Poitiers, 1 mars 2009

Exode 3 et 4

Chers frères et soeurs,

je continue avec vous de parcourir les passages où Dieu dialogue directement. Après Adam et Eve, après Caïn, après Abraham, voici Moïse au buisson ardent.

Ce passage est connu de ceux qui ont encore des souvenirs d'école biblique. Il est aussi figuré sur le logo de notre église, avec la mention latine Flagror non consumor, il brûle mais ne se consume pas.

Cet épisode qui couvre deux chapitres semble simple, mais en fait, dès qu'on y entre un peu plus, beaucoup d'éléments interviennent qui viennent parfois troubler un peu ou même beaucoup cette impression.

Voyons en d'abord le cadre général, le déroulement du récit :
Moïse est réfugié à Madian depuis 40 ans. Il y est berger, et se trouve avec ses troupeaux sur la montagne de l'Horeb. Et là un phénomène bizarre attire son attention : un buisson d'épines brûle, mais le feu ne l'atteint pas, il ne se consume pas.

C'est alors que Dieu se manifeste. Moïse entend qu'on l'appelle : Moïse, Moïse ! Alors, comme Abraham, comme Samuel, comme Esaïe, il répond : Me voici.

Dieu lui demande de se déchausser et lui explique qui il est et ce qu'il attend de lui, qu'il aille en son nom faire sortir les enfants d'Israël du pays d'Egypte où il est maintenu en esclavage.

Mais, pour la première de 5 fois, Moïse refuse. Quelque chose comme : Moi ? C'est moi que tu veux envoyer ? Je suis qui, moi, pour aller voir Pharaon ?
Alors, calmement, Dieu lui explique qu'il sera avec lui, que c'est lui qui l'envoie.

Alors Moïse continue à contester cet appel avec Dieu : Bon, d'accord, tu seras avec moi, mais il faudra bien que je dise qui tu es. D'ailleurs, quel est ton nom ?
Avant de rappeler à Moïse, dans les détails, quelle sera sa mission, il lui dit qui il est. C'est la célèbre phrase, traduite tant bien que mal par "je suis celui qui suis" ou "je suis qui je suis", ou "je serai qui je serai".
Tournure un peu énigmatique. Grammaticalement difficile pour nous. Le verbe utilisé est à l'inaccompli. C'est à dire que ce n'est pas terminé. Contrairement à un verbe à l'accompli, qui indique une action terminée, l'inaccompli indique une action, ou ici un fait, qui n'est pas terminé. La distinction ne porte pas sur le temps comme en français. Suivant le contexte, l'inaccompli peut être du passé, du présent ou du futur. Et en fait, c'est les trois à la fois.
Et on retrouve plusieurs fois le verbe être avec cette forme, au verset 12 : je serai avec toi, au verset 14 trois fois et encore en 4:12, puis en 4:15 : je serai avec ta bouche.

Mais Moïse n'est toujours pas convaincu. Maintenant, il se demande s'il sera cru. Enfin, pourquoi est-ce qu'on l'écouterait, cet ancien exilé qui parle au nom d'un dieu, de qui déjà ?
Dieu continue de répondre aux contre-arguments de Moïse. Il lui donne trois signes pour manifester que Dieu est bien avec lui, qu'il n'est pas un illuminé.

Mais Moïse est têtu. Je ne parle pas bien, je suis timide, j'ai des problèmes d'élocution.
Dieu lui répond, encore calmement pour cette fois. Il lui rappelle qu'il est le créateur, qu'il sait ce que c'est qu'une bouche. Il lui rappelle qu'il sera avec lui, avec sa bouche, que lui, Dieu, "Je serai", sera avec sa bouche, et qu'il recevra les mots à dire.

Mais Moïse insiste encore. Débrouilles toi donc sans moi, c'est à peu près ce que veut dire cette phrase bizarre.
Alors là, Dieu n'y tient plus. Il se met en colère.
Puisque tu ne veux pas y aller seul, tu seras accompagné de ton frère Aaron. Je serai aussi avec toi, et lui, mais puisque cela ne semble pas te suffire, vous irez à deux.

A partir du verset 18 commence un passage curieux. Moïse va d'abord demander à Jethro de lui permettre de partir vers l'Egypte. Puis Dieu lui annonce qu'il n'est plus menacé en Egypte. Enfin il embarque sa famille sur des ânes et part. Et alors Dieu lui parle du pharaon, d'endurcir son coeur, puis des histoires de fils, et enfin cette menace de mort mystérieuse de mort qui se termine par la circoncision d'un fils.

Pour terminer, après que Dieu ait aussi appelé Aaron, les deux frères se rencontrent, arrivent en Egypte et réussissent à convaincre le peuple des enfants d'Israël.

Après ce résumé, voyons quelques éléments.

Le nom de Dieu : "Je serai", dont la forme est différente du tétragramme, par ailleurs aussi utilisé dans ces chapitres, concurremment avec Elohim. "Je serai", qui indique non pas un état mais une existence, pas une situation figée que l'on pourrait décrire, mais quelque chose, ou plutôt quelqu'un, qui ne cesse d'être. "Je serai" est avec toi, "je serai" t'a envoyé, "Je serai" est avec ta bouche. Dieu est en permanence celui qui est et qui sera, celui qui est là et qui sera là, celui qui est avec et qui sera avec.

Je vais maintenant relever deux mots qui parcourent ce texte, et parfois ensemble : le verbe envoyer et la main.
Dieu envoie Moïse. Il a besoin de lui. Moïse est en quelque sorte une projection de Dieu et de son action. Il est pour ainsi dire la main de Dieu, celle qui va défaire ce que fait la main des Egyptiens au verset 8.
Dieu envoie Moïse aux versets 10, 12, 14 du chapitre 3.
Aux verset 19 et 20 Dieu envoie sa main, une main puissante pour frapper l'Egypte. Il envoie Moïse.
Quand Dieu donne à Moïse les signes de la puissance, il le fait agir avec ses mains : envoie ta main et ramasse ton bâton devenu serpent, puis mets ta main sur ta poitrine, fais la sortir, remets-la, fais la sortir.
Et il y a ce verset énigmatique, le verset 13 du chapitre 4 : Il dit : Pardon Seigneur, envoie s'il te plait, par une main tu enverras. Verset traduit en général par "Envoie qui tu voudras envoyer", mais qui voudrais plutôt dire : Fais-le donc plutôt sans moi.
Mais ce n'en est pas fini de la main et du verbe envoyer : Moïse part avec son bâton dans sa main, et Dieu met des prodiges dans sa main. Et, à chaque fois qu'il s'agit pour Pharaon de laisser aller le peuple, il s'agit encore du même verbe envoyer.

Et ce passage nous parle encore d'histoires de familles. Comme d'autres histoires de familles, celles ci ne sont pas forcément évidentes non plus.

Vous avez noté, je suppose les nombreuses mentions au début des pères : le Dieu de ton père, le Dieu de vos pères, le Dieu de leurs pères.
Et dans le passage étrange, les nombreuses mentions de fils.
Décidément, la Bible les aime bien, les histoires de fils et de pères, Abraham, Isaac, Jacob, Joseph et ses frères, et maintenant Dieu et Israël son fils, Pharaon et son fils, Moïse et ses fils.

Avant d'aborder cette histoire de circoncision, quelques hypothèses de vocabulaire sur deux mots voisins et qui prêtent à confusion : hatan et hoten, généralement traduit par époux ou fiancé et beau-père. En fait, ils indiqueraient des liens familiaux par mariage, et le mot arabe correspondant a aussi un sens lié à la circoncision. Jethro n'est peut-être pas exactement le beau-père comme nous le connaissons, et le choix ici de cette racine est sans doute lié à la circoncision.

On retrouve donc entre les versets 18 et 26 les mentions de mort, de fils, d'envoi, de circoncision et de sang.
Tout ça n'évoque pas en vous quelques réminiscences : le sacrifice d'Isaac, la première pâque et la mort des premiers-nés égyptiens, ou encore le combat de Jacob au gué du torrent ?
Le début paraît simple à comprendre : Moïse part avec ses fils, sa femme sur des ânes, Dieu lui explique ce qui va se passer, et surtout la menace de mort sur le premier fils de Pharaon. Et puis, il y a encore un verset mystérieux. Je vais vous donner une traduction mot à mot qui montre que beaucoup de traducteurs ont voulu compléter ce qui leur semblait incomplet : Et voici, sur le chemin à l'auberge, il le rejoignit l'Eternel, il chercha à le faire mourir. On ne sait pas qui Dieu rejoint et cherche à faire mourir : Moïse ou bien un de ses fils. Et pour quelle raison ? Les commentateurs, pour qui Dieu a ses raisons, croient les avoir trouvées : Moïse n'ayant pas fait circoncire ses fils ne peut pas accomplir sa mission. Mais alors on se demande bien à quoi a servi toute l'histoire qui précède. Si Dieu n'avait pas trouvé Moïse à la hauteur, l'aurait-il appelé ?
J'ai plutôt tendance à rattacher ceci aux versets précédents, aux mentions des fils de Dieu et de Pharaon, et aussi indirectement à l'histoire d'Isaac.
Comme Dieu n'a pas voulu à la fin de la mort du fils d'Abraham, remplacé par le bélier, il n'a pas non plus voulu à la fin de celle du fils de Moïse, remplacée par le sang de la circoncision.
Par cette circoncision, Moïse et son fils entre dans une nouvelle famille, dans une nouvelle alliance, une alliance marquée par le sang. Rappelons nous le sang sur les portes au départ du peuple de l'Egypte.

Après ce temps consacré à une étude sommaire du texte, voyons un peu ce qu'il peut nous dire aujourd'hui.

D'abord, Dieu voit la peine de son peuple. Dieu voit la peine des hommes. Il entend leurs cris.
Nous, peut-être pas, mais lui oui. Et pourtant, beaucoup de nos contemporains pensent que non, que Dieu ne voit rien, qu'il n'agit pas, ou alors, qu'il n'existe pas. Sinon, il agirait...

Autre caractéristique de Dieu : il envoie sa main, son envoyé, pour être sa main, pour agir pour lui. Qui sont maintenant les appelés de Dieu, ceux qu'ils envoie, sinon son Eglise, c'est à dire proprement celle qui est appelée. La main puissante de Dieu, celle qu'il envoie, c'est son Eglise.

Mais son Eglise ressemble bien trop souvent à Moïse. Elle trouve de bons arguments pour repousser cet appel, cet envoi.

A l'Eglise, au croyant, qui répond à Dieu : moi, c'est moi que tu veux envoyer ? Mais tu ne m'as pas vu. Je ne suis rien. A celui-là Dieu répond : je t'accompagne, "je serai" est avec toi. Si je suis avec toi, c'est bien que tu es quelque chose, que tu vaux quelque chose.

A l'Eglise, au croyant qui répond à Dieu : quel est le nom que je dois donner ? Quel Dieu faut-il annoncer ? Dieu donne la réponse : il faut annoncer le Dieu des pères, le Dieu de l'histoire, le Dieu de l'histoire du salut, le Dieu qui a accompagné l'histoire des hommes, au point de vivre avec eux jusqu'à la mort sur la croix. C'est ce Dieu là qui nous envoie agir et parler.

A l'Eglise, au croyant qui répond à Dieu : ils ne me croiront pas, on ne me croira pas, Dieu donne des signes de foi. Sachons envoyer notre main, étendre notre main, la rentrer et la sortir. Si les prodiges de Moïse appartiennent à Moïse, d'autres peut-être moins spectaculaires sont pour nous.

A l'Eglise, au croyant qui répond à Dieu : je ne sais pas parler, je parle mal, Dieu répond : "je serai" est avec ta bouche. Dieu sait ce qu'est le mutisme et l'aveuglement. Il a promis d'enseigner ce qu'il fallait dire au moment convenable, ce qu'il fallait faire aussi.

A l'Eglise, au croyant qui répond à Dieu : envoie donc un autre, fais autrement, Dieu répond : je t'accompagne, tu ne seras pas seul, et s'il le faut tu auras des compagnons. Prend dans ta main ce bâton de foi qui marquera ma présence.

Et enfin, Eglise, tu comprendras que tu as été rachetée, que tu es maintenant ce fils de Dieu, celui que Dieu a délivré, celui que Dieu envoie, celui qui a été introduit dans une nouvelle famille, celle de Dieu, celle de son Fils venu parmi nous, qui a versé son sang, qui est ressuscité et vivant à jamais.

Amen

(Philippe Cousson)

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