Poitiers, 29 mars 1992

Josué 5:10-12
2 Cor 5:17-21
Luc 15:1-3,11-32

     Je suppose que chacun d'entre nous a au moins vu une fois cette publicité à la télévision où une femme dit à un huissier : "Nous n'avons pas les mêmes valeurs !" Dans les discours que nous entendons à notre époque, ce mot de valeur, souvent utilisé au pluriel, est très fréquement employé. On nous parle des valeurs de la gauche, des valeurs de la France, des valeurs républicaines, des valeurs humanistes. On nous parle aussi de la bourse des valeurs, mais ça n'a pas grand' chose à voir.

     Y a-t-il des valeurs chrétiennes ? Quelles sont-elles ? Comment se différencient-elles des valeurs non-chrétiennes ? Qu'est-ce qui fait que pour un chrétien, il y a des choses anciennes et des choses nouvelles ? des valeurs anciennes et des valeurs nouvelles ? une attitude ancienne et une attitude nouvelle ?      Bien sûr, il y a parmi les non-chrétiens certaines valeurs humanitaires, qu'on ne peut pas nier. Il y a des attitudes merveilleuses qui devraient souvent faire honte à des chrétiens qui ne les ont pas eues. Mais ces valeurs-là sont-elles vraiment celles qui font marcher le monde ? Il ne me semble pas. J'ai plutôt l'impression qu'en fin de compte, notre humanité, et quoique chrétien nous en faisons encore partie quelque part, que notre humanité est poussée par un moteur puissant qui est l'intérêt personnel. Cet intérêt personnel peut être très égoïste. Il peut même aller jusqu'à écraser les autres, les empêcheurs. Il peut aussi s'étendre à l'intérêt pour les siens, pour le groupe, mais en fin de compte, le résultat est le même. Il ne s'agit pas seulement d'un instinct de protection, de survie. Il s'agit aussi de convoitise. Et c'est ce moteur-là qu'utilise la publicité. "Vous voyez bien que sans ceci, vous ne serez pas celui que vous voulez être."

     Mais alors, et les "valeurs" chrétiennes, ces choses nouvelles qui nous poussent, ou devraient nous pousser, quelles sont-elles ? Où est la différence d'avec les autres ? Ne serions-nous pas chrétiens par intérêt ? pour garantir un avenir ? Mais laissons cela. Il est me semble-t-il un certains nombre de valeurs, qui si elles se retrouvent ailleurs que chez les chrétiens, ensemble les caractérisent. Parmi celles-ci, il y aurait l'amour, la vérité, la justice. Toutes choses qui amènent, ou devraient amener le chrétien à des options, à des choix, à des décisions, que peut-être un autre n'auraient pas prises.

     Parmi les nombreuses possibilités d'images animées offertes par le Futuroscope, il y en a une qui m'intéresse ce matin. Je ne sais pas si vous y êtes allés. Il s'agit du Cinéautomate, si la mémoire de mon fils est exacte. On commence en vous projetant le début d'un récit puis, on vous propose deux possibilités. Par exemple, le héros s'enfuit, poursuivi par des méchants. Il arrive au bord d'un précipice. Il peut, n'écoutant que son courage, sauter dans le vide, ou alors, plus raisonnable, il s'arrête et se fait capturer. On offre alors à l'assistance de choisir, en votant. Et c'est l'option plébiscitée qui est choisie, et l'histoire se poursuit jusqu'au choix suivant. Celui qui assisterait à deux séances consécutives aurait toutes les chances de voir deux histoires bien différentes.

     On parle des huit vies d'un chat, mais on dit aussi que l'homme n'a qu'une vie. Et chaque décision met fin à une histoire possible, à une vie possible pour en retenir une autre. A chaque instant, avant chaque décision, plusieurs histoires sont envisageables. Choisir, c'est renoncer. Après le choix, beaucoup de possibilités ont disparu. Et ceci à chaque décision, ou non décision, à chaque instant. Il y a toujours un avant, un après. Les possibilités conservées, l'avenir choisi, dépendent donc de chaque décision, et du moteur de ces décisions, des valeurs qui les justifient.

     Le fait même de choisir de devenir chrétien, en lui même, pose un avant et un après. Ce choix ferme à celui qui le prend beaucoup de conduites, d'attitudes, d'actions, qui sauf reniement appartiennent à l'avant, et auxquelles il a renoncé, vers lesquelles il ne tend plus. Son regard se porte vers une autre direction, vers un autre horizon. Son champ de vision s'il porte plus loin en avant, n'atteint plus les possibilités dépassées, abandonnées.

     Le Christ lui-même l'a dit "Celui qui met la main à la charrue et regarde en arrière n'est pas bon pour le Royaume de Dieu". Il n'est pas bon de revenir sur ses choix. De toutes façons, les choses ont changé, la situation n'est plus la même. Pour employer une terminologie scientifique, on se situe à un autre endroit de l'espace-temps.

     Lorsqu'il a tenté le Christ, Satan l'a amené sur une montagne pour lui montrer les royaumes de la terre. Il lui a offert un horizon grandiose. Voilà ce à quoi il allait renoncer, s'il ne suivait pas sa réclame. Un joli coup de pub du tentateur. Mais le Christ a su résister à la convoitise. Il a su garder les yeux tournés vers son Père, et vers la Parole, à l'aide de laquelle il a répondu.

     Avant de mourir, Dieu a conduit Moïse sur une montagne, pour lui montrer le pays où le peuple entrerait, pour lui montrer l'avenir d'Israël.

     Vers où portons-nous nos regards ? En arrière ou en avant ? Vers les images tentantes offertes par notre société de consommation ? vers ces vastes horizons offerts à notre ambition ? vers un petit bonheur mesquin et personnel ? Ou alors, regardons-nous vers le Père, vers ses promesses, vers sa Parole, vers ses valeurs, vers l'amour, la justice, la vérité, vers la réconciliation en Christ ?

     Parce que voilà le message central de l'Evangile, en fait : la réconciliation. Tous les choix faits, tout au long d'une vie, sont autant de ruptures, de cassures, de fractures, sont autant de relations humaines détruites, d'espoirs anéantis. Et la rupture d'avec Dieu n'en est pas la plus mince, la moins grave, bien que nos contemporains n'en aient pas conscience. Et voilà que Dieu veut rétablir ce qui a été rompu, reconstruire ce qui a été détruit. Il veut retrouver avec chaque homme ce lien d'amour, de confiance, d'espoir, que nous pouvions penser définitivement perdu. Il veut construire une espérance nouvelle. Il veut renouveler la vie des hommes. Il veut changer leur horizon. La richesse, la puissance ne sont que des leurres qui passent. Seul l'amour, et seul son amour durent. "Or trois choses demeurent : la foi, l'espérance et l'amour." Perdrions-nous par nos décisions, par nos choix ces trois choses permanentes pour des illusions qui passent ? Voulons-nous vivre de rêves ambitieux, d'espoirs qui seront déçus, d'échecs prévisibles, de frustrations programmables ? Dieu offre la réconciliation, une vie renouvelée, une vie nouvelle. Regardons à Lui.

     Mais il y a encore plus. Dieu non seulement nous a réconciliés avec lui-même, mais en plus, il nous demande de devenir les ambassadeurs de sa réconciliation, de la prêcher et de la vivre, de la transmettre et de la pratiquer, de la montrer et de la servir. Voici encore une valeur nouvelle qui doit nous conduire. En quoi mes choix sont-ils porteurs de réconciliation ? En quoi mes attitudes, mes actes, sont-ils messagers de cet Evangile de la réconciliation ?

     "Si quelqu'un est en Christ, il est une nouvelle créature. Les choses anciennes sont passées, voici toutes choses sont devenues nouvelles. Et tout cela vient de Dieu, qui nous a réconciliés avec lui par Christ, et qui nous a donné le service de la réconciliation."

     Amen.

(Philippe Cousson)

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