Lusignan, 3 août 1997

Exode 16:1-18
Eph 4:17-24
Jean 6:24-35

Jésus a pu nourrir toute une foule dans un lieu désert avec quelques pains et quelques poissons. Tout le monde a été rassasié. Cette foule émerveillée veut en faire son roi. Alors Jésus s'échappe pour prier. Ses disciples, le soir, rentrent à Capernaüm, par la mer, avec la seule barque. C'est alors que Jésus les a rejoints sur la barque au milieu de la mer.

Les gens ont bien vu partir les disciples dans la barque, mais ils n'ont pas vu Jésus. Comme d'autres barques arrivent, on les prend et on se rend en hâte de l'autre côté, pour voir si, par hasard, il ne s'y trouverait pas.

Voilà présenté brièvement, ce qui s'est passé avant notre texte d'aujourd'hui. Nous passerons en revue les personnages de ce récit, puis nous regarderons l'importance du décalage entre la compréhension des uns et des autres. Enfin, nous terminerons par réfléchir sur ce que peut être et doit être notre recherche, notre quête, et sur ce que peut être cette vie que nous donne le pain venu du ciel, le Pain de vie, et sur ce que nous-mêmes avons à donner, à transmettre.
Mais d'abord, donc, situons les personnages de ce passage. Nous en voyons deux, et on nous parle d'un troisième.

Protagoniste de l'évangile, présent presque tout le temps, voici la foule, les gens, cette foule pour laquelle Jésus est ému de compassion. Sans cette foule, sans ces gens, que resterait-il du ministère de Jésus ? La voilà donc là, cette foule, enseignée, guérie, nourrie, qui entoure Jésus, qui le presse. Pour une fois, il a réussi à lui échapper. Alors on le cherche. C'est que ces gens ont besoin de lui. a y est, on l'a trouvé. Et alors s'engage un dialogue un peu surréaliste entre cette foule et le personnage central de l'Evangile.

Jésus, le personnage central de l'Evangile, la raison d'être de l'Evangile, c'est notre second protagoniste. Il ne répond pas aux questions qu'on lui pose alors. Il les détourne toutes. D'ailleurs les questions d'aujourd'hui ne sont pas des demandes, des suppliques, des appels au secours. Ce sont de simples questions de gens intrigués, curieux. Et il n'y répond pas vraiment. Mais surtout, il tient par tous les moyens à placer dans la conversation un troisième personnage, tout aussi central.

Ce troisième personnage n'est mentionné qu'à la troisième personne. Il est mentionné 6 fois. Il s'agit de Dieu, le Père. Car enfin si personne ne donne ce pain, personne ne sera nourri. La foule voulait travailler pour les oeuvres de Dieu, mais c'est Dieu qui donne et qui nourrit.

Suivons donc un peu cette conversation particulière. On vient de retrouver Jésus, ici, de l'autre côté du lac, à Capernaüm. Alors, on se demande comment il y est venu. Et même on se le demande à voix haute. On pose la question. " Quand es-tu venu ici ? " Question simple, qui attend une réponse simple : j'ai marché le long du bord (possible, mais c'était un peu loin), ou bien j'ai pris un bateau (bizarre, car il n'en restait pas), ou bien... on ne sait pas quoi. Enfin, il aurait pu répondre, j'ai marché sur le lac. Mais est-ce qu'on l'aurait cru ? Pas sûr.

Alors il répond à côté, celui qu'on cherche, qu'on recherche, qu'on poursuit. Je suis venu ici pour faire des signes, des miracles, des signes du royaume. Mais vous, vous en êtes restés à votre estomac. Vous aviez faim, vous avez mangé. Je ne suis pas un serveur de fast-food. Un peu de pain, rendre grâces, et voilà, encore un repas de fait. Non, je ne suis pas venu pour ça, moi. Je ne suis pas chargé de vous nourrir tous et toujours, je suis chargé de vous apporter la nourriture qui subsiste dans la vie éternelle. Je suis l'envoyé du Père. La nourriture quotidienne n'est pas ce qui doit occuper toute votre recherche. Travaillez donc pour autre chose, de plus durable.

Alors la foule, un peu désarçonnée sans doute, répond par une autre question, encore matérielle : " Que faut-il faire pour travailler aux oeuvres de Dieu ? " Ils ont bien entendu Jésus parler de "travailler". Alors qu'est-ce qu'on fait ? Quand on fait quelque chose, on sait qu'on le fait. Quand c'est fait, on sait que c'est fait. Alors travailler pour les oeuvres de Dieu, c'est quoi ? On fait quoi ? La foule attend une réponse simple : il faut faire telle ou telle chose.

Mais Jésus est encore à côté. On dirait qu'il se défile. Pas de vraie réponse. L'oeuvre de Dieu (notez le singulier), l'oeuvre de Dieu, c'est croire en celui qu'il a envoyé (sous-entendu, lui Jésus).
Une oeuvre c'est croire... Un peu étrange. Mais bon, c'est ce qu'il a dit. Alors, restons concret. Pour que nous croyions, qu'est-ce que tu fais, quels signes, quels miracles ? Car enfin, il faut que nous le voyions, alors nous croirons. Il n'y a que ce qu'on fait qui est vrai. Dans le désert, Moïse a donné la manne, tous les jours, et nos ancêtres en ont été nourris, il en ont mangé, de ce pain venu du ciel. Nous nourriras-tu tous les jours ?

En partant d'un point de détail de la remarque des gens, Jésus se présente comme le pain du ciel, lui-même. Les gens disaient que c'était Moïse qui avait nourri le peuple, Jésus rectifie en disant que c'était Dieu qui avait nourri Israël, et que le vrai pain venu du ciel, c'est celui qui est descendu du ciel. Et de plus, ce pain donne la vie au monde. Le pain, le pain habituel, celui fait de farine, ne donne pas la vie, il se contente de l'entretenir, ce qui n'est déjà pas si mal.

La foule, qui vient d'être nourrie de l'autre côté du lac, demande à Jésus qu'on lui donne de ce pain-là, du vrai, pas une seule fois, mais toujours, c'est à dire tous les jours. Il ont toujours faim, et auront encore faim. Leur vie est de celle qui a besoin d'être entretenue, jour après jour. Il faut bien manger pour vivre.

Alors Jésus, qui voit qu'on ne le comprend pas, leur dit cette phrase qui a du en laisser pantois plus d'un : " Je suis le pain de vie. Celui qui vient à moi n'aura jamais faim, et celui qui croit en moi n'aura jamais soif. "
Ils ont du s'en poser entre eux des questions, les gens de cette foule après une pareille sortie.
Et nous, vraiment, avons-nous bien compris ce que Jésus a dit ? Est-ce si clair ? Même après 20 siècles de théologie ?
En partant de la recherche, de la quête de cette foule, nous allons chercher ce qu'il en est pour nous.

La foule cherche Jésus, et elle le fait activement. Des barques arrivent, on les prend pour aller voir où il peut bien être.
Est-ce que nous recherchons activement Jésus ? Est-ce que toutes les occasions sont bonnes ? Est-ce que nous prenons les barques qui se présentent ?

On cherchait Jésus, parce que ce repas, ce pique-nique, là-bas, de l'autre côté, était inoubliable. Ils avaient faim, ils ont mangé. Et dans quel but le cherche-t-on encore ? Pour manger, encore manger, sûrement. Pour que des malades soient guéris, probable. Pour l'écouter, possible.
Et pourquoi rechercherions-nous Jésus ? A cause de quoi ? Nous a-t-il nourris, un jour ? Nous a-t-il soignés, une fois ? Nous a-t-il consolés ?
Qu'attendrions-nous de lui ? Un secours ? Une parole ? La vie ? Oui, la vie peut-être, la vie sûrement. Pour quelque chose qui dure, pas pour quelque chose qu'il faudra revenir chercher encore. Pour une nourriture qui subsiste pour la vie éternelle. Pour ne plus avoir faim, pour ne plus avoir soif.
La vie qui est donnée au monde, la vie du pain de vie, ce n'est pas notre vie limitée, faite de course permanente pour la nourriture, pour la santé, pour des satisfactions, des plaisirs passagers. La quête, comme on dit dans les romans de chevalerie, la quête pour celui qui est dans cette vie donnée, la vie éternelle, éternelle dès maintenant, n'est pas dans la poursuite des besoins vitaux matériels, ni dans la chasse à la connaissance. Elle est dans l'oeuvre de Dieu, dans les pas de celui qu'il a envoyé, elle est recherche de ces pas. Suivre les traces de Jésus, regarder comme il a regardé les gens, aimer comme il a aimé, aider comme il a aidé, soigner comme il a soigné, consoler comme il a consolé, parler comme il a parlé, voilà la quête du croyant. Bien loin du seul souci de la continuation de la vie matérielle.

Négliger la nourriture, la santé, la sagesse, ce serait négliger le corps et l'esprit qui nous ont été donné. Jésus et ses disciples ont aussi mangé. Travailler pour cela est bien sûr légitime. Mais l'essentiel de la vie est ailleurs. C'est croire, c'est l'oeuvre de Dieu, c'est l'amour qui doit nous emplir. Elle est là la vie que donne la Pain de vie. Elle est aussi dans sa transmission. Dieu nous a chargé de son message.

Qu'avons-nous à donner ? Tout au long de l'histoire, l'Eglise a bien compris que le message, l'oeuvre de Dieu, consistait à la fois en un secours matériel, la nourriture qui périt, et en un secours spirituel, la nourriture qui subsiste. Toujours, nous sommes placés là où nous pouvons être celui qui transmet, qui donne. Sachons, à ce moment-là, être en quête de l'oeuvre de Dieu, et ainsi voir le besoin avec discernement et pouvoir y répondre. Si notre recherche, notre souci est ailleurs, nous passerons à côté de l'oeuvre de Dieu.

Soyons donc tous en quête du Pain de vie, qui donne la vie au monde. Travaillons pour la nourriture qui subsiste pour la vie éternelle.

Amen.

(Philippe Cousson)

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