Hélène Ségara, "Jeune et jolie" n°155 du mois de mai 2000.

 

Les filles ! On pourrait croire qu'il suffit d'avoir une belle voix, du talent et le sens du spectacle pour être une star. On oublie de dire que le talent ne suffit pas pour arriver à concrétiser ses rêves, si on ne possède pas ces quelques qualités essentielles : la fougue, une santé de fer, la passion absolue et une volonté à toute épreuve. Autrement, il faut se battre, sans craindre les désillusions, les gifles et les sacrifices, pour qu'un jour on puisse écrire de vous qu'il est évident que vous êtes une star, "puisque vous étiez faite pour ce métier". Facile à dire après, mais quelle récompense quand on connaît le prix à payer pour vivre une passion qui compte si peu d'élus. Hélène était une adolescente timide qui, à force de courage et de volonté, a pu se glisser avec bonheur dans la peau d'Esméralda, chanter en duo avec Andrea Bocelli et nous charmer avec "Ses vallées d'Irlande" ou nous émouvoir sur "Celui que trop de gens aiment…" C'était pourtant sans compter sur les mauvais coups du sort. Une corde vocale qui lâche. Le drame. Toujours grâce à cette farouche volonté, elle se relève plus forte. Si le parcours d'Hélène est déjà impressionnant, c'est parce que l'artiste est brillante et la femme authentique.

Tout réussit à la belle Hélène ?

- Aujourd'hui, je pousse un grand ouf de soulagement, c'est vrai que la vie est belle et que tout va mieux, mais je me suis tellement angoissée, j'ai été tellement inquiète de ne plus pouvoir faire mon métier alors que je commençais à y arriver.

Cette histoire de corde vocale remonte à longtemps ?

- Je me suis fait opérer en juin, mais cela faisait sept mois que cela n'allait pas. Je me souviens très bien, quand on a fait ensemble le "Studio 22" spécial "Notre-Dame" sur RTL, que tu m'as dit en me raccompagnant : "Quelque chose ne va pas, Hélène ?"

Je me souviens ne pas t'avoir sentie au comble du bonheur alors que tu triomphais sur scène et tu m'as répondu que tu avais simplement la voix un peu fatiguée… Je t'ai cru.

- Tu pouvais me croire, mais le problème était que je sentais ma voix de plus en plus fragile en chantant tous les soirs, comme si de rien n'était, et que je commençais à avoir de plus en plus peur…

Comment t'en rendais-tu compte ?

- Sur scène, bien sûr. Je remarquais que ma voix se cassait un peu, que je peinais, que j'avais de plus en plus mal à monter comme il fallait. J'ai vu un médecin qui m'a dit que j'avais un petit kyste à cause d'une veine qui avait éclaté. Il m'a dit d'arrêter les représentations. Tu imagines le choc quand j'ai entendu ça, et le pire, c'est que je redoutais ça en y allant, comme si je l'avais su d'avance !

Un spécialiste te conseille de stopper, mais ça te semblait inenvisageable…

- Tu sais que je suis assez entêtée comme fille ! (Rires). Je crois que je ne réalisais pas que j'aurais pu perdre ma voix et rien ne me semblait aussi important que d'aller au bout de l'incroyable aventure de Notre-Dame. Comme la nature a toujours raison, elle m'a fait comprendre que ce n'était pas moi qui devais décider et un soir… (très émue), elle m'a lâchée complètement.

(Emu moi aussi) Bon, parlons d'autre chose !

- Il y a prescription maintenant, mais ce sont des moments tellement pénibles…

Tu devais bien sentir que le phénomène s'aggravait ?

- C'était l'horreur ! De soir en soir je sentais que c'était de plus en plus difficile de chanter, de monter… Psychologiquement, j'étais très atteinte, parce que je commençais à rater des notes ! Je ne me voyais pas interrompre la représentation pour dire aux spectateurs : "Pardonnez-moi Messieurs-Dames, ma voix est dans un état épouvantable, mais j'irai jusqu'au bout !" Certains soirs, je ne me sentais plus à la hauteur, je ne savais plus où me mettre, vis-à-vis de mes partenaires, du public (silence), quand j'y pense…

Et le soir fatal ?

- C'est terrible de sentir qu'on ne maîtrise plus une partie si importante de soi, parce qu'on sait qu'on n'est plus rien sans cela. Le soir maudit, nous chantions au Canada et là, tout s'est cassé. Claquage des muscles du larynx, hypertrophie, et ce fichu kyste était devenu six fois plus gros pour avoir continué à chanter sans interruption.

Quel enfer !

- Tu ne peux pas imaginer ce que c'est d'être le rôle féminin principal d'un spectacle à succès, sur une scène, dans une salle pleine, à l'étranger, au milieu d'une représentation et de prendre conscience à un moment donné que tu ne finiras pas ton spectacle… Tout à coup, plus rien ne sortait de ma bouche, entre deux chansons je disais à l'équipe de préparer la doublure, et finalement, pour la première fois, on m'a mise en play-back. Non seulement je ne savais plus où j'en étais, mais surtout je pleurais tellement que mon visage était inondé de larmes, ce qui veut dire que toute la première moitié de la salle se rendait bien compte qu'il se passait quelque chose… Tu imagines l'ambiance jusqu'à la fin. Je sais qu'on n'était pas dans un film de Louis de Funès, mais en larmes, sans s'arrêter… j'en ai encore le frisson !

Tu as réagi immédiatement ?

- Plus ça allait, plus le cauchemar augmentait. Je suis tout de suite partie pour New York voir divers docteurs dont celui de Céline Dion. Ils me disaient tous qu'ils ne voyaient pas la solution, que c'était trop tard pour opérer, que j'avais trop attendu, que c'était devenu trop grave !

Du coup, tu quittes la troupe et tu rentres en France ?

- Désespérée, j'envoie un mail au docteur Jean Abitbol qui m'a toujours suivie en France. Je sais, cher collègue (rires), qu'il te suit aussi et t'a tiré également d'un problème épineux.

Je n'ai pas peur de dire qu'il m'a sauvé la vie, sans lui, j'aurais partiellement perdu ma voix, mais moi je me suis soigné à temps !

- Je sais, je sais… C'est lui qui avait décelé le problème, et alors que personne ne voulait plus intervenir, il m'a dit de rentrer pour qu'il m'opère et qu'il allait tout faire puisque je n'avais plus rien à perdre…

C'était rassurant !

- Il a tenté l'impossible, et grâce à son génie et peut-être à un miracle, ça a marché ! Il a filmé l'opération, et depuis, ce film fait le tour de tous les colloques d'ORL dans le monde. Je suis devenue un cas d'école ! J'en ris maintenant, mais tu n'imagines pas ce que j'ai souffert. Après, tout est affaire de respiration, de rééducation…

Tu te sens miraculée ?

- Complètement. Au départ, je ne voulais pas en parler parce que j'ai horreur de faire pitié aux gens. Finalement, je me suis dit que ce n'était pas une maladie honteuse, quand un sportif se blesse, on le sait, donc pourquoi cacher qu'un chanteur s'est blessé ?

Je te vois venir…

- Evidemment, ils se mettent à jouer "Notre-Dame" pensant me faire plaisir, je me suis enfuie en pleurant, ne sachant pas si je rechanterai un jour ! Ils m'ont prise pour une folle. Je me demandais ce que j'allais devenir !

Tu avais peur financièrement aussi ?

- Tu sais très bien que le chant n'est pas seulement une manière de gagner ma vie, c'est avant tout une passion viscérale. Le chant est une thérapie, c'est ma manière d'avoir trouvé mon équilibre et l'écriture, c'est l'exécutoire.

Lara Fabian m'a dit qu'elle n'aurait jamais écrit l'album "Pure" si elle n'avait pas été si malheureuse à ce moment-là…

- C'est vrai que j'ai écrit mes textes dans une période tellement difficile que je n'aurais pas écrit la même chose sur une plage de Tahiti avec l'homme de ma vie ! En tout cas, je suis consciente que j'ai eu de la chance, et après ça, on ne sent plus le droit d'être difficile. Tu parlais de Lara, elle était au Canada. Dès qu'elle a su ce qui m'arrivait, le soir même, elle a sauté dans sa voiture, elle est venue me voir et m'a trouvée dans un état… Tu connais sa force de caractère incroyable, elle m'a beaucoup aidée sur le moment. Je me souviens très bien, elle m'a pris mon visage entre ses mains et m'a dit droit dans les yeux : "Tu vas te battre !"

Quelles étaient tes frayeurs post-rééducation ?

- Je savais que ce qui m'était arrivé ne pouvais plus se reproduire, mais j'avais peur que ma voix ait changée. Pour l'enregistrement des nouvelles chansons de l'album, je me sentais comme une débutante, pas sûre de chanter juste ou d'avoir la voix qu'on attendait de moi.

Après tout ça, tu n'allais pas faire un album très gai…

- De toute façon, je n'aurai pas fait un disque à se tordre de rire. Toutes les musiques ont leur vocation : le disco pour danser, "Tomber la chemise" pour faire la fête, le classique pour se recueillir. Dans mon cas, ce que je voulais avec cet album, c'était émouvoir. Je n'aurais jamais pensé que j'allais être dans de telles dispositions pour ça ! Au fond, les chansons tristes ne sont-elles pas les plus belles ?

Tu penses à "Y a trop de gens qui t'aiment ?"

- Beaucoup de gens pensent que ce titre a été écrit en pensant à quelqu'un qui m'étai cher, mais dont je ne voulais pas parler. En fait, la chanson avait été écrite bien avant, mais elle s'adapte effectivement très bien à une situation qu'on pourrait ressentir vis-à-vis de moi ou qui pourrait m'arriver avec… quelqu'un ! (Rires).

Pourquoi ne veux-tu pas parler de lui ?

- Par respect. Nous sommes ensemble depuis déjà quelque temps et je me fais discrète parce que je souhaite qu'il démarre d'abord sa carrière. C'est un garçon qui a du talent et je ne veux pas qu'il arrive dans une interview et qu'on lui dise : "Alors, avec Hélène…" Je veux d'abord qu'on lui parle de sa voix. Plus tard on en reparlera, je t'en reparlerai en premier !

Tu pourrais vivre sans amour ?

- Je sais que sans amour je ne suis rien. Il y a deux choses, deux ailes qui me font voler, une c'est l'amour, l'autre c'est la musique. Ce qui m'est arrivé m'a bien montré que si tu m'en enlèves une des deux, je m'écrase.

 

Vincent Perrot.

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