Saint Georges septembre 1665

C'est débouchant du chemin de Champeignact qu' Antoine Plantivaud, apercevant les premières maisons du bourg de Saint Georges, commença à sentir sa colère se calmer. Parcourir 3 lieues pour aller et revenir de chez lui à la paroisse, uniquement pour rencontrer le curé René Prevost, nouvellement installé;voila qui n'était pas dans ses habitudes.

C'est sa jeune épouse, Mathurine Aumasson, qui lui avait fait promettre d'effectuer cette course.

Depuis des mois, des années, les prêtres de toutes les églises du royaume, au cours de leurs sermons, insistaient auprès de leurs fidèles: il fallait, impérativement, dès la naissance d'un nouveau né, se présenter, chez un ministre du culte, afin de lui offrir le baptême, et l'inscrire sur un registre.

Antoine frappa à la porte du presbytère, le prêtre parut.

-Antoine! On ne te voit guère en ces lieux.

-Mon père, ma femme Mathurine, ce matin, est accouchée d'un fils.

-C'est merveilleux, un chrétien de plus et une grande joie pour ton foyer.

-Etait ce bien nécessaire de venir si vite rétorqua Antoine, Mathurine était bien faible, mais elle a eu la force de me jeter sur les chemins pour m'envoyer chez vous.

-Elle a été très sage, il ne faut point attendre, la vie d'un nouveau né est bien fragile, et il peut plaire au Seigneur de le rappeler à lui rapidement. Aussi, il faut lui administrer les sacrements du baptême sans retard, afin que le royaume des cieux lui soit ouvert.

Antoine, pas très convaincu, n'osa pas contrarier le curé.

-En attendant, repritt René, viens avec moi, nous allons porter, sur le registre, la naissance de ton fils. Comment va t il s'appeler ton bâton de vieillesse?

-André, comme mon père.

-As tu songé au parrain et à la marraine

-Bien sur, il s'agira de mes cousins Jeanne et Pierre.

-Fort bien.

René Prevost se penchant sur son écritoire inscrivit de sa longue plume d'oie:

"Le dixième jour de may mil six cent soixante et cinq a été baptisé par moy curé soussigné, André, fils d'Antoine Plantivaud et de Mathurine Aumasson sa légitime épouse, du village de Chantouen en cette paroisse le parrain a été Pierre de Bonneville, la marraine a été Jeanne Phillipon.

-Quelle étrange coutume, reprit Antoine, est ce qu'il deviendra meilleur chrétien d'être marqué dans ce livre.

-Certes non, répondit René, mais songe que Monseigneur l''Evêque lui même, ainsi que Monsieur le Vicomte insistent pour que dans toutes les paroisses, chaque baptême, chaque enterrement, chaque mariage soit scrupuleusement consigné.Ainsi tous les chrétiens nous seront connus. Sais tu que c'est le roi François, qui il y a bien longtemps déjà l'avait voulu.

-Oui, grommela Antoine, ainsi ils seront connus des sergents du roi et du collecteur de la taille.

-Peut être concéda le curé, mais imagine que mon successeur, puis le successeur de mon successeur, continuent ce que j'ai entrepris, les enfants de tes enfants sauront un jour qui fut leur ailleul, uniquement en relisant ce livre!

-Seulement ceux qui sauront lire, coupa Antoine, pour nous les pauvres cela ne servira jamais à rien.

-Sais tu Antoine, reprit le curé que depuis peu à la paroisse voisine des Chezeaux, un maître d'école s'est installé. Il se nomme Jean Petitpied, il enseigne déjà à quelques garçons du village, outre le catéchisme, l'art de l'écriture et de la lecture. Pour quelques sols tu pourras lui confier ton petit André, dans quelques années.

-Dans quelques années, si Dieu me prêté vie, je serais toujours aussi pauvre. L'école ne sera jamais pour nous;

-Au royaume des cieux les derniers seront les premiers, conclua le curé en raccompagnant Antoine jusqu'à la porte du presbytère.

Antoine prit congé du prêtre et reprit son chemin vers son foyer, la route était encore longue. Il lui fallait traverser les bois que se disputaient les seigneurs de Mondon et de Puylaurent, traverser le village de Champeignact, puis celui de la Laruhe, enfin celui du Gat et finir par le chemin qui le mènerait à Chantouen chez lui près de la douce Mathurine.

Antoine Plantivaud, ne pouvait imaginer que cette journée de printemps mil six cent soixante cinq était éminemment importante pour lui et tous ceux de sa lignée .Grace aux quelques lignes tracées par René Prévost, curé de la paroisse de Saint Georges, il deviendrait le premier Plantivaud à laisser son nom dans la petite histoire.

Plus de 300 ans après cette journée, au hasard de recherches son nom fut exhumé par un lointain descendant.

Futilités? Peut être, mais en tout cas poignée de mains au-delà des siècles au-delà du temps, de la vie de la mort.

Salut à toi Antoine Plantivaud.

 

 

La Rue Martin Aout 1995