La huitième parole



Première parole


Seul devant cette étendue qui se perd au-delà de l'horizon, immobile face au vent, stoïque au pied des flots mugissants, il crie.

Les embruns lui fouettent le visage, le soleil pénètre jusqu'au dedans de son esprit, si bien qu'il le voit lorsqu'il ferme ses yeux.

Le coeur est trop petit, le passé trop lourd, l'avenir trop loin et le présent trop flou.

Jamais, il n'aurait cru se retrouver là, ballotté entre le vide et la fuite.

Comment en suis-je arrivé là? Qui suis-je vraiment? Comment pourrais-je encore me regarder en face?

On ne peut refaire le passé et lorsqu'il a brisé le présent, il ne reste plus qu'une absence de vie.

Un jeune homme sur la plage lance son désespoir à la mer qui ne lui répond que par le ressac de celle qui reste sourde à sa douleur.

Il est des vies en miettes alors qu'elles sont à l'aube de leur course. Il est des vies stoppées dans leur voyage à travers le firmament. Il est des vies qui s'éteignent avant même qu'elles aient pu briller de leur éclat.

Certains parlent de chance, d'autres de fatalité, de destin, d'autres encore de responsabilité, de choix, mais enfin de compte tout cela n'a plus d'écho lorsque l'on est au bord du précipice.

La lune a rattrapé et chassé l'astre du jour quand il s'ouvre dans un long et douloureux sanglot qu'il ne peut plus contenir.

- Je suis un monstre! un fou! hurle-t-il dans la pénombre.

C'en est trop pour lui. Mais ce qu'il redoute le plus c'est la réputation qu'il en portera à jamais. Il ne sait que trop qu'il sera marqué au fer rouge et que plus jamais on ne le regardera comme avant.

Dans ce retranchement ultime, il se découvre lâche et vil. Il ne pense qu'à lui, qu'à ce qu'il lui en coûtera. Pas à un moment, la pensée du suicide ne l'effleura. Non! il s'aime trop pour se détruire même s'il a détruit ceux qu'il disait aimer.

Loïc pense à lui et accessoirement aux autres, du moins dans la mesure où ces autres ont un impact sur son existence. Et même s'il se dégoûte au détour des fruits amers de son esprit, il s'aime encore et toujours, au-delà de son angoisse, de ses pleurs, de son drame.

- Où es-tu Mélanie? Réponds-moi!
Un frisson le traverse et le laisse tout aussi seul.

- Reviens!

Tout le film de la journée repasse dans sa tête. Il la revoit partir le sourire aux lèvres mais le regard inquiet. Tout devait bien se passer comme pour tant d'autres dans son cas. Ils en avaient discuté à de nombreuses reprises, et c'était le seule solution. Et ce mardi devait être ce jour où ils allaient enfin se retrouver, en quelque sorte. Certes, Mélanie avait passé par des périodes de doutes et de larmes, mais ils étaient arrivés à ce qu'ils espéraient être la fin de leur problème. Car ce petit bébé à venir n'était qu'un problème, un fardeau, un poids; celui de la honte, celui de leur égoïsme, celui de leur jeune âge, celui de leur inconscience, celui de leur folie.

Les heures ont passé, et elle n'est pas revenue. Elle est partie avec son enfant.

Ils avaient voulu que cela reste le plus secret possible. Malheur leur en a pris d'écouter cette "faiseuse d'anges" qui n'était même pas une infirmière. Mais les mots et les regrets ne sont plus rien maintenant que l'irréparable s'est produit.

Loïc est empêtré dans les conséquences de sa décision, ce qu'il lui encourt et les réactions de sa famille et celle de Mélanie. Il n'arrive pas à mettre de côté son sort, ce qu'il lui adviendra; tout est centré sur lui, même s'il souffre de l'absence de sa petite amie.

Il se cherche des excuses. Et si son beau-père n'était pas aussi borné, si ses parents n'étaient pas aussi regardant à l'honneur de la famille, comme ils se plaisent à répéter. Au lieu de s'en prendre uniquement à lui-même, il s'échafaude des prétextes, des raisonnements qui ne tiennent pas devant la laideur de ce qu'il a fait. C'est comme un crépis qui se craquelle et se fissure à la moindre évidence.

Dans cette pénombre, il est un combat entre la parcelle d'humanité qui vit en lui et l'autre parcelle d'humanité qui ne vit que trop bien en lui. A l'instant, il est un monstre, au suivant,  cela n'est pas de sa faute.

Il n'y a personne pour lire dans son coeur. Mais dissimulé derrière celui-ci, il sait qu'il devra rendre des comptes. Il devra se tenir devant des coeurs brisés, des esprits affligés, peinés, vengeurs.

Brusquement un lame le traverse, sans qu'il ait eu le temps de s'y préparer. Telle une vague, elle le submerge, elle l'emporte et lui arrache une supplication.

- Pardonne-moi! Oh! pardonne-moi, je t'en supplie!


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