LES
DROITS FONDAMENTAUX DE LA CONSTITUTION HAÏTIENNE
Par
: Jean Marie Mondésir
La
Constitution haïtienne du 29 mars 1987, marque un tournant décisif
dans la vie quotidienne du peuple haïtien sur le plan démocratique,
à la suite du renversement du régime des Duvalier le 7 février
1986. Cette Constitution est la loi-mère de toutes les lois de
ce pays. Bien qu'elle soit imparfaite, elle reflète les valeurs
de cette société et les desiderata de la masse populaire, longtemps
opprimée par les régimes politiques antérieurs. Elle constitue
le cadre juridique et structurelle des institutions qui doivent
gouverner le destin de la nation haïtienne.
L'avènement
de cette Constitution crée les bases d'une nouvelle ère dans ce
pays, qui a connu depuis son indépendance le 1er janvier 1804,
plus d'une quarantaine de coups d'État militaires. Cette loi principale
établit non seulement les grandes lignes directrices qui définissent
cette République souveraine, mais aussi elle met en place des
institutions pour consolider la démocratie naissante dans cette
île mystérieuse.
En
abordant cette étude, nous n'avons pas la prétention de décrire
la situation des droits humains en Haïti. Notre objectif consiste
à définir les droits fondamentaux selon un point de vue libéral
afin de donner des outils aux militants pour se défendre contre
l'arbitraire et l'injustice d'un système. Les faits qui vont suivre
reflètent la conception du juriste haïtien dans
l'interprétation des droits fondamentaux enchâssés dans la Constitution
du 29 mars 1987. En tant que membre fondateur des Nations Unies,
pays signataires de la déclaration universelle des droits de l'homme,
adoptée par cette organisation le 10 décembre 1948, Haïti se doit
de respecter les droits inhérents à la personne humaine. Cette
déclaration énonce les principes essentiels, les fondements historiques
des valeurs universelles de chaque être humain vivant en société.
C'est pourquoi, nous avons choisi d'élaborer sur les droits et
les libertés inhérentes à la personne, garanties par la loi-mère
haïtienne.
LES
LIBERTÉS FONDAMENTALES
Avant
d'élaborer sur notre interprétation des libertés fondamentales
dans la Constitution du 29 mars 1987, nous soulignons que les
droits de la personne comprennent les libertés fondamentales,
les droits démocratiques, le droit de s'établir et de gagner sa
vie partout en Haïti, les garanties juridiques, les droits à l'égalité
pour tous, les droits à la santé, au travail et à l'instruction.
Nous allons procéder par analogie pour pouvoir dégager les grands
principes que ces notions sous -entendent dans la Constitution
haïtienne.
Les
libertés fondamentales sous-entendent la liberté de conscience
et de religion; la liberté de pensée, de croyance, d'opinion et
d'expression, y compris la liberté de la presse et les autres
moyens de communication; la liberté de réunion pacifique; la liberté
d'association.
Ces
libertés sont protégées par la Constitution du 29 mars 1987. Par
contre, la notion de liberté est un concept difficile à saisir
sa portée dans un pays qui a connu une dictature pendant très
longtemps et un taux d'analphabétisme assez élevé. La première
démarche à concrétiser après le renversement du régime des Duvalier,
consiste à éduquer le peuple sur le principe de la tolérance et
le respect du droit d'autrui. Dans les pays pauvres comme Haïti,
on a toujours tendance à confondre les libertés garanties avec
les principes qui gouvernent une démocratie. L'éducation est le
moteur de tout changement significatif dans l'épanouissement d'une
population affamée et opprimée. Sans l'apport d'une campagne massive
d'éducation pour cerner le sous-développement de la mentalité
de tout un peuple, le fonctionnement d'un régime démocratique
parait bien un grand défi à relever. Cela étant dit, en jouissant
de ses libertés fondamentales, il faut savoir respecter celles
des autres, vice versa. La liberté de l'un commence là où se termine
celle de l'autre. On ne peut pas permettre à une personne d'exercer
une des libertés garanties pour inciter les gens à la violence
ni ternir l'image ou la réputation des citoyens paisibles de façon
malhonnêtes. Il faut croire dans un régime démocratique que la
notion de liberté ne sous entend licence ni permis
de faire ce qu'on veut comme bon vous semble. C'est pourquoi,
il faut absolument que le pouvoir politique puisse élaborer des
lois pour définir les principes énumérés par la Constitution afin
de mettre des balises au cas il y aurait des abus.
Il
faut reconnaître de nos jours en Haïti, chacun a le droit de pratiquer
librement sa religion dans ce pays. Que l'on soit vodouisant,
catholique, baptiste, adventiste, témoin de Jéhovah, etc., il
n'y a aucune restriction en ce qui a trait à l'exercice de sa
foi chrétienne. Bien entendu, dans la mesure où la pratique de
ce droit n'outrepasse les limites raisonnables dans une société
démocratique. Chacun peut émettre librement ses idées, ses opinions
par n'importe quel médium choisi (journaux, média électroniques,
livres, art graphique, peinture, théâtre, etc.), participer à
des réunions pacifiques, appartenir à n'importe quelle organisation
socio-politique et culturelle sans risque de persécutions du pouvoir
étatique. C'est un grand pas qui se réalise dans ce pays après
une dictature de plus de trente cinq ans. Toutefois, il reste
beaucoup à faire pour parvenir à une société réellement démocratique
dans son ensemble.
LES
DROITS DÉMOCRATIQUES
Les droits démocratiques se traduisent par le droit de vote et
le droit d'être éligible aux élections municipales, législatives
et présidentielles, etc. Ces droits traditionnels sont tout particulièrement
garantis par la Constitution haïtienne. Bien avant la chute de
la dictature, les droits démocratiques de certains opposants au
régime ont été brimés. Certains citoyens ne pouvaient pas exercer
leurs droits démocratiques convenablement. À présent, tout le
monde est libre d'exercer ses droits sans restrictions de quiconque.
Les seules restrictions au droit de vote du citoyen haïtien et
à son droit de se porter candidat à des élections peuvent être
qualifiées comme une atteinte raisonnable et justifiée tout dépendant
des circonstances. Prenons par exemple le cas d'un mineur qui
veut se porter candidat à une élection pour un poste qui exige
une certaine responsabilité. S'il existe quelque part une disposition
législative ou une règle de droit qui l'interdit d'y participer,
à notre point de vue, il est justifié d'adopter une telle mesure
pour empêcher l'exercice de ses droits même s'ils sont garantis
et protégés.
Il
en est de même pour les fonctionnaires, les juges en raison de
la nature non partisane de leurs fonctions et les présidents d'élection,
dont le vote peut être prépondérant pour départager l'égalité
des voix. En passant, il faut signaler que le mandat de la chambre
des députés est de quatre ans, la chambre du sénat est de six
ans, celui de la commune et celui des sections communales sont
de quatre (4)ans. Il y a 83 circonscriptions électorales, soit
un député par circonscription et 27 sénateurs, soit 3 sénateurs
par département. Le premier sénateur est élu pour six ans, le
second pour quatre ans et le troisième pour deux ans. Chaque deux
ans, il est prévu des élections pour le renouvellement du sénat
de la république. Et, le président de la république est élu pour
cinq ans selon les dispositions de la constitution haïtienne.
LIBERTÉ
DE CIRCULATION
Avec
la liberté de circulation et d'établissement enchâssée dans la
Constitution du 29 mars 1987, chacun est libre de circuler et
d'établir dans les neuf départements géographiques d'Haïti afin
d'y gagner sa vie comme bon lui semble. Il a le droit d'aller
et de venir à l'intérieur du pays, de voyager à l'étranger et
d'y revenir sans risque et contrainte de la part des fonctionnaires
du gouvernement. Cependant, il arrive que cette liberté est restreinte
dans le cas des accords d'extradition conclus entre les États
et pour d'autres causes jugées légitimes par les lois qui régissent
ce principe. L'atteinte à la liberté de circulation et d'établissement
devient possible lorsque la personne concernée commet un crime
grave et il existe une loi stipulant les conditions dans lesquelles
que cette liberté peut être restreinte.
LES
GARANTIES JURIDIQUES
Les garanties juridiques se définissent comme étant le droit à
la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne. Le droit
à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les
saisies abusives; le droit à la protection contre la détention
ou l'emprisonnement arbitraires. Ces droits sont inhérents à la
personne même depuis sa naissance jusqu'à sa mort. Sur ce chapitre,
la situation en Haïti est catastrophique pour ne pas désastreuse.
Ainsi, il est absolument nécessaire qu'il y ait un changement
de mentalité de la part des fonctionnaires de l'administration
de la justice et des forces de l'ordre. De plus, il faut chercher
à empêcher l'immixtion du pouvoir politique dans les affaires
relevant du pouvoir judiciaire.
Les
garanties juridiques telles que nous les interprétons dans notre
analyse sont constamment violées, brimées par les responsables
haïtiens. Il n'existe aucun respect pour les règles de droit établissant
la protection de ces garanties constitutionnelles. D'ailleurs,
les autorités étatiques sont dépourvues de moyens pour faire respecter
le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité des citoyens.
De plus, les personnes responsables ne cherchent pas à mettre
en place des structures pour tenter de résoudre cette problématique.
Au contraire, les forces de l'ordre agissent comme bon leur semble
au mépris des principes constitutionnels relatifs aux droits fondamentaux
des citoyens haïtiens.
Pourtant
ces textes énoncent clairement les garanties juridiques dont nous
devons jouir dans nos rapports avec l'État et avec le système
judiciaire. Ces garanties visent à protéger toute personne et
à lui assurer un traitement équitable lorsqu'elle a affaire à
la justice, et en particulier à la justice pénale. La situation
haïtienne dans ce domaine est vraiment bien spécifique. Les forces
de l'ordre et les autorités judiciaires utilisent des procédés
dilatoires pour passer outre aux règles existantes. Il est vrai
que la loi établit les conditions dans lesquelles les fouilles,
les perquisitions et les saisies peuvent être réalisées, mais
elles doivent être exécutées en tenant compte du respect de la
vie privée des personnes. Ce que nous venons de souligner n'ont
aucune signification pour les autorités publiques en Haïti. La
police dont la mission consiste à protéger des vies et des biens,
à faire respecter la loi, utilise sans raison justifiée la force
et elle intervient sans motif valable ou sans autorisation pour
brimer les droits des citoyens. Nous pensons que l'État haïtien
a l'obligation morale d'assurer la sécurité et la protection des
vies de chaque citoyen indistinctement. À notre humble avis, les
garanties juridiques doivent s'étendre aussi dans le cas d'arrestation
ou détention d'un individu.
Selon
nous, chacun a le droit d'être informé dans un délai raisonnable
des motifs de son arrestation ou de sa détention; d'avoir recours
sans délai à l'assistance d'un avocat de son choix et d'être informé
de ce droit; de faire contrôler, par habeas corpus, la légalité
de sa détention et d'obtenir, le cas échéant, sa libération. Pourtant,
c'est le contraire qui se produit en Haïti. L'enquête se poursuit
toujours et le citoyen est gardé en prison préventive pour une
durée indéterminée. Cette attitude des autorités judiciaires ou
politiques se laissent beaucoup à désirer. Nous croyons qu'il
faut réagir vite lorsque ce genre de situation se présente pour
sauvegarder les acquis constitutionnels en Haïti.
Ces
droits relatifs à l'arrestation ou à la détention sont conçus
pour protéger les haïtiens contre toute action arbitraire ou illégale
des forces de l'ordre et des autorités judiciaires. Il en est
de même pour tout inculpé de jouir ces garanties juridiques fondamentales
(présomption d'innocence, le respect de la dignité humaine). Il
a le droit d'être informé de l'infraction qu'on lui reproche;
d'être jugé dans un délai raisonnable; de ne pas être contraint
de témoigner contre lui-même dans toute poursuite intentée contre
lui pour l'infraction qu'on lui reproche; de ne pas être déclaré
coupable en raison d'une action ou d'une omission qui, au moment
où elle est survenue, ne constituait pas une infraction d'après
le droit interne; de ne pas être jugé de nouveau pour une infraction
dont il a été définitivement acquitté ou déclaré coupable et puni.
Dans
un procès criminel, le ministère public doit prouver tous les
éléments essentiels de l'infraction de façon que l'inculpé n'ait
pas à démontrer la fausseté des présomptions sur lesquelles repose
l'accusation. L'inculpé a droit à un procès équitable, devant
un tribunal impartial et indépendant, c'est à dire à l'abri de
toute influence politique ou autre. Chacun a droit à la protection
contre tous traitements ou peines cruels et inusités. Cela étant
dit, lorsqu'une personne est mise en détention, elle a le droit
d'être bien traitée et elle ne doit pas être l'objet des sévices
corporels ni psychiques et elle ne doit pas priver, pour aucuns
motifs, des éléments essentiels servant au maintien de son existence.
Les
garanties juridiques édictées par la Constitution haïtienne s'étendent
selon notre interprétation au témoin dans le cadre d'un procès
criminel ou pénal. En réalité, un témoin a droit à ce qu'aucun
témoignage incriminant qu'il donne ne soit utilisé contre lui
dans d'autres procédures, sauf dans des cas exceptionnels comme
le parjure. Une partie ou un témoin a droit, dans toute procédure
judiciaire civile ou criminelle, à l'assistance d'un interprète
si cette personne ne comprend pas le français ou ne parle pas
la langue en usage au cours de la procédure, ou si cette personne
est sourde ou muette. Ce droit est reconnu quelle que soit la
langue employée (français ou créole). On ne peut pas se permettre
de condamner quelqu'un sans lui donner l'occasion de comprendre
la procédure exercée contre lui. C'est pourquoi, il est indispensable
que les garanties juridiques inscrites dans la Constitution haïtienne
doivent renforcer la détermination des autorités pour bâtir un
système juridique basé sur la justice et la démocratie.
DROITS
A L'ÉGALITÉ
Les
droits à l'égalité doivent s'appliquer à tous sans distinction
de race, de sexe, d'origine ethnique, de couleur ou d'âge. Ceux
qui souffrent de déficiences mentales ou physiques, sont égaux
devant la loi et ont droit à la même protection et au même bénéfice
devant la loi. Tout être humain est égal devant la loi, qu'il
soit riche ou pauvre, qu'il soit inculte ou cultivé. La loi est
une pour tous et il ne peut y voir une justice à deux vitesses.
Un citoyen haïtien ne devra pas être l'objet de discrimination
dans l'administration publique pour aucun motif injustifié. C'est
pourquoi, la Constitution haïtienne adopte ce principe pour qu'il
n'y ait plus d'injustice au regard de l'application des lois dans
ce pays. En matière linguistique, la Constitution du 29 mars 1987
consacre le droit de recevoir l'instruction et l'éducation dans
la langue créole ou français. Ces officielles sont au même pied
d'égalité par la loi-mère et nul ne doit être contraint de s'exprimer
dans une langue par rapport à une autre.
L'État
haïtien a l'obligation morale d'oeuvrer pour le respect de ces
libertés et garanties fondamentales consacrées par la Constitution
haïtienne. Lorsqu'un de ces droits est brimé par une autorité
quelconque, l'État haïtien devra prendre toutes les mesures nécessaires
pour réparer toute violation des principes constitutionnels du
peuple haïtien.
Toutefois,
il faut reconnaître que c'est une tâche très difficile pour les
autorités publiques qui ne connaissent pas une tradition de démocratie.
Lorsqu'on regarde les difficultés socio-économiques et politiques
auxquelles ce pays confronte, on est en droit de se poser la question
sur la volonté réelle de changer la situation des droits de la
personne dans ce pays.
D'après
nous, la notion de démocratie ne marche pas avec la faim ni l'analphabétisme
d'un peuple. Toute tentative de concilier démocratie-pauvreté-analphabétisme
constitue la pire hypocrisie des puissances impérialistes. Ces
notions ne sont pas inter reliées dans quelque soit le système
politique. L'analphabétisme engendre l'ignorance et l'intolérance,
la faim génère la violence systématique et le mépris des droits
de la personne. De là, il existe un obstacle majeur à résoudre
avant de parler de la démocratie dans un pays pauvre comme Haïti.
Le respect des garanties constitutionnelles exige non seulement
une volonté politique réelle de l'État, mais aussi une prise de
conscience nationale des acteurs concernés et une participation
collective du peuple haïtien au développement de la nation haïtienne.
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