Patrick Fiori, "Jeune et Jolie" n°158 du mois d'août 2000 :

 

Les filles ! Le nouvel de Patrick "Phoebus" Fiori s'intitule "Chrysalide". Tel le futur papillon, Patrick ne pense plus qu'à voler de ses propres ailes. Libéré de l'écrasante machine qui lui a donné sa notoriété, il ne renie pas pour autant ce génial tremplin artistique. Il veut seulement pouvoir interpréter des chansons plus personnelles et laisser à d'autres le soin de se "charger de la sécurité autour de la grande cathédrale". Certains pensent qu'il est gonflé de lâcher la proie pour l'ombre, tandis que d'autres l'imaginaient très bien gérer ses deux carrières de front, mais pour lui, c'était comme mener deux liaisons un peu dangereuses, avec deux maîtresses trop exigeantes. Dans ce cas, un Jules digne de ce nom doit faire un choix. Fiori n'a pas fait le plus facile, mais c'est pour mieux se consacrer à toutes celles qui l'aiment. Pour vous, il fait le bilan de deux ans de folie et se confie avec pudeur sur une histoire d'amour qui a mal tourné.

 

Merci de m'ouvrir ta porte aujourd'hui, c'était dur d'accéder à ta loge pendant "Notre-Dame" !

Tu veux que je te dise pourquoi j'ai froissé une foule de gens sans le vouloir à cause de cette histoire de loge ? Je ne pouvais pas le dire à l'époque, mais maintenant, il y a prescription. Il faut te dire que dans ma loge, aussi bien au Palais des Congrès qu'en tournée, je ne voulais pas qu'on voie que j'ai un petit synthé. Il me servait à mettre des idées à plat, car je pensais déjà à cet album qui vient de sortir.

 

Tu ne pianotais pas pendant le spectacle, quand même !

(L'air honteux mais amusé…) Ben si ! Entre "Déchiré" et "Je suis le capitaine de la sécurité", je courais dans ma loge, je cherchais des idées sur mon clavier pendant que tout le monde pensait que j'allais téléphoner où me concentrer ! (Rires) Je ne pouvais pas en parler avant, j'avais peur qu'on me dise que je ne m'impliquais pas assez dans le spectacle ou, si j'avais fait une erreur, qu'on me sorte des trucs du genre, "Tu vois, si tu étais plus à ce que tu fais, ça n'arriverait pas…"

 

Allez ! Faute avouée…

Mais ce n'était pas une faute, parce que ça ne m'a pas perturbé dans mon rôle ! Après "Notre-Dame", j'ai repris une par une les idées et les sons accumulés durant cette période et j'ai recollé les morceaux. Ca m'a donné deux chansons et l'idée directrice de ce disque, dont je te dis carrément que je suis très fier ! (Rires)

 

Le Patrick romantique et nostalgique qui se dégage du nouvel album, est-il vraiment le reflet de ce que tu étais à l'époque de l'écriture des chansons ?

Oui et non, parce que quand tu as le bonheur d'être dans "Notre-dame", tu vis "Notre-Dame", tu manges "Notre-Dame", tu dors "Notre-Dame", et tu as très peu de temps pour toi et pour penser à autre chose ou à quelqu'un ! Mon petit synthé dans ma loge fermée à double tour, c'était mon refuge… jusqu'à ce que je décide de sortir définitivement du spectacle, pour m'impliquer à deux miles pour cent dans cet album.

 

En studio, je te vois bien sur le dos de tout le monde du matin au soir !

Les pauvres, je ne les ai pas lâchés ! (Rires) Je me suis investi au point de devenir coréalisateur, coarrangeur, j'ai écrit des parties de cordes avec Volodia. Du premier jour jusqu'au dernier mix, je peux faire imprimer sur mon t-shirt : "J'y étais ! "

 

Mais tu as quitté "Notre-Dame" sans remords et sans te dire que tu faisais peut-être une connerie ?

Bien sûr que si, avec des remords ! Comment t'expliquer les raisons de ma décision sans risquer d'être maladroit… (Silence) Tous les artistes qui ont fait ce spectacle ont été contents de s'arrêter, car cette aventure a été géniale, intense, mais difficile aussi. On était toujours sous tension, car nous, les chanteurs, on n'avait jamais droit à l'erreur. Quand tu chantes avec un orchestre, tu fais un petit faux pas et les musiciens sont là pour te rattraper, enfin, ça peut s'arranger. Là, avec une bande qui tourne imperturbablement, une erreur et c'est la cata ! Elle continue à tourner au même rythme, toi tu es dans la met pour te rattraper, impossible ! On était tous très fiables, mais cette mécanique impitoyable comme une horloge, ce n'était pas un exercice simple !

 

Ne te plains pas, c'est une école formidable !

Jamais je ne me plaindrai de cette expérience incroyable à laquelle je dois tant, mais pour être objectif, il faut pouvoir imaginer la dose de vitalité et d'énergie nécessaire pour assurer trois heures de spectacle tous les soirs, pendant deux ans, en tournée, sans compter la promo où tu n'as pas le droit d'être fatigué si tu es professionnel. "Notre-Dame" a été une expérience sans pareil, mais aussi une maîtresse très, très, très exigeante et exclusive… Il fallait que j'arrête un jour.

 

Tu ne chantes pas mieux qu'avant, disons plus facilement ?

Tu n'es pas le premier de mes amis à me poser la question, et en prenant du recul, je crois que si. Je me dis qu'avec "Notre-Dame", j'ai pris deux ans de cours de chant quotidiens intensifs. Alors, si avec ça je n'ai pas un peu progressé, je peux rentrer définitivement en Corse ! Mais ce sont des progrès lents, dont tu ne te rends pas compte tout de suite. Il faut quelques mois, et que des proches comme toi me le disent, pour que je me rende compte que je tape les notes sans forcer, avec beaucoup plus d'aisance et que j'ai acquis des possibilités vocales supplémentaires qui me sont très utiles aujourd'hui.

 

Dès la fin de l'aventure, comment t'es-tu ressourcé ?

A ton avis ?

 

La Corse !

Cargèse ! Mon si beau petit village de Cargèse ! Tu sais, avant d'avoir le plaisir d'y retourner, j'ai souvent mal vécu l'éloignement de mes amis, de ma famille et de ma terre. Cette île est la plus proche des îles lointaines et elle offre, à qui sait en profiter, beaucoup de beauté, de chaleur et de musique. Comment veux-tu que ça ne me manque pas ?

 

On ne commençait pas à chuchoter que "le petit", "l'enfant du pays" oubliait ses racines ?

Franchement, je ne crois pas, car j'étais en contact permanent avec ma mère. Je ne crois pas non plus que les amis, la famille et les habitants de l'île pensaient que je les avais oubliés, parce que, grâce à la télé et la radio, ils savaient que je faisais un truc concret, impossible à faire sur place. Les magazines aussi montraient que j'étais en pleine activité…

 

Les magazines n'ont pas montré que ça…

Ca, c'est un thème sur lequel j'ai encore beaucoup de mal à me pencher sans douleur. C'est très difficile à gérer. Reparlons-en plus tard, s'il te plaît…

 

Alors, la Corse…

En résumé, je peux être exténué par la fatigue la plus tenace, il me suffit de trois jours en Corse et je deviens… Albator et Goldorak réunis ! (Rires) Pour être très franc, cette longue absence a suscité des incompréhensions, des jalousies inévitables. Il y a eu un peu de casse chez mes amis… Tu sais que nous sommes très entiers chez nous, mais pas rancuniers, donc je m'emploie à ce moment à dissiper tous ces petits malentendus…

 

Personne n'a pensé que tu avais pris un peu "la grosse tête" ?

Si quelqu'un connaît la réponse, c'est bien toi, parce que tu sais que je n'ai jamais changé dans le mauvais sens. J'ai évolué, bien sûr, mais franchement, peux-tu me dire en face qu'entre mes petits concerts en Corse et dans le sud de la France il y a dix ans, le spectacle de "Notre-Dame" et "Studio 22", ton émission sur RTL aujourd'hui, je te parle ou je te regarde différemment ?

 

Je confirme, mais ton ego a peut-être pris le dessus… Es-tu toujours aussi attentif aux autres ?

Un exemple pour te montrer que oui : Je suis en train de monter ma petite boîte de production pour aider des artistes qui ont besoin de voir le jour. Je veux réussir cette année à monter un studio d'enregistrement pour le mettre à disposition de ces jeunes chanteurs et musiciens qui ont besoin de maquettes mais pas d'argent pour les faire. Je voudrais faciliter la tâche de jeunes talents qui se retrouvent face aux mêmes barrières que moi à leur âge. Tu vois que sans ce que je viens de vivre, je ne pourrais pas évoluer dans ce sens. J'ai changé de fringues, j'ai un peu coupé mes cheveux, j'ai beaucoup mûri mais très peu changé… avec les mêmes qualités et les mêmes défauts, je te rassure ! (Rires)

 

Qu'est-ce qui a changé, alors ?

J'ouvre un peu moins ma gueule en pensant que ça peut tout changer ! (Rires) Je me balade un peu moins à cœur ouvert, disons que j'ai appris à me protéger plus qu'avant. Si quelque chose a changé chez moi, c'est vraiment ça. C'est parce qu'on m'a agressé ou parce qu'on a trop gratté mon cœur et j'en ai gardé quelques petites douleurs que je suis devenu plus prudent aujourd'hui. Je te jure que mon ego n'est pas assez fort pour que ça m'isole de la réalité. Si ça avait du arriver, ce serait déjà fait…

 

Dis-moi Patrick… penses-tu que deux artistes en pleine ascension, en pleine progression de leurs moyens, peuvent vivre ensemble sans rapports de force ou de compétition ?

Avant de répondre à ta question, je veux simplement te dire que je te remercie de ton tact, parce que dans cette histoire, ça n'a pas souvent été le cas !

 

Interviewer un pote, ça a des avantages et des inconvénients. Je te donne seulement la possibilité de t'exprimer en confiance…

Tu sais que je n'aime pas parler de cette histoire pour une foule de raisons, par respect pour "elle", mais je vais te répondre (long silence)… Quand deux personnes vivent ensembles, qu'elles font le même métier et qu'elles veulent construire quelque chose, elles deviennent deux personnes amoureuses comme les autres. Si l'un ou l'autre ressent une rivalité professionnelle, c'est qu'il y a maldonne. Nous faisions le même métier sans poursuivre les mêmes buts de carrière, nous faisions notre possible pour réussir à concrétiser nos rêves communs de musique, mais aussi pour que chacun soit fier de l'autre et en aucun cas pour lui faire sentir qu'il venait de marquer un point d'avance. La vie, sinon, aurait été infernale…

 

Quelle fut la récompense suprême ?

En dehors de phrases ou de mots d'amour, c'est de s'entendre dire : "Je suis vachement fière de toi". Quand tu sens que l'autre te dit : "C'est bien ce que tu fais, vas-y, fonce…" ou quand toi tu le dis, tu sais à ce moment-là que les mains sont liées.

 

Ce n'est pas la même raison qui peut finir par les délier ?

Heureusement que non ! Si ça n'avait tenu qu'à ça, toute l'histoire aurait été trop fragile, et dès le départ, on n'aurait pas eu beaucoup de chance d'aller bien loin…

 

La morale de l'histoire ?

En ce qui me concerne, la finalité c'est que l'esprit est là, les souvenirs ne s'en vont jamais et il ne faut rien oublier.

 

Le mot de la fin ?

Je déborde d'envie et de projets, dans tous les sens du terme. Je me "retrouve" dans mon petit appart, je fais un peu de cuisine, j'ai des potes et je ne suis amoureux que de mon album, "Chrysalide". (Silence) On ne sort jamais indemne d'un problème sentimental et il faut un peu de temps pour cicatriser. En tout cas, je ferai tout pour qu'elle et moi restions amis!

 

Vincent Perrot.

 

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