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 Les nouvelles.










    Cela fait un moment que je cherches de nouvelles de science fiction gratuite sur le net. Et pour tout vous dire, les nouvelles de mes auteurs français préférer ne sont pas facile a trouvé. ( Si vous en avez dite le moi ça m'interesse.) Donc j'ai réunis ici trois nouvelles d'auteurs français glaner sur leur site. Profitez en ...

 Les Mularis de Serge Lehman
Nouvelle interressantes et plein de bonnes idées. De plus la fin reste très ouverte ...

Blafarde ta peau rouge ton regard de R.C Wagner
Première nouvelle de son derner receuil "Musique de l'énergie".  Une nouvelle excellente qui donne envie de lire le livre.

Leçon de chose de Bernard Weber.
Ce court texte est une sorte de délire de l'écrivain comme on les aime. Cette nouvelle est très drôle, et on apprends enfin la vérité :  Nous ne sommes pas seul dans l'univers et ils sont parmis nous ...
 
 


Les Mularis
une nouvelle de Serge Lehman







Akhab remonta à la surface le matin du vingtième jour. épuisé par sa longue ascension, il jeta son paquetage dans la cour carrée du Donjon, s'assit sur le sol de terre battue et se laissa aller en arrière, les yeux fermés. Après trois semaines passées sous terre, il savait qu'il lui faudrait un moment pour se réacclimater à la lumière du jour.
Il laissa s'écouler ainsi plusieurs minutes. Peu à peu, son cour, ses poumons, les muscles de son dos et de ses jambes cessèrent de le torturer. Akhab inspira profondément. Les senteurs de la jungle toute proche lui redevenaient familières - comme un vêtement oublié, puis retrouvé par hasard. Il inspira de nouveau. Les sensations affluaient, se chevauchaient. L'odeur de terre humide du Donjon. La chaleur des soleils qui perçaient au-dessus des remparts. Les cris lointains des pseudosaures, affalés sur les berges du fleuve, et ceux des oiseaux à l'affût. La tiédeur du vent.
Le silence.

Akhab prit conscience de sa propre solitude aussi facilement qu'il avait admis la nécessité de l'exil lorsque, vingt jours plus tôt, le capitaine Hollander avait rassemblé les hommes dans la cour. · partir de cette minute, les faits s'enchaînaient, avec une simplicité presque élégante : Hollander donnait l'ordre de se préparer à évacuer ; les hommes riaient, sifflaient, applaudissaient - heureux d'en finir. Après tout, cela faisait six mois qu'ils avaient débarqué sur Ancil'.
Akhab avait écouté le discours du capitaine jusqu'au bout. Comme les autres, il s'était ensuite dirigé vers sa cellule, pour y rassembler ses affaires. · cet instant, il ne savait pas encore ce qu'il allait faire. Défier Hollander ? Il ne s'en sentait pas le courage. Mais partir, comme on le lui ordonnait.
Partir était au-dessus de ses forces.

Il avait fui, presque malgré lui. Comme si ce n'était pas lui. Dès la tombée de la nuit, il s'était glissé dans la cour. L'obscurité était pleine des rires et des cris des soldats, rassemblés au mess. · pas de loup, Akhab avait traversé l'étendue de terre battue, puis s'était enfoncé dans l'escalier.
Les trois semaines suivantes étaient floues dans son esprit. Il avait vécu dans le labyrinthe souterrain des Mularis, se déplaçant sans cesse, chassant et dormant avec eux. Il les avait laissé le nourrir et, en échange, leur avait appris de nouvelles postures de communication. Comme il s'y attendait, personne n'avait eu le courage de se lancer sur ses traces.

La surface s'éloignait. Le souvenir d'Hollander et des autres semblait. s'effacer, perdre de sa substance dans sa mémoire. Cette évolution convenait à Akhab. En s'enfonçant sous terre, il avait abandonné à ses camarades le poids d'une décision qu'il ne pouvait pas prendre. Parfois, il pensait à eux - avec une étrange tendresse - mais il devait froncer les sourcils, et faire un effort intense pour se rappeler leurs visages, et le son de leurs voix.
Un soir, Akhab avait découvert que cet effort lui-même était devenu inutile. Immédiatement, il s'était mis à remonter vers la surface. · ses yeux, il existait un lien - secret, mais bien réel - entre le souvenir qu'il conservait des hommes et leur présence effective, là-haut, dans le Donjon.
Le silence qui l'enveloppait à présent avait valeur de confirmation. Hollander était parti. Akhab restait seul - et ce monde.
Ce monde était promis à la destruction.

Il ouvrit les yeux. L'éclat des soleils avait cessé de l'éblouir. Loin au-dessus de lui, le ciel violet d'Ancil' palpitait entre les murailles circulaires. Une nuée d'oiseaux immenses, aux longues ailes jaunes frangées de noir, glissait parmi les nuages. Akhab se leva. Il traversa la cour, longea l'un des quatre trottoirs Mularis dont les cannelures et l'incurvation l'avaient tant intrigué, au début, et entra dans la petite salle o- Hollander avait installé son centre de communication.
Comme Akhab l'avait prévu, les hommes avaient démonté et emporté l'essentiel du matériel. Partagé entre l'euphorie et le désespoir, il explora la pénombre ocre du regard. Une brassée de câbles traînait sur le sol. Rien qui vaille la peine d'être récupéré.
Akhab sortit et alla ramasser son sac. Au passage, il jeta un coup d'oeil à l'escalier qui s'ouvrait non loin de là et dont il avait gravi les quatre mille degrés de pierre pendant la nuit. Une forme furtive - minuscule - se déplaça sur la cinquième ou la sixième marche. Akhab l'ignora. Tenant son sac à bout de bras, il traversa la cour en sens inverse et entra dans sa cellule.
Aussitôt, une image en trois dimensions se matérialisa dans le champ du holosite installé sur son bureau. Le visage de Hollander. Akhab s'arrêta, hors d'haleine, laissa tomber son sac à terre. Les yeux désincarnés du capitaine le cherchaient.
- Je suis là, dit Akhab.
Hollander - ou plutôt, son double numérisé - se tourna dans sa direction.
- Michel., murmura-t-il d'une voix rauque.
Il y eut une seconde de silence. Malgré lui, Akhab ne put s'empêcher d'admirer la finesse avec laquelle Hollander avait programmé son clone. En le dotant d'une capacité d'empathie au moins égale à la sienne, le capitaine avait assumé autre chose qu'une simple obligation administrative.
- Quand êtes-vous partis ? interrogea Akhab en s'asseyant.
- Il y a six jours.
Hollander secoua la tête avec agitation :
- Nous t'avons attendu le plus longtemps possible.
- Je sais, dit Akhab - avec une insouciance que rien ne justifiait (à quoi bon ménager la susceptibilité d'un programme informatique ?). Tout ça est ma faute. Ne t'inquiète pas.
Hollander poursuivit, comme s'il n'avait pas entendu :
-. · la fin, j'avais organisé des tours de garde au sommet de l'escalier - au cas o- tu aurais décidé de venir te ravitailler de nuit. Je ne voulais pas prendre le risque de te laisser passer. J'ai même envoyé Link jusqu'à la première salle. Il t'a appelé pendant des heures. Tu n'as rien entendu ?
- Non. Les Mularis m'ont entraîné plus loin, cette fois-ci. J'étais sans doute hors de portée.
Hollander hocha tristement la tête.
- Nous ne pouvions pas rester plus longtemps, Michel. La Murène est toute proche, maintenant. · peine une centaine de kilomètres à l'ouest. Dans quatre ou cinq jours, elle aura atteint le Donjon. L'alternative était.
- Oui. Partir et abandonner les Mularis à leur sort. Ou rester et mourir avec eux.
Akhab haussa les épaules :
- Je ne pouvais pas les laisser, capitaine. J'ai fait mon choix.
- J'espérais que tu dirais ça.
L'homme réel et l'homme virtuel se dévisagèrent un long moment, en silence. Il n'y avait plus rien à dire. Au bout d'une minute - ou deux, ou dix -, le holosite s'éteignit. Akhab se retrouva seul.
Il passa une partie de la matinée à classer ses notes - moins par souci de méthode que pour s'occuper l'esprit. Comme Hollander l'avait dit, la Murène se rapprochait. Bientôt, elle aurait tout englouti : le fleuve, la jungle, le Donjon. Lui-même. Elle passerait, rendrait la matière au chaos, puis poursuivrait sa route et ne quitterait Ancil' que lorsqu'elle en aurait dévoré toute la surface. Dans un mois, deux au plus, il ne resterait rien de ce monde.
étrangement, Akhab trouvait cette idée abstraite - bien qu'il eût visité plusieurs systèmes dévastés par la Murène. C'était peut-être un effet de cette brutale perte de sens à laquelle il était confronté. Ses recherches sur les Mularis, qui l'avaient occupé pendant six mois, lui semblaient à présent dépourvues de signification. Akhab lutta un moment, puis finit par admettre qu'il était devenu son propre objet d'étude - et que son seul travail, désormais, visait à rendre acceptable la perspective de sa fin toute proche.
Au début de l'après-midi, il se rendit sur les remparts. La jungle, épaisse et moite comme une fourrure, enserrait le Donjon de toutes parts. Les deux soleils se confondaient au zénith en un halo blanc-bleu, vaguement elliptique, dont l'image dédoublée brûlait sur les eaux vertes du fleuve. La gorge sèche, Akhab suivit la rive occidentale du regard. La chaleur écrasante agitait l'air, et brouillait l'image des grands arbres affalés, dont les branches frôlaient le courant. Loin à l'ouest, un groupe de pseudosaures fouissait mollement la boue fraîche du rivage. Akhab se surprit à les envier. Renoncer à méditer sa place, son rôle sur ce monde - pour ne conserver que le noyau reptilien de sa personnalité, une conscience de soi mue par l'ombre et la chasse, en dehors du temps.
Telle aurait été sa grâce, s'il avait pu la choisir. Mais c'était évidemment impossible. Akhab grimaça. Au plus lointain du ciel, le chaos progressait. Des formes bistres et mouvantes, dont la géométrie rappelait celle des images fractales, souillaient l'horizon. Un étrange essaim noir, pulvérulent, se tordait entre elles. Akhab crut d'abord qu'il s'agissait d'oiseaux démembrés et balayés par le vent. Mais lorsqu'il plissa les paupières, et mit sa main en visière sur son front, il comprit que les particules minuscules qui dansaient là-bas étaient des arbres - des géants de plus de cent mètres de haut, comparables à ceux qui encerclaient le Donjon - déracinés et projetés en plein ciel.
La Murène était encore invisible, mais son souffle la précédait de quelques jours.
Akhab fouilla les poches de sa combinaison crasseuse, en tira la moitié d'un cigare et l'alluma. · cet instant, une minuscule silhouette velue bondit sur les remparts, juste à côté de lui. Elle traversa la pierre chaude à petits bonds et vint se lover sur le dessus de sa main avec un soupir d'aise. Akhab ne put retenir un sourire. D'un geste vif, il lança le Mulari en l'air, le rattrapa au creux de sa paume, puis l'éleva à la hauteur de son visage.
- Hé, murmura-t-il d'une voix douce. D'où sors-tu, toi ?
Le Mulari, ravi, fit deux ou trois roulades, escalada le bras d'Akhab sur les pattes avant et revint se blottir dans sa paume. Akhab l'observa un long moment, avant de le déposer sur le rempart de pierre blonde.
- Regarde, dit-il en désignant l'horizon tourmenté. Là-bas, tu vois ? Un grand danger. Il faut partir.
Le Mulari cligna des paupières avec curiosité, suivit la direction qu'indiquait Akhab. Pendant un instant, il fixa les formes fractales qui, peu à peu, contaminaient le violet profond du ciel - puis fit un bond sur lui-même, s'assit et entreprit de lisser la fourrure de son jabot.
L'indifférence de la petite créature ouvrit à Akhab une perspective nouvelle. Pendant une fraction de seconde, il ressentit - avec une intensité presque douloureuse - le caractère profondément irréel de la situation.
Sa propre position de naufragé volontaire était elle-même ambiguë. Lorsque l'expédition avait débarqué sur Ancil', six mois plus tôt, Hollander avait soigneusement défini la tâche de chacun. Akhab était biologiste. Son travail consistait à évaluer le stress de la faune locale au fur et à mesure que la Murène avançait.
Il avait découvert le Donjon par hasard, en recherchant, sur des photos satellites prises dans l'hémisphère nord, des traces de migrations massives. Hollander, escorté de quelques hommes, s'était prudemment rendu sur place. Mais il n'y avait rien. Rien d'autre qu'une tour cylindrique et vide, dont la base s'ornait de trottoirs sculptés distribuant une trentaine de cellules sans fenêtres. Heureux (et soulagé) d'échapper à l'emprise moite de la jungle, le groupe n'avait pas tardé à prendre ses quartiers au Donjon.
Ensuite, les Mularis étaient sortis de terre.
Akhab battit des paupières, et tira sur sa moitié de cigare. Il peinait à classer ses souvenirs, à les distinguer de ses spéculations et de ses émotions. Il laissa ses yeux voguer un moment sur l'horizon. Du combat qui se déroulait là-bas - à moins de cent kilomètres, maintenant - entre Ancil' et la Murène, rien ne filtrait. Pas le moindre souffle de vent. Pas même l'écho d'un grondement de tonnerre. La violence se cachait sous le ciel tuméfié.
- Il faut partir, dit à nouveau Akhab - et il répéta ces mots plusieurs fois de suite même s'ils ne servaient à rien. Les Mularis étaient sourds. C'était l'une des premières découvertes qu'Akhab avait faite à leur sujet. La nuit qui avait suivi leur apparition, ils lui avaient apporté un cadavre - un très vieux mâle au poil gris foncé, mort depuis peu. L'autopsie avait - entre autres choses - révélé une oreille interne atrophiée, réduite à l'état de vestige.
Akhab était surpris. Bien que nul n'ait encore découvert l'entrée de leur terrier, il était évident que les Mularis vivaient sous terre. Dans presque tous les cas de ce genre, l'évolution finissait par produire des organismes dotés d'une ou‹e et de facultés olfactives très puissantes, qui compensaient la dégénérescence des organes visuels.
Les Mularis présentaient les signes inverses. La vue était chez eux la fonction sensorielle dominante, à tel point qu'elle mobilisait la moitié de leur système nerveux central. Elle était aussi à l'origine de la plupart de leurs rites et comportements sociaux - mais cela, Akhab ne l'avait compris que bien plus tard, après avoir découvert l'entrée de l'escalier, sous la terre battue de la cour, et exploré une première fois le labyrinthe souterrain. De son expédition, il avait rapporté une énorme masse de données - et la certitude que les Mularis étaient intelligents.
- Est-ce qu'on peut communiquer avec eux ? avait demandé Hollander après avoir lu son rapport.
- · condition d'y consacrer le temps nécessaire, oui. Akhab avait souri : J'y ai déjà pensé, capitaine. Quand j'étais là-dessous, j'ai jeté les bases d'un alphabet visuel. Une centaine de pictogrammes très simples. Tout ce que je demande, c'est le droit de faire des tests.
Hollander avait laissé tomber le rapport sur son bureau.
- Nous sommes là pour la Murène, Michel. Ne l'oublie pas.
Mais Akhab avait désobéi. Il s'était efforcé d'oublier - le plus longtemps possible - jusqu'à ce qu'il soit trop tard pour revenir en arrière.
Avec un soupir, il jeta son cigare dans la jungle. Intrigué par son geste, le Mulari interrompit sa toilette et le dévisagea en clignant des yeux. Akhab le prit à nouveau dans sa main. La fourrure du petit animal était brûlante.
- D'accord, dit-il en le plaçant sur son épaule. On s'aime, toi et moi. Mais ne te fais pas d'illusions : c'est une liaison sans lendemain.
Akhab longea le chemin de ronde jusqu'à l'échelle d'hypercarbone qui plongeait, du haut de la muraille, vers la cour carrée, quarante mètres plus bas. Il posa le pied sur le premier barreau, et commença à descendre. L'échelle était une idée de Hollander. Lorsqu'il avait exploré le Donjon pour la première fois, le capitaine avait été frappé par l'absence de toute installation permettant d'accéder aux remparts.
- C'est tout de même bizarre, tu ne trouves pas ? Construire un truc aussi haut sans pouvoir s'en servir.
Akhab avait hoché la tête, songeur. Tout ce qui se rapportait au Donjon était bizarre. Son ancienneté, d'abord. Les mesures de radioactivité indiquaient dix mille années locales. Son origine, ensuite : compte tenu de la masse des blocs utilisés, les Mularis ne pouvaient pas être les constructeurs. Et pourtant, Akhab avait pu vérifier que le diamètre des cannelures, visibles à la surface des trottoirs, correspondait exactement à l'envergure d'un Mulari allongé, les pattes repliées sous lui. Les traces de griffes - très nombreuses et, pour certaines d'entre elles, contemporaines de la construction - prouvaient que cet usage avait été reconnu dès le début. Bien entendu, ce pouvait être une coïncidence.
Mais dans ce cas, à quoi était censé servir le Donjon ? Quelle était sa fonction ? Akhab avait travaillé pendant six mois sans prendre un seul jour de repos. Et il était toujours incapable de répondre à cette question.
- C'est peut-être moi qui m'y prends mal, murmura-t-il en tournant la tête pour observer le Mulari juché sur son épaule. Ou alors, vous m'avez caché quelque chose. Qu'est-ce que tu en dis ?
L'animal avait disparu. Il avait sans doute sauté pendant la descente, mais son poids était si faible - quelques grammes à peine - qu'il était passé inaperçu. Akhab baissa la tête.
La cour, qui n'était plus qu'à deux ou trois mètres sous lui, grouillait de Mularis.
Ils étaient très nombreux - dix mille au moins. Akhab était surpris. Il n'avait encore jamais vu de tel rassemblement. Avec précaution, il descendit les derniers barreaux et posa les pieds sur le sol. Les Mularis refluèrent calmement devant lui. Akhab fit un pas, puis un autre. Bientôt, il atteignit le centre de la cour. Les Mularis étaient partout. Ils formaient sur la terre battue un tapis de fourrure mouvante, constellé de blanc, de brun, de gris et de noir.
Akhab leva la main. Traça un cercle dans l'air surchauffé.
Aussitôt, une agitation frénétique s'empara des Mularis, qui se mirent à sauter sur eux-mêmes, à échanger leur place - plusieurs fois de suite en une fraction de seconde - à traverser la cour en tous sens avant de s'arrêter brutalement et de se dresser sur leurs pattes arrières. La première fois qu'Akhab les avait vu se livrer à ce petit jeu, il avait eu l'impression d'assister à un cours sur le mouvement brownien.
Le ballet se poursuivit pendant quelques instants. Puis, les Mularis se rassemblèrent au centre de la cour, formant un cercle de deux mètres de diamètre, à l'intérieur duquel l'arrangement des corps dessinait un oil humain - remarquablement imité. Akhab nota avec admiration que l'individu choisi pour figurer la pupille possédait un pelage noir ponctué d'une unique tache blanche : imitation parfaite d'un reflet de lumière à la surface du cristallin. Avec un peu plus de recul, l'illusion aurait été saisissante.
· regret - comme si cela épuisait la magie de la scène - Akhab répéta son geste : un cercle du bout des doigts.
Il faut qu'on parle.
L'oeil cligna dans sa direction.
Nous sommes prêts.
Le cour battant, Akhab entra dans sa cellule. Son sac traînait toujours sur le sol de pierre, là o- il l'avait laissé tomber. Il l'ouvrit, récupéra son écran et son style, puis ressortit à l'extérieur. L'oil des Mularis tourna sur lui-même et lui fit face, avant de cligner de nouveau.
D'une pression de l'index, Akhab déploya son écran - qui se gonfla et se rigidifia au contact de l'air - avant de l'installer sur le bord du trottoir incurvé. Les Mularis observaient chacun de ses gestes. Akhab réfléchit rapidement. Plus question de travailler à la compréhension de concepts avancés, désormais - ni de forger de nouveaux symboles. Tout ce qu'il voulait, c'était pousser les Mularis à fuir, à s'enfoncer sous terre le plus loin possible. La première fois qu'il était descendu avec eux, il avait effectué une trentaine de sondages à l'aide d'un petit radar. Apparemment, le labyrinthe se prolongeait sur une profondeur de quatre mille mètres au moins. Bien entendu, Akhab ne s'était pas aventuré jusque-là : au-delà des salles desservies par l'escalier, le réseau se rétrécissait brutalement, et le segment suivant n'était accessible que par d'étroites chatières, de quelques centimètres de largeur.
Cela pouvait suffire. Lorsque la Murène s'emparait d'un monde, elle provoquait une fusion totale de sa surface, mais n'attaquait que la partie supérieure de la lithosphère. Les effets observés ne s'étendaient pas au-delà de deux mille mètres - Akhab lui-même l'avait vérifié, lors d'une mission précédente.
La profondeur et l'étroitesse du labyrinthe pouvait sauver les Mularis. Sans doute pas sur le long terme - comment survivre dans un univers fondu ? Mais pour quelques semaines, quelques mois peut-être, c'était possible. Akhab s'approcha de l'écran, le style à la main. En quelques touches rapides, il dessina un disque dont le centre était marqué d'une croix, et au-dessus duquel brillaient deux petits soleils. C'était l'un des premiers symboles sur lequel il avait travaillé.
Ancil'.
Dans la cour, l'oil battit deux fois. Les Mularis avaient compris. Akhab hocha la tête, puis ajouta plusieurs éléments à son dessin. Un cylindre planté sur le diamètre du disque : le Donjon. Un escalier de quelques marches, dont l'extrémité inférieure débouchait dans une grotte dotée de stalactites. · chaque ajout, Akhab s'assurait d'un regard que les Mularis le suivaient toujours. Pour finir, il dessina, entre les murailles du Donjon, une petite silhouette dressée sur ses pattes arrières.
Aussitôt, les Mularis prirent la pose, le museau pointé vers le ciel - avant de se mettre à courir en tous sens et à sauter en l'air pour exprimer leur satisfaction.
Akhab sourit, en dépit de la tension qu'il éprouvait. Bonne classe, malgré une tendance à se dissiper en fin d'année. Il laissa faire pendant dix secondes, puis traça un grand Z en l'air. L'oil se reforma aussitôt - et cligna pour s'excuser.
Akhab revint à l'écran : il entoura son Mulari d'un cercle rouge, qu'il prolongea d'un trait dirigé vers le bas. Il faut partir. Puis - d'un seul mouvement fluide - il traversa la cour, emprunta l'escalier jusqu'à la grotte aux stalactites et, sans hésiter, s'enfonça dans le ventre d'Ancil', ne s'arrêtant qu'à quelques centimètres de la croix centrale.
Loin. Très loin sous la surface.
Immédiatement, l'oil disparut, remplacé par un immense point d'interrogation gris clair. Pourquoi ?
Akhab dessina le crâne d'un Mulari mort. Danger.
Dans le cercle, un millier d'individus permutèrent : le point d'interrogation passa du gris au noir. Quel danger ?
Akhab réfléchit un instant. Un saut conceptuel était nécessaire - même s'il devait prendre le risque de n'être que partiellement compris. De sa main libre, il désigna le ciel au-dessus de lui. Puis, il revint à l'écran et dessina - aussi bien qu'il le put, c'est à dire assez mal - la silhouette d'un énorme pseudosaure suspendue au-dessus d'Ancil', juste sous les soleils.
Le point d'interrogation passa du noir au blanc à toute vitesse - trente ou quarante fois de suite en moins de dix secondes - comme s'il clignotait. Akhab sut qu'il avait visé juste. Les Mularis détestaient les pseudosaures. La plupart du temps, ceux-ci sommeillaient paisiblement sur les berges du fleuve. Mais une ou deux fois, Akhab avait vu un groupe s'avancer jusqu'au Donjon, et tenter d'atteindre l'escalier. Aux yeux des habitants du labyrinthe, les gros lézards hexapodes étaient l'ennemi héréditaire - une pure incarnation du mal, merveilleusement efficace.
Akhab décida d'enchaîner, sans perdre de temps : il entoura le pseudosaure volant d'un cercle rouge - qu'il prolongea lui aussi d'un trait dirigé droit sur le Donjon. L'inquiétude des Mularis franchit un palier supplémentaire. Péniblement, l'oil se reforma sur le sol de terre battue - mais cette fois, la pupille avait disparu.
O- ?
Akhab désigna une nouvelle fois le ciel au-dessus de lui.
Il y eut un instant de flottement. Akhab traversa la cour et fit mine d'emprunter l'échelle. Cette fois, les Mularis comprirent le message : dans une multitude de bonds désordonnés, ils se ruèrent à l'assaut de la muraille.
Il leur fallut moins de dix secondes pour atteindre le sommet. Akhab, qui commençait à se sentir très fatigué, renonça à monter avec eux. Il les suivit simplement du regard. La vitesse du groupe, sa compacité et ses couleurs changeantes lui donnaient l'impression d'assister à la progression d'un feu de forêt, accéléré une centaine de fois. Finalement, les Mularis se massèrent sur le chemin de ronde, hors de vue depuis le sol.
Apaisé, Akhab regagna sa cellule. Avec une abnégation qui le surprit lui-même, il se remit à classer ses notes. En fouillant les tiroirs de son bureau, il découvrit une boîte de cinquante cigares, dont l'emballage était intact. Quel gaspillage ! songea-t-il avec amertume. Même s'il fumait sans discontinuer jusqu'à l'arrivée de la Murène, il ne parviendrait pas à épuiser cette manne inattendue.
Il considéra la boîte avec curiosité, la tourna et la retourna entre ses doigts. C'était un objet sans grâce, un parallélépipède de métal inoxydable, doté d'un mécanisme d'humidification fabriqué en série. Ses dimensions, son poids, sa texture étaient parfaitement ordinaires. Et pourtant, quelque chose en elle inquiétait Akhab - le terrifiait, même.
Il lui fallut un bon moment pour comprendre. La barbe et les cheveux sales. Les joues caves. Le teint blême. Les yeux abandonnés à eux-mêmes, incapables de se fixer.
Le métal poli de la boîte lui renvoyait une image qui était déjà celle de sa mort.

Akhab dormit comme un ivrogne. Il s'éveilla très tard dans la matinée, but un peu d'eau, puis traversa la cour en frissonnant. Le temps était gris. Des nuages en lambeaux labouraient le ciel désemparé. Le vent s'était levé et charriait une fumée grasse. Des oiseaux fuyaient.
La Murène comptait les jours.
Akhab se força à manger un morceau avant de monter sur les remparts. Une fois là-haut, il constata avec soulagement que les Mularis avaient disparu. Les formes chaotiques qui proliféraient sur l'horizon avaient sans doute achevé de les convaincre. Akhab examina la cour en contrebas. Carrée, ocre - et vide. Dans un angle, le seuil de l'escalier béait comme une bouche obscure. Akhab se promit de condamner l'ouverture avant l'arrivée de la Murène.
Il passa la fin de la matinée assis sur le rempart de pierre jaune. De temps en temps, il prenait une photo, établissait un relevé, dictait une note. Avant de partir, Hollander avait fait démonter le matériel lourd, mais il avait eu la sagesse de laisser à Akhab son équipement personnel. Celui-ci ne comportait - outre son laboratoire portable - qu'une dizaine d'instruments de faible capacité. C'était insuffisant pour effectuer une étude exhaustive des manifestations liées à l'arrivée de la Murène, mais Akhab n'en demandait pas tant. Il était resté sur Ancil' pour prévenir les Mularis du danger qui les menaçait et les aider à se protéger. · présent que la question était réglée, il n'éprouvait plus le moindre sentiment d'urgence. Et s'il poursuivait son travail, c'était avant tout par curiosité. La Murène était une forme de vie si exotique - et dangereuse - qu'on ne possédait sur elle que des données indirectes. D'une certaine manière, il avait hâte de la voir en face.
Lorsqu'il abandonna son poste d'observation, la jungle était en feu. De hautes colonnes de fumée s'élevaient à moins de cinquante kilomètres à l'ouest. La surface du fleuve passait du vert au brun et semblait sur le point d'entrer en ébullition. Sous le couvert, de longues silhouettes détalaient avec des hurlements terrifiés.
Akhab consacra les deux heures suivantes à étalonner ses instruments de mesure. Puis, il s'enfonça dans la jungle et fit une trentaine de prélèvements, sur des végétaux dont il possédait déjà les caractéristiques. Il avait l'intention de refaire l'expérience chaque jour - tant que les conditions le lui permettraient -, afin de mesurer aussi précisément que possible les progrès de la nécrose généralisée qui s'emparait du milieu.
Il poussa ensuite jusqu'au fleuve, o- il préleva un demi-litre d'eau en surface. Au retour, il eut la chance de voir un oiseau s'abattre, mort, à ses pieds. Il le ramena au Donjon et l'autopsia, les yeux écarquillés par la stupeur.
Au crépuscule, il remonta sur les remparts pour faire une seconde série de photos. Puis, il regagna sa cellule, soupa et s'endormit.
Le premier tremblement de terre eut lieu au milieu de la nuit. Le second un peu avant l'aube. Le troisième juste après le lever des soleils. Il ne s'agissait pas de séismes importants - un ou deux degrés seulement dans la classification d'Osborne - même si Akhab savait que leur périodicité et leur puissance allaient s'accroître régulièrement.
Le vent était bien plus dangereux. Il avait forci, pendant la nuit. Les rafales qui s'engouffraient à l'intérieur du Donjon produisaient une sorte de hululement sinistre, irrégulier, qui retombait parfois pour reprendre quelques minutes plus tard, avec une violence nouvelle. Une pluie continue d'objets s'abattait dans la cour : branches, feuilles, plumes, mottes de terres et fragments de roches calcinées. Parfois, un animal mort.
Akhab escalada l'échelle avec une grande prudence. Mourir entre les crocs de la Murène avait un sens. Mais il refusait d'agoniser pendant des heures, en pleurant sur ses jambes brisées. Il prit pied sur le chemin de ronde. Le vent se rua sur lui en hurlant. Centimètre par centimètre, Akhab quitta l'abri des remparts. L'incendie qui dévorait la jungle progressait à vue d'oil. Le ciel ployait sous les nuées d'oiseaux affolés. Akhab tourna la tête. · l'ouest, une colonne de lumière se frayait un chemin parmi les nuages.
La Murène.
Akhab regagna le sol, et se mit en quête d'un objet assez large pour obstruer l'entrée de l'escalier. · sa grande surprise, il découvrit qu'un millier de Mularis l'observaient, massés sur les premières marches.
- Non ! s'écria-t-il en agitant les bras. Ne restez pas là !
Comme si un ressort venait de céder en lui, il se mit à courir dans leur direction en hurlant :
- Partez ! Partez tout de suite !
Au lieu d'obéir, les Mularis envahirent la cour. Après quelques secondes d'agitation, ils se rassemblèrent en cercle. Akhab s'immobilisa, découragé. Le grand oil le regardait déjà.
- Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?
La paupière s'abaissa.
Il faut qu'on parle.
Akhab secoua la tête, et dessina un Z rageur de la main.
Pas question.
La paupière s'abaissa de nouveau - avec insistance. Akhab soupira.
- D'accord, bande d'idiots.
Une minute plus tard, il se tenait debout sur l'un des trottoirs incurvés, le style à la main. · ses pieds, l'oil des Mularis se transforma en point d'interrogation. Akhab fronça les sourcils.
- Je ne comprends pas. Qu'est-ce que vous voulez savoir ?
Les Mularis permutèrent. Une forme nouvelle se matérialisa dans le cercle. Akhab en eut le souffle coupé.
Là, au milieu de la cour, son propre visage - imité avec une précision hallucinante - le défiait du regard.
Akhab.
Puis, l'image changea et devint celle d'un vaisseau spatial, derrière lequel on pouvait voir un disque marqué d'une croix.
Les autres hommes ont quitté Ancil'.
Les Mularis patientèrent un instant, puis permutèrent une dernière fois. · nouveau, Akhab se vit lui-même - mais son visage était à présent encadré par les murs du Donjon, tandis que dans le ciel, un pseudosaure monstrueux approchait.
Pourquoi es-tu resté ?
Akhab se mordit les lèvres.
- Qu'est-ce que ça peut vous faire, bon sang ?
Mais c'était évidemment inutile. Les Mularis n'avaient pas bougé d'un pouce. Ils attendaient sa réponse. Akhab réfléchit rapidement, puis se dessina lui-même, debout sur le sol d'Ancil'.
Dans le cercle, l'oil réapparut et se ferma deux fois en signe d'agrément. Akhab reprit aussitôt son dessin. Derrière sa propre silhouette, il ajouta celle d'autres hommes courant vers le vaisseau de Hollander. Au dessus d'eux, il traça une tête de mort.
Les autres ont eu peur.
Puis, il se dessina à nouveau lui-même - mais cette fois, en beaucoup plus grand. Sur son visage s'étalait un immense sourire schématique. Au-dessus : un poing fermé - symbole de courage. Dans le ciel, à côté de lui, la Murène-pseudosaure n'avait plus du tout l'air terrifiante.
Moi, je n'ai pas peur.
Un point d'interrogation, encore une fois.
Pourquoi ?
- Parce que je suis un héros, ricana Akhab. Un grand soldat.
Sur l'écran, il entoura sa propre représentation géante de plusieurs cercles rouges. L'oil des Mularis se ferma à demi.
Nous ne sommes pas Sûrs de comprendre.
Alors, Akhab se mit à arpenter le trottoir de long en large. Tous les trois pas, il s'arrêtait, défiait du regard le ciel en furie, brandissait le poing et crachait des imprécations. Puis, il reprenait sa marche, roulant des épaules, bombant le torse et faisant saillir ses biceps sous l'étoffe de sa combinaison, sans cesser de crier :
- Un héros ! Un grand soldat ! pour couvrir les hurlements du vent.
Un nuage de poussière et de terre s'abattit sur lui. Dans la cour, l'oil des Mularis était fermé. Akhab se laissa tomber sur le trottoir, sans savoir si la sensation de vide qu'il éprouvait était due à la fatigue ou au soulagement. Il reprit son souffle, tant bien que mal. Loin au-dessus de lui, le cercle de ciel visible entre les murs du Donjon était d'une obscure couleur ardoise.
Lorsqu'il se releva, les Mularis avaient disparu.

Un peu plus tard, Akhab se souvint qu'Hollander, quelques jours après que les hommes l'aient rejoint, avait fait déplacer à l'extérieur du Donjon une pierre de la muraille ouest. Elle était presque entièrement descellée, et menaçait de s'effondrer à tout moment.
Munie d'une lampe-laser, Akhab fit le tour de l'édifice. Il finit par trouver le bloc, qui avait glissé au pied d'un petit talus. En pesant sur l'une des arêtes en porte-à-faux, il parvint à l'ébranler - et, par contre-coup, à estimer son poids : dans les quatre-vingt kilos.
Il lui fallut trois heures pour le traîner dans la cour, et une de plus pour le faire glisser jusqu'à l'escalier. Après quoi, épuisé, il s'endormit sur la terre qui tremblait.

Il passa presque toute la journée du lendemain cloîtré dans sa cellule. Dehors, le temps s'était encore dégradé. Le vacarme du vent, renforcé par le tambour intermittent des séismes qui se succédaient de plus en plus vite, ressemblait au cri d'un animal à l'agonie. La chaleur était insupportable.
Ancil' mourait - et Akhab avec elle. Il n'avait plus la force de boire ou de manger. Il se contentait de rester allongé sur son lit, les yeux fermés, en essayant de ne pas hurler lorsqu'une rafale menaçait d'arracher la porte de sa cellule.
Il pensait à la Murène. Il rêvait d'elle - puisqu'il ne pouvait pas la voir. Il l'imaginait, suspendue dans le ciel. Il la défiait, tandis qu'Hollander prenait la fuite et que les Mularis l'acclamaient. Ensuite, il s'étendait entre les nuages, et tous les arbres d'Ancil' se mettaient à repousser sur son corps. Un fleuve émeraude sortait de sa bouche et se jetait dans le vide. De grands oiseaux paisibles planaient devant ses yeux.
Il s'endormit de nouveau. Rêva de nouveau. Quelque chose avait changé en lui. Il se sentait plus fort. Il se leva, but un peu d'eau. Pensa aux Mularis dans leur labyrinthe.
La nuit vint, hantée par la tempête. Puis les soleils se levèrent. Et ce fut le dernier jour.

Akhab ouvrit les yeux. La porte de sa cellule avait disparu. Une lumière jaune, fragmentée, se tordait en hurlant dans l'embrasure - comme si le vent était la lumière. Akhab se dressa sur un coude, stupéfait d'avoir dormi si longtemps. Il regarda autour de lui. La cellule était méconnaissable. De son bureau, il ne restait rien, sinon quelques éclats de bois qui dansaient dans l'air brûlant. Dans un coin, il aperçut un tiroir - étrangement intact. Il battit des paupières. Le tiroir bondit à travers la pièce, et s'évanouit à l'extérieur.
Akhab se leva, rajusta étroitement les attaches de sa combinaison. Les draps dans lesquels il avait dormi n'étaient nulle part. Tout le flanc gauche de son matelas semblait avoir brûlé pendant la nuit, et le cadre métallique du sommier n'était plus qu'une masse informe. Sous ses pieds, Akhab pouvait sentir le mouvement des dalles de pierre, qui commençaient à se desceller.
Il sortit. Une fissure en S, le long de laquelle se dressaient des tumulus informes, éventrait la cour d'un bord à l'autre. Un nuage de terre noire, fine comme de la farine, tourbillonnait entre les murs circulaires du Donjon. Akhab s'engagea sur le trottoir incurvé, courut jusqu'à l'ancien centre de communication. Le vent violent avait jeté les câbles dans un coin de la pièce. Ils remuaient faiblement, comme de gros vers. Akhab les ramassa, puis tituba jusqu'à l'échelle et se mit à grimper.
La muraille tanguait devant lui. Les barreaux d'hypercarbone grinçaient dans leur logement de pierre. Akhab avait l'impression d'escalader le mât d'un bateau en perdition. Mais il tint bon. Chaque fois que le vent menaçait de l'emporter au loin, il s'agrippait avec une force décuplée - et cette énergie dans laquelle il puisait, et qui semblait soudain sans limite, l'émerveillait et le terrifiait.
Il sortit enfin sur le chemin de ronde, à plat ventre. De la main droite, il attacha l'un des câbles au dernier barreau de l'échelle, puis entrava sa cheville. De la gauche, il passa un autre câble autour d'une aspérité du rempart, et noua la boucle sur sa taille.
Alors seulement, il se redressa.
Le monde n'était plus le monde. Le monde était un m'lstrom de nuées grises, dans les profondeurs desquelles virevoltaient des formes hideuses, déchiquetées. Des flammes gigantesques dansaient entre elles. Les arbres, qui avaient protégé le Donjon pendant des siècles, avaient disparu. Ils tournoyaient à cinq ou six cents mètres au-dessus des remparts. Akhab les contempla un long moment, incrédule et vit l'un d'eux, brutalement expulsé de la trombe, se briser en deux et retomber vers lui. Il s'accroupit et se protégea instinctivement le crâne. Le tronc écorché rebondit sur le Donjon avant d'aller se ficher en terre.
La Murène brûlait le monde. Elle le dévorait, le digérait - et ses hurlements étaient ceux d'une bête affamée.
Akhab crut la voir. Au centre obscur de la destruction, il entrevit une forme gigantesque, nimbée de lumière noire. Il sentit sa force, puisée des étoiles. Il entendit son souffle et s'étourdit à la lueur de ses crocs innombrables.
Il tomba à genoux, anéanti. Roula sur le côté. Loin sous lui, la cour achevait de se rompre. Seule subsistait encore la géométrie des trottoirs - et le rectangle noir de l'escalier.
Akhab eut un haut-le-corps. L'escalier était ouvert. Le bloc dont il s'était servi pour le condamner avait glissé sur deux ou trois mètres - et de minuscules silhouettes multicolores se ruaient par l'ouverture. Les Mularis.
Ils quittaient le labyrinthe - tous ! Plusieurs centaines de milliers, plusieurs millions peut-être. Ils envahissaient la cour par vagues successives, s'entassaient sur deux, trois, dix rangées. Akhab écarquilla les yeux. La poussière et la terre qui emplissaient l'air brouillaient les perspectives - mais il vit distinctement un cercle se former, au centre de la masse de fourrure.
Son visage apparut. Le regarda. Sourit et lui adressa un clin d'oil.
Akhab tendit la main, et traça un signe indistinct dans le vide. Mais il était trop tard. Les Mularis montaient vers lui. Ils poussaient son visage vers le sommet du Donjon, s'assemblaient sous lui, créaient des formes et leur donnaient vie. Akhab vit un front surgir du tapis multicolore. Des joues, un nez, un menton. Le visage était devenu une tête - qui sourit de nouveau, comme si elle voulait vérifier sa propre existence. Et déjà, le travail reprenait. Un cou apparut, rehaussant la tête de quelques mètres. Puis, des épaules se dessinèrent. Des bras se tendirent.
Akhab, le souffle coupé, vit son double géant emplir le Donjon. Il le vit déplier ses jambes immenses et se dresser à l'air libre, la tête au milieu des nuées - à plus de cent mètres du sol. Il le vit se pencher, s'emparer du tronc brisé dont l'extrémité reposait sur le rempart, et le brandir comme une lance.
Quelque part au cour du chaos, la Murène hurla sa colère.
De sa main libre, le grand soldat Mulari cueillit son petit frère humain et le jucha sur son épaule. Il assura ses deux pieds sur les trottoirs cannelés de la cour, vérifia l'unité et la beauté de son armure de pierre. Puis, dans la lumière et le vent sans fin, il fit face à la Murène et commença à combattre.
Il n'y eut plus qu'un seul Michel Akhab.
 
 
 

Blafade ta peau rouge ton regard
Roland C. Wagner


Sur la piste, immobiles, les danseurs enlacés exhibent leurs costumes impeccables et leurs visages maquillés. Paupières bleues et lèvres noires, coiffures décadentes aux reflets immuables. D’autres mannequins humains sont attablés devant des consommations auxquelles ils ne toucheront pas. La lumière des lustres à la structure cristalline et des projecteurs tamisés achève de fixer cette tranche de vie à travers laquelle j’évolue, observateur diaphane.
          Une femme est demeurée dans la position déséquilibrée du second pas d’une valse décalée, ses bras refermés autour d’un partenaire absent qui a échappé à la stase. J’effleure ses cheveux teints d’une main machinale qui disparaît dans les boucles pétrifiées. La femme sourit à demi, dévoilant une rangée de dents étincelantes entre deux lèvres de fraise au dessin enjôleur. De part et d’autre de sa tête rejetée en arrière, deux pendentifs tape-à-l’œil, saisis en plein mouvement, restent suspendus parallèlement au sol. Sa robe de soirée, toute de satin blanc, conserve à hauteur de la hanche l’empreinte de la main qui y était posée lorsque c’est arrivé.
          Etrange de songer que ces semi-cadavres sont plus réels que moi, qui suis pourtant doué de mouvement. Je viens de quitter la grande salle du casino, abandonnant les enchères interrompues du baccara, les jeux faits pour l’éternité de la roulette et ce croupier dont le pied n’en finit pas de presser la pédale destinée à ralentir la rotation de la bille d’ivoire.
          Glissement furtif à l’autre bout de la piste de danse. Je ne suis pas seul. Et, pour la première fois, un être humain ne fuit pas à mon approche. Frôlant les couples à l’apparente mais trompeuse plasticité, je me dirige vers la baie vitrée ouverte sur la nuit silencieuse. Derrière un pilier ouvragé, un homme aux rides accentuées par l’éclairage rasant est penché sur une fille peu vêtue ; leurs lèvres qui se touchent presque ne se rejoindront jamais.
          Eclair vivant aux reflets de cuir noir, la louve semble se matérialiser devant moi. Dans ce monde où règne l’immobilité, le moindre déplacement acquiert une rapidité remarquable. Une question de perception.
          Je recule d’un pas, surpris malgré moi. Un sourire avide se dessine sur le visage de la louve, tout en dents régulières et acérées. Elle croit tenir une proie. La décevoir m’attriste ; son regard écarlate est voilé par la faim.
          - Fausse joie. Je ne suis pas un mouton.
          - Tu n’en as pas l’odeur, c’est vrai.
          - Je n’ai aucune odeur.
          Les narines de la louve palpitent ; son sourire s’efface. En deux enjambées, elle est tout contre moi. Ses mains s’abattent sur mes poignets, se referment dans le vide. Ses traits émaciés se creusent un peu plus.
          - Tu n’es pas là !
          - Je ne suis qu’une image.
          La louve inspire profondément, faisant saillir ses seins sous le sweat-shirt noir. Pourquoi les louves sont-elles toujours si belles ? Je voudrais la consoler, la serrer dans mes bras, lui offrir ma chair… Je n’en ai pas le pouvoir.
          - Depuis quand n’as-tu pas mangé ?
          - Question stupide. (Elle détourne le regard. Son profil aigu se détache sur le fond faiblement lumineux.) Longtemps. (Ses doigts s’attardent sur la joue d’un danseur. La peau n’en est ni chaude, ni froide. La louve n’éprouve aucune sensation thermique, sinon illusoire ; le tourbillon des électrons lui-même s’est arrêté.) Les moutons sont rares. Quand je t’ai vu, j’ai espéré… J’avais tort.
          - J’ai croisé un troupeau en venant ici.
          Elle étire ses jambes amaigries sur lesquelles flotte un pantalon dont le cuir noir, naguère, moulait ses formes. Ses yeux rouges, seule note de couleur dans son visage monochrome, reflètent son épuisement. L’abattement qui s’empare de moi me surprend ; je croyais n’avoir accès qu’à des ersatz de sentiments transcrits en langage binaire.
          - Loin ?
          - Trop loin pour que tu le rejoignes avant de mourir.
          Elle hoche la tête, résignée. Ses longs cheveux noirs ondulent dans la lumière. J’avais oublié ce qu’était la vie, ce que représentaient les créatures de chair ; même affaiblie, la louve est un océan d’existence dont la présence me stimule. Je voudrais être capable de transgresser la règle de non-intervention.
          - J’ai sommeil.
          - Il doit bien y avoir un lit hors stase dans cette ville.
          Elle bat des paupières, aguicheuse. Mais ce que je prends pour une tentative de séduction n’est peut-être que réaction nerveuse due à la fatigue.
          - Je ne sais pas qui tu es, foutu spectre, ni ce que tu fais là, mais je te remercie. Je m’appelle Sandra. Et toi ?
          - Regard.

          Sandra s’est assoupie dans le lit à baldaquin d’une suite impériale au luxe fin de siècle, sans même ôter ses vêtements pour goûter la douceur des draps de soie blanche. Assis à son chevet, je la contemple, cherchant à éteindre ce feu qui brûle en moi. Mais il m’est impossible de la préserver. Je suis dans l’incapacité d’agir ; mon aide reste virtuelle, désespérément immatérielle.
          Parce que je ne suis pas vivant moi-même ?
          Au-dehors, les rouleaux pétrifiés de la mer n’en finissent pas de mourir sur un rivage désert. L’œil rond de la Lune, dont l’éclat éclipse celui des étoiles, ne cille ni ne scintille. Une silhouette se dresse au bout d’une jetée, drapée dans une robe blanche de banshee. J’essaye de me persuader que tout ceci ne peut être que provisoire, que les gestes avortés vont s’achever, que le temps s’est simplement accordé une pause… En vain. Ailleurs, pourquoi pas ? il suit son cours, mais loups et moutons sont pris au piège d’une infime fraction de seconde devenue éternelle.
          Mon regard revient se poser sur la louve qui dort, couchée en chien de fusil, sa lourde chevelure étalée sur l’oreiller brodé. Contrairement à ceux de sa race qu’il m’a été donné de rencontrer, elle n’a été effrayée ni par mon absence d’odeur, ni par l’impalpabilité de mon corps. Sans doute parce qu’elle est trop affamée pour avoir peur. Je n’ai pu connaître l’éventuelle réaction des moutons ; ils s’enfuient dès que je leur apparais, me prenant pour un loup.
          Ma solitude me pèse. Pourquoi faut-il que celle qui en est venue à bout soit condamnée à mort ?

          - Tu as tué beaucoup de moutons ?
          Elle plonge son regard dans le mien. Les loups possèdent un certain pouvoir hypnotique ; bien qu’il soit sans effet sur moi, je ne peux m’empêcher de frissonner en affrontant les pupilles sanglantes de Sandra. Mes réactions et mes sentiments sont parfois bien humains.
          - Quand c’est arrivé, j’étais le seul agissant de la banlieue où je vivais. J’ai cru devenir dingue ! Quand la faim a commencé à se manifester, j’ai cherché de quoi manger, mais je n’ai rien trouvé. Par contre, j’ai rencontré deux autres rescapés. Nous avons allié nos efforts et, des jours durant, nous avons hanté les magasins, pour tenter d’arracher à la stase ne fût-ce qu’une boîte de conserve… (Sandra secoue la tête.) Nous n’étions pas des loups. Pas encore. Si le hasard l’avait voulu, nous serions devenus des moutons.
          « Nous n’étions pas tellement copains, tous les trois. Pour éviter la bagarre, j’ai dû me partager entre Marc et Julien. Ils voulaient baiser - c’est le mot - tout le temps. Je crois que ça les aidait à oublier. Mais ils ont fini par se lasser des parties de jambes en l’air. Tu vois, ça m’a plutôt soulagée… Enfin, un jour, à cause de sa faiblesse, Julien est tombé du troisième étage. On n’a pas hésité une seule seconde. D’abord parce qu’on n’avait rien à foutre de lui - et surtout, parce qu’il était devenu, en mourrant, de la nourriture !
          - Et cela a fait de vous deux des loups…
          - Je crois que la première nourriture détermine la direction que prend la mutation. (Elle enfouit son visage dans ses mains. Quand elle ose à nouveau me regarder en face, des larmes brillent dans ses yeux.) Un peu plus tard, quand Julien a été… fini, on a rencontré un mouton. Ça a été instinctif. Dès qu’on a vu ses joues rondes et sa chevelure de laine, on lui a sauté dessus. Il n’a pas compris ce qui lui arrivait. Il n’avait certainement jamais vu de loup… Il est venu à nous, tout souriant, heureux de trouver des êtres vivants - et nous l’avons tué ! Ce n’est que plus tard encore, quand on a découvert tout un verger hors stase, qu’on a compris que quelque chose avait changé en nous. Les fruits nous ont rendus malades…
          - Les loups n’assimilent pas la nourriture des moutons. J’ignore si la réciproque est vraie.
          Elle joue avec sa cigarette éteinte. À son réveil, elle a mis la main sur une cartouche de gauloises ; j’ai l’impression qu’elle sent plus ou moins ce qui est figé et ce qui ne l’est pas. Un aspect de la mutation ?
          - Le mouton a duré un bon moment, mais on a fini par se retrouver aussi affamés qu’avant. Marc a essayé de me tuer. Je me suis défendue. C’était horrible ! Nous étions deux fauves luttant pour leur survie, deux carnassiers rendus fous par la faim ! J’en conserve encore des traces, regarde ! (Elle a soulevé son sweat-shirt ; son sein gauche porte l’empreinte mal cicatrisée d’une dentition humaine ; des griffures violacées zèbrent son flanc.) L’un de nous devait y passer ; j’ai eu la chance de lui ouvrir le crâne avant qu’il ne m’égorge…
          - Je ne savais pas que les loups pouvaient se manger entre eux.
          - Ils ne le peuvent pas, réplique Sandra. J’ai tout vomi. Seule la viande de mouton… Quand j’ai compris que sa mort avait été inutile, j’ai marché vers le Nord. J’avais de plus en plus faim… Mais j’ai continué à marcher, plus faible à chaque kilomètre parcouru… Et maintenant, j’ai peur de la mort.
          - Nous allons partir d’ici.
          - Non, j’abandonne. Je ne peux plus faire un pas.
          - Nous trouverons un véhicule.
          - Aucun de ceux que j’ai vus n’avait échappé à la stase.
          - Je chercherai pour toi.

          Le vélomoteur suit le littoral à une allure réduite. Dans ce monde de silence, les pétarades de son moteur semblent démesurées, presque obscènes. L’air lui-même les amplifie, leur fait écho, répercutant à l’infini le bruit saccadé des explosions enchaînées.
          Les villages que nous traversons présentent tous le même spectacle de musée de cire : enfants adoptant des postures acrobatiques, animaux familiers souvent figés au milieu d’un bond, le corps tendu, les pattes raidies au-dessus du sol, adultes réunis par groupes qu’auréole parfois un nuage de fumée solide qu’aucun vent ne vient déformer. La nuit venait de tomber quand l’événement s’est produit. Dans d’autres fuseaux horaires, les rues sont vides, ou emplies d’une foule aux remous aussi hiératiques qu’aujourd’hui les vagues de la mer. Cet univers n’est pas tout à fait mort, mais peu s’en faut. Quand le dernier loup aura mangé le dernier mouton…
          À l’entrée d’un hameau, un adolescent rieur serre la main osseuse d’un squelette gisant à terre, vêtu d’une robe à fleurs. Je ne peux m’empêcher d’imaginer la jeune fille prisonnière, incapable de se dégager de l’étreinte de son amoureux, s’affolant, cherchant tout d’abord à écarter les doigts pétrifiés, voire à les briser, puis frappant, martelant la chair rigide, en pleurs, se débattant de longues heures avant de s’effondrer dans une position de total découragement, attendant la mort désormais inévitable… Pourquoi suis-je toujours hanté par des pensées de cet ordre ? Pourquoi la fin d’une vie me rend-elle malade ?
          Sandra a du mal à conserver l’équilibre du vélomoteur. Elle tombe de sommeil et d’inanition. Il faut que nous trouvions des moutons ! Mais nous ne pouvons compter que sur la chance, à la condition qu’elle ne soit pas, elle aussi, en stase.
          - Arrêtons-nous.
          - Pas encore. Il y a des moutons dans le coin.
          - Que feras-tu s’ils sont trop nombreux ?
          - Les moutons fuient les loups, ils ne les tuent pas.
          - Ils ne les mangent pas, mais rien ne les empêche de les tuer.
          - Alors, je suis fichue.
          Ce subit défaitisme me hérisse. Je voudrais empoigner la louve, la secouer pour la tirer de son apathie… Je ne peux que hurler :
          - T’es-tu vue ? Une morte-vivante ! Ces moutons, nombreux ou pas, sont ta dernière chance ! Tu en piégeras un, puis, une fois tes forces retrouvées, les autres constitueront des proies faciles…
          Ses doigts se referment sur la poignée du frein. Le vélomoteur s’arrête. Sandra coupe les gaz et appuie l’engin contre un arbre.
          - J’ai besoin de dormir. Qui dort dîne, c’est bien connu.
          Elle s’étend sur le bas-côté, considérant avec tristesse l’herbe dont les brins, en apparence si moelleux, sont autant de poignards effilés. Elle dort déjà, la tête appuyée sur ses bras repliés, ses paupières rougies masquant ses yeux languides. Sous le pantalon de cuir, ses cuisses ont l’épaisseur qu’avaient jadis ses bras. Je n’ai encore jamais vu personne dans un tel état de cachexie. Où trouve-t-elle l’énergie nécessaire à ses mouvements ?

          Le panneau publicitaire vante les mérites d’une chaîne de boucheries. En son centre est cloué un loup exsangue : un pieu de bois traverse sa poitrine et le support de l’affiche ; bras et jambes sont percés de pointes de toutes tailles ; le visage martelé ne ressemble plus qu’à une écuelle de pâtée pour chiens. Il y a du sang partout, en taches étirées évoquant un lettrage pour générique de film d’horreur. Je réalise soudain que ce sont bien des lettres, réparties en quatre mots :
          LOUP TON SORT DEMAIN
          Sandra s’effondre, entraînant le vélomoteur dans sa chute. Une fois de plus, mon impuissance me torture. Je ne peux qu’attendre.
          Nous sommes dans un faubourg ouvrier, aux maisons de brique rouge écrasées par les façades d’usines et d’entrepôts. Une cheminée interminable est couronnée d’un panache de fumée torturé, blafarde sur le ciel noir, brutalement interrompu, comme sectionné, son extrémité ayant échappé à l’arrêt du temps.
          La louve revient à elle. Faiblesse et désespoir dans ses yeux de sang. Après plusieurs tentatives manquées, elle parvient à s’asseoir. Nous restons un long moment sans parler. Les mots sont inutiles. Nous savons tous deux que la fin est proche. Sandra n’a même plus la force de se hisser sur le vélomoteur.
          La chance doit être en stase.
          - Tu ne peux pas rester là. Les moutons…
          - Où veux-tu que j’aille ?
          La violence de son ton me prend par surprise. M’en voudrait-elle ? Non, je pense plutôt qu’elle cherche à me chasser pour mourir seule, comme un animal blessé. Sans me départir de mon calme, je lui désigne la porte entrouverte d’un pavillon. À l’intérieur, elle sera tranquille, elle pourra agoniser en toute quiétude. Mais est-ce bien la peine de le lui préciser ? Nous communiquons au-delà des mots, la situation elle-même étant suffisamment éloquente. Nos phrases, nos gestes, nos regards charrient la mort, bien qu’elle ne soit jamais nommée.
          La louve progresse à quatre pattes, famélique parodie de l’animal dont elle porte le nom. Elle se glisse dans la maison. Quand je pénètre à mon tour dans la cuisine déserte, Sandra gît sur le carrelage, haletante, incapable d’aller plus loin. L’abandonnant sur quelques mots d’encouragement, je fais un rapide tour du propriétaire. La famille au grand complet, des parents au bâtard interrompu dans ses frétillements, est réunie dans le salon, fascinée par l’image d’un joueur de tennis stoppé en plein effort sur l’écran de télévision, qui ferait une très bonne couverture de magazine sportif.
          Sandra a atteint le couloir moquetté de vert. Elle rampe désormais, lourde malgré sa maigreur. Infinie pesanteur d’un corps qui achève de brûler ses réserves d’énergie. Ses lèvres se confondent avec son visage. Je peux entendre les battements irréguliers de son cœur.
          - Je pars à la recherche des moutons.
          - C’est inutile… Tu le sais…
          - J’ai le droit d’essayer.
          - Regard…
          J’ai déjà quitté la maison, une douleur sourde pulsant au creux de mon absence de ventre. Comment la simple image que je suis peut-elle souffrir ? Je me croyais à l’abri de ce genre de désagrément.

          Là où la banlieue cède la place à la ville se dresse un hôpital en construction. L’une de ses tours, inachevée, constitue un observatoire idéal. Je presse le pas ; je pourrais me déplacer quasi instantanément, mais ces derniers temps, mes actes et mes attitudes tendent à l’anthropomorphisme. Je singe l’homme, caricature immatérielle, poursuivi par les traits creusés de Sandra - blafarde ta peau, rouge ton regard…
          Je me fige, un instant identique à ces milliards de mannequins qui parsèment la Terre, présentant toutes les modes dans une vitrine à l’échelle planétaire. L’aile de l’hôpital où je comptais me rendre a échappé à la stase ; les moutons s’y sont installés.
          Deux d’entre eux montent la garde, fusil de chasse cassé à la saignée du coude. Le loup mutilé n’était pas un avertissement gratuit. Ce troupeau, visiblement sédentarisé, est le mieux organisé qu’il m’ait été donné de rencontrer, si j’en juge par les uniformes gris souris des deux hommes, la triple rangée de barbelés entourant la base de la tour et la jeep qu’un troisième mouton bricole un peu plus loin. Je parierais que les caves regorgent de matériel et de victuailles. Ils ont dû écumer le secteur. Organisés - donc, dangereux.
          Combien sont-ils ? Comment ont-ils réussi à accumuler un tel stock ? Un homme sur trente mille, à peine, a échappé à la pétrification ; pour les objets, la proportion est plus faible encore. Statistiquement, un loup a plus de chances de se mettre un mouton sous la dent que ce même mouton n’en a de trouver fruits ou légumes hors stase.
          Pourtant, la louve se meurt au fond de la banlieue, tandis que ces moutons sont prospères et bien nourris.
          Je dois trouver une solution sans attendre. Sandra est trop faible pour assurer elle-même sa subsistance. Sans mon aide, elle est perdue. Mais que puis-je faire pour elle, moi qui n’ai pas de corps ?
          Des enfants jaillissent de la tour. Tous ont la bouille rondelette des agneaux en parfaite santé. Étrange… Jusqu’ici, aucun des troupeaux que j’ai croisés ne comportait d’agneau ; les loups leur avaient fait leur affaire. Seule la sédentarité permet la survie d’enfants. Je crois avoir trouvé cette solution que je cherchais.
          A condition de faire vite, car le temps presse.

          Comment puis-je parler de temps, moi qui suis né avec la catastrophe ?
          Certes, les informations que contient ma mémoire ont été compilées bien avant cette chute d’une partie de l’humanité dans une infinie fraction de seconde - et peut-être l’ont-elles été en prévision d’un événement comme celui-ci - mais le souvenir du temps n’en apporte pas la connaissance.
          Parfois, j’ai la sensation que ce n’est pas ma mémoire qui répond aux incessantes questions qui me hantent. Comme si quelqu’un m’épiait en permanence et me fournissait les éléments qu’il juge indispensables tout en censurant les autres.
          Je ne suis personne, et à peine quelque chose.
          Je crois que ce monde n’a pas été créé accidentellement, qu’il s’agit d’une quelconque expérience dont je suis le témoin désigné, fort de tout un bagage qui ne m’appartient pas en propre.
          Un bagage ? Plutôt un fardeau.

          Ces moutons se sentent en sécurité. Sans doute n’ont-ils pas vu de loup depuis un bon moment ; celui qu’ils ont crucifié sur l’affiche commençait à sentir. Ma tâche n’en sera que plus facile, car la méfiance est mon adversaire.
          Trois agneaux viennent dans ma direction. Criminel de laisser des enfants se promener sans protection dans un monde comme celui-ci. Je m’éloigne vivement, glissant d’ombre en ombre. Il n’est pas encore temps de me montrer.
          Les agneaux passent devant moi, discutant de ce qu’ils vont faire dans l’immédiat. Leurs voix aiguës s’affrontent avec cet entêtement qui est celui des enfants. Ils ne sont pas d’accord au sujet du jeu auquel ils vont se livrer. J’écoute à peine leur babillage, souhaitant qu’ils se séparent.
          Ils s’éloignent, tortillant leurs postérieurs dodus. Sandra, j’en suis certain, en aurait l’eau à la bouche. Un sentiment contradictoire me vrille, aveuglant. Ces enfants sont la vie, mais la louve l’est aussi. Ai-je le droit d’effectuer un choix, de me substituer au destin ? Une existence en vaut-elle une autre ? Ce dilemme me torture. Qui, de Sandra ou de l’un des agneaux, est le plus digne de vivre ? Je n’arrive pas à me décider. Aurais-je donc une conscience ?
          Arrivés à un carrefour, les agneaux se séparent. J’emboîte le pas au plus jeune, dont les joues pleines font plaisir à voir. L’instant crucial est proche. Je ne dois pas douter. La survie de Sandra dépend de mon inflexibilité.
          J’apparais soudain devant l’enfant, surgissant du néant. Il tressaille, fait mine de s’enfuir.
          - Ne crains rien. Je ne suis pas un loup.
          - Tu sens pas comme un mouton !
          Il recule pas à pas, cherchant un refuge du regard. On lui a fait la leçon.
          - Je suis un fantôme. Je ne peux pas te faire de mal.
          - Un fantôme ? Y en a pas, c’est des âneries !
          La plupart des anciens mythes ont disparu avec l’arrêt du temps ; seule subsiste la peur du Grand Méchant Loup, regroupement de toutes les angoisses. Je me souviens d’un troupeau de moutons que j’ai pu observer en demeurant invisible. Ses membres avaient retrouvé un vieux projecteur Super 8 et se passaient tous les soirs Les trois petits cochons, par pur masochisme.
          J’ai joué là-dessus. Les fantômes n’inquiètent plus, car ils ne sont plus liés à une quelconque notion de danger. Je tends une main vers l’enfant hésitant.
          - Essaye de me toucher.
          Il avance une menotte timide, prêt à fuir si je fais le moindre mouvement menaçant. Ses doigts potelés plongent à travers mon apparence. La peur le quitte.
          - Pourquoi je peux pas te toucher ?
          - Parce que je ne suis pas là.
          - Où t’es, alors ?
          - Nulle part…
          - Et ça fait quoi, un fantôme ?
          - Ça donne des cadeaux.
          Moue soupçonneuse.
          - C’est sûr, ça ?
          - Puisque je te le dis.
          - T’en as un pour moi ?
          - Oui, un superbe. Mais il faut que tu viennes avec moi.
          - Tu peux pas l’apporter ?
          J’écarte les mains, paume en l’air, essayant d’arborer l’expression la plus innocente possible.
          - Je ne peux rien prendre.
          - Il est loin, le cadeau ?
          - Non, un quart d’heure à pied.
          - On y va ?

          - Tu m’attends ici ? Je vais voir s’il n’y a pas de danger.
          - Pourquoi y en aurait ?
          - Un loup a pu trouver le cadeau…
          Je pénètre dans la maison. Le doute est toujours là, obstiné. Je ne peux m’empêcher d’éprouver une affection toute paternelle pour l’agneau. Mais mon sentiment envers Sandra est plus fort que tout. Elle doit vivre.
          Elle gît dans le couloir, inconsciente. Le soulèvement irrégulier de sa poitrine m’indique qu’elle vit encore. Je l’appelle doucement. Ses paupières boursouflées se soulèvent sur un regard vide qui s’anime peu à peu, tandis que je continue à murmurer son nom. Elle me reconnaît enfin, tente de s’asseoir mais retombe en arrière, molle, sans volonté.
          - Regard… Tu es revenu ?
          - J’ai de la viande pour toi.
          - De la viande ?
          Elle est à genoux, s’appuyant à un meuble branlant. Les efforts qu’elle accomplit pour se redresser déforment ses traits d’une horrible manière. Sa laideur m’effraie. Ce n’est plus une femme que j’ai devant moi, mais un fauve, un carnassier affamé. Ai-je fait le bon choix ? Je voudrais tant cesser de douter.
          - J’ai attiré un agneau.
          - Où est-il ?
          Elle m’a interrompu, obnubilée par la proximité de la nourriture. Un filet de salive coule le long de sa mâchoire. Réflexe pavlovien.
          - Dans le jardin.
          Elle titube jusqu’à la porte. Pour la millième fois, je me demande où elle trouve la force de se déplacer. Son corps n’est qu’une carcasse vide, une peau trop grande, flasque, flottant sur un squelette prêt à tomber en poussière.
          Elle est dehors. Ses yeux engloutissent le regard de l’enfant ; malgré sa terreur, il ne peut s’enfuir. Sandra se rue sur lui, les ongles brandis, les dents découvertes en un rictus d’avidité. Un fauve, vraiment. Elle s’empare de l’agneau, se prépare à lui broyer la gorge entre ses crocs…
          - Tire-toi !
          Elle l’a lâché et repoussé loin d’elle. Ses jambes se dérobent sous elle. Recroquevillée sur le sol, elle insulte l’enfant, le supplie de s’en aller. L’agneau ne comprend pas ce qui lui arrive. Il reste là, immobile, le visage déformé par la peur.
          - Mais fous le camp, petit con !
          Elle bondit sur lui, s’effondre à ses pieds. Ses ongles déchirent le bras dodu. L’enfant, réalisant enfin ce qui se passe, s’enfuit à toutes jambes dans la direction de l’hôpital. Il va rameuter le troupeau. Ils viendront, avec des chiens et des fusils, pour débusquer la louve et la tuer. Puis ils s’acharneront sur son cadavre, comme des lâches qu’ils sont.
          - Pourquoi as-tu fait ça ?
          - C’était un enfant…
          Sa voix n’est qu’un murmure imperceptible, un filet ténu entre ses lèvres sans couleur.
          - Et alors ?
          - Es-tu insensible ? Je n’ai pas pu, c’est tout…
          - L’instinct maternel ?
          - Trouve ça ridicule si tu veux… Oui, l’instinct maternel, foutue machine, mécanique de merde… Oh, je sais ce que tu es, maintenant… Je l’avais oublié, mais ça m’est revenu… Regard… L’Oeil de la Science… On a fait tout un battage autour de toi, avant… Tu te crois une image ? Tu es moins que ça encore… Pas même l’image d’une image !
          Elle retombe, évanouie, me laissant seul.

          Ce monde est bien une expérience.
          Je songe à ce nom que m’a donné Sandra. L’Oeil de la Science…
          Il était impossible d’explorer les mondes extérieurs au Système solaire, de visiter le fond des océans ou l’atmosphère des planètes géantes… Trop de problèmes techniques. On a donc mis au point un programme sans précédent qui, injecté dans un ordinateur couplé à divers appareils, permettait de projeter une image qui jouerait également le rôle d’une caméra, d’un œil virtuel qu’aucune condition extérieure n’empêcherait de fonctionner…
          À présent, les informations affluent. L’assemblage de circuits qui m’a donné le jour ne me cache plus rien.
          Cet ordinateur a échappé à l’arrêt du temps. Peut-être même l’a-t-il plus ou moins suscité. Après avoir étudié la situation, il m’a envoyé parcourir cette Terre malade. Parce qu’un témoin était nécessaire dans le cas, fort improbable, où le temps reprendrait son cours normal.
          Nous sommes sur un bras mort, un méandre fermé du fleuve temporel, où les bases sur lesquelles repose la réalité ont subi de profondes modifications. C’est pourquoi les rescapés sont devenus des loups et des moutons, et que j’ai pris conscience, m’humanisant peu à peu…
          Sandra avait tort. Je ne suis plus une machine, ni même son émanation. Mon créateur a perdu tout contrôle sur moi ; devenu autonome, je dispose désormais d’une caricature de sensibilité humaine.
          Et je souffre, moi qui aime la vie, de la voir s’étioler, s’acheminer vers sa destruction. Mais je ne suis que l’image d’une image… Une apparence ténue, sans le moindre pouvoir.
          Je voudrais que Sandra revienne à elle, qu’elle me manifeste une quelconque affection, car j’ai besoin d’amitié - d’amour, peut-être… Mais comment demander à qui que ce soit d’éprouver le moindre sentiment - mis à part la haine - pour une simple illusion ?
          J’entends déjà les chiens aboyer. Il me semble qu’ils crient mon nom, mais ce n’est qu’une hallucination née de ma tristesse. Je crois que j’aimerais qu’ils me sautent à la gorge, qu’ils me déchirent de leurs crocs…
          Mais voilà : je n’ai pas de gorge, ni de corps. Il m’est impossible de mourir, à moins que quelqu’un ne détruise la machine qui m’a créé.
          Mon existence ne durera qu’une fraction de seconde. Qui ne finira jamais.

          Sandra vient de mourir.
 
 

Leçon de chose
de Bernard Weber.




Ecrite 11.4.92 à 12h20

LECON DE CHOSES.

INTRODUCTION: Nous avons tous, lorsque nous étions enfants, eu des humains d'appartement qu'on faisait jouer dans des cages avec des roues tournantes ou bien qu'on gardait en aquarium au milieu d'un décor artificiel. Pourtant en dehors de ces animaux décoratifs ou ludiques, il existe des humains qui ne sont pas apprivoisés. Ils n'ont rien a voir avec nos humains des égouts ni nos humains des greniers qui prolifèrent et qu'on doit chasser à l'humanicide.  On sait en effet depuis quelques temps qu'il existe  une planète ou vivent des humains à l'état sauvage qui ne se doutent même pas de notre présence!

On situe ce lieu étrange près du raccourci 33. Là ils vivent en totale liberté. Nous le répétons ils sont différents de nos humains d'appartement ou de nos humains des égouts. Ils ont crée de grands nids, ils savent utiliser des outils, ils ont même un système de communication à base de petits piaillements qui leur est spécifique. Beaucoup de légendes circulent sur cette planète mythique où règnent les humains. On prétend qu'ils ont des bombes capables de tout faire exploser ou qu'ils utilisent comme monnaie des morceaux de papiers chiffons. Certains racontent que les humains se mangent entre eux ou qu'ils fabriquent des villes sous la mer. Pour faire la part des choses entre la réalité et la mythologie, notre  gouvernement a envoyé depuis 12008 (sous le fameux programme baptisé: "ne les tuons pas sans les comprendre") des explorateurs transparents, invisibles à leurs yeux qui ont pu les étudier. Si vous le souhaitez dans cette leçon de choses nous allons donc faire le bilan de ces recherches mal connues. Voici le plan:
"les êtres humains sauvages dans leur milieu",
"leur moeurs, leur mode de reproduction"
"comment les élever en appartement".

LES ETRES HUMAINS DANS LEUR MILIEU

Ou les trouve-t-on?
On trouve des êtres humains un peu partout dans nos galaxies, mais le seul endroit ou ils ont pu connaitre un développement autonome est sur la planète Terre. Ou se trouve la Terre? Il n'est pas rare lorsqu'on part en vacances, qu'on ait envie d'éviter les grands encombrements cosmiques des périodes estivales. On prend alors le raccourci 33 qui est plus long mais plus fluide. Aux alentours de la 700 milliardième unité de distance, si on ralentit un peu on arrive à distinguer une galaxie jaunatre assez peu brillante. Garons notre véhicule spatial et approchons nous.
Dans la banlieue d'un bras de cette galaxie on trouvera un système solaire assez vieux et défraichi et dans ce système solaire, la terre est la seule planète ou l'on trouve des traces de vie.
On comprend dès lors que les humains aient pu se développer en dehors de la captivité. Dans un coin aussi reculé de l'espace, personne ne pense en effet à venir les déranger. On raconte que ce système solaire a d'ailleurs été découvert par hasard, par un touriste qui était tombé en panne dans ce coin perdu et qui cherchait de l'aide.
La terre est recouverte de vapeurs blanches et sa surface est plutot bleutée. Ce phénomène est du à une très grande abondance d'hydrogène. Une curiosité locale qui a entrainé la pousse de végétaux, et la naissance de plusieurs océans (voir alinéa 154)

Comment les reconnaitre?
Tout d'abord il ne faut pas confondre l'humain avec le cachalot ou le grizzli qui sont deux espèces qui vivent aussi sur terre. L'humain est plus petit que le cachalot et moins poilu que le grizzli. Il ne faudra pas non plus confondre l'humain avec l'éléphant: ses dents sont plus petites. Ni avec l'escargot: l'humain n'a pas de coquille et est un tout petit peu moins baveux.
Prenons une loupe et examinons l'un de leur spécimen cobaye plus attentivement. Les humains de la terre, ressemblent à nos humains d'appartement ou à nos humains d'égout ou à nos humains de greniers. Ils ont des poils serrés sur le sommet du crane, la peau rose ou brune. Leurs mains sont remplies de doigts et leurs pieds aussi. Les humains tiennent en équilibre sur les pattes arrière les fesses légèrement en arrière. Au milieu de leur tête on trouve toute une serie de trous. Un grand trou bordé d'une ligne rouge qui leur sert de broyeur d'aliment et d'émetteur de sons. Deux petits trous qui leur servent à respirer (de l'oxygène essentiellement, les humains respirent de l'oxygène ne l'oublions pas), plus deux trous qui leurs servent à percevoir les sons, et deux trous qui leurs servent à percevoir les modulations de lumière. (Expérience de Kreg: si on met un bandeau sur le visage des humains ils trébuchent partout: donc la vue est un sens important chez les humains)
Les humains n'ont pas de queue.
Les humains n'ont aucun système radar qui leur permet d'évoluer dans le noir ce qui explique que leur activité nocture est bien plus faible. (expérience de Brons: plongeons un être humain dans une boite de conservee et bouchons le couvercle au bout d'un moment l'humain pousse des piaillements désespérés. Les humains ont peur du noir)
Les humains n'ont pas de fourrure, ni de griffes.
Les humains sentent une odeur caractéristique assez forte, ce que nous appelons l'odeur d'humain et que nous percevons d'autant plus fort que nous oublions de leur changer la litière de leur cage.

Comment trouver des humains sur la terre?
Il y a plusieurs moyens pour les débusquer. Tout d'abord suivre les fumées. On peut aussi tenter de reperer l'une de leur piste cela forme de grande lignes noires qu'on voit apparaitre dès l'atterissage de notre vaisseau spatial.
Les zones ou vivent les humains sont enfin facilement repérables de nuit par leurs petites lumières. Parfois même dans les forêts en poussant délicatement de la pointe de la tentacule un groupe d'arbre on peut débusquer des humains campeurs ou des humains paysans ou des humains scouts. On a plutot intérêt à piquer ceux là car ça ne déclenche pas de réaction de panique des humains avoisinant.
Il existe plusieurs sous espèces d'humains sur terre: les humains-aquatiques qui ont les pieds palmés et noirs, les humains-volants qui ont une grande aile triangulaire sur le dos, les humains-fumants qui produisent en permanence de la fumée par leur bouche.

Comment les aborder?
Il ne faut surtout pas les effrayer. N'oublions pas que les humains sauvages de la planète terre NE SAVENT MEME PAS QUE NOUS EXISTONS. La plupart sont même persuadés qu'au delà de leur système solaire il n'y a rien. Ils se croient seuls dans l'univers. Plusieurs de nos touristes ont éssayé de leur apparaitre pour communiquer avec eux, a chaque fois, l'effet a été radical: ils crient, puis ils tombent en arrière, livides. Un simple examen suffit dès lors à diagnostiquer ce qu'ils ont. Ils sont...  morts de peur.
Ne nous en offusquons pas.
Il faut être conscient que pour des animaux aussi isolés les critères esthétiques sont différents de ceux qui circulent en général dans l'univers. ILS SE TROUVENT BEAUX et ILS NOUS TROUVENT HIDEUX! Non, ne riez pas c'est normal.
Le fait qu'ils meurent de peur, semblent même laisser à penser qu'ils nous trouvent vraiment très très laids. Ils trouvent leurs "mains" jolies et nos tentacules "effrayantes"!
Ce qui est d'autant plus amusant que l'on a tous vu nos humains de cirque se grimmer et tenter de mimer nos gestes et notre beauté...
Quelques uns de nos touristes ont certes essayé d'apparaitre déguisés en ustensiles ménagers, et ils ont certes évité l'effet "mort de peur" mais ils ont entrainé toutes sortes de quiproquos. Ce que les humains autochtones ont nommé l'effet "soucoupe volante". Ils croyaient qu'un des notres déguisé en soucoupe de tasse à café était un "véhicule de transport"! Donc il faut surtout éviter de les aborder directement en apparaissant. On doit toujours à leur contact rester invisibles et indétectables. De toute manière leur technologie est tellement archaique que vous ne risquez pas d'être surpris.
Nota: attention en se balladant en forêt on peut aussi se prendre dans ce qu'ils nomment des pièges à ours. Ca fait mal aux tentacules...

II - LEUR MOEURS LEUR MODE DE REPRODUCTION

- Leur mode de reproduction

la parade nuptiale.
Lors que vient la période des amours les humains se livrent à leur parade nuptiale. Contrairement au paon, que nous connaissons tous, ce n'est pas le male, mais la femelle qui affiche des couleurs bariolées et déploie ses atouts. Comme les humaines ne sont pas dotées de plumes, ni de crète, ni de jabot glonflant, elles enfilent des morceaux de tissus bariolés qui attirent l'attention visuelle des males. Chose curieuse les femelles couvrent certaines zones de tissus et en dévoilent d'autres. En général durant leur période de chaleurs les femelles couvrent leurs fesses et dévoilent le sommet de leur pis. Pour complèter leur pouvoir attractif elles mettent de la graisse de la baleine sur leur bouche et de la poudre de charbon sur leur paupières. Enfin elles s'aspergent de parfums subtilisées aux glandes sexuelles d'autres animaux terriens, comme le bouquetin dont elles extraient le musc pour s'en badigeonner. Elles volent mêmes les glandes sexuelles de fleurs pour obtenir de fausses odeurs de patchouli, lavande, rose.
En période de chaleur le male pour sa part se met à faire plein de bruits avec sa bouche, sorte de roucoulement (qu'il peut accompagner en grattant des boyaux de chats sur une calebasse).  Ce comportement assez proche de celui du grillon champetre ne s'avère pas forcément éfficace. Alors selon l'espèce, le male peut aussi faire sa parade en se passant de la graisse de porc dans les cheveux (gomina). Ou bien en gonflant son porte monnaie comme un jabot. Cette dernière forme de parade est la plus efficace.

la rencontre.
Les humains male et femelle se rencontrent dans des endroits spécialement concus à cet effet: les boite de nuit. Ce sont des lieux sombres et bruyants. Pourquoi sombres et bruyants? Sombre pour que le male ne puisse pas distinguer clairement le physique de la femelle (Il ne sent que son odeur de patchouli, musc ou rose). Bruyant pour que la femelle ne puisse pas distinguer clairement les propos du male. Avec la main elle tate juste son porte monnaie plus ou moins gonflé.

la reproduction
Comment se passe la reproduction de l'espèce? Des observations in vitro ont permi de résoudre le mystère de la reproduction humaine. Celle ci fonctionne par emboitement. Le système est assez original. Le male s'emboite dans la femelle grace à un petit appendice dont la taille correspond exactement à un réceptacle chez la femelle. Lorsque l'emboitement est bien solide, ils se remuent jusqu'à ce que la semence du male sorte. La femelle se met alors à gonfler.

la gestation
Les humains sont vivipares. Ils ne pondent pas d'oeuf. Ils gardent leurs petits dans le ventre pendant 9 mois.

Le nid.
Le nid est en béton armé. Pour que les parois soient moins blessantes ils les calfeutrent de mousses et de fibres tréssées. Ils accumulent à l'intérieur toutes sortes d'objets cubiques.

LEUR MOEURS

Les rituels humains.
Sur terre les humains ont des rituels exotiques. Dès les périodes estivales, ils migrent ves les zones chaudes. Cette migration se fait très lentement. Ils s'enferment dans des voitures méttalliques et restent de longues heures en avançant au pas (expérience de Wurms: si on laisse un male humain dans une voiture durant un certain temps il en ressort le visage couvert de poils!). Autre rituel tous les soirs ils allument une boite qui émet une lumière bleue  et restent plusieurs heures à la fixer dans un immobilisme total. Ce comportement est actuellement étudié par nos chercheurs. Il semble que comme les papillons les humains soient fascinés par la lumière bleue. Enfin le rituel le plus étrange est peut être celui qui les poussent à s'enfermer tous les jours à plus de 1000 dans un wagon de métro sans oxygène et sans aucune possibilité de se mouvoir.

la guerre.
Les humains aiment se tuer entre eux. (Expérience de Glark: mettez 60 humains dans un pot et cessez de les alimenter, ils finissent par s'entretuer avec une sauvagerie déconcertante). De loin on peut reperer leur champ de batailles aux détonations et aux crépitements caractéristiques de leur armes de métal.

La communication
Les humains communiquent en émettant des sons par leurs bouches et leur anus. On ne sait toujours pas lequel de ces deux modes de dialogue est le plus prisé. Il semble que le langage par la bouche servent à attirer alors que le deuxième mode de communication sert à faire fuir les adversaires.

III - COMMENT LES ELEVER EN APPARTEMENT

La cueillette
Tout d'abord, il ne faut pas marcher dessus. Il ne faut pas non plus les noyer dans la salive ni les jeter dans la soupe comme le font certains enfants.
On pourra les recueillir pour les étudier tranquillement à la maison mais si on les met dans un pot il ne faut pas oublier d'aménager des petits trous dans la partie supérieure du pot, sinon les petits humains dépérissent. N'oublions pas qu'ils ont besoin d'oxygène.

Comment peut-on entretenir un élevage d'humain en pot?
Si on veut que nos humains prolifèrent dans leur cage, il faudra prendre des couples: un male et une femelle. Pour être sur d'avoir une femmelle il faudra bien faire attention qu'elle ait des vêtements de couleurs bariolées et une longue crinière. Attention: il existe des femelles sans crinière. Pour en avoir le coeur net il suffit de plonger l'une de nos tentacules dans le pot. Si le piaillement est aigu: c'est une femelle.

Comment les nourrir?
En général les humains aiment bien les morceaux de pomme et les cuillerées de confiture de coing. Le plus simple est de les nourrir avec des graines. Un distributeur à graines en vente chez n'importe quel "humainier"  fera l'affaire. On peut aussi leur donner quelques miettes de pain mouillé dont ils se régaleront. Attention si on oublie de nourrir un groupe d'humains plus de 15 jours, ils finissent par s'entredévorer entre eux.

L'humainière
Le nid artificiel d'humain se nomme humainière. On peut en trouver chez le marchand (l'humainier) ou bien on peut se le fabriquer soi-même. Mais surtout on ne le répètera jamais assez il faudra aménager des petits trous dans la partie supérieure de l'humainière pour qu'ils respirent. Il faudra en outre surveiller la température et l'humidité. A quelle température les humains prolifèrent-ils le mieux? A 30° on peut les voir avec amusement quitter leurs petits oripeaux. Ils semblent heureux et se livrent à de nombreuses reproductions.
Nota bene 1. Si le nombre d'humains devient trop important il faut soit les changer de pot pour les installer par exemple dans un bocal de verre plus grand. Soit séparer les males des femelles. (attention non seulement il y a des femmelles sans crinières, mais il y aussi des males avec crinières, il suffit d'une erreur les reproductions se poursuivront).
Nota bene 2. Il faut mieux tenir l'humainière hors de portée des autres animaux aprivoisés de la maison. Les Chkronx notamment ont tendance à manger les humains dès qu'ils arrivent à percer le courvercle de l'humainière.

Peut on manger des humains?
Berk c'est dégoutant. Il parait que certains enfants mangent leur petits humains d'élevage. A priori le docteur Kreg que nous avons questionné sur la question, pense qu'ils ne sont pas toxiques. Cependant les humains sauvages de la terre étant très carnivores, il faudra se méfier de ne pas les manger vivants car sinon ils peuvent nous mordre de l'intérieur. Beaucoup d'enfants en ont fait l'expérience douloureuse.

Peut t on leur apprendre des tours?
Oui bien sur. Mais cela réclame de la patience. Certains enfants très doués arrivent à leur faire ramener des morceaux de bois ou même à leur faire faire des sauts périlleux. Il suffit de leur donner une récompense pour chaque tour réussit. "Les humains sont d'ailleurs parfois tellement adroits qu'ils nous ressemblent" penseront peut être certains d'entre vous. Il ne faut quand même pas exagerer...

Que faire de l'humainière une fois qu'on en est lassé?
Comme tous les jouets, il arrive que l'enfant qui a installé une humainière s'en lasse lorsqu'il devient plus agé. Le reflexe le plus simple est de jeter les humains dans le lavabo ou dans la poubelle ou dans les égouts. Dans les trois cas, s'ils n'ont pas été tués avant, nos humains apprivoisés capturés sur terre se retrouvent en contact avec nos humains des égouts. Les humains de la terre n'ont aucune défense, ils sont trop "civilisés" et ils se font mettre en charpie par les humains des égouts qui courent bien plus vite qu'eux et les chassent à mort. Ce n'est pas très correct vis à vis de nos compagnons d'enfance.
Nous ne serions donc trop conseiller aux enfants qui ne savent plus quoi faire de leur humainière, (à fortiori si elle composée d'humains sauvages de la terre), de les offrir à des enfants plus pauvres qui prendront peut être beaucoup de plaisir à continuer l'élevage.
FIN
 
 

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