En effet, le secteur du BTP se porte beaucoup mieux depuis 1999, année où l’on a instauré un taux de TVA allégé à 5,5 % pour les travaux portant sur les rénovations dans le bâtiment. A tel point que les rentrées fiscales supplémentaires occasionnées par l’accroissement de l’activité économique générée par cette bonne santé compensent largement le manque à gagner en TVA ! A tel point que l’on envisage d’étendre cette mesure de diminution du taux de TVA à d’autres secteurs comme la restauration. Il aura fallu plus de 10 ans pour en arriver là ! Dix ans de perdus ! Mais qu’ont donc fichu les fonctionnaires et autres énarques de nos hautes administrations pendant tout ce temps-là ! Cependant, rien n’est encore joué : en effet, l’Union européenne acceptera-t-elle, elle aussi, d’aller vers une diminution de la TVA ? Cf. le principe de subsidiarité.

Car, en guise de conclusion, il reste quand même gênant de constater qu’en France seul un foyer fiscal sur deux paie l’impôt sur le revenu ! De même, il faut savoir que 40 % des Français ne partent jamais en vacances.
 
 

LES LOIS ET LA JUSTICE

La loi est une barrière. Les grands chiens sautent par-dessus, les petits passent en dessous. Seuls les bœufs s'y arrêtent (dicton roumain).

Rien n'est plus contraire au principe d'égalité entre les citoyens que de laisser proliférer un droit si complexe qu'il n'est accessible qu'à une poignée de spécialistes (Françoise Chandernagor, Rapport Annuel du Conseil d'État, 1992).

Le rapport ci-dessus épingle la "logorrhée législative et réglementaire" des gouvernements passés et présents de la France. En 30 ans, le nombre moyen annuel des lois a augmenté de 35 % et celui des décrets de 25 %. En 1950, un texte de loi faisait en moyenne 93 lignes et il dépasse aujourd'hui 220 lignes. Le volume du journal officiel a plus que doublé entre 1976 et 1990, passant de 7070 pages à 17141 ! Le nombre de pages du recueil officiel qui recense chaque année toutes les lois votées est passé de 380 en 1964 à 560 en 1978, puis à 1020 en 1989 et à 1300 en 1999, pour atteindre 1600 en 2004 ! Sans parler du fait qu'une même loi change sans cesse. En 1992, le nombre d'affaires enregistrées dans les tribunaux administratifs a augmenté de 14 % ; quant au nombre de requêtes (chaque affaire pouvant en comporter plusieurs) il a crû, lui, de 50 % ! Cerise sur le gâteau : de 1978 à 1997, on a créé 16000 nouvelles infractions (on en a, il est vrai, abrogé 6000 dans le même temps).

Anecdote savoureuse qui relève presque de l'ironie du sort : Jack Lang, ancien ministre, a vu son élection invalidée pour avoir dépassé le plafond des dépenses durant sa campagne électorale. Or, il est enseignant à Nanterre, agrégé de droit, spécialiste en contentieux constitutionnel. Il a saisi la Cour européenne des droits de l'homme contre l'État français à qui il reproche d'avoir appliqué contre lui un texte – la loi Rocard du 15 janvier 1990 – qu'il avait lui-même voté.

Quant à l'État, il lui arrive de donner lui-même l'exemple : il emploie (dans des préfectures, des ministères, les commissions d'aptitude au permis de conduire, les COTOREP – organismes d'orientation et de reclassement professionnel) un millier de médecins vacataires qui ne sont pas déclarés à la Sécurité Sociale et dont les salaires ne sont pas communiqués au fisc !

Ainsi, il devient possible d'agir honnêtement tout en se trouvant parfois dans l'illégalité. Comme l'on peut par ailleurs agir de manière malhonnête en restant dans la plus stricte légalité, le citoyen intègre a toutes les chances d'en être désorienté. C'est comme cela qu'on peut en faire un schizophrène. Ce que Ménandre avait compris, trois siècles avant J.C., lui qui conseillait de faire passer l'honnêteté avant les lois. Depuis, les choses ne sont pas allées en s'améliorant puisque, quatre siècles plus tard, Tacite remarquait que "Plus l'État est corrompu, plus nombreuses sont les lois".

Des exemples ? En voici deux particulièrement savoureux et qui montrent que la justice française est dramatiquement surchargée de travail :

 

Saint Thomas d'Aquin aussi avait vu juste : "Les lois sont conçues pour les actions humaines. Mais de telles actions sont des situations individuelles et concrètes, qui varient à l'infini" et encore : "la loi ne devrait pas être suivie quand il est mauvais de le faire". L'application du bon sens (l'"epikeia") permet d'être plus juste, laissant entrevoir une "loi au-delà de la loi".

Parler de la justice amène à parler des juges. On lira à cet égard avec profit un livre écrit par un journaliste, Éric Zemmour, qui a été tourneboulé par les nombreuses mises en examens d’hommes politiques dans les années 90. Dans cet ouvrage*,

* Le coup d'État des juges, Grasset édit., 1997.

un certain nombre de juges sont décrits comme des potentats aveugles, inconscients, destructeurs, moralistes sans recul, agissant au nom d’un droit théorique, désincarné et, pour le dire autrement, inhumain. Plusieurs de ces affaires s’étant soldées par l’inéligibilité des hommes politiques, il semble que l’on prépare ainsi – sans oser se l’avouer –, une sorte de relève : au nom d’une revanche sociale et morale, ces magistrats participent selon l’auteur, à l’émergence d’une nouvelle société qui risque fort de laisser de côté les idéaux fondateurs de la République et remplacer cette dernière par ce que d’aucuns ont appelé la République des juges. Aurait-on oublié que trop de droit tue le Droit ; trop de lois tue la Loi.

 

C'est une coutume avérée dans le monde [...] que tous ceux qui prétendent suivre et défendre la justice sont défavorisés, chassés, persécutés, et qu'on ne les écoute pas... (Bartolomé de Las Casas).

 

"Oui, nos lois sont moribondes, puisqu'elles sont aussi largement transgressées. Quand une société en est à ce point où la transgression devient la règle commune, c'est bien que sa morale est exténuée." (Françoise Giroud * ).

* Loin de moi l’idée iconoclaste de m’attaquer à une figure que l’on n’arrête pas d’encenser mais il est bon de ne jamais oublier que même les icônes peuvent avoir leur face sombre. Françoise Giroud elle-même a manqué à l’éthique du journalisme – manquement qu’elle a avoué bien des années après (péché avoué, péché à demi pardonné !) – en favorisant de manière partisane Mitterrand au détriment de Giscard ; elle laissa le second avouer qu’il ignorait le prix du ticket de métro alors qu’elle avait soufflé au premier le budget de la sécu avant de lui demander quel en était le montant.

 

Et... en guise de conclusion... en 2005, le Conseil de l'Europe place la France au 23ème rang en ce qui concerne le budget de la justice rapporté au nombre d'habitants !


 

LA CRIMINALITÉ

La criminologie enseigne que la Mafia, partie d'une forme élémentaire, fruste et individuelle de révolte sociale, s'est peu à peu érigée en une organisation criminelle d'une redoutable efficacité. Comment la manifestation d'un individualisme exacerbé a-t-elle pu évoluer vers la forme la plus achevée de la criminalité ? Selon les criminologues, cette transformation a été rendue possible par le climat social bloqué, particulier à la situation socio-politique et économique de la Sicile qui empêchait les rouages normaux de l'intégration et de l'ascension sociale de fonctionner.

Un tel constat est grave car la période actuelle de blocage social est tout à fait favorable au développement d'une criminalité qui pourrait conduire, en se structurant, à une organisation comparable à la Mafia (les Mafias américaine et sicilienne combinées comptent environ 1 million d'"employés", pour un chiffre d'affaires de 250 milliards de dollars). Dans la mesure où les organisations de type mafieux peuvent devenir, pour certains individus, des outils d'ascension sociale intéressants il n'y a aucune raison qu'elles ne puissent s'imposer face à des États fragilisés par la complexité de leurs modes de fonctionnement. C'est ce qui se passe en Russie de manière accélérée depuis la chute du régime communiste. C'est également ce qui se passe dans le monde de la diaspora chinoise avec ces organisations criminelles que l'on appelle les triades. Quatre ont plus de 20 000 membres. La plus puissante d'entre elles, la Sun Yee On, créée en 1919, est passée de 35 000 membres en 1987 à 60 000 en 1993 (chiffres estimés) et serait le plus gros gang du monde. La police pense qu'elle dépassera les 100 000 affiliés au tout début du XXIe siècle.
 
 

LA PEINE DE MORT

Je suis contre la peine de mort. Pourtant, je pense qu'il y a des hommes qu'il faudrait abattre.
 
 

LA MÉDECINE

L'intervention chirurgicale a été une grande réussite mais le malade ne l'a pas supportée (et il en est mort) (auteur anonyme).

La santé n'a pas de prix.

C'est évident ! Mais il se trouve qu'elle a un coût. Et le "trou de la sécu" en est la preuve tangible. Il serait pourtant intéressant de se souvenir du fonctionnement du système médical traditionnel chinois. Dans ce système, ce sont les patients en bonne santé qui paient leur médecin. Ils cessent de lui verser de l'argent lorsqu'ils sont malades et ne recommenceront à le payer qu'après leur guérison. Un tel système aurait beaucoup d'avantages mais l'inconvénient majeur de ne pas pousser assez à la consommation de produits médicamenteux. Très mauvais pour les grandes sociétés pharmaceutiques qui, comme chacun sait, font vivre de nombreux salariés.

Quant au serment d'Hippocrate... ce serait un autre discours.

Autrefois, la médecine était humaine : quelques macérations ou décoctions de produits végétaux, une petite saignée (cf. Molière). La médecine était plus humaine mais… pas forcément plus douce ! On a fait, depuis, beaucoup de progrès et l’efficacité des soins a considérablement augmenté. Mais la médecine n’échappe pas à ce que l’on peut appeler une dérive "technologiste" qui consiste à faire de plus en plus appel (comme quasiment dans toutes les activités humaines) à plus de technique, plus d’instruments, plus de technologie (ici, à plus de médicaments de synthèse), etc. Loin de moi bien sûr de vouloir revenir aux temps édéniques en niant les bienfaits du progrès mais on devrait, me semble-t-il, chaque fois que c’est possible, utiliser les méthodes les plus douces possibles. Par exemple, dans le champ des douleurs articulaires post-traumatiques, on a le choix entre se bourrer d’anti-inflammatoires ou faire appel à des techniques manuelles (ostéopathie, kinésithérapie, chiropractie, etc.). Suite à plusieurs traumatismes accidentels, je suis en mesure de témoigner de la grande efficacité de l’ostéopathie et je pense qu’il serait très utile et pas forcément anti-économique d’y faire appel plus souvent (Académie Sutherland d'Ostéopathie ; publicité gratuite, mais comme ma fille y est impliquée, autant le dire). Mais le corporatisme fait des ravages ici aussi. Les médecins considèrent qu’eux seuls sont en mesure de poser un diagnostic et de faire de (la bonne) ostéopathie alors que la préparation d’un (bon) ostéopathe est une formation à part entière et les connaissances d’un (bon) ostéopathe (dont certains sont aussi médecins) en anatomie et anatomopathologie (articulaire bien entendu mais aussi musculaire, viscérale et nerveuse) n’ont rien à envier à celles d’un médecin moyen (qui ne serait pas ostéopathe). Normal : la quantité de connaissances à acquérir est monstrueuse pour les deux disciplines ; nous ne sommes plus au XIXe siècle où un (bon) médecin savait (à peu près) tout (ce qu’il y avait à savoir) en médecine. Aujourd’hui, nous sommes à l’ère des spécialistes et il faut laisser à chacun son métier.

Ce qui ne doit pas nous empêcher de toujours se méfier des spécialistes. D'autant que de nombreux prétendus spécialistes le sont autant que vous ou moi. Pas en médecine me direz-vous. Eh bien oui ! même en médecine. Plus exactement en chirurgie esthétique, branche fort juteuse du business et de la médecine. La preuve ? Sur les 4000 praticiens exerçant la chirurgie esthétique en France, 500 seulement posséderaient un diplôme de qualification. A rajouter le fait que de nombreuses cliniques se créent sans avoir obtenu aucun agrément.
 
 

LA SÉCURITÉ SOCIALE

La France a probablement l'un des systèmes de protection sociale les plus efficaces qui soient. Beaucoup de pays – et non des moindres – nous l'envient. Les soins médicaux, chez nous, sont efficaces, leur coût est relativement modéré, le personnel compétent et généralement dévoué, et la prise en charge des soins tellement parfaite que l'on hésite pas à se faire très bien soigner lorsque le besoin s'en fait sentir. Pas comme aux États-Unis où 35 millions d'Américains ne disposent d'aucune couverture sociale et où une maladie, même de moyenne gravité, peut être à l'origine d'une longue dégringolade humaine et sociale. Cependant, en 1995, il y a en France 46,8 millions d'assurés sociaux (c'est-à-dire que 80 % de la population française est à la Caisse Nationale d'Assurance Maladie). Question que je pose par parenthèse : mais alors, comment font les autres ? Fermons la parenthèse.

Le revers de la médaille est constitué par le déficit chronique de notre Sécurité Sociale. Cette noble institution dépense trop d'argent. Il faut dire que, de 1985 à 1995, les ventes de l'industrie pharmaceutique (qui, comme il se doit, sponsorise les congrès médicaux) ont grimpé de 86 % alors que celles des autres secteurs de production ont progressé de 26 % seulement sur la même période. Il faut dire également que le médecin français prescrit 4 fois plus de médicaments que son confrère britannique et 6 fois plus que son homologue allemand. L'inflation a frappé ici aussi. Il est indéniable que le coût de la santé (examens, analyses, soins, médicaments) a énormément augmenté au fil du temps. A tel point qu'il serait temps, désormais, de revenir à un peu plus de bon sens en la matière. Car le malade français paie déjà de sa poche 18 % de ses frais médicaux (contre 6 à 8 % en Allemagne).

On pourrait fort bien – sans que cela soit source de danger – réduire le nombre (ou même se passer) de certains examens et autres analyses exorbitants. On pourrait, de même, limiter le nombre de visites et consultations pour les malades imaginaires. On pourrait également ramener à la raison (par la carotte ou le bâton) les médecins qui ont la main lourde et font des prescriptions à rallonge. On pourrait enfin réduire le gaspillage de médicaments : ne prescrire que le strict nécessaire (ce qui se fait aux États-Unis), récupérer et recycler les médicaments non utilisés. Je ne parlerai pas du cas de l'assuré social pris en charge à 100 % et en arrêt de travail qui en profite pour rendre de petits services à ses amis ou voisins – contre rémunération de préférence.

Par ailleurs, puisqu'il a été possible de mettre au point un mode de calcul de l'impôt sur le revenu particulièrement sophistiqué, ne pourrait-on imaginer que les malades les plus riches paient un peu plus que les plus pauvres ? Le principe d'égalité n'aurait pas à en rougir, bien au contraire ; la solidarité non plus.

Pour terminer, il m'apparaît urgent (nous avons encore du temps mais il n'est jamais trop tôt pour agir) d'éviter une dérive à l'américaine. Les Américains n'hésitent pas à traîner leur médecin ou chirurgien devant les tribunaux en cas de litige. On peut s'interroger sur la noblesse des intentions de ceux qui se livrent à de telles pratiques. Les seuls à y gagner quelque chose (en dehors des avocats et des tribunaux) sont les patients qui arrivent à "en tirer" jusqu'à quelques millions de dollars. En réalité, tous les malades y perdent car cela contribue à l'inflation des coûts de la santé ; les praticiens américains sont obligés de souscrire à de très coûteuses assurances afin de se prémunir contre de tels risques et sont incités à multiplier les prescriptions d'examens redondants ou franchement inutiles. Incidemment, selon le CERC (Conseil de l’Emploi, des Revenus et de la Cohésion sociale, ex-Centre d'Étude des Revenus et des Coûts) le pouvoir d'achat des médecins généralistes a cru de 17 % de 1982 à 1992 (pendant que celui des spécialistes augmentait de 24 %).
 
 

LE SCANDALE DU SANG CONTAMINÉ

Le sida n'est probablement qu'un artefact de la syphilisation occidentale (expression empruntée à Norman Mailer).

Les hasards de l'existence ont voulu que je réside aux États-Unis entre 1979 et 1982. J'ai donc été amené à assister, en 1981, à l'apparition d'une horrible maladie que l'on appelait l'AIDS (le mot sida n'avait pas encore été inventé). A mon retour en France, en juillet 1982, j'ai été amené à faire part à de nombreux amis ou relations de ce dont j'avais entendu parler aux Amériques.

Je m'efforçais du mieux possible, sur la base de ce que j'avais lu et entendu, de décrire la virulence du fléau. C'est ainsi que j'ai pu constater une relative incrédulité de la part de la quasi totalité de mes interlocuteurs, y compris les scientifiques. Les réponses étaient du type : "N'exagérons rien. Faut pas s'affoler. On en a vu d'autres. Puisque c'est un virus, on va rapidement trouver un vaccin. C'est l'affaire de quelques mois (voire de semaines)." Puis la France fut touchée à son tour.

Les discours officiels ont été pendant longtemps que seuls les marginaux de tous poils étaient susceptibles d'être touchés par l'épidémie. Ce qui explique que de 1982 à 1984 les milieux homosexuels, leurs militants, leurs organisations et leurs journaux refusaient de parler de sida et de prévention. On n'a pris la juste mesure de l'ampleur du désastre que très tardivement, même dans les milieux médicaux. Ce qui ne doit pas nous surprendre. Aquilino Morelle, dans son livre "La Défaite de la santé publique"* 

* Édité chez Flammarion.

nous dit : "En France, le probable est toujours tenu jusqu'à preuve du contraire pour faux. Alors que décider revient à anticiper le pire et à le considérer, en principe, comme possible." Morelle parle d’une véritable démission de l’État qui s’est traduite par la prolifération d’associations loi 1901 diverses et multiples dont certaines ont donné lieu à des dérives dangereuses, voire criminelles : le Centre National de Transfusion Sanguine (diffusion du sida), l’Association pour la Recherche sur le Cancer (détournements de fonds), l’Association France-Hypophyse (diffusion de la maladie de Creutzfeldt-Jakob). L’association régie par la loi de 1901 est un excellent moyen pour diluer ou noyer les responsabilités, multiplier les conflits d’intérêts, mettre du flou dans les processus de décision en matière de santé publique, brouiller les relations entre puissance publique et milieu médical.

Dans le cas du Sida, avoir voulu faire porter le chapeau au docteur Garretta tout seul me semble dérisoire et, à la limite, assez irresponsable car c'est essayer de cacher au citoyen les carences des pouvoirs publics. En tous cas, c'est en droite ligne avec les comportements auxquels nos hommes politiques nous ont habitués depuis un certain temps. C'est pourquoi je ne saurais m'associer pleinement à Bernard Kouchner lorsqu'il dit : "On a préféré accuser injustement un Premier ministre que de questionner les médecins. L'effrayant silence des spécialistes, voilà le scandale..."*

* La dictature médicale, entretiens avec Patrick Rambaud, édité par Robert Laffont, 1996.

En fait, combien pouvait-il y avoir de spécialistes en mesure d'évaluer réellement l'ampleur du problème ? A noter que ceci n'est pas dit pour le plaisir de défendre Garretta dont le salaire mensuel de 80 000 Francs faisait de lui un citoyen très au-dessus des préoccupations du Français moyen. Ceci montre simplement que la pratique du bouc-émissaire ou de la victime expiatoire a encore un bel avenir. Le lynchage médiatique aussi. On notera aussi que tout le monde n’est pas lynché : Jean Weber, PDG d’Institut Pasteur Production et de Pasteur Vaccins au moment de l’affaire du sang contaminé, a bien été mis en examen mais a été propulsé à la Direction des Douanes, l’un des postes les mieux rémunérés de la République, avant d’être nommé président du Crédit Industriel d’Alsace-Lorraine ; mais il est vrai qu’il s’agit d’un énarque.

Et que le malheur des uns fasse, sinon le bonheur des autres, mais du moins leurs choux gras est corroboré par le fait que le président d'Arcat-sida*, Frédéric Edelmann reconnaisse que le plus gros salaire de l'association atteigne 40 000 Francs par mois (il n'était pas précisé si c'est brut ou net). 

* Avec Aides, Act Up et Artistes contre le sida c'est l'une des associations les plus en vue. Elle a un budget de 23 MF et compte 45 salariés (reporté dans le magazine L'Express du 30 mai 1996, n°2343, p.53).

 
 

L'INNÉ ET L'ACQUIS

Tous les hommes ne sont pas égaux devant la maladie. Certains bronzent plus facilement que d'autres. On connaît des familles avec des taux anormaux de cancéreux ou de leucémiques. Certains offrent de meilleurs terrains que d'autres et il est très probable que leur héritage génétique y est pour quelque chose. Un débat sur ce problème n'est cependant pas facile car il soulève de graves questions et ses conclusions – même provisoires – peuvent toujours être utilisées à des fins peu avouables telles que justifier le racisme ou l'eugénisme. Serions-nous conditionnés – même seulement en partie – par nos gènes ?

Je ne puis faire mieux que citer in extenso un passage d'un article de Gilbert Charles dans l'Express (n° 2908 du 29/03/2007, p. 99-100) :

"Il y a dix ans [jusque vers 1997], la simple perspective de pouvoir déceler la couleur de la peau à travers les gènes aurait fait hurler [de rire pour certains ou d'horreur pour d'autres !] n'importe quel généticien : c'était alors impensable, aussi bien techniquement que moralement. Les plus grands noms de la biologie ne répètent-ils pas depuis des années que le concept de race n'a aucun sens du point de vue scientifique? Que les hommes sont tous égaux devant leur ADN et qu'il y a plus de différences entre les individus d'un même groupe ethnique qu'entre deux populations distinctes ?
Pourtant, ce dogme semble aujourd'hui vaciller. Depuis le décryptage du génome humain, en 2001, les chercheurs et les firmes de biotechnologie ont mis au point des méthodes d'analyse génétique de plus en plus sophistiquées, capables de dépister les prédispositions aux maladies, mais aussi les liens familiaux, les ancêtres lointains ou les trais physiques.Près d'un millier de tests génétiques en tout genre sont aujourd'hui commercialisés par des laboratoires privés, principalement américains, la plupart accessibles au grand public sur Internet.Cette génétique « personnelle » donne accès à des informations intimes et parfois cruciales sur les origines, le destin médical* ou l'aspect de la personne, bref, à tout ce qui constitue le cœur de notre identité. Souvent utilisée sans aucun cadre légal, elle est en train de s'imposer comme un outil précieux pour la police. Au risque de voir son usage s'étendre et de se transformer en un redoutable instrument de surveillance et de contrôle des populations. De quoi alimenter le débat sur le « comptage ethnique » en France, où l'on s'interroge sur la possibilité de prendre en compte les origines dans les enquêtes statistiques – recueil actuellement interdit par la loi – afin de mieux lutter contre les discriminations..."

* Si les races humaines n'existent pas pour les généticiens, les médecins et les épidémiologistes savent aujourd'hui que tous les groupes ethniques ne sont pas égaux face aux maladies, en particulier génétiques. La mucoviscidose touche ainsi en priorité les habitants d'Europe du Nord ; l'anémie falciforme est plus fréquente chez les Africains, les juifs ashkénases sont les premiers touchés par la maladie de Tay-Sachs et pour les habitants de Tobago, il y a quatre fois plus de risques d'être atteints par le cancer de la prostate que pour les hommes blancs d'origine européenne... En juin 2005, les autorités américaines ont autorisé pour la première fois la commercialisation d'un médicament contre l'hypertension spécifiquement destiné aux Noirs, le BiDil... Cette branche de la médecine est appelée "ethnomédecine" ; elle est composée à son tour de plusieurs spécialités au nombre desquelles l'"ethnopsychiatrie".

Voilà qui devrait rendre modestes et humbles tous ceux qui sont imbus de certitudes, en particulier certains scientifiques. Ou comme quoi un dogme d'hier peut se transformer en vérité d'aujourd'hui... Et comme l'inverse est également possible... Prudence, prudence, et encore prudence... Mais ne pas se voiler la face non plus.

Voici un autre exemple intéressant (et à propos duquel il est peut-être encore trop tôt pour trancher) : en août 1991, un chercheur californien, Simon LeVay a annoncé avoir mis pour la première fois en évidence un signe biologique de l'homosexualité dans le cerveau humain. En disséquant la matière grise de 41 cadavres de gays morts du sida, LeVay a découvert qu'une région de l'hypothalamus avait chez ces derniers, comme chez les femmes, une taille deux fois plus petite que chez les hommes hétérosexuels. Il reste un doute que cette différence de taille ait pu être provoquée par la maladie. En 1993, à Washington, Dean Hammer prétend avoir identifié une région du chromosome X, baptisée Xq28, qui contiendrait le ou les – supposés – gènes de l'homosexualité. Mais cette région Xq28 a également été détectée chez des hétérosexuels et Hammer pense que certains pourraient être porteurs du gène sans pour autant l'exprimer. On n'est pas encore sortis de l'auberge mais ce qui est intéressant c'est le très bon accueil fait à ces publications scientifiques dans la communauté gay aux États-Unis. Il faut dire que LeVay et Hammer sont des homosexuels déclarés. Outre-Atlantique, une partie de la communauté gay voudrait que l'homosexualité soit reconnue comme une variation biologique qui, comme la couleur de la peau, ne devrait donner prétexte à aucune discrimination. En revanche, en France, la communauté gay française compare ces recherches aux expérimentations menées par les médecins nazis (on peut d’ailleurs se demander ici si l'appellation "médecin" est bien appropriée lorsqu'elle est appliquée à des nazis).
 
 

LE CORPS ET L’ESPRIT

Selon Antonio Damasio, professeur de neurobiologie à l'université de l’Iowa, les organismes vivants même très simples éprouvent des émotions. Entendons-nous bien sur ce qu’il faut appeler une émotion. Selon Damasio, les émotions sont des réactions naturelles et automatiques destinées à conduire les êtres vivants, directement ou indirectement, à préserver leur corps (et, ainsi, à assurer leur survie). Les êtres vivants évoluent au sein de leur milieu et captent des signaux en provenance de ce dernier (température, humidité, rayonnements lumineux, etc.) à partir desquels ils développent des sensations (bien-être, inconfort, douleur, menace/danger, etc.). Ces émotions sont facilement observables et parfois même, quantifiables : modification physiologiques (distribution du flux sanguin, de la pression sanguine, du rythme cardiaque, sécrétion d'hormones, soif, faim…) ou posturales (peur, immobilité, réactions de fuite ou d’attaque, besoin de copuler...). Damasio est amené ainsi à définir un certain nombre d’émotions dites primaires : peur, bonheur, tristesse, colère, surprise, dégoût, souffrance...

Les animaux inférieurs se contentent de vivre les émotions dont ils sont le siège alors que les animaux supérieurs les ressentent et même, dans certains cas, ils sont capables de ressentir l’émotion qu’est en train d’éprouver un autre être vivant. Ainsi, chiens, singes, oiseaux, hommes sont capables d'établir une relation entre la réaction automatique de leur organisme et l'objet, l'événement, l'être qui en est à l'origine (la cause) ou qui y est associé (simple co-occurrence). Pour Damasio, le sentiment est la perception, par le sujet, à la fois de l'émotion et de ce qui en est la cause.

Les émotions sont des manifestations visibles ou détectables dans le corps ; les sentiments, eux, en tant qu’images mentales, sont donc cachés. Ce sont en quelque sorte les idées du corps, la conscience d'un certain état du corps lorsque celui-ci est perturbé par un processus émotionnel. Les deux sont intimement liés et nous avons tendance à les confondre. Toutes les émotions peuvent devenir des sentiments à partir du moment où nous établissons cette relation de cause à effet entre les transformations de notre corps et ce qui les a suscitées. Certaines émotions sont liées aux perceptions que nous avons de notre environnement physique et peuvent donc être qualifiées de purement personnelles ; d’autres, en revanche, se manifestent au cours de nos relations avec les autres et peuvent donc être qualifiées de sociales : sympathie, compassion, embarras, envie, gratitude, admiration, domination, soumission, honte, culpabilité, fierté, orgueil, indignation, mépris...

Pour savoir si un animal éprouve ou non des sentiments, il faut aller voir s'il existe, dans son cerveau, une cartographie de son organisme. C'est évidemmment le cas chez l'homme mais aussi chez les mammifères et les oiseaux. Chez les animaux inférieurs, l'émotion va directement au corps (elle suscite des réactions chimiques, des signaux dans les muscles, les viscères…) et n’est donc ni plus ni moins qu’un simple automatisme. Mais chez les animaux supérieurs elle peut, en plus, partir du cerveau et celui-ci est donc capable de simuler une émotion c’est-à-dire de créer un état émotionnel "virtuel" en quelque sorte.

Au cours de l'évolution, l'apparition des sentiments dans des cerveaux de plus en plus complexes, permet de répondre immédiatement et précisément aux demandes de plus en plus nombreuses et diversifiées d'organismes eux-mêmes de plus en plus complexes. Une cartographie du corps de plus en plus précise permet au cerveau d'établir une relation entre une réaction automatique du corps et ce qui la provoque. Un être "sentimental" est en mesure de mettre en mémoire différents épisodes émotionnels avec leur cause ; il peut prévoir qu'un certain événement risque de provoquer une mauvaise émotion ; il échappe à la tyrannie de l'automatisme, devient capable de prévoir et acquiert un certain sens de ce qui est bon ou mauvais pour lui. Déjà... une ébauche d'un sens des valeurs, du bien et du mal ! Le début d'une aptitude morale ! Les prémices d'une esquisse de sens moral. C’est ainsi que dans certaines circonstances dramatiques, même des chimpanzés ont pu se montrer capables de compassion envers des petits appartenant à une espèce animale différente (l’espèce humaine en l’occurrence !).

La spécificité de l'homme au sein du règne animal est constituée par sa grande capacité de mémoire. Nos sentiments sont complexes et profonds parce que, à tout instant, notre cerveau est capable de se projeter dans notre passé et dans notre futur. Quand nous éprouvons une joie intense ou une profonde tristesse, celle-ci est toujours en relation avec ce que nous avons vécu ou ce que nous pensons que nous allons vivre.

De plus, notre langage apporte une nouvelle dimension : avec les mots, nous devenons capables de classer, de faire des catégories, de comparer, de choisir, de délibérer... Notre capacité à utiliser nos sentiments nous met en mesure d'inventer ces choses nouvelles que sont les sociétés humaines, l'Histoire, la culture... Enfin, non seulement l'homme est capable d'éprouver des sentiments mais, en plus, il en est conscient (Homo sapiens sapiens).
 
 

LES PRESTATIONS SOCIALES

Entrent dans cette catégorie : le chômage, les allocations familiales, le RMI, les contrats emploi-solidarité, etc.

Ne parlons pas des personnes peu scrupuleuses ayant réussi à escroquer des sommes très importantes en déclarant plusieurs dizaines d'enfants à charge ou se disant chômeur tout en travaillant "au noir". C'est de la malhonnêteté pure et simple.

Parlons plutôt de celui qui monte une entreprise dont il devient salarié (de préférence à un niveau substantiel disons quelques dizaines de milliers de francs par mois). Il lui est toujours loisible de déposer son bilan, de se mettre au chômage, et de percevoir les allocations correspondantes le temps de définir une nouvelle stratégie lui permettant de rebondir (tant qu'à faire, un peu plus haut).

Ou de celui qui exerce sa profession dans un local appartenant à un tiers (ou un ami ou une société anonyme, mais pourquoi louer à quelqu'un que l'on ne connaît pas ?). Le jour où les affaires commencent à mal marcher, où l'on considère avoir assez travaillé, peu importe, le propriétaire peut avoir soudainement envie de vendre son local. Surtout, ne pas tenter de le racheter mais se mettre au chômage, tout simplement.
 
 

L'HOMME POLITIQUE

La politique dépend des hommes d'État, à peu près comme le temps dépend des astronomes (Remy de Gourmont).

En démocratie, la politique est l'art de faire croire au peuple qu'il gouverne (Louis Latzarus).

La politique est l'art d'empêcher les gens de s'occuper de ce qui les regarde (d'après Paul Valéry).

Les hommes politiques et les couches ont une chose en commun : ils doivent être changés régulièrement… et pour les mêmes raisons (traduction libre d’un dicton américain trouvé sur le web).

Dans nos démocraties, les hommes politiques sont choisis – c'est-à-dire élus – par leurs concitoyens. Ces derniers leur confient une tâche à accomplir en leur nom. Ils leur accordent aussi l'honneur de l'accomplir moyennant une juste rétribution qui devrait les placer à l'abri à la fois du besoin et de toute tentation. Quand on sait que les émoluments d'un député français sont d'environ 36 800 F brut (ou 29 167 F net) par mois on peut se demander si cela est bien raisonnable lorsque la France compte 10 % de chômeurs. Quant aux régimes de retraite de nos parlementaires ils sont parfaitement avantageux. C'est ainsi que l'un des hommes politiques français le mieux payé en l'an 2000 est le président Jacques Chirac : à son "salaire" mensuel de 35 833 F. viennent s'ajouter les 25 000 F. de pension de la Cour des comptes et les 30 000 F. de sa retraite de député (ces chiffres on été publiés par le journal Le Monde). Que le lecteur ne s'offusque pas trop : en 1995, l'homme politique le plus payé de France était Laurent Fabius qui, grâce aux cumuls, percevait déjà alors la même somme à savoir 90 000 F. par mois (source : le Quid, 1995).

Hélas ! faire de la politique est devenu synonyme de faire une carrière. Loin des pratiques républicaines de la Rome antique (qui, comme chacun sait, avait aussi ses esclaves), l'homme politique moderne tend à s'accrocher à son poste comme le parasite à son hôte. Les exemples ne manquent pas d'hommes politiques morts à la tâche (ce n'est pas forcément ladite tâche qui a abrégé leur vie) ou d'autres sévissant jusqu'à des âges fort avancés. C'est à se demander si certains d'entre eux seraient capables de faire autre chose. D'aucuns pays ont poussé le paradoxe très loin. Ainsi, en France, on considère que sortir de l'ENA confère aux heureux élus un savoir-faire indéniable qui les rend tout à fait aptes à diriger le pays.

Une question importante est de savoir s’il n’y aurait pas trop d’hommes politiques car une des fonctions de l’homme politique est de dépenser l’argent public. On pourrait par exemple supprimer les Conseils généraux : on ferait ainsi l’économie des prébendes généreuses que s’octroient certains de ces féodaux républicains. On éviterait aussi les frais de fonctionnement d’une administration qui est peut-être devenue superfétatoire avec la montée en puissance des Conseils régionaux. Mais gageons que l’on mettra très longtemps pour résoudre ce problème.

Une autre question tout aussi importante est de savoir si on ne pourrait pas supprimer le Sénat. Cette institution est un vestige archaïque d’une France aristocratique habituée au suffrage censitaire. La république et la démocratie gagneraient certainement à voir le pouvoir être exercé uniquement par l’Assemblée nationale, qui est, au fond, la seule émanation du peuple souverain.

Une dernière question tout aussi importante est de savoir si on ne pourrait pas interdire aux hommes politiques de cumuler les mandats (cf. le débat récent).
 
 

LA GÉOPOLITIQUE

Lorsque l'on regarde la carte de l'Europe, on constate que la France est un pays à gauche (avec l'Islande, le Portugal, l'Espagne et les Iles Britanniques) et la Russie le pays le plus à droite.

Plus sérieusement, selon Samuel Huntington, professeur à Harvard, le monde moderne ne peut être compris qu’à travers le choc de huit civilisations : africaine, confucéenne, hindoue, islamique, japonaise, latino-américaine, occidentale, slave-orthodoxe. J’avoue, pour ma part, ne pas voir réellement la raison qu’il y a de séparer la japonaise de la confucéenne tant elles me paraissent avoir de choses en commun mais c’est un détail. C’est donc des contacts entre ces civilisations, de leurs affrontements et des processus d’ajustement réciproques que va dépendre la politique mondiale du XXIe siècle. Les critiques de Huntington se plaisent à remarquer qu’aucune de ces civilisations ne constitue une entité ou un acteur politique comme peuvent l’être des nations ou des gouvernements. Ceci n’est à mon sens qu’une simple question de vocabulaire. A la fin de l’empire romain, les peuples barbares ne constituaient pas eux non plus une civilisation à proprement parler. Et pourtant l’importance qu’ils ont eue sur le cours de l’Histoire est indéniable. De la même façon, malgré les divisions qui existent entre les peuples qui composent chacune des civilisations définies par Huntington, tout ce qui les rapproche me paraît être plus important que tout ce qui les sépare. Ceci ne veut pas dire que j’adhère inconditionnellement à la vision de Huntington, ne serait-ce que parce que je me sens beaucoup plus proche de Raymond Boudon ou d'Emmanuel Todd.
 
 

LES PARTIS POLITIQUES

Dans tous les partis, plus un homme a d'esprit, moins il est de son parti (Stendhal).

Il est temps de donner un grand coup de pied dans les partis. Et dans la mesure où les religions fonctionnent comme des partis, il faudrait aussi donner des coups de pieds aux cultes. :-))

Le financement des partis politiques constitue un véritable problème. Il est indéniable que les partis ont besoin d'argent pour fonctionner. Mais vouloir fixer dans la loi les règles de ce financement en espérant éviter ainsi les nombreuses dérives observées récemment est tout à fait illusoire. En effet, on ne pourra pas empêcher les mécanismes qui jouent actuellement de fonctionner même après que la loi sera entrée en vigueur. On n'aboutira ainsi qu'à créer une ponction fiscale de plus, ce qui ne manquera pas de satisfaire le contribuable. C'est précisément ce qu'a cru bon de faire l'Italie et le lecteur qui aurait des doutes est prié d'aller demander aux Italiens ce qu'ils pensent vraiment de cette heureuse initiative.
 
 

L'ARGENT DU CONTRIBUABLE

Ceux qui sont chargés de dépenser l'argent du contribuable sont jugés (le sont-ils vraiment ? est un autre débat) sur leurs résultats. Quoi de plus tentant pour eux, afin d'accroître leurs résultats, que d'augmenter la quantité d'argent qu'ils ont à dépenser ? Ainsi va l'inflation des dépenses publiques.

Il faut donc, prestige oblige, se doter de voitures de fonction, de palais et de bureaux somptueux. Après tout, les Pharaons avaient bien montré la voie. Espérons que les réalisations de nos modernes édiles resplendiront elles aussi dans les siècles et les millénaires futurs.

De même, dans l'administration, lorsque le responsable d'un service dispose d'un budget de fonctionnement, une règle non écrite stipule qu'il doit scrupuleusement tout dépenser dans l'année. Un reliquat n'est pas considéré comme la conséquence d’une bonne gestion et le témoignage d'un sens aigu de l'économie mais est plutôt interprété comme le résultat d’un décalage entre prévision et exécution ; il est donc la manifestation d'une mauvaise planification : il a été demandé plus que ce qui était nécessaire. Or, ceci conforte le contribuable dans l’idée que si le secteur public est dispendieux c’est qu’il est, au fond, irresponsable. D’où l’existence de ce que l’on peut appeler une véritable crise de la décision politique qui s’avère incapable de corriger une telle dérive.

Selon François d'Aubert (son livre Main basse sur l'Europe, enquête sur les dérives de Bruxelles a été publié chez Plon début 1995), député de la Mayenne et rapporteur du budget européen à l'Assemblée nationale, qui a dénoncé les dérapages et les escroqueries, petites et grandes, autour des finances de l'Union Européenne, ce serait de 10 à 15 % du budget communautaire qui est détourné par des escrocs, des profiteurs, fraudeurs et autres aigrefins. Les sommes en jeu représentaient de 50 à 70 milliards de francs par an.
 
 

LA NOTION DE CONTRAT

La vie en société suppose que les individus puissent prendre, les uns envers les autres, des engagements qu'ils sont censés tenir. Ces engagements sont relativement codifiés et soumis à un certain nombre de règles : contrat de mariage, contrats commerciaux, contrat de vente, contrat de location, etc.

Un salarié et son employeur, un fonctionnaire et son administration, un élu et ses électeurs, même s'ils n'en sont pas toujours bien conscients, sont liés par un contrat. Celui-ci peut avoir été signé ou être simplement tacite mais il devrait toujours rester la pierre angulaire des relations entre les personnes.
 
 

L'ADMINISTRATION

L'administration est au service du citoyen et non l'inverse.

Et alors, que dire de la paperasse ? Chaque année, l'administration émet environ 10 000 circulaires.

Pour une entreprise d'environ 30 personnes, le nombre de rubriques à remplir sur un bordereau URSSAF est passé de 2 en 1989 à 12 en 1995 et 29 en février 1996. On n'arrête pas le progrès. Quant au décret sur la simplification des marchés publics (si ! si !), il comprend 164 articles !
 
 

LE CITOYEN

Le sens profond de la citoyenneté est de lier la recherche de son intérêt personnel à l'effort pour contribuer au bien commun (Mahmoud Hussein, pseudonyme de Bahgat Elnadi et Adel Rifaat, deux égyptiens réfugiés en France depuis 1975, anciens opposants au régime de Nasser, directeur et rédacteur en chef du Courrier de l'UNESCO).
 
 

LE FONCTIONNAIRE

Les fonctionnaires sont comme les livres d'une bibliothèque ; les moins utiles sont les plus haut placés (Paul Masson).

Quelle que soit la forme de la société, le pouvoir (que celui-ci soit concentré ou très délocalisé), ne peut s'exercer qu'à travers des structures appropriées chargées d'exécuter, avec plus ou moins d'efficacité, les décisions prises par ceux qui le détiennent. Ces structures portent le nom d'administration et les hommes qui la composent celui de fonctionnaires.

On divise arbitrairement les fonctionnaires en petits et hauts fonctionnaires. La frontière est assez ineffable mais les petits ont tendance à se considérer comme les prolétaires de l'administration (avec piétaille, valetaille et autres chevilles ouvrières) et les hauts comme une nouvelle aristocratie (avec sa propre hiérarchie, ses ducs et ses barons).

Comme l'ont montré plusieurs sondages (un sondage IFOP/Le Nouvel Observateur en octobre 1986 et deux autres vers 1990 si j'ai bonne mémoire), le Français, qui n'est plus à un paradoxe près, épingle ses fonctionnaires à qui il reproche leur faible ardeur au travail mais n'hésite pas à souhaiter pour ses propres enfants une belle carrière dans la fonction publique. La France n'a de cesse de développer son secteur public (que l'on appelle, pudiquement sans doute, le secteur protégé). En 2005, elle compte 5,2 millions de fonctionnaires contre 4 en 1990.

Fonction publique rime avec politique : de 1959 à 1981, les membres des différents gouvernements de la France étaient à 55 % des fonctionnaires. Le premier gouvernement socialiste (Mauroy) en a compté 60 % ; le second (encore Mauroy) 54 %. Comme il n'y a pas tout de même en France 50 % de fonctionnaires, ceci montre que cette corporation exerce chez nous des responsabilités excessives par rapport au poids qu'elle représente dans la société. Confirmation à l'Assemblée nationale où, après 1981, plus de 50 % des sièges étaient occupés par des fonctionnaires (les enseignants en détenant à eux seuls 35 %). En 2007 elle est toujours composée de 40 % de fonctionnaires. Ce qui n'est pas une surprise puisque les états-majors des partis politiques voient entre la moitié et un tiers (selon les partis et les échelons de responsabilité) de leurs instances occupées par des fonctionnaires. Autre chiffre à verser au même dossier : on a compté une fois 9 % d'énarques à l'Assemblée nationale (nous reviendrons sur ce point ailleurs).
 
 

LA TECHNOCRATIE

Le Grand Larousse en 5 volumes est suffisamment explicite. Je me contenterai donc de faire appel à lui :

Technocrate n. 1. Homme, femme politique, ou haut fonctionnaire qui fait prévaloir les données techniques ou économiques sur les facteurs humains. – 2. Partisan de la technocratie.

Technocratie n.f. Système politique ou économique dans lequel les experts, techniciens et fonctionnaires supplantent, en fait ou en droit, les responsables politiques dans la prise des décisions (souvent péjoratif).

Technocratique adj. Propre à la technocratie, aux technocrates ou qui leur est favorable (souvent péjoratif).
 
 

L'ÉCOLE

Comment se fait-il que les petits enfants étant si intelligents, la plupart des hommes soient si bêtes ? Ça doit tenir à l'éducation ! (Alexandre Dumas fils).

Le système éducatif français a trop tendance à mettre l'accent sur l'abstraction et l'approche des problèmes y est trop conceptuelle et déductive au détriment de la démarche expérimentale, par nature plus inductive. On peut regretter aussi l'hégémonie des mathématiques, suffisamment connue pour que je n'aie pas à m'y attarder. En conséquence, nous avons une très mauvaise culture technique, ce qui se conçoit aisément puisque la technique, c'est sale et il y a du cambouis partout. Attitude éminemment aristocratique. Notre goût prononcé pour le bricolage ne saurait être brandi comme contre-argument ; en effet, Louis XVI était bien serrurier. Notre piètre culture technique pourrait bien être l'un des fruits – amer – d'un système éducatif élitiste jusqu'à l'excès.

En revanche, nos maîtres sont de très grande qualité. Leurs louanges ont été chantées depuis la troisième république. Au départ, beaucoup d'entre eux étaient des êtres d'exception, entrant dans l'enseignement comme on entre en religion, préoccupés exclusivement du bien de leurs élèves. Mais comme en bien d'autres endroits, l'idéal s'étant effiloché et nécessité faisant loi, on en arrive à faire de l'enseignement histoire de ne pas être chômeur. Vous parlez d'une motivation !

Les élèves, pour leur part, grandissent dans l'idée que plus leurs diplômes sont élevés, plus leurs perspectives de carrière seront intéressantes. Les études sont un viatique destiné à leur assurer un métier gratifiant et rémunérateur. D'où l'engouement pour les métiers dits à responsabilités et/ou pour les métiers bien rémunérés dont celui d'ingénieur est un peu l'archétype. En corollaire on a observé une désaffection croissante pour les métiers manuels. Il a donc fallu importer massivement de la main d'œuvre immigrée ce qui a été à l'origine d'autres problèmes. Et puis, la crise est arrivée, insinuant l'incertitude dans tous les esprits ; et puis, voici que l'on se met à parler de plus en plus de la formation d'apprentis. On a, il est vrai tardivement, commencé ainsi à aller dans la bonne direction : en 2002, on compte en France 364000 apprentis et ce chiffre a doublé en 15 ans.

À côté des élèves, que font les parents ? Tout occupés par le développement de leur propre carrière, sollicités de toutes parts, ayant de moins en moins de temps pour s'occuper de leurs rejetons, estimant sans doute que l'école a aussi pour mission de les élever en plus de les éduquer, se mettent à fournir à l'école des enfants de plus en plus mal élevés. La présence de drogues (douces et dures), le racket ou autres violences à l'école sont la conséquence logique de cette démission parentale.

Les enseignants et les parents se renvoient les uns sur les autres la responsabilité de cet état de fait. Sans oublier le débat de fond à propos des mérites comparés de l'école libre et de l'école laïque. Sans parler du port du foulard islamique à l'école laïque. Il y a de quoi en perdre son latin. Selon Polybe, "éduquer, c’est simplement vous faire voir que vous êtes digne de vos ancêtres". Or, parmi nos ancêtres, il s’en est forcément trouvé quelques-uns qui ne se comportèrent pas de manière toujours très digne : il suffit de voir quelles crasseries ont été commises au cours des siècles passés. Statistiquement, sur le lot, il a dû s’en trouver qui furent perpétrées par des ancêtres à nous. Si éduquer nos enfants c’est réellement les rendre dignes de ces ancêtres-là, et si le processus se renouvelle à chaque génération, alors il ne reste plus beaucoup d’espoir de voir notre espèce s’améliorer.
 
 

L'ÉCOLE PRIVÉE

Dans un système libéral, on considère qu'aucune institution – fût-ce l'Éducation nationale – ne saurait être placée en situation de monopole. Aussi si quelqu'un, une communauté ou tout autre groupe d'individus souhaitent créer une école, il faut leur accorder cette possibilité assortie d'un minimum de contrôle pour s'assurer que rien dans l'enseignement qui y sera dispensé n'est contraire aux lois. Si l'école s'avère bonne il se trouvera des élèves qui voudront y aller. Dans le cas contraire elle périclitera.

Mais comment juger si une école est bonne ou mauvaise ? Par la réussite des élèves qui y sont passés et un bon critère pourrait être le taux de réussite au baccalauréat. Et voilà un effet pervers possible qui pointe le bout de son nez. On m'a signalé que certaines écoles privées sélectionnaient les bons élèves et décourageaient les mauvais de s'inscrire chez elles. D'autres ne présentent au baccalauréat que les meilleurs de leurs élèves, et prient les autres de se présenter en candidats indépendants. Les parents naïfs qui pensaient que leurs enfants seraient mieux suivis dans un établissement privé et auraient donc de plus grandes chances de réussite ne sont donc pas sortis de l'auberge.
 
 

L'INSTRUCTION CIVIQUE

Synonyme : l'éducation civique. Il me semble urgent de rétablir au plus vite l'enseignement de cette matière si nous voulons véritablement que l'école forme des citoyens responsables. Il faut, de plus, que cet enseignement ne soit pas seulement descriptif. Il faut surtout qu'il soit critique afin que les jeunes soient confrontés dès leur plus jeune âge aux réalités et n'aient pas une vision trop idéalisée, donc angélique, du fonctionnement des institutions. Sinon on risque de faire de certains d'entre eux des révoltés le jour où ils mesureront le décalage existant entre la théorie et les pratiques.
 
 

L'ÉDUCATION NATIONALE

Je ne formulerai aucune critique mais je n'en pense pas moins.

Avoir institué le collège unique (en 1977, donc sous un gouvernement de droite) et vouloir ensuite conduire au baccalauréat 80 % d'une classe d'âge (sous un gouvernement de gauche) sans toucher au caractère élitiste de l'enseignement français est illusoire et le proclamer haut et fort est, à la limite, démagogique. S'imaginer que la qualité de l'éducation est la même pour tous est une erreur. Il est de notoriété publique que certains établissements sont meilleurs que d'autres ou que certaines classes sont meilleures que d’autres. Les raisons sont multiples : il y a plus de cas sociaux dans les banlieues défavorisées que dans les beaux quartiers ; certains enseignants s'arrangent pour ne pas être nommés dans les établissements à problèmes et s’arrangent pour que leurs enfants soient mis dans ce qu’ils appellent subtilement les "classes MAIF" (alias les "classes MGEN") ; ces classes sont celles qui contiennent les enfants dont les parents sont assurés par la MAIF et/ou qui ont la MGEN pour mutuelle (Ah ! qu’on est bien entre soi !). Le collège unique – que j’appellerai plutôt le collège inique (quelqu’un a déjà dû la faire celle-là !) – avait pourtant été dénoncé dès les années soixante-dix par le sociologue Raymond Boudon qui prêchait dans le désert que le renforcement des sanctions positives et négatives (notation, sélection, classement) avait plus d'effets égalitaires que leur abolition.*

* Raymond Boudon peut être regardé comme le continuateur de Weber et de Durkheim. Il est l’analyste de l'individualisme contemporain et le pape de l'individualisme méthodologique (notion élaborée par Max Weber). Selon lui, tout phénomène social est l'effet d'actions ou de croyances individuelles compréhensibles : les gens ont des raisons exprimables de faire ce qu'ils font et de croire ce qu'ils croient. Il a toujours considéré l'engagement militant de certains sociologues comme suspect, s’est opposé très tôt au collège unique. Une enquête sur les valeurs dans les pays occidentaux l’a amené à conclure que "la confusion entre l'opinion publique et l'opinion intellectualo-médiatique explique bien des erreurs politiques" (problème plus vaste que le cas de l’éducation nationale). Il est l’auteur de "La Crise de la sociologie" (1971), de "Raison, bonnes raisons" (PUF éd), de "Déclin de la morale ? Déclin des valeurs ?" (PUF), de "Y a-t-il encore une sociologie ?" (Odile Jacob, 2003). Moi qui ai passé deux ans dans un laboratoire de sociologie, j’ose avouer que je me sens plus proche de Boudon que de Bourdieu, n’en déplaise aux sociologues "officiels" qui ont toujours autant de mal à entendre parler de la "motivation" !

 
 

L'UNIVERSITÉ

Pendant des générations l'Université a eu une triple mission :

 

Tout a très bien marché tant qu'il y a eu des débouchés. Puis, l'Université a commencé à produire des chômeurs. Alors, elle a dû s'adapter et des filières dites professionnalisées (les précédentes étaient-elles réservées aux amateurs ?) sont apparues. Curieux pays où coexistent écoles d'ingénieurs et universités qui délivrent les mêmes titres. Les mêmes ? Pas tout à fait car nous sommes en France et, chez nous, le propre des équivalences c'est de l'être tout en ne l'étant pas.

D'ailleurs, comment peut-on encore parler de l'Université ? On devrait plutôt parler des universités tant les différences et les disparités sont importantes. En flagrante contradiction avec l'un des bons vieux principes fondateurs de notre république qui voudrait que les diplômes soient nationaux et le service public égal sur l'ensemble du territoire. Or, chacun sait* 

* Enquête menée par le magazine L'Express, n°2342, 23 mai 1996. Les taux indiquent, pour une cinquantaine d'universités sur les 80 environ que compte la France, le nombre des diplômés de 1994 par rapport au nombre d'inscrits en première année à la rentrée de 1992.

que les taux de réussite au DEUG (Diplôme d'Etudes Universitaires Générales que l'on prépare pendant les deux premières années à l'université) en deux ans peut varier de 12 (Lille II) à 91 % (Paris IX-Dauphine) pour le DEUG d'AES (économie et administration économique et sociale) ; ou encore de 14 (Besançon) à 72 % (Cergy-Pontoise) pour le DEUG de lettres ; ou encore de 16 (Perpignan) à 64 % (Cergy-Pontoise à nouveau) pour celui de droit et de sciences politiques ; ou encore de 19 (Reims) à 70 % (Paris VII-Diderot) pour celui de langues ; ou encore de 19,5 (Paris IV-Sorbonne)* 

* Comme quoi, on peut être très bon en recherche et... moins bon en formation des jeunes. Ce qui illustre le "et les premiers seront les derniers" évoqué dans la Bible.

à 68 % (Bordeaux III) pour celui de sciences humaines ; quant au DEUG de sciences exactes et naturelles, l'enquête mentionne un écart de 72 points entre l'université de technologie de Compiègne (en tête) et Aix-Marseille III (en queue) !* 

* C'était mon université... et cela m'attriste énormément.

LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

Étant moi-même un chercheur du CNRS, je pense être assez bien placé pour faire quelques commentaires sur cette noble activité humaine. La plus noble peut-être, avec l'assistance aux mourants, car désintéressée par nature. C'est ainsi, du moins, que peut la voir un enfant qui ignore encore tout de la vie. La réalité est hélas ! plus prosaïque.

La recherche a pour but de produire de la connaissance. Au cours de son élaboration, la connaissance passe par diverses phases où la découverte, l'observation, l'expérimentation, la réflexion, l'explication, la théorisation, l'échange d'idées, la confrontation, parfois la polémique, jouent tour à tour leur rôle. Ce ballet incessant, dans lequel chaque fait est soumis à la critique de la communauté scientifique, permet peu à peu par consensus successifs de rejeter les expériences mal conduites, les mauvaises idées, les hypothèses erronées et d'identifier les culs-de-sac. D'identifier aussi les voies prometteuses ou nouvelles qui accoucheront d'autres découvertes, et ainsi de suite, si Dieu le veut, jusqu'à la fin des temps.

Quant à la connaissance, elle peut être répartie en trois grandes catégories : le descriptif, l'explicatif/prédictif et le normatif. Ainsi, dans les sciences naturelles, on s'est d'abord contenté d'observer la nature (on trouve du charbon, du pétrole ou du minerai de cuivre dans tel ou tel type de formation stratigraphique) ; ensuite, on a forgé des théories destinées à expliquer ces observations (les géosynclinaux, la tectonique des plaques, l'hydrothermalisme) ; enfin, on a élaboré des outils permettant de faire des prévisions (on trouve tel minerai dans tel type de formation géologique) de sorte que l'on est devenu capable d'aider par exemple la recherche de combustibles fossiles ou de ressources minérales : pour trouver tel ou tel minerai, on a intérêt à creuser ici ou là. Chaque discipline scientifique passe successivement par ces trois phases même si dans les cerveaux des chercheurs leur ordre peut être quelque peu différent.
 
 

LA RECHERCHE MILITAIRE : Grandeurs et misères

Depuis que le monde est monde, et qu'on le veuille ou pas (n'en déplaise aux pacifistes dont je suis), la puissance d'une nation se mesure à la puissance de ses armes. Pour maintenir ces dernières en avance sur celles de ses adversaires, les nations rivalisent de travail, d'intelligence et de roublardise : recherche, espionnage – pardon ! renseignement – et désinformation font bon ménage.

Un certain nombre de laboratoires publics de recherche sont parfois amenés à travailler pour les militaires (pour la Défense dit-on pudiquement). Dans des domaines traditionnels : explosifs, matériaux, mécanique des fluides, traitement de signaux ou d'images, électronique, etc. mais aussi dans des domaines plus "exotiques" ou inattendus : microbiologie, neurologie, psychologie cognitive, etc.

Les militaires se tiennent au courant des avancées de la recherche en passant régulièrement des contrats aux laboratoires dans lesquels "il se passe des choses qui les intéressent". Grâce à ces financements, les labos en question peuvent améliorer leur ordinaire et la Défense espérer recueillir les fruits de son mécénat "très intéressé". De temps en temps, il peut se produire des cafouillages et c'est l'un d'eux que je vais conter ici. Il est de toute première grandeur et c'est peut-être à cause de lui que la France ne dispose pas de sous-marins d'attaque rapides ou de torpilles hypervéloces (capables de se déplacer à plusieurs centaines de kilomètres à l'heure... sous l'eau évidemment) et que notre haut état-major croit encore qu'il est impossible de faire voler des avions à Mach 6 ou 10 en air dense. Moi qui suis plutôt d'un naturel pacifiste, ça ne me gêne pas trop mais notre défense nationale, elle, n'y a certainement pas trop trouvé son compte.

Quelle prétention ! vont dire certains de mes lecteurs. Voilà quelqu'un qui dit avoir des informations sur des sujets par définition très... confidentiels ou même carrément secrets. Je suis tout à fait conscient des difficultés qu'il peut y avoir à aborder un domaine où le secret, l'intox, la désinformation sont omniprésents. Aussi, le présent chapitre doit-il être considéré comme une simple tentative (que j'espère la moins imparfaite possible) pour essayer de faire prendre conscience des enjeux liés aux recherches militaires. On comprendra aisément aussi que certains chiffres cités ci-après puissent être parfois approximatifs, franchement incertains ou même hypothétiques.

Il ne faut pas oublier non plus que certains des événements que je vais relater ont eu lieu il y a déjà vingt ans. Or, ce n'est que depuis l'an 2000 que l'on commence à voir filtrer dans la presse grand public, des indices qui, pour qui sait lire entre les lignes, renseignent sur les limites actuelles des technologies mises en oeuvre par l'armée... américaine. Ces informations cachent en réalité les affres et les tribulations que nos militaires – français cette fois – ont vécues ces vingt dernières années.

Il faut savoir qu'il y a une vingtaine d'années une torpille rapide filait à environ 100 à 120 km/h et que cette vitesse était considérée par les experts comme une limite "infranchissable".

Or, la torpille "Shkval" (ouragan) responsable de la perte du sous-marin russe Koursk et dont la mise au point remonte au début des années 90 a une vitesse (probablement) de plus de 350 kilomètres à l'heure (certains n'hésitent pas à parler de 420 à 450 km/h ; or, comme les Russes vendent déjà ce type de torpille aux Chinois, il y a fort à penser qu'ils possèdent des engins d’une génération suivante, encore plus rapides… sinon à quoi bon ? Histoire amusante : notre DCN – Direction des Constructions Navales – aurait acheté une de ces torpilles à des Polonais pour la somme de 10 MF (environ 1,5 million d'Euros ; hebdomadaire L'Express, n° 2647, 28/03/02, p.8). Les sous-marins de la classe du Koursk seraient eux-mêmes capables de dépasser les 100 km/h (la puissance de leurs deux moteurs nucléaires est supérieure de 30 % à celle des engins du porte-avions français Charles-de-Gaulle !).

Si les Russes ont de telles torpilles, on imagine aisément quelles doivent être les performances des torpilles dont disposent les Américains !

Quant aux avions hypersoniques américains, si le sujet est encore assez controversé – du moins en France –, de l'autre côté de l'Atlantique on trouve des sites Internet publiant régulièrement des informations parfois de toute première importance (même si elles s'accompagnent de pas mal de considérations ou d'hypothèses plus ou moins audacieuses ou parfois même de folles élucubrations sans parler de la possibilité d'une... toujours possible désinformation).

En 1982 (prière de noter qu’il y a donc déjà plus de vingt ans), alors que j'avais pour mission de "vendre" les technologies et les savoir-faire des laboratoires du CNRS, je me suis retrouvé un beau jour avec l'un de mes chercheurs qui travaillait sur la magnétohydrodynamique (MHD) et prétendait que l'on pouvait supprimer (ou du moins fortement atténuer) la vague d'étrave de navires de surface ainsi que les turbulences que les sous-marins laissent derrière eux, voire propulser les unités de la Marine nationale en se passant des hélices. Nous partîmes donc pour Toulon avec l'intention de "vendre" cette technologie à nos braves militaires. Malheureusement, l'affaire n'eut pas de suites au motif – probablement – que nos interlocuteurs n'ont jamais cru que cela fût possible, ayant dû penser qu'ils avaient affaire à deux chercheurs un peu foldingues.

Or, neuf ans plus tard, en 1991, les Japonais faisaient naviguer (à la vitesse de 8 nœuds, ce qui n'est pas très rapide j'en conviens !) un bateau de surface de 22 mètres de long, dépourvu d'hélices et dont le "moteur" n'était autre qu'un propulseur MHD (et encore, très mal conçu !).

Dans le même temps, les Américains, rois de la désinformation, travaillaient à mettre au point des propulseurs MHD tout en s'attachant à convaincre le monde entier que la MHD n'avait aucun avenir. Et c'est ainsi que les Etats-Unis ont conçu leurs torpilles hypervéloces (vitesse : inconnue ; certains disent de l'ordre de 2000 km/h !) et leurs "objets volants" hypersoniques (avion Aurora, et peut-être certains dispositifs de base entrant dans la composition de l'avion sans pilote X-47A).
 
 

LA COMMUNAUTÉ SCIENTIFIQUE

Malgré cette appellation œcuménique, elle est divisée en nombreuses communautés.

La communauté scientifique fonctionne grâce à l'existence d'un intérêt commun et d'un consensus minimal entre ses membres. Un consensus pouvant être plus ou moins limité et fluctuer dans le temps, une communauté est rarement figée. C'est l'apparition de ces consensus qui provoque les effets de mode que connaissent régulièrement toutes les disciplines. C'est ainsi qu'un domaine de recherche délaissé peut brusquement, suite à un fait nouveau, devenir l'objet de toutes les convoitises de la part de nombreux chercheurs ou équipes qui voient là une nouvelle opportunité. Ainsi naissent des mots, des concepts et des domaines nouveaux, plus ou moins magiques, dont certains arrivent à tenir leurs promesses, au moins pendant un certain temps. D'autres ne vivent que l'espace d'un matin. Dans les deux cas, les équipes les plus habiles en tireront certains avantages. Les oubliés, pour leur part, peuvent accumuler du dépit et de la rancœur. La liste des domaines qui firent ou qui font florès est infinie. Voici quelques spécimens qui bénéficient encore d'une certaine aura : les rétrovirus, les supraconducteurs, les trous noirs, les ondes gravitationnelles, les fractales, les réseaux neuromimétiques, la transformée en ondelettes, l'intelligence artificielle, la logique floue, le chaos, les supercordes. Le chercheur intègre se gardera bien des méfaits de la mode qui peuvent culminer dans une forme de déviation mentale contagieuse appelée l'arnaque, décrite par certains auteurs.
 
 

LES CHERCHEURS

Un chercheur est payé pour chercher et non pour trouver.

Des chercheurs qui cherchent on en trouve ; des chercheurs qui trouvent on les cherche.

Un savant est quelqu'un qui sait ce qu'il ignore.

Autrefois, il était relativement facile d'entrer dans une carrière de chercheur. Il y avait suffisamment de postes disponibles eu égard à la demande. Ceux qui voulaient y entrer savaient qu'ils n'y feraient pas fortune (sauf exceptions). Ceux que la recherche n'intéressait pas pouvaient toujours aller voir ailleurs : ils étaient assurés de trouver du travail, et qui plus est, mieux rémunéré. Tout était bien dans le meilleur des mondes. Aujourd'hui, c'est un peu la crise des vocations dans tous les domaines. Le problème pour tous est de survivre, tout simplement. Alors, quand une opportunité se présente, gare à celui qui fait trop la fine bouche.

Le chercheur de base trouve le plus souvent beaucoup de plaisir dans un métier où la composante ludique est extrêmement forte. Il jouit de la plus grande liberté qui consiste, notamment, à pouvoir choisir sans contraintes ses thèmes de recherche. De temps à autre, il arrive que quelqu'un choisisse un thème un peu marginal. La communauté s'efforcera alors de ramener la brebis égarée dans le troupeau. Parfois, elle y parviendra, mais d'autres fois, la brebis rejoindra un autre troupeau où elle pourra s'intégrer. Certaines communautés sont plus dynamiques (au sens de la dynamique des populations) que d'autres, et vont se développer. Elles vont absorber des brebis extérieures, faire beaucoup de petits, sauront rester soudées, bref étendront leur territoire et leur pouvoir. Si elles grossissent trop, elles ne manqueront pas de porter ombrage aux communautés les plus proches, tenter d'exercer sur elles un pouvoir plus ou moins tyrannique, voire les étouffer ou les phagocyter. Ceci n'est pas sans rappeler ce qui se produisit au cours du haut Moyen Age et fait dire à certains que la recherche est une activité féodale. Le mot féodal n'est pas péjoratif, bien au contraire. Une société féodale est éminemment flexible. Il suffit de regarder comment fluctuaient les cartes politiques de l'Europe entre le Ve et le XIIIe siècles pour s'en convaincre. Dans le domaine de la recherche, cette instabilité permanente est un facteur favorable au bouillonnement des idées qui induit à son tour l'avancée continuelle des techniques et du savoir.

On remarquera aussi que plus une recherche est appliquée, moins elle peut se satisfaire d'un système féodal parce que les contraintes externes prennent de plus en plus de poids (objectifs mieux définis, cahier des charges plus précis, échéances draconiennes, etc.). Et vice versa (remarque à déguster très lentement).
 
 

LA CRÉATIVITÉ

Ignorant que ce qu'il voulait faire était impossible, il l'a fait (croyance profondément enracinée dans la culture américaine).

Le lecteur qui serait encore convaincu que les chercheurs, à force d’observer, découvrir et inventer, sont forcément des gens très créatifs sur qui le dogmatisme n’a pas de prise ont intérêt à prendre connaissance de mon petit chapitre de prospective disponible ici et y lire le rôle joué par le conformisme dans le monde de la recherche scientifique.
 
 

LES OVNIS (alias les Soucoupes Volantes)

Autant commencer par mon avis personnel ; au moins le lecteur évitera de se tourmenter avec des questions inutiles.

Un vrai scientifique ne peut pas se contenter d’avoir un avis sur cette question. Soit il a travaillé sur ce dossier soit il ne l’a jamais approché. Il se trouve que je travaille (à temps perdu) sur ce dossier depuis 1982 et je me dois de préciser que je n’ai jamais eu personnellement l’occasion d’observer un ovni de mes yeux. Comment peut-on travailler sur des objets que l’on ne voit pas ? La question est sans objet : beaucoup de scientifiques ne font pas autre chose. Je suis chimiste de formation et j’ai longtemps travaillé sur (et même je les ai manipulés !) des atomes et des molécules sans jamais en voir un seul. Certains m’ont dit que les atomes existent car, aujourd’hui, on est capable de les voir grâce aux microscopes à force atomique et à effet tunnel. Or ceci est faux : en toute rigueur, on ne pourra vraiment voir un atome que lorsque le médiateur entre cet atome et l’œil humain sera constitué par la lumière (un ou plusieurs photons) ; or, dans les microscopes évoqués précédemment, le médiateur n’est pas un photon !

Certains considèrent que travailler sur les ovnis et croire à leur existence n’est pas scientifique car la notion de croyance serait étrangère à la science. Faux : je connais plein de chimistes (moi compris) qui croient que les atomes existent. Je crois, de plus, que le Kamtchatka et l’Australie existent sans y avoir jamais mis les pieds. Je crois également que la Terre est ronde (on me pardonnera cet à peu près ; en réalité, elle est approximativement sphérique). Je crois aussi à certaines valeurs comme la liberté, l’égalité, la fraternité… Je suis donc l’un de ces quelques fous qui s’intéressent aux ovnis.

J’ai rencontré plusieurs témoins directs de manifestations ovnis. Le premier fut Renato Nicolaï, le fameux témoin du phénomène de Trans-en-Provence et c’est ce dossier-là qui a constitué ma prise de contact avec ce sulfureux sujet. C’est Jean-Pierre Petit, devenu depuis un excellent ami, qui m’a entraîné chez Nicolai (je me passerai dorénavant du tréma sur son nom car Nicolai est italien et le tréma n’existe pas en italien) en septembre 1982. Cette visite a un rapport direct avec le dossier MHD et Jean-Pierre en parle sur son site Internet. Ceci est également évoqué ailleurs dans cette page ; je n’y reviens donc pas. Lorsque nous sommes allés chez Nicolai, un an et demi après l’atterrissage d’un ovni sur sa propriété (le 8 janvier 1981), des signes étaient encore très visibles sur le sol (la repousse des herbes était encore loin d’être parfaite). Après avoir eu un long entretien avec le témoin (dont une partie en italien, ce qui permit de faire tomber facilement la méfiance et les défenses psychologiques de l’intéressé) et m’être procuré le rapport que le GEPAN avait réalisé sur l’événement (résultats des analyses chimiques du sol et biochimiques des végétaux, réalisées dans des laboratoires publics sérieux), j’ai considéré que l’ensemble était suffisamment crédible pour que le dossier ovni méritât que je m’intéresse à lui. Par la suite j’ai d’ailleurs décidé de faire cadeau à Nicolai de mon exemplaire du rapport du GEPAN car personne n’avait jugé utile de lui en remettre un ! Quel manque du plus élémentaire des égards ! Voilà qui en dit long sur le peu de cas que l’administration fait des personnes témoins de phénomènes ovnis. Avec le temps, Nicolai aurait fini par se demander si tout cela n’était qu’un rêve ou s’il n’avait tout simplement pas confondu avec le traîneau du Père Noël. Depuis, Nicolai est reparti vivre en Italie ; inutile donc d’aller le chercher à Trans.

Tous les autres témoins que j’ai eu l’occasion de rencontrer par la suite (et il y en a de nombreux !) m’ont conforté dans l’idée que le dossier ovni est extrêmement sérieux et mériterait beaucoup plus d’efforts que ceux qui sont faits officiellement. Le lecteur sceptique doit lire d’urgence le rapport du COMETA qui a été remis en 1999 à Jacques Chirac et à Lionel Jospin (le rapport a été publié – mais pas ses annexes ! – par le magazine VSD). Il y a beaucoup plus de gens qu’on ne croit qui ont vu des ovnis. Même ma fille Magali a été le témoin (avec plusieurs amis à elle) d’un phénomène ovni tout près de Venise au début de l’été 2003… Très frustrant pour moi… J

Pour le reste, le lecteur vraiment intéressé pourra se faire une idée et une opinion en cherchant. Aujourd’hui, c’est devenu très facile grâce à Internet par exemple. Le seul problème (je reconnais qu'il est de taille !) est dû à la dimension sociologique du dossier. En effet, les soi-disant témoins d’ovnis peuvent, en gros, se répartir en 4 catégories :

 

Le dossier se complique encore si l’on sait que certains témoins émargent à plus d’une catégorie à la fois. Et je ne discute pas du cas de ceux qui ont été mêlés (réellement ou pas !) à des rencontres rapprochées avec des êtres extra-terrestres ou au phénomène des crops circles (les cercles dans les blés ou autres récoltes). On voit donc que le dossier ovni est pollué par énormément de choses, de phénomènes, de gens, d’organisations (et, plus récemment, de sites web) qui n’ont rien à y faire… ce qui explique la difficulté qu’il y a à s’en dépêtrer, à démêler le vrai du faux et à en extraire ce qui est vraiment significatif et important.

Croire au sérieux du dossier ovni ne n’apporte aucune lumière sur l’origine de ses causes. Aussi, je reste aujourd’hui ouvert aux deux grandes catégories d’explications possibles (pour ce qui concerne les phénomènes ovnis avérés, bien entendu) :

·        l’origine extraterrestre de véhicules d’exploration occupés par des êtres intelligents (provenant d’où ? pas de réponses pour l’instant) ;

·        l’origine parapsychologique (car les phénomènes parapsychologiques, outre qu’ils sont tabous, semblent bel et bien exister) : matérialisation d’objets au formes bizarres autant que diverse, causées par le psychisme (de qui ? de quoi ? pas de réponses pour l’instant ; affaire à suivre).

 
 

LES SOCIÉTÉS FÉODALES

Lorsque se constitua peu à peu l'Europe féodale, un homme – c'était moins fréquent chez les femmes – pouvait, par son intelligence, sa ruse et la force de ses armes se tailler un fief, plus ou moins arraché à un personnage plus important, et dont il devenait le vassal. Au fil du temps, le vassal ou ses successeurs réussissaient parfois à confisquer le pouvoir, les terres et la couronne de leur suzerain.

Il est clair qu'un système féodal s'oppose, par sa nature même, à un pilotage conduit par une structure de décision centralisée dont le rôle serait d'appliquer ou de faire appliquer une politique générale donnée. Ainsi, féodalité et politique générale sont deux notions essentiellement antinomiques, à moins, bien sûr, d'appeler politique les agissements plus ou moins personnels de tel ou tel baron, comte ou autre marquis.

Pour terminer, et pour ceux qui ne verraient pas la différence entre un système féodal et un système "mafieux", il est bon de rappeler que si le système féodal a pu conduire à la Renaissance, on ne voit pas très bien sur quoi (si ce n'est sur des drames) pourrait déboucher une communauté organisée comme la Mafia. Les événements qui se sont succédés dans l'ex-URSS depuis 70 ans pourraient constituer un modèle tout à fait intéressant à cet égard.
 
 

LES GRANDES FAMILLES

Ce chapitre ne doit pas être regardé comme une attaque portée envers les grandes familles. D'ailleurs, nous appartenons tous à des familles qui furent grandes (si, par hasard, elles ne l'étaient plus).

En effet, nous avons tous 2 parents, 4 grands-parents, 8 arrière-grands-parents etc. Lorsqu'on remonte dans le temps, on sait qu'à chaque génération le nombre d'ancêtres de chacun d'entre nous est multiplié par deux (en réalité un peu moins car il y a forcément eu, de temps à autre, des cas de consanguinité). Ainsi, vers l'an 1300, chacun d'entre nous disposait donc de 268 435 456 ancêtres, ce qui est impossible puisque la population estimée de l'Europe était d'environ 45 à 65 millions d'habitants (la Terre n'en comptait alors en totalité que de 300 à 450 millions). C'est ce genre de considérations qui a d'ailleurs permis à certains généalogistes d'affirmer (de manière sans doute un peu provocatrice) qu'un Européen sur deux descend de Charlemagne en ligne directe. Ce qui, au passage, devrait contribuer à nous faire sentir un peu plus frères les uns des autres, et pas seulement à l'intérieur de l'hexagone. Fermons la parenthèse.

Les grandes familles ont pour caractéristique de durer, ce qu'il faut tempérer par le fait que tout a une fin. Les mérovingiens ont disparu. Les capétiens ont perdu le trône de France. D'autres dynasties, impériales, royales, nobles ou roturières, financières ou industrielles se sont éteintes ou leurs rejetons sont rentrés dans le rang ou l'anonymat.

Comme il faut savoir se limiter, je ne parlerai, ici, que des grandes familles contemporaines qui détiennent entre leurs mains les ficelles du monde économique et du monde politique. Comme les informations sont d'accès difficile je citerai des données qui ont parfois plus de dix ans. Il est intéressant de remarquer que dans tous les conseils d'administration de tous les grands groupes français on trouve (ou on a trouvé) des parents, cousins et autres alliés, des hommes politiques les plus importants ou influents du pays. Je ne pense pas que ceci soit neutre. Pourtant, un tel état de fait n'est que l'expression de comportements très humains et donc, à ce titre, très normaux.

C'est ainsi que les Giscard d'Estaing sont liés au groupe des Chargeurs Réunis (premier transporteur privé du pays). Ou encore que André Bettencourt, ancien vice-président (jusqu'à sa démission en décembre 1994) du groupe L'Oréal et époux de Liliane (première fortune de France, fille et unique héritière du fondateur du groupe, Eugène Schueller, qui fut un grand patron d'extrême droite et l'un des financiers du mouvement terroriste La Cagoule) avait été sous-secrétaire d'État sous Mendès France puis, à plusieurs reprises, ministre et secrétaire d'État sous la Ve République, dans les cabinets de Pompidou, Couve de Murville, Chaban-Delmas et Messmer.
 
 

LES PRIVILÈGES

Dans toutes les sociétés, et depuis toujours, les hommes recherchent les privilèges. Les castes sont une illustration de cette démarche qui doit donc être prise pour ce qu'elle est c'est-à-dire quelque chose de normal. L'opposition entre maîtres et esclaves, nobles et roturiers, prêtres et laïcs, bourgeois et ouvriers, marchands et artisans, conquérants et conquis, etc. se retrouve sur à peu près tous les continents et à toutes les époques. Ce n'est que lorsque des conditions particulières viennent à se manifester que l'apparition de tensions peut conduire à des bouleversements sociaux plus ou moins importants : grèves, manifestations, séditions, frondes, jacqueries, émeutes, révoltes, insurrections, révolutions ou sécessions.

Dans certaines sociétés avancées modernes les privilèges (que l'on appelle parfois les avantages sociaux, alias les droits acquis) prennent des formes beaucoup plus subtiles que par le passé. Les agents de la SNCF (ainsi que leurs familles) peuvent voyager en train à des prix défiant toute concurrence ; leurs confrères d'Air France en font autant sur les avions de leur compagnie ; les enseignants sont réputés imbattables quant à la durée de leurs vacances ; certains (hauts) fonctionnaires disposent de logements de fonction à rendre jaloux des milliardaires américains ; l'électricité ne coûte pas cher aux agents d'EDF ; quant à de très nombreuses catégories de salariés (du public comme du privé) elles bénéficient de primes innombrables ou d'avantages variés où l'abscons le dispute souvent au ridicule. Quelques exemples savoureux :

LES GRANDS CORPS

Le système éducatif français est excessivement élitiste. Son aboutissement en est le classement des établissements éducatifs selon une échelle de valeur qui, pour n'être pas mauvaise en soi, n'en est pas moins porteuse de conséquences hautement funestes. En haut de l'échelle, l'ENA, Polytechnique (de préférence X-quelque-chose) sont les écoles qui ouvrent incontestablement les portes du pouvoir. Je ne me lancerai pas dans l'exercice périlleux consistant à essayer de les départager. Un cran plus bas, on trouve Centrale, Sciences Po ou HEC. Et ainsi de suite jusqu'au bas de l'échelle.

Ce qui semble critiquable n'est pas la formation qu'y reçoivent les jeunes : elle est excellente au plan technique ; c'est plutôt le complexe de supériorité (voire la suffisance ou l'arrogance) dont font preuve bon nombre (heureusement pas tous) de ceux qui sont passés par là. Les plus irrécupérables étant sans doute les énarques (mes quelques – rares – amis énarques ne sauraient être visés ici ; je leur adresse un clin d'œil au passage et les remercie de l'amitié dont ils m'honorent – on ne sait jamais).

Mais trêve de clin d'œil ! Dans les 200 plus grandes entreprises françaises, les X représentaient en 1993, 27 % des patrons (contre 25 % en 1985). Les énarques arrivent juste après avec 23 % des postes (contre 11,5 % en 1985). Les conseils d’administration des grands groupes français, où les gros "zinzins" (les investisseurs institutionnels) se tiennent tous par la barbichette, en sont truffés. En 1965, aucun des présidents de chambre de la Cour des comptes n’était énarque ; fin 1996, ils le sont tous. Bientôt, tous les patrons français, de l’industrie et de l’administration, du public comme du privé, seront sortis du même moule : ce sera parfait ! et bien fait pour le peuple !

Tout ceci explique que l’ENA subisse de plus en plus de critiques. Début 1997, un certain nombre de voix s’élèvent pour en réclamer la suppression pure et simple ; parmi celles-ci, celle de Laurent Fabius, un énarque parmi tant d’autres dirigeants, présents ou passés, de la France. Une nouvelle association, OCSENA (Organisation Contre le Système ENA), vient de voir le jour. Autre groupe d’activistes parmi lesquels on trouve des avocats, des universitaires, des banquiers, des commerçants, des chefs d’entreprises regroupe les signataires d’une pétition, "Charte 98", qui réclame la modernisation de l’Etat. Sa première revendication concerne la suppression de l’ENA. Y parviendra-t-on ? Pas sûr car il y a déjà eu plusieurs tentatives : en 1972, le parti socialiste avait inscrit dans son programme la suppression de l’ENA mais les énarques ont investi le parti entre le congrès d’Epinay et le 10 mai 1981. En 1981, c’étaient les communistes qui étaient déterminés à avoir la peau de l’ENA ; la bête s’en est tirée en acceptant une réforme qui a instauré la fameuse troisième voie pour le recrutement. Même le futur président Chirac s’est attaqué aux technocrates (sans doute n’a-t-il pas osé les appeler par leur nom) durant sa campagne présidentielle ; puis, il s’est efforcé d’oublier. Début 1997, c’est un député RPR des Yvelines, Jean-Michel Fourgous, qui monte au créneau avec une proposition de loi en vue de sa suppression. Mais ne vendons pas la peau de l’ours avant de l’avoir tué car les énarques ont plus d’un tour dans leur sac et ils savent se défendre : normal, ils sont partout et aux plus hauts niveaux... Jacques Chirac, Alain Juppé, Philippe Séguin, Lionel Jospin, Michel Rocard, Martine Aubry, François Léotard en sont alors qu’on n’en trouve que 9 % à l’Assemblée nationale. Allez y comprendre quelque chose.
 
 

LE TRAVAIL MANUEL

Dans un tel contexte scolaire, il était fatal que les métiers manuels soient rejetés en bloc par à peu près tout le monde à l'exception de quelques compagnons du devoir ou autres idéalistes de cet acabit.

Et pourtant ! Une société, pour bien fonctionner, a besoin d'artisans capables d'exécuter certains travaux qui ne peuvent pas facilement être réalisés par des machines ou de grosses unités de production. Les choses changeront lorsque chacun pourra s'équiper de robots anthropomorphes efficaces (il est permis de rêver). En attendant, il faut s'arranger.

Des gens astucieux et entreprenants se sont rendus compte qu'il y avait là quelques opportunités à saisir. Toute personne ayant fait réparer son téléviseur voit ce que je veux dire. Devant l'augmentation considérable des coûts de la main d'œuvre lorsque l'on passe par une entreprise ayant pignon sur rue, nombreux sont ceux qui n'hésitent pas à s'adresser à des travailleurs au noir, ce qui est illégal, comme chacun sait. Il faudra donc en parler, qui à sa baby-sitter, qui au prof qui donne quelques cours à ses enfants, qui à la gentille Martiniquaise qui vient l'aider dans ses travaux domestiques.
 
 

LE PRINCIPE DE PETER

Ceux qui savent font. Ceux qui ne savent pas enseignent. Ceux qui ne savent pas enseigner dirigent. Ceux qui ne savent pas diriger coordonnent. Ceux qui ne savent pas coordonner supervisent. Ceux qui ne savent pas, n’enseignent pas, ne dirigent pas, ne coordonnent pas, ne supervisent pas, sont des ministres.

Avec la dévaluation des travaux manuels, il est devenu commun de dire que plus on est haut dans l'échelle sociale, moins on a à se salir les mains. La conséquence est que tout le monde veut grimper le plus haut possible et à n'importe quel prix. Le statut social se mesure au nombre de personnes qui se salissent les mains pour vous. L'importance d'un chef de service est donnée par le nombre de ses collaborateurs. Ceci est vrai dans tout type de société.

Aux Etats-Unis, n'importe quel individu peut se faire virer s'il ne remplit pas son contrat, même le président. Il m'a été donné de voir une université américaine renvoyer un prix Nobel. Chose difficilement pensable en France. Au cours de sa vie professionnelle, un Américain peut voir son salaire croître et décroître en fonction de son activité et du marché (l'offre et la demande). En France, il est communément admis qu'un salaire ne puisse que progresser au cours d'une vie – sauf pour les chômeurs, bien entendu.
 
 

LA HIÉRARCHIE

Toute société humaine se doit d'être hiérarchisée sinon c'est l'anarchie. Mais une hiérarchie efficace ne doit pas laisser de place à l'arbitraire ce qui pose le problème de sa propre légitimité. Ainsi, chaque niveau – y compris le plus élevé – doit avoir des comptes à rendre à quelqu'un. Dans une (vraie) démocratie le chef doit rendre des comptes au peuple. Dans une entreprise moderne le directeur général rend des comptes à son conseil d'administration qui, à son tour, doit en rendre à ses actionnaires.
 
 

LE CHEF

Nous n'avons point à louer ni à honorer nos chefs ; nous avons à leur obéir à l'heure de l'obéissance, et à les contrôler à l'heure du contrôle. Après cela, ils sont payés, ils ont leur pension ; tout est réglé ; je ne dois plus rien (Alain).

Il faut se méfier du syndrome du chef chez qui la hauteur de vue – et l'ampleur des vues – gêne parfois la perception précise des détails.
 
 

LE PROGRÈS TECHNIQUE

"S’interroger sur le progrès, c’est interroger sur le sens de l’activité humaine.

Le progrès est un concept culturel occidental, absent chez d’autres peuples. C’est une idée relativement récente dont la connotation n’a pas toujours été positive. Le " progrès ", loin d’être assimilable à l’Histoire, a donc lui-même une histoire.

Au Moyen Age la notion désigne l’évolution spirituelle du genre humain qui devait conduire à l’avènement de la cité de Dieu. C’est à la Renaissance que l’idée de progrès s’écarte de la recherche d’un gouvernement spirituel du monde pour se structurer autour de l’avancement des sciences et des techniques. Dès lors le progrès se définit davantage comme le résultat d’une accumulation de connaissances où la raison le dispute à la foi. Au siècle des Lumières, le débat est loin d’être tranché : le progrès est-il matériel ou moral ? Linéaire ou discontinu ? Limité ou infini ? C’est au XIXe siècle surtout que l’on assignera au rationalisme, à la science érigée en nouvelle croyance, le soin d’apporter bonheur, justice et prospérité.

Diderot doutait : " Le monde a beau vieillir, il ne change pas ; il se peut que l’individu se perfectionne, mais la masse de l’espèce ne devient ni pire ni meilleure. "

Malgré ce dont l’homme est capable dans le domaine de l’horreur, l’idée que l’humanité est appelée à devenir de jour en jour meilleure, fonde pourtant l’interprétation de l’Histoire en Occident. Illusion ? Illusion nécessaire peut-être ?"* 

* Plaquette de présentation du colloque "Les entretiens de la communication scientifique et technique", Paris, 29 janvier 1997.

L'illusion scientiste est de concevoir la technologie comme un substitut aux choix sociaux et politiques (J.J. Salomon).

Les hommes ont toujours cherché à s'affranchir des contraintes matérielles du monde qui les entourait. Il fallait s'abriter du froid, de la pluie et des autres agressions du milieu. Celui qui ne possédait rien cherchait à acquérir quelque chose ; celui qui possédait un petit bien en désirait un plus important ou plusieurs ; celui qui régnait sur un territoire œuvrait à l'agrandir. La propriété privée – notion sur laquelle nous reviendrons – n'est que la manifestation de l'esprit de possession présent dans chaque individu et a probablement été l'un des moteurs essentiel du progrès technique. Or, nous vivons sur une planète dont les dimensions ne sont pas infinies et où la quantité de biens disponibles est limitée.

Tant que les moyens de production de richesses étaient restreints (la production d'un individu était directement liée à sa force physique et à son habileté – paramètres facilement accessibles à tout observateur normalement constitué) un certain équilibre réussissait à se maintenir. Les choses ont commencé à changer dès que l'homme a été capable d'utiliser des animaux comme source d'énergie. Plus tard, la maîtrise des moyens techniques de production culminant avec l'ère industrielle a produit un nouveau changement de dimension. Enfin, le passage actuel à une économie de plus en plus tertiarisée fait entrer la civilisation dans une nouvelle phase sur laquelle il est encore trop tôt pour pouvoir valablement disserter.
 
 

LA PROPRIÉTÉ PRIVÉE

La propriété privée prend ses racines dans la notion de territoire que l'on rencontre chez les animaux supérieurs. Or, chez l'animal, le territoire d'un individu donné n'a pour seules limites que les territoires de ses plus proches congénères. Chez l'homme les choses sont différentes dans la mesure où chaque individu est porté à augmenter son patrimoine (l'ensemble des biens dont il dispose – et son territoire en fait partie) de manière continuelle. Se comporter différemment est l'apanage des saints, des sages et des fous. Le renoncement n'est pas toujours considéré comme une vertu.

Le travail est le moyen privilégié pour accroître son patrimoine personnel. Dans les sociétés primitives, lorsque la seule forme de travail possible était le travail physique, les plus forts étaient ceux qui possédaient le plus. Etre fort voulait aussi dire être capable de défendre ses biens contre les menaces extérieures ou s'approprier le travail des plus faibles (intimidation, pillage, conquête, esclavage).
 
 

L'AMBITION

On grimpe dans la même posture que l'on rampe (Jonathan Swift).

Il est à peu près communément admis que c'est l'ambition des hommes qui a permis le progrès technique. L'un des moteurs de l'ambition est l'imitation ou la jalousie. On aimerait avoir ou on désire ce que le voisin possède. Autrefois sa grotte ou sa hutte étaient plus confortables, ses terres plus fertiles, son cheptel plus gras, ses enfants plus nombreux, sa tribu plus forte. Aujourd'hui ce sont son manoir avec piscine et les vacances qu'il passe sur son bateau dans les mers du sud qui nous font rêver mais les ressorts sont bien les mêmes.

Autrefois il fallait redoubler d'ardeur, mettre en œuvre plus de force physique pour acquérir ce que l'on avait ainsi convoité. De nos jours, le travail est en général devenu moins physique et la civilisation monétisée de sorte que l'on n'acquiert plus ce que l'on convoitait directement par son travail (sauf à aller le voler – pour autant que voler soit un travail). Il faut donc se procurer des revenus supplémentaires ce qui signifie une augmentation, une promotion, etc. Certains sont prêts à tout pour cela y compris sacrifier la qualité de leurs résultats par rapport à la quantité. La vérification, la chasse à l'erreur, en un mot le travail bien fait sont des attitudes sur lesquelles on est amené à rogner en permanence. Il faut supprimer toute perte de temps inutile ; c'est le culte du rendement et de l'efficacité.
 
 

LE POUVOIR

Toute personne qui a du pouvoir est portée à en abuser (Montesquieu).

Lorsque l'homme s'est rendu compte qu'en prenant de l'ascendant sur les autres il pouvait en tirer profit il découvrit les charmes du pouvoir. Ne pouvant l'exercer que sur un petit nombre de ses semblables, il mit en place des intermédiaires chargés de le représenter et de démultiplier ainsi son action. La voie était alors ouverte à l'avènement de sociétés de plus en plus hiérarchisées et structurées.

Le seul pouvoir réellement légitime est celui qui accepte de se voir contesté.
 
 

LA VERTU

Autrefois, on pratiquait la vertu, même les grands hommes (mais pas tous). De nos jours, on se contente surtout d'en parler.
 
 

LES MORALISTES

Faites ce que je dis mais ne faites pas ce que je fais.

On s'irrite plus contre ceux qui dénoncent les fautes que contre ceux qui les commettent.
 
 

LE CONFORMISME

Dans conformisme il y a confort. Et, de manière tout à fait homologue, dans confort, il y a aussi autre chose...

On observera que le conformisme scientifique existe aussi et qu'il est l'un des freins les plus efficaces qui s'opposent au progrès. Le dogmatisme (et les dogmatismes) est (et en sont) à la fois la conséquence et l'une des causes du conformisme.
 
 

PARTICULARISMES OU MÉTISSAGE ?

Pendant des siècles, on s’est méfié des comportements originaux. Les individus avaient intérêt à ne pas trop se singulariser ; mieux valait passer inaperçu. Les temps ont bien changé : nous vivons une époque où l’on s’accommode de plus en plus de la coexistence de groupes aux "cultures" différentes. Signe sans conteste d’une société devenue "plurielle".

Il est indéniable que l’histoire de l’humanité a commencé, à partir d’un petit groupe (une famille ou un clan), par une diaspora humaine à travers les cinq continents. Cette diaspora a permis la constitution de groupes humains de plus en plus éloignés et isolés les uns des autres, aux patrimoines génétiques allant en se différenciant progressivement jusqu’à ce que, de mutation en mutation, apparaissent des variétés humaines suffisamment différentes pour que l’on puisse parler de races.

Je suis conscient que mon discours risque de conforter les positions des racistes mais tel n’est pas mon but. J’espère pouvoir montrer – à défaut de démontrer – que les racistes ne font que raisonner juste à partir de prémisses fausses ou, si l’on préfère, de raisonner faux à partir de prémisses tout à fait exactes. Il me semble évident qu’il existe sur la Terre des races différentes. Elles existent chez les végétaux et les animaux. Il était sans doute fatal qu’elles finissent par se manifester au sein de l’espèce humaine. Certains, chez nous, ont la peau plus foncée que d’autres. Certains ont des capacités physiques en moyenne – et ce point important ne doit jamais être perdu de vue – supérieures à d’autres. On n’a, pour s’en convaincre, qu’à essayer de compter parmi les recordmen du 100 mètres combien sont d’une autre race que la noire et ceci depuis des dizaines et des dizaines d’années. J’ai parlé de capacités physiques supérieures. Qu’est-ce qui nous fait dire que telle capacité physique est supérieure à telle autre ? Le fait qu’elle conduit à des performances physiques jugées comme supérieures. Et voici un grand mot de lâché : "performance". Dans notre système actuel de valeurs, tout ou presque dans l’activité humaine – qu’elle soit individuelle ou de groupe, ludique ou professionnelle – peut et doit être évalué en terme de performance. Je ne pense pas que ceci soit bon ou souhaitable mais c’est hélas ! ainsi. Et ce sujet mériterait certainement un autre débat.

Donc, de même que certaines races (ou éventuellement sous-races) sont dotées de capacités physiques différentes de celles d’autres races, il ne m’apparaît pas choquant de penser que certaines races puissent avoir des capacités psychiques ou mentales différentes de celles appartenant à d’autres. Ce qui serait choquant c’est de vouloir faire entre ces capacités un classement suivant une échelle de valeur – et de valeurs.

Revenons maintenant au phénomène de fragmentation de l’espèce humaine tel qu’il s’est produit au fil de l’Histoire et qui a conduit à un morcellement extrême des types physiques, culturels et sans doute psychiques. Ce que la biodiversité y a gagné je prétends que l’humanité l’a perdu. J’appelle ici "humanité" non pas le rassemblement de tous les individus passés, présents et à venir qui constituent notre espèce mais cette notion archétypale qui représente la somme de toutes les propriétés physiques et psychiques singulières constitutives de ces différents individus et qui constitue notre propriété collective commune c’est-à-dire ce qu’il y a en nous qui fait de nous des humains. Et l’élimination physique – totale ou pas – de certains de ces groupes – indiens d’Amérique du nord ou de la Caraïbe, Fuégiens, aborigènes, etc. etc. doit être regardée de ce point de vue comme la pire abomination que l’homme moderne ait réalisée au détriment de lui-même. Cette attitude insensée aura conduit à un appauvrissement collectif de toute l’espèce car elle nous privera de ce qui aurait été, le moment venu, un formidable apport de sang neuf – et de psychisme neuf – utile à la constitution de la future humanité. Dans cette future humanité, il n’y aura plus de noirs, plus de jaunes aux yeux bridés, plus de rouges à la riche chevelure, plus de blancs non plus ; mais seulement des hommes et n’en déplaise à ceux qui penseraient que ce sera bien monotone, cette humanité-là ressemblera plus à une seule et même grande famille qu’à la juxtaposition plus ou moins harmonieuse ou heurtée de groupes, de clans ou de tribus plus ou moins issus de l’âge de pierre et toujours prêts à en découdre pour des terres giboyeuses, une rivière poissonneuse ou un filon encore plus riche que le précédent. Dégagée de la question de la suprématie de tel ou tel groupe, l’espèce toute entière pourra entrer dans la phase suivante de son évolution qui la conduira vers la gestation de "l’après-homme" car, n’en doutons pas, l’homme ne constitue pas le point d’achèvement de l’évolution zoologique du globe terrestre. Les descendants de nos descendants seront aussi différents de nous que nous le sommes du pithécanthrope ou de l’australopithèque.
 
 

L'ENTHOUSIASME

Une société qui ne parvient pas à donner de l'enthousiasme à ses ressortissants est mal barrée. Mais qui tient la barre ?
 
 

CLANS ET LOBBIES

Très tôt les hommes se sont aperçus qu'en se regroupant ils pouvaient obtenir une synergie entre leurs actions individuelles et par là, de meilleurs résultats. Ce surcroît d'efficacité est dû au fait que plus on est nombreux plus on peut répartir les tâches ou l'effort sur un plus grand nombre de participants. Ainsi, au fil des âges, et au départ sur des bases génétiques et ethniques, se sont constitués la famille étendue, le clan, la tribu, la horde et le peuple. Simultanément, les migrations, l'esclavage, les brassages de populations permirent des mélanges grâce auxquels nous ne sommes pas tous devenus des dégénérés. Les nations des pays modernes (sauf là où les frontières ont été tracées artificiellement comme en Afrique, par exemple) sont donc les résultats d'une longue évolution historique qui est certainement loin d'être terminée et dont il faut espérer que les soubresauts prévisibles ne feront pas trop de dégâts.

Parallèlement à cette complexification ethno-géographique et afin de répondre à des besoins spécifiques ressentis par certains groupes humains, s'organisèrent au sein de chaque population des rapprochements sur des bases dictées par des opportunités professionnelles (les gladiateurs, les scribes, les notaires), des communautés de croyances ou de rites (les castes, les religions, les sectes), ou des intérêts socio-économiques (les syndicats, les clubs, les chambres de commerce, les lobbies).

La digression était un peu longue et je m'en excuse. Ma seule justification est que le monde fonctionne grâce aux (ou à cause des) lobbies. Les Français semblent – en moyenne – s'en être aperçus assez tard et certains ont même l'air d'être choqués par une telle affirmation ce qui dénote à mon sens ou bien un aveuglement dangereux, ou une naïveté sans bornes, ou une hypocrisie entretenue par les plus machiavéliques (ce qui serait encore le moindre mal) ou peut-être encore parce que le mot "lobby" est souvent traduit par "groupe de pression" et que les Français n'aiment pas les pressions !

Je ne sais pas avec une absolue certitude laquelle des causes ci-dessus est la plus plausible mais je penche plutôt pour la troisième. J'en veux pour preuve le rôle joué, en France, par les Associations (diverses et variées), les Comités de défense (de ceci cela), les Amicales (des anciens machins), les Clubs (de trucs), les Cercles, les Partis (même eux), les Sectes, les Eglises (là, peut-être que les Américains nous battent mais nous avons les adorateurs du nombril), les Syndicats (ouvriers, de cadres, patronaux, agricoles, de branche, de copropriétaires), les Ordres (des médecins et des autres), les Mouvements, les Fronts (de libération nationaux ou locaux) sans oublier les Sociétés (de personnes, en participation, à responsabilité limitée, anonymes, secrètes ou occultes ce qui va jusqu'à inclure la franc-maçonnerie, le syndicat du crime ou la Mafia)*

* Le parlement qui est un peu l'âme de la nation montre la voie : on y trouve même le club des parlementaires amateurs de havanes.

Au fond, tout ceci n'est que du pur copinage – copain, coquin a-t-on dit à une certaine époque – et le lecteur qui aurait encore quelques doutes est prié de consulter un ouvrage de salubrité publique, le livre de deux femmes journalistes, Sophie Coignard et Marie-Thérèse Guichard, qui s'intitule Les Bonnes Fréquentations* mais qui pourrait tout aussi bien porter le titre plus explicite de Mode d'emploi du Copinage

* Grasset éditeur, Paris, 1997.

LE CORPORATISME

Pourquoi diable faut-il que le mot "corporatisme" ait un caractère péjoratif ? Héritier des corporations et des guildes du Moyen-Âge le corporatisme est parmi nous.

Les mutuelles sont essentiellement corporatistes. Prenons l'exemple de la Mutuelle Assurance des Instituteurs de France (MAIF). Créée à l'origine en 1934 pour offrir à une catégorie socio-professionnelle particulière – les instituteurs – les services qu'offre une compagnie d'assurance, elle est devenue un magnifique exemple de réussite et donc de ce qu'il faudrait faire.

La manière dont sont structurés les syndicats – ainsi que les syndicats eux-mêmes – sont essentiellement corporatistes. Tel syndicat répondra mieux aux traditions et aux attentes de telle catégorie de personnel (la CGC pour les cadres par exemple) ; telle profession est aux mains de tel ou tel syndicat (rôle de la CGT chez les dockers) ; etc. etc.

Au milieu des années quatre-vingt dix,116 professions jouissaient en France de la possibilité d'effectuer des déductions fiscales supplémentaires pour le calcul de leur impôt sur le revenu.

La multiplicité des régimes de retraite – il en existe plus de 170 en France, donc un pour chaque métier ou presque – et leur diversité est un autre très bel exemple de corporatisme, les anciens élus du peuple faisant sans doute partie des retraités les mieux lotis.

Quant à l'Assemblée nationale, elle est le lieu idéal pour faire du lobbying (lisez : faire passer des lois particulières ou entraver des lois allant dans le sens de l'intérêt général). Ainsi, dès qu'il est question de projets de lois touchant à la santé ou à la sécurité sociale, la cinquantaine de députés qui sont médecins sont – pour une fois – tous présents en séance ce qui, vu l'absentéisme de nos élus préférés, les rend majoritaires et leur permet de bloquer le processus sous une avalanche d'amendements.
 
 

LES FRANCS-MAÇONS

La franc-maçonnerie est constituée par un ensemble (une myriade) de sociétés (obédiences) traditionnellement relativement occultes mais qui tendent de plus en plus à sortir de l'ombre qui les enveloppait depuis 1717. Tout en sachant que ses adeptes (certains partis politiques, et singulièrement le parti socialiste français, en sont truffés) sont des hommes de pouvoir, j'avais a priori une assez grande estime pour cette noble institution et le lecteur qui voudrait en savoir plus est prié de se reporter à l'article correspondant dans son encyclopédie préférée. Jusqu'au jour où certains de ses membres m'ont déçu profondément. Ne voulant pas jeter le discrédit sur l'ensemble de la corporation, je préfère penser avoir eu affaire aux plus mauvais d'entre eux, ou aux plus jésuites, ou aux plus arrivistes, en tous cas aux moins représentatifs.

Il y a d'ailleurs quelque chose de pourri au royaume de la franc-maçonnerie. Pour ne parler que des affaires ayant défrayé la chronique récente je vais prendre deux exemples. Un franc-maçon, le brigadier-chef Daniel Voiry (secrétaire du directeur de la sécurité publique à la préfecture de police), impliqué dans l'affaire de la tour BP s'est suicidé le 6 décembre 1990. Un autre "frère", Michel Reyt, patron de la société Sages (prononcer "sagesse" : quel merveilleux clin d'œil !) a été inculpé et écroué dans l'affaire Urba-Sages concernant le financement du parti socialiste français. Quant à Roberto Calvi, financier de son état, et membre éminent de la Loge italienne P2, je rappelle qu'il fut retrouvé pendu sous un pont de Londres, moyen très subtil d'afficher son internationalisme. Ce qui précède n'est en aucune façon l'affirmation de la responsabilité des personnes citées et ne veut pas dire que tous les adeptes de cette vénérable institution soient pourris mais simplement que, comme toute société humaine, la franc-maçonnerie doit compter quelques brebis galeuses.

On peut ajouter qu'autrefois les Loges étaient des cénacles de notables et donc de gens arrivés. Alors qu'aujourd'hui elles sont parfois utilisées par certains comme un moyen pour arriver, y compris jusqu'aux plus hauts rouages de l'Église puisque la curie du Vatican en est truffée (des listes de prélats francs-maçons ont circulé à maintes reprises).

Méditons ce qu'écrivait, en 1975, J. Mitterrand, grand maître du Grand Orient de France :* 

* I l est intéresant de noter que ce grand maître n'aurait rien à voir avec la famille de feu François Mitterrand. A-t-il quelque chose à voir en revanche avec un certain Jean-Jacques Mitterrand qui était, en septembre 2007, le vénérable de la loge parisienne Combats ? Si c'était le cas, il faudrait en conclure que les qualités pour faire un bon hiérarque du Grand Orient sont transmissibles par le sang ce qui serait une mauvaise surprise de plus.

"Refuge contre l'agitation du monde profane, conservatoire de traditions dont la survivance doit être assurée, la franc-maçonnerie, comme toutes les institutions humaines, est menacée par l'évolution actuelle de la civilisation. Les valeurs sur lesquelles elle avait fondé son humanisme, le libéralisme qu'elle défendait et l'individualisme qu'elle n'a cessé d'illustrer semblent remis en cause par la société de masse et la transformation des conditions de vie de la société contemporaine, ainsi que par la complexité croissante des connaissances et des structures." On ne pouvait plus clairvoyant et prémonitoire.

Prémonition qui s’est trouvée confortée lors du "convent annuel", du 6 au 8 septembre 1995, au cours duquel Patrick Kessel, grand maître sortant du Grand Orient de France, dépité de ne pas être reconduit, évoque à la tribune force malversations, féodalités, copinages et gabegie financière. Le convent, passablement ému, refuse d'introniser son successeur et destitue les 33 membres du conseil de l'ordre, sorte de conseil d'administration de l'institution. Un convent extraordinaire fut convié en janvier 1996 qui vit l'élection de Jacques Lafouge, un proche de Kessel. A l'époque, j'avais écrit "Bon courage à tous et que le linge sale en sorte bien lavé – et à fond !"
Une décennie après, on semble en être toujours à peu près au même point (à part les effectifs qui continuent à croître comme si de rien n'était !) puisque Alain Bauer, ex-grand maître du Grand Orient de France de 2000 à 2003, juge utile de publier en septembre 2005 un ouvrage intitulé "Le crépuscule des frères.Vers la fin de la franc-maçonnerie ?" (éditions de la Table Ronde). Allez, les frères ! continuez la lessive. Et que ceux d'entre vous que l'on appelle les "frères de la côte" continuent leurs petites affaires et autres actes de piraterie organisée.
 
 

LES DÉLITS D'INITIÉS

Nous sommes tous des initiés, du moins en puissance. En effet, supposons que je détienne une information précieuse, tellement précieuse qu'elle soit susceptible de me faire gagner de l'argent, beaucoup d'argent (ou tout autre avantage car il n'y a pas que l'argent dans la vie). Si j'ai le droit de l'utiliser je le ferai et personne n'y trouvera rien à redire – sauf en France, où l'on est toujours très jaloux de son voisin qui a réussi. Si je n'ai pas le droit de l'utiliser et si mon sens moral est très fort (ce qui n'est pas donné à tout le monde) ma conscience va peut-être me harceler : n'ai-je pas quelque ami dans le besoin (c'est plus méritoire car faire le bien est une vertu) qui pourrait profiter de cette information ?

Le monde de l'argent et celui du pouvoir ont toujours été liés. Y compris par les liens sacrés du mariage. C'est ainsi que les capétiens ont, au fil des siècles, agrandi le domaine royal jusqu'à faire passer la France d'un état féodal à un état moderne (il n'y a dans cette phrase aucun jugement de valeur, ni dans un sens ni dans l'autre).

C'est aussi ainsi que la famille Wendel (sidérurgie) et ses alliés ont été fortement présents dans l'appareil de l'Etat. On y trouve la Maréchale Leclerc de Hautecloque, les Missoffe, Jean François-Poncet, les Debré, Yves Guéna, Robert Galley, Charles de Gaulle... Ceci n'est qu'un exemple illustratif d'une réalité bien plus générale : le monde des affaires et celui de la politique sont étroitement imbriqués l'un dans l'autre. Si l'on suit la question de près on verra qu'à côté des grandes familles ou des célébrités on trouve aussi des roturiers. Pour prendre des cas récents, Yves Cannac, qui occupa de hautes fonctions auprès de Valéry Giscard d'Estaing (directeur-adjoint de cabinet ministériel puis secrétaire général-adjoint à la Présidence) est depuis 1985 le président de la CEGOS, la plus grande société française de conseils aux entreprises ; ou encore, Jean-Charles Naouri (ancien directeur de cabinet de Pierre Bérégovoy), qui s'est reconverti dans la finance, était, fin 1994, le principal actionnaire de la société Casino.

Dans ces conditions, seuls les naïfs ont pu être surpris et choqués par l'affaire des initiés d'Aluminium Péchiney dénoncée par la COB (Commission des Opérations de Bourse) et qui a impliqué Roger-Patrice Pelat, ami personnel de François Mitterrand*

* On appréciera au passage le fait que F. Mitterrand était né à Jarnac (N.B. ses habitants se nomment les Jarnacais et non les arnaqués). Mitterrand était donc prédestiné à faire des coups. Heureusement, par ailleurs, que sa commune de naissance ne se soit pas appelée Jentub.

D'ailleurs, le fait que ce soit la SEC (Securities Exchange Commission, équivalent américain de la COB) qui ait porté ce dossier à la connaissance de la COB ne peut pas être neutre. On sent le règlement de comptes mais bien malin est celui qui peut dire entre qui et qui.

J'irai plus loin. Pour se faire épingler par la COB, ou bien il faut être mauvais (ce qui ne peut pas être le cas de nos hommes politiques ou nos capitaines d'industrie, sinon il y aurait de quoi s'inquiéter sur notre avenir) ou bien il faut avoir été dénoncé. En effet, supposons que je détienne une information précieuse ; je me garderai bien d'en profiter moi-même ou de la faire utiliser par un parent trop proche (le comble de la bêtise serait d'utiliser quelqu'un qui a le même nom que moi). L'idéal est le parent de parent ou l'ami d'ami. Si l'on veut être encore plus prudent, il suffit d'augmenter le nombre d'intermédiaires.
 
 

LES CLASSES SOCIALES

Un petit peu partout, quel que soit le temps ou le lieu, les sociétés humaines semblent obéir à un schéma éternel : il existe différents groupes d'individus. On peut les appeler des castes, des classes ou des catégories socio-professionnelles, le résultat est le même.

Dans les sociétés traditionnelles les guerriers, les prêtres et les esclaves jouissaient de droits et de devoirs bien spécifiques. On peut constater que peu de choses ont changé depuis lors. La Grèce antique à qui, dans notre imaginaire, nous avons fait inventer la démocratie (le mot sinon le concept) avait, à côté des citoyens, absolument besoin des esclaves, des métèques et… des femmes pour fonctionner. Les sociétés féodales et agraires qui ont suivi la fin de l’Empire Romain ont fini par instaurer le servage. Quant aux sociétés industrielles, elles n'ont pu se construire que grâce à l'existence d'un prolétariat (généralement urbain) engagé dans des fonctions bien précises de production ; tâches de production destinées, certes, à nourrir son homme mais qui étaient quelque peu aliénantes, avouons-le.

Aujourd'hui, il existe partout des risques sérieux de fractures sociales. Si cela se produit, qui paiera la facture de la fracture ? Les plus riches ou les plus pauvres ? A cet égard, il est bon de rappeler (comme l'a très justement fait remarquer le dessinateur Wolinski lors des mouvements sociaux de novembre-décembre 1995) "qu'il est très difficile de se serrer la ceinture lorsqu'on doit en même temps se retrousser les manches."

La société post-industrielle vers laquelle nous allons à grands pas (y arriverons-nous ? est une autre question) devra, à terme, redéfinir les relations entre les grandes catégories d'individus qui la constituent.
 
 

LA SOCIÉTÉ INDUSTRIELLE

L'industrialisation de la fin du XIXe siècle et de la première moitié du XXe a drainé vers les villes une masse très importante de ruraux. Les conditions de vie urbaine devaient être enviables aux yeux des gens de la campagne. En effet, avec des conditions de travail en constante amélioration, avec l'apparition des loisirs, avec l'électricité en plus et la boue en moins l'existence y était beaucoup moins inhumaine malgré le déracinement. Cependant, le paysan d’autrefois avait peut-être la vie dure à lutter contre les humeurs de la nature mais il était – dans une certaine mesure – maître de sa destinée. Ce sentiment d’être maître de son sort, pour le meilleur et pour le pire mais sous l’aile de la Providence (merci la foi) disparaît de plus en plus dans la vie des citadins perdus au milieu des vastes espaces anonymes urbains.
 
 

LA SOCIÉTÉ DE CONSOMMATION

Est-ce que consommer doit être le seul grand dessein de notre civilisation ? Une réflexion de fond me semble devoir s'imposer d'urgence sur cette grave interrogation métaphysique. Après tout, lorsque l'on a de quoi se nourrir, se vêtir et se loger, on devrait être capable de penser aux autres choses réellement importantes – s'il en existe.
 
 

LA CROISSANCE ZÉRO

Le célèbre club de Rome qui défrayait régulièrement la chronique dans les années soixante-dix avec ses propos alarmistes était allé probablement trop loin et trop fort lorsqu'il fustigeait la croissance. Le développement inconsidéré de la civilisation, disait-il, allait épuiser rapidement les ressources de notre planète. Sans tomber dans le catastrophisme et prôner la croissance zéro à tout prix, on doit cependant reconnaître que la croissance ne saurait être une fin en soi. En effet, les êtres vivants ont une croissance qui s'arrête un jour ; les créations humaines atteignent toutes leurs limites tôt ou tard ; seul l'univers semble – pour l'instant du moins – en expansion continue depuis le Big Bang.

Ces propos ne doivent pas être pris comme une négation du progrès. Ce dernier ne se traduit pas forcément par une augmentation de la quantité ou de la taille. Un progrès peut très bien être qualitatif, ce qui n'est déjà pas si mal que cela. "Toujours plus" n'est pas forcément synonyme de "mieux".
 
 

LE TRAVAIL

Le travail c'est la santé (dicton populaire).

Le travail rend libre ; alors n'en prive pas les autres.

Le travail possède un certain nombre de fonctions que l'on peut essayer de hiérarchiser : permettre à celui qui le pratique de survivre ; lui permettre de bien vivre ; lui permettre de gagner de l'argent ; lui permettre de s'enrichir ; lui permettre de ne plus travailler.

C'est aussi, en France par exemple, l'une des choses les moins bien partagées puisque l'on y trouve simultanément des gens qui en ont trop et des gens qui n'en ont pas du tout.
 
 

L'ART

Au début, il y a longtemps, l'art était une activité ou un travail comme un autre. D'ailleurs, la racine étymologique de notre mot "technique" doit être cherchée dans le mot grec teckhnikos, lui-même dérivé de tekhnê ; or, la tekhnê, c'est ce que nous appelons "l'art" aujourd'hui.

Lorsque les premières sociétés humaines se formèrent et que les métiers commencèrent à se différencier, certains hommes devinrent des artisans : potiers, forgerons, etc. Les objets qu'ils fabriquèrent étaient des objets d'usage domestique, décoratif, magique ou religieux, ou encore, destinés à des utilisations précises comme par exemple l'agriculture ou la guerre. Ce n'est que bien plus tard, lorsque la dialectique a fini par forger le concept "art" – disons vers la Renaissance – que nos archéologues ont commencé à voir dans certains de ces objets, certainement ceux qui correspondaient le mieux aux conceptions esthétiques de l'époque et aux mythes des origines gréco-latines de notre civilisation occidentale, des objets ou des œuvres d'art. Puis les Occidentaux reconnurent qu'ils n'avaient pas le monopole de l'art et que celui-ci pouvait aussi exister ailleurs.

Ce qui est intéressant aujourd'hui, c'est que l'art aussi est devenu un domaine où l'important est de faire de l'argent. Entre la découverte d'artistes méconnus, de jeunes talents prometteurs, etc., s'est développé tout un secteur d'activité dont la fonction est de participer à la redistribution des richesses à l'échelle planétaire avec tout ce qu'elle peut avoir d'artificiel, d'arbitraire, d'élitiste et accessoirement d'injuste. Le fait que les peintres, par exemple, rapportent souvent plus après leur mort que de leur vivant n’est pas la moindre de ces injustices. Aussi, n’est-il pas étonnant qu'il y a – et qu'il y aura probablement toujours – des artistes qui crèvent de faim et des artistes qui se remplissent les poches, les deux catégories ne manquant pas de nourrir autour d'elles une cohorte de parasites plus ou moins exigeants et gloutons que leurs hôtes recherchent, supportent ou exècrent simultanément, successivement ou selon les cas. C’est que devenir un artiste coté nécessite de passer par un quelqu’un de compétent et qui en fait généralement son métier ; et c’est un métier à part entière et à plein temps. Ou, si l’on préfère, un business. Et c’est ainsi que Van Gogh, qui n’arrivait pas à vendre de son vivant, a vu s’arracher en 1990 son Portrait du Dr Gachet pour 456 millions de francs ce qui fit de cette œuvre le tableau le plus cher de tous les temps.

Cette tendance actuelle fait dire à d'aucuns que "du fait qu'il n'y a plus d'oeuvre d'art et que l'on assiste au triomphe de l'esthétisme" : il y a une crise proprement française parce que l'art français est un art d'Etat, subventionné, donc sans aucune ambition. Mais le véritable changement, c'est qu'on est passé à une forme d'art que certains appellent l'art à l'"état gazeux". Les oeuvres ont disparu. Il reste des expériences fugaces, comme des parfums. C'est le succès du look, de la mode, des expositions et autres "installations"...
 
 

LES SOCIÉTÉS DE TROC

Le troc a été la première forme de commerce. Il est intéressant de noter qu'il semble reprendre actuellement de l'importance. Quelques exemples :

 

On peut d'ailleurs remarquer que ces pratiques ont été savamment organisées et sont désormais institutionnalisées. Elles regroupent (au printemps 1993) environ 30 000 participants à travers la France et le lecteur qui voudrait en savoir plus est invité à s'adresser directement au Mouvement des réseaux d'échanges réciproques de savoirs*

* Adresse : B.P. 56, 91002 Evry Cedex ; tél. : 01 60 79 10 11.

Il ne s'agit bien sûr pas là de travail au noir et tout est merveilleusement légal. Dans la même veine, signalons les Systèmes d’Échanges Locaux (SEL) dont le premier fut lancé au début 1995 dans l’Ariège et a largement essaimé depuis ; deux ans après ; on en compte 260 répartis dans la France entière. Leur particularité est que les services y sont échangés par l’intermédiaire d’unités de compte symboliques, variables d’un SEL à l’autre (ici des fleurs, là des menhirs, plus loin des berniques). On réinvente ainsi la monnaie que seul le souverain pouvait battre autrefois ; mais avec un avantage que les libertaires apprécieront : l’État est complètement court-circuité à tel point qu’il n’est plus en mesure de prélever sa dîme au passage. Cette formule est à utiliser cependant avec prudence, car un arrêt du tribunal de Foix a condamné des utilisateurs de ce système vers la fin décembre 1997.

Les entreprises, elles aussi, peuvent profiter de ce système. Il leur suffit de dire qu'elles ne font pas de troc (c'est illégal pour elles) mais de "l'échange-marchandises" et observer quelques règles pour la comptabilité, la gestion et le suivi des dossiers. Il est tout de même conseillé de passer par un professionnel ce qui signifie qu'il existe un marché et que quelques entreprises se sont astucieusement placées sur ce créneau. Pour en savoir plus, on pourra consulter un ouvrage publié en 1993 par les éditions Laurent du Mesnil (dans la collection Maxima) : "L'échange-marchandises" par Pierre Fontaine et Pascal Alexandre.

L'ENTREPRISE

La France a eu la période du "tout-État". Autrement dit, il appartenait à l'État de tout faire : éduquer le citoyen, le protéger, le soigner, assurer son emploi, le distraire, etc. c'est-à-dire vraiment tout faire. Le pendule était allé très loin (sans doute trop loin à gauche) et c'est dans ce bain idéologique que les citoyens ont appelé la Gauche au pouvoir au printemps 1981. Puis le citoyen a appris à déchanter.

Le pays est alors entré dans la période du "tout-entreprise". Entendez par là que l'entreprise apparaît comme le nouveau Messie qui nous débarrassera de tous nos problèmes : la crise et le chômage. L'entrepreneur lui-même, autrefois tant décrié en tant qu'exploiteur du peuple, est porté au pinacle. Les émissions (radio et télévision) où l'on présente les succès de telle société ou de tel patron ont fleuri. D'ailleurs le mot entreprise a tendance à détrôner le mot société : il vaut mieux entreprendre que s'associer (car il existe effectivement des associations de malfaiteurs). Certains hommes d'entreprise (Bernard Tapie) se lancèrent en politique avec, ma foi, un certain succès.

Rappelons ce qu'est une entreprise. Aujourd'hui on considère que c'est une organisation qui a pour but de produire, avec des objectifs de qualité et de productivité, des biens ou des services destinés à être vendus sur le marché.

Il faut aussi souligner que c'est la Gauche qui a réhabilité l'entreprise aux yeux des Français. On notera avec malice que ceci a constitué une véritable révolution des esprits dans un pays, la France, où l'on peut dire que l’horreur de l’entreprise était une véritable MST (maladie socialement transmissible). D’ailleurs, les électeurs n’ont pas pardonné à la gauche et jugèrent bon, dans leur sagesse populaire, de lui envoyer un coup de semonce en 1986. Mais l'avertissement n'était sans doute pas assez clair car la Gauche se sentit très légitimée par son rappel en 1988. Les électeurs, comme dessoûlés et prenant leur courage à deux mains, votèrent en 1993 afin que l'on mette la barre à droite, toute.

Comme dans toute religion, le fait de glorifier l'entreprise suppose l'existence d'un certain nombre de dogmes. Le salarié (c'est encore plus vrai pour les cadres) se doit d'adhérer aux objectifs de l'entreprise, se fondre dans l'esprit et la philosophie de cette dernière. C'est peut être aller un peu vite en besogne et oublier, comme me l'a dit un jour une amie pour qui j'ai beaucoup d'estime, qu'un homme n'adhère jamais qu'à lui-même. Il faudrait donc, pour bien faire, que le salarié ne se sente plus extérieur à l'entreprise dans laquelle il travaille mais se sente véritablement partie prenante. L'actionnariat et/ou l'intéressement des salariés pourrait être une bonne manière d'y parvenir mais à condition que tous les capitaines d'industrie adhèrent à la philosophie qui en est le soubassement.

Quoiqu'il en soit, aujourd'hui, le culte de l'entreprise survit mais il y a des désabusés. Du moins, il y a des non pratiquants. Les autres ont enfin compris que si une entreprise est en difficulté il faut qu'elle licencie afin que les salariés qui restent continuent à être payés, que les cadres à hauts salaires continuent à être très bien payés et que les dirigeants continuent à être très très bien payés. Ainsi va la solidarité...
 
 

LE COMMERCE

Concevoir et fabriquer n'ont un sens – en dehors de sa propre consommation personnelle (vive l'autarcie !) – que si l'on peut vendre. Or, le Français est mauvais dans ce type d'activité. Pendant longtemps, les carrières commerciales ont été considérées chez nous comme des pis-aller : on faisait des études de commerce quand on ne savait pas quoi faire d'autre, c'est-à-dire quand on était mauvais partout ailleurs. Les conséquences de cet état de fait sont très dommageables. En 1995, les commerciaux indépendants (VRP multicarte, agents commerciaux) sont au nombre de 30 000 en France contre 60 000 en Allemagne et 240 000 en Italie. Mais il est vrai que nous battons les Britanniques (5 000) et les Néerlandais (3 000) et que nous sommes passés de 12 000 à 30 000 en dix ans*. Donc, ne désespérons pas. Tout espoir n'est pas perdu. 

* Source des chiffres cités : Union internationale des agents commerciaux et brokers.

GRANDS GROUPES ET PME/PMI

Small is beautiful. Big is plentiful.

Faut-il être pour les grosses multinationales ou plutôt pour les petites entreprises à taille humaine ? Il est certainement difficile de trancher et bien que davantage porté sur les secondes je ne nie nullement les réalisations que nous devons aux premières. Je ne me lancerai pas, non plus dans une allégorie sur les gigantesques dinosaures et les tout petits et fragiles mammifères si ce n'est pour signifier que le monde appartient aujourd'hui aux premiers. Mais les temps géologiques sont longs...

Les grands groupes sont de grosses organisations et on a tendance à pardonner aux gros. Mieux : on ne respecte que les gros, on les révère et on absout leurs pires turpitudes. Ainsi, les désastres financiers, qu'ils soient avoués (l'affaire du Crédit Lyonnais), tus (la SNCF) ou annoncés et excusés par avance (le trou de la Sécu) sont presque légitimes alors que la faillite de l'épicier du coin est infamante pour lui. On notera au passage que l'appartenance à l'Etat est avant tout une garantie d'impunité quoi qu'il advienne.

Ainsi, les entreprises de la grande distribution paient leurs fournisseurs à 60 jours quand ce n'est pas davantage alors qu'elles vendent à leurs clients (vous et moi) contre des espèces sonnantes et trébuchantes (ou au pis aller contre des chèques ou l'utilisation d'une carte bancaire). Les grandes surfaces sont donc des banques disposant d'une trésorerie très fournie et qu'elles auraient tort de ne pas faire travailler. A tel point qu'elles pourraient même se permettre de vendre leurs produits à perte ; ce qu'elles font parfois, contribuant ainsi à faire disparaître les petits commerçants de proximité. Comme, en parallèle, leurs centrales d'achat sont très puissantes, elles font la loi auprès de leurs fournisseurs et les poussent à baisser leurs prix jusqu'à ce qu'ils se mettent en difficulté. Il suffit de voir à quel prix les agriculteurs vendent leurs produits et combien les consommateurs les paient au supermarché pour s'en convaincre.

Dans des domaines plus industriels c'est la même chose. Les géants du BTP ont de telles infrastructures que ce sont les plus capables de répondre aux appels d'offres, de sorte qu'ils emportent les principaux marchés. Ils peuvent alors sous-traiter à de minuscules PME ou à des artisans qui n'ont pas d'autre choix afin de pouvoir obtenir du travail. Comme ils sont mis en concurrence entre eux, ceux qui finissent par l'emporter ont tellement tiré leurs prix qu'à la moindre anicroche ou simple imprévu c'est la faillite qui les guette. Tous les sous-traitants de l'une des plus grosses sociétés de travaux publics de Marseille engagés dans la construction d'un très grand complexe résidentiel ont ainsi disparu l'un après l'autre. Quant à mon père qui dirigeait une toute petite entreprise de maçonnerie et qui s'est toujours méfié de ces grands groupes, il a vu disparaître de la sorte bon nombre de ses confrères, mangés par les plus gros. Les géants du BTP contribuent ainsi à déstructurer le tissu des petites entreprises qui tombent entre leurs mains. Quand on sait, pour terminer, que de plus en plus les dirigeants de ces grosses entreprises sont des polytechniciens ou des ingénieurs des ponts et chaussées, on a fait le tour du problème.
 
 

LA CRÉATION D'ENTREPRISES

La création d'entreprises est présentée par un grand nombre de décideurs et de technocrates comme "Le" moyen privilégié de sortir de la crise industrielle que nous connaissons. A tel point que les mesures, les aides, les organismes et autres structures destinés à favoriser la création d'entreprises ont fleuri depuis plusieurs années.

Vers le milieu des années 80, alors que j'étais membre d'un réseau de conseillers technologiques, j'avais listé quelques-unes des actions qu'il faut mener quotidiennement en faveur des créateurs d'entreprise. Il faut : chercher, trouver, découvrir, révéler, sécréter, générer, confirmer, appâter (et pas épater), aider, pousser, éclairer, accompagner, développer, assister, soutenir, encourager, appuyer, conseiller, materner (parfois), aimer (toujours), former, informer, perfectionner, synergiser, impulser, orienter, secouer, réveiller, tirer, bercer (et pas berner), animer, ranimer, insuffler, oxygéner, perfuser (dans les cas les plus graves), en bref et en un mot, il faut créer le créateur. J'avais identifié un nouveau métier : celui de créateur de créateurs d'entreprise. La séance avait été très agitée et s'était terminée par une houle de rires convulsifs. J'ai dû renoncer à lancer ce nouveau métier car nous risquions d'aboutir à 100 conseilleurs pour un créateur et comme les conseilleurs ne sont pas les payeurs, ni toujours les meilleurs...

Comme l'a dit Jean-Michel Desmarais (Paranos, ça suffit, Vivre Plus éditeur, Montpellier, 1994) : "Créer une entreprise dans la période actuelle relève ... davantage d'un aveuglement suicidaire que d'une saine évaluation de la situation et engager les chômeurs dans cette voie est une preuve de sadisme pur et dur."

D'ailleurs, lorsque une entreprise est créée le problème n'en est pas pour autant terminé ; encore faut-il que ladite entreprise ne meure pas (en tous cas pas tout de suite). Il faut donc continuer à l'aider. C'est ainsi qu'ont également fleuri les services de tout poil dont c'est la vocation et qui donnent du travail à un certain nombre d'individus. C'est ce que l'on nomme la tertiarisation – de mauvais esprits, que je ne suivrai pas, disent la bureaucratisation – de l'économie.

En 1991, un groupe de travail de l'Assemblée nationale présidé par Christian Pierret (socialiste) a recensé 112 aides aux entreprises distribuées par 57 guichets différents. Le rapport Gisserot, quant à lui, a répertorié de 19 à 21 structures d'aide au développement des entreprises à l'échelon régional et 8 au niveau départemental.
 
 

LES "ASSOCIATIONS LOI 1901"

Rien – ou pas grand chose – ne distingue une association selon la loi du 1er juillet 1901 d'une entreprise. Une telle association peut posséder des biens, embaucher du personnel (et donc distribuer des salaires ou rembourser des frais – vous me suivez ?), produire et consommer des biens et des services etc. mais elle n'a pas le droit de réaliser des bénéfices. Qu'à cela ne tienne : il suffit de s'arranger pour que ses dépenses soient toujours égales à ses entrées. Si possible ses dépenses devront profiter à un petit groupe de personnes bien choisies (les dirigeants par exemple) et servir leurs intérêts ; avec des véhicules de fonction, des loyers, des voyages, etc. Le lecteur est prié de bien vouloir continuer.

Loin d'être automatiquement représentatives et démocratiques, les associations ne sont parfois que les paravents de stratégies individuelles ou administratives pour disposer d'un pouvoir d'influence ou dépenser tranquillement de l'argent public.

C'est ainsi que l'ARC (Association pour la Recherche sur le Cancer) a été épinglée fin 1994 car 60 % des sommes recueillies auprès du public passent en frais généraux. La Cour des comptes devrait (si rien ne vient l'en empêcher d'ici-là) se pencher, début 1995, sur les finances de SOS-Racisme. Ces cas ne sont probablement que la partie émergée de l'iceberg car les associations en cause ont une forte visibilité puisqu'elles drainent des dons en provenance du public. Leurs responsables n'ont pas compris (ou ont oublié trop vite – ah ! les imprudences que l'excès d'enthousiasme peut faire commettre) que "pour vivre heureux, il faut vivre caché".

La grande souplesse de la formule "loi 1901" explique en partie le succès qu'elle remporte dans notre pays où l'on comptait entre 650 et 700 000 associations en 1990 (la dernière enquête réalisée en 2001 en comptabilise 880 000 ; auteur : Viviane Tchernonog du CNRS). En 1984, 67 000 d'entre elles employaient un total de plus de 775 000 personnes (parmi elles, 55 000 associations comptaient moins de 10 salariés). A signaler qu'il s'en crée de plus en plus (environ 70 000 nouvelles associations chaque année ; à comparer avec l'année 1991, où il s'en était créé 58 840 et il s'en était dissous 6 930). C’est donc, depuis plusieurs années, un secteur en plein boum. A telle enseigne qu’en 1997 c'étaient 1 300 000 personnes c’est-à-dire 4,2 % de l’emploi total qui étaient salariées, à temps plein ou partiel, d’une association ; sans parler des 11 millions de bénévoles qui y travaillent (chiffre 2000). Depuis quelques années, le secteur associatif crée en France un emploi sur sept ; c’est donc un secteur avec lequel il faut pleinement compter et qui représente 3,7 % de notre PIB*

* Et qui peut certainement faire encore mieux. Comme le secteur associatif britannique qui, avec 4 % de l'emploi, réalise 4,8 % du PNB du pays.

 

L'ÉCONOMIE

L'économie est un sujet d'étude très compliqué et très controversé. Charles Vest, président du MIT, s'est essayé à faire le tour de notre ignorance en matière scientifique*

* Article dans le Washigton Post. Traduit dans Courrier International, n°275, 8 février 1996, p.31.

Il dit à ce propos : "Nous connaissons les facteurs susceptibles d'affecter la croissance économique : l'éducation, l'accumulation de capital, l'investissement national dans la recherche et le développement, le système fiscal, les politiques commerciales, la réglementation, ainsi que les systèmes de base juridique et politique. Cependant, quoique l'importance relative de ces facteurs et de leurs interactions ne soit pas connue avec précision, les gouvernements continuent à développer et à appliquer des politiques économiques."

Pendant les premiers millénaires de l'épopée humaine, les choses étaient simples. Les hommes étaient peu nombreux et vivaient en groupes très restreints. La cueillette, la pêche et la chasse – le travail, déjà – permettaient la survie. On faisait très vite le tour des biens qu'un individu donné pouvait accumuler au cours de sa vie. D'ailleurs ces biens n'étaient pas très durables : quelques outils, des armes, une hutte, parfois une pirogue. Lorsque l'agriculture a commencé il devint important de maîtriser le sol ce qui veut dire les meilleures terres. La lutte pour les meilleures terres – c'est-à-dire la guerre de conquête – a dû apparaître vers cette époque-là. L'union faisant la force, les groupes les plus nombreux étaient les plus forts. L'organisation sociale et donc le rassemblement en villages ont dû s'intensifier. L'apparition de la spécialisation en métiers doit à peu près coïncider avec cette période.

Les perfectionnements technologiques ont alors permis la production de biens plus durables : maisons en dur, richesses diverses, etc. susceptibles d'exciter la convoitise d'autres groupes humains ce qui a accéléré le mouvement de socialisation et d'urbanisation qui s'est poursuivi jusqu'à l'époque contemporaine.

De la même époque doit dater l'apparition des échanges : simple troc au commencement suivi de la création des moyens de paiement. L'or est devenu le moyen de paiement par excellence. Sans doute, grâce à sa couleur (fragment détaché du soleil), de par sa rareté et la difficulté d'en trouver, peut-être le premier métal que l'homme ait connu, puisqu'il existe à l'état natif, l'or conférait-il à celui qui en détenait un grand prestige. Toujours est-il que l'or s'est peu à peu érigé en étalon des échanges commerciaux et la valeur de tous les biens – y compris les monnaies – a été fixée par référence à ce dernier. Et le monde a vécu ainsi jusqu'en 1971, date à laquelle a été supprimée la convertibilité en or du dollar. Le dollar est alors devenu la nouvelle référence en matière monétaire.

Depuis lors, comment évaluer la force d'une monnaie ? En la comparant au dollar, c'est-à-dire en comparant l'économie dudit pays (rapportée à la masse monétaire en circulation dans ce pays) à l'économie américaine. Qui est capable d'effectuer de telles comparaisons ? Les experts, bien entendu. Ainsi, pendant longtemps, le pouvoir d'achat de la monnaie n'était pas pris en compte ce qui plaçait l'économie chinoise à une très mauvaise place. Depuis que l'on en tient compte, l'économie chinoise est remontée au troisième rang mondial et son PNB annuel par tête, qui était évalué à 370 dollars jusqu'en 1993 est placé aujourd'hui à 1500 dollars par le Fonds Monétaire International et à 2000 par la Banque Mondiale. Essayez de comprendre si vous n'êtes pas un expert.

Pour conclure – mais peut-on réellement conclure ? – j’en appellerai à la thèse de Paul R. Krugman, professeur à Harvard, qui réfute l’amalgame implicite entre guerre économique (celle que se livrent les entreprises dans un monde libéral) et guerre tout court (celle que peuvent se livrer les nations)*

* Cf. son livre : La mondialisation n'est pas coupable, La Découverte édit., Paris, 1998.

Pour lui, les nations ne sont pas des entreprises concurrentes. Il juge absurdes toutes les politiques économiques actuelles, qu’elles soient américaines ou européennes, qui cherchent à améliorer la compétitivité des nations en réduisant les salaires et les dépenses sociales comme si elles étaient des entreprises. Les coûts élevés du travail ne nuiraient pas de manière mécanique à la force d’une nation car ils favorisent en fait la demande intérieure. De manière symétrique, l’augmentation des investissements ne serait pas une garantie automatique pour l’avenir car, en général, elle est susceptible de conduire à la catastrophe par gigantisme et gaspillage.

A ce point, je suis obligé de faire un retour sur la monnaie. Le roi des monnaies est incontestablement le dollar même si depuis la création de l'euro ce dernier étend sa crédibilité à travers le monde. Tant que le dollar était convertible en or, pas (trop) de problèmes. Mais le 15 août 1971, Nixon met fin à sa convertibilté en or ce qui ouvre la voie à la création de "dollars scripturaux" qui ne sont même pas gagés sur des billets de banque en monnaie américaine. Méditons ce court paragraphe tiré d'un article savoureux de Jean-Marie Albertini publié en 2006, excellent pédagogue de la science économique : "Dès 1981, alors que que le déficit cumulé des États-Unis atteint 500 milliards de dollars, les dollars possédés par le reste du monde s'élèvent à 1 500 milliards. Après on ne sait plus très bien. Ce qui est certain, c'est qu'aujourd'hui les opérations quotidiennes sur les marchés des changes représentent quelques 2 000 milliards de dollars...".

Cherchez où se situe le problème. C'est simplement qu'un montant monétaire quelconque, exprimé dans n'importe quelle monnaie ayant cours à la surface du globe, n'a plus aujourd'hui de signification réelle. Il ne représente plus rien. Alors, Messieurs et Mesdames les politiques, au travail : faites quelque chose ; et très vite, car l'économie de la planète va – non, est en train de – se casser la figure car l'interprétation des faits économiques n'est plus basée sur aucune réalité. Quelques pistes :

LA BOURSE

Principes fondamentaux :

 

Ceci dit, au jeu de la bourse, il y a ceux qui gagnent et il y a ceux qui perdent. La bourse joue ainsi un rôle important dans la circulation de la masse monétaire et sa redistribution. Elle n'est pas, à proprement parler, créatrice de richesses mais elle permet de prendre l'argent là où il se trouve et de l'affecter là où il en faut (au fond, comme la Sécurité Sociale). Elle est donc, en quelque sorte, un régulateur financier (aucun jugement de valeur n'est attaché au mot "régulateur").
 
 

L'ART DE GÉRER SON ARGENT

Principes fondamentaux :

·        Spéculer sur tout (le foncier, l'immobilier, en bourse, sur les changes, l'or, les œuvres d'art, etc.).

·        Avoir des comptes dans plusieurs banques (la concurrence a toujours du bon).

·        Il existe des banques aussi à l'étranger (le nationalisme c'est l'ennemi).

·        S'efforcer de toujours prêter son argent à un taux d'intérêt supérieur à celui auquel on emprunte.

·        N'utiliser le crédit que si l'on ne peut – vraiment – pas faire autrement (celui qui prête de l'argent doit pouvoir vivre dessus : autant qu'il vive sur quelqu'un d'autre).

·        Payer le plus possible en argent liquide et éviter les moyens de paiement modernes (chèque, cartes bancaires, etc.). On observera que les gens riches (vraiment riches) paient en espèces. Ces derniers ont compris depuis longtemps qu'une carte bancaire – ou un chèque – ça laisse des traces (or comme le dit le vieil adage : "pour vivre heureux vivons cachés"). Quant à ceux qui ne peuvent absolument pas se priver d'une carte, ils peuvent toujours obtenir une carte accouplée à un compte bancaire judicieusement domicilié dans un pays étranger. Il est intéressant de noter que la loi de finances pour 1984 interdisait aux particuliers tout paiement en liquide supérieur à 10 000 francs pour l'achat de biens ou de services. La loi du 11 juillet 1986 a abrogé cette mesure (sauf pour les loyers et les salaires). En 2000, un nouveau plafond a été fixé à 20 000 francs (souvent loi varie).

LE CAPITALISME POPULAIRE

Si l'on adhère à ce qu'a dit Karl Marx à propos de l'appropriation par certains des moyens de production, pour rendre le bonheur aux classes laborieuses il faudrait répartir le capital des entreprises entre tous les salariés. Soyons modestes et réalistes : pas la totalité du capital mais seulement une bonne partie dont l'importance pourrait d'ailleurs faire l'objet d'un débat que l'on peut prévoir très intéressant.

Il avait été question d'un tel actionnariat populaire sous les premiers gouvernements de gauche de la présidence Mitterrand après 1981 mais l'affaire fut enterrée assez rapidement. Elle fut ressuscitée – paradoxe bien de chez nous – sous les gouvernements de droite qui suivirent, se traduisant par la possibilité pour tout le monde d'ouvrir, avec un régime fiscal intéressant, un plan d'épargne en actions (PEA) et d'acheter en bourse des actions des grandes entreprises privatisées. "Possibilité pour tout le monde" voulant dire en clair : possibilité pour ceux qui en ont les moyens et qui sont prêts à prendre quelques risques ce qui semble hélas ! exclure le petit peuple.

Au départ, l'idée était pourtant bonne, encore eût-il fallu bien expliquer au peuple tous les enjeux – en particulier que ce n'est pas plus idiot que le loto ou le tiercé ; ou encore que chaque fois qu'un Français achète une voiture japonaise il contribue à créer un chômeur de plus en Europe – afin de permettre aux gens d'acquérir des actions en toute connaissance de cause. L'opération aurait transformé des "travailleurs-exploités-par-le-patronat" en véritables "travailleurs-propriétaires". Certes, tous n'auraient pas choisi de devenir actionnaires, certains (ceux peu portés sur l'épargne) n'auraient pas eu les moyens de devenir de vrais capitalistes mais c'était un pas dans la bonne direction et qui pouvait permettre de réconcilier les Français avec le capital. De plus, on pouvait espérer qu'un salarié actionnaire de l'entreprise qui l'emploie ait réellement envie de se battre pour que cette dernière soit encore plus efficace. On remarquera que l’idée avance peu à peu. En effet, au printemps 1999, ce sont 77 % des salariés d’Air France qui sont actionnaires de leur entreprise et qui détiennent ainsi 11,8 % de son capital. A la même époque, on compte, en France, 700 000 salariés actionnaires de l’entreprise qui les emploie. On est encore loin des records américains (où 9 millions de salariés-actionnaires détiennent 9 % de la bourse de New York).

Cependant, les sociétés évoluent rapidement. En l'an 2000, 20,5 % des Français boursicottent. Le nombre d'actionnaires en direct a atteint son record depuis 10 ans à 5,6 millions d'individus. 12,7 % de la population détient des actions contre 7,7 % en 1999 mais selon la Banque de France, trop de Français s'endettent pour acheter des actions. Selon un sondage Ifop, l'enrichissement par les stock-options ne choque pas les trois quarts des Français alors que ceci est jugé très sévèrement par le tiers des députés (et pour les députés de gauche par les deux tiers d'entre eux). Cette pièce est à verser au dossier du divorce entre les Français et leurs hommes politiques.

Le capitalisme populaire est un outil permettant d'aller vers la relative homogénéisation de la société. Mais veut-on réellement que les gens aient des revenus relativement homogènes ? Je n’en suis pas sûr. En effet, ce serait relativement facile à mettre en œuvre. Il suffit de remarquer que, dans les pays développés, le PNB par habitant est, au milieu des années 90, d’environ 21 000 dollars par an. Le lecteur a bien lu : il s’agit du montant par habitant ce qui inclut aussi bien le vieillard grabataire que le nouveau-né. Si 100 ou 120 000 francs par an pour une personne seule n’est pas la richesse – avant d’être péremptoire, demandons cependant l’avis des smicards –, en revanche 400 ou 480 000 francs par an pour une famille de quatre personnes ce n’est pas si mal que ça. Or, puisque certains n’ont même pas le minimum vital ou sont des assistés plus ou moins précaires c’est que d’autres s’engraissent tranquillement sur le dos ou au détriment des premiers. Bien sûr, on objectera qu’une partie de cet argent doit servir à payer les équipements collectifs et leur fonctionnement mais ceci ne représente en France que 30 000 francs par an et par habitant (ce chiffre a été obtenu en divisant le budget de l’Etat – 1800 milliards de francs en 1998 – par le nombre d’habitants – environ 60 millions – et en se contentant de chiffres ronds, histoire de ne pas trop s’encombrer l’esprit.

Utopie que le capitalisme populaire ! ricaneront certains. Eh bien, pas si sûr ! On connaît par exemple des entreprises (en France, les SCOOP, Sociétés Coopératives ouvrières de Production) qui fonctionnent sur ce principe et certaines marchent très bien. Le plus bel exemple est une coopérative du Pays Basque espagnol, le groupe MCC (Mondragon Corporacion Cooperativa). MCC s'est construite autour de l'électroménager puis s'est fortement diversifiée au point d'employer 71 000 salariés, de posséder sa propre banque, ses propres centres de R & D et même une université privée ; une société du groupe, Fagor, s'est même permis de racheter le groupe Brandt en mars 2005.
 
 

LES MARCHÉS FINANCIERS

En 1995, chaque jour, environ 900 milliards de dollars étaient convertis d'une monnaie dans une autre à travers le monde (certaines sources donnant 880 milliards et d'autres 1000 milliards, j'ai donc pris une valeur approximative). Ces chiffres s'accroissent bien sûr régulièrement avec le développement des échanges mondiaux et l'inflation. Fin 2002, on parle de 1500 milliards de $/jour, ce qui est à comparer avec les 7000 milliards de $/jour d’échanges commerciaux internationaux.

Qui sont les opérateurs financiers (les gens qui changent leur argent) ? Bien sûr, il y a les touristes et ceux qui font de l'import-export mais les plus importants sont les banquiers. Pas pour leur compte personnel mais pour celui de leur banque (prière de ne pas sourire). Dans le langage courant, on dit "opérateur financier" si l'on veut utiliser une expression courtoise, et "spéculateur" si l'on veut attacher une connotation péjorative mais ce sont exactements les mêmes dans les deux cas. Pour moi, le mot spéculateur n'est absolument pas péjoratif*. D'ailleurs, j'en suis un ; enfin, j'essaie parfois, avec des moyens plutôt modestes et, donc, des succès limités. 

* Condamner les spéculateurs revient à couper la tête du messager parce qu'il apporte une mauvaise nouvelle.

Ce sont ces changes qui provoquent de temps à autre des pressions sur telle ou telle monnaie. Il existe de grands spécialistes en la matière, comme George Soros* ou Warren Buffett par exemple, ou de plus modestes comme vous ou moi. 

* Soros, roi des marchés financiers, a déclaré "Si je me regardais de l'extérieur, je me méfierais beaucoup de moi. Des gens comme moi, il faut leur demander des comptes" (cité par L'Express, n°2325, 25/01/96, p.16). Voir aussi son livre : Le défi de l'argent, par George Soros. Entretiens avec Bernard Poulet, Plon, 1996. Le fonds qu'il a créé aux Indes Néerlandaises (Quantum Fund) a réalisé un taux de croissance record de 35 % par an depuis 1969 et pèse plus de 30 milliards de francs en 1996.

Les spécialistes arrivent à provoquer l'événement, les autres se contentent de le suivre où essaient de le prévoir (avec éventuellement l'aide de Madame Soleil*). 

* Hélas, elle est décédée le 27 octobre 1996, après que ces lignes aient été rédigées.

Les pressions sur telle ou telle monnaie ressemblent aux mouvements de foule avec ce qu'ils ont de plus irrationnel. L'important, dans ce genre de situation, est de garder son calme mais il faut avouer que c'est difficile surtout quand on est sur le point de se faire piétiner par une troupe déchaînée.

Au cours de ces changes successifs, certains gagnent de l'argent. Comme aucune richesse nouvelle n'a été créée dans l'opération de change, et si l'on néglige la création de monnaie (on suppose donc que les planches à billets sont à l'arrêt pendant ce temps-là – mais cette supposition n'est pas forcément fondée), si certains ont gagné de l'argent c'est que d'autres en ont perdu. Tout le jeu consiste à faire perdre peu (très très peu) d'argent à beaucoup de monde afin que peu de gens s'en rendent compte (et donc que peu de gens le trouvent insupportable). Ainsi, les pertes de beaucoup font les gains de quelques-uns. De cette manière, on peut considérer que les marchés financiers sont un moyen privilégié de redistribution internationale de richesses.
 
 

L'INFLATION

Phénomène économique d'augmentation rapide des prix et de la masse monétaire au cours duquel celui qui emprunte (ou doit) de l'argent est assuré de le rembourser (par définition, plus tard) à un moment où il se sera suffisamment déprécié pour que le remboursement soit moins douloureux. Nous l'avons notamment vécu de 1973 à 1985 grâce à l'OPEP. Mais le temps béni où l'emprunteur faisait de bonnes affaires semble malheureusement terminé car c'était mauvais pour les prêteurs (des banques, en général) et... l'inflation s'est beaucoup calmée depuis !

Il faut remarquer que certains comportements anodins en apparence sont en fait inflationnistes. Prenez l'utilisation des cartes bancaires (Carte Bleue par exemple) comme moyen de paiement. Il s'agit là d'un moyen de paiement extrêmement commode mais qui a un coût non nul. Lorsque l'on règle ainsi un achat, le commerçant n'empoche pas la totalité du montant payé car l'opération lui coûte à peu près 4 % (il faut compter le coût du service prélevé par l'établissement qui délivre la carte + le prix de la machine + les frais d'entretien de cette dernière + le temps passé + le manque à gagner pour le commerçant qui devra bien se "récupérer" d'une manière ou d'une autre – s'il fut un temps où le coût du service facturé par certaines banques était à lui seul de 4 %, en 2000 c'est plutôt 1 %). Comme le commerçant n'est pas un mécène, il n'y a aucune raison pour qu'il paie ce prélèvement de sa poche et, en fait, il va le répercuter sur le prix demandé au consommateur. Pour illustrer ceci, je vais prendre l'exemple d'un commerçant qui veut vendre un objet 99,84 francs. Comme il a adhéré au réseau Carte Bleue, il va être obligé de facturer son produit 104 francs car on va lui retenir 4,16 francs de frais (en comptant ceux-ci à 4 %). Aussi, la prochaine fois où vous achèterez quelque chose dans un magasin où la carte est acceptée, proposez de payer en espèces et demandez une petite ristourne en échange. Vous lutterez ainsi, et à votre mesure, contre l'inflation.

En matière de gadgets inflationnistes, le dernier avatar est constitué depuis 2002 par la fameuse carte Moneo (alias le porte-monnaie électronique). Ne nous leurrons pas : Moneo coûte de l’argent, tant au consommateur (5 à 12 Euros par an) qu’au commerçant (entre 0,3 et 0,9 % de commission sur chaque transaction. Alors, là aussi, méfiance ! chers congénères consommateurs.

Quant au paiement par chèque, il est tout aussi inflationniste car, comme nous allons le voir, il a un coût que l’usager est invité à payer. Au profit des banques bien entendu car il faut savoir que, lorsque l’on paie par chèque, les banques utilisent notre argent en le faisant travailler à leur profit. Lorsque je vais déposer à ma banque un chèque qui m’a été remis par l’un de mes débiteurs, mon compte ne sera crédité que deux jours plus tard (chaque établissement bancaire a ses propres règles) ; c’est ce que l’on appelle la date de valeur. Je peux encore comprendre ce délai : le transfert et la mise à ma disposition de la somme correspondante ne sont pas instantanés et doivent demander un certain temps. Mais là où je ne suis plus d’accord c’est lorsque je fais un chèque à quelqu’un et que celui-ci le dépose à sa banque le même jour (appelons-le jour J), la banque compte la date de valeur à J-2 c’est-à-dire deux jours avant. Il est insupportable de penser que la banque considère ainsi que l’argent de mon chèque a quitté mon compte deux jours avant que la personne à qui je l’ai remis l’ait déposé sur le sien ; et ceci d’autant plus qu’elle ne sera créditée que deux ou trois jours après ! Moralité : comme personne ne veut en être de sa poche, tout le monde va s’efforcer de répercuter le coût sur le client final.

C.Q.F.D. Les principaux responsables de l’inflation sont les banques.
 
 

LE CHÔMAGE

Il est indéniable que la productivité du travail a considérablement augmenté au cours des âges. En 1890, le labeur d’un actif nourrissait 2,5 personnes ; en 1998, il en nourrit 60 ! Un effet pervers de cette situation est que l'offre a de plus en plus tendance à devenir largement supérieure à la demande, entraînant – lois de l'économie obligent – la nécessité pour les employeurs de licencier.

Et pourtant, en se laissant aller à ses propres impressions, on serait tenté de dire que la demande existe puisque certains n'ont pas assez à manger, d'autres n'ont pas de quoi vivre décemment ou se faire soigner comme il faut. Encore une fois, ce sont les lois de l'économie qui sont responsables : en effet, il ne suffit pas qu'une demande existe, encore faut-il qu'elle soit solvable.

Rendre une demande solvable est très facile. Il suffit que les demandeurs disposent de ressources financières, c'est-à-dire de revenus suffisants. Pour qu'ils puissent avoir des revenus, il faut qu'ils produisent quelque chose, pour leur propre compte ou pour celui de leur employeur. Leur production ne pourra être écoulée que s'il existe une demande solvable par ailleurs. Encore les lois de l'économie.

Le problème se posera lorsque nous aurons tous un logement superbe, tout l'électroménager dont on peut rêver, toute la vidéo possible et imaginable, un logement intelligent bourré d'électronique, plein de luxueux vêtements, une résidence secondaire cossue, des loisirs en pagaille, la voiture qui va avec, une table toujours chargée des mets les plus fins. Par bonheur, ce n'est pas demain la veille et nous avons du pain – si l’on peut dire – sur la planche. Mais y aura-t-il du travail pour tous ?
 
 

LA DISPARITÉ DES SALAIRES

Il est bon de remarquer que si les hommes ont à peu près tous les mêmes besoins (avec, parfois, il faut l'avouer, des déviations assez fortes par rapport à la moyenne), ils sont loin d'avoir, tous, les mêmes revenus pour les satisfaire. Existerait-il des disparités dans les salaires ? Bien évidemment et les lois de l'économie montrent que l'explication théorique en est simple et possède deux volets :

 

Mais en pratique, le problème se complique par le fait qu'il est très difficile d'évaluer l'importance des responsabilités de quelqu'un.
 
 

LA RETRAITE

C'est ce que tout travailleur mérite après une dure vie de labeur. Mais ce qui est troublant c'est qu'il existe une très grande disparité entre les montants de ces retraites.

Cette anomalie s'explique par le fait, qu'à côté du régime général de la sécurité sociale, coexistent en 1993, plus de 170 régimes particuliers. Le propre de chaque régime est d'avoir été conçu pour offrir un certain nombre d'avantages à ses assujettis. Il n'y a rien eu à redire tant que le nombre d'actifs (lisez : de cotisants) était suffisant pour assurer la retraite des autres. Mais avec les problèmes démographiques que connaît notre pays les choses ne pouvaient pas durer éternellement, sauf peut-être pour la retraite des députés, dans la mesure où le nombre de députés en exercice ne devrait pas diminuer au fil du temps ; et encore, ce n'est pas certain car l'espérance de vie augmentant régulièrement, on peut penser qu'un de ces jours les cotisations des actifs ne suffiront plus là aussi.

Le lecteur qui ignorerait tout du régime de retraite de ses élus est cordialement invité à s'informer. Il apprendra que son député préféré qui aurait cotisé pendant une législature (c'est-à-dire cinq ans) serait en mesure de profiter (dès l'âge de 55 ans, précisons-le) d'une pension confortable de 9 303 F par mois. A condition toutefois d'avoir pensé à racheter des points de retraite par une cotisation double de 6 000 F par mois. Quant à l'heureux élu qui aurait fait trois législatures (donc quinze ans, ce qui n'est pas le bagne) dans les mêmes conditions de cotisation, il profiterait le moment venu d'une coquette retraite mensuelle de près de 28 000 F ce qui lui permettra de faire les quelques folies que sa tâche harassante au service de la collectivité ne lui permet pas toujours de réaliser. Mais aucun danger que les députés prennent leur retraite à 55 ans. La soupe est trop bonne à la place qu'ils occupent, à preuve le pourcentage important de députés d'âge canonique. Et nous aurons la pudeur de ne pas parler du sénat !
 
 

LA RESPONSABILITÉ

Responsable mais pas coupable (aphorisme fameux de Georgina Dufoix, ancien ministre).

Le pire ennemi de la liberté c’est l’absence de responsabilité.

Dans nos sociétés démocratiques des garde-fous ont été placés un peu partout afin d'éviter ou de limiter les décisions arbitraires qui risqueraient d'être prises par des individus (ou des groupes d'individus) particulièrement autoritaires. Cela a pu être réalisé grâce à la mise sur pied d'instances diverses et variées (commissions, comités, conseils, assemblées, réunions, groupes de travail, etc.) destinées à lisser les positions trop extrêmes autour de propositions moyennes, donc plus raisonnables. Il n'est pas utile de s'étendre sur les avantages d'un tel système.

En revanche, deux inconvénients majeurs méritent d'être signalés. D'une part, les lourdeurs et la lenteur d'un tel processus sont évidents. D'autre part, lorsqu'une mauvaise décision est prise il est très rare de trouver un coupable car il n'y en a pas. La culpabilité est le plus souvent collective ce qui est très rassurant pour les individus. Seuls ceux dotés d'une conscience pourront, éventuellement, avoir quelques insomnies. Les autres pourront dormir sur leurs deux oreilles.

Il est donc plus que temps de construire – ou de reconstruire – une véritable éthique de la responsabilité et, surtout, d’en appliquer les règles. On pourrait facilement commencer dès l’école en inculquant à nos jeunes que tout acte a des conséquences. Pour le reste, il suffirait de se référer à des tas de principes tout simples du genre : comporte-toi toujours comme tu voudrais que les autres se comportent.
 
 

LES CATASTROPHES NATURELLES

A la suite des tragiques inondations de Vaison-la-Romaine ou de Auribeau-sur-Siagne, se sont ouvertes des polémiques autour de permis de construire qui n'auraient jamais dû être accordés dans des lits de torrents ou des zones inondables. Sans pouvoir écarter l'hypothèse qu'il ait pu y avoir erreur ou faute humaine – ce n'est pas être fataliste de remarquer que la fatalité existe. Dans les années 70, dans la petite station alpine italienne de Crissolo, j'ai vu une maison réduite en poussière par une avalanche à un endroit où, de mémoire d'homme, on n'en avait jamais vues. D'ailleurs, la maison en question était une vieille bergerie rénovée peu de temps avant.

La Provence est une zone sismique reconnue. Il est probable qu'elle sera le siège de tremblements de terre mais nul ne peut dire quand cela se produira. Comme le nombre de constructions anti-sismiques est négligeable que se passera-t-il au prochain séisme de force 7 ou 8. Les victimes se tourneront-elles vers les pouvoirs publics en criant que puisque les risques étaient connus, il ne fallait pas laisser construire sans normes ? Que diront – s'ils seront encore en vie – les quelques chercheurs qui ont travaillé à la mise au point de systèmes de protection aussi efficaces que rarement utilisés (sauf au Japon – nul n'est prophète en son pays) ?

L'homme ne pourra sans doute jamais prévoir les moindres caprices de la nature. Il doit, certes, essayer de se protéger contre toute éventualité mais il faut admettre qu'il ne sera jamais totalement à l'abri de quelque accident. L'homme social, lui, doit cesser de faire constamment appel à la responsabilité de l'État ou des autres. Aux États-Unis, on apprend dès l'école que tout acte a des conséquences et qu'il faut en être responsable. La vie en collectivité est à ce prix. Dans un autre domaine, tout alpiniste sait que les dangers objectifs existent dans la nature et qu'il y a des moyens de les minimiser ; à lui de les apprendre et de les mettre en œuvre.
 
 

LE TIERS-MONDE

Le monde est constitué de pays plus riches que d'autres. Comment est-ce possible ? Lorsque l'on voit travailler (plutôt durement) les ressortissants des pays les plus pauvres on se dit qu'il y a là quelque chose d'anormal puisque leur travail ne leur permet même pas, parfois, de survivre. On peut donc penser que c'est le circuit de redistribution des richesses qui laisse à désirer.

Le tiers-monde n'est d'ailleurs pas toujours situé à des milliers de kilomètres de nous. Il suffit d'aller dans certains quartiers de nos grandes villes ou dans certains coins de nos campagnes. Les problèmes du monde rural devraient nous faire réfléchir davantage. En effet, c'est l'agriculture qui produit ce que nous mangeons tous les jours. Or, les agriculteurs et leur famille sont totalement en marge de l'économie (revenu moyen, semaine de 39 heures, 5 semaines de congés annuels, taux de syndicalisation etc.). Il est vrai qu'il y a de tout parmi les agriculteurs et celui qui possède 100 hectares dans la Beauce ou 10 hectares en Champagne n'a pas les mêmes problèmes que celui qui vit sur 20 hectares dans le Larzac. Certains ont compris. De sorte qu'il arrive de voir, aujourd'hui, une poignée d'agriculteurs décider de mettre en commun leurs terres pour constituer une société. Lorsque ceci se multipliera, lorsque les sociétés résultantes seront gérées comme de véritables entreprises c'est-à-dire par des hommes formés dans ce but, avec PDG (Paysan-Directeur Général bien entendu), directeur commercial etc., alors, peut-être, arriveront-elles à discuter sur un pied d'égalité avec les grands de la distribution au lieu d'être soumises à leurs caprices. Mais cela suppose un tel changement de mentalités que je me demande si je le verrai de mon vivant. Et, de toutes façons, cela ne réglera pas le problème du (vrai) tiers-monde.
 
 

L'AFRIQUE

Pauvre Afrique ! Quel crime affreux as-tu commis ? Ou quelle ignominie ? Ou de quel horrible péché originel t'es-tu tachée pour avoir mérité toutes ces calamités qui s'abattent sur toi sans cesse ?

Je sais. J'ai trouvé. C'est ta terre qui a osé donner naissance à l'homme.

Trêve de plaisanterie. L'Europe a fait à l'Afrique trois cadeaux empoisonnés. Le premier est de l'avoir colonisée. Le deuxième est d'y avoir tracé des frontières qui ne tiennent aucun compte des réalités locales, coupant en deux des ethnies, des tribus et parfois des familles. Le troisième est de l'avoir décolonisée. Les autres calamités qui affligent ce continent ne sont que les avatars de ces trois cadeaux : mise en place de chefs d'États plus ou moins potiches ou fantoches ; soutiens à des tyrans despotiques, sanguinaires ou déments ; exploitation incontrôlée des ressources naturelles allant à l'encontre des intérêts des populations, etc. etc.
 
 

LES GRANDES INVASIONS

De tous temps, les hommes ont dû lutter pour leur territoire. En effet, pour de nombreuses raisons liées à la démographie, à la climatologie ou à l'économie, certaines peuplades procédaient à des conquêtes sur le dos de leurs plus proches voisines. Les motivations étaient simples : les hommes vont toujours là où c'est mieux. Aucune barrière ne peut arrêter le déferlement de masses qui ont faim ou qui cherchent un meilleur abri. Le limes romain n'a pas empêché ce que nous appelons aujourd'hui les grandes invasions et les policiers nord-américains ont le plus grand mal à contenir les Mexicains qui se pressent à la frontière.

Or, il est indéniable que l'Occident se porte plutôt mieux que le Tiers-Monde et que les pays développés puissent exciter la convoitise des damnés de la Terre. Les boat-people ne sont pas tous dans le sud-est asiatique ; il y en a plein du côté de Gibraltar. Le jour où tous ces malheureux auront envie de passer et venir nous voir rien ne pourra s'y opposer.

A titre d’illustration, il convient de préciser qu'au 31 décembre 1994, le Haut-Commissariat pour les Réfugiés des Nations-Unies a compté 23 millions de réfugiés dans le monde (sans tenir compte des 25 millions de personnes "déplacées") alors qu'il étaient 10,5 millions en 1984 et 2,4 millions en 1974. Au début 1993, il y a 700 000 demandeurs d'asile aux portes de l'Europe de l'Ouest alors qu'ils n'étaient que 30 000 par an au début des années 70.

Cependant, ne dramatisons pas. Les choses pourraient ne pas se passer de la manière dont on peut le craindre. Les grandes invasions – comme on les a appelées – de la fin de l’empire romain se sont déroulées plus comme l’étalement d’une tache d’huile que comme le déferlement d’une marée. Les recherches les plus récentes* semblent indiquer que les Huns – de triste mémoire – ne représentaient peut-être guère plus de 100 000 personnes et les Lombards 50 000, ce qui est sans commune mesure avec la trace qu’ils ont laissée dans l’Histoire. 

* Celles du Britannique Colin Reinfrew par exemple.

LA PRODUCTION AGRICOLE

Certains pays du monde connaissent des problèmes graves de famine, de malnutrition ou simplement d'approvisionnement. Dans nos pays développés c'est plutôt la surproduction agricole et l'écoulement des stocks qui posent problème. On en arrive même, dans des périodes agitées, à détruire des montagnes de produits agricoles plutôt que de les offrir à ceux qui ont faim. Est-ce bien raisonnable ?

Il faut avouer que l'on a, pendant des décennies, poussé les paysans à produire toujours plus. Les mauvais esprits diront qu'il fallait bien vendre les engrais et autres pesticides produits par l'industrie chimique, celle-ci faisant vivre un nombre non négligeable de salariés. On se rend compte aujourd'hui que la recherche de rendements agricoles toujours plus élevés a un impact certain sur la qualité de notre environnement.

Il est également significatif de constater que ce sont des fonctionnaires citadins qui glosent et dissertent sur la désertification de l'espace rural.
 
 

DES MODÈLES DE DÉVELOPPEMENT

Injuste est le régime économique qui ignore ou méprise les valeurs morales (M.K. Gandhi, dit "le Mahatma").

Le capitalisme et l'économie de marché sont le pire des systèmes mais il n'y en a pas de meilleur (croyance américaine).

Voilà un beau sujet de dissertation. Extraordinairement complexe. Pour l'aborder, prenons une question simple : le problème de la consommation en eau. Nous, Français, habitants d'un beau pays développé consommons environ 55 000 litres d'eau par an et par personne. Nous lavons-nous moins souvent que les Suisses qui, eux, en consomment 96 000 ou que les Américains qui en sont à 110 000 ? Inutile de chercher la réponse ou des explications ; on est toujours plus sale que quelqu'un d'autre. En effet, les Californiens, par exemple, en consomment 191 000 litres. Mais, heureusement, il y a toujours quelqu'un de plus sale que nous. Les Algériens n'en consomment que 35 000 litres et les habitants de l'Inde en sont à 9 000. Quant aux Soudanais, il convient de s'incliner devant leur parcimonie puisqu'ils se traînent avec 7 000 litres d'eau par an. Tout être humain lucide se sentira interpellé par les chiffres ci-dessus (valables pour l'année 1992) et sera amené à se poser quelques questions.

Premier type de question : quel objectif doivent viser les pays développés dans leur mission civilisatrice ? Apprendre aux habitants des autres pays à vivre mieux, c'est-à-dire à consommer plus ? Ou bien leur apprendre à continuer à faire des économies ? Les pousser à faire des économies n'est pas très bon pour la nôtre, d'économie, puisque nous avons besoin d'eux pour absorber les produits que nous fabriquons. Aussi convient-il que nous leur imposions (sans jamais utiliser la force, bien entendu) notre modèle de développement qui est forcément le meilleur du monde puisqu'il a fait ses preuves chez nous. Nous allons donc construire des usines chez eux car tout pays développé se doit d'avoir des usines : l'existence d'un prolétariat urbain est un indice sûr de civilisation. Par la même occasion le processus poussera les artisans à se raréfier, ce qui est un bien car l'artisan est quelqu'un de difficile à cerner, notamment pour le fisc. Il faut savoir que dans ces pays-là, la grande majorité des transactions impliquant des artisans se font en espèces : pas de traces ; pas vu, pas pris. Or, un fisc efficace est aussi (parfois) un indice de civilisation. La preuve : combien de Papous ou de Yanomani paient leurs impôts ? Je n’ai pas la réponse.

Deuxième type de question : le niveau de la nappe aquifère d'Ogallala (qui se trouve dans le centre-ouest des Etats-Unis dans le sous-sol de huit états situés immédiatement à l'est des Montagnes Rocheuses) baisse régulièrement ; lentement mais sûrement. On peut toujours espérer que les Américains, qui savent être très inventifs, trouveront la parade avant que la nappe ne soit complètement épuisée. Mais peut-on courir le risque de voir d'autres nappes phréatiques s'assécher à travers le monde, en particulier dans des pays arides ou semi-arides tout simplement parce que nous aurons exporté chez eux des modes de développement inopportuns ?
 
 

LES GRANDS PROGRAMMES

La France est, par excellence, le pays des grands programmes. Malgré quelques succès, d’ailleurs plus ou moins mitigés (l'avion supersonique Concorde, le Plan Calcul, la Bibliothèque de France – alias TGB) ou même de francs échecs (le Plan Câble fibre optique, la TV haute définition franco-française), le bilan global est plutôt bon.

Nous avons su réussir quelques grandes aventures scientifiques et industrielles : le programme électronucléaire, le procédé SECAM de TV en couleur, le TGV, le respect des horaires par la SNCF (ça n'a l'air de rien, mais peu de pays peuvent en dire autant), le Minitel etc. En revanche, nous semblons avoir un problème à réussir de petites opérations qui demanderaient plutôt à être conduites comme un commando. Est-ce la faute à Descartes ? Est-ce la faute à Diderot ? On trouvera, et l'on aurait tort de ne pas s'en réjouir, des contre-exemples savoureux tels que, par exemple, la carte à puce, inventée par un français, Roland Moreno, mais globalement le constat est malheureusement assez tragique.

Nous sommes capables de concevoir, de planifier, de nous organiser pour, et de mener à bien des projets titanesques. C'est ce que j'appelle le syndrome du Concorde. Il est la conséquence de notre système éducatif élitiste qui a trop tendance à mettre l'accent sur l'abstraction et les concepts. Nous avons des théoriciens de premier plan dans tous les domaines, mais ce sont les étrangers qui fabriquent et qui vendent !

Si réussir de grands programmes demande une planification rigoureuse, d'autres réussites sont le fruit du hasard. Vouloir remplacer à tout prix, et partout, ce hasard par une organisation infaillible est illusoire, très coûteux et sans garantie. Imaginer qu'une armée d'experts, aussi qualifiés soient-ils, puissent, dans le calme studieux de leurs bureaux décréter que telle technologie n'a aucun avenir ou aucun marché me semble aussi dangereux que d'interdire la construction des trains parce que l'organisme humain ne pourra jamais supporter des vitesses supérieures à 60 Km/heure (c'est ce que des scientifiques éminents, dont Arago, pensaient au début du XIXe siècle). Dans le même ordre d'idées, on peut également remercier les quelques fous furieux qui se sont obstinés à essayer de faire voler des objets plus lourds que l'air.

Un expert peut parfois se tromper et les spécialistes de futurologie ont raison : "s'il y a une chose qui soit impossible à prévoir, c'est bien l'avenir." De plus, il est illusoire de penser que chaque opération sera une réussite. Donc, plutôt que de viser, comme objectif, un taux de déchets égal à zéro, il semble plus raisonnable de créer les conditions permettant de multiplier les opportunités et de laisser jouer ensuite la sélection naturelle avec ses propres règles. Ce qui ne signifie pas ne pas donner, par-ci par-là, un coup de pouce à la nature. Comme en zootechnie, la performance est à ce prix. Afin que "Le discours de la méthode", qui fut écrit en français, n'ait pas été écrit en vain.
 
 

L'ÉLECTRICITÉ

Voilà un autre beau sujet de dissertation qui nous permettra également de parler des pays du tiers-monde. La maîtrise des énergies est indispensable au développement harmonieux de la civilisation. Dans les pays développés, l'existence de réseaux performants de distribution d'électricité a fait de cette forme d'énergie l'un des principaux vecteurs du progrès. Il est indéniable que le rôle d'EDF a été positif car il a permis la mise en place d'un réseau performant que beaucoup de pays peuvent nous envier. Aussi, rien de plus normal que nous essayions d'exporter ce concept partout dans le monde. Ce sera bon pour notre balance commerciale.

Mais, au fond, est-il bien raisonnable de vouloir d'emblée que tous les pays se dotent comme nous de tels réseaux construits autour de centrales gigantesques (nucléaires, thermiques ou hydrauliques) ? Ne vaudrait-il pas mieux faire en sorte (dans la mesure du possible et pas partout) que la production d'électricité puisse se faire dans de petites unités très délocalisées (solaires, éoliennes, à micro-chutes d'eau), au plus près des besoins des populations et en privilégiant la rusticité ? Ces micro-unités pourraient très bien être indépendantes les unes des autres ou reliées à l'échelon local (village ou autre), et seraient ensuite inter-reliées au fur et à mesure de l'évolution des besoins.

Une telle solution devrait, évidemment, s'accompagner de la formation d'opérateurs locaux capables de se charger de la maintenance et des réparations les plus simples. Mais un tel projet est utopique. En effet, il équivaut à lancer un nouveau modèle de développement industriel et économique dans lequel les artisans locaux auraient leur rôle à jouer. Or, nous ne sommes pas sûrs, dans les pays riches, de pouvoir garder le contrôle d'un tel système qui nous serait – en partie – étranger et qui risquerait fort de nous échapper. En effet, il ne correspond pas à nos habitudes, nos réseaux, nos circuits, nos savoir-faire actuels et il est toujours très difficile à un système technico-économique de se remettre en question. Plus il est complexe et monolithique, plus il est difficile à modifier.

Une illustration de ce point est fournie par le monopole d'EDF (du moins en ce qui concerne la distribution du courant électrique, puisque tout un chacun avait le droit, en France, de produire sa propre électricité pour son usage personnel) qui a eu pour effet pervers de gêner considérablement (pour ne pas dire empêcher) l'émergence, dans notre pays, des énergies dites renouvelables. En contrepartie, de 1985 à 1995, les prix de l’électricité ont chuté en France de 22 à 28 % pour les clients industriels et de 22 % pour les particuliers. Ceci montre aussi, au passage, que toute médaille a son revers. Mais les choses ont, depuis, évolué dans le bon sens : un particulier peut aujourd’hui produire du courant électrique (photovoltaïque, éolien, ou de toute autre origine) qu’EDF a l’obligation de lui acheter et donc d’injecter sur le réseau national.
 
 

L'ÉNERGIE SOLAIRE

La France s'était lancée à partir du milieu des années 70 dans un programme assez ambitieux (comme d'habitude) de développement des énergies renouvelables, en particulier du solaire. Par exemple, le programme THEK du CNRS était destiné à explorer la voie des températures moyennes (environ 250°C) que l'on peut obtenir par concentration à l'aide de miroirs paraboliques. En 1992, j'ai eu la chance de rencontrer une PMI qui avait été mêlée au développement de ce programme. Son patron m'a confié que le projet s'était développé à la française c'est-à-dire que l'on avait conçu un système très sophistiqué – donc cher –, et dont la fiabilité demandait à être validée, là où l'on aurait très facilement pu faire de grosses économies. Par la suite, le programme THEK a été arrêté lorsque la baisse du prix du pétrole est devenue dissuasive. Les connaissances accumulées ainsi n'ont donné lieu à aucune application industrielle. Mais passons !

Quant à notre PMI, elle poursuit son petit bonhomme de chemin. Son patron, déjà âgé mais toujours passionné par le solaire, continue de manière artisanale et a réalisé – entre autres choses – concentrateur solaire Gallan de 6 m2 très rustique qui permet de faire cuire du pain. Cependant, l'échelle à laquelle il travaille ne lui permet pas de se développer. Enfin, j'ai appris depuis que d’autres sociétés (y compris en Suisse !) ont développé et commercialisent des fours solaires ou encore – et là c'est un comble – que les Marocains achètent aujourd'hui des concentrateurs solaires paraboliques au Japon.
 
 

L'ÉNERGIE ÉOLIENNE

Le système français n'a pas donné beaucoup de chances à cette forme d'énergie douce. Voici donc mon modeste témoignage.

Un groupe de mes amis décida un jour de se mettre à fabriquer des éoliennes. Cherchant des financements, ils se tournèrent vers l'État (nous sommes en France). Un technocrate, fin connaisseur, leur dit que le marché était très faible (en France on a le nucléaire) et qu'il y avait déjà un constructeur français (la société Aérowatt). Il leur déconseilla de créer leur entreprise et leur refusa toute aide financière. Nos héros renoncèrent à fabriquer des générateurs de courant (il y en avait de très bons sur le marché) mais, leurs idées de pales révolutionnaires semblant bonnes, conclurent qu'il y avait un marché à prendre. Atout Vent S.A. fut créée et commença à produire et à vendre, surtout à l'étranger (première surprise). Un jour, ils reçurent un appel téléphonique : "Ici Monsieur Vergnet. Aérowatt a déposé son bilan (deuxième surprise). Je l'ai rachetée. L'un de mes clients m'a dit récemment qu'il monte sur mes générateurs des pales Atout Vent car les vôtres sont plus résistantes. J'aimerais vous rencontrer."

Aujourd'hui, la société ATV Entreprise (qui a pris la suite d’Atout Vent) est redescendue à quinze salariés (après être passée par une trentaine) et réalise 97 % de son chiffre d'affaires à l'export. Cette histoire illustre comment faire pour décourager une initiative ; accessoirement, elle montre que même un expert peut se tromper.

Accessoirement, la France a pris un retard considérable en matière d'énergie éolienne. En 2001, nous n'avons qu'une puissance installée de 50 MW éoliens mais l'objectif national est d'atteindre en 2010 entre 5 000 et 10 000 MW. Espérons que ça suive ; c'est la raison pour laquelle le gouvernement a engagé EDF à racheter le kWh produit par les éoliennes à 55 centimes pour les cinq prochaines années (2002-2006).
 
 

LE PROTECTIONNISME

L'homme est par nature protectionniste : il cherche à protéger sa progéniture, ses avantages acquis et ses marchés. "Le protectionnisme, c'est l'ennemi" pouvait-on entendre dire à l'époque – assez récente – de "la société libérale avancée". Il a fallu déchanter depuis car nos adversaires (partenaires !) économiques ne nous ont, hélas ! pas entendus et il faudra procéder à quelques révisions déchirantes. Certes, les formes prises par le protectionnisme varient dans le temps et l'espace mais cet atavisme est toujours présent, et partout. Ainsi, peu de Japonais achètent des automobiles européennes. Les Américains, de leur côté, sont bien connus pour utiliser leur monnaie – le Dollar – comme une arme économique. Donc, il convient que nous soyons aussi protectionnistes que les autres mais de manière intelligente à commencer par une action au niveau de la jeunesse, à travers l'école par exemple.

Cela sera difficile car il n'y a pas, en France, de consensus sur cette question. Même la classe politique est divisée et ce clivage ne recouvre pas le traditionnel fossé gauche/droite. Pourtant, il serait simple de répondre aux deux questions suivantes :

1. A qui le non-protectionnisme profite-t-il ? Aux grands groupes internationaux. Pour être compétitif il suffit de réduire les coûts (lire : licencier) ; les membres des conseils d'administration continuant, eux, à toucher d'intéressants jetons de présence ou autres avantages.

2. A qui un certain protectionnisme profiterait-il ? Aux chômeurs (licenciés par les grands groupes) ainsi qu'aux toutes petites entreprises ayant un marché essentiellement local.

Et nous voici à nouveau confrontés à la France duale, à la France coupée en deux. Il est évident que le second groupe d'intérêts ne fait pas le poids devant le premier. Voilà pourquoi le discours dominant est anti-protectionniste, du moins au moment où ces lignes ont été écrites (10/7/93).
 
 

LES RELATIONS ENTRE LES GENS

Toute communauté se caractérise par des relations entre les individus qui la composent. Plus ces relations sont bonnes plus la vie quotidienne s'en trouve facilitée et agrémentée.

Mais l'égotisme (égoïsme ?) le plus exacerbé est devenu le moteur principal des activités humaines. Si l'ère industrielle a permis une considérable amélioration de la qualité de vie au plan matériel on ne peut pas en dire autant au plan spirituel et donc psychologique. Il suffit de se déplacer en voiture, dans une ville, et de préférence autour des heures de pointe, pour constater que l'altruisme, la courtoisie et parfois même la simple politesse semblent avoir déserté nos rues.

Les gens qui font beaucoup de montagne se souviendront du temps béni où, lorsque l'on croisait un autre groupe, on saluait systématiquement ou même on marquait une halte pour échanger quelques mots ou des informations. Il faut dire qu'avec la fréquentation accrue de la montagne, si l'on s'avisait de faire de même aujourd'hui, on serait plus souvent arrêtés qu'en mouvement. Sans compter l'effet perturbateur de toutes ces interruptions sur la respiration et donc sur les performances. Par bonheur, la fréquentation de la montagne étant inversement proportionnelle à la distance du plus proche parking, il suffit de s'éloigner de ce dernier pour retrouver un peu de cette convivialité des origines. En extrapolant, il suffit d'aller en des endroits où il n'y a personne pour pouvoir enfin avoir le plaisir de saluer tous ceux que l'on rencontre.

Si l'on essaie d'analyser les causes des tensions entre individus, il apparaît que la trop grande densité de population (la promiscuité) peut être un facteur aggravant. Plus les gens qui se partagent un même territoire sont nombreux plus les chances de frictions entre eux sont élevées. On a constaté chez les rats que le nombre d'individus dans un espace donné limité est un facteur crucial de stabilité sociale. Au-dessous d'un certain seuil, tout se passe bien mais au-delà l'agressivité commence à se manifester pour atteindre un paroxysme lorsque la densité de population est trop élevée. A ce stade, les rats en arrivent à s'entre-tuer. On peut toujours objecter que les humains ne sont pas des rongeurs.

Il reste que l'on peut rencontrer des gens antipathiques partout, même dans les endroits les moins fréquentés. Si l'on songe que parmi toutes les causes possibles à l'antipathie, il en est aussi de très futiles, il arrivera fatalement à chacun d'entre nous de se trouver en présence de gens avec qui il n'a pas la moindre envie de parler. Or, le dialogue (y compris sous ses formes non verbales) est à la base de toute relation humaine. Aussi, il faudrait ne jamais oublier que même dans les cas où le dialogue avec quelqu'un semble tout à fait impossible cela ne devrait pas nous empêcher d'essayer d'engager quand même la conversation.
 
 

LA COMMUNICATION SOCIALE

On a pu écrire que la communication entre les individus qui composent une société donnée s'apparente à une vaste mise en scène dans laquelle on rencontre des acteurs, des partenaires, des spectateurs, des observateurs ou de simples témoins. Chacun de nous pouvant être tour à tour et selon les rôles ou les circonstances, l'un puis l'autre quand ce n'est pas l'un et l'autre simultanément.

Les sociologues ont montré que les individus sont en interaction constante et que les faits sociaux découlent précisément du jeu de ces interactions. Ce qui complique les choses c'est que l'on est souvent en représentation, attitude ou comportement que l'on adopte lorsque l'on désire donner à l'autre une idée de nous-mêmes différente de ce que nous sommes réellement. Les hommes publics, en particulier les hommes politiques – mais pas uniquement eux –, donnent souvent l'impression d'être en représentation : mimiques, expressions récurrentes qui en arrivent à être de véritables tics, intelligemment exploités, autrefois par les chansonniers, et de nos jours par les guignols de l'info (personnages caricaturaux de la chaîne télévisée Canal Plus). Le summum ayant probablement été atteint par François Mitterrand lorsqu'il s'est fait raccourcir les canines.

Le but visé par quelqu'un en représentation est de tromper l'autre. C'est donc ni plus ni moins une manifestation d'hypocrisie. Le péché peut être véniel dans le cas où l'on souhaite simplement lui cacher un défaut physique ou d'élocution qui nous affecte mais péché plus grave lorsque l'on désire lui donner une fausse idée de nous-mêmes afin d'attirer sa sympathie ou d'obtenir ses faveurs en faisant tomber ainsi ses barrières de défense ; en lui faisant, en quelque sorte, baisser la garde. Quitte à réprimer notre moi profond, on va tenter de persuader l'autre que l'on est très proche de lui, que l'on partage ses idées et ses valeurs. Lorsqu'il aura enfin baissé la garde et que sa méfiance sera endormie, alors nous pourrons en profiter. L'opportunisme peut trouver là de quoi s'alimenter et l'hypocrisie constitue pour lui un magnifique terrain de prédilection.
 
 

LE TÉLÉPHONE

Au départ, le téléphone était destiné à simplifier la vie des individus et l'on peut dire qu'il y a parfaitement réussi. Mais l'un de ses effets pervers est qu'à trop faciliter le contact entre les gens il en est devenu une gêne pour la vie privée de ces derniers. Aussi, dans les milieux professionnels, il est de bon aloi de se défendre contre ces intrusions indésirables de multiplier les filtres que nos interlocuteurs doivent franchir avant d'avoir le privilège de pouvoir nous joindre.

Votre standard téléphonique doit faire l'objet des plus grands soins. Il vaut mieux y mettre quelqu'un – connu pour son mauvais caractère – et qui est déjà occupé à régler d'autres problèmes par ailleurs ce qui permettra de décourager un bon nombre d'importuns. Ou encore, solution de rechange, affecter au standard quelqu'un qui ne connaît rien à votre organisation pour être l'un (ou l'une) des derniers arrivés, ou qui a des défauts d'élocution ou de compréhension (un étranger peut très bien faire l'affaire). Ceux qui auraient assez de ténacité pour franchir ce premier barrage devront ensuite – le plus souvent possible – être orientés dans des culs de sac ou passés de mains en mains jusqu'à épuisement. Quant aux rares débrouillards qui auraient réussi, contre toute attente, à se frayer un chemin jusqu'à votre secrétaire il conviendra de leur faire dire que vous êtes sur l'autre ligne, en réunion, en déplacement ou que vous n'êtes pas le bon interlocuteur. Et le tour sera joué. Ah ! un dernier conseil : ne jamais rappeler quelqu'un qui cherche à vous joindre ; laissez-lui le soin de refaire votre numéro.

D'ailleurs, votre importance se mesure, en France, au nombre de barrages (et à leur efficacité) que les gens qui vous appellent doivent franchir avant de pouvoir vous parler au téléphone. Alors qu'aux États-Unis on peut joindre au téléphone pratiquement n'importe qui avec la plus grande facilité. Quand on appelle quelque part, la réponse se produit très vite (le plus souvent au bout de deux sonneries) et les premiers mots que l'on entend sont souvent : allô, service Machin (ou société Duchemol) puis-je vous aider ? (il s'agit d'une traduction libre).
 
 

LES RÉUNIONS

Voici quelques aphorismes sur la pratique française des réunions :

 

L'AUTOMOBILE

L'automobile a permis la libération des individus qui n'ont plus à se préoccuper de donner à manger à leur cheval avec tous les problèmes d'approvisionnement et d'élimination des déchets que cela suppose, notamment dans les villes.

Mais il faut aussi avouer que l'automobile empoisonne pas mal notre vie quotidienne justement dans les villes. On notera à ce propos, qu'à tout moment, 10 % seulement des voitures roulent alors que 90 % d'entre elles stationnent en occupant un espace qui pourrait utilement être employé à autre chose*

* Les chiffres sont très grossiers et n'ont qu'un simple but illustratif. La raison en est que je ne dispose pas de données précises en la matière. Mais j'entends prouver ainsi que l'on pourrait supprimer 90 % des voitures individuelles si l'on mettait les 10 % restantes en self service. En les dotant d'un système d'accès et de paiement par carte à puce et... en en ayant la volonté politique.

En dehors des villes c'est encore supportable si l'on évite de considérer les départs ou les rentrées de vacances ou de week-ends. Or l'industrie automobile fait vivre, directement ou indirectement des centaines de milliers de personnes dans chacun des grands pays industrialisés. Nous ne nous occuperons pas des autres ; ils n'avaient qu'à en faire autant. Nous nous préoccuperons, par contre, du Japon qui nous a non seulement imités, mais a réussi à faire mieux que nous. En effet, si le Japon produit beaucoup de voitures il a la sagesse d'en consommer assez peu et préfère noyer le monde sous sa production. Quant à ceux qui arrivent à échapper à la noyade, ils n'évitent pas l'avalanche de produits électroniques... Il faut bien mourir de quelque chose.
 
 

LES TRANSPORTS

La bataille entre le rail et la route fait des ravages. Nous sommes ici sur le front plus vaste de la guerre sans merci que se livrent transports collectifs et transports individuels. Quelles sont les dernières nouvelles du front ? Mauvaises ! Car le chiffre d'affaires des filiales routières des chemins de fer est aujourd'hui supérieur à celui du fret rail. La SNCF transporte donc plus de marchandises par la route que par le rail. Situation, on l'avouera, paradoxale. Si la route vient à gagner la guerre, nous allons évoluer vers une situation à l'américaine : leurs voies ferrées sont dans un état épouvantable ce qui s'accompagne de nombreux accidents (déraillements de trains de marchandises) ou dysfonctionnements (lenteur, retards et inconfort des trains de passagers dans lesquels il n'est pas toujours facile d'écrire à cause des vibrations). Le "tout route" pour le transport des denrées lourdes est une grosse erreur. Pour preuve ce qui se passe en Italie où, sur certaines autoroutes, les véhicules légers ne peuvent plus rouler paisiblement tant les poids lourds sont nombreux, encombrants et... dangereux. Prêtons-y la plus grande attention car c'est une situation qui nous pend déjà au nez.

Mais rêvons un peu et élevons le débat. En 2001, le secrétaire d'État à l'économie solidaire, Guy Hascoët, prône le transport de fret par dirigeable. Cela me paraît être une très bonne idée puisque des études en ce sens sont faites aux États-Unis. Dans quelques années, nous achèterons donc des dirigeables importés d'outre-Atlantique à grand renfort de devises. Pourtant, l'idée n'est pas aussi neuve que cela : il se trouve qu'en 1988, j'avais participé à la négociation d'un contrat de recherche (contrat n° 740071 du 14/01/88) entre un laboratoire corse du CNRS (si si, ça existe – pace e salute, Georges, que mes bons vœux de santé t'accompagnent – qu'il me soit permis de saluer au passage un vieil ami que j'estime, Georges Péri, ex-professeur de l'université de Corte, aujourd'hui à la retraite) et une PME dauphinoise, la société Phenol Engineering, qui n'existe plus aujourd'hui. La collaboration concernait une étude sur le transport par dirigeable de structures d'habitation très volumineuses. A ma connaissance, le contrat n'a malheureusement jamais eu de suites au plan économique et je n'ai jamais eu le temps et les moyens de connaître les raisons de cet échec. En France, on n'a pas de pétrole mais on continue à avoir des idées. Dommage que ce soient les autres qui les exploitent.

 
 

LE JEU

Le mot "jeu" est sémantiquement passionnant :

- Jeux de mains, jeux de vilains.

- Ceci est un jeu d'enfants.

- Jouer le jeu.

- Le jeu n'en vaut pas la chandelle.

- Les jeux de mots.

Mon but dans ce chapitre n'étant pas la psycholinguistique, je ne traiterai que des jeux d'argent (jeux de hasard, loteries, paris, courses de chevaux et autres). En effet, l'âge d'or où le jeu était un divertissement désintéressé ne sera bientôt plus qu'un souvenir attaché à une ère révolue. Certains jeux sont devenus des sports ; d'autres sont explicitement des jeux d'argent ; dans les deux cas, l'argent coule – parfois – à flots.

L'État, justement, toujours à l'affût de ressources fiscales, ne s'y est pas trompé et les jeux constituent pour lui une vache à lait puisqu'il prélève 28,02 % des mises du PMU et jusqu'à 50 % (en 1989) de celles du Loto sportif. Il est intéressant de noter que la ponction de l'État ne représente qu'environ 3 % des montants pariés dans les casinos mais 40 % des recettes de la Loterie Nationale. Allez savoir pourquoi.
 
 

LE SPORT

L'essentiel n'est pas de vaincre mais de participer (Pierre de Coubertin).

Du pain et des jeux (cf. la Rome impériale).

Ne parlons pas des gens qui jouent au polo par snobisme ; ne parlons pas du golf qui est en plein processus de démocratisation (les experts nous l'assurent) ; ne parlons pas, non plus, du football qui déchaîne, chez ses supporters, les passions les plus primaires. Parlons, au contraire, d'un véritable sport, sain et populaire, le tennis. Certes, ses origines sont quelque peu aristocratiques mais cela n'est plus qu'un mauvais souvenir. Depuis au moins vingt-cinq ans il est de bon ton de jouer au tennis et de faire jouer au tennis ses enfants.

Hélas, ce qui était à l'origine une école de fair-play – sinon de tolérance – s'est peu à peu pollué. Il suffit d'assister à des tournois entre jeunes enfants pour prendre conscience de l'intensité avec laquelle certains parents ont investi dans leurs chères têtes blondes (à voir comment ils les ont habillées, ce n’est pas qu’un investissement psychologique). Celles-ci ne doivent surtout pas les décevoir. Il leur est interdit de "jouer" au tennis. Elles doivent s'accrocher, se battre, se dépasser voire écraser l'adversaire. Elles doivent faire du tennis avec sérieux comme on fait des maths ou plutôt avec professionnalisme comme dans les affaires : sans pitié. A ces conditions et à ce rythme, les petits deviendront peut être un jour les égaux des plus grands champions et arriveront même à les dépasser. Alors ils auront le droit, après chaque point marqué devant des milliers de spectateurs, de grimacer, de gesticuler, voire de briser leur raquette et de hurler leur joie dans un simulacre de rituel destiné sans doute à s'attirer les bonnes grâces des Dieux du stade ou à apaiser quelque mauvais génie en mal de vengeance. En attendant, les petits peuvent devenir un bon placement pour leurs parents. Ainsi, le jeune français Jérémie Aliadière, qui vient en 1999, à l’âge de 15 ans, de se voir proposer par le club de football londonien d’Arsenal un contrat de 13 millions de francs pour 7 ans. Quand on vous dit que les enfants peuvent parfois être un bon investissement.

Normal, me dira-t-on, l’argent est partout. Oui, mais c’est regrettable. Il faut savoir que la masse salariale des clubs de football de la D1 française est passée de 118 millions d’Euros en 1995-1996 à 299 millions en 2000-2001. Les salaires auraient-ils augmenté beaucoup plus que l’inflation ? Ou aurait-on recruté énormément de personnel en plus ? Pendant ce temps les RMIstes et les smicards n’ont qu’à aller acheter des billets d’entrée pour aller au stade et occuper leur temps en regardant les match de foot. Mais il est vrai que le monde du foot brasse de plus en plus d’argent. Les chaînes de télévision subissent durement l’inflation des droits de diffusion : pour le Mondial 1998, elles avaient payé 90 millions d’Euros ; pour le Mondial 2002, elles en débourseront 870 ! – et ceci alors que l’audience subit parfois une diminution !! Faut-il s’offusquer des revenus des champions ? Je ne sais pas mais la question est, selon moi, mal posée. De temps à autre, les médias font des gorges chaudes autour de tel ou tel PDG qui « se remplit les poches » mais il est interdit de se moquer de Michael Schumacher dont les revenus 2001 ont été de 46 millions d’Euros. Il est vrai que le travail d’un pilote de F1 est plus dangereux que celui d’un PDG… même si l’abus de gros cigares est mauvais pour la santé.

Dans le sport, il y a ceux qui font du sport et il y a ceux qui administrent le sport. Car le sport est administré et fortement structuré : il existe des clubs, des fédérations et des structures internationales. Et plus on grimpe, plus c’est juteux, bien évidemment. Ainsi, au début mars 2005, la FIFA (Fédération Internationale de Football Association) a connu une véritable explosion des salaires de ses dirigeants. Tout simplement parce que les 24 dirigeants de la FIFA ont décidé de doubler leurs propres salaires, décision motivée par "l'augmentation continue de leur charge de travail" à un an de la Coupe du monde en Allemagne. Mais on n’en sait malheureusement pas plus car le montant des émoluments de Sepp Blatter et de ses collaborateurs n'a pas été révélé.

Quant à l’amateurisme désintéressé dans le sport, ça fait longtemps qu’il n’est plus de mise comme nous l’indique la professionnalisation galopante de la corporation des sportifs jusque dans ses bastions réputés les plus imprenables comme le rugby. Et ce n’est pas le Comité International Olympique qui me démentira, lui dont certains membres se sont fait piquer pour corruption fin 1998. Ils avaient accepté des bakchichs importants de la part de la ville de Salt Lake City, dans l’Utah, pour la choisir plutôt qu’une autre comme siège des prochains jeux olympiques. Zeus et ses compagnons doivent sans doute s’en voiler la face.*

* Le lecteur qui voudrait poursuivre ces réflexions sur la nature aliénante du sport tel qu'il est de plus en plus pratiqué de nos jours a intérêt à se reporter aux travaux de Michel Caillat qui est extrêmement virulent sur ce sujet. D'accord, Caillat est un économiste issu du marxisme ; mais ce n'est pas une raison suffisante pour ne pas lire ce qu'il a pu écrire sur la question.

Et si, tout simplement, l'excès d'activité sportive ne détraquait pas l'esprits de ceux qui s'y adonnent ? A moins que ce ne soit l'inverse : surinvestir dans le sport ne serait-il pas le signe d'un esprit un peu perturbé ou dérangé ? Le Dr Serge Simon, ex-rugbyman et fondateur au CHU de Bordeaux d'un service où l'on soigne la tête des héros fatigués, n'hésite pas à affirmer qu' "entre 10 et 15 % des grands sportifs sont en difficulté psychologique".

 

LA COMPLEXITÉ

Le monde est complexe. Au XVIIIe siècle, un "honnête homme" pouvait, à force de lectures, de voyages et de travail avoir une bonne connaissance générale de l'univers (y compris technique) qui l'entourait. De nos jours c'est beaucoup plus difficile. Personne n'a la capacité de savoir exactement tout ce qui est en train de se concocter, dans tous les domaines, sur notre planète. Même en lisant vingt-quatre heures par jour, qui pourrait prétendre être au fait de toutes les informations significatives qu'il "faudrait" connaître pour être bien informé ? Ce ne sont pas les couvertures journalistiques de la révolution roumaine ou de la guerre du Golfe qui pourront me démentir sur ce point.

Les hommes politiques ne sont pas mieux placés que les journalistes pour appréhender la complexité du monde. Obnubilés par leur carrière (semblables en cela à tous leurs congénères), il n'y a aucune raison pour qu'ils soient plus clairvoyants ou plus objectifs.
 
 

LES MÉDIAS

On apprend de source sûre que certains observateurs, s'appuyant sur des confidences faites par l'un des négociateurs qui a souhaité conserver – pour l'instant – l'anonymat, sont amenés à penser qu'une déclaration pourrait bien être faite de manière imminente par un porte-parole officiel. On s'autorise donc à penser, dans les milieux bien informés, qu'un éventuel accord pourrait, avec un bon degré de certitude, probablement être signé dans un futur qui risquerait d’être très proche (inspiré de Coluche).

Les médias ne sont que le miroir déformant de la société française (Alain Minc).

Les journalistes devraient toujours se contenter de décrire ce à quoi ils assistent et ce qu'ils voient, de rapporter les déclarations et les dires en mentionnant l'auteur sans faire de commentaires. Les commentaires ont, peut-être, leur place dans des éditoriaux mais pas dans des articles dits d'information. Ceux-ci – mais c'est un pléonasme – devraient toujours rester neutres et objectifs. Des expressions telles que "il semble", "on peut (penser, croire, supposer, imaginer)", "certains disent" méritent d'être bannies dans toute la mesure du possible. Certes, les articles y perdront en qualité littéraire mais cette qualité n'est pas, à mon avis, ce que le lecteur est en droit d'attendre en priorité de la part d'un article journalistique. Mais n’en disons pas plus sur le problème de l’objectivité de la presse. *

* Ceux qui croiraient encore qu’un monument comme le journal "Le Monde" est au-dessus de tout soupçon doivent vite se procurer le livre de Daniel Carton : Bien entendu… c’est off, Albin Michel édit, 2002. L’ancien journaliste politique y expose avec force détails les combines, clientélismes, jeux de pouvoir et d’ambitions qui règnent en maîtres dans tout ce milieu.

Parlons des styles journalistiques. La qualité littéraire des articles publiés dans le journal "Le Monde" est largement reconnue ; les articles que l'on peut y lire sont tous remarquablement écrits et dans une langue le plus souvent irréprochable de sorte que le citoyen moyen en tire parfois l'impression qu'ils ne sont pas écrits pour lui mais pour l'intelligentsia. C'est d'ailleurs bien fait pour lui :: il n'a qu'à lire les journaux qu'il peut comprendre. Chaque journal a son public, voire sa clientèle, et il est bien connu que c'est le client qui a toujours raison.

De nos jours, il est fréquent de voir et d'entendre des hommes politiques à la télévision, ce qui est un bien. Il est même possible, parfois, de voir sur nos petits écrans un petit message placé au-dessous de l'homme qui parle et commentant ses dires de manière très neutre :

- Faux. Le Président dit 18 %. Le bon chiffre est 22 %.

- Inexact. Il n'y a pas 30 millions de pauvres, mais 35.

- Imprécis. Il aurait dû dire ceci ...

Il est vrai que j’ai eu l’occasion de voir se produire ce qui précède dans les journaux télévisés… américains. Il semble donc qu'aux États-Unis les journalistes de la télévision fassent leur travail mieux que les nôtres.

Pour nous limiter à la télévision, il nous paraît indispensable de citer une étude réalisée par le sociologue Pierre Bourdieu* 

* Voir son ouvrage : Sur la télévision, Liber Edition (diffusion Seuil), 1997.

dans laquelle il dénonce les mécanismes de l’autocensure dans l’audiovisuel, le caractère circulaire de l’information, la récupération de l’audiovisuel par quelques ténors de l’élite dirigeante, ainsi que l’assujettissement de toute une profession aux lois de l’Audimat. Selon cet auteur, la télévision est devenue un monde clos d’interconnaissance et de connivence, dont les plateaux sont occupés en permanence par des "experts" toujours disponibles et omniscients, des "fast thinkers", sorte de gourous de la pensée jetable, voire de la pensée unique, et qui pensent plus vite que leur ombre. Le risque est sérieux d’aller vers une normalisation du discours, vers le triomphe du conformisme et de bâillonner, du coup, les voix dissonantes, les seules capables d’apporter la nouveauté, l’innovation, bref, le progrès de la pensée.
 
 

LA LIBERTÉ DE LA PRESSE

Les États-Unis semblent être le pays de la liberté de la presse. Les journalistes, y compris ceux de la presse écrite, y font aussi en général très bien leur travail. Quant à ceux qui ne le font pas, ils sont virés. La preuve : ce qui est arrivé à Carl Bernstein qui a été renvoyé de Time Magazine en 1992 pour productivité insuffisante. Ce monsieur n'était pas un illustre inconnu : c'est lui et son collègue Bob Woodward, alors qu'ils travaillaient tous deux au Washington Post, qui ont déclenché l'affaire Watergate qui provoqua la démission du président Nixon. La faute de Bernstein pour mériter le licenciement ? Il avait un contrat de 100 000 $ par an et il n'avait rédigé que cinq articles ce qui était tout à fait insuffisant.

Est-ce à dire que tout est mieux de l'autre côté de l'Atlantique en matière de presse ? Globalement, je pense que oui mais il convient de ne pas trop noircir le tableau : en France nous avons le Canard Enchaîné. Cocorico ! (ou plutôt couac, couac !). Mais il faut rester vigilants : au printemps 1995, un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de Cassation vient de porter un coup extrêmement grave à ce qui devrait être la sacro-sainte liberté de la presse française : un journal qui publie une information gênante a désormais le choix entre une condamnation pour recel (s'il démontre la véracité de ses informations en produisant des documents ad hoc) et une condamnation pour diffamation (s'il ne le fait pas). C'est ainsi que le Canard Enchaîné, poursuivi par Jacques Calvet, président de Peugeot, dont il avait publié la feuille d'impôt (crime épouvantable !), a été condamné pour avoir apporté la preuve de la véracité de son information. Dans la foulée, le Sénat (assemblée de sages parmi les sages !) vient de pondre 23 propositions et 4 recommandations visant à brider la liberté de la presse en créant notamment un nouveau délit pour les journaux qui publient des informations relevant du secret de l'instruction, à défaut de sévir contre ceux (magistrats, greffiers, experts et agents de la police judiciaire) qui le violent alors qu'ils y sont tenus.

Pauvres journalistes tiraillés entre le désir de plaire, l'envie de dire la vérité et les soucis de carrière. On comprend qu'ils se sentent obligés d'appliquer les règles de la grammaire éditoriale qui veut que chaque phrase doive être construite sur le modèle classique : un sujet, un verbe, un compliment. Quand, de manipulateurs-manipulés, les journalistes sauront-ils se changer en éclaireurs-informateurs ? S'ils ne le font pas, alors la crise des quotidiens français n'a aucune raison de se résorber dans un proche avenir. Nos quotidiens sont les plus chers d'Europe, leurs coûts de distribution sont trop élevés et – last but not least – leur contenu est particulièrement pauvre.

Mais il est vrai que les journalistes ont des circonstances atténuantes : ils sont – hélas ! comme beaucoup d'autres – surmenés, compte tenu de la masse d'informations qui leur tombe continuellement sur la figure. Voici, pour illustrer ce point, ce qu'a écrit Anne-Marie Casteret de l'hebdomadaire L'Express* : "La crise de la vache folle rencontre aussi la crise de la presse. A ce rythme, les journalistes ont du mal à suivre. Ou ils prennent trois mois de congé sans solde et se plongent dans toutes les publications, ou ils se noient et ne peuvent que suivre les experts, citer les politiques et gérer le dossier, le nez dans la bouse... en se méfiant des concurrents et des ennuis." 

* Source : L'Express, n°2346, 20/06/96, p.48.

LE BON SENS

Le bon sens est la chose au monde la mieux partagée.

Cet aphorisme est vrai dans le sens où l'on trouvera des gens de bon sens un peu partout : chez les patrons et chez les ouvriers, chez les progressistes et chez les conservateurs, en Orient et en Occident, chez les hommes et chez les femmes, chez les riches et chez les pauvres, chez les Juifs et chez les Gentils, chez les noirs et chez les blancs, chez les prélats et chez les laïcs, etc. etc.

Mais ne parle-t-on pas aussi du bon sens paysan ? Comme si on lui attribuait une vertu, donc une valeur, particulière. Comme pour affirmer que c'est le seul, probablement, qui ait su rester authentique c'est-à-dire proche de l'homme dans ce qu'il a de plus naturel. Dans ce cas, la situation est tragique car il faut observer que type de bon sens-là est en train de se raréfier. En France, il n'est plus présent – à l'état pur – que dans environ 850 000 exploitations agricoles et en Chine, s'il s'y taille encore la part du lion, toutes les projections pour l'avenir montrent qu'il va se raréfier progressivement avec le temps et avec l'industrialisation du pays.

Ceci dit, il ne faut pas prêter au bon sens toutes les vertus d'une panacée. Le bon sens peut être anti-moderne : pour supprimer les accidents d'avion, il faut supprimer les avions ; ou irréaliste (?) : pour supprimer tous les problèmes de la circulation automobile, supprimons la voiture individuelle, et remplaçons-la par des véhicules en libre service et opérés par une carte à puce ; ou immoral : pour supprimer la misère, supprimons physiquement les miséreux, les sidéens et dans la foulée, toute catégorie humaine qui nous dérange ; ou paternaliste : pour mobiliser la jeunesse, il faut bâtir des stades et des terrains de jeux (et pourquoi pas des temples et des monastères ?) ; ou délirant : pour supprimer le chômage, relançons les petits boulots (d'autres que nous les feront) ; ou démagogique : pour supprimer le chômage, il faut partager le travail (surtout celui des autres) ; ou néo-colonialiste : notre modèle de développement étant le meilleur, il faut l'imposer au reste du monde (ça l'aidera à crever plus vite) ; ou impérialiste : notre modèle de développement étant le meilleur (pour nous), il va s'imposer (tout seul) au reste du monde ; ou complètement fou : pour supprimer la crise, il faut forcer les gens à consommer (en utilisant des arguments convaincants du type carotte ou du type bâton ?) ; ou totalitaire : pour régler tous les problèmes sociaux (délinquance, menaces intérieures et extérieures), il faut développer la police et l'armée, et construire des prisons (en plus, on crée des emplois et on relance le bâtiment) ; ou utopique : supprimons l'argent, ou supprimons la propriété individuelle, ou supprimons le travail.

Enfin, comme il existe un ministère du travail, ne pourrait-on pas créer un ministère de la paresse ? Ou un ministère pour la suppression des ministères ?

Mais le bon sens a mauvaise presse surtout chez les intellectuels et les sociologues (qui l'appellent dédaigneusement "le sens commun" ; et pourquoi pas "le sens vulgaire" ? ou "le sens du vulgum pecus" ?). Personnellement, je prône la réhabilitation du bon sens. Que ceux qui m'aiment me suivent et lisent d'urgence l'ouvrage de l'historien des idées Marc Crapez, Défense du bon sens (édit. du Rocher, Paris, 2004). Alors que les penseurs classiques se permettaient de discuter le bon sens (mais ils le respectaient), à partir des années soixante, un certain nombre d'intellectuels (parmi les coupables : Roland Barthes et Pierre Bourdieu), en proie à un délire idéologique, et se considérant eux-mêmes au-dessus de toute critique, en sont arrivés, au nom de leur haine du sens commun, jusqu'à justifier les crimes politiques. No other comment!
 
 

LES OPINIONS

Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis.

Il vaut mieux avoir tort avec tout le monde que raison tout seul.

Le mensonge et la crédulité s'accouplent et engendrent l'opinion (Paul Valéry).
 
 

MODES ET MODÈLES

Une mode a à peine détruit une autre mode qu'elle est abolie par une plus nouvelle, qui cède elle-même à celle qui la suit, et qui ne sera pas la dernière : telle est notre légèreté (La Bruyère).

Le grand avantage de la mode c'est qu'elle se démode.

L'homme a besoin à la fois de suivre ses semblables et de se démarquer d'eux suffisamment. Il a besoin de modèles. Cette évidence s'applique dans de nombreux domaines : la mode bien sûr, mais aussi les sciences ou la religion.

Ce qui est autrement plus dommageable c'est lorsque ce besoin de suivre des modèles investit l'économie ou la politique. On va alors essayer de copier ce que font les uns ou les autres. Il y a eu, chez nos technocrates, un engouement pour les États-Unis, puis pour le Japon et on continue encore, dans les milieux de décideurs, à gloser sur les modèles américain ou japonais, voire sur les modèles allemands ou italien. C'est aller un peu vite en besogne et oublier que ce qui marche bien quelque part n'a peut être l'air de bien marcher que parce que nous le comprenons mal. Ou encore, que si cela marche réellement bien, c'est que c'est adapté au contexte local qui l'a sécrété. Lorsque l'on essaie de pratiquer une greffe sur un être vivant, le plus souvent celle-ci est rejetée à moins que l'on ait pris d'énormes précautions. Or, un système économique ou social est comme un être vivant, c'est-à-dire complexe. Et l’imaginaire y joue un rôle essentiel.

C’est Jacques Le Goff, médiéviste distingué (si j’osais, je dirai : le pape du Moyen Âge), qui s'est beaucoup penché sur l'imaginaire. Il montre que les sociétés et les individus ne se comportent guère en fonction des aspects objectifs des faits mais en fonction de ce qu'ils imaginent. Et notamment de ce qu'ils imaginent se passer dans l'esprit des autres ! Que de conflits, que de guerres, que de destructions et d’horreurs à cause de ces préjugés et ces mauvaises interprétations !
 
 

L'ORIGINALITÉ

Aujourd'hui, si t'es pas original t'es mort !
 
 

LES GENS DE LETTRES

Il ne faut jamais oublier que dans le mot "écrivain" on trouve – certes – le mot "vain", mais on trouve aussi le mot "cri".
 
 

LA FAILLITE DES IDÉOLOGIES

Le capitalisme c'est l'exploitation de l'homme par l'homme ; le communisme c'est exactement l'inverse.

Le Français est un homme de gauche qui a le portefeuille à droite.

Je suis contre tout ce qui est pour et pour tout ce qui est contre.

En 1945, à la libération, les intellectuels de gauche tenaient le haut du pavé. Normal, la France avait vécu sous une occupation et une dictature de droite. Le communisme avait le vent en poupe. En 1958, la majorité du pays appela le général Charles de Gaulle. Normal, nous étions las de la politique des partis. En 1980, le vent d'ouest nous apporta le reaganisme, pardon, le libéralisme. Par bonheur, la vague thatchérienne nous épargna. A partir de 1989, les idéologies collectivistes s'effondrèrent à l'Est. Ce fut le temps du capitalisme triomphant. Mais le triomphe dura peu.

Autrefois tout avait le mérite d’être simple. Les méchants étaient toujours ceux d’en face : les rouges lorsqu’on était à l’Ouest ; les impérialistes lorsqu’on était à l’Est. Depuis, on s’est rendu compte que les choses n’étaient pas aussi simples et de nombreux repères ont sauté. Une des cerises sur le gâteau étant constituée par le fait que le parti communiste français a été dirigé de main de maître du début des années 30 à 1943 par Eugen Fried, un homme de Staline. Ce fut lui, fils de commerçants juifs de Slovaquie, qui plaça à la tête du PCF des personnages aussi éminents que Maurice Thorez ou Jacques Duclos qui n’étaient donc en fait que des marionnettes entre ses mains. La Gestapo qui l’assassina à Bruxelles ne connut jamais sa véritable personnalité*

* Voir l'ouvrage de A. Kriegel et S. Courtois : Eugen Fried. Le Grand Secret du PCF, édit. du Seuil, 1997.

Aujourd'hui, pris par la complexité, voire la complication*

* Claude Lefort, philosophe et directeur d'études à l'EPHESS (École Pratique des Hautes Études en Sciences Sociales), et qui a beaucoup travaillé sur le processus d'adhésion des individus au communisme, considère que le communisme "complique" notre rapport à l'Histoire (cf. son ouvrage récent, intitulé justement La Complication, Fayard édit., Paris).

nous nous interrogeons et cherchons de nouveaux repères. Capitalisme (pas trop sauvage), social-démocratie (pas trop irréaliste), humanisme de gauche (pas trop coupé des lois du marché), nationalisme soft (à face humaine, pas trop xénophobe), néo-communisme (pas encore, mais il ne sera pas stalinien, ça c'est sûr). Que sais-je encore ?

Et pourtant, il semble bien que la démocratie soit une valeur solide sur laquelle (presque) tout le monde se trouve d'accord. Voici à ce propos ce qu'a répondu le grand historien Emmanuel Le Roy Ladurie, à la question de savoir qui a inventé le concept de démocratie*

* Lors d'un entretien avec deux journalistes : L'Express, n°2350, 18/07/96, p.22.

"Montesquieu, peut-être, qui symbolise au mieux la tentative d'un gouvernement libéral sur le modèle anglais de la séparation des pouvoirs édifié par John Locke et repris aux États-Unis par Jefferson. D'où cette étrange Constitution américaine qui place le président et le Parlement dans des conflits presque insolubles. L'autre grande idée, c'est le régime d'Assemblée, que l'on doit notamment à Mirabeau et à Robespierre, grand manipulateur. Jules Grévy a ouvert la voie au régime parlementaire, système en vigueur en France de 1870 à 1958, et qui nous a donné l'éducation nationale, un empire colonial, même la victoire en 1918 ! Ensuite, dès 1958, une autre tradition, celle de la monarchie républicaine, va s'imposer : héritée de Jefferson, elle fut reprise par le prince-président Napoléon Bonaparte, puis par de Gaulle, et légitimée par François Mitterrand. Il est intéressant de constater que nos présidents de la Ve République ont parfois reçu, dans leur jeunesse, une éducation monarchiste."

Pour en terminer avec le capitalisme (mais peut-on réellement en terminer avec lui) ma position personnelle ressemble le plus à celle de Cornélius Castoriadis (1922-1997). Ce penseur trouvait ridicule la théorie du complot du grand capital et voyait le système capitaliste comme une force ; mais comme une force problématique, sans tête, travaillée par d'autres contradictions que celles repérées et décrites par Karl Marx. Selon lui, le dynamisme capitaliste a besoin d'être équilibré, bridé, canalisé, par des "types anthropologiques qu'il n'a pas créés et qu'il n'aurait pu créer par lui-même" : "des juges incorruptibles, des fonctionnaires intègres et wébériens, des éducateurs qui se consacrent à leur vocation, des ouvriers qui ont un minimum de conscience professionnelle." Des "types" légués par des périodes historiques antérieures et que le capitalisme, qui n'en a que faire, détruit : "l'honnêteté, le service de l'Etat, la transmission du savoir, la belle ouvrage, etc." Ainsi, "de même qu'il vit en épuisant les réserves naturelles", "le capitalisme vit en épuisant les réserves anthropologiques constituées pendant les millénaires précédents". D'où, dans les sociétés d'abondance, la "montée de l'insignifiance", liée à la transformation des humains en machines à produire et à consommer". Les existences individuelles, de plus en plus dépolitisées, se soumettent au "conformisme généralisé" d'une marchandisation sans limites aboutissant à une "décomposition des sociétés occidentales", mises en danger par "la privatisation, l'apathie, l'inimaginable dégradation du personnel politique".

Et l’humanisme risque de n’en pas sortir renforcé. La sociologue québécoise Céline Lafontaine (L'Empire cybernétique : Des machines à penser à la pensée machine, Seuil éditeur) en attribue la responsabilité à la cybernétique qui, selon elle, a fortement influencé la pensée moderne. La cybernétique renvoie au modèle de compréhension de la communication (chez la machine comme chez l'être vivant) mis au point par le mathématicien Norbert Wiener au lendemain de la 2ème guerre mondiale. Le paradigme cybernétique doit beaucoup aux désillusions engendrées par les horreurs de la guerre qui ont amené une perte de confiance en l'homme. La prophétie cybernétique est aujourd'hui en voie d'accomplissement : "Un monde sans frontières, tout entier voué à la communication et à l'échange d'informations, au sein duquel les anciennes barrières entre humain, animal et machine semblent définitivement abolies."

Des penseurs très variés se sont inspirés de la cybernétique :

Céline Lafontaine s'en inquiète vivement, elle qui lit dans l'ensemble de ces théories "une même négation de l'héritage humaniste, une même logique de désubjectivation". Le modèle communicationnel n'a que faire de l'intention des individus, ramenés au rang de centres de traitement des informations qu'ils enregistrent, de simples maillons d'immenses réseaux. L'humain devient alors le stade suprême de la complexité régulée. Et l'humanisme s'éteint.

Tout se passe comme si notre société ne savait pas où elle va mais elle se comporte comme si elle était sure qu’il n’y a qu’un seul chemin pour y aller. Espérons que ce ne soient que les remous annonciateurs de l'entrée dans le New Age.
 
 

LA RÉVOLUTION

Une révolution est une opinion qui trouve des baïonnettes (Napoléon).

Les vrais ennemis de la société ne sont pas ceux qu'elle exploite ou tyrannise, ce sont ceux qu'elle humilie. Voilà pourquoi les partis de révolution comptent un si grand nombre de bacheliers sans emploi (Georges Bernanos).

On ne construit pas la paix en niant le conflit, car ce serait le plus sûr moyen pour que s'impose la violence (Pierre Calame).

On croit toujours que la révolution est synonyme de changement, de chamboulement. C’est peut-être vrai au début, mais il est fréquent ensuite que la révolution a tendance à s’institutionnaliser et les révolutionnaires à s’embourgeoiser. A preuve, et sans remonter jusqu’à la révolution française et ses conséquences, le fait qu’au Mexique le parti qui a exercé le pouvoir pendant près de 71 ans – de 1929 à 2000 (et qui a enfin été détrôné par le Parti d'Action Nationale de Vicente Fox) ! – porte le nom de Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI). On dira : pauvre Mexique. Il est vrai que l’autre des deux principaux partis d’opposition au PRI s'appelle "Parti de la Révolution Démocratique". Tout un programme pour ce malheureux pays qui vit en musique, au soleil et... à l’ombre du "grand frère" nord-américain.

Dans les révolutions, quelques hommes, parfois, sont amenés à jouer des rôles moteurs tout à fait éminents. Certains d’entre eux ont des parcours qui peuvent être étonnants. Je ne peux m’empêcher d’en citer un, contemporain, et dont la trajectoire est assez exceptionnelle : Benny Lévy, véritable gourou occulte de mai 68 (il était apatride à l’époque car né en Egypte), fondateur de la Gauche Prolétarienne, ancien secrétaire de Jean-Paul Sartre, révolutionnaire repenti, a fortement "évolué" puisqu’il est l’un des cofondateurs d’un Institut Levinas à Jérusalem, et s’adonne aujourd’hui à l’étude de la Torah et des textes sacrés juifs.
 
 

LA VÉRITÉ

La vérité n'est pas toujours conforme à l'opinion de la majorité (Jean-Paul II).

Une seule chose que l'on ne peut embellir sans qu'elle en périsse c'est la vérité (Jean Rostand).

Si vous fermez la porte à toutes les erreurs, la vérité restera dehors (Rabindranath Tagore).

La réalité, si dure soit-elle, a une beauté que les illusions n'ont pas (Victoria Ocampo).

Les utopies ne sont souvent que des vérités prématurées (Lamartine).

Selon les tenants du holisme (dont le pape fut certainement le philosophe américain Willard Van Orman Quine, 1908-2000 ; sa pensée eut une influence considérable sur l'épistémologie américaine comme en témoignent en particulier les travaux de Thomas Kuhn lui-même), il faut admettre que toute vérité dépend à la fois des faits (ce qui est la moindre des choses) et du langage (qui lui, est conventionnel). Si cela était, il n'y aurait pas de vérité absolue. La vérité serait même sacrément relative ! Comment voulez-vous encore avoir des certitudes, avec ça ?

Comme l’a dit John F. Kennedy à l’occasion d’une cérémonie de remise des diplômes à l’université de Yale : "Le grand ennemi de la vérité est très souvent, non le mensonge – délibéré, intentionnel et malhonnête (NdA. : et JFK en était un grand spécialiste !) – mais le mythe – persistant, convaincant et irrésistible." D’ailleurs, ironie du sort, JFK, véritable docteur ès mensonges de son vivant, est devenu lui-même un véritable mythe après son assassinat !

Laissons donc le mot de la fin au poète :
Rien n'est vrai, rien n'est faux ; tout est songe et mensonge,
Illusion du cœur qu'un vain espoir prolonge.
Nos seules vérités, hommes, sont nos douleurs.
(Lamartine)
 
 

LA FOI ET LA RAISON

Avoir la foi, c'est comme de tomber d'une falaise et de croire qu'il n'y a que deux possibilités : soit vous vous poserez en bas sur la terre ferme léger comme une plume, soit vous apprendrez à voler (Hillary Clinton, citant une vieille formule apprise au catéchisme ; dans son livre : Mon histoire, traduction libre - cf. version française chez Fayard édit., Paris, 2003).

On ne peut les opposer : la foi poursuit l’Absolu ; la raison poursuit l’Universel.

Le mot croyance, quant à lui, définit des plans d'adhésion intellectuels très divers. Je crois que 2 et 2 font 4. Je crois que a Terre est ronde et qu'elle tourne autour du Soleil. Je crois en la démocratie, en la fraternité, et en une foule de choses que je n'ai pas vérifiées. Mais ce n'est pas le même type de croyance que la foi, qui est adhésion à une vérité qui me dépasse et est imposée par le fait que l'on est membre d'une communauté de croyants.
 
 

L'ERREUR

Errare humanum est.

Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà.

Tout le monde fait des erreurs. Savoir reconnaître ses erreurs est une qualité que nous devrions tous cultiver. Oser avouer que l'on s'est trompé est faire preuve d'humanité. Verrons-nous le jour où des hommes politiques et des technocrates diront "j'ai pris telle décision : c'était une erreur. Voici ce que je propose pour la corriger" ?
 
 

LE DOUTE

C'est justement parce que je doute toujours que j'ai ce qu'on appelle l'esprit critique. Mais, précisément parce que je doute toujours, je ne doute jamais. C'est difficile à expliquer (interview de Jean Guitton par Bernard Lecomte, journaliste à l'Express, en janvier 1995).

Il faut cultiver le doute car il oblige à se poser des questions. Il est donc l'une des clefs qui ouvrent l'intelligence. Doute, vérité, erreur, contradictions, paradoxes, logique et bon sens sont intimement imbriqués. Or, nous ne connaissons que la logique aristotélicienne selon laquelle une proposition ne peut être que vraie ou fausse ; il n’existe pas de troisième possibilité ; c’est ce que l’on appelle aussi la logique du tiers exclus. C’est pourquoi je conseillerais au lecteur qui a envie de changer de dimension d’aller consulter un site très intéressant à cet égard. Cliquer ici. C’est un site superbe truffé de magnifiques et très nombreux paradoxes logiques.
 
 

LES CONTRADICTIONS

Nous sommes entourés – et même pétris – de contradictions. Ces dernières sont au cœur même de la nature. La raison profonde en est que tout est relatif et ces contradictions ne sont souvent que des apparences liées au fait que nous sommes des observateurs bien imparfaits. Ainsi :

- Le "haut" ne peut être défini que parce qu'il existe un "bas" et inversement.

- La nuit, parce qu'il y a le jour et inversement.

- La masse parce qu'il y a l'énergie et inversement.

Albert Einstein a décrit tout cela mieux que je ne pourrais le faire et je n'y reviens donc pas. Il a été montré que tout est une question de référentiel.

Mais ce qui est vrai en physique est vrai, aussi, dans les sciences de la nature. Ainsi, le prédateur n'existe que parce qu'il peut dévorer sa proie. Mais notre prédateur peut devenir à son tour la proie d'un troisième. Ainsi, c'est la mort de l'un qui permet à l'autre de vivre.

De même, dans les sciences humaines et sociales :

- Le bourreau existe parce qu'il y a des condamnés à mort et inversement.

- Il y a des métiers bien payés parce qu'il en existe de mal payés et inversement.

- Le riche n'existe que parce qu'il y a des pauvres et inversement.

- Il y a des pays sous-développés parce qu'il y a des pays sur-développés et inversement.

Mais toute vérité n'est pas bonne à dire.
 
 

LE FANATISME

"La lettre tue, et l'esprit vivifie" dit l'Evangile.

Pauvreté et ignorance sont les deux mamelles du fanatisme.

Je ne sais pas si la communication télépathique sera un jour possible et remplacera la parole mais ce qui est sûr c'est que les mots – véhicules de la parole – peuvent être dangereux. On n'est jamais sûr que l'autre comprenne le mot que l'on a dit avec la même acception que soi-même. Alors que dire de la compréhension par l'autre d'une suite de mots comme contient tout discours. L'écrit étant encore plus dangereux que la parole dans la mesure où la parole peut s'envoler alors que les écrits, eux, sont susceptibles de rester et de faire le mal pendant longtemps.
Or l'incompréhension de l'autre débouche sur le rejet de l'autre ; et le rejet de l'autre sur la justification de la violence – la violence faite à l'autre, ça va de soi.

Les psychanalystes expliquent que nous avons tous besoin, pour vivre, d'un sentiment suffisant de sécurité, lié à la qualité du regard que nos parents (ou ceux qui ont exercé leur rôle) ont porté sur nous. C'est cela qui nous permet d'accepter la coexistence du bien et du mal en nous et chez les autres. Ceux qui ont vécu de mauvaises expérience dans leur enfance et qui n'ont donc pas eu cette chance recherchent un monde pur et idéal. Souvent, ils ne parviennent pas à domestiquer la haine qui en découle et la projettent sur l'autre, cet autre qu'ils en arrivent ainsi à diaboliser. De cette manière peut naître un fanatique. Et d'un fanatique, on peut faire facilement un terroriste.

On notera au passage que la coexistence, en soi-même, du bien et du mal peut provoquer, si l'on n'y prend garde, une certaine tendance schizophrénique. Ceux qui parviennent à prendre conscience du phénomène, pourront construire plus facilement les mécanismes psychiques de défense qui leur permettront de lutter contre l'apparition réelle de la schizophrénie et qui les empêcheront de devenir aliénés par elle. Ceux qui n'y parviennent pas courent au contraire le risque d'éviter la schizophrénie (par un mécanisme inconscient d'autodéfense psychique) en niant justement la coexistence du bien et du mal ; et de se réfugier ainsi dans une vision idéalisée de la vie : eux sont du côté du bien, les autres du côté du mal. Étant du côté du bien, on peut alors justifier tous les excès. On devient ainsi un fanatique prêt à justifier toutes les atrocités… depuis l'Inquisition jusqu'à l'islamisme le plus radical.

 

L’ÉGLISE CATHOLIQUE

Il m’arrive souvent de m’éveiller la nuit, de réfléchir à un problème grave et de décider d’en parler au pape. Puis, complètement réveillé, je réalise d’un coup que c’est moi le pape (Jean XXIII).

Toutes les religions se valent probablement mais il se trouve que j’ai été baptisé – sans que l’on me demandât mon avis – et j’ai été élevé dans la religion catholique de sorte que ce que pourrais dire sur les autres religions ne serait probablement pas très pertinent quoique ce qui s’applique à l’Église catholique puisse sans doute être étendu aux autres institutions gardiennes de dogmes. En fait, dire que j’ai été élevé dans la religion catholique est très excessif car si jusqu’à ma communion il n’y a pas grand chose d’original, j’ai ensuite pris mes distances par rapport à la religion, et surtout à sa pratique. Et lorsque quelqu’un me demande si je suis croyant, je me vois obligé de répondre : "Je crois que non."

N’ayant jamais eu la chance de rencontrer Dieu et de Le voir de près, tout ce dont je parlerai ici c’est de l’Église. Cette dernière n’est qu’une institution humaine et à ce titre elle en porte tous les stigmates. Il est possible que l’Église des premiers âges baignait dans une pureté originelle mais celle-ci s’est évaporée depuis fort longtemps et, comme il ne reste plus beaucoup de témoins de cette époque bénie, tout ce que l’on peut voir depuis c’est une organisation qui a été constamment détournée de ses buts pour servir les intérêts de quelques individus au détriment de ceux de la grande masse des anonymes. Derrière le mot "intérêts" se cachent beaucoup de choses mais en particulier le goût du pouvoir de ces quelques individus qui, dissimulant leurs névroses (à l’époque on ne savait ce que c’était) et leurs turpitudes, ont cautionné, permis ou poussé aux pires atrocités, atrocités qui ont notamment culminé (mais atteint-on jamais le sommet en ces matières ?) sous l’Inquisition.

Un autre grand méfait de l'Église est l'influence néfaste qu'elle eut sur les régimes politiques de toute l'Europe. Il convient en effet de ne pas oublier que la première monarchie absolue bureaucratisée n'est pas le royaume de France de Louis XIV mais la papauté. Le pape est le premier souverain à rompre avec le système féodal (c'est le concile de Bâle – 1431-1449 – qui donne les pleins pouvoirs aux papes pour établir leur souveraineté). Pour aboutir à un schéma de pouvoir aussi clair la France et l'Allemagne devront attendre le XVIIe siècle.

Pour nous limiter à l’époque moderne, des sources dignes de foi J m’ont affirmé que le frère du pape Paul VI était franc-maçon ce qui lui aurait permis de noyauter avec ses amis l’Osservatore Romano, principal organe d’information et de presse du Vatican. Lorsque l’on connaît les liens qui unissaient (et qui unissent peut-être encore) certains franc-maçons italiens à la Mafia ou à la grande délinquance financière (cf. la fameuse loge P2) on ne peut s’empêcher de penser que la barque de Saint-Pierre est vraiment mal barrée. Le triste sort du pape Jean-Paul Ier en témoigne probablement. Ce pape, qui est mort dans des conditions curieuses un mois après son élection, aurait été éliminé (mélange subtil de cyanure et de toxine botulique ?) par son opposition écclésiastico-mafieuse car il avait annoncé son intention de mettre de l’ordre dans les finances du Vatican. Sa mort a permis l’élection d’un successeur conservateur (Jean-Paul II – qui n’est pas un modèle de modernité), polonais (donc grandement ignorant des réalités italiennes) à la tête de l’Église catholique ce qui permettra à l’institution de ne pas trop perturber la situation et les délicats équilibres antérieurs.

Certains diront : affabulation. Pas si sûr ! Souvenons-nous du triste destin d’Aldo Palumbo, administrateur du diocèse de Naples. L’Institut des Œuvres de Religion – la banque du Vatican – voulait des éclaircissements sur les comptes de son patron le cardinal archevêque, Monseigneur Michele Giordano. Palumbo, convoqué à Rome à la fin du printemps 1998, était prêt à tout raconter. Arrivé à Rome, on lui apprit que son rendez-vous était remis au lendemain. Il passa la nuit dans un institut religieux de la ville éternelle. Au matin, on le retrouva mort d’une crise cardiaque, ma foi J, fort opportune. Sans doute le trac ; ou l’émotion. Le cardinal a été par la suite mis en examen après avoir fait l’objet d’écoutes téléphoniques et d’une perquisition à l’archevêché le 22 août de la même année. Une dizaine de millions de francs auraient transité sur ses nombreux comptes bancaires. Le sort de l’Église – et de ses hommes – est vraiment entre les mains de Dieu.

Mais revenons sur Terre. Il n’est pas surprenant, dans le contexte que nous avons évoqué, que l’Église soit l’objet de tels dysfonctionnements. Toutes les organisations humaines en connaissent. Comment se fait-il, objectera le lecteur, qu’une institution comme l’Église n’arrive pas à se débarrasser de ce mal qui la ronge ? Tout simplement parce que certains, en son sein, ne le désirent pas. Ils préfèrent jeter de la poudre aux yeux des fidèles ; ils s’arrangent pour que l’Église botte en touche en braquant leurs projecteurs sur des sujets particuliers propres à mobiliser l’intérêt général, le détournant ainsi de ce qui ne doit sous aucun prétexte être porté en débat sur la place publique.

Un exemple ? Eugen Drewermann, théologien catholique (et psychothérapeute) qui vit à Paderborn, en Allemagne, est en guerre contre l’Église. Il a proposé une théologie révolutionnaire qui est un véritable chant d’amour contournant le dogme et la gnose afin de trouver la bonne distance avec Dieu : ni trop près ni trop loin ; il prône le dialogue direct avec Dieu (ce qui n'est pas sans analogie avec le protestantisme) et reconnaît le droit à la naïveté et au doute. Comme il reproche en plus à l’Église d’être atteinte par une sorte de névrose obsessionnelle, il a été interdit d’enseignement en octobre 1991 ; depuis janvier 1992, il n’a plus le droit de prêcher ; enfin, il est interdit de sacerdoce depuis janvier 1992*

* Auteur d'une quarantaine d'ouvrages (dont 25 publiés en France). Voir par exemple : Dieu en toute liberté, Albin Michel, 1997.

Selon lui, l’Église a transformé le message de liberté et d’amour de Jésus en un système dogmatique fondé sur la peur. Or, un dogme n’est rien d’autre qu’une violence institutionnalisée et celle-ci prend la forme, dans l’Église catholique, d’un mécanisme obsessionnel ritualisé. Mettant en cause les hiérarchies cléricales, Drewermann considère que Jésus a voulu mettre l’homme en contact direct avec Dieu et le libérer ainsi de toute médiation institutionnelle. Il fait ainsi, pour l’Église, un excellent bouc émissaire ! Pendant ce temps, ça permet aux gens de ne pas penser à autre chose et surtout ça évite de débattre des vraies questions.

Le lecteur qui ne saurait plus à quel saint se vouer et celui qui aurait encore des doutes sont priés de lire d'urgence l'ouvrage Le Vatican mis à nu*, signé par le groupe dit "Les Millénaires", probablement un collectif de hauts prélats de la curie (le gouvernement de l'Église) et dont l'une des têtes de file serait Mgr Luigi Marinelli. 

* Robert Laffont édit., Paris, 2000 (traduit d'un ouvrage en italien ; malheureusement, la traduction aurait pu être meilleure).

Outre mille et une joyeusetés, on peut y lire ceci :

"[le constat fait dans le livre] ... est un phénomène que l'on retrouve dans toutes les autres sociétés du monde : à ce titre, l'Église ne fait pas exception, rien de ce qui est humain ne lui est étranger, y compris les imperfections et les misères de ses dirigeants les plus en vue. L'Église est en crise, parce que le monde est en crise et qu'en toute chose elle porte la marque du monde, des inquiétudes profondes qui travaillent la société..."

N’oublions jamais mes chers frères, qu’un pape n’est jamais qu’un être humain. Sans aller jusqu’à évoquer les excès, voire les turpitudes de certains papes du passé, contentons-nous de mentionner le parcours d’Eneas Silvius Piccolomini, qui, dans sa jeunesse, et avant de devenir Pie II, réalisa un recueil de poésies érotiques (Historia de duobus amantibus). Ses œuvres, soit dit en passant, eurent l'heur de plaire beaucoup à François Mitterrand, l’un de nos présidents les plus onctueux qui furent et… un grand artiste.
 
 

LE CULTE DE LA PERSONNALITÉ

La télévision (les gens qui posent les questions sont plus importants que ceux qui y répondent).

François Mitterrand (sans doute conseillé par un homme de communication) s'était fait rogner les canines car il les avait trop pointues.

C'est le propre des sociétés immatures que d'avoir besoin du culte de la personnalité. Les sociétés totalitaires (communisme sous Staline, fascisme sous Mussolini, nazisme sous Hitler) ont besoin de construire un culte à un homme en qui elles peuvent se retrouver et qui, d'une certaine manière, les symbolise un peu. Les monarchies sont sans doute la forme la plus achevée de société dans laquelle le culte de la personnalité s'étend – au-delà d'une personne – à toute la descendance d'un grand ancêtre fondateur. Certes, la symbolique très forte qui se dégage du roi, de l'empereur, du dictateur transcende la simple personne humaine qui ne fait que porter les insignes du pouvoir ; sa vie est limitée mais par-delà la contingence humaine c'est la Monarchie, l'Empire, la Nation qui se manifeste et qui vit.

Le souverain ne porte pas de responsabilité particulière : on ne lui a généralement pas demandé son avis avant de lui donner la couronne. Il l'a acquise en naissant. Le dictateur, quant à lui, a été porté au pouvoir absolu, certes par son ambition personnelle et quelques heureux concours de circonstances, mais aussi grâce aux actions de quelques âmes damnées – ses compagnons – mus comme lui par leurs ambitions, la volonté de puissance et le goût des privilèges.

Dans les républiques parlementaires de type occidental, le président incarne bien évidemment la nation toute entière mais la symbolique qui se cache derrière lui aura plus ou moins de force selon le degré de maturité de la démocratie qu'il est sensé représenter. Dans les démocraties récentes où l'Etat est faible (Italie) le président est, au mieux, l'équivalent de la reine d'Angleterre. Dans les pays à forte tradition étatique centralisatrice (France) le président incarne l'Etat et donc toutes ses contradictions. Le pays pourra tour à tour le porter au pinacle puis le vouer aux gémonies c’est-à-dire l’utiliser un peu comme l'on faisait avec un bouc émissaire*

* René GIRARD (né en Avignon en 1923, professeur à l'université de Stanford, anthropologue de la religion, connu pour ses thèses sur le phénomène victimaire et ses fondements, à savoir le désir mimétique qui constitue une explication globale du conflit dans nos sociétés, explication fondée justement sur le rôle central qu'y joue le bouc émissaire) part de l'idée que notre culture repose essentiellement sur les rites et les interdits. Désigner un bouc émissaire – c'est-à-dire une victime (et accessoirement la sacrifier) – revient à cultiver l'illusion de sa culpabilité afin de faciliter l'évacuation de toutes sortes de tensions collectives. C'est cette illusion de la culpabilité de la victime qui est fondatrices de rites, lesquels la perpétuent dans le temps et entretiennent des formes culturelles qui aboutissent à des institutions.

Dans les – rares – pays où la tradition démocratique part de la base (pays du Nord, Etats-Unis) le président incarne et représente la nation et doit donc se conformer à l'attente de ses concitoyens et correspondre à l'image la plus idéalisée que ces derniers se font collectivement d'eux-mêmes. Gare à lui s'il vient à les décevoir (cf. Nixon et le scandale du Watergate, Clinton et le Monicagate).

Quant au pays non démocratiques : les pauvres ! Par exemple, un journaliste palestinien a été mis en prison pour avoir refusé de publier en première page un portrait de Yasser Arafat, leader de l'OLP. Comme le monde s'en est ému, le chef des services de sécurité de ce dernier a déclaré : "Pourquoi en faire une histoire ? Il est détenu parce qu'il est impoli"*. On a envie d'ajouter : et bien fait pour lui. 

* Source : L'Express, n°2325, 25/01/96, p.16.

LA CULTURE

En France, nous avons besoin d'un ministère pour administrer la culture. [Aux yeux des politiques, la culture doit donc être "administrée" !]

Culture, culte et cul commencent de la même manière.

La culture c'est comme la confiture : moins on en a, plus on l'étale.

Sur cette grande question, nous rejoignons un peu le problème de la langue française. Un grand débat actuel (septembre 1993) porte sur les risques encourus par notre culture nationale (et au-delà, notre culture européenne) face à la puissance hégémonique de la culture américaine. Nous n'aborderons pas la question subsidiaire de savoir s'il existe bien une culture américaine. Nous rappellerons que ce grand débat est lié à l'invasion de l'Europe par les films et les séries télévisées américaines, sans parler de l'installation controversée d'Euro-Disney dans la banlieue parisienne.

Porter le débat sur le terrain de la culture est peut-être un moyen de noyer le poisson. En effet, les enjeux sont d'abord économiques : l'audiovisuel représente des marchés importants, qui font vivre beaucoup de monde. Importer beaucoup plus de films que l'on n'en exporte contribue au déficit de la balance commerciale. Or, si l'on est amenés à importer énormément c'est que notre production intérieure ne donne pas satisfaction à nos concitoyens cinéphiles qui préfèrent, et de loin, les produits américains. Qu'attendent donc nos producteurs et nos brillants réalisateurs ? Il faut dire qu'ils sont handicapés par le caractère très balkanisé des marchés du Vieux Continent face au colossal marché (ici, l'expression marché unique prend vraiment toute sa saveur) représenté par les pays anglophones.

Donc, l'enjeu est financier. Voilà un magnifique champ d'action sur lequel nos eurocrates feraient bien de se pencher et dans lequel ils pourraient semer de l'argent de manière astucieuse : financement des traductions/adaptations, mesures de soutien aux entreprises développant des technologies avancées (par exemple les images de synthèse ou les effets spéciaux).
 
 

LA LIBERTÉ

Liberté ! Que de crimes on commet en ton nom.
 
 

L'ÉGALITÉ

En démocratie, tous les hommes sont égaux, mais certains sont plus égaux que d'autres. Sans parler de ceux qui sont très ego.

Les membres du club Mensa doivent avoir un niveau d'intelligence supérieur à celui de 98 % de la population, c'est-à-dire avoir un Q.I. supérieur à 132 (échelle de Stanford-Binet) ou 148 (échelle de Catell). En 1990, ils étaient environ 100 000 dans le monde (dont 50 000 aux Etats-Unis, 33 000 au Royaume-Uni et 850 en France ; honni soit qui mal y pense !).

Les hommes sont tous différents les uns des autres et celui qui prétend le contraire n’est qu’un imposteur ou un démagogue. Ceci n’est pas du racisme. On remarquera en effet que tous les recordmen du 100 mètres sont noirs – et ceci depuis des années. Bien entendu, il existe des blancs qui courent plus vite que certains noirs mais on est forcé de conclure que, en moyenne, les noirs sont meilleurs sprinters que les blancs. Mais cela n’a rien a voir avec une éventuelle supériorité des uns par rapport aux autres. Malheureusement, le Q.I. a été inventé par des blancs et plus que mesurer une quelconque intelligence*

* Car, dans ce cas, l'intelligence aurait dû être définie préalablement.

il mesure certaines propriétés qui sont peut-être plus présentes chez les blancs – des pays développés devrait-on ajouter – que chez les autres. La preuve ? Ulric Neisser (chercheur à Cornell) a calculé que le Q.I. moyen des Américains a augmenté de 24 points depuis 1918 et on sait qu’une tendance similaire est observée dans la plupart des pays. Or, il semble très improbable que l’intelligence humaine augmente réellement à ce rythme faramineux (pour en savoir plus, prière de se documenter sur le fameux effet Flynn). En fait, cette augmentation montre simplement que ce que l’on mesure c’est l’adaptation de l’homme à ces fameux tests, adaptation qui augmente au fur et à mesure que la civilisation se développe car avec elle augmentent tous les stimuli de l’environnement qui agissent justement sur la plasticité du cerveau, sur les aptitudes visuelles et spatiales des individus ; et ce sont ces aptitudes qui contribuent le plus à l’augmentation séculaire du Q.I. qui a été observée. On peut en conclure que si le Q.I. avait été inventé par les oiseaux, ceux-ci l’auraient certainement basé sur les capacités à voler : dans un tel cas de figure, on trouverait que les oiseaux sont plus intelligents que les autres animaux. Attention ! En moyenne seulement, car certains mammifères (chauve-souris ou écureuils volants) apparaîtraient peut-être aussi intelligents, sinon plus, que certains oiseaux (les poules ou les kiwis).

 

Y aurait-il des formes différentes d'intelligence ? Ou des intelligences procédant de natures profondément différentes ? C'est ce que pense Howard Gardner. Ce dernier est professeur en sciences de l’éducation (Harvard depuis 86), professeur de neurologie (Boston depuis 87) et professeur de psychologie (Harvard depuis 91) est le père de la théorie des intelligences multiples. Il en a repérées sept (huit si l'on inclut la naturaliste, ce qui illustre la relativité des typologies) : la musicale, la kinesthésique (sportifs, danseurs, comédiens…), la logico-mathématique, la langagière (poètes, écrivains ; importance de l'aire de Broca), la spatiale (sculpteurs, peintres ; importance de l'hémisphère droit), l’interpersonnelle (les "intuitifs" qui perçoivent ou ressentent les différences d’humeur, de motivation et d’intention des autres ; importance du lobe frontal), l’intrapersonnelle (qui est impliquée dans la connaissance introspective de soi, l'analyse de ses émotions et sentiments).
 
 

LE TEMPS

Qu'est-ce que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais ; mais si on me le demande et que je veuille l'expliquer, je ne le sais plus (Saint Augustin)

Le temps qui détruit tout est le temps qui conserve (Thomas S. Eliot).

Vieillir, c'est encore le seul moyen que l'on ait trouvé pour vivre longtemps (Sainte-Beuve).

Le temps est une monnaie de singe que l’on s’obstine à épargner toute sa vie alors qu’elle perd un peu de sa valeur tous les ans (fortement plagié sur Alain Schifres, journaliste, L’Express, n°2434, 26 février 1998, p.170).

O temps ! suspend ton vol.

Aujourd'hui, plus personne n'a le temps. Nous ne sommes plus guidés par la courbe du soleil dans le ciel. Il faut dire que nous avons tous une montre au poignet et comme cet instrument de précision, issu du génie créatif humain, est moins poétique que le déplacement de Vénus dans le ciel, nous n'avons plus trop le temps de réfléchir sur notre pauvre condition humaine, bercée par le rythme des saisons ou la longueur des ombres sur le sol. Tout est minuté, depuis le petit déjeuner jusqu'au journal télévisé de 20 heures. Notre vie a gagné en précision ce qu'elle a perdu en poésie.

A cela vient se rajouter le phénomène bien connu de contraction du temps. Pour un enfant de 10 ans une année représente 10 % de sa vie ce qui est très important ; alors que cette même durée représente seulement 2 % de la vie d'une personne de 50 ans. Le bon sens populaire dit que plus le temps passe, plus il passe vite. Albert Einstein aurait dit que tout est relatif ce qui peut s'exprimer d'une manière plus savante, concise et lapidaire : plus le temps passe, plus le temps est court.


Retour page perso Elio Flesia

Retour Hy-Tech Info Service

      

Dernière modification de cette page : le 18/11/2007.

eXTReMe Tracker