Les Sections Administratives Spécialisées (SAS) en Algérie
entre idéal et réalité
 
 

Résumé 

Les Sections Administratives spécialisées (SAS) ont été un acteur largement méconnu de la guerre d'Algérie. Or ils sont au coeur de la politique d'intégration de l'Algérie à la France. En 1960, 700 SAS quadrillent entièrement le territoire algérien dans le but de construire des infrastructures, de soigner la population, de scolariser les enfants et de rétablir l'ordre. En cela les SAS s'intègrent dans la grande tradition des Bureaux arabes de l'Algérie (1833-1870) et des Affaires indigènes (1926-1955).

C'est à J.Soustelle, gouverneur général de l'Algérie que revient l'initiative de la création des SAS. J.Soustelle constate rapidement la sous-administration des campagnes, l'absence de renseignement, et l'échec des grandes opérations militaires contre l'ALN. Après avoir lancé une opération pilote dans les Aurès sous la direction du général Parlange, J. Soustelle décide de créer les SAS en septembre 1955. Qui a été à l'origine de l'idée? On peut émettre l'hypothèse d'une convergence d'influences : Son expérience au BCRA (service de renseignement et d'action de la France Libre), son métier d'ethnologue au Mexique (importance de la connaissance et de l'écoute de la population) et son observation de l'application de la politique de l'indigénisme par le gouvernement mexicain (scolarisation et médicalisation des indiens). Mais aussi l'influence de personnalités de son entourage ayant l'expérience de la guerre d'Indochine (général Constans), des Affaires indigènes (commandant Monteil, général Parlange), et de l'administration (M. Vrolyck).

Une SAS est une structure administrative à la fois civile et militaire. Elle est dirigée par un officier qui commande un maghzen d'une trentaine de moghaznis (ou de harkis) assurant la sécurité de la circonscription de la SAS. L'officier SAS dispose d'un sous-officier pour l'assister et d'attachés civils : Un comptable, un radio, une infirmière. A cette structure se rattache également un médecin, un instituteur et un moniteur sportif détachés par la compagnie militaire située à proximité de la SAS. Dans les faits, les effectifs civils et militaires de la SAS varient en fonction des besoins de la population, de l'étendue du territoire de la SAS (parfois aussi grande qu'un département), de l'isolement et de l'insécurité du secteur. Une SAS s'occupe d'un territoire rural pouvant contenir 2000 à 20.000 habitants dispersés dans des villages ou résidant dans des camps de regroupement.

La SAS a une mission civile et militaire auprès de la population musulmane du bled algérien. La mission civile de la SAS est très diverse : Les campagnes étant désertées par l'administration, la SAS va avoir une mission d'état civil et d'intermédiaire auprès des administrations. La SAS organise le recensement de la population pour donner des certificats de recensement ou des cartes d'identité. Ce travail n'est nullement accessoire, car il permet de faire des musulmans des citoyens en leur permettant de bénéficier des lois françaises. Mais cette mesure permet aussi d'identifier et donc de contrôler toute une population. Ces recensements s'accompagnent d'enquêtes économiques sur le niveau de vie et le cheptel détenu par la population. En se rapprochant des populations, la SAS devient rapidement l'intermédiaire indispensable pour toutes les formalités administratives (pièces d'état civil, demandes de prêt, problèmes de propriété, de pension, et de retraites non réglées) et pour tous les contacts avec les administrations (Eaux et forêts, Anciens combattants...).

Le revers de la citoyenneté française pour les musulmans était la conscription et l'impôt. La SAS transmet les convocations du bureau de révision aux appelés. L'impôt est aussi à la charge de la SAS. L'impôt est perçu de manière très différente selon les SAS : Certaines SAS perçoivent l'intégralité des impôts et font payer les arriérés, d'autres recueillent les impôts de manière aléatoire, tandis que les dernières ne reçoivent aucune consigne pour prélever les impôts.

Cette intermédiation de la SAS permet d'approfondir les contacts avec la population par le règlement des disputes (chicayas), par les discussions quotidiennes avec les administrés, et lors des fêtes (14 juillet, fêtes traditionnelles...). Ces relations dépendent essentiellement de la confiance qu'accorde la population à l'officier SAS et de la pression de l'ALN sur la population.

La SAS est chargée de préparer les élections, c'est pourquoi l'une des raisons d'être du recensement est la mise à jour des listes électorales pour les scrutins municipaux et nationaux. Mais la SAS se doit de l'accompagner d'un rôle pédagogique sur la manière de voter et sur les enjeux du scrutin. La SAS multiplie donc les tournées dans les douars pour donner une certaine maturité politique aux musulmans. Cette participation aux élections se double d'une participation réelle aux institutions de la commune. En effet la dernière mission des SAS est d'installer des communes en mettant en place des délégations spéciales (désignées par l'officier SAS), remplacées plus tard par des municipalités élues. Le rôle pédagogique de l'officier SAS est important : Ils doivent former, conseiller et expliquer les mécanismes administratifs d'une municipalité.

Les SAS avaient une mission socio-éducative importante : Faire accéder les musulmans du bled au même niveau de développement que la métropole en les faisant bénéficier des progrès médicaux et de la scolarisation. Les campagnes algériennes sont en effet quasiment dépourvues de toute structure médicale et scolaire. Les SAS vont coordonnées dans ces deux domaines les moyens matériels et humains pour les adapter aux réalités du terrain. Sur le plan de l'AMG (assistance médicale gratuite), la SAS crée un dispensaire, installe un médecin, organise des consultations, envoie des tournées médicales et procède à des séances de vaccinations et d'hygiène (douche, apprentissage du savon). Les officiers SAS vont devoir assurer cette mission malgré les pénuries de médicaments, les mutations du personnel médical, les réticences et les incompréhensions de la population. Les indigents (en raison de la misère économique ou de la guerre) sont secourus également par la SAS par des distributions de vivres et de vêtements, ainsi que par des allocations.

La scolarisation est une mission importante de la SAS, car c'est le moyen de l'ascension sociale par excellence et donc de la réelle intégration des populations des campagnes. Les structures scolaires existant rarement dans les campagnes, les SAS doivent créer d'ex nihilo celles-ci. Elles font construire par la population les locaux, demandent à la compagnie militaire des instituteurs et à la sous-préfecture le matériel scolaire. Les conditions de mise en place de la scolarisation sont souvent aléatoires et tributaires, comme l'AMG, du personnel. De plus la scolarisation pour se dérouler dans de bonnes conditions nécessite l'amélioration des conditions de vie de l'enfant : Les SAS procèdent à des distributions de vêtement, mettent en place des séances d'hygiène, créent une cantine scolaire, voire un système de transport scolaire. La formation professionnelle n'est pas négligée par les SAS qui regroupent leurs moyens pour créer au niveau de l'arrondissement un foyer d'apprentissage pour les jeunes musulmans.

Le temps libre des écoliers est organisé par la SAS qui met en place des séances sportives organisées par le moniteur détaché par la compagnie militaire. La femme musulmane fait partie des préoccupations de la SAS, l'officier SAS met en place des lieux de convivialité et d'activité pour les musulmanes.

L'autre grand domaine d'intervention de la SAS est le secteur économique : Les populations ruinées par la guerre, coupées de leurs ressources par les regroupements ou vivant dans des structures agraires archaïques, ont des conditions d'existence difficile. La SAS va remédier à cet état de fait en engageant la population désoeuvrée dans des travaux de construction d'infrastructures : ponts, routes, écoles, mairies, dispensaires, marchés, abattoirs, agences postales, puits, et habitat (plan des milles villages). Parfois l'artisanat local est relancé. Mais les moyens débloqués sont souvent insuffisants pour procurer à tous du travail. Les officiers SAS se transforment en agence pour l'emploi démarchant auprès des colons ou des industries de la région. Lorsque la mesure s'avère inefficace, les officiers SAS trouvent des solutions originales : tour de roulement des ouvriers, abaissement des coûts d'étude des projets, déclaration d'ouvriers ou de moghaznis fictifs. Dans le désir de secourir leurs populations dont ils ont la responsabilités, les officiers SAS vont faire preuve d'une grande ténacité pour faire avancer leurs projets de construction.

Dans le domaine agricole, la SAS est aussi d'une aide précieuse pour les paysans algériens. La SAS procure des semences, des prêts aux paysans, mais obtient également des agronomes pour les conseiller. La SAS met en place des structures collectives pour l'agriculture (lieu de stockage, travaux d'irrigation, banquettes anti-érosives) et assure la redistribution des terres des colons aux musulmans. Pour l'élevage, l'officier SAS fournit des laissez-passer pour les nomades, installe des points d'eau et des lieux de pacage, assure la vaccination des troupeaux et adapte même ses structures au nomadisme, en créant des SAS nomades.

L'officier SAS ne pouvait pas se cantonner dans un rôle purement civil dans une période de conflit. Refuser son rôle de militaire, c'était mettre en danger non seulement sa propre vie, mais aussi celle de ses populations. Les SAS vont participer activement à la lutte contre le FLN par divers moyens. En raison de sa proximité avec la population, la SAS est le meilleur instrument de contrôle des habitants des campagnes d'Algérie. En contact avec l'armée, la police, la gendarmerie et la DST, la SAS fournit les laissez-passer pour les personnes et les marchandises, les certificats d'hébergement, et contrôle la possession des denrées (pour empêcher des fuites de ravitaillement à l'ALN). La SAS contrôle les camps de regroupement sous sa responsabilité en instaurant un quadrillage de ces centres.

La SAS a aussi pour mission de collecter des renseignements. Elle met en place pour cela un réseau d'informateurs tandis que l'officier SAS, de son côté, engage la conversation avec les fellahs dans cette intention. Les moghaznis et les attachés civils se mettent parfois aussi à contribution pour rechercher des informations à travers leurs contacts parmi la population. Parfois la SAS se chargeait de l'interrogatoire des suspects. Dans ses missions quotidiennes, la SAS se heurte à l'OPA (organisation politico-administrative du FLN) qui tente elle aussi de contrôler la population. La SAS multiplie alors les démantèlements d'OPA (dont la composition pouvait aller de quelques personnes à un réseau parfaitement organisé).

Face à l'ALN, les officiers tentent de susciter des ralliements individuels et parfois collectifs (Bellounis, Si Cherif). Même si les ralliements collectifs se terminent souvent par un échec, les ralliements individuels auprès des SAS montrent au contraire les répercussions des actions économiques et sociales des officiers SAS dans les rangs de l'ALN. Pour contrer l'action de l'ALN, les SAS procèdent à l'armement de certains villages dans le cadre des groupes d'autodéfense (GAD). Les SAS multiplient les patrouilles, les protections de chantiers et de convois, les opérations de nomadisation, les embuscades. Parfois elles sont transformées en SAS opérationnelles (en zone d'insécurité) pour compléter le quadrillage militaire ; dans ce cas la mission militaire prend le pas sur la mission civile. Inversement lorsque la zone est considérée comme pacifiée, les SAS sont transformées en SAS renforcées dans le cadre des quartiers de pacification et prennent en charge complètement la sécurité du territoire, libérant ainsi les compagnies militaires pour d'autres régions.

Ces actions civiles et militaires des SAS susciteront des réactions de la part de l'ALN : Boycott par la population des bureaux administratifs de la SAS, destruction des cartes d'identité, consigne d'abstention aux élections, assassinat de délégations spéciales et des conseillers municipaux, pression sur les ouvriers des chantiers ou des consultants de la SAS, lettres de menace et assassinats d'officiers SAS, de personnels civils et des moghaznis de la SAS, prises d'assaut de SAS, tentative de susciter des désertions parmi le maghzen, attaque de villages sympathisants et de GAD.

Mais la SAS, c'est avant tout un officier SAS. C'est lui qui va décider de la priorité à accorder à ses différentes missions. Il décide en fonction de sa propre conception des SAS, en effet il n'existe pas de doctrine officielle des SAS. L'officier décide aussi en fonction de ses propres expériences passées : On trouve comme officier SAS des hommes aussi divers que des jeunes officiers appelés, des officiers d'active ayant connu des expériences similaires en Indochine ou au Maroc, d'anciens officiers des régiments de combat, ainsi que des officiers arabisants. La personnalité de l'officier SAS est d'une grande importance, car celui-ci va se heurter à l'inertie de l'administration, à la méfiance des militaires, au manque de moyens, à l'attentisme des populations, à l'isolement au fonds du bled, à l'insécurité, à l'opposition de l'OPA et de l'ALN et aux conditions de vie difficile. L'officier SAS devra faire preuve d'abnégation et de ténacité pour faire aboutir ses projets et aider la population qui lui est confiée. Bien sûr toutes les SAS ne sont pas difficiles, comme par exemple certaines SAU ou SAS proches de la mer, mais le manque de moyen matériel et humain empêche les projets d'aboutir et font perdre la confiance des populations en l'officier SAS.

La personnalité et l'expérience de l'officier SAS ne sont pas les seuls déterminants de la priorité à accorder aux missions de la SAS, interviennent aussi les besoins et les attentes de la population, l'état de sécurité de la circonscription de la SAS et la situation d'isolement de la SAS. Les 700 SAS réparties sur l'ensemble de l'Algérie auront donc des façons d'agir différentes en fonction des divers critères énumérés, mais malgré ces différences, toutes ont un seul objectif faire des musulmans des Français comme les autres dans le cadre de l'Algérie française.

Les missions des SAS et l'idéal des officiers SAS n'empêchent pourtant pas quelques dérives ou des maladresses : les conseils aux maires se transforment parfois en paternalisme, voire en tutelle en raison de l'incapacité des maires à gérer ; Les votes des musulmans sont parfois influencés par des SAS ; L'aide médicale et matérielle n'est pas neutre et s'apparente parfois plus à un désir de rallier les populations, l'aide à la population se transforme parfois en assistanat : les problèmes structurels n'étant réglés que par une aide conjoncturelle ; La SAS tente de calquer un modèle français sur une réalité algérienne différente (carte d'identité, évolution de la femme, maison en dur inadaptée aux conditions climatiques).

La SAS se heurte à de nombreuses difficultés : les colons qui refusent d'accorder des droits sociaux aux musulmans, les militaires qui par leurs opérations militaires perturbent le travail de pacification, l'administration qui encombre la SAS par sa bureaucratie et freine ses initiatives, la passivité des musulmans et la rivalité de certains maires entravent les efforts de la SAS.
Or toutes ces dérives, ces maladresses et ses difficultés s'expliquent par un certain nombre d'ambiguïtés de l'institution des SAS. L'idéal de l'intégration totale voulu par Soustelle et mis en oeuvre par les SAS, se trouve en porte à faux de deux autres idéaux. Celui des européens qui souhaitent une intégration partielle (égalité des devoirs et inégalité des droits), or les SAS en scolarisant les musulmans, en leur donnant un poids électoral et des droits économiques remettent en cause la prééminence politique, économique et sociale des Européens en Algérie. Le FLN lui aussi voit dans l'action des SAS un obstacle pour l'indépendance, car par leurs actions elles rallient la population à la France. Sans aucune base de soutien politique, les SAS s'investissent entièrement sur le terrain pour réaliser leur idéal.

La seconde ambiguïté est celle du temps : Les SAS pouvaient-elles rattraper en quelques années 130 années d'inertie de l'administration dans les campagnes? Pouvaient-elles réellement faire évoluer tout un peuple, malgré ses traditions et ses mentalités, pour le faire accéder brutalement à la modernité et au mode de vie occidental?

La troisième ambiguïté concerne la population elle-même : Les SAS pouvaient elles réussir à rallier une population coincée entre l'enclume et le marteau (l'armée et l'ALN) qui cherchaient à se dédouaner vis à vis de ces deux autorités, et qui attendaient un victoire politique ou militaire de l'un des deux camps pour se rallier définitivement. La solution n'était donc pas politique, économique et sociale (les SAS) mais militaire...

La quatrième ambiguïté concerne le contexte d'intervention de la SAS, c'est à dire la guerre. La SAS intervient économiquement et socialement auprès d'une population qui a perdu son autonomie et ses biens en raison de la guerre, mais surtout à cause de la politique de regroupement mis en oeuvre par l'armée. La SAS ne fait donc que réparer ce que l'armée a détruit.

Or une autre ambiguïté liée à la précédente apparaît, la SAS qui a un obligation morale d'intervenir auprès de la population n'est en fait que coordinatrice d'un ensemble de moyens médicaux, scolaires, et de construction. Ces moyens, en hommes et en matériels, dépendent essentiellement de l'armée et pour l'aspect financier de l'administration. En conséquence toutes les actions de la SAS sont remise en cause à chaque fois que la compagnie militaire est mutée ou que l'administration bloque les crédits. La SAS n'est donc pas autonome pour mener à bien ses missions civiles.

La sixième ambiguïté concerne les arrières pensées présentes dans certaines actions de la SAS. Le recensement sert tout autant à assurer des droits sociaux aux musulmans qu'à les contrôler. L'AMG, la scolarisation et les constructions servent tout autant à aider les musulmans qu'à être un moyen de les rallier à la France. L'engagement des musulmans est recherché par les SAS à travers les municipalités, inversement l'OPA (avec l'ALN) représente concrètement l'engagement des musulmans du côté du FLN. Ce type d'engagement contraire aux intérêts de la France sera combattue par la SAS. De plus, n'y a-t-il pas instrumentalisation des municipalités musulmanes de la part des SAS, en les présentant comme une troisième force alternative à celle du FLN et des Européens?

La dernière ambiguïté réside dans l'officier SAS lui-même : Très autonome, l'officier SAS décide seul des priorités à accorder à ces différentes missions. Cela peut être un atout pour un officier SAS motivé qui peut mener les opérations les plus révolutionnaires, mais cela peut être aussi un grave inconvénient si l'officier SAS n'est pas intéressé par sa mission ou subit passivement les événements. L'efficacité d'une SAS dépend donc avant tout de l'initiative personnelle de l'officier SAS qui met en oeuvre sa politique avec le personnel civil et militaire de la SAS.

L'officier SAS impliqué pleinement dans sa mission auprès de la population va voir son état d'esprit évolué au gré des événements politiques. La politique de l'intégration par les SAS lancée par J.Soustelle va être poursuivie par son successeur R.Lacoste (1956 - 1957). Les officiers SAS se sentent soutenus par les autorités politiques, même si ceux-ci se heurtent aux colons surpris par cette politique, aux craintes des populations, à l'inadaptation de la justice. Durant cette période, les autorités désigneront d'office les officiers SAS en raison du manque de volontaires pour les SAS, avec des résultats plus ou moins aléatoires. Les premiers doutes naissent dès le mois de mai 1957 parmi les officiers SAS face à l'instabilité des gouvernements de la IVe république. Les officiers SAS sont de plus en plus nombreux à souhaiter un gouvernement plus ferme, plus stable, alors même que le rythme de création de SAS fléchit entre janvier 1957 et juillet 1958.

Les événements de mai 1958 redonnent l'espoir aux officiers SAS. Ceux qui sont les plus proches des villes profitent du mouvement de fraternisation pour créer des CSP (comité de salut public) dans leur circonscription dont ils prennent la direction. Ces officiers SAS organisent des réunions, des manifestations et mobilisent la population pour la politique de l'Algérie française. Par ces actions, ils pensent avoir réussi à rallier la population musulmane définitivement à la France. D'autres officiers SAS éloignés des centres urbains n'ont en revanche pas créé de CSP par méfiance, par prudence, par manque d'information ou à cause d'instructions officielles

Durant l'année 1959, les officiers SAS restent dans l'euphorie du 13 mai 1958. Les élections municipales et législatives, le plan de Constantine sont les signes tangibles que l'Algérie restera française. Le discours sur l'autodétermination en septembre 1959 surprend les officiers SAS, mais le doute est vite balayé : Les SAS pensant qu'il s'agit d'une manoeuvre diplomatique pour les milieux internationaux. Certains officiers SAS perdus au fonds du bled ne seront même pas au courant du discours. Les barricades de janvier 1960 ont relativement peu d'impact. En revanche les négociations de Melun sont ressenties comme une trahison de leur idéal et de la parole donnée à la population que la France resterait en Algérie. Les démissions d'officiers SAS se multiplient. D'autres au contraire y voient une motivation supplémentaire à s'impliquer davantage auprès de la population pour faire accélérer les changements sur le terrain et renverser ainsi la vapeur.

Le référendum sur l'autodétermination en Algérie en janvier 1961 et les consignes de faire voter oui posent de véritables problèmes de conscience aux officiers SAS. Le putsch d'Alger suscite l'espoir parmi les officiers SAS, mais les cafouillages, l'éloignement, et l'isolement des SAS n'ont permis dans la majorité des cas qu'une adhésion morale sans participation réellement active. Mais l'échec du putsch scelle le sort de l'Algérie française et par là même des SAS. Dès juillet 1961 un projet de réforme des SAS est élaboré : Les 700 SAS doivent être réduites à 250 CAA (centres d'aides administratives) et seront démilitarisées pour être cantonnées à un rôle purement civil. Malgré les protestations de la hiérarchie des Affaires algériennes, les officiers SAS savent que les SAS sont désormais condamnées à disparaître. De nombreux officiers SAS démissionnent de leur fonction. En février 1962 paraît un décret créant les CAA ; Certaines CAA seront effectivement créées mais les SAS diminuées en nombre restent en place. En mars 1962 le cessez-le-feu est signé entre la France et le FLN. Les SAS isolées sont repliées sur les SAS plus importantes, tandis que les officiers SAS d'active sont mutés, et que les officiers de réserve en situation d'active donnent leur démission. Les SAS sont dirigées par des jeunes officiers appelés ou par des sous-officiers. Les GAD et les moghaznis sont désarmés.

Des officiers SAS tentent de rapatrier en France leurs moghaznis ou harkis malgré les ordres des autorités militaires et politiques. Mais ces efforts individuels ne suffiront pas à rapatrier tous les moghaznis, dont certains souhaitaient rester sur place, en espérant une hypothétique réconciliation.
En juin 1962, les SAS sont dissoutes laissant derrières elles des officiers SAS écoeurés par tant de sacrifices inutiles et bafoués dans leur honneur, des moghaznis et des populations ralliées désormais bouc émissaire d'une Algérie indépendante, tandis que ceux qui auront été rapatriés ne seront jamais acceptés par la plupart des Français. 

Grandes perdantes de la guerre, les SAS seront aussi les grands oubliées de l'histoire. Mais le temps leur ont donné plus que jamais raison, au moment où les nouvelles stratégies militaires intègrent de plus en plus les données de protection militaire, proximité et écoute de la population, aide économique et sociale pour reconstituer des pays déchirés par la guerre civile. Le tort des SAS est d'avoir voulu se démarquer des opinions manichéennes de leur époque pour réaliser leur idéal en sacrifiant de leur personne, dans le but d'aider et protéger toute une population. Dernier chaînon de responsabilité de l'administration au contact direct avec la population, les officiers SAS ont été laissés à eux-mêmes pour rallier les musulmans et les rapatrier. Mal sélectionnés et mal préparés à assumer de telles responsabilités, certains n'ont pas voulu agir, d'autres n'ont tout simplement pas pu, tandis que certains ont pris des initiatives personnelles. Dernier chaînon de responsabilité, ils ont dû prendre des décisions, les faire appliquer et suppléer aux carences de l'Etat. Eux étaient là aux endroits et au moment précis où nul ne voulait être. Loin des discours et des promesses, revenu de leur idéalisme passé, ils ont pris chacun "Hic et nunc" (ici et maintenant) des décisions cruciales pour les populations qui leur avaient été confiées.

Dernier chaînon de responsabilité, les officiers SAS et leurs équipes ont dû avaler jusqu'à la lie toutes les conséquences de leurs engagements en Algérie : oeuvre inachevée, honneur bafoué, population abandonnée en Algérie ou en difficulté en France, sentiment de culpabilité. C'est en cela que réside le drame des SAS : Avoir eu à l'âge de 25-35 ans la responsabilité civile et militaire d'une région grande comme un département français, cas pratiquement unique au XXe siècle, et avoir vu l'oeuvre accomplie rayer par une décision politique avec toutes les conséquences humaines dramatiques pour ceux qu'ils avaient engagé à leurs côtés.
 
 

Grégor MATHIAS
Professeur certifié d'histoire

Résumé de ' Les Sections administratives spécilisées en Algérie entre idéal et réalité (1955-1962)'
L'Harmattan, 1998.