Les nouvelles.
Cela fait un moment que je cherches de nouvelles de science fiction gratuite sur le net. Et pour tout vous dire, les nouvelles de mes auteurs français préférer ne sont pas facile a trouvé. ( Si vous en avez dite le moi ça m'interesse.) Donc j'ai réunis ici trois nouvelles d'auteurs français glaner sur leur site. Profitez en ...
Les Mularis
de Serge Lehman
Nouvelle interressantes et plein
de bonnes idées. De plus la fin reste très ouverte ...
Blafarde ta
peau rouge ton regard de R.C Wagner
Première nouvelle de son
derner receuil "Musique de l'énergie". Une nouvelle excellente
qui donne envie de lire le livre.
Leçon
de chose de Bernard Weber.
Ce court texte est une sorte de
délire de l'écrivain comme on les aime. Cette nouvelle est
très drôle, et on apprends enfin la vérité :
Nous ne sommes pas seul dans l'univers et ils sont parmis nous ...
Akhab remonta à la surface
le matin du vingtième jour. épuisé par sa longue ascension,
il jeta son paquetage dans la cour carrée du Donjon, s'assit sur
le sol de terre battue et se laissa aller en arrière, les yeux fermés.
Après trois semaines passées sous terre, il savait qu'il
lui faudrait un moment pour se réacclimater à la lumière
du jour.
Il laissa s'écouler ainsi
plusieurs minutes. Peu à peu, son cour, ses poumons, les muscles
de son dos et de ses jambes cessèrent de le torturer. Akhab inspira
profondément. Les senteurs de la jungle toute proche lui redevenaient
familières - comme un vêtement oublié, puis retrouvé
par hasard. Il inspira de nouveau. Les sensations affluaient, se chevauchaient.
L'odeur de terre humide du Donjon. La chaleur des soleils qui perçaient
au-dessus des remparts. Les cris lointains des pseudosaures, affalés
sur les berges du fleuve, et ceux des oiseaux à l'affût. La
tiédeur du vent.
Le silence.
Akhab prit conscience de sa propre
solitude aussi facilement qu'il avait admis la nécessité
de l'exil lorsque, vingt jours plus tôt, le capitaine Hollander avait
rassemblé les hommes dans la cour. · partir de cette minute,
les faits s'enchaînaient, avec une simplicité presque élégante
: Hollander donnait l'ordre de se préparer à évacuer
; les hommes riaient, sifflaient, applaudissaient - heureux d'en finir.
Après tout, cela faisait six mois qu'ils avaient débarqué
sur Ancil'.
Akhab avait écouté
le discours du capitaine jusqu'au bout. Comme les autres, il s'était
ensuite dirigé vers sa cellule, pour y rassembler ses affaires.
· cet instant, il ne savait pas encore ce qu'il allait faire. Défier
Hollander ? Il ne s'en sentait pas le courage. Mais partir, comme on le
lui ordonnait.
Partir était au-dessus de
ses forces.
Il avait fui, presque malgré
lui. Comme si ce n'était pas lui. Dès la tombée de
la nuit, il s'était glissé dans la cour. L'obscurité
était pleine des rires et des cris des soldats, rassemblés
au mess. · pas de loup, Akhab avait traversé l'étendue
de terre battue, puis s'était enfoncé dans l'escalier.
Les trois semaines suivantes étaient
floues dans son esprit. Il avait vécu dans le labyrinthe souterrain
des Mularis, se déplaçant sans cesse, chassant et dormant
avec eux. Il les avait laissé le nourrir et, en échange,
leur avait appris de nouvelles postures de communication. Comme il s'y
attendait, personne n'avait eu le courage de se lancer sur ses traces.
La surface s'éloignait. Le
souvenir d'Hollander et des autres semblait. s'effacer, perdre de sa substance
dans sa mémoire. Cette évolution convenait à Akhab.
En s'enfonçant sous terre, il avait abandonné à ses
camarades le poids d'une décision qu'il ne pouvait pas prendre.
Parfois, il pensait à eux - avec une étrange tendresse -
mais il devait froncer les sourcils, et faire un effort intense pour se
rappeler leurs visages, et le son de leurs voix.
Un soir, Akhab avait découvert
que cet effort lui-même était devenu inutile. Immédiatement,
il s'était mis à remonter vers la surface. · ses yeux,
il existait un lien - secret, mais bien réel - entre le souvenir
qu'il conservait des hommes et leur présence effective, là-haut,
dans le Donjon.
Le silence qui l'enveloppait à
présent avait valeur de confirmation. Hollander était parti.
Akhab restait seul - et ce monde.
Ce monde était promis à
la destruction.
Il ouvrit les yeux. L'éclat
des soleils avait cessé de l'éblouir. Loin au-dessus de lui,
le ciel violet d'Ancil' palpitait entre les murailles circulaires. Une
nuée d'oiseaux immenses, aux longues ailes jaunes frangées
de noir, glissait parmi les nuages. Akhab se leva. Il traversa la cour,
longea l'un des quatre trottoirs Mularis dont les cannelures et l'incurvation
l'avaient tant intrigué, au début, et entra dans la petite
salle o- Hollander avait installé son centre de communication.
Comme Akhab l'avait prévu,
les hommes avaient démonté et emporté l'essentiel
du matériel. Partagé entre l'euphorie et le désespoir,
il explora la pénombre ocre du regard. Une brassée de câbles
traînait sur le sol. Rien qui vaille la peine d'être récupéré.
Akhab sortit et alla ramasser son
sac. Au passage, il jeta un coup d'oeil à l'escalier qui s'ouvrait
non loin de là et dont il avait gravi les quatre mille degrés
de pierre pendant la nuit. Une forme furtive - minuscule - se déplaça
sur la cinquième ou la sixième marche. Akhab l'ignora. Tenant
son sac à bout de bras, il traversa la cour en sens inverse et entra
dans sa cellule.
Aussitôt, une image en trois
dimensions se matérialisa dans le champ du holosite installé
sur son bureau. Le visage de Hollander. Akhab s'arrêta, hors d'haleine,
laissa tomber son sac à terre. Les yeux désincarnés
du capitaine le cherchaient.
- Je suis là, dit Akhab.
Hollander - ou plutôt, son
double numérisé - se tourna dans sa direction.
- Michel., murmura-t-il d'une voix
rauque.
Il y eut une seconde de silence.
Malgré lui, Akhab ne put s'empêcher d'admirer la finesse avec
laquelle Hollander avait programmé son clone. En le dotant d'une
capacité d'empathie au moins égale à la sienne, le
capitaine avait assumé autre chose qu'une simple obligation administrative.
- Quand êtes-vous partis
? interrogea Akhab en s'asseyant.
- Il y a six jours.
Hollander secoua la tête
avec agitation :
- Nous t'avons attendu le plus
longtemps possible.
- Je sais, dit Akhab - avec une
insouciance que rien ne justifiait (à quoi bon ménager la
susceptibilité d'un programme informatique ?). Tout ça est
ma faute. Ne t'inquiète pas.
Hollander poursuivit, comme s'il
n'avait pas entendu :
-. · la fin, j'avais organisé
des tours de garde au sommet de l'escalier - au cas o- tu aurais décidé
de venir te ravitailler de nuit. Je ne voulais pas prendre le risque de
te laisser passer. J'ai même envoyé Link jusqu'à la
première salle. Il t'a appelé pendant des heures. Tu n'as
rien entendu ?
- Non. Les Mularis m'ont entraîné
plus loin, cette fois-ci. J'étais sans doute hors de portée.
Hollander hocha tristement la tête.
- Nous ne pouvions pas rester plus
longtemps, Michel. La Murène est toute proche, maintenant. ·
peine une centaine de kilomètres à l'ouest. Dans quatre ou
cinq jours, elle aura atteint le Donjon. L'alternative était.
- Oui. Partir et abandonner les
Mularis à leur sort. Ou rester et mourir avec eux.
Akhab haussa les épaules
:
- Je ne pouvais pas les laisser,
capitaine. J'ai fait mon choix.
- J'espérais que tu dirais
ça.
L'homme réel et l'homme
virtuel se dévisagèrent un long moment, en silence. Il n'y
avait plus rien à dire. Au bout d'une minute - ou deux, ou dix -,
le holosite s'éteignit. Akhab se retrouva seul.
Il passa une partie de la matinée
à classer ses notes - moins par souci de méthode que pour
s'occuper l'esprit. Comme Hollander l'avait dit, la Murène se rapprochait.
Bientôt, elle aurait tout englouti : le fleuve, la jungle, le Donjon.
Lui-même. Elle passerait, rendrait la matière au chaos, puis
poursuivrait sa route et ne quitterait Ancil' que lorsqu'elle en aurait
dévoré toute la surface. Dans un mois, deux au plus, il ne
resterait rien de ce monde.
étrangement, Akhab trouvait
cette idée abstraite - bien qu'il eût visité plusieurs
systèmes dévastés par la Murène. C'était
peut-être un effet de cette brutale perte de sens à laquelle
il était confronté. Ses recherches sur les Mularis, qui l'avaient
occupé pendant six mois, lui semblaient à présent
dépourvues de signification. Akhab lutta un moment, puis finit par
admettre qu'il était devenu son propre objet d'étude - et
que son seul travail, désormais, visait à rendre acceptable
la perspective de sa fin toute proche.
Au début de l'après-midi,
il se rendit sur les remparts. La jungle, épaisse et moite comme
une fourrure, enserrait le Donjon de toutes parts. Les deux soleils se
confondaient au zénith en un halo blanc-bleu, vaguement elliptique,
dont l'image dédoublée brûlait sur les eaux vertes
du fleuve. La gorge sèche, Akhab suivit la rive occidentale du regard.
La chaleur écrasante agitait l'air, et brouillait l'image des grands
arbres affalés, dont les branches frôlaient le courant. Loin
à l'ouest, un groupe de pseudosaures fouissait mollement la boue
fraîche du rivage. Akhab se surprit à les envier. Renoncer
à méditer sa place, son rôle sur ce monde - pour ne
conserver que le noyau reptilien de sa personnalité, une conscience
de soi mue par l'ombre et la chasse, en dehors du temps.
Telle aurait été
sa grâce, s'il avait pu la choisir. Mais c'était évidemment
impossible. Akhab grimaça. Au plus lointain du ciel, le chaos progressait.
Des formes bistres et mouvantes, dont la géométrie rappelait
celle des images fractales, souillaient l'horizon. Un étrange essaim
noir, pulvérulent, se tordait entre elles. Akhab crut d'abord qu'il
s'agissait d'oiseaux démembrés et balayés par le vent.
Mais lorsqu'il plissa les paupières, et mit sa main en visière
sur son front, il comprit que les particules minuscules qui dansaient là-bas
étaient des arbres - des géants de plus de cent mètres
de haut, comparables à ceux qui encerclaient le Donjon - déracinés
et projetés en plein ciel.
La Murène était encore
invisible, mais son souffle la précédait de quelques jours.
Akhab fouilla les poches de sa
combinaison crasseuse, en tira la moitié d'un cigare et l'alluma.
· cet instant, une minuscule silhouette velue bondit sur les remparts,
juste à côté de lui. Elle traversa la pierre chaude
à petits bonds et vint se lover sur le dessus de sa main avec un
soupir d'aise. Akhab ne put retenir un sourire. D'un geste vif, il lança
le Mulari en l'air, le rattrapa au creux de sa paume, puis l'éleva
à la hauteur de son visage.
- Hé, murmura-t-il d'une
voix douce. D'où sors-tu, toi ?
Le Mulari, ravi, fit deux ou trois
roulades, escalada le bras d'Akhab sur les pattes avant et revint se blottir
dans sa paume. Akhab l'observa un long moment, avant de le déposer
sur le rempart de pierre blonde.
- Regarde, dit-il en désignant
l'horizon tourmenté. Là-bas, tu vois ? Un grand danger. Il
faut partir.
Le Mulari cligna des paupières
avec curiosité, suivit la direction qu'indiquait Akhab. Pendant
un instant, il fixa les formes fractales qui, peu à peu, contaminaient
le violet profond du ciel - puis fit un bond sur lui-même, s'assit
et entreprit de lisser la fourrure de son jabot.
L'indifférence de la petite
créature ouvrit à Akhab une perspective nouvelle. Pendant
une fraction de seconde, il ressentit - avec une intensité presque
douloureuse - le caractère profondément irréel de
la situation.
Sa propre position de naufragé
volontaire était elle-même ambiguë. Lorsque l'expédition
avait débarqué sur Ancil', six mois plus tôt, Hollander
avait soigneusement défini la tâche de chacun. Akhab était
biologiste. Son travail consistait à évaluer le stress de
la faune locale au fur et à mesure que la Murène avançait.
Il avait découvert le Donjon
par hasard, en recherchant, sur des photos satellites prises dans l'hémisphère
nord, des traces de migrations massives. Hollander, escorté de quelques
hommes, s'était prudemment rendu sur place. Mais il n'y avait rien.
Rien d'autre qu'une tour cylindrique et vide, dont la base s'ornait de
trottoirs sculptés distribuant une trentaine de cellules sans fenêtres.
Heureux (et soulagé) d'échapper à l'emprise moite
de la jungle, le groupe n'avait pas tardé à prendre ses quartiers
au Donjon.
Ensuite, les Mularis étaient
sortis de terre.
Akhab battit des paupières,
et tira sur sa moitié de cigare. Il peinait à classer ses
souvenirs, à les distinguer de ses spéculations et de ses
émotions. Il laissa ses yeux voguer un moment sur l'horizon. Du
combat qui se déroulait là-bas - à moins de cent kilomètres,
maintenant - entre Ancil' et la Murène, rien ne filtrait. Pas le
moindre souffle de vent. Pas même l'écho d'un grondement de
tonnerre. La violence se cachait sous le ciel tuméfié.
- Il faut partir, dit à
nouveau Akhab - et il répéta ces mots plusieurs fois de suite
même s'ils ne servaient à rien. Les Mularis étaient
sourds. C'était l'une des premières découvertes qu'Akhab
avait faite à leur sujet. La nuit qui avait suivi leur apparition,
ils lui avaient apporté un cadavre - un très vieux mâle
au poil gris foncé, mort depuis peu. L'autopsie avait - entre autres
choses - révélé une oreille interne atrophiée,
réduite à l'état de vestige.
Akhab était surpris. Bien
que nul n'ait encore découvert l'entrée de leur terrier,
il était évident que les Mularis vivaient sous terre. Dans
presque tous les cas de ce genre, l'évolution finissait par produire
des organismes dotés d'une ou‹e et de facultés olfactives
très puissantes, qui compensaient la dégénérescence
des organes visuels.
Les Mularis présentaient
les signes inverses. La vue était chez eux la fonction sensorielle
dominante, à tel point qu'elle mobilisait la moitié de leur
système nerveux central. Elle était aussi à l'origine
de la plupart de leurs rites et comportements sociaux - mais cela, Akhab
ne l'avait compris que bien plus tard, après avoir découvert
l'entrée de l'escalier, sous la terre battue de la cour, et exploré
une première fois le labyrinthe souterrain. De son expédition,
il avait rapporté une énorme masse de données - et
la certitude que les Mularis étaient intelligents.
- Est-ce qu'on peut communiquer
avec eux ? avait demandé Hollander après avoir lu son rapport.
- · condition d'y consacrer
le temps nécessaire, oui. Akhab avait souri : J'y ai déjà
pensé, capitaine. Quand j'étais là-dessous, j'ai jeté
les bases d'un alphabet visuel. Une centaine de pictogrammes très
simples. Tout ce que je demande, c'est le droit de faire des tests.
Hollander avait laissé tomber
le rapport sur son bureau.
- Nous sommes là pour la
Murène, Michel. Ne l'oublie pas.
Mais Akhab avait désobéi.
Il s'était efforcé d'oublier - le plus longtemps possible
- jusqu'à ce qu'il soit trop tard pour revenir en arrière.
Avec un soupir, il jeta son cigare
dans la jungle. Intrigué par son geste, le Mulari interrompit sa
toilette et le dévisagea en clignant des yeux. Akhab le prit à
nouveau dans sa main. La fourrure du petit animal était brûlante.
- D'accord, dit-il en le plaçant
sur son épaule. On s'aime, toi et moi. Mais ne te fais pas d'illusions
: c'est une liaison sans lendemain.
Akhab longea le chemin de ronde
jusqu'à l'échelle d'hypercarbone qui plongeait, du haut de
la muraille, vers la cour carrée, quarante mètres plus bas.
Il posa le pied sur le premier barreau, et commença à descendre.
L'échelle était une idée de Hollander. Lorsqu'il avait
exploré le Donjon pour la première fois, le capitaine avait
été frappé par l'absence de toute installation permettant
d'accéder aux remparts.
- C'est tout de même bizarre,
tu ne trouves pas ? Construire un truc aussi haut sans pouvoir s'en servir.
Akhab avait hoché la tête,
songeur. Tout ce qui se rapportait au Donjon était bizarre. Son
ancienneté, d'abord. Les mesures de radioactivité indiquaient
dix mille années locales. Son origine, ensuite : compte tenu de
la masse des blocs utilisés, les Mularis ne pouvaient pas être
les constructeurs. Et pourtant, Akhab avait pu vérifier que le diamètre
des cannelures, visibles à la surface des trottoirs, correspondait
exactement à l'envergure d'un Mulari allongé, les pattes
repliées sous lui. Les traces de griffes - très nombreuses
et, pour certaines d'entre elles, contemporaines de la construction - prouvaient
que cet usage avait été reconnu dès le début.
Bien entendu, ce pouvait être une coïncidence.
Mais dans ce cas, à quoi
était censé servir le Donjon ? Quelle était sa fonction
? Akhab avait travaillé pendant six mois sans prendre un seul jour
de repos. Et il était toujours incapable de répondre à
cette question.
- C'est peut-être moi qui
m'y prends mal, murmura-t-il en tournant la tête pour observer le
Mulari juché sur son épaule. Ou alors, vous m'avez caché
quelque chose. Qu'est-ce que tu en dis ?
L'animal avait disparu. Il avait
sans doute sauté pendant la descente, mais son poids était
si faible - quelques grammes à peine - qu'il était passé
inaperçu. Akhab baissa la tête.
La cour, qui n'était plus
qu'à deux ou trois mètres sous lui, grouillait de Mularis.
Ils étaient très
nombreux - dix mille au moins. Akhab était surpris. Il n'avait encore
jamais vu de tel rassemblement. Avec précaution, il descendit les
derniers barreaux et posa les pieds sur le sol. Les Mularis refluèrent
calmement devant lui. Akhab fit un pas, puis un autre. Bientôt, il
atteignit le centre de la cour. Les Mularis étaient partout. Ils
formaient sur la terre battue un tapis de fourrure mouvante, constellé
de blanc, de brun, de gris et de noir.
Akhab leva la main. Traça
un cercle dans l'air surchauffé.
Aussitôt, une agitation frénétique
s'empara des Mularis, qui se mirent à sauter sur eux-mêmes,
à échanger leur place - plusieurs fois de suite en une fraction
de seconde - à traverser la cour en tous sens avant de s'arrêter
brutalement et de se dresser sur leurs pattes arrières. La première
fois qu'Akhab les avait vu se livrer à ce petit jeu, il avait eu
l'impression d'assister à un cours sur le mouvement brownien.
Le ballet se poursuivit pendant
quelques instants. Puis, les Mularis se rassemblèrent au centre
de la cour, formant un cercle de deux mètres de diamètre,
à l'intérieur duquel l'arrangement des corps dessinait un
oil humain - remarquablement imité. Akhab nota avec admiration que
l'individu choisi pour figurer la pupille possédait un pelage noir
ponctué d'une unique tache blanche : imitation parfaite d'un reflet
de lumière à la surface du cristallin. Avec un peu plus de
recul, l'illusion aurait été saisissante.
· regret - comme si cela
épuisait la magie de la scène - Akhab répéta
son geste : un cercle du bout des doigts.
Il faut qu'on parle.
L'oeil cligna dans sa direction.
Nous sommes prêts.
Le cour battant, Akhab entra dans
sa cellule. Son sac traînait toujours sur le sol de pierre, là
o- il l'avait laissé tomber. Il l'ouvrit, récupéra
son écran et son style, puis ressortit à l'extérieur.
L'oil des Mularis tourna sur lui-même et lui fit face, avant de cligner
de nouveau.
D'une pression de l'index, Akhab
déploya son écran - qui se gonfla et se rigidifia au contact
de l'air - avant de l'installer sur le bord du trottoir incurvé.
Les Mularis observaient chacun de ses gestes. Akhab réfléchit
rapidement. Plus question de travailler à la compréhension
de concepts avancés, désormais - ni de forger de nouveaux
symboles. Tout ce qu'il voulait, c'était pousser les Mularis à
fuir, à s'enfoncer sous terre le plus loin possible. La première
fois qu'il était descendu avec eux, il avait effectué une
trentaine de sondages à l'aide d'un petit radar. Apparemment, le
labyrinthe se prolongeait sur une profondeur de quatre mille mètres
au moins. Bien entendu, Akhab ne s'était pas aventuré jusque-là
: au-delà des salles desservies par l'escalier, le réseau
se rétrécissait brutalement, et le segment suivant n'était
accessible que par d'étroites chatières, de quelques centimètres
de largeur.
Cela pouvait suffire. Lorsque la
Murène s'emparait d'un monde, elle provoquait une fusion totale
de sa surface, mais n'attaquait que la partie supérieure de la lithosphère.
Les effets observés ne s'étendaient pas au-delà de
deux mille mètres - Akhab lui-même l'avait vérifié,
lors d'une mission précédente.
La profondeur et l'étroitesse
du labyrinthe pouvait sauver les Mularis. Sans doute pas sur le long terme
- comment survivre dans un univers fondu ? Mais pour quelques semaines,
quelques mois peut-être, c'était possible. Akhab s'approcha
de l'écran, le style à la main. En quelques touches rapides,
il dessina un disque dont le centre était marqué d'une croix,
et au-dessus duquel brillaient deux petits soleils. C'était l'un
des premiers symboles sur lequel il avait travaillé.
Ancil'.
Dans la cour, l'oil battit deux
fois. Les Mularis avaient compris. Akhab hocha la tête, puis ajouta
plusieurs éléments à son dessin. Un cylindre planté
sur le diamètre du disque : le Donjon. Un escalier de quelques marches,
dont l'extrémité inférieure débouchait dans
une grotte dotée de stalactites. · chaque ajout, Akhab s'assurait
d'un regard que les Mularis le suivaient toujours. Pour finir, il dessina,
entre les murailles du Donjon, une petite silhouette dressée sur
ses pattes arrières.
Aussitôt, les Mularis prirent
la pose, le museau pointé vers le ciel - avant de se mettre à
courir en tous sens et à sauter en l'air pour exprimer leur satisfaction.
Akhab sourit, en dépit de
la tension qu'il éprouvait. Bonne classe, malgré une tendance
à se dissiper en fin d'année. Il laissa faire pendant dix
secondes, puis traça un grand Z en l'air. L'oil se reforma aussitôt
- et cligna pour s'excuser.
Akhab revint à l'écran
: il entoura son Mulari d'un cercle rouge, qu'il prolongea d'un trait dirigé
vers le bas. Il faut partir. Puis - d'un seul mouvement fluide - il traversa
la cour, emprunta l'escalier jusqu'à la grotte aux stalactites et,
sans hésiter, s'enfonça dans le ventre d'Ancil', ne s'arrêtant
qu'à quelques centimètres de la croix centrale.
Loin. Très loin sous la
surface.
Immédiatement, l'oil disparut,
remplacé par un immense point d'interrogation gris clair. Pourquoi
?
Akhab dessina le crâne d'un
Mulari mort. Danger.
Dans le cercle, un millier d'individus
permutèrent : le point d'interrogation passa du gris au noir. Quel
danger ?
Akhab réfléchit un
instant. Un saut conceptuel était nécessaire - même
s'il devait prendre le risque de n'être que partiellement compris.
De sa main libre, il désigna le ciel au-dessus de lui. Puis, il
revint à l'écran et dessina - aussi bien qu'il le put, c'est
à dire assez mal - la silhouette d'un énorme pseudosaure
suspendue au-dessus d'Ancil', juste sous les soleils.
Le point d'interrogation passa
du noir au blanc à toute vitesse - trente ou quarante fois de suite
en moins de dix secondes - comme s'il clignotait. Akhab sut qu'il avait
visé juste. Les Mularis détestaient les pseudosaures. La
plupart du temps, ceux-ci sommeillaient paisiblement sur les berges du
fleuve. Mais une ou deux fois, Akhab avait vu un groupe s'avancer jusqu'au
Donjon, et tenter d'atteindre l'escalier. Aux yeux des habitants du labyrinthe,
les gros lézards hexapodes étaient l'ennemi héréditaire
- une pure incarnation du mal, merveilleusement efficace.
Akhab décida d'enchaîner,
sans perdre de temps : il entoura le pseudosaure volant d'un cercle rouge
- qu'il prolongea lui aussi d'un trait dirigé droit sur le Donjon.
L'inquiétude des Mularis franchit un palier supplémentaire.
Péniblement, l'oil se reforma sur le sol de terre battue - mais
cette fois, la pupille avait disparu.
O- ?
Akhab désigna une nouvelle
fois le ciel au-dessus de lui.
Il y eut un instant de flottement.
Akhab traversa la cour et fit mine d'emprunter l'échelle. Cette
fois, les Mularis comprirent le message : dans une multitude de bonds désordonnés,
ils se ruèrent à l'assaut de la muraille.
Il leur fallut moins de dix secondes
pour atteindre le sommet. Akhab, qui commençait à se sentir
très fatigué, renonça à monter avec eux. Il
les suivit simplement du regard. La vitesse du groupe, sa compacité
et ses couleurs changeantes lui donnaient l'impression d'assister à
la progression d'un feu de forêt, accéléré une
centaine de fois. Finalement, les Mularis se massèrent sur le chemin
de ronde, hors de vue depuis le sol.
Apaisé, Akhab regagna sa
cellule. Avec une abnégation qui le surprit lui-même, il se
remit à classer ses notes. En fouillant les tiroirs de son bureau,
il découvrit une boîte de cinquante cigares, dont l'emballage
était intact. Quel gaspillage ! songea-t-il avec amertume. Même
s'il fumait sans discontinuer jusqu'à l'arrivée de la Murène,
il ne parviendrait pas à épuiser cette manne inattendue.
Il considéra la boîte
avec curiosité, la tourna et la retourna entre ses doigts. C'était
un objet sans grâce, un parallélépipède de métal
inoxydable, doté d'un mécanisme d'humidification fabriqué
en série. Ses dimensions, son poids, sa texture étaient parfaitement
ordinaires. Et pourtant, quelque chose en elle inquiétait Akhab
- le terrifiait, même.
Il lui fallut un bon moment pour
comprendre. La barbe et les cheveux sales. Les joues caves. Le teint blême.
Les yeux abandonnés à eux-mêmes, incapables de se fixer.
Le métal poli de la boîte
lui renvoyait une image qui était déjà celle de sa
mort.
Akhab dormit comme un ivrogne. Il
s'éveilla très tard dans la matinée, but un peu d'eau,
puis traversa la cour en frissonnant. Le temps était gris. Des nuages
en lambeaux labouraient le ciel désemparé. Le vent s'était
levé et charriait une fumée grasse. Des oiseaux fuyaient.
La Murène comptait les jours.
Akhab se força à
manger un morceau avant de monter sur les remparts. Une fois là-haut,
il constata avec soulagement que les Mularis avaient disparu. Les formes
chaotiques qui proliféraient sur l'horizon avaient sans doute achevé
de les convaincre. Akhab examina la cour en contrebas. Carrée, ocre
- et vide. Dans un angle, le seuil de l'escalier béait comme une
bouche obscure. Akhab se promit de condamner l'ouverture avant l'arrivée
de la Murène.
Il passa la fin de la matinée
assis sur le rempart de pierre jaune. De temps en temps, il prenait une
photo, établissait un relevé, dictait une note. Avant de
partir, Hollander avait fait démonter le matériel lourd,
mais il avait eu la sagesse de laisser à Akhab son équipement
personnel. Celui-ci ne comportait - outre son laboratoire portable - qu'une
dizaine d'instruments de faible capacité. C'était insuffisant
pour effectuer une étude exhaustive des manifestations liées
à l'arrivée de la Murène, mais Akhab n'en demandait
pas tant. Il était resté sur Ancil' pour prévenir
les Mularis du danger qui les menaçait et les aider à se
protéger. · présent que la question était réglée,
il n'éprouvait plus le moindre sentiment d'urgence. Et s'il poursuivait
son travail, c'était avant tout par curiosité. La Murène
était une forme de vie si exotique - et dangereuse - qu'on ne possédait
sur elle que des données indirectes. D'une certaine manière,
il avait hâte de la voir en face.
Lorsqu'il abandonna son poste d'observation,
la jungle était en feu. De hautes colonnes de fumée s'élevaient
à moins de cinquante kilomètres à l'ouest. La surface
du fleuve passait du vert au brun et semblait sur le point d'entrer en
ébullition. Sous le couvert, de longues silhouettes détalaient
avec des hurlements terrifiés.
Akhab consacra les deux heures
suivantes à étalonner ses instruments de mesure. Puis, il
s'enfonça dans la jungle et fit une trentaine de prélèvements,
sur des végétaux dont il possédait déjà
les caractéristiques. Il avait l'intention de refaire l'expérience
chaque jour - tant que les conditions le lui permettraient -, afin de mesurer
aussi précisément que possible les progrès de la nécrose
généralisée qui s'emparait du milieu.
Il poussa ensuite jusqu'au fleuve,
o- il préleva un demi-litre d'eau en surface. Au retour, il eut
la chance de voir un oiseau s'abattre, mort, à ses pieds. Il le
ramena au Donjon et l'autopsia, les yeux écarquillés par
la stupeur.
Au crépuscule, il remonta
sur les remparts pour faire une seconde série de photos. Puis, il
regagna sa cellule, soupa et s'endormit.
Le premier tremblement de terre
eut lieu au milieu de la nuit. Le second un peu avant l'aube. Le troisième
juste après le lever des soleils. Il ne s'agissait pas de séismes
importants - un ou deux degrés seulement dans la classification
d'Osborne - même si Akhab savait que leur périodicité
et leur puissance allaient s'accroître régulièrement.
Le vent était bien plus
dangereux. Il avait forci, pendant la nuit. Les rafales qui s'engouffraient
à l'intérieur du Donjon produisaient une sorte de hululement
sinistre, irrégulier, qui retombait parfois pour reprendre quelques
minutes plus tard, avec une violence nouvelle. Une pluie continue d'objets
s'abattait dans la cour : branches, feuilles, plumes, mottes de terres
et fragments de roches calcinées. Parfois, un animal mort.
Akhab escalada l'échelle
avec une grande prudence. Mourir entre les crocs de la Murène avait
un sens. Mais il refusait d'agoniser pendant des heures, en pleurant sur
ses jambes brisées. Il prit pied sur le chemin de ronde. Le vent
se rua sur lui en hurlant. Centimètre par centimètre, Akhab
quitta l'abri des remparts. L'incendie qui dévorait la jungle progressait
à vue d'oil. Le ciel ployait sous les nuées d'oiseaux affolés.
Akhab tourna la tête. · l'ouest, une colonne de lumière
se frayait un chemin parmi les nuages.
La Murène.
Akhab regagna le sol, et se mit
en quête d'un objet assez large pour obstruer l'entrée de
l'escalier. · sa grande surprise, il découvrit qu'un millier
de Mularis l'observaient, massés sur les premières marches.
- Non ! s'écria-t-il en
agitant les bras. Ne restez pas là !
Comme si un ressort venait de céder
en lui, il se mit à courir dans leur direction en hurlant :
- Partez ! Partez tout de suite
!
Au lieu d'obéir, les Mularis
envahirent la cour. Après quelques secondes d'agitation, ils se
rassemblèrent en cercle. Akhab s'immobilisa, découragé.
Le grand oil le regardait déjà.
- Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?
La paupière s'abaissa.
Il faut qu'on parle.
Akhab secoua la tête, et
dessina un Z rageur de la main.
Pas question.
La paupière s'abaissa de
nouveau - avec insistance. Akhab soupira.
- D'accord, bande d'idiots.
Une minute plus tard, il se tenait
debout sur l'un des trottoirs incurvés, le style à la main.
· ses pieds, l'oil des Mularis se transforma en point d'interrogation.
Akhab fronça les sourcils.
- Je ne comprends pas. Qu'est-ce
que vous voulez savoir ?
Les Mularis permutèrent.
Une forme nouvelle se matérialisa dans le cercle. Akhab en eut le
souffle coupé.
Là, au milieu de la cour,
son propre visage - imité avec une précision hallucinante
- le défiait du regard.
Akhab.
Puis, l'image changea et devint
celle d'un vaisseau spatial, derrière lequel on pouvait voir un
disque marqué d'une croix.
Les autres hommes ont quitté
Ancil'.
Les Mularis patientèrent
un instant, puis permutèrent une dernière fois. ·
nouveau, Akhab se vit lui-même - mais son visage était à
présent encadré par les murs du Donjon, tandis que dans le
ciel, un pseudosaure monstrueux approchait.
Pourquoi es-tu resté ?
Akhab se mordit les lèvres.
- Qu'est-ce que ça peut
vous faire, bon sang ?
Mais c'était évidemment
inutile. Les Mularis n'avaient pas bougé d'un pouce. Ils attendaient
sa réponse. Akhab réfléchit rapidement, puis se dessina
lui-même, debout sur le sol d'Ancil'.
Dans le cercle, l'oil réapparut
et se ferma deux fois en signe d'agrément. Akhab reprit aussitôt
son dessin. Derrière sa propre silhouette, il ajouta celle d'autres
hommes courant vers le vaisseau de Hollander. Au dessus d'eux, il traça
une tête de mort.
Les autres ont eu peur.
Puis, il se dessina à nouveau
lui-même - mais cette fois, en beaucoup plus grand. Sur son visage
s'étalait un immense sourire schématique. Au-dessus : un
poing fermé - symbole de courage. Dans le ciel, à côté
de lui, la Murène-pseudosaure n'avait plus du tout l'air terrifiante.
Moi, je n'ai pas peur.
Un point d'interrogation, encore
une fois.
Pourquoi ?
- Parce que je suis un héros,
ricana Akhab. Un grand soldat.
Sur l'écran, il entoura
sa propre représentation géante de plusieurs cercles rouges.
L'oil des Mularis se ferma à demi.
Nous ne sommes pas Sûrs de
comprendre.
Alors, Akhab se mit à arpenter
le trottoir de long en large. Tous les trois pas, il s'arrêtait,
défiait du regard le ciel en furie, brandissait le poing et crachait
des imprécations. Puis, il reprenait sa marche, roulant des épaules,
bombant le torse et faisant saillir ses biceps sous l'étoffe de
sa combinaison, sans cesser de crier :
- Un héros ! Un grand soldat
! pour couvrir les hurlements du vent.
Un nuage de poussière et
de terre s'abattit sur lui. Dans la cour, l'oil des Mularis était
fermé. Akhab se laissa tomber sur le trottoir, sans savoir si la
sensation de vide qu'il éprouvait était due à la fatigue
ou au soulagement. Il reprit son souffle, tant bien que mal. Loin au-dessus
de lui, le cercle de ciel visible entre les murs du Donjon était
d'une obscure couleur ardoise.
Lorsqu'il se releva, les Mularis
avaient disparu.
Un peu plus tard, Akhab se souvint
qu'Hollander, quelques jours après que les hommes l'aient rejoint,
avait fait déplacer à l'extérieur du Donjon une pierre
de la muraille ouest. Elle était presque entièrement descellée,
et menaçait de s'effondrer à tout moment.
Munie d'une lampe-laser, Akhab
fit le tour de l'édifice. Il finit par trouver le bloc, qui avait
glissé au pied d'un petit talus. En pesant sur l'une des arêtes
en porte-à-faux, il parvint à l'ébranler - et, par
contre-coup, à estimer son poids : dans les quatre-vingt kilos.
Il lui fallut trois heures pour
le traîner dans la cour, et une de plus pour le faire glisser jusqu'à
l'escalier. Après quoi, épuisé, il s'endormit sur
la terre qui tremblait.
Il passa presque toute la journée
du lendemain cloîtré dans sa cellule. Dehors, le temps s'était
encore dégradé. Le vacarme du vent, renforcé par le
tambour intermittent des séismes qui se succédaient de plus
en plus vite, ressemblait au cri d'un animal à l'agonie. La chaleur
était insupportable.
Ancil' mourait - et Akhab avec
elle. Il n'avait plus la force de boire ou de manger. Il se contentait
de rester allongé sur son lit, les yeux fermés, en essayant
de ne pas hurler lorsqu'une rafale menaçait d'arracher la porte
de sa cellule.
Il pensait à la Murène.
Il rêvait d'elle - puisqu'il ne pouvait pas la voir. Il l'imaginait,
suspendue dans le ciel. Il la défiait, tandis qu'Hollander prenait
la fuite et que les Mularis l'acclamaient. Ensuite, il s'étendait
entre les nuages, et tous les arbres d'Ancil' se mettaient à repousser
sur son corps. Un fleuve émeraude sortait de sa bouche et se jetait
dans le vide. De grands oiseaux paisibles planaient devant ses yeux.
Il s'endormit de nouveau. Rêva
de nouveau. Quelque chose avait changé en lui. Il se sentait plus
fort. Il se leva, but un peu d'eau. Pensa aux Mularis dans leur labyrinthe.
La nuit vint, hantée par
la tempête. Puis les soleils se levèrent. Et ce fut le dernier
jour.
Akhab ouvrit les yeux. La porte
de sa cellule avait disparu. Une lumière jaune, fragmentée,
se tordait en hurlant dans l'embrasure - comme si le vent était
la lumière. Akhab se dressa sur un coude, stupéfait d'avoir
dormi si longtemps. Il regarda autour de lui. La cellule était méconnaissable.
De son bureau, il ne restait rien, sinon quelques éclats de bois
qui dansaient dans l'air brûlant. Dans un coin, il aperçut
un tiroir - étrangement intact. Il battit des paupières.
Le tiroir bondit à travers la pièce, et s'évanouit
à l'extérieur.
Akhab se leva, rajusta étroitement
les attaches de sa combinaison. Les draps dans lesquels il avait dormi
n'étaient nulle part. Tout le flanc gauche de son matelas semblait
avoir brûlé pendant la nuit, et le cadre métallique
du sommier n'était plus qu'une masse informe. Sous ses pieds, Akhab
pouvait sentir le mouvement des dalles de pierre, qui commençaient
à se desceller.
Il sortit. Une fissure en S, le
long de laquelle se dressaient des tumulus informes, éventrait la
cour d'un bord à l'autre. Un nuage de terre noire, fine comme de
la farine, tourbillonnait entre les murs circulaires du Donjon. Akhab s'engagea
sur le trottoir incurvé, courut jusqu'à l'ancien centre de
communication. Le vent violent avait jeté les câbles dans
un coin de la pièce. Ils remuaient faiblement, comme de gros vers.
Akhab les ramassa, puis tituba jusqu'à l'échelle et se mit
à grimper.
La muraille tanguait devant lui.
Les barreaux d'hypercarbone grinçaient dans leur logement de pierre.
Akhab avait l'impression d'escalader le mât d'un bateau en perdition.
Mais il tint bon. Chaque fois que le vent menaçait de l'emporter
au loin, il s'agrippait avec une force décuplée - et cette
énergie dans laquelle il puisait, et qui semblait soudain sans limite,
l'émerveillait et le terrifiait.
Il sortit enfin sur le chemin de
ronde, à plat ventre. De la main droite, il attacha l'un des câbles
au dernier barreau de l'échelle, puis entrava sa cheville. De la
gauche, il passa un autre câble autour d'une aspérité
du rempart, et noua la boucle sur sa taille.
Alors seulement, il se redressa.
Le monde n'était plus le
monde. Le monde était un m'lstrom de nuées grises, dans les
profondeurs desquelles virevoltaient des formes hideuses, déchiquetées.
Des flammes gigantesques dansaient entre elles. Les arbres, qui avaient
protégé le Donjon pendant des siècles, avaient disparu.
Ils tournoyaient à cinq ou six cents mètres au-dessus des
remparts. Akhab les contempla un long moment, incrédule et vit l'un
d'eux, brutalement expulsé de la trombe, se briser en deux et retomber
vers lui. Il s'accroupit et se protégea instinctivement le crâne.
Le tronc écorché rebondit sur le Donjon avant d'aller se
ficher en terre.
La Murène brûlait
le monde. Elle le dévorait, le digérait - et ses hurlements
étaient ceux d'une bête affamée.
Akhab crut la voir. Au centre obscur
de la destruction, il entrevit une forme gigantesque, nimbée de
lumière noire. Il sentit sa force, puisée des étoiles.
Il entendit son souffle et s'étourdit à la lueur de ses crocs
innombrables.
Il tomba à genoux, anéanti.
Roula sur le côté. Loin sous lui, la cour achevait de se rompre.
Seule subsistait encore la géométrie des trottoirs - et le
rectangle noir de l'escalier.
Akhab eut un haut-le-corps. L'escalier
était ouvert. Le bloc dont il s'était servi pour le condamner
avait glissé sur deux ou trois mètres - et de minuscules
silhouettes multicolores se ruaient par l'ouverture. Les Mularis.
Ils quittaient le labyrinthe -
tous ! Plusieurs centaines de milliers, plusieurs millions peut-être.
Ils envahissaient la cour par vagues successives, s'entassaient sur deux,
trois, dix rangées. Akhab écarquilla les yeux. La poussière
et la terre qui emplissaient l'air brouillaient les perspectives - mais
il vit distinctement un cercle se former, au centre de la masse de fourrure.
Son visage apparut. Le regarda.
Sourit et lui adressa un clin d'oil.
Akhab tendit la main, et traça
un signe indistinct dans le vide. Mais il était trop tard. Les Mularis
montaient vers lui. Ils poussaient son visage vers le sommet du Donjon,
s'assemblaient sous lui, créaient des formes et leur donnaient vie.
Akhab vit un front surgir du tapis multicolore. Des joues, un nez, un menton.
Le visage était devenu une tête - qui sourit de nouveau, comme
si elle voulait vérifier sa propre existence. Et déjà,
le travail reprenait. Un cou apparut, rehaussant la tête de quelques
mètres. Puis, des épaules se dessinèrent. Des bras
se tendirent.
Akhab, le souffle coupé,
vit son double géant emplir le Donjon. Il le vit déplier
ses jambes immenses et se dresser à l'air libre, la tête au
milieu des nuées - à plus de cent mètres du sol. Il
le vit se pencher, s'emparer du tronc brisé dont l'extrémité
reposait sur le rempart, et le brandir comme une lance.
Quelque part au cour du chaos,
la Murène hurla sa colère.
De sa main libre, le grand soldat
Mulari cueillit son petit frère humain et le jucha sur son épaule.
Il assura ses deux pieds sur les trottoirs cannelés de la cour,
vérifia l'unité et la beauté de son armure de pierre.
Puis, dans la lumière et le vent sans fin, il fit face à
la Murène et commença à combattre.
Il n'y eut plus qu'un seul Michel
Akhab.
Blafade ta peau rouge ton regard
Roland C. Wagner
Sur la piste, immobiles, les
danseurs enlacés exhibent leurs costumes impeccables et leurs visages
maquillés. Paupières bleues et lèvres noires, coiffures
décadentes aux reflets immuables. D’autres mannequins humains sont
attablés devant des consommations auxquelles ils ne toucheront pas.
La lumière des lustres à la structure cristalline et des
projecteurs tamisés achève de fixer cette tranche de vie
à travers laquelle j’évolue, observateur diaphane.
Une femme est demeurée dans la position déséquilibrée
du second pas d’une valse décalée, ses bras refermés
autour d’un partenaire absent qui a échappé à la stase.
J’effleure ses cheveux teints d’une main machinale qui disparaît
dans les boucles pétrifiées. La femme sourit à demi,
dévoilant une rangée de dents étincelantes entre deux
lèvres de fraise au dessin enjôleur. De part et d’autre de
sa tête rejetée en arrière, deux pendentifs tape-à-l’œil,
saisis en plein mouvement, restent suspendus parallèlement au sol.
Sa robe de soirée, toute de satin blanc, conserve à hauteur
de la hanche l’empreinte de la main qui y était posée lorsque
c’est arrivé.
Etrange de songer que ces semi-cadavres sont plus réels que moi,
qui suis pourtant doué de mouvement. Je viens de quitter la grande
salle du casino, abandonnant les enchères interrompues du baccara,
les jeux faits pour l’éternité de la roulette et ce croupier
dont le pied n’en finit pas de presser la pédale destinée
à ralentir la rotation de la bille d’ivoire.
Glissement furtif à l’autre bout de la piste de danse. Je ne suis
pas seul. Et, pour la première fois, un être humain ne fuit
pas à mon approche. Frôlant les couples à l’apparente
mais trompeuse plasticité, je me dirige vers la baie vitrée
ouverte sur la nuit silencieuse. Derrière un pilier ouvragé,
un homme aux rides accentuées par l’éclairage rasant est
penché sur une fille peu vêtue ; leurs lèvres qui se
touchent presque ne se rejoindront jamais.
Eclair vivant aux reflets de cuir noir, la louve semble se matérialiser
devant moi. Dans ce monde où règne l’immobilité, le
moindre déplacement acquiert une rapidité remarquable. Une
question de perception.
Je recule d’un pas, surpris malgré moi. Un sourire avide se dessine
sur le visage de la louve, tout en dents régulières et acérées.
Elle croit tenir une proie. La décevoir m’attriste ; son regard
écarlate est voilé par la faim.
- Fausse joie. Je ne suis pas un mouton.
- Tu n’en as pas l’odeur, c’est vrai.
- Je n’ai aucune odeur.
Les narines de la louve palpitent ; son sourire s’efface. En deux enjambées,
elle est tout contre moi. Ses mains s’abattent sur mes poignets, se referment
dans le vide. Ses traits émaciés se creusent un peu plus.
- Tu n’es pas là !
- Je ne suis qu’une image.
La louve inspire profondément, faisant saillir ses seins sous le
sweat-shirt noir. Pourquoi les louves sont-elles toujours si belles ? Je
voudrais la consoler, la serrer dans mes bras, lui offrir ma chair… Je
n’en ai pas le pouvoir.
- Depuis quand n’as-tu pas mangé ?
- Question stupide. (Elle détourne le regard. Son profil aigu se
détache sur le fond faiblement lumineux.) Longtemps. (Ses doigts
s’attardent sur la joue d’un danseur. La peau n’en est ni chaude, ni froide.
La louve n’éprouve aucune sensation thermique, sinon illusoire ;
le tourbillon des électrons lui-même s’est arrêté.)
Les moutons sont rares. Quand je t’ai vu, j’ai espéré… J’avais
tort.
- J’ai croisé un troupeau en venant ici.
Elle étire ses jambes amaigries sur lesquelles flotte un pantalon
dont le cuir noir, naguère, moulait ses formes. Ses yeux rouges,
seule note de couleur dans son visage monochrome, reflètent son
épuisement. L’abattement qui s’empare de moi me surprend ; je croyais
n’avoir accès qu’à des ersatz de sentiments transcrits en
langage binaire.
- Loin ?
- Trop loin pour que tu le rejoignes avant de mourir.
Elle hoche la tête, résignée. Ses longs cheveux noirs
ondulent dans la lumière. J’avais oublié ce qu’était
la vie, ce que représentaient les créatures de chair ; même
affaiblie, la louve est un océan d’existence dont la présence
me stimule. Je voudrais être capable de transgresser la règle
de non-intervention.
- J’ai sommeil.
- Il doit bien y avoir un lit hors stase dans cette ville.
Elle bat des paupières, aguicheuse. Mais ce que je prends pour une
tentative de séduction n’est peut-être que réaction
nerveuse due à la fatigue.
- Je ne sais pas qui tu es, foutu spectre, ni ce que tu fais là,
mais je te remercie. Je m’appelle Sandra. Et toi ?
- Regard.
Sandra s’est assoupie dans le lit à baldaquin d’une suite impériale
au luxe fin de siècle, sans même ôter ses vêtements
pour goûter la douceur des draps de soie blanche. Assis à
son chevet, je la contemple, cherchant à éteindre ce feu
qui brûle en moi. Mais il m’est impossible de la préserver.
Je suis dans l’incapacité d’agir ; mon aide reste virtuelle, désespérément
immatérielle.
Parce que je ne suis pas vivant moi-même ?
Au-dehors, les rouleaux pétrifiés de la mer n’en finissent
pas de mourir sur un rivage désert. L’œil rond de la Lune, dont
l’éclat éclipse celui des étoiles, ne cille ni ne
scintille. Une silhouette se dresse au bout d’une jetée, drapée
dans une robe blanche de banshee. J’essaye de me persuader que tout ceci
ne peut être que provisoire, que les gestes avortés vont s’achever,
que le temps s’est simplement accordé une pause… En vain. Ailleurs,
pourquoi pas ? il suit son cours, mais loups et moutons sont pris au piège
d’une infime fraction de seconde devenue éternelle.
Mon regard revient se poser sur la louve qui dort, couchée en chien
de fusil, sa lourde chevelure étalée sur l’oreiller brodé.
Contrairement à ceux de sa race qu’il m’a été donné
de rencontrer, elle n’a été effrayée ni par mon absence
d’odeur, ni par l’impalpabilité de mon corps. Sans doute parce qu’elle
est trop affamée pour avoir peur. Je n’ai pu connaître l’éventuelle
réaction des moutons ; ils s’enfuient dès que je leur apparais,
me prenant pour un loup.
Ma solitude me pèse. Pourquoi faut-il que celle qui en est venue
à bout soit condamnée à mort ?
- Tu as tué beaucoup de moutons ?
Elle plonge son regard dans le mien. Les loups possèdent un certain
pouvoir hypnotique ; bien qu’il soit sans effet sur moi, je ne peux m’empêcher
de frissonner en affrontant les pupilles sanglantes de Sandra. Mes réactions
et mes sentiments sont parfois bien humains.
- Quand c’est arrivé, j’étais le seul agissant de la banlieue
où je vivais. J’ai cru devenir dingue ! Quand la faim a commencé
à se manifester, j’ai cherché de quoi manger, mais je n’ai
rien trouvé. Par contre, j’ai rencontré deux autres rescapés.
Nous avons allié nos efforts et, des jours durant, nous avons hanté
les magasins, pour tenter d’arracher à la stase ne fût-ce
qu’une boîte de conserve… (Sandra secoue la tête.) Nous n’étions
pas des loups. Pas encore. Si le hasard l’avait voulu, nous serions devenus
des moutons.
« Nous n’étions pas tellement copains, tous les trois. Pour
éviter la bagarre, j’ai dû me partager entre Marc et Julien.
Ils voulaient baiser - c’est le mot - tout le temps. Je crois que ça
les aidait à oublier. Mais ils ont fini par se lasser des parties
de jambes en l’air. Tu vois, ça m’a plutôt soulagée…
Enfin, un jour, à cause de sa faiblesse, Julien est tombé
du troisième étage. On n’a pas hésité une seule
seconde. D’abord parce qu’on n’avait rien à foutre de lui - et surtout,
parce qu’il était devenu, en mourrant, de la nourriture !
- Et cela a fait de vous deux des loups…
- Je crois que la première nourriture détermine la direction
que prend la mutation. (Elle enfouit son visage dans ses mains. Quand elle
ose à nouveau me regarder en face, des larmes brillent dans ses
yeux.) Un peu plus tard, quand Julien a été… fini, on a rencontré
un mouton. Ça a été instinctif. Dès qu’on a
vu ses joues rondes et sa chevelure de laine, on lui a sauté dessus.
Il n’a pas compris ce qui lui arrivait. Il n’avait certainement jamais
vu de loup… Il est venu à nous, tout souriant, heureux de trouver
des êtres vivants - et nous l’avons tué ! Ce n’est que plus
tard encore, quand on a découvert tout un verger hors stase, qu’on
a compris que quelque chose avait changé en nous. Les fruits nous
ont rendus malades…
- Les loups n’assimilent pas la nourriture des moutons. J’ignore si la
réciproque est vraie.
Elle joue avec sa cigarette éteinte. À son réveil,
elle a mis la main sur une cartouche de gauloises ; j’ai l’impression qu’elle
sent plus ou moins ce qui est figé et ce qui ne l’est pas. Un aspect
de la mutation ?
- Le mouton a duré un bon moment, mais on a fini par se retrouver
aussi affamés qu’avant. Marc a essayé de me tuer. Je me suis
défendue. C’était horrible ! Nous étions deux fauves
luttant pour leur survie, deux carnassiers rendus fous par la faim ! J’en
conserve encore des traces, regarde ! (Elle a soulevé son sweat-shirt
; son sein gauche porte l’empreinte mal cicatrisée d’une dentition
humaine ; des griffures violacées zèbrent son flanc.) L’un
de nous devait y passer ; j’ai eu la chance de lui ouvrir le crâne
avant qu’il ne m’égorge…
- Je ne savais pas que les loups pouvaient se manger entre eux.
- Ils ne le peuvent pas, réplique Sandra. J’ai tout vomi. Seule
la viande de mouton… Quand j’ai compris que sa mort avait été
inutile, j’ai marché vers le Nord. J’avais de plus en plus faim…
Mais j’ai continué à marcher, plus faible à chaque
kilomètre parcouru… Et maintenant, j’ai peur de la mort.
- Nous allons partir d’ici.
- Non, j’abandonne. Je ne peux plus faire un pas.
- Nous trouverons un véhicule.
- Aucun de ceux que j’ai vus n’avait échappé à la
stase.
- Je chercherai pour toi.
Le vélomoteur suit le littoral à une allure réduite.
Dans ce monde de silence, les pétarades de son moteur semblent démesurées,
presque obscènes. L’air lui-même les amplifie, leur fait écho,
répercutant à l’infini le bruit saccadé des explosions
enchaînées.
Les villages que nous traversons présentent tous le même spectacle
de musée de cire : enfants adoptant des postures acrobatiques, animaux
familiers souvent figés au milieu d’un bond, le corps tendu, les
pattes raidies au-dessus du sol, adultes réunis par groupes qu’auréole
parfois un nuage de fumée solide qu’aucun vent ne vient déformer.
La nuit venait de tomber quand l’événement s’est produit.
Dans d’autres fuseaux horaires, les rues sont vides, ou emplies d’une foule
aux remous aussi hiératiques qu’aujourd’hui les vagues de la mer.
Cet univers n’est pas tout à fait mort, mais peu s’en faut. Quand
le dernier loup aura mangé le dernier mouton…
À l’entrée d’un hameau, un adolescent rieur serre la main
osseuse d’un squelette gisant à terre, vêtu d’une robe à
fleurs. Je ne peux m’empêcher d’imaginer la jeune fille prisonnière,
incapable de se dégager de l’étreinte de son amoureux, s’affolant,
cherchant tout d’abord à écarter les doigts pétrifiés,
voire à les briser, puis frappant, martelant la chair rigide, en
pleurs, se débattant de longues heures avant de s’effondrer dans
une position de total découragement, attendant la mort désormais
inévitable… Pourquoi suis-je toujours hanté par des pensées
de cet ordre ? Pourquoi la fin d’une vie me rend-elle malade ?
Sandra a du mal à conserver l’équilibre du vélomoteur.
Elle tombe de sommeil et d’inanition. Il faut que nous trouvions des moutons
! Mais nous ne pouvons compter que sur la chance, à la condition
qu’elle ne soit pas, elle aussi, en stase.
- Arrêtons-nous.
- Pas encore. Il y a des moutons dans le coin.
- Que feras-tu s’ils sont trop nombreux ?
- Les moutons fuient les loups, ils ne les tuent pas.
- Ils ne les mangent pas, mais rien ne les empêche de les tuer.
- Alors, je suis fichue.
Ce subit défaitisme me hérisse. Je voudrais empoigner la
louve, la secouer pour la tirer de son apathie… Je ne peux que hurler :
- T’es-tu vue ? Une morte-vivante ! Ces moutons, nombreux ou pas, sont
ta dernière chance ! Tu en piégeras un, puis, une fois tes
forces retrouvées, les autres constitueront des proies faciles…
Ses doigts se referment sur la poignée du frein. Le vélomoteur
s’arrête. Sandra coupe les gaz et appuie l’engin contre un arbre.
- J’ai besoin de dormir. Qui dort dîne, c’est bien connu.
Elle s’étend sur le bas-côté, considérant avec
tristesse l’herbe dont les brins, en apparence si moelleux, sont autant
de poignards effilés. Elle dort déjà, la tête
appuyée sur ses bras repliés, ses paupières rougies
masquant ses yeux languides. Sous le pantalon de cuir, ses cuisses ont
l’épaisseur qu’avaient jadis ses bras. Je n’ai encore jamais vu
personne dans un tel état de cachexie. Où trouve-t-elle l’énergie
nécessaire à ses mouvements ?
Le panneau publicitaire vante les mérites d’une chaîne de
boucheries. En son centre est cloué un loup exsangue : un pieu de
bois traverse sa poitrine et le support de l’affiche ; bras et jambes sont
percés de pointes de toutes tailles ; le visage martelé ne
ressemble plus qu’à une écuelle de pâtée pour
chiens. Il y a du sang partout, en taches étirées évoquant
un lettrage pour générique de film d’horreur. Je réalise
soudain que ce sont bien des lettres, réparties en quatre mots :
LOUP TON SORT DEMAIN
Sandra s’effondre, entraînant le vélomoteur dans sa chute.
Une fois de plus, mon impuissance me torture. Je ne peux qu’attendre.
Nous sommes dans un faubourg ouvrier, aux maisons de brique rouge écrasées
par les façades d’usines et d’entrepôts. Une cheminée
interminable est couronnée d’un panache de fumée torturé,
blafarde sur le ciel noir, brutalement interrompu, comme sectionné,
son extrémité ayant échappé à l’arrêt
du temps.
La louve revient à elle. Faiblesse et désespoir dans ses
yeux de sang. Après plusieurs tentatives manquées, elle parvient
à s’asseoir. Nous restons un long moment sans parler. Les mots sont
inutiles. Nous savons tous deux que la fin est proche. Sandra n’a même
plus la force de se hisser sur le vélomoteur.
La chance doit être en stase.
- Tu ne peux pas rester là. Les moutons…
- Où veux-tu que j’aille ?
La violence de son ton me prend par surprise. M’en voudrait-elle ? Non,
je pense plutôt qu’elle cherche à me chasser pour mourir seule,
comme un animal blessé. Sans me départir de mon calme, je
lui désigne la porte entrouverte d’un pavillon. À l’intérieur,
elle sera tranquille, elle pourra agoniser en toute quiétude. Mais
est-ce bien la peine de le lui préciser ? Nous communiquons au-delà
des mots, la situation elle-même étant suffisamment éloquente.
Nos phrases, nos gestes, nos regards charrient la mort, bien qu’elle ne
soit jamais nommée.
La louve progresse à quatre pattes, famélique parodie de
l’animal dont elle porte le nom. Elle se glisse dans la maison. Quand je
pénètre à mon tour dans la cuisine déserte,
Sandra gît sur le carrelage, haletante, incapable d’aller plus loin.
L’abandonnant sur quelques mots d’encouragement, je fais un rapide tour
du propriétaire. La famille au grand complet, des parents au bâtard
interrompu dans ses frétillements, est réunie dans le salon,
fascinée par l’image d’un joueur de tennis stoppé en plein
effort sur l’écran de télévision, qui ferait une très
bonne couverture de magazine sportif.
Sandra a atteint le couloir moquetté de vert. Elle rampe désormais,
lourde malgré sa maigreur. Infinie pesanteur d’un corps qui achève
de brûler ses réserves d’énergie. Ses lèvres
se confondent avec son visage. Je peux entendre les battements irréguliers
de son cœur.
- Je pars à la recherche des moutons.
- C’est inutile… Tu le sais…
- J’ai le droit d’essayer.
- Regard…
J’ai déjà quitté la maison, une douleur sourde pulsant
au creux de mon absence de ventre. Comment la simple image que je suis
peut-elle souffrir ? Je me croyais à l’abri de ce genre de désagrément.
Là où la banlieue cède la place à la ville
se dresse un hôpital en construction. L’une de ses tours, inachevée,
constitue un observatoire idéal. Je presse le pas ; je pourrais
me déplacer quasi instantanément, mais ces derniers temps,
mes actes et mes attitudes tendent à l’anthropomorphisme. Je singe
l’homme, caricature immatérielle, poursuivi par les traits creusés
de Sandra - blafarde ta peau, rouge ton regard…
Je me fige, un instant identique à ces milliards de mannequins qui
parsèment la Terre, présentant toutes les modes dans une
vitrine à l’échelle planétaire. L’aile de l’hôpital
où je comptais me rendre a échappé à la stase
; les moutons s’y sont installés.
Deux d’entre eux montent la garde, fusil de chasse cassé à
la saignée du coude. Le loup mutilé n’était pas un
avertissement gratuit. Ce troupeau, visiblement sédentarisé,
est le mieux organisé qu’il m’ait été donné
de rencontrer, si j’en juge par les uniformes gris souris des deux hommes,
la triple rangée de barbelés entourant la base de la tour
et la jeep qu’un troisième mouton bricole un peu plus loin. Je parierais
que les caves regorgent de matériel et de victuailles. Ils ont dû
écumer le secteur. Organisés - donc, dangereux.
Combien sont-ils ? Comment ont-ils réussi à accumuler un
tel stock ? Un homme sur trente mille, à peine, a échappé
à la pétrification ; pour les objets, la proportion est plus
faible encore. Statistiquement, un loup a plus de chances de se mettre
un mouton sous la dent que ce même mouton n’en a de trouver fruits
ou légumes hors stase.
Pourtant, la louve se meurt au fond de la banlieue, tandis que ces moutons
sont prospères et bien nourris.
Je dois trouver une solution sans attendre. Sandra est trop faible pour
assurer elle-même sa subsistance. Sans mon aide, elle est perdue.
Mais que puis-je faire pour elle, moi qui n’ai pas de corps ?
Des enfants jaillissent de la tour. Tous ont la bouille rondelette des
agneaux en parfaite santé. Étrange… Jusqu’ici, aucun des
troupeaux que j’ai croisés ne comportait d’agneau ; les loups leur
avaient fait leur affaire. Seule la sédentarité permet la
survie d’enfants. Je crois avoir trouvé cette solution que je cherchais.
A condition de faire vite, car le temps presse.
Comment puis-je parler de temps, moi qui suis né avec la catastrophe
?
Certes, les informations que contient ma mémoire ont été
compilées bien avant cette chute d’une partie de l’humanité
dans une infinie fraction de seconde - et peut-être l’ont-elles été
en prévision d’un événement comme celui-ci - mais
le souvenir du temps n’en apporte pas la connaissance.
Parfois, j’ai la sensation que ce n’est pas ma mémoire qui répond
aux incessantes questions qui me hantent. Comme si quelqu’un m’épiait
en permanence et me fournissait les éléments qu’il juge indispensables
tout en censurant les autres.
Je ne suis personne, et à peine quelque chose.
Je crois que ce monde n’a pas été créé accidentellement,
qu’il s’agit d’une quelconque expérience dont je suis le témoin
désigné, fort de tout un bagage qui ne m’appartient pas en
propre.
Un bagage ? Plutôt un fardeau.
Ces moutons se sentent en sécurité. Sans doute n’ont-ils
pas vu de loup depuis un bon moment ; celui qu’ils ont crucifié
sur l’affiche commençait à sentir. Ma tâche n’en sera
que plus facile, car la méfiance est mon adversaire.
Trois agneaux viennent dans ma direction. Criminel de laisser des enfants
se promener sans protection dans un monde comme celui-ci. Je m’éloigne
vivement, glissant d’ombre en ombre. Il n’est pas encore temps de me montrer.
Les agneaux passent devant moi, discutant de ce qu’ils vont faire dans
l’immédiat. Leurs voix aiguës s’affrontent avec cet entêtement
qui est celui des enfants. Ils ne sont pas d’accord au sujet du jeu auquel
ils vont se livrer. J’écoute à peine leur babillage, souhaitant
qu’ils se séparent.
Ils s’éloignent, tortillant leurs postérieurs dodus. Sandra,
j’en suis certain, en aurait l’eau à la bouche. Un sentiment contradictoire
me vrille, aveuglant. Ces enfants sont la vie, mais la louve l’est aussi.
Ai-je le droit d’effectuer un choix, de me substituer au destin ? Une existence
en vaut-elle une autre ? Ce dilemme me torture. Qui, de Sandra ou de l’un
des agneaux, est le plus digne de vivre ? Je n’arrive pas à me décider.
Aurais-je donc une conscience ?
Arrivés à un carrefour, les agneaux se séparent. J’emboîte
le pas au plus jeune, dont les joues pleines font plaisir à voir.
L’instant crucial est proche. Je ne dois pas douter. La survie de Sandra
dépend de mon inflexibilité.
J’apparais soudain devant l’enfant, surgissant du néant. Il tressaille,
fait mine de s’enfuir.
- Ne crains rien. Je ne suis pas un loup.
- Tu sens pas comme un mouton !
Il recule pas à pas, cherchant un refuge du regard. On lui a fait
la leçon.
- Je suis un fantôme. Je ne peux pas te faire de mal.
- Un fantôme ? Y en a pas, c’est des âneries !
La plupart des anciens mythes ont disparu avec l’arrêt du temps ;
seule subsiste la peur du Grand Méchant Loup, regroupement de toutes
les angoisses. Je me souviens d’un troupeau de moutons que j’ai pu observer
en demeurant invisible. Ses membres avaient retrouvé un vieux projecteur
Super 8 et se passaient tous les soirs Les trois petits cochons, par pur
masochisme.
J’ai joué là-dessus. Les fantômes n’inquiètent
plus, car ils ne sont plus liés à une quelconque notion de
danger. Je tends une main vers l’enfant hésitant.
- Essaye de me toucher.
Il avance une menotte timide, prêt à fuir si je fais le moindre
mouvement menaçant. Ses doigts potelés plongent à
travers mon apparence. La peur le quitte.
- Pourquoi je peux pas te toucher ?
- Parce que je ne suis pas là.
- Où t’es, alors ?
- Nulle part…
- Et ça fait quoi, un fantôme ?
- Ça donne des cadeaux.
Moue soupçonneuse.
- C’est sûr, ça ?
- Puisque je te le dis.
- T’en as un pour moi ?
- Oui, un superbe. Mais il faut que tu viennes avec moi.
- Tu peux pas l’apporter ?
J’écarte les mains, paume en l’air, essayant d’arborer l’expression
la plus innocente possible.
- Je ne peux rien prendre.
- Il est loin, le cadeau ?
- Non, un quart d’heure à pied.
- On y va ?
- Tu m’attends ici ? Je vais voir s’il n’y a pas de danger.
- Pourquoi y en aurait ?
- Un loup a pu trouver le cadeau…
Je pénètre dans la maison. Le doute est toujours là,
obstiné. Je ne peux m’empêcher d’éprouver une affection
toute paternelle pour l’agneau. Mais mon sentiment envers Sandra est plus
fort que tout. Elle doit vivre.
Elle gît dans le couloir, inconsciente. Le soulèvement irrégulier
de sa poitrine m’indique qu’elle vit encore. Je l’appelle doucement. Ses
paupières boursouflées se soulèvent sur un regard
vide qui s’anime peu à peu, tandis que je continue à murmurer
son nom. Elle me reconnaît enfin, tente de s’asseoir mais retombe
en arrière, molle, sans volonté.
- Regard… Tu es revenu ?
- J’ai de la viande pour toi.
- De la viande ?
Elle est à genoux, s’appuyant à un meuble branlant. Les efforts
qu’elle accomplit pour se redresser déforment ses traits d’une horrible
manière. Sa laideur m’effraie. Ce n’est plus une femme que j’ai
devant moi, mais un fauve, un carnassier affamé. Ai-je fait le bon
choix ? Je voudrais tant cesser de douter.
- J’ai attiré un agneau.
- Où est-il ?
Elle m’a interrompu, obnubilée par la proximité de la nourriture.
Un filet de salive coule le long de sa mâchoire. Réflexe pavlovien.
- Dans le jardin.
Elle titube jusqu’à la porte. Pour la millième fois, je me
demande où elle trouve la force de se déplacer. Son corps
n’est qu’une carcasse vide, une peau trop grande, flasque, flottant sur
un squelette prêt à tomber en poussière.
Elle est dehors. Ses yeux engloutissent le regard de l’enfant ; malgré
sa terreur, il ne peut s’enfuir. Sandra se rue sur lui, les ongles brandis,
les dents découvertes en un rictus d’avidité. Un fauve, vraiment.
Elle s’empare de l’agneau, se prépare à lui broyer la gorge
entre ses crocs…
- Tire-toi !
Elle l’a lâché et repoussé loin d’elle. Ses jambes
se dérobent sous elle. Recroquevillée sur le sol, elle insulte
l’enfant, le supplie de s’en aller. L’agneau ne comprend pas ce qui lui
arrive. Il reste là, immobile, le visage déformé par
la peur.
- Mais fous le camp, petit con !
Elle bondit sur lui, s’effondre à ses pieds. Ses ongles déchirent
le bras dodu. L’enfant, réalisant enfin ce qui se passe, s’enfuit
à toutes jambes dans la direction de l’hôpital. Il va rameuter
le troupeau. Ils viendront, avec des chiens et des fusils, pour débusquer
la louve et la tuer. Puis ils s’acharneront sur son cadavre, comme des
lâches qu’ils sont.
- Pourquoi as-tu fait ça ?
- C’était un enfant…
Sa voix n’est qu’un murmure imperceptible, un filet ténu entre ses
lèvres sans couleur.
- Et alors ?
- Es-tu insensible ? Je n’ai pas pu, c’est tout…
- L’instinct maternel ?
- Trouve ça ridicule si tu veux… Oui, l’instinct maternel, foutue
machine, mécanique de merde… Oh, je sais ce que tu es, maintenant…
Je l’avais oublié, mais ça m’est revenu… Regard… L’Oeil de
la Science… On a fait tout un battage autour de toi, avant… Tu te crois
une image ? Tu es moins que ça encore… Pas même l’image d’une
image !
Elle retombe, évanouie, me laissant seul.
Ce monde est bien une expérience.
Je songe à ce nom que m’a donné Sandra. L’Oeil de la Science…
Il était impossible d’explorer les mondes extérieurs au Système
solaire, de visiter le fond des océans ou l’atmosphère des
planètes géantes… Trop de problèmes techniques. On
a donc mis au point un programme sans précédent qui, injecté
dans un ordinateur couplé à divers appareils, permettait
de projeter une image qui jouerait également le rôle d’une
caméra, d’un œil virtuel qu’aucune condition extérieure n’empêcherait
de fonctionner…
À présent, les informations affluent. L’assemblage de circuits
qui m’a donné le jour ne me cache plus rien.
Cet ordinateur a échappé à l’arrêt du temps.
Peut-être même l’a-t-il plus ou moins suscité. Après
avoir étudié la situation, il m’a envoyé parcourir
cette Terre malade. Parce qu’un témoin était nécessaire
dans le cas, fort improbable, où le temps reprendrait son cours
normal.
Nous sommes sur un bras mort, un méandre fermé du fleuve
temporel, où les bases sur lesquelles repose la réalité
ont subi de profondes modifications. C’est pourquoi les rescapés
sont devenus des loups et des moutons, et que j’ai pris conscience, m’humanisant
peu à peu…
Sandra avait tort. Je ne suis plus une machine, ni même son émanation.
Mon créateur a perdu tout contrôle sur moi ; devenu autonome,
je dispose désormais d’une caricature de sensibilité humaine.
Et je souffre, moi qui aime la vie, de la voir s’étioler, s’acheminer
vers sa destruction. Mais je ne suis que l’image d’une image… Une apparence
ténue, sans le moindre pouvoir.
Je voudrais que Sandra revienne à elle, qu’elle me manifeste une
quelconque affection, car j’ai besoin d’amitié - d’amour, peut-être…
Mais comment demander à qui que ce soit d’éprouver le moindre
sentiment - mis à part la haine - pour une simple illusion ?
J’entends déjà les chiens aboyer. Il me semble qu’ils crient
mon nom, mais ce n’est qu’une hallucination née de ma tristesse.
Je crois que j’aimerais qu’ils me sautent à la gorge, qu’ils me
déchirent de leurs crocs…
Mais voilà : je n’ai pas de gorge, ni de corps. Il m’est impossible
de mourir, à moins que quelqu’un ne détruise la machine qui
m’a créé.
Mon existence ne durera qu’une fraction de seconde. Qui ne finira jamais.
Sandra vient de mourir.
Ecrite 11.4.92 à 12h20
LECON DE CHOSES.
INTRODUCTION: Nous avons tous, lorsque nous étions enfants, eu des humains d'appartement qu'on faisait jouer dans des cages avec des roues tournantes ou bien qu'on gardait en aquarium au milieu d'un décor artificiel. Pourtant en dehors de ces animaux décoratifs ou ludiques, il existe des humains qui ne sont pas apprivoisés. Ils n'ont rien a voir avec nos humains des égouts ni nos humains des greniers qui prolifèrent et qu'on doit chasser à l'humanicide. On sait en effet depuis quelques temps qu'il existe une planète ou vivent des humains à l'état sauvage qui ne se doutent même pas de notre présence!
On situe ce lieu étrange
près du raccourci 33. Là ils vivent en totale liberté.
Nous le répétons ils sont différents de nos humains
d'appartement ou de nos humains des égouts. Ils ont crée
de grands nids, ils savent utiliser des outils, ils ont même un système
de communication à base de petits piaillements qui leur est spécifique.
Beaucoup de légendes circulent sur cette planète mythique
où règnent les humains. On prétend qu'ils ont des
bombes capables de tout faire exploser ou qu'ils utilisent comme monnaie
des morceaux de papiers chiffons. Certains racontent que les humains se
mangent entre eux ou qu'ils fabriquent des villes sous la mer. Pour faire
la part des choses entre la réalité et la mythologie, notre
gouvernement a envoyé depuis 12008 (sous le fameux programme baptisé:
"ne les tuons pas sans les comprendre") des explorateurs transparents,
invisibles à leurs yeux qui ont pu les étudier. Si vous le
souhaitez dans cette leçon de choses nous allons donc faire le bilan
de ces recherches mal connues. Voici le plan:
"les êtres humains sauvages
dans leur milieu",
"leur moeurs, leur mode de reproduction"
"comment les élever en appartement".
LES ETRES HUMAINS DANS LEUR MILIEU
Ou les trouve-t-on?
On trouve des êtres humains
un peu partout dans nos galaxies, mais le seul endroit ou ils ont pu connaitre
un développement autonome est sur la planète Terre. Ou se
trouve la Terre? Il n'est pas rare lorsqu'on part en vacances, qu'on ait
envie d'éviter les grands encombrements cosmiques des périodes
estivales. On prend alors le raccourci 33 qui est plus long mais plus fluide.
Aux alentours de la 700 milliardième unité de distance, si
on ralentit un peu on arrive à distinguer une galaxie jaunatre assez
peu brillante. Garons notre véhicule spatial et approchons nous.
Dans la banlieue d'un bras de cette
galaxie on trouvera un système solaire assez vieux et défraichi
et dans ce système solaire, la terre est la seule planète
ou l'on trouve des traces de vie.
On comprend dès lors que
les humains aient pu se développer en dehors de la captivité.
Dans un coin aussi reculé de l'espace, personne ne pense en effet
à venir les déranger. On raconte que ce système solaire
a d'ailleurs été découvert par hasard, par un touriste
qui était tombé en panne dans ce coin perdu et qui cherchait
de l'aide.
La terre est recouverte de vapeurs
blanches et sa surface est plutot bleutée. Ce phénomène
est du à une très grande abondance d'hydrogène. Une
curiosité locale qui a entrainé la pousse de végétaux,
et la naissance de plusieurs océans (voir alinéa 154)
Comment les reconnaitre?
Tout d'abord il ne faut pas confondre
l'humain avec le cachalot ou le grizzli qui sont deux espèces qui
vivent aussi sur terre. L'humain est plus petit que le cachalot et moins
poilu que le grizzli. Il ne faudra pas non plus confondre l'humain avec
l'éléphant: ses dents sont plus petites. Ni avec l'escargot:
l'humain n'a pas de coquille et est un tout petit peu moins baveux.
Prenons une loupe et examinons
l'un de leur spécimen cobaye plus attentivement. Les humains de
la terre, ressemblent à nos humains d'appartement ou à nos
humains d'égout ou à nos humains de greniers. Ils ont des
poils serrés sur le sommet du crane, la peau rose ou brune. Leurs
mains sont remplies de doigts et leurs pieds aussi. Les humains tiennent
en équilibre sur les pattes arrière les fesses légèrement
en arrière. Au milieu de leur tête on trouve toute une serie
de trous. Un grand trou bordé d'une ligne rouge qui leur sert de
broyeur d'aliment et d'émetteur de sons. Deux petits trous qui leur
servent à respirer (de l'oxygène essentiellement, les humains
respirent de l'oxygène ne l'oublions pas), plus deux trous qui leurs
servent à percevoir les sons, et deux trous qui leurs servent à
percevoir les modulations de lumière. (Expérience de Kreg:
si on met un bandeau sur le visage des humains ils trébuchent partout:
donc la vue est un sens important chez les humains)
Les humains n'ont pas de queue.
Les humains n'ont aucun système
radar qui leur permet d'évoluer dans le noir ce qui explique que
leur activité nocture est bien plus faible. (expérience de
Brons: plongeons un être humain dans une boite de conservee et bouchons
le couvercle au bout d'un moment l'humain pousse des piaillements désespérés.
Les humains ont peur du noir)
Les humains n'ont pas de fourrure,
ni de griffes.
Les humains sentent une odeur caractéristique
assez forte, ce que nous appelons l'odeur d'humain et que nous percevons
d'autant plus fort que nous oublions de leur changer la litière
de leur cage.
Comment trouver des humains sur
la terre?
Il y a plusieurs moyens pour les
débusquer. Tout d'abord suivre les fumées. On peut aussi
tenter de reperer l'une de leur piste cela forme de grande lignes noires
qu'on voit apparaitre dès l'atterissage de notre vaisseau spatial.
Les zones ou vivent les humains
sont enfin facilement repérables de nuit par leurs petites lumières.
Parfois même dans les forêts en poussant délicatement
de la pointe de la tentacule un groupe d'arbre on peut débusquer
des humains campeurs ou des humains paysans ou des humains scouts. On a
plutot intérêt à piquer ceux là car ça
ne déclenche pas de réaction de panique des humains avoisinant.
Il existe plusieurs sous espèces
d'humains sur terre: les humains-aquatiques qui ont les pieds palmés
et noirs, les humains-volants qui ont une grande aile triangulaire sur
le dos, les humains-fumants qui produisent en permanence de la fumée
par leur bouche.
Comment les aborder?
Il ne faut surtout pas les effrayer.
N'oublions pas que les humains sauvages de la planète terre NE SAVENT
MEME PAS QUE NOUS EXISTONS. La plupart sont même persuadés
qu'au delà de leur système solaire il n'y a rien. Ils se
croient seuls dans l'univers. Plusieurs de nos touristes ont éssayé
de leur apparaitre pour communiquer avec eux, a chaque fois, l'effet a
été radical: ils crient, puis ils tombent en arrière,
livides. Un simple examen suffit dès lors à diagnostiquer
ce qu'ils ont. Ils sont... morts de peur.
Ne nous en offusquons pas.
Il faut être conscient que
pour des animaux aussi isolés les critères esthétiques
sont différents de ceux qui circulent en général dans
l'univers. ILS SE TROUVENT BEAUX et ILS NOUS TROUVENT HIDEUX! Non, ne riez
pas c'est normal.
Le fait qu'ils meurent de peur,
semblent même laisser à penser qu'ils nous trouvent vraiment
très très laids. Ils trouvent leurs "mains" jolies et nos
tentacules "effrayantes"!
Ce qui est d'autant plus amusant
que l'on a tous vu nos humains de cirque se grimmer et tenter de mimer
nos gestes et notre beauté...
Quelques uns de nos touristes ont
certes essayé d'apparaitre déguisés en ustensiles
ménagers, et ils ont certes évité l'effet "mort de
peur" mais ils ont entrainé toutes sortes de quiproquos. Ce que
les humains autochtones ont nommé l'effet "soucoupe volante". Ils
croyaient qu'un des notres déguisé en soucoupe de tasse à
café était un "véhicule de transport"! Donc il faut
surtout éviter de les aborder directement en apparaissant. On doit
toujours à leur contact rester invisibles et indétectables.
De toute manière leur technologie est tellement archaique que vous
ne risquez pas d'être surpris.
Nota: attention en se balladant
en forêt on peut aussi se prendre dans ce qu'ils nomment des pièges
à ours. Ca fait mal aux tentacules...
II - LEUR MOEURS LEUR MODE DE REPRODUCTION
- Leur mode de reproduction
la parade nuptiale.
Lors que vient la période
des amours les humains se livrent à leur parade nuptiale. Contrairement
au paon, que nous connaissons tous, ce n'est pas le male, mais la femelle
qui affiche des couleurs bariolées et déploie ses atouts.
Comme les humaines ne sont pas dotées de plumes, ni de crète,
ni de jabot glonflant, elles enfilent des morceaux de tissus bariolés
qui attirent l'attention visuelle des males. Chose curieuse les femelles
couvrent certaines zones de tissus et en dévoilent d'autres. En
général durant leur période de chaleurs les femelles
couvrent leurs fesses et dévoilent le sommet de leur pis. Pour complèter
leur pouvoir attractif elles mettent de la graisse de la baleine sur leur
bouche et de la poudre de charbon sur leur paupières. Enfin elles
s'aspergent de parfums subtilisées aux glandes sexuelles d'autres
animaux terriens, comme le bouquetin dont elles extraient le musc pour
s'en badigeonner. Elles volent mêmes les glandes sexuelles de fleurs
pour obtenir de fausses odeurs de patchouli, lavande, rose.
En période de chaleur le
male pour sa part se met à faire plein de bruits avec sa bouche,
sorte de roucoulement (qu'il peut accompagner en grattant des boyaux de
chats sur une calebasse). Ce comportement assez proche de celui du
grillon champetre ne s'avère pas forcément éfficace.
Alors selon l'espèce, le male peut aussi faire sa parade en se passant
de la graisse de porc dans les cheveux (gomina). Ou bien en gonflant son
porte monnaie comme un jabot. Cette dernière forme de parade est
la plus efficace.
la rencontre.
Les humains male et femelle se
rencontrent dans des endroits spécialement concus à cet effet:
les boite de nuit. Ce sont des lieux sombres et bruyants. Pourquoi sombres
et bruyants? Sombre pour que le male ne puisse pas distinguer clairement
le physique de la femelle (Il ne sent que son odeur de patchouli, musc
ou rose). Bruyant pour que la femelle ne puisse pas distinguer clairement
les propos du male. Avec la main elle tate juste son porte monnaie plus
ou moins gonflé.
la reproduction
Comment se passe la reproduction
de l'espèce? Des observations in vitro ont permi de résoudre
le mystère de la reproduction humaine. Celle ci fonctionne par emboitement.
Le système est assez original. Le male s'emboite dans la femelle
grace à un petit appendice dont la taille correspond exactement
à un réceptacle chez la femelle. Lorsque l'emboitement est
bien solide, ils se remuent jusqu'à ce que la semence du male sorte.
La femelle se met alors à gonfler.
la gestation
Les humains sont vivipares. Ils
ne pondent pas d'oeuf. Ils gardent leurs petits dans le ventre pendant
9 mois.
Le nid.
Le nid est en béton armé.
Pour que les parois soient moins blessantes ils les calfeutrent de mousses
et de fibres tréssées. Ils accumulent à l'intérieur
toutes sortes d'objets cubiques.
LEUR MOEURS
Les rituels humains.
Sur terre les humains ont des rituels
exotiques. Dès les périodes estivales, ils migrent ves les
zones chaudes. Cette migration se fait très lentement. Ils s'enferment
dans des voitures méttalliques et restent de longues heures en avançant
au pas (expérience de Wurms: si on laisse un male humain dans une
voiture durant un certain temps il en ressort le visage couvert de poils!).
Autre rituel tous les soirs ils allument une boite qui émet une
lumière bleue et restent plusieurs heures à la fixer
dans un immobilisme total. Ce comportement est actuellement étudié
par nos chercheurs. Il semble que comme les papillons les humains soient
fascinés par la lumière bleue. Enfin le rituel le plus étrange
est peut être celui qui les poussent à s'enfermer tous les
jours à plus de 1000 dans un wagon de métro sans oxygène
et sans aucune possibilité de se mouvoir.
la guerre.
Les humains aiment se tuer entre
eux. (Expérience de Glark: mettez 60 humains dans un pot et cessez
de les alimenter, ils finissent par s'entretuer avec une sauvagerie déconcertante).
De loin on peut reperer leur champ de batailles aux détonations
et aux crépitements caractéristiques de leur armes de métal.
La communication
Les humains communiquent en émettant
des sons par leurs bouches et leur anus. On ne sait toujours pas lequel
de ces deux modes de dialogue est le plus prisé. Il semble que le
langage par la bouche servent à attirer alors que le deuxième
mode de communication sert à faire fuir les adversaires.
III - COMMENT LES ELEVER EN APPARTEMENT
La cueillette
Tout d'abord, il ne faut pas marcher
dessus. Il ne faut pas non plus les noyer dans la salive ni les jeter dans
la soupe comme le font certains enfants.
On pourra les recueillir pour les
étudier tranquillement à la maison mais si on les met dans
un pot il ne faut pas oublier d'aménager des petits trous dans la
partie supérieure du pot, sinon les petits humains dépérissent.
N'oublions pas qu'ils ont besoin d'oxygène.
Comment peut-on entretenir un élevage
d'humain en pot?
Si on veut que nos humains prolifèrent
dans leur cage, il faudra prendre des couples: un male et une femelle.
Pour être sur d'avoir une femmelle il faudra bien faire attention
qu'elle ait des vêtements de couleurs bariolées et une longue
crinière. Attention: il existe des femelles sans crinière.
Pour en avoir le coeur net il suffit de plonger l'une de nos tentacules
dans le pot. Si le piaillement est aigu: c'est une femelle.
Comment les nourrir?
En général les humains
aiment bien les morceaux de pomme et les cuillerées de confiture
de coing. Le plus simple est de les nourrir avec des graines. Un distributeur
à graines en vente chez n'importe quel "humainier" fera l'affaire.
On peut aussi leur donner quelques miettes de pain mouillé dont
ils se régaleront. Attention si on oublie de nourrir un groupe d'humains
plus de 15 jours, ils finissent par s'entredévorer entre eux.
L'humainière
Le nid artificiel d'humain se nomme
humainière. On peut en trouver chez le marchand (l'humainier) ou
bien on peut se le fabriquer soi-même. Mais surtout on ne le répètera
jamais assez il faudra aménager des petits trous dans la partie
supérieure de l'humainière pour qu'ils respirent. Il faudra
en outre surveiller la température et l'humidité. A quelle
température les humains prolifèrent-ils le mieux? A 30°
on peut les voir avec amusement quitter leurs petits oripeaux. Ils semblent
heureux et se livrent à de nombreuses reproductions.
Nota bene 1. Si le nombre d'humains
devient trop important il faut soit les changer de pot pour les installer
par exemple dans un bocal de verre plus grand. Soit séparer les
males des femelles. (attention non seulement il y a des femmelles sans
crinières, mais il y aussi des males avec crinières, il suffit
d'une erreur les reproductions se poursuivront).
Nota bene 2. Il faut mieux tenir
l'humainière hors de portée des autres animaux aprivoisés
de la maison. Les Chkronx notamment ont tendance à manger les humains
dès qu'ils arrivent à percer le courvercle de l'humainière.
Peut on manger des humains?
Berk c'est dégoutant. Il
parait que certains enfants mangent leur petits humains d'élevage.
A priori le docteur Kreg que nous avons questionné sur la question,
pense qu'ils ne sont pas toxiques. Cependant les humains sauvages de la
terre étant très carnivores, il faudra se méfier de
ne pas les manger vivants car sinon ils peuvent nous mordre de l'intérieur.
Beaucoup d'enfants en ont fait l'expérience douloureuse.
Peut t on leur apprendre des tours?
Oui bien sur. Mais cela réclame
de la patience. Certains enfants très doués arrivent à
leur faire ramener des morceaux de bois ou même à leur faire
faire des sauts périlleux. Il suffit de leur donner une récompense
pour chaque tour réussit. "Les humains sont d'ailleurs parfois tellement
adroits qu'ils nous ressemblent" penseront peut être certains d'entre
vous. Il ne faut quand même pas exagerer...
Que faire de l'humainière
une fois qu'on en est lassé?
Comme tous les jouets, il arrive
que l'enfant qui a installé une humainière s'en lasse lorsqu'il
devient plus agé. Le reflexe le plus simple est de jeter les humains
dans le lavabo ou dans la poubelle ou dans les égouts. Dans les
trois cas, s'ils n'ont pas été tués avant, nos humains
apprivoisés capturés sur terre se retrouvent en contact avec
nos humains des égouts. Les humains de la terre n'ont aucune défense,
ils sont trop "civilisés" et ils se font mettre en charpie par les
humains des égouts qui courent bien plus vite qu'eux et les chassent
à mort. Ce n'est pas très correct vis à vis de nos
compagnons d'enfance.
Nous ne serions donc trop conseiller
aux enfants qui ne savent plus quoi faire de leur humainière, (à
fortiori si elle composée d'humains sauvages de la terre), de les
offrir à des enfants plus pauvres qui prendront peut être
beaucoup de plaisir à continuer l'élevage.
FIN