SCANDALE!!
ON A PLAGIE LE JOURNAL DES SAVANTS!

par Ennuyeuf Baloche,
Chargé de mission auprès du Ministère italien de la Mozzarella


    Nous qui lançâmes il y a peu le Journal que vous lisez présentement, nous ne nous doutions guère que son succès serait tel qu'il susciterait aussitôt, et même par anticipation, une plate copie à peine décalquée de notre publication.
    Ce n'est pas sans effroi que nos deux directeurs de publication ont récemment reçu un courrier électronique anonyme, ainsi rédigé (nous avons coupé les passages les plus verbeux ou bien sans aucun intérêt):
Un bien curieux courrier anonyme 
Messieurs,
Je n'ai pas l'honneur de vous connaître, et mon nom ne vous dirait rien. Mais je crois de mon devoir de vous informer de si bon matin d'un fait qui vous touche de près. 
Mes états de service au sein du Ministère de la Culture m'ont valu l'admiration de mes subordonnés comme l'estime de mes chefs. C'en est au point qu'on m'a tout récemment offert une promotion miraculeuse, qui n'est envisageable d'ordinaire qu'aux plus proches camarades d'agrégation de l'épouse de Monsieur le Premier Ministre. Je dirige donc désormais le Service des Périodiques dans la majestueuse Bibliothèque François Mitterrand.
Ne croyez surtout pas que je vous écrive pour me flatter d'une fonction et d'un lieu de travail dont je sais qu'ils ne peuvent que susciter l'envie. (Ceci dit, c'est vrai qu'elle est rudement chouette la BNF.) L'affaire est plus grave, et vous regarde de plus près.
Puisque vous avez eu l'amabilité et la prudence d'envoyer au dépôt légal de ma bibliothèque votre nouvelle revue, je me suis empressé de la répertorier dans nos fichiers, qui seront sous peu informatisés, et même accessibles au public (celui des chercheurs motivés, après acceptation du dossier par mes services).
(...) En effet, les quatre tours en forme de livre ouvert (...) car Monsieur Mitterrand avait voulu (...), sans compter que l'architecte n'avait jamais mis les pieds dans une (...), informatisation achevée dès 2023 (...).
Mais venons-en aux faits. En voulant rentrer votre nouveauté dans nos fichiers, voilà-t-y pas que l'ordinateur nous indique un message d'erreur : "Le_Journal_des_Savants.ps existe déjà. Voulez-vous l'effacer et le remplacer par Le_Journal_des_Savants.ps? oui-non-abandonner". 
Jugez de ma perplexité!
Mon adjointe toute dévouée eut alors une idée brillante, et je compris que ce n'était décidément pas en pure perte que j'avais obtenu du Ministère la création de ce poste, puis je me dis que si jamais la Cour des Comptes venait m'ennuyer à son sujet, je lui dirais que (...).
Nous vérifiâmes donc le précédent item (comme nous disons dans notre jargon de spécialistes). Quelle ne fut pas notre surprise de voir qu'on vous avait plagiés! Oui, messieurs, plagiés, et depuis plusieurs siècles! Mon assistante manqua s'évanouir, moi-même je n'en menais pas large. Ce fut encore ma maîtresse qui eut l'idée de vous écrire et de vous envoyer l'accablant document. A vous d'en tirer les conclusions.
A part ça, (...), mes félicitations pour (...) qui rehausse le niveau d'internet (...) espoir pour la jeunesse de France et de l'Union européenne (...).
Sur ce, bien le bonsoir, moi ma journée de travail est finie et je vais me pieuter. Je baille comme un gros veau, vous voyez le tableau?
Nous remercions ce sympathique haut-fonctionnaire de nous communiquer bénévolement ce qu'il nomme très justement "l'accablant document", et nous espérons bien fort que la publication de son courrier sur notre site ne lui fera courir aucun risque auprès de son administration, de la Cour des Comptes ou de son épouse. Bon courage, Monsieur xxx, nous sommes de tout coeur avec vous dans l'anonymat!
Le document qui accuse
Vous trouverez ici-même et sans plus attendre la preuve du forfait. Affolant, n'est-ce pas? Si désormais on ne peut plus lancer un journal sans qu'un énergumène du XVIIe siècle vous en dérobe le titre, et peut-être même les articles, il ne reste plus qu'à se jeter du haut de la Grande Arche, ou à aller piquer un roupillon. Bon, la moitié de l'équipe penche pour la deuxième solution, l'autre étant encore indécise ou déjà au lit. Ce qu'il reste de personnes lucides parmi nous a toutefois mené l'enquête. Selon nos informations (mais tout ceci est au conditionnel), Jacques Attali serait apparemment hors de cause. D'autre part, le téléphone de Mlle Darrieussecq refuse obstinément de nous dire autre chose que "Bonjour vous êtes chez Marie, mais je suis aux Baléares, laissez un message et je vous répondrai un de ces jours. Bye! bip, bip, bip", tandis que son entourage répondait évasivement à nos questions, ou faisait semblant de ne pas nous voir. Or, si petits que nous soyons, il ne faut pas exagérer, on est pas muet, et on sait crier fort! Cette piste s'annonce donc des plus fructueuses.
Révélation
Cependant, il semble bien que Monsieur xxx, du Service des Périodiques de la Très Grande Bibliothèque de France François Mitterrand, ne nous ait pas tout révélé. D'où vient en effet qu'il connaisse notre existence, nous qui, contrairement à ses dires, ne lui avons jamais rien envoyé? Nous aurait-il trouvé sur internet? Par quel miracle, notre site n'étant destiné qu'à un si petit cercle que même ses rédacteurs ne le consultent jamais? Tout porte à croire que Monsieur xxx nous voue une haine, bien compréhensible si l'on suppose qu'elle provient d'une intense jalousie: comment un sinistre haut-fonctionnaire pourrait-il espérer devenir un jour un reporter à succès au Journal des Savants? L'énarque a donc décidé de tuer dans l'oeuf un journal un peu trop ambitieux, et promis selon certaines voyantes à un destin foudroyant.
Ultimatum
Monsieur xxx, c'est à VOUS que nous nous adressons. Vous vous reconnaîtrez. Nous vous intimons l'ordre de détruire tous les vieux exemplaires de votre ridicule Journal des Sçavans antédiluvien. Si d'ici la fin du mois vous en aviez encore en votre possession ou sous les scellés de la TGB, nous nous verrions dans l'obligation de nous adresser à qui de droit. Il se pourrait que Madame le Ministre de la Culture trouve bientôt sur son bureau un dossier concernant vos activités quotidiennes: écriture de courriers électroniques, surf sur internet, odieux chantage sur des lapins en peluche, etc. 
Nous attirons votre attention sur ceci: Mme Trautmann a une sainte horreur des gens qui fainéantent sous sa direction. A bon entendeur...



revenir au sommaire du numéro 2

revenir à la page de présentation

aller aux archives