LES LOIS ET LEURS NATIONS
Indications


             Les divinités, les génies, les esprits ancestraux sont appelés LOIS en Haïti. La grammaire veut que l'on écrive "LOA" mais les Haïtiens ne font aucune différence phonétique entre les loas pour désigner les dieux et les lois du code civil ou de la physique. D'après Jean Kerboul, missionnaire catholique en Haïti, le mot vient bien du français "loi"! "Les anciens gardes champêtres haïtiens, représentants tout puissants de l'autorité dans les campagnes, portaient fièrement avant 1915 un baudrier rouge avec en lettres blanches, l'inscription: Force à la loi. La mentalité fruste des habitants pouvait trouver là matière à rapprochement avec les esprits de la mythologie, tels qu'ils les concevaient, c'est à dire en premier lieu, forts et puissants. Le loa serait donc la loi qui s'impose au serviteur, loi impérative, loi de la nature et de la vie, personnifiée et diversifiée dans les multiples esprits. Il est possible toutefois que loa, loi, proviennent de Roi par alternances de L et R. Cette hypothèse est appuyée par l'index des loas établis sur les héritages familiaux d'esprits sacrés. Loa Hérode ou Roi Hérode, Loa Kanzo ou Roi Kanzo se disent indifféremment, la même idée est sousjacente, Loi et Roi se recoupent."
Le Roi fait la Loi. (1)
             Dans notre monde désacralisé, pour un esprit mystique cette sanctification des lois devrait plaire. Les lois de la physique, de la technologie, du commerce, de la démocratie, de la justice, etc., sont à la source d'œuvres de bien. Ce n'est pas parce qu'elles sont sans mystères, qu'elles ne pourraient pas être saintes. Le danger de s'adonner à un culte panthéiste des Loa de la nature n'existe plus, la meilleure façon de les acquérir est l'étude, l'intelligence, et non une religion particulière. Les lois sont admirables, inestimables, indispensables. Elles méritent d'être bénies.
             Il n'est pas vain de dire qu'elles peuvent aussi avoir une âme, dont le rayonnement est tel qu'elles peuvent nous faire changer d'ère. Je pense à la découverte des lois technologiques de la métallurgie.
             Nous savons que les animistes imaginent une âme aux choses naturelles, aux objets fabriqués, comme les voitures. Mais nous ne savons pas ce que représente pour eux l'âme du fer. Nous pouvons dire par exemple que l'âme du fer porte en lui les germes de la révolution. Ce qui fait l'âme du fer est devenu marxiste. La fonte des machines outil, tours, étaux-limeurs, fraiseuses, a fait la réussite de l'industrialisation, la concentration prolétarienne et la prise du pouvoir par ces derniers avec une idéologie propre à une certaine âme du fer. La faucille et le marteau d'acier sont les fétiches de GOU léniniste (2). Derrière le rideau de fer, il y a la dictature monothéiste de HOGOU FERRAILLE pour le goût du fer. A son insu, le marxisme léninisme, qui voulait être athée, a sacralisé le Dieu GOU. C'était doublement dangereux, GOU n'est pas abstrait, comme le sont Yahvé, Dieu, et Allah ! Il concentre en lui un seul archétype, et tous ses excès. Le marxisme marginalisa les Loa de la féminité de la terre et de la femme. Il élimina le dieu du commerce en baissant le rideau de fer des commerçants. Nous verrons au 3° chapitre que ce fut l'erreur fondamentale du monothéisme matérialiste, et la démonstration, par son absence, de l'existence du Dieu Hermès de la communication et du libre-échange. Le paradoxe pour un honnête homme est qu'Hermès est indispensable à la prospérité.
             Le Judaïsme et l'Islam ne donnent à Dieu ni de nom, ni d'image, il est innommé, il est l'ineffable, toute représentation est interdite parce que fétichiste. Les vaudouisants ont d'une certaine manière la même vision abstraite de Dieu, ils le placent loin d'eux.
             D'après Laënnec Hurbon: "Dieu est Hors Système".
Contrairement au chrétien, le vaudouisant ne prie pas Dieu, il n'a pas de culte pour lui, il n'a pas ce rapport chrétien d'intériorité avec Dieu, il s'adresse seulement aux Loa. "L'éloignement de Dieu hors du champ de l'homme serait encore la meilleure sauvegarde de Dieu: l'intériorité ne peut remplacé l'universalité. Le vaudouisant reconnaît pour naturel ce qui est envoyé de Dieu, et pour surnaturel (telle est sa terminologie) ce qui est explicable avec les Loa, la magie et la sorcellerie."
Quant à l'apparition des Loa, Paul Ricoeur dans ses recherches herméneutiques écrit: "c'est le désir qui sous-tend la construction et l'existence des puissances invisibles". Laënnec Hurbon illustre ce désir: "le poltron et le brimé peuvent devenir Ogoun, le traîneur de sabre ; la pauvre domestique exploitée et racisée peut devenir Ezili Freda, la grande dame maîtresse et mulâtresse, etc... L'Univers des loa, à cet égard, semble confirmer la thèse de Freud dans "Totem et Tabou": il constituerait le lieu imaginaire des projections des désirs de la société haïtienne." "Retenons cet aspect important de la genèse des Loa, à savoir qu'elle rend compte du passage de l'homme, de la nature à la culture, à la faveur même d'une mainmise sur le secret réservé à Dieu. Les esprits inférieurs vont garantir désormais l'ordre de la culture." (exemple: Gou est apparu avec l'âge du fer.)
             Les Loa appartiennent à des sociétés (haïtienne, cubaine, brésilienne) qui se distinguent suivant leur lieu d'origine dans le golfe de Guinée, et leur point de chute en Amérique. Par exemple, les dieux Yoruba du Nigeria actuel, présents à Cuba et au Brésil ont des noms inconnus en Haïti, où l'on retrouve les dieux Fon togolais et béninois. Ces familles ethniques s'appellent des nations dans les trois pays du nouveau continent.
             En Haïti, il y a plusieurs nations, se différenciant suivant les rites: si l'élément est l'eau, c'est la nation des dieux Rada, ils aiment les habits blancs, ils ne font jamais le mal. Plus difficile à approcher, la nation des dieux Petro dont l'élément est le feu; ils aiment les habits rouges, les explosifs, et le rhum, mais ils ne sont pas plus mauvais, ces deux nations comptent en leur sein les plus grands dieux de l'abondance.
On peut encore citer beaucoup d'autres nations: les dieux Lucumi, Congo, Nago, la liste n'est pas exhaustive. Il existe une troisième nation en Haïti insupportable pour les Rada et les Pétro, ce sont les Guédé, la famille des génies de la mort. (3)
             Toutes ces nations forment des cosmogonies hiérarchisées. Elles sont décrites dans le tableau de la première page avec leur équivalence de saints chrétiens propres à chaque culture occidentale.
             Les ethnologues montrent que dans chaque nation il y a les mêmes personnalités divines pour le même degré hiérarchique, avec seulement une modification de leur caractère à cause de l'esprit général du milieu national qui les influence et les équilibre entre elles: suivant "l'esprit des lois", comme nous l'a appris Montesquieu. Par exemple, si GOU est macho, son épouse EZILI aura une personnalité adaptée à la situation, elle se réfugiera dans le matriarcat, où elle retrouvera son indépendance. GOU, né dans le giron du matriarcat, devient macho, il n'est fidèle qu'à sa mère qui est une sainte à ses yeux. C'est ainsi qu'il y a une interaction entre les Loa d'une même nation.
             Les analogies que l'on peut parfois établir entre les Loa d'Haïti et de Cuba sont aussi fines que celles qui existent entre les Dieux grecs et romains, qui par ailleurs sont comparables aux Dieux africains.
Nous avons vu combien Ogoun est dangereux, tant il est caractéristique d'un seul modèle, d'un archétype si masculin. Heureusement un loa féminin, Ezili, équilibre la nation avec tous les autres dieux.
             Nous pouvons nous demander si le monothéisme en général n'est pas une dictature spirituelle. Notre Dieu chrétien n'affiche pas sa virilité, mais il n'est pas d'une neutralité totale quand nous affirmons qu'il est notre père. Les Musulmans qui s'interdisent une représentation d'Allah, n'ont pas non plus échappé au danger de lui donner un nom masculin, et d'en faire une divinité masculine capable de désirer la guerre. C'est finalement du fétichisme masculin, et le divin féminin fait gravement défaut à leur conception du monde! Cette absence de la divinité féminine avec tout ce qui se rattache à son archétype peut expliquer le machisme de leur société. Ne disent-ils pas que la femme est une invention du diable? Ils la cachent pour la paix sociale dans une citadelle, comme un objet de richesse jalousé qui bouleverse les sens de l'homme. Yahvé est tout autant masculin et justicier. Nous voyons bien qu'il y a un Dieu féminin en souffrance dans notre société qui ne peut rien faire pour la condition féminine.
             Dans l'Encyclopédia Universalis, l'axiome hermétique le plus important, pour expliquer les correspondances entre le visible et l'invisible, est: "ce qui est en haut est comparable à ce qui est en bas; ce qui est en bas est comparable à ce qui est en haut."
L'idéal monothéiste serait de garder Dieu totalement neutre, mais c'est difficile, voir impossible, car nous n'aurions pas de référence pour l'évoquer, à défaut de nos seules images linguistiques qui sont les nôtres.
Le vaudou ouvre l'imagination a une hypothèse polythéiste déiste du monde, (non révélée), nous ferons cette démarche dans le chapitre "L'animisme inavoué de la modernité", quand nous aurons découvert Legba.
             Dans cet essai, je ne parle que de cinq dieux, il s'agit de: Ogoun, Ezili, Legba, Damballah, et Chango. je les ai découverts avec le cœur et pas uniquement dans les livres. Je préfère renvoyer mes lecteurs pour de plus amples informations aux livres d'ethnologie cités dans la bibliographie de l'introduction. Mon absence de commentaires sur certains dieux est significative, et peut-être, sera dans le futur une source pour des rencontres capitales. Par exemple, je ne sais rien dire sur le dieu de la mer AGOUE, le Neptune haïtien, identifié à Saint Ulrick. Métraux nous dit qu'il ressemble à un mulâtre au teint clair, aux yeux verts comme la mer, portant un uniforme d'officier de marine. Il en est de même de LOKO le guérisseur, et ZAKA le dieu de l'agriculture; un vieux en habit traditionnel de paysan avec une musette et une pipe. Il ressemble au Legba haïtien.
             J'ai laissé les trois domaines les plus magiques et dangereux du vaudou de côté: la géomancie (les techniques divinatoires), la pharmacologie, le pouvoir de guérir, et le monde des vengeances, des maléfices, de la magie noire.
             Autre lacune, je n'ai toujours pas assisté à une cérémonie vaudou, parce que je n'ai pas été invité, ni n'ai voulu forcer le sort. L'expérience pourrait être désagréable. Je n'attends pas non plus une démonstration, une certitude, je sais que je serais comme tous les étrangers non initiés, bien incapable d'interpréter et de percevoir la présence des dieux.

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Retours Tête de Chapitre

(1) "Le vaudou, magie ou religion" Jean Kerboul édition Robert Lafont, collection: Les Enigmes de l'Univers.
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(2) Au Mozambique, j'ai reçu un tracteur bulgare MZ80, d'origine soviétique, accompagné de son propre outillage. Nous étions sous les tropiques, et ces outils n'avaient reçu aucun traitement de surface sérieux, ils avaient été seulement noircis avec de l'huile brûlé, comme je le faisais en 1963 dans l'atelier de mon école technique pour donner un bel aspect extérieur à mes pièces. Ce jour là, sans mesurer mes paroles, je me suis écrié, "la révolution socialiste les peint en noir pour mieux demain les recouvrir d'or ! Dans le monde capitaliste ils ne seront jamais que nickel chrome !
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(3) Lire le chapitre: "Approche de la mythologie des guédé dans le vaudou."
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