Sonates, les poèmes de Denis Germain


Liste des poèmes
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Absence
Caprices du temps
Coup de foudre
L'angoisse
La chaise à porteurs
La fée mystérieuse
La vengeance
L'amour au temps de Cromagnon
Le temps qui nous rassemble
Les adieux
Les adieux (2)
Les adieux (Fin)
Les rumeurs
Nuit de noces
Passé et futur
Un phare
Une saison en enfer




Absence

C'était un jour de pluie.
Alberte, derrière les carreaux
De sa petite fenêtre d'ennui,
Regardait l'eau dans le caniveau.
Un chat passa très vite,
Pressé de retrouver le gîte
Bien chaud - près de la cheminée -
Sous les pieds de la mémé
Qui attend le retour du petit gars
Parti au loin - parti là-bas -
Dans la boue et la vermine des tranchées.
Pour qui ? Pourquoi ? Pour la liberté ?
L'égalité peut-être ? - La fraternité
Sûrement pas ! Ca ne peut-être ça
La fraternité se dit Alberte
Derrière son carreau embué
De pluie et de larmes mélangées.
Tandis que de retour, le matou
Se glisse en ronronnant sous
Les jupes- et la regarde fixement
En ayant l'air de demander quand
Le jeune maître reviendra de l'enfer -
Quand pourraient-ils être heureux comme naguère -
Alberte le fixe dans les yeux
Et semble répondre: "Je ne sais pas mon pauvre vieux"!

Et ses larmes, en cascade, tombent sur le dos du chat.

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Caprices du temps

Le Temps ? Ah! mon ami c'est une vaste chose
Et personne à ce jour de lui use ou dispose -
Il n'en fait qu'à sa tête et mène son train-train -
Nulle part ne s'arrête et toujours de l'entrain !

" Fatigue ? connais pas - je suis fort me dit-il "
" Laissez-moi avancer - mon art est difficile "
Voilà tout ce qu'il dit - voilà tout son discours -
Jamais il ne se presse et jamais il ne court.

" J'arriverai toujours de mon pas à mon heure "
" Mon agenda est plein - je suis un arpenteur "
" Un mesureur de Temps et personne n'attend "
" Je me dois à ces gens - un-deux serrez les rangs !"

Il n'en fait qu'à sa tête et fait le boute-en-train -
Le temps de s'amuser entre deux ou trois trains -
Mais si le mauvais temps se met de la partie
Il râle après le gel - la tempête et la pluie.

J'ai voulu lui parler très raisonnablement :
" O Temps suspend ton vol " Il m'a dit crânement :
" Je ne suspendrai rien car le monde est en marche "
" Et du monde - sachez - je suis le patriarche ".

" Mon père était le Temps et même mon grand-père "
" Nous sommes tous le Temps depuis la première ère "
" Alors vous comprenez : point de suspension !... "
" Les orages on s'en fout - avançons ! avançons !."

" Nous n'avons que le temps d'arriver nulle part "
" Mesurez le regret d'arriver en retard ! "
" De quoi aurais-je l'air après cette aventure ? "
" Chacun me maudirait - voyez la sinécure. "

Et ainsi j'avançais - rendu aux arguments -
Le Temps avait raison - et malgré mon tourment -
L'hiver qui s'annonçait et les chutes de neige -
Le mauvais temps encor et toujours son cortège

Je cessais ce caprice à vouloir exiger
Que le Temps et le temps soient - eux - mes obligés
Je devais me ranger aux lois universelles
Et le dîner fini - aller faire ma vaisselle !

Octobre 2001

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Coup de foudre

Dès leur premier regard la foudre était tombée
Chacun d'eux avait vu ses trente-six chandelles -
C'est alors qu'en tremblant et en s'approchant d'elle
Il contempla l'Amour - stupéfait - bouche bée.

Un doux rayon de lune à l'épaule nimbé
Elle dormait tranquille - alanguie sur les ailes
D'un rêve la menant aux lointains archipels
Où l'attendait - fidèle - un royal sigisbée.

Et chaque nuit faisant ce songe récurrent
Elle trouvait toujours ce garçon conquérant
Qui désormais n'avait plus aucun concurrent.

... Il contempla l'Amour et tout se termina
Le soir même ils montaient en haut du Nirvana -
Le Destin devenant deus ex machina !

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L' Angoisse

Tapie au fond du gouffre obscur et insondable -
Immobile et muette - déesse de la peur
Qui vous déstabilise en des songes trompeurs :
Voici l'angoisse en vous - terrible - infatigable.

Cette envie de crier - tenace - irréfragable -
Qui vous laisse sans force - en état de torpeur -
Quand la transpiration vous transforme en vapeur
C'est l'angoisse au long cours des terreurs ineffables.

Elle est là - sentez-vous ses ailes de vautour
Qui tournoient lentement en vous et alentour ?
Parée d'un sombre masque et changeant tour à tour

De visage et d'habit - de pays - de maison ?
Tantôt elle est un ange et tantôt un démon
Pour mieux vous submerger des flots de déraison.

Elle est là - et déjà vous crache son poison -
Sauvez-vous - mettez fin à ses péroraisons -
Vous sentirez en vous revenir la raison ...

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La chaise à porteurs

Un laquais pour capot - un laquais malle arrière -
Au milieu le marquis dans sa cage de verre.
Grand Dieu ! ces aristos avaient belles manières
En snifant leur tabac dedans leur tabatière.

Dans le Paris d'alors - les ruelles étroites
Aux gros pavés disjoints - faisaient tanguer la boîte.
Quelques valets costauds - noblesse de pirates
Encadraient le convoi de pénate en pénate.

La chaise pouvait même être un haut lieu d'aisance -
Pour le seigneur vraiment - ça devenait Byzance
Que de baisser culotte au cours de cette errance ...

Et pour l'odeur - ma foi - c'était mieux que l'essence
Les porteurs s'habituaient à cette pestilence
Espérant que tout ça pourrait leur porter chance !

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La fée mystérieuse

Il était une fois une gentille fée
Qui aimait les humains malgré tous leurs contraires.
De sa baguette fine et tout son savoir faire
Elle écrivait des mots dans le ciel étoilé.

Jamais ne se lassait et traçait sa dictée
Dans le grand firmament où règnent les Ethers -
Telle une surgéante aux dons ubiquitaires
Qui nous dit le demain avant qu'il ne soit né.

Soeur de la douce terre aux ailes argentées
Mystère de l'Amour que l'on creuse en nos rêves
Elle était tout cela avec divinité.

Fidèle elle revient hanter nos vies sans trêve
Près de nous son coeur bat au rythme de note âme -
Jolie - aimante et douce - avant tout une femme !

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La vengeance

On dit que c'est un plat qui se déguste froid
Et qui peut demeurer des années en attente -
Un fait vous a fait mal et sans cesse vous hante
Allez-vous pour autant refaire Fontenoy ?

Certes on peut se trouver dans un grand désarroi
Après avoir souffert d'une gent mécréante
Acharnée à vous perdre - injuste et insultante
Et pour vous ce sera comme un chemin de croix.

Mais la vengeance - eh bien - c'est servir même soupe
Rendre mal pour le mal dans la même soucoupe -
On peut faire autrement que d'enflammer l'étoupe.

N'empêche que d'aucuns n'y renoncent jamais
Et que de père en fils la haine se transmet -
Ne vaudrait-il pas mieux fumer le calumet ?

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L'amour au temps de Cromagnon

Ils partaient le matin de bonne heure
Pour chasser et pouvoir nourrir leurs nichées
De petits Cromagnonets et Cromagnonettes
Qu'ils avaient fait à leur Cromagne
Sans vraiment se rendre compte qu'aimer
Etait ainsi que venaient les z'éfants !
Comme disait ma grand-mère.
Le " Je t'aime " n'existait pas - ils grognaient
Simplement - sans autre forme de procès.
Aujourd'hui on connaît la formule mais on grogne toujours
Après ce foutu amour qui nous joue tant de tours
Cet amour qui n'en finit pas parfois de mourir
Alors que le suivant nous fait déjà courir !
A " Cromagnon City " ils n'avaient pas ce genre de problème
Ils faisaient des enfants - forcément -
Car sinon comment serions nous ici en ce moment
A nous taper la tête contre les murs
En accusant l'Amour avec des mots parfois si durs
Qu'il est surprenant qu'il nous supporte encore !

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Le temps qui nous rassemble

Le temps passe - écoutez - on l'entend galoper -
Interminablement il traverse le monde
Ne perd aucun instant - pas même une seconde -
Irrémédiablement s'écrit son équipée.

Et nous suivons le temps dans sa folle échappée
Sans savoir où conduit cette incessante ronde
Peut-être négative ou peut-être féconde
Qui dévore nos vies comme on fait d'un souper.

Chevelure blanchie il poursuit ses idées
Toujours bon pied bon œil - et le cœur point ridé -
Il avance en chemin sans jamais s'attarder.

Et nous sommes le temps - vous et moi - tous ensemble
Toi même qui me lis vois comme on se ressemble :
Le temps nous séparait - voici qu'il nous rassemble !

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Les adieux

Ceux de Fontainebleau ont marqué notre Histoire.
Pourquoi m'as-tu quitté subitement un soir
Ma belle - en me laissant au fond du désespoir
Me débattre sans fin dans l'oubliette noire ?

L'Empereur avait eu ses adieux historiques
Pour moi un seul papier caché dans un tiroir.
Lui et moi - j'en conviens - n'avons eu même gloire
Mais pourquoi cet adieu pour le moins apathique ?

Comme lui malgré tout j'ai eu mon Waterloo
Et je deviens Grognard et pleure comme un veau
Sur ton adieu - ma foi - l'amour m'a rendu sot

Car je devrais savoir que ce qui est perdu
Se retrouve parfois juste au bout de la rue :
La vie trotte sans cesse aux chemins inconnus.

Me diras-tu un jour pourquoi tu es partie ?
Ton adieu - immergé dans la mélancolie -
Je le lis et relis jusqu'au bout de mes nuits ...

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Les adieux (2)

Elle a lu mon message il y a quelques jours
Et m'ayant aperçu au marché Clignancourt
Elle est venue vers moi - souriante toujours -
Mais n'avons point parlé de nos mortes amours.

" Tu verras que le temps referme les blessures "
M'a t-elle dit tout en choisissant des chaussures
Assorties à ses yeux aussi bleus que l'azur.
" Le temps passe - on oublie tu verras - j'en suis sûre ".

Nous allâmes copains boire au café du coin
Un alcool un peu fort car j'en avais besoin.
Là elle me redit ses conseils avec soin.

" Ne penses plus à moi je suis de ton passé - "
" Dans le présent toujours on peut se rencontrer "
" Mais d'un trottoir à l'autre il nous faudra filer. "

" Nous sommes des fantômes au banquet de la vie "
" Nos yeux ont des lueurs qui n'ont plus de survie "
" Et qui hantent nos cœurs à tout jamais maudits ... "

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Les adieux (Fin)

Hier je l'ai revue au marché Clignancourt
J'ai essayé - en vain - de lui faire la cour
Elle m'a ignoré et après - tout le jour -
J'ai foulé comme un fou le quartier Clignancourt.

Sous ma porte le soir je trouvai un billet
M'expliquant son départ - heureux je balbutiais
Tous ces mots de sa main écrits sur les feuillets
Que mes mains en tremblant lentement effeuillaient.

Pourtant des mots cruels me firent cent blessures
Et mon cœur frémissait sous l'atroce morsure
De ce congé final portant sa signature.

" Je n'ai jamais aimé que ta belle voiture "
" Ton argent fut pour moi la plus belle aventure "
" Oublie moi et mon nom fais lui une rature. "

Moi j'ai déménagé du quartier Clignancourt -
J'y retourne parfois et sur elle un bruit court :
Elle ferait la manche au métro Caulaincourt !

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Les rumeurs

Les rumeurs vont bon train - envahissent la ville -
Serpentent dans les rues - pénètrent les maisons -
Font monter la pression et sombrer des raisons.
Les rumeurs bien souvent sont injustes et viles.

Au théâtre c'est drame et non point vaudeville
Chez vous elle est chez elle et franchit les cloisons -
Elle avance et pour elle il n'est morte-saison.
A la fois Salomon et Fouquier-Tinville

La foule tribunal qui juge et qui condamne
Sans savoir le pourquoi du comment - on cancane
On chipote - on discute - on râle et on chicane.

Je les guette aujourd'hui - les voici qui arrivent -
Attendez donc un peu que je vous les décrive
Ces buveuses de thé aux haines corrosives.

Leur venin lentement paralyse l'esprit
On se dit - inquiet - avons nous bien compris ?
Les vipères persistent et même nous sourient.

Allumant leur télé les rumeurs font la une
Devant les caméras les voici en tribune :
Les rumeurs et la pub vont faire des fortunes !

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Nuit de noces

Un vieux Marquis très riche épousa un beau jour
Une jeune beauté dont le père - à la ruine -
Avait manigancé de marier la gamine
Pour renflouer sa caisse et calmer ses débours.

Las! le Marquis usé par un trop long parcours -
N'ayant pas fréquenté que des Bénédictines
Fut en panne à sa noce et laissa la divine
Ignorante - innocente - et ronfla comme un sourd.

Cependant - la cadette - aux lueurs du matin -
Allant pour satisfaire une petite faim -
Au détour d'un couloir rencontra Célestin

Valet de son état et vaillant comme un diable.
Il fit manger Marquise et en quittant la table
L'honora fort longtemps d'un dessert agréable.

Il était séduisant et avait la trentaine -
L'expérience requise - et saisissant l'aubaine
En place du Marquis il eut la Châtelaine !...

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Passé et Futur

Aujourd'hui et hier - demain - après-demain -
Dans la fuite des jours il n'est point de repère
Et c'est bien là ma foi ce qui nous désespère :
L'incertitude énorme où vont nos lendemains.

Pourtant - avant-hier - nous étions des gamins
Demain - après-demain - nous serons des grands-pères
Content ou pas content tout le monde obtempère
Mais où sont les panneaux indiquant le chemin?

Hier était trop tôt - demain sera trop tard
Et n'arrivent à temps que les trains d'avatars
Tout le reste - on le sait - ce n'est que racontars.

Et pourtant aujourd'hui l'on se souvient d'hier -
Du bonheur incroyable - et la dure ornière
Car les routes jamais n'ont même matière.

Entre hier et demain s'écrit le parchemin -
Il est bien court aussi - lu en un tournemain
Sans jamais nous laisser un instant d'examen !

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Un phare

De son rayon puissant il balaie l'horizon
Transperçant aisément la plus épaisse brume.
Les bateaux égarés - que frappent les écumes -
Se fient à son halo qui fait la liaison.

Ramenant dans leurs flancs de lourdes cargaisons
Les marins se rallient au géant qui s'allume -
Celui-ci maintenant les guide et les assume
Les voici naviguant au même diapason.

De son œil de Cyclope éclatant de lumière
- Sachant qu'on les attend dans une humble chaumière -
Il veille à éclairer la rade familière.

Et nombre de marins - nombre de capitaines
Sont arrivés au port grâce aux lueurs lointaines
Les sauvant d'un péril à l'issue incertaine ...

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Une saison en enfer

L'été je m'envolais vers de nouveaux rivages
Et le ciel enchanteur me servait de chapeau -
Habillé plus ou moins d'étranges oripeaux
Je fuyais la grand ville et tous ses esclavages.

Heureux de découvrir de nouveaux paysages
Comme font les serpents je me changeais de peau -
Je devenais un autre - oubliais les impôts -
En bref tous mes ennuis faisaient leur paquetage.

Et c'était le bonheur absolument complet
J'en chantais les refrains et puis tous les couplets
N'acceptant que plaisir et que tout ce qui plait.

Jusqu'au jour où - ma foi - grands dieux qu'il faisait chaud -
Me trouvant à Deauville au pied du casino
J'entrais dans l'univers des grands bandits manchots.

Je commençais - timide - à risquer quelques pièces
Mais vite je perdis jusqu'à mon droit d'aînesse
Et je sortis plumé - n'ayant plus rien en caisse.

Comme il faisait très chaud je couchais sur la plage
J'avais même perdu ma superbe Delage
Et je rentrais à pied à Paris ... sans bagages !

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