La Chronique du Professeur Faustroll

Ron Hubbard : Et mon gourou, coucou !

Mon cher Lafayette,

Tu permets que je t'appelle Lafayette. Après tout, le «L» de L. Ron Hubbard, ça veut bien dire Lafayette. Un prénom pour épater la galerie et c'est pour cette raison que tu le dissimulais si astucieusement sous son initiale.
Je sais bien que tu es mort depuis 1986 (douze ans, déjà !), mais ce n'est pas une raison pour ne pas t'adresser cette courte missive. Il y a de ça fort longtemps, dans les années quarante pour être plus précis, tu étais un auteur de western pour les pulps américains. Bon, j'exagère, tu n'écrivais pas exclusivement des westerns, tu commettais aussi toutes sortes de récits aventureux qui fleuraient bon le héros viril sans peur et sans reproche.
Puis vint le temps où les patrons de la maison d'Astounding Stories vinrent te chercher pour mettre de l'humanité dans leurs histoires de robots. Enfin, c'est ce que tu prétends et comme je te connais trop bien pour te croire sur parole, tu permettras que je laisse planer un doute sur cette affirmation.
Dès lors, tu sévis aussi dans le domaine de la science-fiction. Bien sûr, tu ne changeas rien de tes «bonnes» habitudes et tu transplantas ton héros - blond, cela va de soi-, viril au courage en acier chromé sur des planètes exotiques afin qu'il puisse massacrer des tombereaux de méchants extraterrestres en toute impunité pour sauver la belle de son coeur. Si tu avais une once de talent, tu remarquerais que tout cela ne fait pas une histoire de SF, ou alors une très mauvaise. Sans doute étais-tu un ami de Theodore Sturgeon qui prétendait que «90% de tout est mauvais». Tu assurais donc à toi seul une bonne partie de ce contingent en ce qui concernait le domaine de la SF. Car non seulement, tes histoires étaient fort maladroites, mais en plus tu étais très prolifique. Le pire étant qu'elles avaient des relents nationalistes assez proches des thèses d'extrème droite, ce qui n'est pas pour me plaire plus que ça. Réflexion faite, tu ne pouvais pas être un ami de Sturgeon qui était un grand humaniste, lui.
Seulement tu trouvais que l'écriture en général, ça ne rapportait pas de quoi nourrir un gros appétit. Il se trouve que tu avais une idée en or que tu répétais à qui voulait l'entendre : «Le meilleur moyen pour faire fortune, c'est de créer sa propre église». Un leitmotiv qui te hantait à tel point que tu finis par écouter ton propre conseil.
Pour débuter, tu écrivis ce livre «La dianétique» qui serait passé pour un mauvais livre de SF venant lui aussi grossir les rangs des 90% si tu ne l'avais prétendu authentique. La dianétique est une science, disais-tu sur tous les tons. Une science qui guérit toutes les maladies sans le moindre médicament. Un mélange de panacée universelle et d'Eldorado, en somme. A condition que les gens te croient. Un mois avant la sortie de ton livre, tu réussis à convaincre John Campbell (rédacteur en chef d'Astounding qui était la plus importante revue SF de l'époque) que tout cela reposait sur des bases scientifiques extrèmement rigoureuses. Campbell était féru de nouvelles sciences et il plongea à pieds joints dans ton invention. Astounding publia même un article dithyrambique sur le sujet. Les ventes de ton bouquin explosèrent et tu mis en place ton organisation. Soigner les gens avec la dianétique, sans médicament, mais en payant grassement son auteur.
Rappelons à toutes fins utiles que le principe fondamental de la dianétique est que pour se soigner, on doit penser positivement qu'on n'est pas malade. En France, on a appelé ça la méthode Coué et cela fait rire toute le monde.
Au bout de quelques temps, ton organisation commerciale périclita suite à une gestion calamiteuse et un FISC US que tu jugeais trop gourmand. Les églises n'étant pas imposées, changeons la dianétique en église. La scientologie était née et tu avais enfin appliqué ton conseil pour faire fortune.
Petit à petit, tu affinas ton concept et tu reconstruisis de toutes pièces ta biographie. Ta vie devint aventureuse à posteriori et ressemblait à s'y méprendre à tes mauvais romans des années quarante. La scientologie prenait de l'ampleur et faisait ses premières victimes. Edna Maine Hull, la femme de Van Vogt atteinte d'un cancer paya de sa vie sa crédulité, par exemple. On retiendra que tes émules de la première heure t'abandonnèrent tous un à un. John Campbell qui était finalement revenu de son engouement initial a fini par voir en toi un charlatan un rien plus habile que les autres, Van Vogt aussi qui s'était lassé de tes frasques bien peu en rapport avec l'attitude zen de ta pseudo-science. Et puis tu étais malade, et bizarrement ta maladie ne trouvait pas son remède dans la dianétique, vu la quantité astronomique d'antibiotiques que tu avalais.
Sur le tard, tu avais décidé de revenir à tes premiers amours : la SF. Tu as sorti un pavé : «Terre, champs de bataille», où le héros, grand, beau, blond et intelligent réussisait à lui seul à bouter hors de notre planète une horde d'extraterrestres à l'intelligence aussi affinée que les nazis dans les films de Louis de Funès. A se demander comment ils avaient pu vaincre nos vaillants soldats ?
Après un début chancelant, tu donnas la consigne à tes adeptes d'acheter le livre. Les ventes explosèrent et l'effet d'entraînement en fit un best-seller. Tu procédas à la même manoeuvre pour obtenir le prix Cosmos 2000 (prix très confidentiel attribué par une librairie parisienne), mais ta tentative en ce sens échoua pour le bien plus prestigieux Prix Hugo.
Et puis, patatras : tu meurs. On trouva encore le moyen de découvrir un manuscrit que tu avais «juste eu le temps de terminer avant ton trépas» : une décalogie. Dix volumes pour nous ressortir la même soupe des méchants ET qui ont envahi la Terre et du gentil Terrien qui vient nous sauver.
Mais tout cela n'est qu'anecdotique après tout. Le plus grave est que tu sévis toujours après ta mort par l'entremise de la scientologie. Certains de tes adeptes clament leur appartenance à ta secte comme John Travolta, bien plus à l'aise dans ses rôles de gangster que dans celui de prédicateur à deux sous. Tu dois les chouchouter ces stars pour qu'elles deviennent ta vitrine publicitaire. Une vedette qui dit quelque chose, ça a toujours de l'impact, non ?
Sur ce, je te laisse, car j'ai d'autres choses à faire que te raconter ta vie, à toi qui n'en a plus.


© Hors Service le 24/06/99