Burger & Cantat

INTERVIEW DE RODOLPHE BURGER ET DE BERTRAND CANTAT SUR LEUR PARTICIPATION AU CONCERT DE SOUTIENT AU GISTI

 

 

Le 7 avril à l’Elysée Montmartre à paris, plus de trente artistes, une dizaine de réalisateurs, une salle et un producteur de concerts, se sont réunis pour essayer d’apporter une solution aux problèmes financiers du GISTI

 

Sous le signe de la "Liberté de Circulation", Noir Désir, Rodolphe Burger, Dominique A, Miossec, Louise Attaque, Rachid Taha, Théo Hakola, KDD, Little Rabbits, Rita Mitsouko, et de nombreuses autres formations de premier plan, ont participé activement à un concert unique où, pour une fois, les styles se sont mélangés et les groupes ont, à plusieurs reprises, partagé la scène. Nous avons rencontré Rodolphe Burger (ex-Kat Onoma) et Bertrand Cantat de Noir Désir à l'occasion de la sortie de l'album, enregistré live le soir même, et qui retrace quelques-uns des moments les plus prenants de l'événement

Comment a été conçue cette soirée ?

Bertrand Cantat : Pour faire un petit historique, je peux te dire qu'au tout départ l'idée est partie des Inrockuptibles Ils étaient souvent en contact avec le GISTI et étaient au courant de leurs énormes difficultés financières Or, connaissant leurs préoccupations et leurs idées, ils savaient qu'ils trouveraient certainement un écho en nous appelant et en appelant Rodolphe C'était un peu une évidence. Nous n'étions pas sûrs de pouvoir le faire à ce moment-là, mais il était évident que sur une cause comme ça, on aurait fait quelque chose quoi qu'il arrive. De là est née l'idée de ce concert de soutien Et, au delà de toute espérance, il y a eu énormément d'artistes qui ont été touchés, qui ont répondu oui, et même qui se sont portés volontaires Tout s'est fait autour de cette idée Il y a eu ensuite un certain nombre de répètes, aussi, histoire de créer un concept très différent avec des collaborations, même si naturellement tout le monde n'avait pas énormément de temps à consacrer à çà.

DELICAT DE FEDERER

Cette fusion entre artistes, styles musicaux et langues s'inscrivait dans le contexte de la soirée, qui était centrée autour de l'égalité et de l'abolition des frontières.

Comment se sont créées ces collaborations ?

B.C. : Il fallait en avoir envie, ce n'était pas une organisation très serrée On a passé toute la semaine d'avant dans un local de répètes, et autour de ça, finalement, c'était l'envie, les contacts, le fait de communiquer sur le sujet entre nous et avec les gens du GISTI, de mieux les connaître. .Tout le monde était au courant qu'il se mettait à la disposition de toute éventualité et mélange artistique. Et puis, il y eut l'histoire des "Petits Papiers" de Rodolphe. Ce morceau, ça fait déjà longtemps que tu y avais pensé !

Rodolphe Burger : Par rapport à ce concert, en tout cas. En fait, c'est né d'abord en bossant sur l'idée d'une suite à quelque chose que j'avais fait à l'époque, qui s'appelait "Égal Zéro" (un EP sorti en 1997 et dont les revenus étaient destinés au GISTI) J'avais commencé à travailler sur des embryons de texte, à tourner autour de "papiers", à faire des jeux de mots. Et, rapidement, ça nous a fait remonter cette chanson de Gainsbourg. Tout d'un coup, je me suis dit que peut-être, en effet, le fait de simplement reprendre ça, littéralement, sans changer le texte et le mettre dans le contexte de ce concert, ça pouvait fonctionner par rapport à la situation. Quand j'en ai parlé à Bertrand, il a tout de suite renvoyé l'idée que ça pouvait être une espèce de truc fédérateur, plus que quelque chose qui aurait été écrit exprès. Ça aurait été délicat de fédérer tout le monde autour d'une proposition de texte, par exemple

La chanson figure deux fois sur l'album "Liberté de circulation", la version chantée par Rodolphe lors du concert, et dans une version enregistrée plus tard en studio à laquelle a participé une dizaine des artistes qui étaient présents à la soirée.

A quel moment est née l'idée de faire l'album et ce single collectif ?

B.C. : Ça a été clair assez vite, pas dès le début, mais très vite. Sachant que le concert ne rapporterait pas beaucoup d'argent, étant donnée la contenance de la salle, on a pensé à faire un disque pour pouvoir augmenter l'apport financier destiné au Gisti. Ou plutôt de pouvoir leur apporter de l'argent tout court, vu que le concert n'allait pas nous le permettre. En ce qui concerne le single, c'était décidé d'emblée. C'est vraiment la chanson même qui porte ça. Le fait que ça soit décalé de son contexte et mis dans ce contexte-là, c'était assez marrant et en plus ça nous a permis de nous fédérer autour de ça.

R.B. : On l'a enregistrée dans un endroit très intéressant qui s'appelle Les Voûtes, aux pieds des Frigos (Quai de la Gare) dans des conditions presque live et avec, au fond, plus de participants que le soir même. Il y a eu un résultat excellent du côté des échanges, notamment avec les rappeurs KDD. C'était compliqué d'imaginer des croisements entre tous les participants, il y en avait qui se connaissaient déjà, etc. En tout cas, tout a été vraiment très improvisé, très rapide. Le soir même il n'y a pas eu tellement de mélanges avec les rappeurs, par exemple, mais ça a eu lieu après coup. Pendant les enregistrements, ils sont vraiment rentrés dans cette histoire, il s'est passé autour de ça quelque chose d'assez rare. Parce que c'est vrai qu'en France en tout cas, jusqu'ici les choses étaient quand même assez compartimentées

B.C. : Deux mondes sont très cloisonnés. Je pense qu'on fait partie des gens que ça gonfle profondément. Même si chacun après a son compte d'idées, qu'il creuse son sillon, soit! Mais qu'est-ce que ça fait plaisir de pouvoir explorer, de pouvoir se mélanger et de pouvoir se fédérer sur des histoires qui en valent la peine. Il y avait cette idée de ne pas faire seulement : un concert. "On étale chacun notre savoir-faire". Même si à un moment donné on s'y retrouve aussi. Pour une vraie création, il aurait fallu travailler six mois que sur ça, et tous ensemble !

R.B. : C'était bien aussi ce côté très improvisé. Et, du côté de l'image, c'était la même chose, dans le même mouvement C'était très lié aux réalisateurs, une connexion qui s'est faite très rapidement Ça a été décidé quelque chose comme trois jours avant, sans que personne sache exactement qui allait venir ou pas C'était très peu organisé mais vraiment sympa. Cet alignement de réalisateurs avec leurs caméras numériques. Il y avait Chris Marker, Jacques Audiard, Mathieu Amalric, Agnès Obadia, Catherine Corsini, Ariette Girardot, Samir Abdallah, etc. Et ils l'ont fait très généreusement puisqu'ils ont laissé leurs cassettes à la fin à disposition du GISTI, qui est le producteur et du son et des images.

PRINCIPE DE LIBERTE DE CIRCULATION

Vous participez souvent à des événements de ce genre. Vous n'avez pas peur de vous voir enfermés dans une image de groupes militants, toujours prêts à défendre les bonnes causes ?

B.C. : Ouf! C'est une horreur! On ne peut plus avoir peur… Mais il faut assumer. Tu ne peux pas être partout à la fois, tu ne peux pas tout faire et tu ne peux pas trop te spécialiser Il faut avoir un peu de recul, aussi.

Pourtant, vous consacrez pas mal de temps à ce projet de la "Liberté de Circulation". Vous pensez continuer à aider le GISTI ?

R.B. : C'est surtout ça qui est important

B.C. : On est toujours là, tu vois ? Le concert était le 7 avril, on est le 24 mai...

R.B. : Ça nous aura pris pas mal de temps, il faut le dire. Mais bon, ce n'était absolument pas prévu que ça en prenne autant

B.C. : Rien n'était prévu Tout s'est fait avec la volonté de qui veut bien le faire. Disons que, de fait, on s'aperçoit que s'il n'y a pas de suivi, ça perd beaucoup de force. Rodolphe est vraiment très impliqué dans ce projet et nous, on est aussi impliqués un peu du début jusqu'à la fin Après, il y en a qui arrivent pour jouer le soir et puis qui repartent et personne ne peut leur jeter la pierre, si tu veux. C'est déjà beaucoup Mais j'ai l'impression que dans nos cas respectifs, il était impossible de faire les choses à moitié.

Apparemment, il y eut une certaine confusion au moment du concert. Beaucoup pensaient qu'il s'agissait d'un concert de soutien pour le mouvement des sans-papiers ?

R.B. :Effectivement il y a eu une espèce de flottement, mais c'est inévitable. En revanche, au moment du concert, ça a été très recadré. Le GISTI était très présent, il y a eu un discours de Danièle Lochak (présidente du GISTI ndr) sur la scène, il y avait des affiches qui précisaient partout le propos, c'est-à-dire à la fois le soutien du GISTI et le soutien à cette idée de liberté de circulation. Propos qui se déclinent également dans un texte qui a été distribué le soir même, qui tirait un certain nombre de conséquences assez précises de ce principe de liberté de circulation. C'est vrai sans doute que tout le monde n'était pas forcément, au départ, complètement impliqué de la même manière et au courant de la même manière de ce dont il s'agissait Parce que le GISTI n'est pas une association très connue. Mais ils ont envoyé à tout le monde des informations, il ya eu les conférences de presse, auxquelles tous les artistes étaient invités. Donc tout le monde pouvait parfaitement s'informer

"BONNE CONSCIENCE"

En soutenant leur cause, à part aider financièrement le GISTI, vous contribuez aussi à relancer le débat sur l'idée qu'ils défendent, l'ouverture des frontières...

B.C. : Oui, étant donné que c'est une idée qui est quand même, très, très enterrée. Qu'elle paraît complètement à l'inverse, finalement, de tout ce qui se dit, de tout ce qui se pratique Il s'agit justement de tout bousculer et de regarder de l'autre côté. Evidemment, le côté très concret, c'est le soutien au GISTI, et c'est très bien qu'il y ait ça, vu qu'ils existent et qu'ils sont en difficulté. Ils ont à faire face à de plus en plus de demandes et, évidemment, ils sont très limités. Le côté concret, c'est leur ramener de la thune, et évidemment ça fait circuler cette idée d'ouverture des frontières qui est quand même une idée assez peu relayée.

R.B. : C'est vrai que ça fait une différence avec des concerts à caractère humanitaire. Ce n'est pas pour dire que ce n'est pas bien de faire des choses humanitaires, au contraire, c'est absolument nécessaire. Mais là, il s'agit quand même de quelque chose de différent Il y a un propos articulé, cette association fait un boulot très concret, mais aussi, depuis vingt-cinq ans, ils font un travail de réflexion sur la situation juridique et politique en ce qui concerne les étrangers, les frontières et la libre circulation

B.C. : Ils éditent une publication qui s'appelle "Plein Droit"

R.B. : C'est extrêmement important que des gens comme ça éclairent le débat sur la question, parce qu'en ce moment le débat n'a pas lieu du tout

B.C. : Il se rouvre dans l'urgence, hors réflexion C'est-à-dire qu'il n'y a pas de construction. Ça se distingue du concert humanitaire dans le sens où ce dernier peut faire très "bonne conscience" sans prendre de risques Il y a un certain type de concert où tout le monde va être d'accord. Or, tu verras que pour celui là, ce n'est pas le cas. On ne l'a pas choisi parce que tout le monde n'est pas d'accord, on ne fait pas ça par provocation, mais parce que, quelque part, il y a plus besoin de nous sur des sujets comme ça que sur des sujets consensuels, où on a l'impression que c'est plutôt de la pub qu'autre chose. Pour l'histoire en question, il y a des risques. Ce n'est pas évident de se forcer à une réflexion qui abandonne certains préjugés, certaines croyances concernant l'immigration, tout un tas de peurs. Là, il s'agit de se dire . "Attendez, voyons, en vingt-cinq ans d'un certain type de politique de l'immigration, quels sont les résultats ?" C'est essentiel de rouvrir le débat!.

DISCO CD GISTI NAÏVE / AUVIDIS

Rocksound spécial rock français N°3