Poitiers, Beaulieu, 21 septembre 2014

Matthieu 20:1-16

Chers frères et soeurs,

en ce début d’année académique, nous voici confronté avec un texte qui nous parle du temps de travail et de rétribution, au moins au premier abord.

Je pense que je ne suis pas le seul à être atteint de ce syndrome qu’on nomme joliment procrastination. Attendre le presque dernier moment pour faire ce qu’il y a à faire. Mais pourtant il ne s’agit nécessairement d’être à ne rien faire pendant toute le journée et ne commencer à travailler qu’à la onzième heure, mais plutôt de ne se mettre en route que lorsque cela devient indispensable. Un peu comme si inconsciemment il fallait cette dose de stress qui aurait très facilement pu être évitée.

Vous me direz que ce n’est pas le sujet de cette parabole, et vous avez sans doute raison. Et pourtant, nous avons ici affaire à un homme, maître de maison, comme le dit le dit le texte, comme pour insister sur le fait qu’il s’agit ici d’un homme, à un maître de maison donc, qui a une vigne et qui de bon matin sort de chez lui et se rend là où les ouvriers journaliers attendent pour embaucher des ouvriers pour sa vigne. Il y a donc tant de travail, et du travail urgent. Qu’est ce qui me fait dire ça ? Il sort à plusieurs reprises dans la journée, et à chaque fois continue d’envoyer des ouvriers supplémentaires dans sa vigne, un peu comme un chef d’entreprise ferait appel à une agence d’intérim pour compléter son équipe afin de satisfaire une commande pressante. Est-ce qu’il s’agit d’entretien de la vigne qu’il devient urgent de faire, ou bien de la vendange qui elle par nature ne supporte pas de délai et ne peut pas être faite en avance ? Donc, il n’y a peut-être pas ici de procrastination, mais une tâche à accomplir, qui nécessite des bras, beaucoup de bras.

Il faut noter que notre exploitant viticulteur procède de deux manières différentes, ce qui va conduire à la fin à quelques incompréhensions.

La première fois, il procède selon les règles. Il se rend à l’endroit habituel, une sorte de bourse du travail, et il négocie avec les ouvriers. Ils arrivent à un accord sur le salaire journalier, d’ailleurs la somme traditionnelle, un denier par jour. Tope-là. L’affaire est conclue. Les ouvriers sont envoyés à la vigne, missionnés à la vigne, comme les Apôtres sont envoyés. Ils y vont, et remplissent leur mission, comme on parle en intérim.

Et puis, le vigneron sort de chez lui à plusieurs reprises. Etait-ce pour recruter ou pour d’autres raisons ? On ne sait pas. En tout cas, passant devant l’agora, il voit des ouvriers inoccupés. Et il y a du travail qui attend dans la vigne. Alors, ils les embauche. Mais ici apparemment pas de négociation : je vous donnerai ce qui est juste, correct, conforme, équitable, raisonnable. Ce contrat tacite est un contrat de confiance. Et même, il n’y a pas de mission. Il ne les envoie pas, il ne les missionne pas. Il leur dit d’y aller, c’est tout.
Et cela se reproduit à plusieurs reprises. Et même en toute fin de journée, en gros une heure avant la cloche, il fait partir les derniers qui restaient encore. On ne sait pas où ils étaient les autres fois, ni la raison de leur absence. Mais ceux-là vont aussi à la vigne, faire un bout de travail, de ce travail qu’il y avait à faire, qui ne pouvait pas attendre.

A moins que ce ne soit les ouvriers au chômage qui avaient un besoin urgent de revenu et qui étaient restés sur le carreau.

Une heure plus tard, la journée est terminée. Le travail effectué. Terminé ? On ne sait pas.
En tout cas, c’était l’heure de la paye, comme cela se faisait à l’époque, comme cela est aussi prescrit dans les Ecritures, afin que chacun puisse rapporter de quoi vivre.

Le maître de maison, devenu dans le texte le seigneur de la vigne, charge son intendant de distribuer les rétributions. Et il donne cet ordre bizarre : commence par les derniers. Rien n’était convenus pour eux, alors que les premiers avaient eux un contrat de travail, un accord oral, mais un accord ferme.
Les derniers, ainsi que ceux qui avaient été recrutés au long de la journée peut-on supposer, ont reçu ce qui est juste, ce qui est correct, comme annoncé. Et c’est le patron qui détermine le montant. Il ne chipote pas. Un denier à chacun. Il donne ce qui correspond à une journée travaillée. Ils ont travaillé ce jour : un denier.
Arrivent alors les premiers. Ils reçoivent aussi un denier. Normal, c’était le contrat. Mais ils donnent l’impression d’avoir oublié ce détail. Ils font un autre calcul. Et commence la protestation, la revendication. Légitime dirait-on. Vraiment ? Etait-ce injuste d’appliquer l’accord du matin ?

C’est quoi être juste, être injuste ? C’est quoi la justice, la droiture , l’équité ?
De quoi faut-il tenir compte ? Du contrat passé ? De la durée du travail, de sa pénibilité ? Qui va le décider ? Quelle est la différence entre la situation des premiers et des autres ?

En appliquant le contrat, l’accord passé avec les premiers, le maître de maison est un homme juste, correct. C’est incontestable.
Et pour les autres, c’était de fait laissé à son appréciation, à son humanité. Il a choisi de donner le salaire d’une journée de travail, il a choisi d’accomplir cette justice qui permet à l’autre de vivre, à celui qui même brièvement est allé à la vigne, à pris une part de ce travail qu’il fallait faire, parce que c’était le moment, c’était le jour.

Le chapitre précédent nous parlait du jeune homme riche. Il est difficile à celui qui est attaché à l’argent d’atteindre le Royaume des cieux, impossible aux hommes mais possible à Dieu. Il nous parlait aussi de cette revendication, prudente, de Pierre, qui reçoit une promesse de récompense. Est il, et les autres disciples avec lui, de ceux qui ont passé contrat avec Jésus, qui ont été missionnés pour travailler dans sa vigne ? Et ceux qui ont tout quitté pour lui sont-ils ces ouvriers embauchés par la suite qui aussi recevront la récompense ? Peut-être.

Mais voyons pour nous, en quoi cette histoire nous concerne-t-elle ?
On peut bien sûr y voir une règle de comportement économique. Le souci pour les personnes et le respect des contrats peuvent être de bonnes bases pour une charte éthique.
Cependant, je vais revenir au moment où l’évangéliste place sont texte, après cette question de Pierre.

Avez-vous entendu l’appel du Christ récemment ou était-ce il y a bien longtemps ? Pour l’instant nous sommes tous dans le travail dans la vigne, travail qui n’attend pas, qui est toujours à faire, pour lequel toute collaboration supplémentaire est la bienvenue. Et nous avons cette certitude que quand notre soir adviendra, nous recevrons ce qui est juste, ce qui est correct, ce qui est promis, et cela sans avoir besoin de marchander ou de négocier, parce que ayant déjà tout reçu, il n’y aura plus rien à demander.

Les disciples du Christ n’ont pas besoin de délégués syndicaux. Ils ont l’amour du maître de maison, du seigneur de la vigne. Ils reçoivent en permanence ce dont ils ont besoin pour donner, pour travailler.

La grâce ne cadre pas avec la jalousie. Il y a diversité de dons, diversité de ministères. Chez le disciple, le mauvais oeil qui voit la grâce de Dieu de travers n’a pas sa place, n’a pas sa raison d’être.

Nous sommes tous concernés, nous sommes tous appelés, nous sommes tous envoyés travailler dans la vigne. Chacun à son niveau, chacun à son heure, chacun pour son service. Et à tous sera échu ce qui est juste, ce que Dieu donne, son amour, son salut, son espérance.

Amen.

(Philippe Cousson)

Retour