Charles Mopsik

Pages de l'étude prélimiaire donnée en introduction de la Lettre sur la sainteté (Lagrasse, Verdier, 1986, épuisé). Le texte est reproduit ici tel qu'il a été publié. Il a pour le moment une forme provisoire qui sera amélioriée. La suite devrait suivre prochainement.

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VI. UNION CONJUGALE ET PROCREATION DANS LA CABALE.

Lorsque les cabalistes considèrent que la production de semence, le rapport sexuel, la procréation, ont une portée qui déborde le cadre de la biologie, qu'ils leur prêtent une dimension cachée où sont en jeu des forces divines, ils prolongent en fait une ancienne tradition juive. C'est contre elle sans doute, ou du moins contre sa compréhension littérale, que Maïmonide (1138­1204) polémique dans son Guide des Égarés :

"De quelle force est l'aveuglement de l'ignorance et combien est­il dangereux ! Si tu disais à quelqu'un de ceux qui prétendent être les sages d'Israël que Dieu envoie un ange, qui entre dans le sein de la femme et y forme le foetus, cela lui plairait beaucoup (80) ; il l'accepterait et il croirait que c'est attribuer à Dieu de la grandeur et de la puissance, et reconnaître sa haute sagesse. En même temps, il admettrait aussi que l'ange est un corps (formé) d'un feu brûlant, et qu'il a la grandeur d'environ un tiers de l'univers entier (81) ; et tout cela lui paraîtrait possible à l'égard de Dieu. Mais, si tu lui disais que Dieu a mis dans le sperme une force formatrice qui façonne et dessine ces membres (82), et que c'est là l'ange, ou bien que toutes les formes viennent de l'action de l'intellect actif (83) et que c'est lui qui est l'ange et le prince du monde dont les docteurs parlent toujours (84), il repousserait une telle opinion" (II, 6) (85).

Avant l'entrée en scène des cabalistes, SABBATAÏ DONNOLO (913­982) (86) qui exerçait la médecine et la philosophie dans le sud de l'Italie, nous donne, dans son commentaire sur le Sefer Yetsira (livre de la création), une version du processus d'engendrement qui met l'action divine en étroite correspondance avec l'action humaine :

"Lorsque Dieu, au début du Commencement, créa ce grand monde, il créa et forma l'homme qui est un petit monde de la même façon à partir de ce macrocosme. Dieu lui donna presque Sa ressemblance ainsi que celle du monde. I1 créa d'abord le premier homme à la ressemblance de la divinité, ou peu s'en faut, comme il est écrit : "Tu l'as fait de peu moindre que Dieu, etc." (Ps. 8:6). I1 lui donna la possibilité (richayon) de faire, lui aussi, un homme, à partir de son corps et de son fondement (87), selon sa force, suivant la volonté de Dieu, qu'il soit exalté ! De quelle façon ? I1 émet le souffle du désir de la copulation de son souffle de vie [ou de son esprit vital], comme un souffle qui vient d'un souffle. Et le souffle du désir transporte la semence qui ressemble à de l'eau, comme de l'eau qui vient d'un souffle (88). Puis viennent, dans l'antre de la matrice, le souffle du désir et la semence avec le souffle de vie. Et par la force du souffle de vie qui jaillit avec la semence, et par le souffle du désir, la semence s'embrase de chaleur dans l'antre de la matrice, tel un feu. Voici, cela ressemble au feu qui vient de l'eau (88). Par la chaleur, la semence se coagule et sont créés la chair, les nerfs, les os, la peau, qui correspondent à la terre. Voici : cela ressemble à la terre créée à partir de l'eau. C'est pour toi un microcosme que l'homme fait à partir de son corps, selon la petitesse de sa force (89) grâce à la volonté de Son Créateur, par la force de son élan (yitsro), et par la force du souffle de vie qu'Il insuffla dans son nez (90). De même que le souffle du Dieu vivant ne manque de rien après avoir fait sortir un souffle de Son souffle, et ne manque de rien après avoir fait sortir de l'eau de Son humidité, accompagnant le souffle qu'il a fait sortir du souffle de sainteté, vivant toutes les éternités, ainsi l'homme ne manque en rien du souffle de sa vie après avoir fait sortir un souffle du souffle de sa vie avec la semence. Pareillement, il ne lui manque rien après avoir fait sortir la semence de l'humidité de son corps. En outre, c'est afin que l'homme voie que, ce que nous avons écrit au sujet de la création des hommes qui naissent d'un homme jusqu'à la fin du monde, l'un du corps de celui­ci, et celui­ci du corps de celui­là, n'est pas connaissable seulement par l'intelligence et le discernement, par l'approfondissement de la sagesse et de la connaissance, et parce qu'I1 a désiré faire connaître la force de Ses œuvres et Sa puissance aux fils de l'homme, I1 a donné la possibilité à l'homme de comprendre et de connaître par la vision de ses yeux et par l'action de ses mains l'œuvre de Dieu (91), qu'I1 a faite au début du commencement, et de croire et reconnaître Dieu et de témoigner pour Lui qu'il est un Dieu grand et redoutable, grand par sa force et redoutable par ses actes. I1 lui donna donc la possibilité de savoir qu'I1 a soufflé dans sa gorge et son pharynx avec des lèvres ouvertes en ce qu'il fait sortir un souffle de son corps du souffle de sa vie et avec ce souffle il fait sortir de l'humidité de son corps (6, b­c)."

I1 est clair que dans ce beau texte, l'épanchement du sperme, le processus de procréation et l'engendrement d'un homme témoignent de la force divine, en sont le prolongement, révélateur de sa source. L'on peut entrevoir ici les prémices de la conception cabalistique qui voit dans les mêmes motifs le processus du cheminement des influx divins (92). Dans un autre passage du même auteur, il est encore question de la semence :

" Du cœur et des deux reins viennent la méditation et la pensée. Le conseil et l'exultation viennent des reins, comme il est écrit : " Mes reins exulteront " (Pro. 23:16). Et des deux reins sort la parole avec la voix car ce sont eux qui pensent et qui causent la parole avec la voix. Et ils causent la copulation car c'est en eux que la semence est blanchie. En effet, au départ la semence est rouge comme du sang, et tellement sont chauds les reins, qu'elle blanchit, puis elle passe à travers leurs nerfs aux nerfs [des organes] qui font honte et à la nudité (erva)... (73 b) (93). "

La pensée, la parole, le sperme et la copulation tiennent leur origine d'un même organe : les reins. A partir de cette conception, il sera facile d'attribuer à la " pensée " et à la " méditation " un rôle déterminant dans la qualité et la nature de la semence quand ils interviennent dans le bon sens au moment de la relation sexuelle. Ce que notre Lettre fera (94), en se référant cependant à une conception différente bien que fort proche de celle­ci sur certains points. Les écrits précités de Sabbataï Donnolo mettent en place le discours médical sur le fonctionnement du corps humain comme valant dans le domaine de l'action divine, les processus de l'engendrement, et la procréation même devenant des modèles précieux qui permettent une connaissance non intellectuelle du Créateur et de son œuvre, ils donnent l'intuition concrète de sa puissance créatrice. Le savoir du corps enseigné par la médecine a constitué, dès le début de la cabale, une référence déterminante pour l'appréhension du mouvement de la vie interne de la Divinité. Cette donnée fondamentale a trop souvent été négligée. C'est au niveau de la physiologie de la procréation que les cabalistes vont puiser leurs images et leurs motifs fondamentaux. Du point de vue même de l'élaboration doctrinale de la cabale, les phénomènes liés à la sexualité ont joué un rôle crucial.

Le premier écrit que l'on peut appeler " cabalistique ", le SEFER HA-BAHIR (livre de la clarté), donne déjà à la semence une signification " ésotérique ". A propos de la septième Parole, c'est­à­dire de la sefira Yessod pour le Bahir, nous disposons de deux fragments, le fragment 155 :

" La septième [Parole] c'est l'Orient du monde. De là vient la semence d'Israël, car la colonne vertébrale se prolonge depuis le cerveau de l'homme et parvient au sexe et de là [émane] la semence, comme il est écrit : "Depuis l'Orient je ferai venir ta semence" (Is. 43:5). Quand les Israélites sont bons, de ce lieu "je ferai venir ta semence" et pour toi surgira une semence nouvelle. Mais quand les Israélites sont méchants [elle viendra] de la semence déjà venue au monde, comme il est dit : "Une génération va, une génération vient" (Ecc. 1:4). Ce qui veut dire qu'elle était déjà venue (95). "

Et le fragment 156 :

" Que signifie le verset  : "De l'Occident je te rassemblerai ?" A partir de la dimension qui penche toujours vers l'Occident. Pourquoi est­elle appelée "Occident" (ma'arav) ? Parce que c'est là que toute la semence se mélange (mite'arev). A l'exemple du fils d'un roi qui avait dans sa chambre une fiancée belle et pudique. I1 prenait la richesse de la maison de son père et la lui apportait sans cesse. Elle ramassait tout et le cachait toujours et elle mélangeait tout. A la fin des jours, il demanda à voir ce qu'il avait recueilli et ce qu'il avait rassemblé. C'est ce qui est écrit : "De l'Occident je te rassemblerai". Et qu'est­ce que la maison de son père (aviv) ? C'est ce qui est écrit : "De l'Orient de mon père (96) vient ta semence". Cela nous enseigne que de l'Orient il apporte [la semence] et il sème à l'Occident, ensuite il récolte ce qu'il a semé. "

Dans ces obscurs fragments, la " semence " qui émane de l'Orient du monde, qui correspond à la sefira Yessod (le Fondement) (97), semble désigner les âmes d'Israël, qui sont soit nouvelles (ce qui leur donne un cachet messianique) (98) soit anciennes. L'Occident où elle afflue désigne la sefira Malkhout, le Féminin, représentée par la belle et pudique fiancée qui attend son heure, la " fin des jours " pour délivrer les " semences " accumulées en elle. I1 est clair que la mention du cerveau et de la colonne vertébrale qui aboutit au sexe emprunte à l'antique littérature médicale, mais en même temps décrit le passage de l'influx sefirotique et son épanchement sous la forme des âmes d'Israël.

Dans un autre fragment du Bahir (§ 168), il est encore question de la sefira Yessod, mais appelée ici " Huitième Parole ". Dans le corps humain, Yessod est le " lieu de la circoncision " et il est joint à " sa femme qui forme un couple avec lui ". L'on reconnaît aisément ici la dernière sefira appelée la " Chekhina du Saint, béni soit­il ". De même, dans les fragments sur la lettre Mem et Noun les mots " masculins " et " féminins " reviennent pour désigner les termes d'une relation qui s'effectue au sein du monde des " formes ", entre les attributs de la divinité. Ainsi dans le fragment 86, c'est l'union du " masculin " et du " féminin " qui rassemble les lettres du nom du Messie (99). En fait, d'autres passages du Bahir en nombre non négligeable évoquent le processus de procréation (frag. 85), ou même celui de production de la semence (frag. 83). Nous constatons que le premier écrit de la cabale, bien que très fragmentaire et souvent obscur, ne montre aucune réticence à décrire certains événements qui se produisent dans le monde divin en termes d'union sexuelle, d'élaboration de semence, de procréation et d'engendrement. L'on a tort, à mon humble avis, d'y voir là simplement un langage symbolique. Si la sexualité et la procréation fournissent des structures et des images qui permettent au cabaliste d'accéder à une certaine connaissance des secrets du monde divin, c'est que non seulement il n'y a pas incompatibilité entre sexualité, engendrement corporel et sainteté de Dieu, mais que dans l'esprit du cabaliste, la sexualité et la procréation participent de cette sainteté. Les motifs du Bahir sont déjà beaucoup plus que des métaphores : ce sont des images, dynamiques et vivantes, et l'on n'emploie pas des images par commodité ou arbitrairement : bien au contraire, elles expriment ce qui est senti et pensé au plus profond (100). Dans le Bahir, au moins deux séries d images entrent en concurrence pour désigner le mouvement interne de la vie divine : celle de l'écoulement des eaux abreuvant jardins et arbres, et celle de la circulation de la semence, depuis le " cerveau " jusqu'au " féminin ", en passant par la " colonne vertébrale " et le " lieu de la circoncision ". Or c'est cette seconde série qui a fini par l'emporter dans les développements ultérieurs de la cabale et tout spécialement dans la cabale lourianique en s'associant parfois avec l'autre ou avec des images décrivant des épanchements de la lumière (101).

Ainsi se constitue un " secret " de la procréation, corrélatif du secret de la relation entre l'homme et la femme. I1 est certain que ce " secret " était déjà réfléchi dans le cercle de Rabbi Abraham ben David et de son fils, RABBI ISAAC L'AVEUGLE, les premiers cabalistes avec Jacob Nazir dont les noms nous sont parvenus. Le commentaire de R. Isaac l'Aveugle (1165­1235) use très fréquemment de l'image de l'engendrement et même de l'accouplement (l02). A propos du passage du Sefer Yetsira (2:2) (103) où il est parlé de la "pesée" des vingt­deux lettres, R. Isaac explique :

"I1 les pèse l'une face à l'autre afin de les accoupler pour qu'elles produisent des fruits, car il est impossible qu'une chose émane d'une autre sans balance (p. 8) (104)."

Plus loin il ajoute:

" Les lettres sont "combinées", c'est­à­dire accouplées de nombreuses fois. Le langage varie pour dire qu'il les "pèse" et les "combine", car [ces deux mots] signifient accouplement, d'après leur intériorité, à la manière d'une trace qui est plus intérieure qu'une inscription, et celle-ci est plus intérieure qu'une sculpture. "

Quelques lignes plus bas il nous donne les précisions suivantes sur le sens de la "Balance", agissant dans le domaine humain :

"Il veut [l'auteur du Sefer Yetsira] donner à ses paroles un ordre hiérarchique et il indique en ordre qu'au début il se forme des hommes ensuite des femmes. Il a fait d'abord Jacob et Esaü, une femme ici et une femme là (105), puis il pèse qui sera digne d'être le compagnon de l'une et celui de l'autre, et c'est cela la pesée : après celui­ci il y aura celui­là et après celui­là, celui­ci. Ainsi dès le début toutes les âmes ont été créées ainsi que toutes les formes qui dans le futur recevront un souffle."

L'image de l'engendrement est appliquée aux sefirot :

"Le "Tout" est le Fondement du monde car il provient des six extrémités [= les six sefirot inférieures] et il est fixé dans la justice (din), c'est pourquoi il est dit : "Berger au milieu des roses" (Cant. 3:7), à savoir : il fait paître, parmi ces six choses [ = sefirot] son monde, car ce sont les pères des pères de tous les engendrements."

Quelques paragraphes plus loin, après avoir traité des couples de lettres où prédominent tantôt les lettres féminines tantôt les lettres masculines selon leur association, soit à la lettre Chin qui est feu et comporte le féminin, soit au souffle qui est masculin, il donne encore des indications sur le motif de la Balance :

"Toutes les dix sefirot sont dans chaque lettre sans exception, (...) comment y aurait­il pesée si chacune de toutes les lettres ne les incluait pas toutes, comme le Aleph [qui comprend] les dix premières sefirot qui ont été gravées dans le souffle à partir d'un souffle, et en chacune sans exception, comme des sortes d'entités subtiles intérieures cachées "sans quoi" ; tout ce qui allait être dans l'avenir sculpté à partir d'elles était déjà en elles, de même qu'étaient en l'homme tout ses engendrements."

Nous voyons ici très clairement que l'idée qui revient sous plusieurs formes dans le commentaire de Rabbi Isaac, à savoir que tout ce qui s'est déployé et inscrit, l'ensemble des sefirot telles que nous les connaissons, qui étaient initialement à l'état d'entités subtiles (havayot daqot) et cachées à l'intérieur de la première sefira, voire du En­Sof (l'Infini), que cette idée est portée par l'image de la présence subtile des enfants à venir au sein de leur père. Cette image a été développée par un de ses disciples, R. Ezra, dans son commentaire sur les Aggadot du Talmud, que nous avons rendu dans une des notes de notre traduction (106) et plus loin dans cette introduction. R. Isaac revient encore sur cette image plusieurs fois dans son commentaire, à propos de l'homme " qui est lui­même construit avec des lettres " (p. I 3 ):

"Il [l'auteur du Sefer Yetsira] n'a voulu évoquer que les pères seulement afin d'expliquer le point de départ de chaque engendrement, sans exception, c'est pourquoi il emploie le terme de " début ", car l'homme est un grand sceau dans lequel se trouve le début et la fin de l'ensemble de toutes les créations (...) car chaque engendrement qui est en puissance dans la signature, [engendrements] qui sont signés dans les pères, produit des engendrements, mais s'ils se séparent des pères, même s'ils sont signés dans les engendrements des pères, ils ne produiront pas d'engendrements, car toute chose retourne à la racine de son principe."

Enfin, commentant l'expression: " Masculin dans Aleph Mem Chin " du Sefer Yetsira (3 :6), R. Isaac explique le processus de procréation:

"Cela advient lorsque la femme fait semence la première, car elle engendre alors un mâle puisque l'engendrement du feu a lieu d'abord et qu'ensuite vient la goutte masculine, qui prédomine sur elle. L'âme pénètre dans la goutte au sein de ses lettres, selon le moment, qui est feu. Et l'homme apporte l'eau dans lequel est un souffle, c'est cela A.M. CH., la cause dont il fait usage (107), car le mâle amène de 1'eau sur le Coin de la femelle, c'est pourquoi celle­ci enfante un garçon. " Et féminin en A.CH.M ": [dans ce cas] l'eau de la goutte de l'homme la précède en elle quand il fait semence le premier et le feu de la femelle s'additionne sur lui et sur le souffle planté en lui. Suivant le renversement des lettres, la formation [i. e. l'embryon à venir] est changée de masculin en féminin et de féminin en masculin. Parfois celui qui naît est sans sexe [toumtoum] ou bien androgyne, cela suit le changement de l'ordre des lettres Aleph, Mem, Chin."

Ces trois lettres, appelées " lettres mères " par le Sefer Yetsira, dont le sexe de l'enfant va dépendre, constituent la goutte de semence; leur ordre, au sein de cette goutte, fera prédominer le feu (qui est féminin) ou l'eau (qui est masculine). Cet ordre lui­même dépend de l'ordre d'émission de semence des partenaires. Ce motif qui est emprunté au Talmud (l08) est expliqué ici par une théorie qui fait intervenir trois lettres qui sont mises en correspondance avec les trois éléments: souffle, eau, feu. Un autre disciple de R. Isaac, R. Azriel de Gérone, reprend visiblement l'exposé de son maître tout en s'en écartant quelque peu et explique à son tour:

"Il y a, dans la femelle, un lieu en lequel est la forme A.M.CH. et la forme A.CH.M., et lorsque la goutte se réchauffe en A.M.CH., l'enfant est masculin, et lorsqu'elle se réchauffe en A.CH.M., l'enfant est féminin. Lorsqu'elle tombe dans ces deux [séries] il est androgyne. Parfois il est fait avec un sexe mal formé, parce que l'homme est venu sur elle [a pénétré la femme] une deuxième fois (109). Et quand ils sont jumeaux, si les deux sont des garçons, la goutte s'était subdivisée en deux dans A.M.CH. et lorsque ce sont des filles dans A.CH.M., mais s'ils sont garçon et fille, elle s'était divisée dans A.M.CH. et dans A.CH.M.. Et bien qu'ils aient dit: “Si la femme fait semence la première, l'enfant est masculin” (108), cela se rapporte au fait que la dernière force venue de l'homme annule la première."

Chez les premiers cabalistes, la procréation est non seulement en elle­même objet de spéculation, mais elle fournit, nous l'avons vu, des schèmes et des images qui se rapportent soit aux mouvements des sefirot et des influx de vie divine qui les anime, soit au secret de la permutation des lettres qui sont, ne l'oublions pas, considérées comme les briques élémentaires de toute la création. Le texte de R. Isaac l'Aveugle et dans une certaine mesure celui de son disciple R. Azriel, en identifiant la semence à une structure de lettres dont l'ordre détermine le sexe, contient une certaine intuition du code génétique qui sera découvert des siècles après (110). Cependant, les cabalistes postérieurs ne développeront guère plus avant cette intuition en quelque sorte " prématurée " par rapport aux connaissances et aux moyens d'investigation de l'époque. Mais l'intérêt de leur conception de la procréation (corrélative toujours de la copulation) vaut sur un autre terrain que celui de l'histoire des sciences. La place qui lui est accordée dans les tout premiers écrits de la cabale que nous avons présentés et même dans un texte - celui de S. Donnolo - appartenant à une tendance qui la préparait et lui a fourni certaines prémices, a de quoi susciter l'étonnement. Elle réapparaît très tôt dans les écrits des premiers cabalistes.

Le neveu de R. Isaac l'Aveugle, R. ACHER BEN DAVID, a joué un rôle important dans la transmission de la cabale du centre languedocien à la ville de Gérone (111), où elle a atteint un haut degré d'élaboration. Écrivant vers la fin du XIIe siècle et au tout début du XIIIe, son œuvre nous est parvenue sous forme de courtes études consacrées chacune à des questions particulières. Dans l'une d'elles, qui porte sur le secret du Mausé Beréchit (Récit de la Genèse) et qui n'a pas encore été imprimée (112), il accorde une place notable à la différence sexuelle comme désignant des forces internes au monde des sefirot. A propos du verset sur l'apparition du jour et de la nuit (Gen 1:5), il écrit:

"La puissance du masculin qui est Tiferet est comparée au jour, de même la Atara (113) qui est le féminin est comparée à la nuit, ils ne se sont pas manifestés avant de produire leurs engendrements et avant que le monde soit créé (114)".

L'émergence des éléments du monde extradivin est le fruit d'une procréation, par l'union de ces deux sefirot marquées sexuellement En retour, ce sont leurs engendrements qui permettent aux forces masculines et féminines de se manifester Plus loin, cette apparition sera surprise dans les versets où les deux luminaires sont créés, le soleil désignant le masculin, la lune, le féminin

Dans un autre passage de ce même texte, R Acher ben David recourt au motif, déjà rencontré dans le Bahir, de la circulation de la semence, pour appréhender le processus par lequel émane l'épanchement divin:

"Le rassemblement des eaux, il l'appela mers " (Gen 1:10). I1 fait procéder la colonne centrale, qui tète (115) à la source qui est le Juste, vers Tiferet, comme la colonne vertébrale qui tète le cerveau, à la façon dont il est dit: "Tous les fleuves vont vers la mer" (Ecc. 1:7): tous les canaux se déversent de Tiferet vers Atara à travers le Fondement du monde, qui est le Juste, comme il est dit: "Car c'est une semence de paix" (Zac. 8: I2)."

La première partie de ce passage n'est pas très claire. La colonne centrale semble désigner une réalité différente de la sefira Tiferet à laquelle elle est habituellement identifiée. De plus, le Juste - c'est­à­dire la sefira Yessod - qui est situé sous Tiferet, nourrit cette dernière, alors que l'on s'attendrait à l'inverse. Je crois qu'il faut entendre ce passage ainsi: la colonne centrale " tète les branches " dit Acher ben David dans ce même texte, elle est le couloir où afflue l'ensemble des neuf sefirot, y compris le Yessod, comparé ici au cerveau. Il nous dit encore, dans son commentaire encore inédit sur le Sefer Yetsira (116): " La colonne centrale est au nombre des sefirot d'en bas, sous les cinq sefirot supérieures d'en haut, elle est couronne par le souffle intérieur aux [sefirot] supérieures qui s'y répand sans cesse, ne s'interrompant jamais d'agir; toutes les actions de la colonne centrale sont mesure de clémence, le souffle intérieur agit en elle .. " (p. 2 ~4a) Une ligne axiale parcourt les sefirot de haut en bas, comme la colonne vertébrale dans le corps humain, elle recèle le " souffle intérieur " des sefirot supérieures qu'elle fait entrer en action en tant que "mesure de clémence".

Ce qui retiendra ici notre attention, c'est que la " semence de paix " est l'influx divin émanant du Yessod (le sexe masculin), en direction de la Atara (diadème), qui est le nom du Féminin A propos du deuxième jour de la création, Acher ben David nous dit: " Il (Dieu) ne dit pas de lui "qu'il est bon", parce que la Pensée ne se parachève pas avant qu'ait été fait place à Atara qui est le Noun. Le troisième jour, il est dit: "La sécheresse apparut", c'est là le Féminin, de la même façon il est dit: "Il n'est pas bon que l'homme soit seul" (Gen. 2:18), qui est Tiferet (117) " La lettre Noun désigne le Féminin, comme il en va dans le Bahir (118). La Pensée divine ne réalise sa plénitude qu'à partir du moment où il est fait place au Féminin En d'autres termes, il faut que la dimension féminine advienne comme aspect de Dieu, réceptacle de l'épanchement de la vie divine, pour que l'Intention divine se parachève. Cette insistance sur la place du féminin dans la vie divine caractérise très proprement la cabale, qui ne cessera de la réaffirmer, nous aurons plusieurs fois l'occasion de le constater Dans le Bahir comme dans les cénacles des cabalistes du Languedoc, à l'orée d'une tradition de pensée qui sera développée pendant des siècles, la sexualité et ses diverses manifestations: différenciation sexuelle, acte de copulation, procréation... est déjà le noeud à partir duquel s'organisent et croissent les intuitions mystiques et les connaissances ésotériques. Au lieu d'être reléguée au rang des phénomènes réputés relever de l'animalité de l'homme, la sexualité humaine est prise d'emblée comme participant, au titre le plus éminent, de son humanité et par là, de sa divinité

Parmi les tout premiers cabalistes, R EZRA DE G"RONE (119) a été celui qui a le plus clairement établi un lien entre le thème de la procréation et de l'engendrement, qu'il développe de manière conséquente, et le processus d'émanation divine, sans doute en reprenant des traditions antérieures. Dans son commentaire sur les Aggadot du Talmud de Babylone (120), écrit au plus tard vers 1220, il explique le secret de la formation de l'embryon après avoir cité un passage du Traité Nida 31a:

"Nos Rabbins ont enseigné: "Trois associés sont en l'homme: son père et sa mère et le Saint, béni soit­il. L'homme sème le blanc dont sont formés les os, les nerfs, le cerveau qui est dans la tête, et le blanc des yeux. La femme sème le rouge dont sont formés la peau, la chair, le noir des yeux, et la chevelure (121). Le Saint, béni soit­il, place en lui le souffle et l'âme, la beauté des traits, la vue, l'ouïe, la parole, la marche, la connaissance, l'intelligence et l'intellect" (Nida 31a avec des variantes) Tu dois savoir pourquoi les mots "Vous garderez mes Sabbats" (Lév. 19:3) jouxtent: "Chacun de vous craindra son père et sa mère" (id. 12) (122). Tu sais déjà, par voie de tradition (qabala), pourquoi son père sème le blanc, en fonction de ce qu'il a essentiellement reçu, c'est pourquoi: "Comme un père s'attendrit sur des enfants" (Ps. 103:13) (123). Sa mère sème le rouge suivant ce qu'elle a reçu - d'où l'on voit que les femmes sont parlantes, telle la nature du feu qui siffle et émet un son (124). Le cerveau qui est dans sa tête vient de son père, en lui se trouvent tout souffle et les engendrements qui le précèdent, car, de toute façon, le cerveau du fils procède du cerveau du père Le cerveau est comme un Yod, en lui sont la Sagesse et le Discernement: si une altération quelconque atteint le cerveau, aussitôt la vue se trouble dans sa connaissance (125). En lui subsistent en puissance tous les engendrements et de là ils se séparent (126). Ils sont en lui comme des traces extrêmement subtiles (127). Quoi qu'il en soit, le désir vient de la volonté de l'âme et l'âme du mâle tète l'âme du mâle et l'âme de la femelle tète l'âme de la femelle (128), aussi [les sages] ont-ils institué dans la prière (129) qu'il faut dire: "[Béni sois­tu Seigneur...], qui ne m'a pas fait femme" ; parfois, en effet, les âmes se substituent l'une à l'autre, c'est la raison de la venue de personnes stériles (130). Grâce au désir et à l'adhésion des âmes [de l'homme et de la femme] (13l), survient la semence, depuis la source du cerveau (132), brûlante encore à cause de la nature de la tête qui relève du feu (133). Elle traverse les orifices de la colonne vertébrale, passant de l'un à l'autre, puis elle se mélange à l'eau issue des orifices du ventre, qui relève de l'eau (134), elle s'écoule ensuite jusqu'au sexe qui relève du souffle (135), et qui est comme une outre gonflée et dure. Le souffle y est tendu et très comprimé, à cause de cette grande tension venue du feu qui veut sortir; le souffle expulse la goutte et la pousse entre les parois du vagin. C'est pourquoi nos sages, bénie est leur mémoire, disent: Tout jet de semence qui ne s'élance pas comme une flèche, est infécond (136). Aussi l'Écriture nomme­t­elle le jet [séminal] "connaissance", puisque la goutte provient du siège de la connaissance, et qu'elle est épanchée de ce lieu-là, à cause de quoi nos maîtres ont exhorté l'homme à se sanctifier au moment de "l'usage" (137), comme il est dit: "A l'intérieur de toi est le Saint" (Osée I I:9). Comme c'est dans le cerveau que sont tous les engendrements de l'homme, ils ont dit dans Sanhédrin (138) [à propos de Caïn]: il est écrit: "La voix des sangs de ton frère" (Gen. 4:10) et non "du sang de ton frère", les sangs, ce sont son sang à lui et le sang de ses descendants Et puisque dans le cerveau sont la Sagesse et le Discernement (139), le commentaire a dit: "Le Saint béni soit­il place en lui l'intellect, la connaissance et le discernement"; tu sais déjà que l'intellect (sekhel) désigne la Sagesse (Hokhma), avec les choses qui en dépendent - le sujet est éclairci"

Plusieurs détails de ce texte s'originent dans le Sefer Yetsira, c'est le cas de la correspondance des trois organes: tête, ventre, sexe avec les éléments: feu, eau, souffle. L'on reconnaît également une vague influence de Sabbataï Donnolo, que nous avons déjà rencontré. Mais surtout, l'on discerne nettement la marque des enseignements de R. Isaac l'Aveugle (140): ce que celui­ci dit des traces subtiles de l'ensemble encore indifférencié des sefirot au sein de la Couronne - la première d'entre elles - R. Ezra le dit des engendrements présents subtilement en puissance, de la même façon, dans le cerveau du père. Cette conception pourrait provenir de la théorie stoïcienne des " raisons séminales " que nous examinerons de plus près à propos de Nahmanide Le motif de la procréation et des processus qui lui sont liés sont bien, dès l'apparition de la cabale, une image clé qui rend compte de l'émanation des degrés de la vie divine. Il n'est pas douteux que la Lettre sur la sainteté emprunte à ce morceau sa définition du rapport sexuel comme " connaissance " (141), Le cerveau, là comme ici, est le siège des trois facultés de l'esprit - qui représentent aussi trois sefirot - : la Sagesse, le Discernement et la Connaissance. Le cerveau lui­même qui les contient, semble désigner la sefira Keter, d'où procède l'influx divin sous forme de tendresse (rahamim), qui est le " blanc" semé par le père dans l'enfant dont parle la Aggada du Talmud. Je pense que l'on peut entrevoir dans cette conception et ces images, l'origine d'une figure énigmatique du Zohar (cf. III 129b, 135a...), surtout présente dans les Idra, celle de la " tête blanche " qui désigne la sefira Keter (la Couronne) (142). C'est là un point d'une ample portée au niveau de l'histoire de la cabale: ce sont les spéculations originelles de R. Isaac l'Aveugle et leur redéploiement au plan du secret de l'engendrement par les cabalistes de Gérone qui ont fourni à la tradition cabalistique culminant dans le Zohar, certaines images fondamentales. Il y a de fortes présomptions qui permettent d'estimer que cet écrit de R. Ezra sur la procréation a fourni des intuitions déterminantes qui ont rendu possible les élaborations des Idra du Zohar décrivant les entités recelées dans la plus haute sefira Ce qui est recherché par le recours à cette problématique, c'est un langage qui garde ses distances vis­à­vis de la causalité mécanique de la philosophie aristotélicienne et qui permet de parler de l'émanation, non plus dans les termes abstraits de la succession des causes et des effets à partir d'un premier principe, mais avec les vocables qui évoquent en termes personnels le passage du père au fils, avec de surcroît le maintien du féminin à l'intérieur de la sphère de la divinité Il faut remarquer aussi dans le texte précité, la mention de l'éjaculation présentée comme résultant de la tension interne du souffle, mis en mouvement par le feu (" la nature " de la tête) qui " veut " sortir. C'est là une claire allusion à la Volonté divine, identifiée à la première sefira, qui met en marche l'ensemble du processus d'émanation; ainsi l'engendrement est l'aboutissement de l'élan de la Volonté qui vise à faire naître un enfant à son image, et celui­ci déploiera ce qu'elle recèle quant à elle sous forme de “traces subtiles”. C'est pourquoi l'enfant - ou le niveau d'émanation sefirotique - n'est jamais l'analogue de son géniteur, il ne le répète pas en tant qu'il le reproduit, mais en tant qu'il révèle une dimension cachée, enfouie dans son fond le plus inaccessible. A travers la filiation, c'est une intention initiale mais inconnue - en puissance dans le cerveau du père dit le texte - qui vient au jour. L'acte sexuel est le moment paroxystique d'extrême tension où la volonté passe de la puissance à l'actualité, de la nuit au jour. Où les tendresses (rahamim) se contractent pour jaillir comme une flèche et atteindre leur cible dans la matrice. Cette description de l'éjaculation, qui doit beaucoup aux conceptions physiologiques de Galien, est très riche d'enseignements: c'est l'éjaculation qui porte proprement le nom de “connaissance”, dans la mesure où elle est le mode de transmission du divin - du Saint - qui se situe dans le fond tripal (143) de l'homme On comprend alors qu'elle soit un tel enjeu, où se décide le sort des générations, sur lequel insiste la Lettre sur la sainteté. Remarquable aussi est le fait qu'un unique langage, faisant l'économie de la séparation entre le divin et l'humain, parle de la Divinité et de l'homme simultanément, sans disjoindre les problématiques où ils sont engagés.

R. Ezra explique aussi la raison de la règle du Lévitique, selon laquelle quand une femme donne naissance à une fille, elle sera impure deux fois plus longtemps que pour un garçon, en faisant appel au processus de l'émanation des sefirot:

"Le garçon provient de la prédominance du masculin, qui sème du blanc selon ce qu'il a reçu. Car si la goutte masculine survient la dernière sur la goutte féminine après que la femme a semé [la première] du rouge selon ce qu'elle a reçu, la goutte féminine ne prédomine pas, mais ce sera la goutte masculine venue en dernier sur la goutte féminine, déjà la force de celle­ci se sera affaiblie et elle enfantera un garçon. Aussi l'impureté ne sera pas trop épanchée, puisque le garçon est composé majoritairement de la goutte du père, venue du côté droit. Et à l'ordinaire, quand c'est le mâle qui sème le premier et qu'il n'a pas persisté avec intention [sur le ventre de la femme] (144), prédomine sur lui la goutte féminine, aussi son impureté est­elle épanchée doublement à cause de la prédominance de cette goutte du côté gauche, du rouge (ibid. 15b)."

L'homme et la femme reçoivent chacun l'influx divin qui lui correspond: le premier reçoit du côté droit, celui de la Générosité (Hessed), l'autre du côté gauche, celui de la Rigueur (Guevoura), qui présuppose une plus grande susceptibilité à l'impureté. Aussi, en engendrant ils transmettent cet influx, le père transmet le sien surtout au fils, la mère surtout à la fille - d'où la plus grande impureté suscitée par sa naissance. Nous aurons plusieurs fois l'occasion de revenir sur le processus par lequel prédomine un sexe sur l'autre dans la procréation, et sur sa source talmudique. Retenons seulement de ce passage l'idée selon laquelle chaque sexe s'origine en fin de compte dans la différence masculin/féminin présente au niveau de la vie divine dont il reçoit sa substance particulière, et que la procréation ne fait que transmettre cette différence, d'abord intradivine. Au lieu du croisement habituel dans le Talmud père/fille, mère/fils, le texte précité insiste sur le passage du semblable dans le semblable, dans le but de marquer la filière qui fait lien entre l'engendrement et la structure des sefirot, et cela je crois, pour maintenir l'irréductibilité de la différence sexuelle, au sein même du butoir des sefirot où elle s'amorce; en d'autres termes: pour qu'elle commence à l'intérieur même du monde divin. R. Todros Aboulafia, dans la seconde moitié du XIIIe siècle, reprendra plusieurs des formulations de ce passage dans son propre commentaire sur les Aggadot (Récits) du Talmud de Babylone, que nous aborderons plus loin.

Le texte de R. Ezra, qui prolonge visiblement les conceptions exprimées par R. Isaac l'Aveugle et Acher ben David, nous permet même de penser que les images liées au processus de procréation, depuis le désir sexuel jusqu'à la naissance de l'enfant, ont été à l'origine du développement par les cabalistes de leur façon de se représenter l'émanation des sefirot. A la fois la parenté et la rupture avec le néo­platonisme sont sur ce point frappantes : les néo­platoniciens, s'ils empruntent des schèmes et des mots au vocabulaire de la génération pour exprimer la procession de l'Un surabondant, répugnent à mettre en valeur la ressemblance entre la génération des corps et celle des hénades, alors que les cabalistes y insistent. Cette insistance à penser l'étroite similitude entre elles, cette proximité détaillée, tend à donner à la génération des corps le même statut, sinon la même signification métaphysique que celle qui est donnée à l'émanation des sefirot: ici et là, c'est affaire divine.

Le plus célèbre des cabalistes de Gérone mérite une attention particulière. La pensée de NAHMANIDE sur la question qui nous intéresse, est assez difficile à appréhender. I1 paraît se montrer réticent, davantage que ses maîtres languedociens et géronais, à lier engendrement et émanation des sefirot, ou à voir dans la procréation un phénomène qui s'explique autrement que par la science naturelle de son temps. Cependant, comme Nahmanide se montre en général très prudent et répugne à exposer ouvertement les " secrets " de la Torah, il se peut qu'il en aille de même quant à ce qui nous occupe. Seul un fragment qui lui est attribué, relatif au secret des arayot (unions illicites), déploie une problématique où engendrement et émanation des sefirot sont mis en rapport. Le texte nous est parvenu par un de ses commentateurs, R. Yochoua Ibn Chou'aib, qui affirme le tenir d'un " rouleau de mystères " (méguilat sétarim) écrit de la propre main du maître de Gérone (145):

"Voici ce qui me semble être la raison des interdictions des arayot (unions illicites) selon la tradition qui est entre nos mains: au sein des jours du commencement les sources [= sefirot] produisirent des branches (146), après les six [jours] ils ne produisirent plus de nouvelles branches, et tout l'accroissement ne sort plus que des branches seulement. Selon ce modèle, tous les proches parents, issus d'un même flanc et d'une même source, du côté des descendants, comme des sœurs et comme la femme de son frère qui est comme son corps, et comme sa fille et sa bru qui est comme son propre fils, ainsi que du côté des ascendants: son père, le père de son père et leurs femmes, ce sont là les sources qui ne s'accroissent pas. Mais les proches parents qui ne sont pas issus de son flanc ont été permis, car ils sont comme des branches à partir desquelles il y a accroissement. Or les frères [= Caïn et Abel] qui ont été créés lors des six jours du commencement, sont à l'exemple des sept sources, c'est pourquoi leurs jumelles leur ont été permises, pour épouser une branche et produire un fruit, selon le modèle de la création où les sources se sont accrues jusqu'à ce qu'elles donnent des fruits... (147)."

Les " sept sources ", à savoir les sept sefirot inférieures, sont l'équivalent pour un homme de ses proches parents, de ceux qui sont sa source où dont il est la source, et comme depuis la semaine initiale, les sources ne s'accroissent pas, mais seulement leurs branches, l'homme ne doit pas s'accoupler avec ces " sources " - ses proches parents. Cette explication est particulièrement intéressante : elle pense la série généalogique des hommes comme étant réglée (ou devant l'être) sur la série processive des sefirot. L'on sait que dans le traité Haguiga (11b) du Talmud, à côté de la mention des enseignements ésotériques du Maassé Beréchit et du Maassé Mercaba (Récit de la Création et Récit du Char), figure celui des " secrets des unions illicites " selon la formule de Rav Achi, qui a d'ailleurs été très diversement interprétée. Dans son commentaire sur la Torah (Lévitique 18:6) Nahmanide déclare que " nous n'avons pas entre nos mains de tradition à ce sujet ", déclaration qui sera reprise par R. Menahem Récanati et Rabbenou Behayé. Cependant, il ne me semble pas que le texte précité soit seulement une pure élaboration spéculative de Nahmanide, mais qu'il s'appuie lui aussi sur les traditions des cabalistes du Languedoc et de Gérone que nous avons rencontré. Chez eux comme dans notre texte, engendrement des corps et émanation divine sont mis en étroite corrélation.

Pour ce qui est de la conjonction sexuelle proprement dite, Nahmanide s'en tient à des formulations de type prescriptif qui ne ressemblent guère à celles qui ont été promues par les cabalistes ou qui le seront: à certains égards, il se montre plus éloigné des conceptions affirmées par les cabalistes que de celles de Maïmonide. Il dira par exemple: " Sache que la relation sexuelle est chose tenue à l'écart et méprisée par la Torah, sauf pour perpétuer l'espèce, celle dont rien ne naît est interdite de même celle qui n'est pas bonne pour la perpétuation et ne réussit pas, la Torah l'a interdite... " (ad. Levit. 18:6) (148). De même, quand il lui arrive d'aborder la procréation, Nahmanide se garde d'évoquer les secrets de la cabale, et se satisfait des théories aristotéliciennes sur ce sujet, qu'il épouse d'avantage encore que ne le fit Maïmonide, plus porté semble-t­il en cette question sur les idées de Galien. Dans un commentaire sur le Lévitique (12:2), il nie énergiquement, avec Aristote, que les femmes possèdent une semence au sens d'une puissance génératrice, et affirme qu'elles ne contribuent à la procréation que comme la terre, où croissent des semences, en nourrissant de sang le fœtus. Dans le développement qu'il accorde à la formation de l'embryon, il déclare:

“"La femme qui fera semence la première enfantera un mâle" (Nida 3I a): les [sages] ne veulent pas dire que l'embryon advient à partir de la semence de la femme, car la femme ne possède pas des œufs comme ceux du mâle tels qu'en eux se constituerait la semence, ou bien leur semence ne se coagule pas et n'agit en rien sur l'embryon. Mais ils disent qu'elle "fait semence" au sujet du sang de la matrice qui se recueille au moment où la pénétration dans la mère s'achève, et se joint à la semence masculine, car selon eux l'enfant est formé à partir du sang de la femelle et à partir du blanc de l'homme, or ces deux choses ont été dénommées "semence"149. Les [sages] disent ainsi: I1 y a en 1'homme trois associés, l'homme y sème le blanc, d'où viennent les tendons et les os et le blanc de l'œil, la femme sème le rouge d'où viennent la peau, la chair, le sang, la pilosité et le noir de l'œil (Nida 31a avec des variantes). Telle est aussi l'opinion des médecins à propos de la formation [de l'embryon]. De l'avis des philosophes grecs, le corps de l'embryon provient entièrement du sang de la femme, il n'a en lui de l'homme que la puissance connue en leur langue [par le nom de] hylé, qui donne forme à la matière, car il n'y a pas de différence entre l'œuf de la poule fécondé par un mâle et [celui] de celle qui enfante de s'être roulée dans la poussière, l'un fera croître un poussin, l'autre ne germera pas et ne poussera pas, parce que lui a manqué la chaleur fondamentale qui est pour elle la hylé (150)."”

De même dans son commentaire sur Genèse 2:18, il affirme:

" Il est possible de dire qu'il en alla selon les paroles de celui qui dit: Ils ont [l'homme et la femme] été créés [comme] deux­visages [Berakhot 61a], et il advint qu'il y eut entre eux une nature qui apporte la puissance d'engendrement du mâle à la femelle dans les organes de la procréation... "

Cependant, le sens très inhabituel donné à la hylé qui d'ordinaire reçoit la forme et ne la donne pas, indique semble­t­il que Nahmanide avait à l'esprit un " secret " relatif à la procréation, qui correspond à ce qu'il dit à propos de la création du monde :

"Il fit sortir du rien absolu, total, un fondement très subtil qui ne comportait rien de tangible, mais qui est une force qui fait naître [ou qui fait exister], prête à recevoir la forme et à passer de la puissance à l'acte, c'est la matière première, appelée par les Grecs hylé, et après la hylé il n'a plus rien créé, mais formé et fabriqué, car à partir d'elle il fit naître tout, il vêtit les formes et les para (...) cette matière, appelée hylé, est appelée en langue sainte Tohu...".

G. Scholem a tenté d'élucider " l'étrange explication de la hylé comme une force qui fait naître réitérée par Nahmanide dans plusieurs passages ", en la mettant en rapport avec la conception de la sefira Hokhma (la Sagesse) des cabalistes géronais : " Chez les Kabbalistes, les deux motifs de la Hokhma support et donatrice des formes semblent s'être enchevêtrés. Le groupe de Gérone, en tout cas, professait l'opinion représentée dans la philosophie par Averroès, selon laquelle les formes, par leur origine, sont inhérentes à la hylé. Dieu n'a pas fait naître les formes séparément de la matière sans forme, pour les y unir seulement par la suite; il les a " tirées " de la Hokhma­hylé, au sein de laquelle elles pré­existaient en pures puissances, comme essence encore indifférenciées... (151)".

Si cette thèse est la bonne, elle implique, en ce qui nous concerne, que la semence paternelle est à la fois le support des formes de l'embryon à venir, encore indifférenciées en elle, et la force qui exprime ces formes et les fait passer de la puissance à l'acte; en d'autres termes, que la semence masculine est puissance génératrice et acte générateur comme la matière première. En ce cas, la semence féminine ne participerait en rien, pas même comme support de la forme au processus de génération, elle n'est plus, comme le dit Nahmanide en citant un verset d'Isaïe (61:1l) qu'une " terre qui fait pousser ses semences " - les semences qu'elle a reçues du mâle. Il est intéressant de noter qu'au XVIIIe siècle, Moses Mendelssohn, figure centrale du judaïsme " éclairé ", donnera un commentaire semblable dans son Béour (Explication) sur le même verset du Lévitique. Mais le texte de Nahmanide sur le Lévitique est en fait très difficile à comprendre, dans la mesure où il semble considérer que la hylé n'est pas la matière: " La hylé donne forme à la matière " dit­il alors que dans son commentaire sur la création il identifie clairement hylé et matière: " La matière première est appelée par les grecs hylé. " Il est possible que Nahmanide distingue en fait la matière première, la hylé, qui serait à la fois support et donatrice des formes, et la matière commune, qui elle, serait l'apport de la femme dans la procréation, et qui ne ferait que recevoir les formes venant de la semence mâle, identifiée à la matière première - la hylé. Il me semble que cette conception se rattache aussi à la doctrine stoïcienne des " raisons séminales ". Celles­ci sont des formes dès le départ en puissance dans la matière. Voici le résumé qu'en donne Étienne Gilson : " La matière qui par elle­même serait complètement passive, reçoit immédiatement une détermination virtuelle par les formes substantielles qui sont en elle à l'état latent, en attendant que plus tard elles ne l'informent en se développant. Tous les phénomènes et tous les êtres de l'univers s'expliquent ainsi par le développement en forme de raisons séminales primitives dont l'origine première est Dieu " (p. 449) (152), Cette conception a été développée par Augustin. Rapportées à l'embryologie, ces raisons séminales seraient présentes au sein de la matière spermatique du père et deviendraient des formes en passant à l'acte dans la matrice. Le père serait donc porteur et donateur des formes, tandis que la mère en serait seulement la réceptrice qui les nourrirait pendant leur croissance. Le point de départ de l'anomalie dans la position de la hylé, c'est que Nahmanide (et les cabalistes de Gérone si l'on en croit Scholem) n'admettent pas qu'il puisse y avoir une forme dépourvue à l'origine de substrat matériel (153). Et cela, sans doute, pour éviter d'adopter la conception de la création du cosmos exposée par Platon dans le Timéé, qui pose un dualisme entre une forme ou un modèle intelligible séparé originellement de ce qui va être son substrat ou son réceptacle, conception qui postule une matière éternelle et incréée - coexistant avec le modèle intelligible et donateur des formes. Dans la conception des cabalistes géronais, la forme et son substrat ne sont pas séparés mais créés ensemble en une unité appelée par eux " matière première ". Plus tard, les cabalistes de Castille donneront une autre solution au problème posé par le Timéé (154). Nous avons vu que Nahmanide fait appel aux conceptions médicales et philosophiques pour expliquer la formation de l'embryon, de même pour expliquer les mesures d'éloignement de la Nida (la femme menstruée), il fait appel à des conceptions hygiéniques et diététiques, à partir d'observations qu'il dit tenir d'Aristote et qui proviennent effectivement de son Traité des Rêves. L'on trouvera ces passages dans son Commentaire sur la Torah (Lév. 12:4, 18:19) et dans son exposé sur la valeur de la Torah (Torat hachem Temima, p. 166­167 de l'ed. Chavel). Nous aurons l'occasion de revenir sur certains de ces aspects, mais il est clair que l'attitude de Nahmanide vis­à­vis de la relation sexuelle et de la procréation dénote de sa part une volonté d'éviter avec soin toute mention d'une dimension spirituelle ou ésotérique qui leur serait liée. Mis à part bien sûr le texte rapporté par Ibn Chou'aib, pour autant qu'il est vraiment dû à la plume de Nahmanide, ce qui ne saurait être le cas.

Nous avons mentionné dans une note la grande influence d'un autre cabaliste géronais, R. Jacob ben Chéchét, sur notre Lettre, relativement à sa conception de l'impact de la pensée sur la semence. Il faut indiquer encore qu'il se sert de la formation de l'embryon comme paradigme d'une phase mystérieuse de la création du monde (155) et qu'il considère que l'âme est originellement masculine et féminine (voir note 32 supra).

Si l'on se déplace de la Catalogne à la Castille, l'on rencontre chez R. JACOB HACOHEN DE SORIA, un cabaliste inspiré qui a exercé une influence déjà signalée sur R. Joseph Gikatila, un intérêt marqué pour le moment de la conjonction sexuelle. Dans un écrit sur le secret des lettres de l'alphabet hébraïque (156), il nous dit:

" Sache que la tête cachée qui se trouve dans [la lettre] () fait allusion à la couronne de la circoncision (157), pour t'enseigner que celui qui fait usage de son lit avec discrétion, humilité, pudeur, à des moments spécifiques (158) et au nom du commandement et non pas à cause du désir du penchant au mal, le Saint, béni soit­il, lui attache pour toujours une semence d'hommes qui sera ceinte et couronnée par la couronne de la Torah (159), de même que le est couronné à sa tête. C'est pourquoi il est dit dans le Sefer Yetsira: "Pé, semence" (160). De plus, la valeur numérique de est la même que celle de Mila (circoncision), pour faire savoir que [cette lettre] correspond à la semence (p. 217). "

Et quelques lignes plus bas:

" Sache que le secret de la forme du allongé () vient nous enseigner ceci: bien que l'homme fasse usage de son lit discrètement, s'il a l'habitude d'en faire usage constamment, les enfants n'en sortiront pas tellement sains, mais ils seront épileptiques et incomplets au niveau de l'esprit (daat). Ce qui l'atteste, c'est que le recourbé (161) se rapporte à celui qui fait usage de son lit sans cesse; la tête cachée qui est dans le () ressemble à l'alliance de la circoncision et le corps du ressemble à [la lettre] Noun () qui a la forme [d'une personne de sexe] féminin, tandis que le allongé () ressemble à un Noun allongé () et sa tête cachée ressemble à l'alliance de la circoncision, et il ressemble à un homme continent qui ne "fait usage "qu'à des moments spécifiques. Ainsi, tu ne peux dire "continence" (perichout) sans que la lettre soit au début. Qui se conduit de cette façon mérite une semence convenable et saine, juste et couronnée par la couronne de la Torah. Il a de quoi ouvrir la bouche (péh) le jour du Jugement, sa bouche ne se fermera pas, comme un courbé et clos... (ibid). "

Plus loin, il est encore traité, en tant que secret des lettres réch et qof, de ce qui fait que l'enfant " nait saint et pur ou méchant scélérat et vil " (p. 218). L'on voit que les préoccupations de la Lettre sur la sainteté sont déjà exprimées comme savoir ésotérique par R. Jacob Hacohen, même si notre Lettre ne le rattache pas à une méditation des lettres de l'alphabet hébraïque.

R. MOÏSE DE BURGOS (1230­1300), dont le nom a déjà été mentionné à propos d'un passage que lui emprunte notre Lettre, fait usage aussi du schéma de l'engendrement pour qualifier le processus d'émanation. Il est peut­être le premier à identifier explicitement la sefira Hokhma (Sagesse) avec le Père :

" De la première puissance qui est lumière primordiale, souffle primordial appelé “lumière essentielle” (162), procède la deuxième puissance. Celle­ci vient pour être une voix énonciative, car de la voix sort l'énonciation, et la voix est Père et l'énonciation est engendrement. Du Père procède la puissance du Yessod (Fondement) tendu vers le haut, son œil est pareil à un feu jaune " (10a).

Plus loin, à propos d'un nom ésotérique:

" La Sagesse appelée Père est source de la bénédiction et du Fils, car celui­ci est un secret intérieur et en tant qu'il est (à savoir le Yessod) la monture du Père primordial et qu'en lui est le secret du Char, qu'en lui est signifié le secret du chevauchement du Père et qu'il est désigné dans le verset: "C'est mon souvenir [zé zikhri = zé (celui­ci, le Yessod) est mon zakhar, soit mon garçon ou mon fils]" (Exode 3:15) pour renvoyer à un sujet extraordinaire, et en tant qu'en lui est en allusion l'alliance et est inclus le secret du retranchement perpétuel, il inclut la Torah antérieure au monde, et sont en allusion en lui les mots alliance et Torah (163) comme cela est connu du cabaliste intelligent " (p. 30b) (164).

Ces deux morceaux dont la syntaxe paraît quelque peu embrouillée et qui sont donc difficiles à restituer, se réfèrent clairement à un secret de l'engendrement de la sefira Yessod (le Fondement) identifiée au Fils, par la sefira Hokhma (la Sagesse) identifiée au Père. De plus, le Fils (ou le Yessod) est regardé comme le véhicule, le " char " du Père primordial. Les présentes formulations se rapprochent de celles que l'on trouve dans le Zohar et dans notre Lettre, bien qu'il n'y soit pas fait allusion à la Bina (= la mère) comme participant à cet engendrement.

Parallèlement à la cabale centrée sur les dix sefirot, se développe un courant de la cabale centré sur les lettres, qui est né surtout à partir de l'impulsion de R. ABRAHAM ABOULAFIA (1240­1292). Pour ce cabaliste, nous dit Moché Idel (165), l'accouplement entre l'homme et la femme sert d'image pour désigner l'union de l'âme du mystique avec l'Intellect Agent. Dans le même esprit, la semence sert de métaphore évoquant la fécondité intelligible (166) qui s'introduit dans la partie intelligible de l'âme pour la métamorphoser en intellect actif. Le processus de la procréation sert aussi de modèle au mouvement qui conduit à la prophétie, c'est­à­dire à la réception du flux de l'Intellect Agent, figuré par la " semence ".

Cependant, Moché Idel insiste avec force sur l'écart qui sépare ce fondateur de la cabale prophétique des conceptions développées par les autres cabalistes, comme l'auteur de notre Lettre. Pour R. Abraham Aboulafia, qui suit en cela le courant philosophique représenté par Maïmonide, l'acte sexuel est vil en lui­même et n'est en rien le support en ce monde d'événements qui se produisent au sein de la vie divine. Si ce cab liste s'en sert comme métaphore pour exprimer l'expérience prophétique, " c'est parce que de son point de vue, il n'existe aucun lien immanent entre la métaphore comme telle et le processus sous­tendu et suggéré par elle ". En bref, " s'il y a similarité structurale ", il n'y a " aucun lien essentiel ". Les plans naturels et métaphysiques sont complètement distincts, alors qu'ils sont en corrélation constante dans la cabale spéculative.

Nous avons signalé dans une note (167) le caractère crucial accordé par R. TODROS ABOULAFIA (1222­1298) à la bisexualité du premier homme, qui est celle de l'image divine d'après laquelle il a été créé. Ce cabaliste castillan qui était aussi un talmudiste et une autorité rabbinique de premier ordrel6é, nous fournit encore quelques indications succinctes sur le secret de la procréation. La Lettre sur la sainteté reprendra ses conceptions et lui empruntera même une formule typique (169). Dans son Otsar ha kavod il évoque d'abord, en termes voilés, le mouvement interne de la vie divine, en recourant à l'image de la circulation de la semence:

" Par la voie de la colonne vertébrale (170), le cerveau (171) abreuve tous les membres, de là ils se nourrissent (172) et il donne une semence au semeur (173) et abreuve la terre, qui enfante et fait pousser (174), comprends cela, car c'est une chose scellée... " (p. 12a) (175).

Quelques pages plus loin, il évoque l'origine divine de la semence du père et de la mère:

" Cela aussi est chose fermée et scellée, mais [les sages] ont dit ailleurs (Nida 31a) que l'homme sème du blanc et la femme sème du rouge, ce qui est adéquat à ce qu'ils reçoivent de leur modèle (176), car la force du mâle et son âme procèdent du Masculin et la force de la femelle et son âme procèdent du Féminin (l77). Ne t'étonne pas si la femme qui émet la semence en premier enfante un mâle (178) car la semence de l'homme venue ensuite a prédominé, à l'exemple de la semence semée sur de la poussière (179). Il en va de même dans le cas contraire. C'est [la semence située] au­dessus qui prédomine. Ce fondement faisant allusion aux puissances d'en haut est très profond, qui le trouvera ? " (p. 17a).

L'on peut considérer ce passage comme inspiré en partie par le développement de R. Ezra de Gérone que nous avons eu l'occasion de rencontrer. Là comme ici, l'homme et la femme produisent une semence qui tire son origine de leur modèle (dougma) au niveau des sefirot. Chacun reçoit l'épanchement qui lui correspond d'après son genre et le retransmet à son tour sous la forme de semence, qui semble être en étroite relation avec l'émanation divine, dont elle prolonge la surabondance en lui donnant une traduction concrète. Les parents sont dans la même situation vis­à­vis de leur enfant que les sefirot masculine et féminine vis­à­vis d'eux­mêmes. La substance que l'embryon reçoit de ses géniteurs humains est de nature identique à celle qui est émanée de la divinité. La teneur exacte de cette correspondance n'est cependant pas précisée. R. Todros Aboulafia s'écarte toutefois sur un point du texte de R. Ezra. Alors que ce dernier faisait correspondre respectivement père et mère aux sefirot Hessed et Guevoura, émettrices d'influx de bonté et de rigueur, notre cabaliste identifie le modèle divin du père à la sefira Tiferet (le Masculin) et celui de la mère à la sefira Malkhout (le Féminin). Cette différence peut être expliquée par le développement interne de la cabale: dans les écrits les plus anciens l'on trouve les sefirot Hessed et Guevoura considérées comme étant les Deux­Visages constitués d'une face masculine et d'une face féminine. Par la suite, le caractère sexué des sefirot s'est cristallisé au niveau de Tiferet et de Malkhout. Néanmoins, les sefirot Hessed et Guevoura ont continué à être regardées, de façon plus indirecte ou détournée, comme étant marquées sexuellement, Hessed par le masculin, Guevoura par le féminin.

Notre cabaliste revient encore brièvement sur le secret de la procréation:

" Nos maîtres disent dans le traité Nida (31a) qu'il y a trois associés en l'homme, le Saint, béni soit­il, son père et sa mère (...) Il te faut maintenant t'éveiller à ce qu'ils ont dit à propos de son père qui sème du blanc, ce qui est adéquat à ce qu'il reçoit de son modèle d'en haut: " Comme un père est tendre pour ses enfants" (Ps. 103:13) et la femme aussi sème du rouge selon ce qu'elle a reçu... " (p. 59a).

Ce que l'homme reçoit de son modèle d'en haut, l'influx divin, diffère de ce que la femme reçoit du sien. Autrement dit, l'homme et la femme ont chacun un mode spécifique de rapport au divin. Celui­ci comporte un aspect masculin et un aspect féminin qui œuvrent distinctement dans le processus de formation de l'embryon. R. Todros Aboulafia le précise encore:

" Sache que ce commandement est grand et très profond, car celui qui néglige le commandement du fructifier et du croître, c'est comme si, osons le dire, il empêchait la puissance d'en haut d'accomplir son œuvre. Aussi [nos maîtres] ont­ils averti l'homme de se sanctifier lui­même au moment de "1'usage", afin que les puissances fassent leur travail dans la sainteté et la pureté... " (p. 50a).

En d'autres termes, ce sont des forces divines, masculines et féminines, qui agissent à travers les parents pour produire l'embryon. Négliger de procréer revient donc à empêcher Père et Mère d'en haut d'épancher leurs influx.

Dans un ouvrage antérieur encore inédit, le Chaar ha Razim (la porte des mystères) (180), ce cabaliste insiste sur le caractère bisexuel du monde divin: " Le secret est que tout l'édifice [des sefirot] est "comme l'aspect de l'homme d'en haut" (d'ap. Ez. 1:26) et "le féminin entoure l'homme" (Jér. 31:22). " (f. 210a),

Si les neuf sefirot supérieures sont masculines, la dernière est féminine, elle entoure les autres comme un dernier cercle dans une série de cercles concentriques, ainsi que les sefirot ont parfois été représentées. La référence à la vision d'Ezéchiel indique sans doute qu'il s'agit là d'un secret du Maassé Mercaba, le Récit du Char, l'objet de l'étude ésotérique par excellence. Plus loin, R. Todros décrit l'engendrement de façon qui rappelle encore le texte d'Ezra de Gérone:

" La puissance du masculin vient du masculin et la puissance du fils vient de la puissance du père, aussi " une femme qui fait semence la première engendre un mâle", ainsi que disent nos maîtres, de mémoire bénie: "son père sème le blanc et sa mère le rouge", telle est la juste règle suivant ce qu'ils ont reçu de leur modèle [sefirotique] " (f. 215a).

L'adage fort répandu au Moyen Age et qui provient de la littérature grecque de l'Antiquité, selon lequel le semblable engendre toujours le semblable, sert ici de preuve démonstrative quant à l'origine en Dieu de la différence sexuelle: au début de la chaîne, en son premier maillon divin, il fallait bien qu'il existe du masculin et du féminin pour que la série des semblables puisse commencer comme double série irréductible. Nécessairement, le modèle spirituel de la transmission de l'identité sexuelle doit comprendre les deux sexes, qui ne se confondent pas, ni ne fusionnent, il ne doit être ni neutre, ni monosexué. Bien que très allusif dans ses écrits, R. Todros Aboulafia a certainement été un relais important de la transmission des secrets relatifs à la sexualité.

Contemporain et voisin de R. Todros Halévy Aboulafia, R. ISAAC BEN ABRAHAM IBN LATIF DE TOLEDE (1228-1290) a la particularité d'avoir entrepris une œuvre philosophique qui intègre des éléments de la cabale, dont il reconnaît d'ailleurs la supériorité, même s'il en donne une version très originale. Quand il lui arrive d'aborder les questions relatives à la relation sexuelle, il emprunte la terminologie aristotélicienne classique, mais en la compliquant de considérations qui pourraient bien être la trace de l'influence ésotérique.

Dans un livre intitulé Guinzé ha Melekh (les cachettes du roi), il propose une interprétation du texte de la Genèse évoquant la création de la femme et l'union du mâle et de la femelle en une seule chair. A cette occasion, il répète les conceptions les plus classiques: le désir de la femme pour l'homme est plus grand par nature que le désir de l'homme envers la femme, ce qui explique que les rabbins ont dit que la femme désire se marier davantage que l'homme. Le verset biblique stipulant: " Ton désir t'entraînera vers ton époux " (Gen. 3 16) indique que les femmes suivent la matière, celle­ci, dans la procréation, est son sang qui recherche la forme (le sperme masculin) pour s'y parachever. L'homme lui donne en effet une forme issue de lui­même et ce faisant il n'obtient aucune perfection, il subit au contraire une privation. C'est pourquoi l'homme peut plus aisément vaincre sa concupiscence. Mais c'est lorsque Ibn Latif combine le couple matière ­ forme avec le couple puissance ­ acte, qu'il approfondit sa réflexion:

" Tu ne trouveras pas de matière sans forme ni de forme sans matière, aussi la matière en tant que telle sera dite par comparaison (héqech) avec la forme et la forme en tant que telle on la dira par comparaison avec la matière, de même que l'on parle de maître par comparaison avec le serviteur et de serviteur par comparaison avec le maître. De même encore, [l'on parle] de fils par comparaison avec le père et de père par comparaison avec le fils. Néanmoins, la matière précède la forme dans la nature, puisque l'on entend la matière comme support et la forme comme supportée par elle. La simple matière donc, est une substance en puissance et lorsqu'elle revêt la forme, la substance devient actuelle et l'on trouve alors une substance composée de matière et de forme, existant en­dehors de la pensée. Après avoir d'abord expliqué la réalité de l'existence de la matière et de la forme hyliques principielles, nous allons dire maintenant, qu'après l'instauration (tiqoun) de l'ordre de [ce niveau] d'être, l'existence des êtres se poursuit dans les individus des diverses espèces qui sont sous cette catégorie. Dans leur ensemble la masculinité qui donne une certaine forme à un individu quelconque parmi les individus vivants, est une masculinité en puissance. Tu parleras de masculinité par comparaison avec la féminité; de même de la féminité préparant la matière à recevoir la forme, il s'agit d'une féminité en puissance dans la matière et tu parleras également de féminité par comparaison avec la masculinité. Ce que dit l'Ecriture: "Celle­ci sera appelée femme (icha) car de l'homme (ich) elle a été prise" (Gen. 2:23), ce qui signifie que "celle­ci sera appelée femme" par comparaison avec l'homme, et celui­ci [est appelé] homme par comparaison avec la femme. Cependant, lorsqu'ils se conjoignent, le masculin se trouve être alors masculin en acte et le féminin, féminin en acte et des deux naîtra un engendrement composé de deux choses qui sont la matière et la forme existant en acte après être restées isolées et séparées en puissance dans deux individus de l'espèce. C'est toute la question de la dyade qui est le début du nombre existant dans cette composition et qui est la parité... " (Commentaire sur l'Ecclésiaste p. 41a).

De ce texte il ressort que la conjonction sexuelle permet à la masculinité et à la féminité de passer de la puissance à l'acte, c'est­à­dire d'accéder à un degré de perfection plus élevé. De plus il semble bien que si la femme prépare la matière et si l'homme transmet la forme, ni l'un ni l'autre ne sont réduits à être des métaphores de la matière et de la forme et ne s'identifient pas à elles. Ce qui se produit au niveau ontologique où matière et forme simples entrent en relation, se reproduit au niveau des espèces vivantes où masculin et féminin constituent les vecteurs et les opérateurs des réalités ontologiques précitées. Si masculin et féminin n'ont d'autre existence séparée que ce qui se remarque par leur comparaison, en se joignant ils ne sont plus des entités virtuelles et abstraites, fruits d'une opération intellectuelle, mais ils deviennent des réalités en acte à travers l'enfant. En lui, matière et forme qui étaient seulement en puissance, parce que disjointes, dans les individus de l'espèce, existent en acte une fois qu'elles sont entrées en composition. I1 est possible, je crois, de déceler dans ces réflexions d'Isaac Ibn Latif, un remaniement des idées maïmonidiennes - nous en traiterons plus loin - à partir des conceptions de la cabale, qui voient dans l'union du masculin et du féminin l'opérateur d'une unification d'entités spirituelles, ici pensées dans le registre classique de la forme et de la matière. Certes, Ibn Latif ne va pas aussi loin que les cabalistes purs et n'identifie pas les termes de la différence sexuelle à des aspects propres au divin. Mais il la pense en lui attribuant une plus haute portée dans l'échelle de l'être que les philosophes ordinaires. I1 se peut qu'il voile en partie ses idées puisqu'il invoque, à la fin du passage précité, les réserves que lui imposent la nature ésotérique, secrète, du sujet en question.

Puisque nous sommes parvenus au seuil des années quatre-vingt du XIIIe siècle, il nous faut dire un mot du ZOHAR qui apparaît vers cette date (181), et qui, comme on sait, eut par la suite un formidable impact. Les motifs liés à la conjonction sexuelle, à la procréation, à l'engendrement, sont trop nombreux ici pour que nous en puissions même sommairement rendre compte.

Nous rappellerons en premier lieu, mais brièvement, que le Zohar emploie très fréquemment le motif de l'union de la sefira Tiferet, aspect masculin de la divinité et de la sefira Malkhout, son aspect féminin, pour signifier l'harmonisation de l'ensemble des dix sefirot et cette union est souvent dépeinte en des termes où les connotations sexuelles sont nettement soulignées. G. Scholem, dans son étude sur la Chekhina parue en français dans La mystique juive (trad. M. Hayoun, Paris 1985), nous dit: " Le caractère sacré de l'engendrement conçu comme un authentique mystère lorsqu'il est accompli dans le cadre des prescriptions sacrées est constamment référé par le Zohar à ce processus hiérogamique dans le domaine sefirotique. C'est seulement au moment où ces limites sont dépassées que la sphère sexuelle devient le domaine de l'impureté qui n'est alors pas le profane absolument, mais le démonique et ce qu'il faut réprouver " (p. 189). Plus loin il va jusqu'à dire: " Toute la dynamique du concept divin du Zohar repose sur cette doctrine de la réalisation de l'unité de la vie divine de la hiérogamie et ne saurait en être dissociée d'aucune manière " (p. 191). L'union de l'homme et de la femme n'y joue pas seulement comme paradigme. Leur conjonction sexuelle elle­même détermine et déclenche l'union des deux sefirot précitées. Cette influence de l'en bas sur l'en haut (182) donne aux hommes une dimension active, ils ne sont pas seulement les récepteurs passifs des épanchements divins, mais ils ont la possibilité d'œuvrer activement dans la vie divine, ce qui contribue en retour à donner à cette dernière une position parfois passive. C'est dans ce contexte, je crois, qu'il faut entendre le récit que fait le Zohar du mariage de Moïse avec son épouse divine, la Chekhina (183), ainsi qu'un récit semblable qui met en scène Rabbi Siméon ben Yohaï (184). Ce qui frappe dans ces textes, c'est que l'homme n'est pas en situation passive où il reçoit la lumière divine, mais dans la posture masculine de l'époux envers sa femme.

A un niveau plus élevé de l'arbre sefirotique, le Zohar traite encore de la conjonction entre le Père (la Sagesse) et la Mère (le Discernement) comme début d'un mouvement qui va donner émergence au reste des sefirot, et en particulier à Tiferet (la Beauté), appelé aussi le Fils, ainsi qu'à la Malkhout, appelée la Fille (185). Nous trouvons encore dans ce livre de longs développements sur le processus de procréation à partir de la semence, identifiée à la lumière, qui se diffuse dans tous les membres du corps (186). Enfin, comme dans notre Lettre, qui en est très proche, la pensée est considérée comme ayant un pouvoir effectif sur la semence, c'est son orientation qui détermine la valeur et la nature de l'enfant qui en naîtra (187).

Nous renvoyons pour ces textes à des passages figurant dans les deux tomes de notre traduction du Zohar parus à ce jour. Nous nous bornerons ici à citer quelques courts extraits du Zohar. Dans l'un d'eux, la formation de l'embryon est mise en parallèle avec la création du monde, qui elle­même fait signe en direction de l'émanation des sefirot: " Voici le secret des secrets: en ces trois [éléments de la création, qui sont la lumière, l'eau, le firmament] se forme et se dessine avec ses traits le secret de l'image de l'homme, qui est d'abord lumière, puis eau, puis, se déployant en lui-même, firmament, qui est la trace où se modèle l'image de l'homme, de la même façon qu'est façonnée la forme de l'image de l'homme en son engendrement. En effet: au début de l'engendrement de l'homme est la semence qui est lumière, car la semence est la luminosité de tous les membres du corps, c'est pourquoi elle est lumière et cette lumière est appelée semence, comme il est écrit: "La lumière est semée" (Ps. 97:11) (188), elle est vraiment semence. Ensuite, cette semence qui est lumière se développe et devient eau à cause de son humidité. Elle se modèle davantage et développe une extension à l'intérieur de cette eau, extension du corps de tous les côtés. Dès que s'est formée et modelée la forme et l'image d'un corps, cette extension se coagule et prend le nom de firmament et c'est là "le firmament au milieu des eaux" (Gen. 1:6). .. " (II, 167a).

L'on trouve trace de l'identification de la lumière avec la semence dans le commentaire d'Azriel de Gérone sur la liturgie quotidienne (189). Si l'on en croit Yehouda Liebes (Sections of the Zohar Lexicon, p. 66), le texte précité se réfère d'abord aux trois sefirot: Hessed pour la lumière, Guevoura pour l'eau et Tiferet pour le firmament, mais traite ensuite de l'engendrement de l'homme terrestre. Une lumière irradiée de toutes les parties du corps humain, recelant sans doute leurs formes respectives, c'est la générosité (hessed) du corps qui est la semence allant s'épaississant, devenant liquide puis solide, c'est le " firmament " où la forme de l'embryon prend consistance. Ainsi, le verset de la Genèse qui raconte que, le deuxième jour de la création, un firmament apparaît au milieu des eaux, est interprété comme désignant l'embryon se dessinant à l'image de son géniteur au milieu des eaux contenues dans la matrice de la femme. Nous avons déjà eu l'occasion de surprendre plusieurs commentateurs appréhendant la genèse du monde à l'aide des images liées à la procréation. L'homme a donc la possibilité de transmettre son image dans son enfant, qui aura ses traits par le processus de déploiement et de durcissement de la lumière issue de l'ensemble de ses organes corporels. Notons que la semence maternelle n'est jamais évoquée dans ce passage, la matrice a seulement la fonction de support. Dans un autre endroit du Zohar (III, 104b), l'image de l'homme procède directement de Dieu: " Lorsqu'un accouplement a lieu en bas? le Saint, béni soit­il, envoie une image selon la figure de l'homme, trace gravée dans une ombre, qui se tient au­dessus du couple, et si l'œil pouvait voir, l'homme verrait sur sa tête une ombre (tsoulma) sculptée d'après la figure de l'homme. " Mais cet exposé ne fait pas intervenir le système des sefirot et reste de style aggadique. Dans un autre passage, le sperme est identifié à l'influx divin, sans être cette fois comparé à la lumière, mais le motif de son origine dans toutes les parties du corps refait apparition:

" "Pétri dans de l'huile concassée" (Ex. 29:40) (190). Dans de l'huile ? Dans cette "huile" (191) qui s'écoule et émerge d'en haut. R. Siméon dit: Tu as bien parlé. Mais que signifie " concassée " ? I1 s'agit là d'un secret d'en haut, car si c'est [déjà] de l'huile, pourquoi doit­elle être [encore] concassée (192) ? C'est en fait une allusion qui se réfère à "l'usage" avec la femelle pour épancher en elle de "l'huile concassée" de la façon qui lui convient: il faut [que cette huile] soit "concassée" pour qu'elle sorte des olives, qui sont les membres du corps, et pour attirer cet épanchement d'en haut en chacun des membres, et le juste est celui qui effectue des triturations et extrait de tous les membres d'en­haut - les saintes olives (193) - un influx abondant par un désir entier à l'intention de sa femelle. S'il ne concassait pas, il extrairait cet influx sans la participation du désir des membres et la femme ne jouirait pas de cet épanchement inadéquat (194), il faut donc qu'il soit "pétri" par tous ses membres, aussi [il est écrit:] "Pétri dans de l'huile concassée" pour que [la femelle] jouisse de lui et se nourrisse de lui " (III, 147a­b). "

De même que la femme ne jouit que si le sperme est produit par une vive pression de toutes les parties du corps de son partenaire, toutes les sefirot (les " olives ") doivent contribuer au nourrissement de la sefira Malkhout. Le juste terrestre, par la pression - le concassage - qu'il exerce par ses bonnes actions sur l'ensemble des sefirot, attire l'influx divin vers la Malkhout. Plusieurs des images fournies par ce texte seront reprises plus tard dans divers écrits de la cabale (195). [Il appert qu'indépendamment de la visée procréatrice, la relation sexuelle concrète sert de fil conducteur qui permet la compréhension des secrets les plus enfouis du monde divin. Elle n'a pas qu'une valeur didactique dans cette fonction: elle est une expérience à laquelle se réfère le mystique dans sa quête de la connaissance des mystères de la Divinité. Ainsi, le Zohar verra dans les manifestations physiques voire physiologiques de l'amour conjugal, des signes qui évoquent l'intimité secrète de la vie divine. Les gestes d'affection comme les baisers, les caresses, les enlacements, sont autant d'éléments qui interviennent dans la nomenclature désignant l'union du monde divin (196). Mais celle­ci ne s'effectue pas dans les mêmes conditions si elle est suscitée par l'aspect masculin ou féminin.

G. Vajda résume cette dissymétrie en ces termes: " La réciprocité des sentiments et du désir chez les deux partenaires est indispensable à l'harmonie parfaite de leur relation. Mais le mécanisme de celle­ci est à tel point délicat que le caractère de l'union est très différent selon que l'initiative de l'élan amoureux vient du partenaire masculin ou du partenaire féminin. Lorsque l'initiative vient de la femme, la relation d'amour est empreinte de tendresse; dans le cas contraire, lorsque la femme ne fait que répondre à la sollicitude amoureuse de l'homme, la relation amoureuse n'est pas exempte de sévérité et de rigueur (...) la relation d'amour reçoit son caractère de celui des deux partenaires qui, dans l'union, tient le rôle passif " (L'amour de Dieu op. cit. p. 222). Et cette conception vaut bien sûr aussi bien pour les relations intra­sefirotiques que pour les relations humaines, puisque, comme dit le Zohar: " Le monde inférieur est à la ressemblance du monde supérieur, l'un est l'image de l'autre " (III, 45a). L'initiative nécessaire de la femme dans les relations sexuelles est un thème qui a souvent été développé par la suite, particulièrement chez les cabalistes de Safed (197). I1 s'origine sans doute dans un texte du Talmud (Erouvin 100b et Nida 31a) où l'initiative féminine permet d'obtenir des enfants mâles et des sages éminents. A cause de la correspondance avec la dynamique des sefirot, ce motif est devenu un véritable impératif pour le cabaliste.

Nous examinerons enfin un dernier morceau, qui récapitule le mieux la pensée du Zohar sur l'existence en la Divinité de la différence sexuelle et de la structure nodale de la famille:

" La tradition enseigne: lorsque le Saint Passeur (198), mystère de tous les mystères, voulut se donner un ordre (199), il structura tout selon le masculin et le féminin. Là où masculin et féminin fusionnent, ils ne subsistent que sur un autre fondement masculin et féminin (200). Et quand cette Sagesse, intégrant tout, émergea et brilla du Saint Passeur, elle ne brilla que comme masculin et féminin (201). Car cette Sagesse (Hokhma) se déploya et fit sortir d'elle Discernement (Bina), elle se trouva donc masculin et féminin: Sagesse, Père, Discernement, Mère. Sagesse et Discernement furent pesés sur une même balance, masculin et féminin. A cause d'eux tout existe comme masculin et féminin, sans quoi rien n'existerait. Ce principe [Hokhma] est Père de tout, Père de tous les pères (202). [Hokhma et Bina] se joignirent l'un à l'autre et s'éclairèrent l'un l'autre. En se joignant, ils enfantèrent et la Foi se répandit (203) [...]. Qu'en fut­il de Bina ? Quand se joignirent l'un à l'autre Yod dans Hé (204), [Bina] conçut, fit sortir un fils (205) et enfanta, d'où son nom, Bina: ben (fils) de Yod Hé (206), toute perfection. Tous deux joints restèrent ensemble, un Fils en leur sein, intégrant tout (207). Par leur arrangement a lieu la perfection de tout, le fusionnement de tout: Père et Mère, Fils et Fille. I1 n'a été permis de révéler ces choses qu'aux saints du Très­Haut, qui sont entrés et sortis (208) et connaissent les voies du Saint, béni soit­il, ne déviant ni à droite ni à gauche (...) Ces choses sont cachées et les saints du Très­Haut en sont éclairés comme quelqu'un est éclairé par la lumière d'une flamme. Elles n'ont été transmises qu'à celui qui entre et sort. Celui qui n'entre ni ne sort (209), il eût été mieux pour lui de n'avoir pas été créé (...) ces choses brillent dans les cœurs en plénitude d'amour et de crainte du Saint, béni soit-il " (Idra Zouta III, 290a ).

Les plus hauts secrets relatifs à la procession du monde divin, le désenclavement de la transcendance, se donnant une structure et devenant par là agissante et signifiante dans le monde humain, sont exprimés dans les termes de la différence sexuelle et du carré familial. Le vocabulaire ordinaire de la causalité et sa logique formelle n'ont pas paru pouvoir signifier les jeux et enjeux fondamentaux du rapport à Dieu. C'est ce qui semble expliquer ce recours, au moment de l'effort le plus intense de l'esprit, de sa torsion maximale en direction de l'Indicible, aux images du Père et de la Mère, du Fils et de la Fille. Ceci en lieu et place de la prédication des attributs négatifs, comme il en va dans la théologie maimonidienne. La différence sexuelle est érigée au rang de différence fondatrice, irréductible (210), en fonction de laquelle toutes les autres différenciations se déterminent. Elle permet de penser l'unité de l'émanation avec des termes qui peuvent s'unir sans jamais se confondre ni s'échanger (211), évitant à la structure de s'effondrer sur elle­même (212). Le novice qui pénètre dans le jardin secret de la tradition ésotérique subit son plus grand choc quand il est mis en face de ce mode de penser. Soudain, la différence sexuelle ne lui apparaît plus comme la désignation d'une différence relative à l'animalité de l'homme, vécue comme une fatalité naturelle qu'il faut porter comme le fardeau de la contingence. Il la perçoit désormais, dans l'éclair de cette révélation, comme le reflet de la différenciation fondatrice de la divinité de Dieu - je veux dire, de son être pour l'homme. Masculin et féminin prennent enfin sens pour lui, se détachent des catégories grammaticales, des classifications sociales, pour devenir des attributs de l'intelligible. Une conversion irréversible de l'homme naturel est accomplie: la secrète différence qui introduit une tension dans l'uniformité et la massivité opaque et muette du réel s'effondrant sans cesse dans l'indifférence, est nommée: c'est la différence même initialement surprise entre père et mère, frère et soeur. L'expérience du nourrisson redevient celle de l'adulte en quête d'absolu. C'est là une façon, peut­être, de dérégler l'Image du Père, image de l'Absent, en faisant l'exploration de ses entrailles, en d'autres mots : en découvrant la troisième et la quatrième dimension de l'Image - celle du Fils et de la Fille (213) - dimensions qui défont l'Image, en lui donnant l'épaisseur de l'existence. Et tout cela parce que le féminin n'a pas été oublié au départ du devenir pour l'homme de l'Absolu, n'a pas manqué. Que la Mère était là dans le Père, avec lui, interdisant la magie d'une filiation de l'image, d'une naissance de l'un sans pair, dégonflant l'idole de sa neutralité. Présence insolite de l'Emage - pour user d'un vocable forgé au XVIe siècle par Guillaume Postel, croisement de l'hébreu et du français (214) - là où l'on s'attendait à retrouver 1'Image.

Une indication, au milieu du texte du Zohar précité, mérite d'être bien entendue, malgré son caractère apparemment abscons: " Sagesse et Discernement furent pesés sur une même balance, masculin et féminin. " Dans une note explicative sur cette expression, G. Vajda écrit: " L'équilibre de l'univers s'établit grâce à la complémentarité des deux sexes dont les deux sefirot en question sont des archétypes " (L'amour de Dieu, p. z I 6, note 6). En fait, je crois qu'il s'agit là de toute autre chose que de cette platitude de la complémentarité. La clé se trouve, en partie au moins, dans les écrits de R. Todros Aboulafia. Celui­ci emploie maintes fois une formule semblable pour qualifier l'égalité, dans les temps futurs du " Soleil " et de la " Lune " (215), qui sont des désignations du Masculin et du Féminin. C'est de cela dont il est question dans le passage du Zohar: Père et Mère sont égaux, l'un n'a pas de prééminence sur l'autre, et même si le Père paraît en premier, il est plein de la Mère, qui, en lui, ne se confond pas avec lui. L'égalité du masculin et du féminin est ici affirmation fondamentale - égalité appelée à se concrétiser dans les rapports humains dans l'avenir eschatologique (216). Mais l'expression " peser dans la balance " a un autre sens encore. Elle est très couramment employée, dans l'hébreu médiéval - on en trouve des exemples chez le cabaliste précité, et chez Joseph Ibn Tsadiq, Isaac Ibn Latif, et bien d'autres - pour signifier simplement l'acte de penser. Que l'on se rappelle d'ailleurs la proximité des étymologies latines de penser et peser. Ainsi, cette formule énigmatique dit: masculin et féminin ont été pensés comme égaux, au sein de la Volonté divine. C'est pourquoi ils peuvent former, par leur union, une véritable unité. Comment alors entendre l'égalité d'une différence: masculin et féminin étant différents et égaux à la fois ? Autrement dit: comment la différence peut­elle subsister dans l'égalité, sans s'y abolir ? Si au niveau de la première détermination de la différence, celle du Père et de la Mère, les cabalistes ont pu penser ensemble différence et égalité, ils ont dû introduire un report de cette égalité au niveau du Fils et de la Fille; celle­ci se manifestera dans les temps futurs. C'est le cœur du motif de l'égalité perdue des deux luminaires de Gen. 1:4. Selon R. Todros Aboulafia, cette inégalité marquée par la réduction de la lune - du Féminin - est due à la faute du premier couple (217). Elle n'est pas fondamentale, mais c'est un retard, un dommage, qui devront être surmontés. Nous verrons plus loin comment d'autres cabalistes ont abordé cette question. I1 est possible aussi que le mot " balance " (michqal) ait été choisi pour sa proximité phonétique avec le mot michgal qui signifie " acte sexuel ". Le Zohar est coutumier de l'emploi polyphonique d'une même expression. La manière souvent crue de peindre les mouvements de la vie divine a été pour le Zohar le moyen de mettre en évidence les secrets les plus inaccessibles. On ne peut pénétrer dans l'antre de la tradition ésotérique sans avoir été préalablement le sujet d'un bouleversement: la vision ordinaire des choses, leur banalité, est métamorphosée par l'enchantement du savoir inouï accessible seulement en ce langage " tripal ", pour user d'un mot de Pierre Legendre (218). Langage qui a été pour beaucoup dans le succès du Zohar. Plus tard, au milieu du XVI' siècle, alors que R. Moïse Cordovéro fera de méritoires efforts afin d'exprimer plus discursivement les intuitions du Zohar, donnant à ses mots un statut notionnel, R. Isaac Louria expliquera les images audacieuses à l'aide d'images encore plus audacieuses. Mais quelle que soit la méthode d'approche de la littérature zoharique, il reste que, en sa pointe la plus aiguë, le secret de la sexualité-différence et union des sexes, procréation et structure familiale - s'est imposé comme secret des secrets.

La dynamique suscitée par la parution du Zohar se manifeste au début du XIVe siècle par la publication d'un ouvrage attribué lui aussi à l'école de Rabbi Siméon ben Yohaï, intitulé TIQOUNE HA ZOHAR (les arrangements du Zohar), qui fut par la suite intégré à la littérature zoharique dont il reprend le style. I1 apporte des éléments originaux sur les questions qui nous occupent. Cet ouvrage se sert à plusieurs reprises d'un motif du Talmud que nous avons déjà rencontré: quand la femme fait semence la première l'enfant est de sexe masculin et quand c'est l'homme qui émet en premier sa semence, l'enfant est de sexe féminin (Nida 31a). Dans l'Introduction du Tiqouné Zohar, cette idée est appliquée aux lettres du nom divin, le tétragramme: " Tout tétragramme (YHVH) où domine le H sur le V, le H sur le Y, [se rapporte] au Féminin HHVH, comme la goutte du féminin qui domine sur la goutte masculine est une fille (3b). " Dans le Tiqoun 21, le même motif est repris mais dans le contexte de la prière; les mots qui désignent dans le Talmud l'attitude de l'homme face à sa femme lors de la copulation désignent ici l'attitude de l'orant lors de la prière:

" Les maîtres de la Michna disent que l'homme doit, à l'occasion de sa prière, se tenir en attente une heure avant de prier et une heure après avoir prié (219). Le secret de la chose, c'est qu'il attendra une heure lors de sa prière parce qu'il est écrit : "L'homme l'attendit (220) en silence" (Gen. 24:21), qui est celui dont il est dit : "YHVH est un homme de guerre" (Ex. 15:3). Après l'avoir attendu et prié, si sa prière coule dans sa bouche, c'est qu'elle a été acceptée (221), en voici le secret: L'homme doit attendre et la femme prendre les devants, comme il est dit: "Une femme qui fera semence engendrera un mâle" (Lev. I 2: 2) " (Tiq. 21, 45 a). L'on retrouve encore l'assimilation entre prière et copulation dans le passage suivant:

" Heureux qui élève la foi du Saint, béni soit­il, qui est Sa Chekhina, rassemblement des dix paroles, dans l'unicité d'une pensée et d'une volonté sans aucun mélange. Car chaque sefira y est plantée et elle [la Chekhina] est un jardin. Toutes les sefirot en elle sont une. Chacune y fait fruit selon son espèce. Elle est "espèce" puisqu'aucune n'émet de semences au­dehors. Ainsi l'homme ne doit pas émettre de semence hors de sa compagne qui est son "espèce", son unification. Au moment où l'homme doit réunir le Saint, béni soit­il, à sa Chekhina, il doit se défaire de toutes pensées qui sont des coquilles, dont il est dit : "Nombreuses sont les pensées dans le cœur de l'homme" (Pro. I9:21), et il doit hisser Sa Chekhina vers Lui par une pensée unique, ce qu'exprime: "C'est le dessein de YHVH qui se réalise" (ibid.). De la façon dont l'homme s'unit à sa compagne et se défait de ses vêtements pour être un avec elle, ce qui se dit : "Ils seront chair une" (Gen. 2:21), ainsi lui faut­il se défaire de toutes autres pensées au moment où il unifie le Saint, béni soit­il, chaque jour deux fois: "Écoute Israël, YHVH notre Dieu, YHVH est un" " (Tiq. 66, p. 98a).

I1 ressort clairement de ces textes que la conjonction intime avec la femme sert de modèle à l'acte d'Unification : en ces deux circonstances, c'est le même type de concentration et de purification de la pensée, de focalisation de la pensée, qui est requis.

Il est opportun de rappeler à cette occasion que c'est dans l'école de R. Abraham ben David de Posquières, qu'ont été élaborées, à la fin du XIIe siècle, les théories sur l'orientation des intentions lors des prières, qui devaient viser tel ou tel aspect particulier du système des sefirot, ainsi que les conceptions sur la direction de l'intention lors du rapport sexuel. Dans son Sefer Ba'alé ha-Néféch (Le livre des maîtres de soi), R. Abraham insiste en effet sur le caractère crucial à ses yeux de l'orientation des pensées de l'homme au moment de la copulation. Celles­ci doivent viser et s'orienter uniquement sur la femme qui est sa partenaire actuelle, à l'exclusion de toute autre femme. I1 faut considérer que c'est une idée semblable qui a été développée dans son cercle au sujet de la prière: l'orant doit se concentrer sur l'entité sefirotique correspondant à la partie du texte liturgique qu'il profère. Ce parallèle entre l'unicité de l'intention réclamée lors de la conjonction avec la femme et lors de la prière, n'a pas été signalé explicitement, à ma connaissance, dans les écrits des cabalistes languedociens, et le Tiqouné ha-Zohar l'a formulé plus tardivement. Mais il me semble que les idées de R. Abraham ben David sur la kavana (intention) pendant le rapport sexuel, l'exigence de son unique orientation sur la femme qui est en face de soi, a pu jouer un rôle dans l'élaboration des méditations durant les prières. Ainsi, la réflexion sur le contrôle de soi et de ses pensées lors de l'accouplement, aurait servi d'inspiration quant à la conduite à tenir lors de la Amida (prière principale). A moins que ce fut exactement l'inverse. Dans les deux cas, service divin et acte sexuel auraient été réfléchis à travers les mêmes soucis et la même problématique. Mais ce n'est pas seulement à la prière ou à la proclamation de l'unité que la conjonction sexuelle sert de modèle dans le Tiqouné Zohar :

" Ceux qui s'adonnent à la Torah pour elle­même et gardent le commandement, qui est six cent treize impératifs dépendant du nom YHVH comme les raisins de la grappe, afin d'unir en eux le nom de YHVH à la Chekhina, comme un homme qui s'unit à sa compagne par tout ses membres afin d'émettre une semence profitable, à leur sujet il est dit: " Ne prends pas la mère sur les fils " (Deut. 22:6) " (2 a).

Ce passage dépend de l'idée développée ailleurs, selon laquelle l'ensemble des commandements constitue les différents membres de la Chekhina222. Ici aussi, l'union totale du corps de l'homme et de la femme est l'image de référence pour l'union de Nom YHVH (l'aspect masculin) à la Chekhina (aspect féminin). La prière est encore le thème du passage suivant:

"Au moment où elle (223) se débarrasse de ses vêtements elle s'unit à son époux dans une proximité de la chair, comme il est dit : "Os de mes os et chair de ma chair, celle-ci sera appelée femme (icha) car de l'homme (ich) elle a été prise, c'est ainsi que l'homme quittera son père et sa mère et s'attachera à sa femme, et ils seront une chair une" (Gen. 2:23). Car c'est là la manière dont le masculin et le féminin s'unissent dans une proximité de la chair et c'est l'attachement de l'unification d'en­haut, dans laquelle rien ne s'interpose, ce que les maîtres de la Michna ont établi : "Lorsque l'homme prie et unifie le Saint, béni soit­il, à Sa Chekhina, il ne doit rien interposer entre lui et le mur, Sa Chekhina224". En sorte qu'il ne fasse pas de séparation et de coupure entre le Saint, béni soit­il, et Sa Chekhina, et le secret de la chose : "Ils étaient tous deux nus, l'homme et sa femme" (ibid. 25), nus dans une proximité de la chair, sans aucun vêtement. De ce temps où le Saint, béni soit­il, et Sa Chekhina sont ensemble sans aucun vêtement, il est dit : "Celui qui t'instruit ne se tiendra plus à l'écart, et tes yeux verront celui qui t'instruit" (Is. 30:20). (Tiqoun 58, p. 92a)."

Le rapport conjugal tel qu'il est envisagé dans la Genèse est ici le modèle de l'Unification eschatologique. L'insistance sur la nudité totale du corps lors de l'accouplement vise clairement à suggérer la situation de dévoilement, de révélation dans le visible du Maître qui se " tient à l'écart " durant l'exil (225). Et comme cette " nudité " est celle d'une relation intime, d'un contact de chair à chair, la " vision " en question dans la citation du prophète semble indiquer pour le Tiqouné Zohar une relation directe avec la divinité, sans médiation aucune, plutôt qu'un rapport seulement contemplatif. Ce texte pourrait bien être la reprise d'un passage du Cha'aré Ora, de R. Joseph Gikatila, qui nous éclairera davantage:

" Mais dans les temps futurs, lorsque la Chekhina reviendra dans son lieu, le Nom enlèvera tout ces vêtements et toutes ces appellations et ces ailes et alors Israël verra le Nom avec l'œil. C'est le secret de: " Celui qui t'instruit ne se tiendra plus à l'écart [ou ne s'enveloppera plus d'ailes] et tes yeux verront Celui qui t'instruit " (Is. 30:20). A savoir: il ne s'écartera plus [ou n'aura plus d'ailes], il ne s'habillera plus de ces appellations dénommées " ailes " en lesquelles le Nom, béni soit­il, se couvrait et se cachait d'Israël qui n'avaient pas le mérite de le voir... " (49 a).

Le thème de l'union avec la femme n'est pas absent de ce passage qui est assez long et dont nous ne rendons ici que quelques extraits. Quelques lignes plus haut, l'on trouve écrit:

" Lorsque le Nom, béni soit­il, s'unit avec les justes et les dévots, les pères du monde et les vaillants, alors Il ôte de Lui les appellations et YHVH s'exhausse seul, le Nom de YHVH, béni soit­il, se tient en cette circonstance avec Israël comme un roi qui a enlevé tout ses vêtements et s'est uni avec sa femme... " (ibid).

La nudité signifie ici la suppression de toutes les " appellations " (kinouim), ces surnoms ou attributs qui médiatisent la relation avec le Nom lui­même, le Tétragramme. La " vision " dont il est question, et dont R. Joseph Gikatila nous a dit qu'elle renvoie au secret des trois fêtes de pèlerinage (cf. Deut. 16) où les Israélites devaient voir la " Face de YHVH " selon le verset biblique, et " être vus " ajoute le commentateur talmudique (226), est vision du nom et union avec lui. La "vérité du nom YHVH" est donnée dans le passage cité pour équivalente de "takhlit atsmo", expression que l'on pourrait traduire par " extrême lui­même " ou " absolument lui ". L'accouplement avec la femme sert ici de schème pour exprimer l'union du nom seul avec les justes. Dans le Tiqouné Zohar encore, la procréation est mise en rapport, comme nous l'avons remarqué déjà chez les premiers cabalistes, avec l'émanation. A propos de la faute du premier homme, nous avons l'explication suivante:

" Rabbi Siméon lui dit: Mon fils, [Adam] fauta aussi [au niveau de] la pensée qui est le cerveau, car la semence de là sort. Elle est la source de l'arbre de vie qui est lumière primordiale, lumière éclatante et lumière limpide, trois gouttes [de semence] auxquelles fait allusion le Yod d'en­haut... " (Tiqoun 69).

Ces trois gouttes ou jets de semence désignent ici les trois premières sefirot, Keter (la Couronne), Hokhma (la Sagesse) et Bina (le Discernement), que la première lettre du Tétragramme, le Yod, représente allusivement. Une fois de plus, nous constatons que les cabalistes ne répugnent aucunement à faire appel au processus de formation et d'émission de la semence pour dire l'émanation, même au plus haut niveau de l'arbre des sefirot. Avant d'aller plus avant une remarque préalable s'impose. Certaines tournures qu'il nous est arrivé d'employer risqueraient d'induire en erreur. I1 n'est pas vrai que les images relatives à différents aspects de la sexualité servent de métaphores ou de paraboles substitutives à un langage notionnel sous­jacent. L'émanation n'est pas un concept qui serait doublé par des métaphores qui le rendraient plus sensible ou mieux appréhendable. L'émanation même est métaphore - métaphore de continuité - dans la métaphysique du néoplatonisme. La conceptualité qu'elle est censée traduire est celle de la relation de cause à effet, et d'un passage progressif sans rupture de la cause à l'effet. Dans les écrits des cabalistes, y compris bien sûr des premiers d'entre eux, il y a voisinage du langage de la causalité et de diverses expressions imagées. Mais il est clair que les termes de cause et d'effet n'ont pas un statut foncièrement différent des autres. Eux aussi sont employés comme des images, sans doute plus " sobres " et plus proches de véritables notions. Nous voulons essayer de dire que ce serait mal penser que de considérer les motifs d'épanchement de semence, d'accouplement, de procréation, comme des métaphores derrière lesquelles se cacheraient des notions. I1 n'est pas rare cependant que des cabaliste ;, effrayés par ces images, clament haut et fort qu'il ne s'agit que d'expressions figurées exprimant simplement la causalité dans sa diversité. Mais ce n'est là, à mon sens, que prudence rhétorique. Le problème est que le référent de ces images ou même des termes apparemment notionnels est insaisissable comme objet de la pensée puisqu'il n'est autre que Dieu. Le signifiant " cause " ou le signifiant " Père " - pour prendre les plus classiques - n'ont pas un statut différent. Seulement le second offre davantage de possibilités expressives et touche mieux l'affectivité. Ainsi, sans vouloir clore cette discussion très générale sur le rapport entre les notions et les images dans la cabale, il convient d'estimer que les divers motifs d'ordre sexuel ont par eux­mêmes une puissance signifiante sans qu'il soit besoin de les ramener purement et simplement à la notion de causalité.

Parmi les cabalistes qui ont été très tôt influencés par les écrits de R. Moïse de Léon et de R. Joseph Gikatila, il convient de mentionner R. JOSEPH DE HAMADAN, une des figures les plus mystérieuses et les plus mal connues des ésotéristes de la fin du XIIIe siècle et du début du XIVe. Peut­être originaire de Perse et établi en Espagne, il se pourrait aussi qu'il s'agisse d'un personnage fictif derrière lequel se dissimule un cabaliste qui n'a pas voulu laisser son nom. Son œuvre a été pour l'essentiel tirée de l'oubli par des chercheurs contemporains (227). Il consacre une étude, dans son Sefer Taamé ha-Mitsvot (sur la signification des commandements), écrit vers 1291, à la procréation (228). Après avoir énoncé les raisons classiquement alléguées pour expliquer l'impératif de l'engendrement, il aborde l'interprétation ésotérique :

" Je vais t'ouvrir les portes de la lumière d'après la voie de la cabale, avec l'aide du Nom, béni soit­il. Sache que quiconque a une femme fait preuve de perfection vis­à­vis de l'Époux qui est le Roi YHVH­Tsévaot et vis­à­vis de l'Épousée, la Communauté d'Israël 1229. I1 est écrit en regard de ces dimensions : " Masculin et féminin il les créa " (Gen. 1:27). Ce n'est pas pour rien que nos maîtres ont dit : Qui a une femme montre (moréh) la perfection et qui n'a pas de femme est en situation de bannissement face au Ciel (230), parce qu'il signifie le défaut d'un lieu sans défaut et qu'il ne montre pas le sens du modèle d'en­haut. I1 est près de couper les plantes (231) puisqu'il ne montre de la forme supérieure que neuf [sefirotl, la femme désignant la dixième dimension. Aussi, qui a femme montre le secret de l'unité, qui n'a pas femme montre un défaut (peguima). C'est pourquoi nos maîtres disent: qui n'a pas de femme est en état de bannissement, puisqu'il est l'empreinte d'en­haut, ce qu'exprime: "Il n'est pas bon que l'homme soit seul" (Gen. 2:18), lui n'est pas bon mais mauvais. Voilà pour la femme. Quant aux enfants, à propos du fructifier et du croître, je vais t'expliquer.

Sache que, quiconque a des enfants, c'est comme s'il faisait subsister la chaîne de la ressemblance qui est dans le Char [divin], celui­ci est appelé chaîne de la ressemblance à cause de la configuration du visage qui évoque le Char [divin] où tout est lié (232). Et qui n'a pas d'enfants, c'est comme s'il amoindrissait la ressemblance (239). Tout homme donc, qui a des enfants, réalise (meqayem) le Char d'en haut (234). Je vais te transmettre un grand principe, par lequel, si tu le mérites, tu pourras regarder le miroir lumineux (235). Sache que le Saint, béni soit­il, n'a créé l'homme sur terre que pour qu'il soit parfaitement constitué, que rien ne manque en lui, comme il est dit : "YHVH­Dieu fit l'homme à son image" (236) et il est écrit : "Dieu dit : Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance" (Gen. 1:26). L'image (tsélem) correspond au modèle du Char, et ce modèle c'est la forme humaine. La ressemblance (demout) ce sont les apprêts du Char et le gouvernement d'en­haut, c'est la Torah et les commandements que YHVH notre Dieu nous a ordonnés (237). L'homme, en effet, n'a été créé et ne subsiste dans le monde que pour être pareil au modèle d'en haut, et même si l'homme a été fait selon la forme divine et qu'il a femme et enfants, signifiant ainsi le saint modèle d'en­haut, tout cela étant dans le Char supérieur, néanmoins il a besoin d'une ressemblance, qui est le gouvernement d'en­haut, qui est, lui, le commandement, disposé vis­à­vis de l'en­haut. Bien que l'homme ait atteint cette image: la femme et les enfants, il lui faut tout de même la ressemblance du gouvernement des [régions] supérieures, par laquelle l'homme saura et connaîtra qu'il est [soumis] au gouvernement des [choses] d'en­haut, qui sont la Torah et les commandements et le modèle du Char, qui est une femme et des enfants. La barbe de l'homme désigne la barbe d'en­haut, "c'est comme l'huile précieuse [versée sur la tête] qui descend sur la barbe, la barbe d'Aaron, qui descend sur le bord de ses habits [ou vers ses mesures]" (Ps. 133:2) (238). Apprends que la forme de l'homme, sa femme et ses enfants sont appelés " image ", par rapport à laquelle le Saint, béni soit­il, a dit: "Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance" (Gen. 1:26), [cette dernière désignant] le gouvernement du Char, la Torah et les commandements. Lorsque l'homme épouse une femme et qu'il en a des enfants, voilà l'image, et quand il réalise Torah et commandements selon leur règle, il réalise la ressemblance et il est réellement la forme de Dieu. I1 lui sied d'adhérer au Char, de plus il réalise le Char et le monde n'a été créé que pour lui, car il ne comporte pas de défaut. Mais à cause de fautes, celui qui n'a ni image, ni ressemblance, telles que je les ai suggérées, la justice (din) requiert de lui infliger des châtiments et des tares, mieux lui aurait valu de ne pas être créé, puisqu'il ne montre pas la plénitude du Char. Comme il a mis un défaut dans le Char, on lui inflige des défauts (239), ce n'est pas pour rien que la Torah dit à ce propos: " Œil pour œil, dent pour dent " (Ex. 21:24), de même que l'on a infligé un défaut à un homme, ainsi il lui sera fait, parce que l'homme a été fait selon la forme du Char d'en­haut et il a infligé un défaut dans un lieu inadéquat, dans la dimension même où il a mis un défaut, on lui inflige des dommages et il est transformé en animal240, ce qu'exprime: "I1 ressemble au bétail qui périt" (Ps. 49:13­21) (...) Ainsi, ce qui concerne les enfants est modèle du degré de la subsistance du monde (241), c'est pourquoi YHVH notre Dieu a prescrit ce commandement, pour notre bien permanent. Si tu as des yeux pour voir ouvre­les et regarde, puis médite le mystère. En outre, le fils et la fille font allusion au secret des chérubins qui sont mâle et femelle et au Juste et à la Royauté appelés Époux et Épousée, alors prospérité tous les jours et bonté seront pour nous (...) Ces choses sont claires pour celui auquel le Saint, béni soit­il, a donné des yeux pour voir. Ce commandement est disposé selon l'en­haut, le Saint, béni soit­il, a un fils et une fille, allusion à Métatron et à Yaoël, et correspondant au Juste et à la Royauté, qui est le secret des chérubins d'en­haut, et vis­à­vis du membre des hanches de la main droite, de là vient la semence... "

L'on reconnaît dans le vocabulaire de ce morceau quelques vocables qui rappellent R. Moïse de Léon et le Zohar: en particulier l'usage du verbe qayam (242) pour désigner soit la réalisation concrète de dimensions intérieures à la vie divine, soit leur harmonisation en elle. Quelques tournures de style rappellent R. Joseph Gikatila, comme ces " je vais t'ouvrir les portes de la justice ", ou ces " si tu as des yeux pour voir ", ce qui a pu donner l'impression à G. Scholem d'avoir affaire à celui­ci. Mais le fond - et d'ailleurs à beaucoup d'égards la forme - reste très originale. Par son union à la femme et les enfants qu'il a d'elle (le mot engendrement n'apparaît jamais dans ce texte), l'homme réalise le modèle - on serait tenté de dire l'Idée (243) - du Char divin, qui est ici une désignation de l'ensemble structuré de l'Émanation (244). Cette Idée - l'idée de la divinité - est la forme humaine, dans sa perfection, c'est­à­dire comprenant masculin et féminin. Ces deux aspects sont identifiés respectivement dans ce texte au Juste et à la Royauté, soit aux sefirot Yessod et Malkhout, appelées encore Époux et Épousée (hatan et kala), Roi et Communauté d'Israël, aux deux chérubins, enfin à Métatron (245) et à Yaoël, qui sont ordinairement d'importantes figures angéliques. Dans le fragment conservé de son commentaire sur la Genèse, son Sefer Toldot Adam (MS 851, B.N. de Paris) (246), Métatron est appelé " fils de la Chekhina " (260 a), alors que Yaoël (247) est simplement un séraphin (264a), ces deux archanges sont ici considérés comme des figures masculine et féminine, répétant dans l'univers angélique la différence sexuelle intérieure à la vie divine.

Mais réaliser le Char divin dans sa plénitude n'implique pas seulement d'avoir une femme, cela suppose aussi d'avoir des enfants. Par eux, l'homme " fait subsister la chaîne de la ressemblance ". Arrêtons­nous sur cette expression. Elle est très caractéristique du style de notre cabaliste (248). I1 dit par exemple dans son commentaire sur la Genèse déjà cité: " Lorsque j'effectue un commandement, je réalise une forme dans le Ciel et lorsque je commets une transgression, je réduis la chaîne de la ressemblance " (op. cit. 257 b) (249). [I emploie parfois des expressions synonymes: " la chaîne supérieure sainte et pure " (258a), " la chaîne de l'Unité " (259b), " la chaîne d'en­haut qui ne s'interrompt jamais " (257b). Cette " chaîne " est celle des sefirot, comme il l'indique dans son Sejer Tachaq: " Les dix sefirot sont la chaîne de la sainteté " (p. 52) (250) Le mot " ressemblance " qui lui est accolé est une réminiscence du Talmud, Yebamot 63b: " Qui ne se soucie pas de fructifier et de multiplier... c'est comme s'il amoindrissait la ressemblance " (251). L'on peut se demander pourquoi, une fois atteinte la perfection selon le modèle supérieur de l'Époux et de l'Épouse, il faut encore engendrer pour " donner subsistance à la chaîne de la ressemblance ". Y aurait-il une perfection plus parfaite que la perfection ? Il semble, en fait, que la " chaîne " dont il est ici question, soit d'abord celle des générations: les sefirot sont encore une fois représentées comme une série généalogique, il ne suffit donc pas de correspondre aux dix sefirot dans leur forme statique, mais il faut aussi leur ressembler dans leur dynamisme qui est celui d'une diachronie, celle de la succession des générations, à l'image de l'émanation des sefirot issues l'une de l'autre. Ainsi, avoir fils et fille, c'est " réaliser " la chaîne processive de la vie divine. Ce qui conduit à poser une question: l'image de la chaîne introduit la notion de discontinuité: un maillon succédant à l'autre, or R. Joseph de Hamadan l'appelle encore " chaîne de l'Unité ", et nous dit qu'elle " ne s'interrompt jamais ". En d'autres termes, cette image, celle finalement de la généalogie, suppose l'existence du temps en la divinité. Comment alors concilier cette idée avec celle de l'unité absolue qui implique une simultanéité de tous les passages, de toutes les successions ? Je crois que la réponse se trouve dans la conception du temps cyclique par les cabalistes-et en particulier par R. Joseph de Hamadan. Le Jubilée (Yovel) dont parle le Pentateuque, a été en effet élevé au rang d'un cycle, non pas seulement cosmique, mais théogonique: les sefirot retournent toutes dans leur " écrin ", à savoir dans En­Sof en fin de cycle. Et celui­ci se répète à l'infini, de sorte que succession et simultanéité concordent: chaque maillon de la chaîne est présent en même temps à chaque section, un peu comme chaque oscillation d'une onde- chaque sefira comprend les dix sefirot. Alexandre Altman, dans son article consacré à l'identification de l'auteur du Sefer Taamé ha Mitsvot (252), indique l'ancienneté de la théorie dite du " retour ": " La doctrine de R. Isaac l'Aveugle sur le retour de toutes choses à la racine de leur origine transparaît dans notre livre [celui de R. Joseph de Hamadan] au sujet du septième millénaire où le monde est détruit (cf. Sanhédrin 97a), les sefirot aussi retourneront au néant... " Au bout de six mille ans où le monde est anéanti, toutes les branches [= sefirot] se réduiront et reste une seule branche... lorsque le Saint, béni soit­il, recueille son monde au septième millénaire " (Comm. positif, 50). "'I1 y eut, après la mort des deux fils d'Aaron' (Lév. 16:l) ce sont Netsah et Hod... qui ont été engloutis dans Tiferet, ce qu'exprime: 'En sacrifiant [ou approchant] devant YHVH, ils moururent' (Lév. 16:1), c'est dire qu'ils ont été engloutis dans le septième millénaire" (ibid. 49). "Le mort fait allusion à la mort dans le septième millénaire où tout est englouti et n'apparaît plus que le Nom, béni soit­il seul, il est écrit: 'YHVH seul est exalté ce jour­là' (Comm. négatif, 20)". Le septième millénaire YHVH seul est exalté ce jour­là et les sefirot sont englouties " (Assé 61, voir encore 62 et 70). Le mot "englouti" a un parallèle aussi dans le Sefer Temouna (écrit dans la première moitié du XIIIe siècle): "Au moment de la venue du Sabbat, tout sera annulé et englouti... jusqu'à ce que tout retourne à la vérité et à la paix, à la fin de tout, le Sabbat sera à YHVH seulement" (éd. de Koretz, 67b). Cependant, notre livre ne fait aucune allusion à la doctrine des Chemitot (jubilés) " (p. 268­269).

La succession généalogique des sefirot, représentées comme les branches d'un même arbre, suppose ce retour à la racine, et ce retour doit être infiniment répété, même si les textes cités de R. Joseph de Hamadan ne le disent pas explicitement. R. Moïse Cordovéro reprend cette idée quand il cherche à concilier la conception qui voit les sefirot comme substance de la divinité avec celle qui les considère comme de simples instruments. Dans son Palmier de Débora il reprend l'interprétation ésotérique de la mort donnée par R. Joseph de Hamadan, qu'il entend comme conversion des émanations vers leur émanateur (253).

Ainsi, la " chaîne de la ressemblance " constituée des maillons du monde divin, suppose un instant de mort, un " point mort " de retour à la source, de même que la succession généalogique des hommes suppose la mort d'une génération et la naissance d'une nouvelle. Dans son livre sur les commandements il emploie, au sujet de la mort de l'homme, la même image: " Chaque famille d'Israël, chaque clan sans exception, est un grand arbre particulier dans le jardin d'Eden, lorsqu'un homme quitte ce monde, il s'attache à la branche qui lui convient et il a un enclos propre à lui, tel qu'il l'a façonné dans ce monde­ci " (MS. 817 op. cit. f. 191b). L'expression biblique qui désigne le destin du mort: " I1 fut recueilli vers son peuple " (par ex. Gen. 25:8) a sans doute inspiré ces spéculations. Bien sûr, la répétition du cycle signifie pour l'homme ce que les cabalistes appellent la migration des âmes. Ainsi, R. Joseph de Hamadan lui accorde une très grande place dans ses commentaires; c'est ainsi qu'il interprète les principaux personnages de la Bible comme le retour sous une forme nouvelle, de personnages antérieurs. Le Tiyouné ha Zohar suivra ses traces. Le cycle en effet, ne signifie pas retour pur et simple du même, mais déplacement, infléchissement de la courbure du temps, reprise et restauration de ce qui a été. L'idée de repentir comme retour (techouva) et comme réparation (tiqoun), implique la réversibilité du temps - c'est le même qui revient et auquel on fait face - et à la fois une nouvelle perspective: le même qui revient n'est plus le même. Ce temps éthique irreprésentable, cette simultanéité discontinue, est en jeu également dans la " chaîne " des sefirot. En engendrant fils et filles, l'homme réalise cette chaîne de la ressemblance, puisqu'il s'engage dans le temps généreux de la répétition. Et cette ressemblance enchaînée au temps ne perpétue pas son reflet comme une série de miroirs, mais restitue le même autrement. Le texte de R. Joseph de Hamadan pose l'interdépendance de la chaîne des émanations et de la chaîne des générations: si celle­ci est théophanique, elle est d'abord théopraxique: elle permet à l'Idée du Char divin - la forme humaine - de subsister, de se réaliser. Cette " chaîne de la ressemblance " évoque la " chaîne des justes " dont il est question à la fin de la Lettre sur la sainteté, qui est à " l'image des dix ordres du monde ", à savoir des dix sefirot. I1 n'est pas nécessaire cependant d'y voir un rapport d'influence. Ainsi le secret de l'engendrement (et d'abord de l'union à la femme) n'est pas un secret parmi les autres: il fait le fond du niveau d'interprétation ésotérique des Écritures. De plus, si l'on se rappelle les paroles voilées de R. Todros Aboulafia (voir supra note 32) face au présent texte de R. Joseph de Hamadan, il apparaît nettement que le secret de la Mercaba (le Char divin), tient en celui­là.

Les traditions de ce cabaliste ont été reprises à peu de distance par R. DAVID BEN YEHOUDA HE­HASSID (qui écrit au tout début du XIV' siècle), et qui a été également tiré de l'oubli par des chercheurs modernes, ses idées ont joué, comme l'a montré Moché Idel, un rôle important dans la cabale lourianique (254). Dans son Sefer Mareot ha Tsoveot (le livre des miroirs), dont on doit à Daniel Matt une édition critique (255), il nous explique pourquoi deux des fils du prêtre Aaron, Nadav et Abihou, moururent en offrant un sacrifice:

" Mais voici le secret de la chose: les deux fils d'Aaron n'étaient pas des témoins parfaits parés des vêtements d'en haut, tout juste en effet possède un vêtement spécial dont il se revêt lorsqu'il part pour la maison de son éternité, c'est alors qu'il trouve ce vêtement préparé pour lui et il s'en revêt convenablement, mais si ses actes ne sont pas encore parfaits et qu'il n'est pas digne de cet habit, il ne trouvera pas ce vêtement prêt. Cet habit est en effet cousu par les commandements, les aumones (tsedaqot) et les actes bons, comme il est dit: "I1 a revêtu la justice (tsedaqa) comme une cuirasse" (Is. 59:17). Or ce vêtement n'est destiné qu'à celui qui est complet dès l'en­bas et qui a réalisé la ressemblance de la chaîne en ce monde par le fructifier et le croître, c'est celui qui a une compagne, alors il est complet en­haut et en­bas et ce vêtement lui est préparé comme il convient. Si, cependant, osons le dire, ce vêtement ne lui est pas préparé parce qu'il ne s'est pas parfait en­bas, n'étant pas marié, qu'il a un défaut car il n'a pas de fructifier et de croître, cet habit lui est enlevé en­haut. Ainsi, les deux fils d'Aaron entrèrent sans vêtements, c'est­à­dire [sans] les vêtements d'en­haut, n'étant pas mariés et n'ayant pas de fructifier et de croître (256), ils ont donc été délestés de ces habits et ils n'étaient pas des témoins ressemblant à leur Créateur. Ils entrèrent [en cette situation] accomplir le culte en question, c'est pourquoi ils ont été châtiés d'en haut... " (p. 27­28).

Dans ce texte, pour la première fois à ma connaissance, le motif, classique au demeurant, du vêtement des justes dans le monde des âmes, tissé de leurs bonnes actions, est lié à celui -classique aussi-de l'incomplétude, par faute de femme et d'enfants. L'on notera encore l'expression "ressemblance de la chaîne" au lieu de "chaîne de la ressemblance" du texte précédent, ce qui ne me semble significatif d'aucune variation nouvelle. Ce qui retiendra notre attention ici, c'est que malgré leurs actes bons et leur conduite de justes irréprochables, Nadav et Abihou n'ont pas obtenu ce vêtement spirituel à cause seulement de leur dissemblance vis­à­vis de Dieu, en ce qu'ils n'avaient pas de femme et pas d'enfants. Or cette complétude leur était particulièrement requise en ce qu'ils étaient des prêtres et travaillaient au culte divin. L'approche de Dieu, dans ce contexte sacrificiel, rend absolument vital la plénitude de la ressemblance à Dieu - ce qui suppose, cela va de soi, que cette image de Dieu comporte la différence sexuelle. En offrant les sacrifices au nom de la communauté, le prêtre est témoin pour elle de la manifestation de Dieu: il ne peut parfaitement témoigner de cette présence qu'à la condition de comporter ses deux aspects constitutifs: masculin et féminin. De là aussi, la nécessité in posée par les règles sacerdotales, exigeant du grand prêtre d'avoir femme (257). Quant à approcher Dieu, être marié est une question de vie ou de mort -si cette approche du moins vaut pour la communauté. Dans la conception des cabalistes - qui ne font que réactiver les croyances les plus anciennes (258) - l'homme ne se conçoit pas, ne s'imagine pas monosexuel ou célibataire. Et tout l'effort de la philosophie juive consistera à rejeter cette considération, en excluant de l'absolu l'élément féminin (259). Quand, par exemple, Maïmonide interprète la mort des deux fils d'Aaron, il lui donne un tout autre motif: " Ainsi donc, on n'a fait que critiquer la forme sous laquelle ils avaient perçu (Dieu) et qui


Notes

80. C'est la conception développée dans Nida 16b et par un Midrach que Maïmonide prend à parti. Il fait semble­t­il ici allusion aux spéculations du Seder Yetsirat ha Vlad (op. cit., note 60), qui décrivent l'intervention d'un ange sur la semence au sein de la matrice et la façon dont il participe à la formation de l'embryon.

81. Voir Guide II, lo, et Yessodey ha-Torab 2:3.

82. C'est l'opinion d'Ibn Roschd selon Y. Kapah (trad. du Guide, Jérusalem, 1977).

83. C'est l'opinion d'Ibn Sina.

84. Cf. Houlin 60a, Sanhédrin g4a, Exode Rabba 17:4 et PRE 27. Selon R. Abraham Aboulafia, il s'agit de Métatron (voir son Comment. sur le Sefer Yetsira, p. 3a éd. Weinstock, 1984), c'est 1'avis aussi de R. J. Gikatila dans son Ginat Egoz, fol. 58 c­d. Dans son Otsar ha Kavod, écrit vers 1280, Todros Aboulafia transmet une tradition selon laquelle l'ange qui forme l'enfant dans la matrice est Sandalfon (fol. 46b). Dans le Sefer ha Emounot de R. Chém Tov (Ferrare, 1556), Metatron et Sandalfon concourent chacun à son niveau à la formation de l'embryon (p. 92a­b). Selon le Yalqout Réoubéni, sur Lév. 6:2, l'ange Sandalfon détermine le sexe de l'enfant.

85. Traduction de S. Munk.

86. Une étude lui a été consacrée par A. Sharf: The Universe of Shabbetai Donnolo, Ktav, New York, 1976. Voir surtout les chap. 4, 5 et 6. Malheureusement, son auteur se désintéresse totalement de la procréation et son étude est desservie par des préjugés positivistes d'un autre âge.

87. Le mot Yessod (fondement) n'a pas encore ici le sens qu'il aura dans la cabale où il désignera une sefira représentée anthropomorphiquement par le sexe. Mais il est possible d'entrevoir dans ces lignes la source de cette association.

88. Expressions issues du Sefer Yetsira 3:4. La conception qui voit dans l'émission de la semence une poussée pneumatique vient de Galien. Voir D. Jacquart et C. Thomasset : Sexualité et savoir médical an Moyen Age (Paris, 1985), p. 43.

89. L'homme est un petit monde formé par le corps et la force d'un autre homme.

90. D'après Genèse 2:7. Cette âme de vie est ici assimilée à l'esprit vital de la théorie galénique.

9l. La ressemblance de l'homme à Dieu n'est pas seulement un objet de savoir théorique ; en procréant, c'est " la vision de ses yeux et l'action de ses mains " qui font éprouver cette ressemblance. Par l'engendrement, l'œuvre divine - la création du monde - est expérimentée dans la sensibilité même.

92. Voir infra note 32 de notre traduction. Il semble bien que le texte d'Ezra de Gérone que nous citons plus loin fasse écho au présent passage.

93. Ces deux textes de S. Donnolo sont extraits de son Sefer Hakhmoni publié par David Castelli et repris dans l'édition commentée du S. Yetsira (rééditée à Jérusalem, 1965). Le rôle des reins dans l'émission du flux séminal a été proposé par Isidore de Séville (VIe­VIIe siècle). Voir Sexualité et savoir médical (op. cit.), p. 24.

94. Voir chap. 2.

95. Nous reprenons la traduction de J. Gottfarstein (éd. Verdier, 1983), que nous modifions en partie.

96. Le Bahir semble ici jouer sur les lettres des mots avî (je ferai venir), qu'il lit " mon pére " (avi). Ces deux expressions se prononcent de la même manière. Donc la " maison " du Père est identifiée à l'Orient.

97. Yessod est aussi une désignation du sexe masculin.

98. Les âmes nouvelles apparaissent lors de l'avènement du Messie, selon une sentence du Talmud réinterprétée par le Bahir : " Le fils de David ne vient qu'après que toutes les âmes qui sont dans le corps seront épuisées " (Yebamot 63b). Sur ce " corps " et la théorie de la transmigration des âmes présente dans le Bahir, voir Scholem, La mystique juire (trad. par M. Hayoun), Paris, 1985, p. 209 et suiv.

99. Pour une étude de ce passage, voir Scholem, Les origines, p. r S4 sq.

100. L'opposition entre métaphore et image a été soulignée par Gaston Bachelard dans la Poétique de l'Espace (Paris, 1957): " Au contraire de la métaphore, à une image, on peut donner son être de lecteur, elle est donatrice d'être. L'image, œuvre pure de l'imagination absolue, est un phénomène d'être, un des phénomènes spécifique de l'être parlant " (p. 80).

101. La semence a d'ailleurs été identifiée à de la lumière par le Zohar, voir infra, p. 86.

102. A la même époque, et toujours dans le sud de la France, les écrits dits " du cercle Iyoun " font appel également à l'engendrement pour exprimer leur conception des mouvements du monde divin, bien qu'avec moins d'insistance et de façon plus vague. Ainsi, un passage d'une version de l'Épitre pseudépigraphique de R. Haï Gaon sur les r 3 midot (mesures ou attributs) porte: " Les engendrements ce sont les actions appelées midot et les racines qui sont les péres sont appelées sefirot. " Dans l'analyse que fait Moché Idel de ce texte après en avoir cité un morceau dont nous tirons le présent extrait, il explique : " Le parallèle entre deux structures de dix forces est mis en évidence: les sefi ot de la couche supérieure son dénommées " pères ", et les midot de la seconde structure sont dénommées " engendrements ". " (Voir " Les sefirot au­dessus des sefirot " (en héb.), Tarbiz, 1982, p. 247.

103. Son commentaire sur le Sefer Yetsira a été publié en fascicule par G. Scholem et édité en 1973 à 1'Université hébraïque de Jérusalem. Une édition critique est préparée par Meir Sandor. (Voir Kabbalab, A newsletter of current research in Jewish mysticism, vol. I, août 1985, p. 6).

104. Cette conception a été reprise dans le Zohar, surtout dans le chapitre intitulé Sifra ditsniouta. Yehouda Liebes dit à ce propos: " Le thème de la balance symbolique dans laquelle sont pesés les mondes avant leur émanation a une source claire dans le commentaire de R. Isaac l'Aveugle sur le Sefer Yetsira (...) Il faut noter que R. Isaac connaissait également une action de cette balance dans le domaine humain de l'accouplement des âmes " (Sections of the Zohar lexicon (en héb.) Univ. Hébr. de Jérusalem, 1976, p. 330). Notons que le philosophe d'Espagne R. Joseph Ibn lisadiq (mort en 1149) compare 1'intellect à une balance dans son Sefer ha-olam ha-Qatan, p. 6 (éd. Horovitz, 1903). Le rapport de ces écrits hébraïques avec les conceptions islamiques sur la science de la Balance et la Balance des lettres reste à élucider. Voir Henri Corbin, Histoire de la philosophie islamique, Paris, 1964 (se reporter à 1' ndex, entrée Balance). Pour le sens de ce terme dans le Zohar, voir plus loin p. 93.

l05. C'est­à­dire que l'âme des femmes respectives de Jacob et d'Esaù a été formée après celle de leur époux.

106. Voir note 32 in fine.

107. L'on peut comprendre: la cause par laquelle il y a usage du lit­copulation.

108. Dans Nida 31a et Berakhot 60a.

109. Dans le Talmud Eroubin 100b cette conduite est prohibée si elle est exercée contre la volonté de la femme. Mais il n'y est pas question de toumtoum (personne aux génitoires cachés ou indéveloppés).

110. Rappelons qu'au Moyen Age, la théorie la plus commune sur le sexe de l'enfant, d'origine hippocratique, attribue la différenciation sexuelle à la place de l'embryon dans la matrice: à droite la semence formera une garçon, à gauche une fille (voir par exemple Sexualité et savoir médical, op. cit., p. 47). Je me demande dans quelle mesure l'on peut considérer que cette théorie médicale a joué un rôle déterminant dans la conception fondamentale de la cabale qui situe l'aspect Féminin de la divinité à gauche dans l'arbre des sefirot et son aspect Masculin à droite. Ce type de latéralisation (gauche/féminin, droite/masculin) ne me semble pas exister dans la littérature rabbinique antérieure. Mais cela reste à établir. On la trouve du reste dans la tradition pythagoricienne rapportée par Aristote dans Métaplysique A, 5, 286a.

111. Sur cet important cabaliste, voir G. Scholem, Les origines (op. cit.), p. 267. Son œuvre a encore été assez peu étudiée.

112. Nous nous sommes servis du manuscrit 823 (180a) de la Bibliothèque Nationale de Paris. Il est cité par Scholem dans Les origines, p. 298, note 153 . Il en existe d'autres dans cette Biblio. qui renferment le même écrit: les ms. 680, 263b et le 843 (93a). Ils ne sont pas identifiés dans le catalogue.

113. Ce mot qui désigne la dixième et dernière sefira, appelée le plus souvent Malkhout (royauté), renvoie sans doute au verset des Proverbes: “La femme vaillante est le diadème (ate'ret) de son époux” ( 12:4).

114. L'explication de R. Acher sur les premiers jours de la Genèse a très certainement été l'une des sources d'un important passage du Zohar (I, 15a à 21a). Leur comparaison les éclaire réciproquement. Ce point mériterait d'être étudié de très prés.

115. Cette expression revient souvent dans les écrits de son oncle, Isaac l'Aveugle. Elle désigne le mode de relation entre les sefirot, ainsi qu'un contact intime qui ne peut même pas être formulé en terme de connaissance.

116. Ms. de Paris 680, à partir du fol. 224.

117. Ms. 823, fol. 180b.

118. Voir § 83 et 86. La forme du Noun évoque en effet la silhouette d'une femme assise. Par ailleurs, c'est la première lettre du mot hébreu neqéva (féminin).

119. Cf. Les origines, op. cit., p. 319 à 393. G. Vajda a traduit et annoté son commentaLe sur le Cantique des Cantiques (Paris, 1969).

120. Publié dans le recueil intitulé Liqouté Chikheha Oféa, Ferrare, 1556, p. 14a et suiv. pour la partie qui nous intéresse. Nous donnons une autre traduction de ce même texte dans la note 32 de notre traduction de la Lettre sur la sainteté, à partir d'une version manuscrite procurée par G. Scholem, qui souffre en plusieurs endroits de diverses erreurs et de lacunes.

121. L'analogie des couleurs servant à expliquer l'origine différenciée entre pére et mère du corps de l'enfant est un procédé qui était en vogue au Moyen Age. Voir par exemple le texte d'Ali Ibn al Abhas, cité dans Sexualité et savoir médical (op. cit. ), p. 99: " Du sperme même sont formées les parties blanches, c'ese­à­clire l'encéphale, les os, les cartilages, les nerfs, les membranes, les ligaments, les veines et les artères, tandis que du sang menstruel se forment le foie et les autres parties charnues, à l'exception du cœur, car celui­ci nâît du sang des artères. " Le texte talmudique a bien pu être une des sources de celuici. Mais cela reste à établir.

122. Voir Talmud B. Yebamot 6a.

123. Le blanc représente l'influx divin des rahamim (tendresses clémences). C'est le symbole du pardon: le blanchissement des fautes, dans le texte biblique même.

124. Le rouge représente l'influx divin de rigueur, symbolisé par le feu - le feu de la colère - dans la Bible. Or les femmes sont réputées " bavardes " (cf. Berakhot 48b), d'où leur ressemblance avec le feu, qui, brûlant, émet un crépitement et un murmure ininterrompu.

125. Le texte publié par Scholem (op. cit.), porte: " l'homme a l'esprit troublé ".

126. Le cerveau qui représente, semble­t­il, la première sefira, Keter (la Couronne) comprend en lui virtuellement tous les engendrements à venir, comme la première sefira qui contient toutes les autres sous une forme indifférenciée. A partir d'elle, celles­ci se distinguent progressivement.

127. C'est le vocabulaire de R. Isaac l'Aveugle dans son commentaire sur le Sefer Yetsira, qui désigne la structure supérieure des sefirot présentes dans Keter.

128. Les âmes des géniteurs nourrissent celles des enfants, qui les " tètent " (selon le mot d'Isaac l'Aveugle), chacune suivant sa différence sexuelle, qui on le voit, marque l'âme avant même de s'exprimer dans les corps. Il y a donc du masculin et du féminin dans l'humain en tant que tel, ce n'est pas là seulement un caractère de l'animalité.

129. Parmi les bénédictions de la liturgie matinale.

130. La formule de bénédiction rend grâce de ce qu'une âme masculine a intégré un corps masculin et non un corps féminin, car il arrive qu'une interversion se produise, ce qui est cause de stérilité. C'est là une claire ré 'rence à la doctrine de la migration des âmes; le châtiment (?) d'une existence antérieure peut consister pour une âme à subir une inhabitation dans un corps de sexe opposé au sien. Voir G. Scholem, La mystique juive (op. cit.), p. 227 et note 55, où il indique plusieurs reprises de cette idée. Rappelons qu'elle occupe une grande place dans un livre comme le Maguid Mecharim de R. Joseph Caro. La faute qui entrâîne cette sanction est d'ordinaire l'abstention de l'engendrement.

131. C'est la même expression (devéqout­adhésion) qui est usitée chez les cabalistes géronais pour désigner l'union avec le monde divin, qui sert à qualifier ici le contact des âmes lors de la relation sexuelle.

132. C'est un processus qui prend racine au niveau d'une relation entre les âmes qui suscite l'émergence de la semence au niveau corporel. L'on remarque l'interaction du corps et de l'âme, et le primat de celle­ci dans le déclenchement du désir. La référence à l'antique conception de l'origine de la semence comme " goutte de cerveau " (cf. Sexualité et savoir médical, op. cit., p. 74) va servir en même temps de modèle quant à 1'origine de 1'influx divin dans la première sefira.

133. Cette localisation anatomique des éléments vient du Sefer Yetsira 3:8.

134. Cf. Sefer Yetsira 3:7.

135. Cf. ibid. 3:6.

136. Voir Talmud Haguiga 15a, Nida 43a.

137. Dans Ketouvot 18b et Nida 70b. La formule employée ici par R. Ezra est reprise verbatim par R. Todros Aboulafia, Otsar ha Kavod, p. 50a. Rappelons que le mot " usage " est le terme qui désigne l'acte sexuel dans la littérature rabbinique.

138. Cf fol. 37a (Michna).

139. Allusion à la deuxième et à la troisième sefira.

140. Cf. son commentaire sur le Sefer Yetsira (voir supra, p. 53).

141. Cf. infra, p. 229.

142. Cette même figure se trouve aussi chez Gikatila, dans son Chaaré Ora, chap. 10, t. 2, p. 12, de l'éd. de Y. Ben Chlomo, qui établit les correspondances avec le Zohar dans la note 62.

143. Nous empruntons cette expression, peut­être abusivement, au livre de Pierre Legendre, L'inestimable objet de la transmission (Paris, 1985).

144. Expression empruntée à Nida 71a.

145. Une version de ce texte est donnée dans le surcommentaire de Ibn Chou'aib (attribué à Ibn Abi Sehoula) sur Nahmanide, éd. à Varsovie en 1875, p. 25a (reprise en note dans l'édition du commentaire de Nahmanide par Chavel, t. 2, p. 101, Lévitique 18:6). Une meilleure version est donnée par Chem Tov Ibn Gaon dans son propre surcommentaire, le Keter Malkhout, in Me'or Vachemech, p. 43a (Livourne, 1839), qui est introduite par ces mots: " Moi j'ai trouve dans un rouleau de secrets provenant du Rav qui reçut du Hassid la raison de l'interdit des incestes ". Scholem a publié aussi dans Kiryat Sefer (VI, 1929, p. 417­418) le passage en question à partir de la version de Ibn Chou'aib. M. Idel a montré que ce texte n'était pas l'œuvre de Nahmanide mais de R. Mechoulam.

146. Au niveau des jours initiaux, à savoir dans le monde de l'émanation, les sources, c'est­à­dire les sefirot, " produisirent des branches ", autrement dit: engendrent des influx, et cela semble­t­il, à partir de leur union, mais le texte ne le précise pas. Il a été repris et développé dans le Zohar III, 77a sq. Peut­êue est­ce en fonction de cette idée que plus tard le Tiqouné Zohar, donnant sa propre version du secret des arayot (incestes) dira : " Il n'y a pas de erva (nudité, relation sexuelle honteuse) là­haut ". Voir Tiqoun 69 au début et Tiq. 56 (p. 90a) ; au niveau des " sources ", les unions entre la Mère et le Fils d'en­haut, le Frère et la Sœur d'en­haut qui nomment les sefiroe, ne constituent pas des relations incestueuses. Dans son Meirat Enayim, R. Isaac d'Acco transmet une tradition qu'il dit avoir re,cue de R. Acher ben David: " Celui qui commet une des autres unions illicites [outre l'adultère et l'exogamie], son châtiment ne dépend pas d'un tribunal mais est entre les mains du Ciel [qui inflige] le retranchement, bien que là­haut dans le SouMe saint Père et Mère, Frère et Sœur, Fils et Fille [s'unissent] selon l'unification véritable, il n'a pas à imiter [en cela] son Créateur, l'initié comprendra... " (Jérusalem, 1981, p. 204). La mention de R. Acher ben David tend à montrer l'ancienneté de ce secret des incestes qui serait au moins antérieur à Nahmanide. Cependant, il est possible qu'il s'agisse d'une erreur de copiste et qu'il faille lire " R. Salomon ben Abraham Adret ", mais je ne le pense pas.

147. R. David ben Zimra (mort en 1573), le mâître égyptien de R. Isaac Louria, explique dans son Metsoudat David: " Sache ceci: bien que nous disions partout qu'il faut que la forme ressemble à son Formateur, spécialement dans l'accomplissement des commandements et en faisant ce qui est droit, comme nous l'avons écrit à propos de chaque commandement sans exception, néanmoins au sujet de la proximité et de l'unification pour épancher, Il a, béni soit­Il, instauré en cela que l'on ne fera pas usage du sceptre du Roi, le Saint, béni soit­Il, veut que l'homme ne s'aKache qu'à sa femme, ainsi il fait descendre les âmes de l'arbre d'en­haut par couple masculin et féminin, c'est cela qui lui est permis dans la sainteté et la pureté et c'est le modèle d'enhaut, mais qu'il ne s'attache ni n'épanche en ses proches... " (Mitsva 156, 20). Il est clair que le " secret des arayot " côtoie, depuis la cabale ancienne jusque dans la cabale d'après l'Expulsion d'Espagne, le secret du rapport sexuel licite et de la procréation. Récanati et RabLenou Behayé reprennent dans leur commentaire sur la Torah des morceaux du texte attribué à NaLmanide. R. Todros Aboulafia en traite aussi de manière similaire dans son Otsar ha Kavod, p. 44. Parmi les cabalistes qui ont beaucoup traité de la question des arayot, il faut mentionner tout spécialement R. Joseph de Hamadan (fin du XIIIe siècle), qui leur accorde une très large place dans son Sefer Taamé ha-Mitsvot. Voici en résumé comment il explique l'interdiction des unions illicites énumérées dans le Lévitique (chap. 18): " Il existe des forces émanées du corps de la forme d'en­haut et qui sont des forces qui dépassent la capacité de l'homme, celui­ci ne peut en effet y déterminer un épanchement à cause de la hauteur de leur degré, ce n'est possible qu'au corps du Roi de globe. Cependant, deux des saints patriarches firent usage des arayot, car eux avaient la force de déterminer un épanchement vers les degrés qui en émanaient (...) Jacob prit quatre sœurs et se servit du sceptre du Roi de gloire (...) de même Amram prit sa tante et mérita de donner naissance à Moise (...) lorsque nos forces s'affaiblirent à cause de nos fautes, nous ne fûmes plus aptes à nous servù du sceptre du Roi, et nous avons été mis en garde au sujet des incestes... " (ms. 817, fonds héb. de la B.N. de Paris, f. 195a et b). Toute la problématique des arayot s'articule sur une conséquence inévitable de la conception cabalistique de l'homme créé à l'image de Dieu, ùnage constituée des dix sefirot et système d'interprétation de tous les passages de la Torah. Ainsi, chaque verset et chaque commandement ou interdit renvoie à un aspect de la vie divine "primée par la dynamique des sefirot, et il n'y a aucune raison d'en exclure le moindre texte de l'Écriture. En conséquence, toutes les figures des rapprochements interdits, se réferent, chacune, à une relation particulière d'épanchement entre les sefi ot. Donc les arayot sont parfaitement possibles en­haut. Or l'homme est justement constitué à l'image du monde des sefirot (c'est la ressemblance énoncée dans Gen. 1:26). Ce qui explique que plusieurs patriarches, à cause de leur aptitude à se conformer à la vie divine, ont recouru à des arayot. R. Joseph de Hamadan suggère que c'était le cas de tous les Israélites avant le don de la Torah qui proscrivit ces formes d'w ions à cause de l'incapacité des hommes à assumer pleinement leur ressemblance à Dieu. C'est pourquoi, ce cabaliste a pu dire que " celui qui couche avec sa mère, c'est comme s'il couchait avec la Chekhina " (ibid. ). Le châtiment de ces transgressions, où l'âme s'abîme, consiste, selon lui, en la migration dans des corps d'animaux particuliers (idée reprise dans le Eméq ha Melekh de R. Naphtali Bacharach, milieu du XVIIe siècle, p. 20 sq. Amsterdam, 1648). Ces questions mériteraient, certes, de plus longs développements !

148. Cette proposition semble faire écho à une assertion de Maïmonide qui va être d'ailleurs critiquée par notre Lettre (voir note 33 et suiv.). Les cabalistes, en règle générale, n'insistent pas tant sur la perpétuation de l'espéce que sur l'accroissement de l'image de Dieu sur terre, dont l'engendrement est la cause, ou encore sur l'épanchement d'âmes depuis lewr source divine que la copulation détermine, même si elle n'aboutit pas à un engendrement corporel. L'expression " perpétuer l'espèce " est empruntée à la philosophie et est similaire à celle de Maïmonide (Hilkhot De'ot 3:5). Voir Platon Lois I, 636c, Aristote, De la génération des animaux II, I, 731b, De l'âme II, 4, 415a­b. La théologie chrétienne et la scolastique médiévale aussi centreront leurs conceptions de l'engendrement autour de cette formule. L'affirmation de Nahmanide selon laquelle la relation sexuelle a seulement, d'après la Torah, une finalité procréatrice, est en retrait sur la conception de Maïmonide (qui inclut aussi une finalité thérapeutique) et sur celle de R. Abraham ben David de Posquières, qui ajoute encore le motif de la demande de la femme ou du désir pressant de l'homme.

149. Selon la version rapportée par Rabbenou Behayé, chacune de ces entités a été appelée semence. L'on peut comprendre aussi que la réunion des apports du mâle et de la femelle est appelée semence et non chacun d'eux pris à part. Mais cette lecture est moins sûre.

150. Une idée assez semblable se trouve dans un fragment du commentaire de R. Yehouda ben Chemarya (2e moitié du XIIIe siècle, voir supra, note 45) sur la Torah: "'Le souffle de Dieu planait sur la face des eaux...' (Gen. 1:2), c'est de cette fa,con que la semence se réchauffe dans la matrice et le souffle de l'embryon sera pareil à l'ordre du début de la création du monde. Les philosophes disent que la totalité du corps de l'embryon est fabriquée à partir de la femme, mais la semence du mâle seule se coagule car la matière vient de la femme et la forme du mâle, comme on le voit chez les œuEs d'une poule qui se roule dans la poussière et enfante sans [apport] du mâle, car ces œufs ne donnent pas de poussins, mais il ne me semble pas qu'il faille apporter une preuve pour le genre humain et le mammifere car tout être vivant qui avale la nourriture produit des œufs et ceux­ci nécessitent une cuisson de plus que la chaleur de la poule pour devenir chair. Mais tout être vivant qui broie la nourriture, [celle­ci] devient immédiatement chair. " (publié par N. Goldfeld, Kobez al Yad, op. cit, p. 139.) L'on trouvera une importante étude sur le problème de la semence féminine au sein de la tradition rabbinique dans l'ouvrage très documenté de David M. Feldman : Marital relations birth control and abortion in Jewish law, New York, 1974.

151. Les origines, p. 453 et 454. Il ajoute, à la fin de la note 139: " L'explication que Nahmanide donne de la formation de l'embryon par la force de la hylé a ses correspondances chez Alfarabi et dans le Picatrix du pseudo­Majriti: cf. la traduction en allemand par H. Ritter et M. Plessner (1962), p. 354 (texte arabe, p. 338). "

152. Voir La philosophie au Moyen Age, Paris, 1976, tome 2.

153. En cela ils sont contre Platon et avec Aristote et les stoïciens.

154. Voir infra, p.182.

155. Dans le Méchiv devarim nekhobim (p. 117): " "Eth le ciel veeth la terre": Je dis que les éth sont mis à la place de im (avec), c'est­à dire: avec le ciel et avec la terre, qui sont l'Eden et la jardin, il créa une certaine création et il n'explique pas qui il créa, moi aussi je ne la mentionnerai pas ici car je n'ai pas besoin de l'évoquer et cette création­là est à l'image de l'âme pénétrant dans la goutte de semence au moment de la formation de l'embryon ". Peut-être s'agit­il de la forme de la matière du ciel et de la terre à laquelle fait allusion notre auteur. Mais cela demande réflexion.

156. Texte publié par Scholem dans Madaé ha yaadout, tome 2, 1927, p. 217.

157. Nous suivons une variante donnée en note par Scholem. Le texte porte: " la couronne du roi ". Dans un écrit plus tardif, le Sefer ha Temouna (Lemberg, 1892, p. 5b) la lettre " est la dixième dimension, ainsi que le Diadème (Atara) à l'intérieur de la Royauté (Malkhout); elle est du côté de I'armoire de l'alliance de YHVH et sa forme renvoie au sanctuaire d'en­haut et au sanctuaire d'en­bas, encastrés l'un dans l'autre... ". Dans le sommentaire anonyme de ce livre, il nous est précisé que la sefira Yessod est appelée " Diadème " et " armoLe de l'alliance ".

158. Sans doute la nuit du Sabbat. Ou encore: après minuit.

159. A savoir: des enfants qui seront des mâîtres en matière d'enseignement de la Torah. Cette idée est reprise dans la Lettre.

160. D'après le texte du chap. 4, Michna 1.

161. La forme recroquevillée de cette lettre évoque une personne maladive et faible.

162. C'est la première sefira, Keter (la Couronne).

163. Dans le commentaire du Sejer la Temouna précité, la sefira Yessod est signifiée par l'alliance (la circoncision) et la Torah écrite.

164. Extrait du commentaire de R. Moïse de Burgos paru dans Likoutim me'rau Haï Gaon, réédité dans le recueil Ner Israël, Jérusalem, sans date. Ce texte a été identifié par Scholem dans un article paru dans Tarti<, vol. IV, 1932 (n° 2­3), p. ,4, note 1.

165. Dans sa thèse: Les écrits de R. Abrabam Aboulafia et son enseignement (en héb.), 2 vol., Jérusalem, 1977. Le passage qui nous occupe se trouve dans le chapitre intitulé Imagerie sexuelle et expérience prophétique.

166. C'est également la métaphore de la semence comme fécondité intelligible qui a fait qu'Aboulafia l'a identifiée à de l'encre et son action à une écriture. Voir par exemple, son Épître des sept Voies, trad. française de J. C. Attias, éditions de l'Eclat, Paris, 1985, p. 79.

167. Voir supra, p. 27, note 32.

168. Voir l'article de G. Scholem qui lui est consacré dans 1' ,ncy~lopedia Juda'`a, tome 2, p. 194 sq.

169. Voir infra, p. 270.

170. Qui représente la colonne centrale ou la sefira Tiferet.

171. La sefira Hokhma (la Sagesse).

172. Dans son commentaire sur l'Ecclésiaste, R. Isaac Ibn Latif (1228-1290) qui connaissait Todros Aboulafia, emploie une expression similaire: " Les anciens connaisseurs de la nature ont comparé le cerveau à une source jaillissante, puisqu'il est la source d'où procède la faculté sensitive et la faculté motrice dans tous les membres du corps " (p. 57a). La colonne vertébrale est aussi évoquée ici comme le canal par lequel ces forces transitent. Dans le texte d'Aboulafia, les " membres " désignent les diverses sefirot, réparties selon une structure anthropomorphique.

173. La sefira Yessod (le Fondement), qui figure le sexe masculin, recoit les influx divins dénommés " semence ".

174. La " terre ", c'est bien sûr la dixième sefira, la Malkhout, qui désigne l'aspect féminin du monde divin; à partir de la " semence " qu'elle re,coit elle " enfante " les divers mondes et " fait pousser " l'ensemble des puissances angéliques.

175. Otsar oa Karod (le trésor de la gloire), Varsovie, 1879.

176. Les sefirot qui leur correspondent, Tiferet ou Yessod pour le pére, Malkhout pour la mère.

177. Expressions reprises à R. Ezra, cf. supra, p. 64.

178. Cf. Nida 3 1 a.

179. C'est ce qui vient en dernier qui a le dernier mot et qui détermine le sexe de l'enfant.

180. Nous avons consulté les manuscrits 823 et 843 de la B.N. de Paris. Le premier est la référence de la pagination. Micheline Chaze a consacré une étude sur le secret du serment dans les écrits de R. Todros Aboulafia, voir Revue des Etudes juives, 1983, n° 142, où elle indique qu'elle prépare une édition critique de cet ouvrage. De même, Mikhal Oron, au début de son édition d'un sermon prononcé par ce cabaliste, indique qu'il prépare une édition critique du même texte (Daat, 1983). A ce jour, aucune n'a encore été publiée.

181. Voir une discussion à ce sujet dans Y. Liebes, “Le Messie du Zohar” (en héb.), note 369.

182. Un interprète du Zohar, R. Yehouda Hayat (xv' siècle) I'énonce en ces termes: " De l'accouplement d'en­bas dépend l'accouplement d'enhaut " (Commentaire sur le Maarekhet ha Elohout, p. I 37b).

183. Dans Zohar I, 2 l b, 22a, et notre traduction dans tome I, p. 123 sq.

184. Voir la fin de l'Idra Zouta. Yehouda Liebes a longuement traité de ce sujet dans un important article, " Le Messie du Zohar " (en héb.), p. 204 et suiv. et voir aussi p. 198, le chap. intitulé: " L'accouplement comme réparation ". Il faut mentionner encore l'étude déjà ancienne de P. Vulliaud, intitulée Le Cantiqsue des Cantiques, plusieurs développements sont consacrés à la question de la hiérogamie dans le Zohar (rééd. en 1975 dans la coll. des Introuvables).

185. Voir par exemple Zohar III, 291b sq., 82a. G. Vajda analyse ces passages dans son livre: L'amour de Dieu dans la théologie juive du Moyen Age, p. 204 et suiv. (Paris, 1957)

186. Voir le passage donné ci­après. Ailleurs le Zohar se sert de l'image de l'embryon dans le ventre de sa mère pour dépeindre la présence de la rigueur (din) au sein de la Chekhina (I, 232a).

187. Voir le passage des Sitré Torah dans I, p. I,4b et suiv. et dans notre traduction, t. 2, p. 3,7 et suiv. C'est là l'héritage de la cabale de Gérone qui a beaucoup insisté sur le rôle prépondérant de la pensce. Cette tendance se retrouve jusque dans le commentaire de Nahmanide sur les interdits relatifs aux unions sexuelles avec les proches (ad. Lév. 18:17 sq. p. 103 à 105 dans l'éd. Chavel).

188. Si l'on omet la ponctuation, I'on peut lire ce verset ainsi: " Lumière est la semence du juste. " Dans son Nefech ha hakhama, R. Moïse de Léon fait allusion au secret de la procréation en termes assez obscurs: " Réfléchis au fait que, lors de la conjonction du mâle dans la femelle, tous les influx des forces qui donnent au corps sa subsistance... et se dessine là les traits de ses lettres selon le secret de la force de l'âme qui reçoit le corps dans sa consistance... " (p. 29 de l'éd. de Bâle). Une idée similaire est évoquce dans ses Questions et réponses à propos de la cabale (éd. par I. Tishby in Kobez al Yad 4 (1950) p. 18: " "Il couchera" c'est Yech KB (il y a 22): ils ont dit que le secret du monde du Yéch (il y a = Hokhma) est caché dans le secret des 22 lettres issues de la Sagesse d'en­haut (...) comme il en va du mâle dans la femelle qui sculpte en elle les lettres ". Selon Tishby, la semence de l'émanation épanchée de Hokhma à Bina est figurée par la graphie des 22 lettres.

189. Texte traduit et annoté par G. Sed­Rajna, Leiden, 1974, p. 85.

190. Il s'agit dans le texte biblique de la préparation des ingrédients d'une offrande.

191. Le. l'influx divin.

192. S'il s'agit déjà d'un épanchement de vie divine en quoi celui­ci doit­ il subir encore un " concassage ", c'est­à­dire un broiement et une pression ?

193. Qui figurent les sefirot.

194. Selon une idée médiévale bien attestée, le plaisir de la femme est provoqué par la réception de la semence masculine (Sexualité et savoir médical, op. cit., p. 93), et ce plaisir est souvent considéré comme une condition de la fécondité (id., p. 88).

195. Voir infra, p. I 54, le texte de R. Yossef Hayim de Bagdad.

196. Voir divers passages du Zohar sur ces motifs, présentés et traduits par G. Vajda dans son livre: L'amour de Dien dans la théologie juive du Moyen Age (Paris, 1957), p. 220 sq.

197. Un cabaliste comme R. Abraham Azoulaï (1570­1643), disciple indirect de R. Moché Cordovéro, attache une grande importance au fait que la femme prenne l'initiative. Dans son Hessed le' Abrabam (2:61), il nous dit: " En ce qui concerne "l'usage", lorsque l'initiative vient du mâle, cet "usage" n'est pas au nom du Ciel, mais au nom du plaisir, bien qu'il soit impossible que le début de "l'usage" vise autre chose que le plaisir, et "l'incirconcision" naît de ce côté­là. Mais qui a mérité d'avoir une femme valable, l'habituera à prendre toujours l'initiative de 'l'usage'. Celle­ci saisira avec la main le bout de l'oreille droite de son époux, le pouce de sa main droite et l'orteil de son pied droit, et lorsqu'elle aura l'intention d'éveiller le désir [de son mari], il lui faudra se concentrer, au moment où elle emploiera ces signes, sur l'intention suivante: que les trois démons incitant le désù qui n'est pas au nom du Ciel s'en aillent. Quand l'homme visera seulement l'accomplissement du commandement ona [= le devoir conjugal] et aucun plaisir quelconque, il sera alors possible que l'embryon se forme déjà circoncis dans le ventre de sa mère. Ce sont les signes que Jacob transmit à Rachel. La femme doit en fait commencer par [entreprendre] son orteil, qui est signe d'en­bas, puis son pouce, qui est intermédiaire, enfin le lobe de l'oreille droite de son époux, qui est [signe] d'en­haut... " Une idée voisine a été exprimée par R. Moché Cordovéro dans son Palmier de Débora (p. 100 de notre trad. Verdier, 1985). Elle n'est pas absente de l'enseignement de R. Isaac Louria, voir Ets Hayim (éd. de Jérusalem), 2e partie, p. 146, col. b et p. 147: " La femelle, toujours, s'éveille la première (...) d'abord elle commence par enlacer le mâle... "

198. Appellation de la première sefira, Keter (la Couronne). Nous avons fait partiellement usage de la traduction et des notes que G. Vajda donne de ce texte dans son ouvrage op. cit. p. 216.

199. " Se manifester par l'émanation " des sefirot remarque G. Vajda. Le verbe est ici tiyen, que l'on peut très diversement traduire.

200. Nous n'agréons pas ici la note de G. Vajda (note 4 de la p. 216). A notre humble avis, le texte veut dire ceci: quand des sefirot masculines et féminines s'unissent, le fruit de leur union est encore du masculin et du féminin, qui permettent à leurs " géniteurs " sefirotiques de pe durer dans leur irréductible différence et de ne pas s'abolir par leur fusion.

201. " Déjà en procédant de Keter, Hokhmah [la Sagesse] renfermait Binah [le Discernement] qui la suit dans l'ordre de l'émanation " (note 5 de G. Vajda). Bien que non séparée encore de la Sagesse (le masculin), le Discernement (le féminin) en était distinct, le féminin ne dérive donc pas du masculin, mais est une dimension irréductible.

202. " Des archétypes séfirotiques des trois patriarches: Hessel (Abraham), Geburah (Isaac), Tiferet (Jacob) " (note 7 de G. Vajda).

203. La " Foi " désigne l'ensemble du monde des sefirot, qui se déploient après leur “enfantement” par l'union de Père et Mère.

204. Le Yod contenu dans le tétragramme désigne Hokhma, le premier Hé, Bina. La thématique de l'accouplement et de l'engendrement des lettres occupe une grande place dans les spéculations des cabalistes, et particulièrement dans la littérature zoharique.

205. La sefira Tiferet, qui englobe les six sefirot inférieures.

206. En recomposant les lettres du mot birza, on obtient ce résultat.

207. Y compris la dimension féminine de la Malkhout, appelée Fille.

208. Qui ont mené à bien leur voyage dans les profondeurs des secrets et en sont sortis indemnes. Cette expression est empruntée au Talmud, traité Haguiga 14b et pass., où elle désigne le cheminement réussi de R. Akiba dans le Pardés, Verger du savoir. Cet épisode des quatre rabbis entrés au Pardés a été très diversement interprété et fait l'objet encore de discussions. Les ca alistes y voient une parabole de l'initiation à la connaissance des secrets de la Torah.

209. A savoir: celui qui néglige l'étude du sens ésotérique.

210. Plus essentielle, par exemple, que la différence classique entre forme et matière, que Maïmonide considère à la suite d'Aristote, comme l'opposition fondamentale, qui explique la différence sexuelle, et dont celle­ci n'est, en définitive, qu'une métaphore. Voir plus haut, p. 176 sq.

211. Comme la hiérarchie des causes et des effets, la différence sexuelle introduit un sens déterminé dans l'écoulement de l'émanation.

212. C'est ce que le Zohar affirme, sans doute, quand il dit que par le masculin et le féminin tout a consistance et subsiste.

213. L'on sait que l'image a deux dimensions: longueur (le père ainsi que la cabale nomme la longueur), la largeur (la mère); dès que l'épaisseur (le fils) intervient, et surtout qu'intervient le temps (la fille, dimension du temps, dès le Bahir), il n'y a plus d'image: mais un relief qui persiste.

214. Cet humaniste et cabaliste chrétien de la Renaissance a forgé une série de vocables hybrides français­hébreu. Em (la mère en hébreu) est ainsi devenue un préfixe factice, substitué au im de image. Voir les écrits de Guillaume Postel, publiés par François Secret, dans Postelliana (Nieuwkoop, 1981), p. 318 sq.

215. Dans son Otsar ha Kavod 14a. "  Etre posé sur une même balance " doit s'entendre comme " avoir le même poids ", même si d'autres connotations doivent entrer en ligne de compte. R. Moïse de Léon emploie aussi cette expression dans ses écrits en hébreu, voir Sod Esser Sefirot Belima publié par Scholem dans Kovez al Yad 8 (1975), p. 371 et Or zaroua publié par A. Altmann dans ibid. 9 (1980), p. 251.

216. Voir plus haut p. 136.

217. Dans son Otsar ha Kavod, p. 44, col. a: " Leur faute a é~ la cause de la diminution de la lune ".

218. Dans son livre L'inestimable objet le la transmission (op. cit. ).

219. La source est dans Berakhot 32b.

220. Dans le contexte du récit biblique, il s'agit de Rébecca.

221. Cf. Berakhot 34b.

222. Cette conception a été développée par les cabalistes géronais, en particulier par R. Azriel, dans son commentaire sur les Aggadoth, p. 37­38 (éd. I. Tishby, 1945). Voir à ce sujet Moché Idel, " La conception de la Torah dans la littérature des Palais et la cabale " (en héb.), p. 50 et suiv., dans Mehqaré Yérouchalayim,été 1981, p. 23 à 84.

223. A savoir la Chekhina, la Fille.

224. Avec des variantes, cf. Berakhot 5b.

225. Voir un autre développement sur la nudité comme thème eschatologique dans le morceau du Tiqouné Zohar édité dans Zohar I, 28b (p. 161 du tome I de notre trad.).

226. Cf. Haguiga au début.

227. Il convient de citer A. Altmann (son article sera mentionné plus loin), et Moché [del, dans ses différents articles, dont " L'explication des dix sefirot et autres fragments d'écrits de R. Joseph de Hamadan " (en héb.), Alé Sefer 67 (1979), p. 74­84. Nous indiquerons infra le nom des éditeurs de deux ouvrages de ce cabaliste.

228. Cet ouvrage a été imprimé par Menahem Meier (Brandeis University, 1974). Nous n'avons pas eu accès à cette édition. Le texte que nous allons traduire provient de la version publiée par G. Scholem en appendice de son article (op. cit.), sur la Lettre sur la sainteté. Nous avons revu cette version et corrigé certaines erreurs textuelles grâce au ms. 817 de la B.N. de Paris.

229. L'Époux, c'est la sefira Tiferet, la Communauté d'Israël, la sefira Malkhout.

230. Cf. Pessahim 113b.

231. D'être un renégat ou un hérétique. Cette formule est dite à propos d'Elicha ben Abouya (" l'autre "), celui des quatre rabbis entres au Pardés (Verger du savoir) qui devint renégat, dans Haguiga 14b.

232. C'est là peut­être une réminiscence du Guide des Egares III, I et 2 où Maïmonide interprète la Mercaba (le Char) et plus particulièrement les quatre hayot (vivantes) comme évoquant chacune le visage humain selon ses divers aspects. En donnant naissance à des enfants, ce sont autant de visages inscrits dans la Mercaba où ils sont conjoints qui viennent à l'existence. L'on peut comprendre ce passage en référence aussi aux Idra du Zohar: les " enfants " désignant les configurations du Fils (Zeir Anpin) et de la Fille (Nouqva).

233. Cf. Yebamot 63b.

234. Désignation ici, sans doute, de la structure des sefirot.

235. Cette expression qui revient plusieurs fois dans les écrits de noue cabaliste, désigne, dans ie Talmud (Yebamot 4gb), le plus haut degré de la prophétie, celui auquel Moïse seul accéda. Mais il n'est pas sûr que l'on doive la prendre dans ce sens ici, ce n'est peut­être qu'une simple tournure du style.

236. Ce verset, sous cette forme, ne figure pas dans le Bible.

237. Ce " gouvernement d'en­haut " se réfère sans doute à la sefira Malkhout (la Royauté) qui dirige le monde extradivin (angélique et humain). Les " apprêts " (tiqounim) du Char, ce sont, semble­t­il, les diverses puissances angéliques.

238. Cette phrase paraît incise dans le présent texte, sans rapport clair avec le contexte. Il est permis de supposer qu'elle vise à illustrer la correspondance de la forme de l'homme avec son modèle divin. Ce verset est commenté par R. David ben Yehouda he Hassid dans son Mareot ha Tsoveot (cité plus loin), p. 27, lig. 5. " L'huile " y désigne la sefira Keter (la Couronne) qui se déverse dans l'ensemble du monde des sefirot appelées aussi mesures (midot).

239. Pour R. Joseph de Hamadan, un défaut infligé dans le Char divin est un défaut infligé dans la propre âme de l'homme, comme il l'explique dans son SeferTaamé ha Mitsvot (ms. op. cit. f. 195b).

240. Lors d'une existence postérieure, son âme migrera dans le corps d'un animal.

241. Du monde divin tout d'abord.

242. Voir Sections of the Zobar lexicon (op. cit.), p. 355 sq. et Questions et réponses à propos de la cabale (op. cit). de R. Moïse de Léon, p. 31.

243. Le mot employé est dougma, dont l'usage est très spécifique dans les textes de la cabale.

244. Dans certains passages de l'œuvre de R. Joseph, le " Char d'en­haut " désigne la sagesse primordiale, qui renferme en elle les essences de toutes les sefirot.

245. Métatron est le chef du monde angélique, voir par exemple le Livre des Palais (ou Hénoch III). C'est une figure familière dans l'ancienne litt. des Palais et dans le Zohar.

246. Identifié par E. Gottlieb (op cit.), p. 251.

247. Cet ange apparâît déjà dans la littérature apocalyptique ancienne, surtout dans l'Apocalypse d'Abraham et il ressurgit dans la littérature des Palais.

248. Dans l'introduction de l'éd. du Livre des miroirs (Mareot ha Tsoveot) de R. David ben Yehouda he­Hassid, Daniel C. Matt donne une liste (incomplète) de ses occurrences et de ses parallèles, p. 34, note 238 (Tke book of mirrors, Brown Judaic Studies, 1981).

249. Il emploie d'autres expressions similaires: " Dès que l'homme accomplit un seul commandement, c'est comme s'il faisait subsister le Char et le construisait " (...) " Qui s'éduque lui­même par la Torah et les commandements, réalise le Char et est appelé du nom d'homme " (...) " Quand l'homme s'en va vers la maison de son éternité, s'il est Hassid, il s'attache rcellement au trône de gloire et devient un membre du Char, du Saint, béni soit­II, même " (ms. Paris 816, p. 264b).

250. Édité par Jeremy Zwelling, Brandeis Univ., 1975.

251. Mais pour R. Joseph de Hamadan, cet amoindrissement est la conséquence de toutes les fautes. Ainsi, ce qui vaut dans la littérature rabbinique pour la procréation, vaut pour tous les commandements, la première devenant le paradigme des autres.

252. " La question de la paternité du livre Taamé ha Mitsvot " (en héb.) Kiryat Sejer 40 (1965).

253. Dans ma traduction de cet ouvrage (Verdier, 1985), p. 158 sq. note 307, je n'avais pas identifié la source de cette conception.

254. Voir par exemple: " L'image de l'homme au­dessus des sefirot " (en héb.), Daat 4 (1980) et encore ibid. 7 (1981).

255. Op. cit., supra. Voir son introduction, p. 34.

256. Cf. Lév. Rabba 20:6.

257. Dans le verset: " Il fera expiation en sa faveur et en faveur de sa maison " (Lév. 16:6), le Talmud (Yoma 2a) identifie la maison à la femme. D'où la nécessité pour lui d'avoir une épouse pour l'expiation.

258. Sur ce point, l'article de Moché Idel, intitulé " Sexual metaphors and praxis in Kabbalah " (cf. infra p. 338), apporte des indications très précieuses. Dans cette importante étude, l'auteur montre que les conceptions ésotériques relatives à la sexualité s'originent dans les traditions rabbiniques anciennes, et que celles­ci sont en rapport avec le Saint des Saints, les chérubins et le service dans le Temple. A l'appui de cette thèse déjà bien établie, je voudrais ajouter les éléments suivants: dans le Talmud (Yebamot 63b) et le Midrach (Gen. R. 16:2) épouser une femme est censé faire expiation sur les fautes antérieures, ce qui est d'ordinaire l'œuvre du prêtre dans le Temple. Et l'on trouve dans le Talmud de Jérusalem (Ketouvot 5:6) l'énoncé suivant: " R. Abin dit: Le Saint, béni soit­Il, affectionne le croître et le multiplier davantage que le Temple... ". La relation sexuelle s'est substituée au service sacré dans le Sanctuaire, et elle a hérité plusieurs de ses caractéristiques. Ce qui donne à penser que déjà, dans le Saint des Saints, était en jeu la réunion du masculin et du féminin. En fait, d'autres aspects de la vie quotidienne ont été entendus comme des analogon du service sacré: les prières, la table familiale (comparée à l'autel), etc. L'union conjugale, est l'un d'eux, mais sans doute représente­telle la dimension la plus fondamentale, correspondant à l'union des chérubins dans le Saint des Saints. Dans son Sefer Michkané Eliyon (réèd. Bné Braq, 1984), R. Moché Hayim Louzzato dépeint la structure du Temple d'en­haut et il indique que dans le Saint des Saints se conjoignent les deux grands " luminaires " c'est-à-dire le Féminin et le Masculin (p. 159).

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