Que dire de Trondheim ? Avec ses
134.654 habitants (chiffres 1988) grâce à l'intégration
récente des communes, la charmante ville de Trondheim représnete
la troisième ville de Norvège (au centre de la carte). Que
dire de plus ? Rien que pour le plaisir de faire des o barrés, Trondheim
a un centre administratif, le Trondelag. Comme on l'écrit dans Les
Guides Bleus, "Trondheim n'en est pas pour autant une ville ennuyeuse et
austère comme souvent dans le Nord, le vrai Nord, on y entend parfois
le silence". Les Lapons du sud , eux, n'ont qu' a se mettre des boules
quiès, il y a toujours des solutions à tout. Que dire
de plus sur Trondheim ? C'est un général qui l' a conçu
après qu'un terrible incendie eût entièrement ravagé
la ville, mettons, en 1681. Le Général Caspar Cicignon aimait
les petites maisons de bois. Aujourd'hui, on a érigé des
buildings pour faire chic. Quoi de plus ? Il plu, il pleut beaucoup également.
Sinon pour l'Histoire, des vikings y ont
bu l'aquavit dans les crânes blanchis de leurs ennemis. Au Xéme
siècle, il ne fallait pas faire de zèle pour se rendre à
Trondheim. Les Drakkars flanquaient la trouillesur toute sa façade
maritime. Après la religion chrétienne est venue compliquer
le bulbe des brutes païennes. Débarquant d' Angleterre, avec
un crucifix, le prince Olav Triggvason, petit fils même d'Harad Harfagre,
après avoir beaucoup guerroyé, trahi et gagné du côté
de la Russie, voulut faire la paix au pays des ancêtres. Après
sa mort, une source miraculeuse jaillit près du cerceuil. Cette
saint limonade ne suffit pas pour rafraîchir les chefs Vikings en
mal de pouvoir et qui s'étripèrent fumant des décades
durant. Enfin la Trondhjemskunstforeningen est l'association qui gère
le Musée des Beaux Arts de Trondheim où se trouve accroché
un très cruel tableau de Munch, "La vierge à l'enfant", le
nourrisson étant squelletique, et même plus. A part ça,
les cloppes y sont chères comme partout en Norvège, mais
si nos informations sont bonnes, Trondheim ne fume pas. Trondheim, le vrai
Trondheim, Lewis, dessinateur de bandes dessinées. En tout cas,
on se dit que la ville de Trondheim constituerait un excellent canevas,
style soap omellette norvégienne, pour le dessinateur Trondheim.
Que dire encore ? Que si finalement Lewis Trondheim ne s'était pas surnommé Lewis Trondheim mais Lewis Casablanca, Lewis Fontainebleau (lieu de naissance) ou Lewis Mont-Cuq (sud ouest) , Laurent Chabosy ne serait pas totalement Laurent Chabosy. Mi-fugue, mi- sérieux: " Je ne me voyais pas signer de mon prénom, Laurent, ou de mes initiale, Elcé, comme Jigé ou Hergé, ça faisait trop con. Va pour Trondheim. Il paraît que c'est une des villes les plus pluvieuses d'Europe. Et cette idée là me convient, la pluie vous contraint à rester chez soi pour y travailler sans regrets. Comme mes personnages, je n'aime pas trop l'aventure et les voyages." Plus loin, il confie :" Je ne suis pas un grand fan des voyages, je ne suis pas mécontent lorsque je reviens... Je n'ai pas une biographie très intéressante... Je ne suis pas quelqu'un de très liant. Et ça réveille en moi, un gros sentiment de culpabilité : je ne suis pas assez aimable, j'ai envie d'être égoïste". Trondheim d'un bloc, de glace. En choisissant un pseudonyme sortit du congélateur, le dessinateur s'est taillé une identité pareille à une zone blanche. Ces espaces vierges et blancs, Lewis Trondheim s'empresse de les occuper et d'y faire crotter ses petits lapins. Il a une préscience pour ces contrées inaccessibles et glacées, l'album fondateur de son personnage Lapinot ne se déroule-t-il pas dans une Patagonie pour de rire ? D'emblée ce dessinateur plante ses petits drapeaux dans des univers décalés ou parodiques. Lapinot détale dans des images connues, référencées, et les contamine délicieusement d'une myxomatose de fantaisie : films de cape et d'épée, western de carton-pâte, décors 1900 ou délicieuse bonbonnière sentimentale ("Vacances de Printemps" sur un scénario de Frank Le Gall)
Des yeux bleus et tétus dans un visage pâle, blondi par une barbiche de génie nordique, l'accent qui traîne, le mot-canif caché dans des buissons de gromellements, un calme en faux plat, Lewis Trondheim est considéré comme un auteur montant. Son style est devenu tout aussi identifiable que difficilement copiable. Son Lapinot fréquente désormais la luzerne bien grasse d'un grand éditeur, Dargaud, et y fait des petits florissants. Les sourires de Guy Vidal, l'un des papes éditoriaux de l'éditeur, auront converti cet introverti : " C'est mon papa, même s'il ne le sait pas", s'arrache-t-il d'un aveu bougon. Les éditions Delcourt ont également pu l'amadouer: il a formé la dream-team de l'année avec son copain Joann Sfar, son frère d'exact contraire, ouvrant et fermant 1998 avec les deux tomes de Donjon, drolatique parodie des chansons de gestes et des jeux de rôles. La presse l'apprécie comme Libération ou Les Inrockuptibles qui durant une année ont publié ses strips de fausse actualité et de vraie intimité chahuttée par ses enfants, ses gamberges, ses perplexités fatiguées d'avance. Il collaboreégalemnt au service Internet de la Côte Desfossés... La pub également, de France Télécom à MK2, a repéré son style de cartoon.D'où vient cette fortune providentielle ? Son dessin ne fait peur à personne. Il n'aime pas l'excès, répond à une mentalité graphique minimaliste, ne chute pas dans le drame. Lewis Trondheim est un dessinateur centriste. Pas nombriliste, mais centriste.
Fontainebleau, l'enfance et l'adolescence ne restent pas en lui comme des madeleines.Il s'y sera excercé à l'ennui, du plus loin qu'il s'en souvienne. Ennui de futur conquérant. Mystérieusement : "Mon esprit créatif est né de l'adolescence où je ne faisais rien, strictement rien...mais quand on ne fait rien, on réfléchit, on ne fait que ça..."
L'adolescence terminée, ce fut la quille : Laurent Trondheim lacha ses lapins comme d'autres leur démons. Les lapins de Lewis Chabosy ressemblent à de grandes chaussettes de hold-up, dissimulant de drôles de bipèdes. Totem de son oeuvre graphique, le lapin est accompagné d'une ménagerie qui tient de la peluche d'enfance, avec des raisonnements de jeune homme. Comme un Hitchcock zoolâtre, Trondheim se figure lui-même en aigle, un aigle fatigué qui se ballade de Blacktown en Aventures de l'Univers.
Mais un détour dans le temps est nécessaire : le premier opus, publié en 1990, s'appelle "Psychanalyse" et n'a rien à voir avec les lapins. C'est un mince livret qui peut se lire comme son permis de dessiner. Avec un style qui rappelle les petits théâtres minimaux d'un Copi, on voit une grosse amibe confrontée au feu roulant des questions de son psychologue. Mutique, le personnage informe finit par craquer au fil des cases, les folles loghorrées succèdent au tir de mots automatiques. Ce qui frappe le plus c'est la maîtrise de la petite mécanique du rire.
En 1987, Lewis Trondheim rencontre Jean Christophe Menu, un ours talentueux qui anime un fanzine intitulé Lynx. Les deux larrons créent en 1990, avec quatre autres jeunes auteurs, L'Association, une structurette éditoriale et expérimentative, mi-albanie mi-Bédéland. Leur revue se nomme Lapin... " Notre génération n'a pas participé à l'épopée des canards de BD, Pilote, Charlie, Métal Hurlant... J'ai dessiné directement pour la presse. Aujourd'hui l'Association évolue un peu sans moi, mais je me sens cofondateur d'un mouvement dans la bande dessinée".
Avec Menu, Trondheim tente son "Moins
d'un Quart de Seconde Pour Vivre". Cette bande dessinée préfigue
"L'OuBaPo" (OUvroir de BAndes dessinées POtentielles), expérience
lancée par Menu sur les traces littéraires de de l'OuLiPo
des Queneau, Vian ou Pérec.
Cette bande dessinée ce présente
sous la forme de 100 strips réalisés par Trondheim à
partir de 8 cases imposées au départ par JC Menu. Typique
de la production Trondheimmienne, il enchaîne la même année,
une série d'opus intitulés "Un Intérieur d'Artiste",
puis enquille deux petits albums, "Monolinguistes" et "Imbroglio", avant
de faire tomber son pavé majeur, "Lapinot et les Carottes de Patagonie",
500 pages qui devraient donner une indigestion au pplus fervent des cuniculiculteurs.
"Lapinot est apparu comme ça, d'un jet. J'en mange régulièrement,
je me fous des lapins... Celui-là , quand même,
me pose des problèmes: il est encore un peu neutre, en retrait...
Dans cette série, j'alterne les parodies avec des aventures plus
comtemporaines, notamment celle de Lapinot et de sa copine Nadia. Avec
elle, je ne désespère pas qu'il évolue un peu."
L'autre caractéristique de Lewis
est sa grande faculté de reproduction. Il aura publié plus
d'un millier de planches en moins de neuf années. "Je ne sais
pas pourquoi on me colle cette étiquette de Stakhanoviste, j'aligne
mes dix heures de sommeil !" Et travaille "vite et beaucoup grâce
a un dessin rapide" cinq heures de rang, samedi et dimanche compris.
Ricane d'un trait : "En fait , je fais figure d'exception parce que
les autres sont des feignants !". Lorsqu'on lui cherche une parenté
graphique, il baisse les oreilles. Macherot ? Copi ? Petit Roulet ?"Je
suis un autodidacte qui a mis au point un style minimaliste: on fait avec
ce que l'on a. Mon parti pris est de ne pas faire ce que je ne sais pas
faire. Je me définis comme de l'école des feignants élégants.
Mon dessin se fige un peu avec les années mais il ne sent pas la
sueur, Monsieur !" Ronchonne un peu : " Je ne suis pas satisfait
de mon trait, mais je m'en contente. Ce qui me plaît le plus c'est
de crayonner l'histoire. Ensuite la réalisation va vite. Je serais
dégoûté si je passais une semaine par planche..."
Ca sera donc une journée. Toujours cette mémoire de l'ennui.
Lewis Trondheim est également scénariste.
"J'aime bien écrire des scénarios pour les autres, il me
tiennent lieu de psychanalyse !" s'amuse-t-il. Il imagine actuellement
des strips pour Jochen Gerner intitulé "Le Château Céleste"...
Lewis a aussi écrit "Gare Centrale" dessiné par JP Duffour:
"C'est devenu une curiosité pour moi: En 1990, je ne dessinais
pas. Duffour a mis 4 années pour réaliser l'album, même
si j'aime beaucoup cette histoire, j'ai ressenti comme un décalage
un peu curieux... Depuis également, je ne prends plus de train,
j'ai mal au coeur, on ne peut ni lire, ni dessiner." Après Lapinot,
il anime Herbert, le canard tendrement couillon. "Graphiquement
il est blanc dans la page, psychologiquement c'est Donald qui a mûri."
cerne-t-il. Après avoir vécu deux années dans le Vaucluse
en rase campagne, Trondheim s'est installé à Montpellier.
Les lapins s'aèrent au soleil, dans les odeurs de thym et "une
ambiance assez jeune". Petit bourgeois de la planche ? " Ca veut dire
quoi ? Si c'est gagner 15.000 FF par mois en moyenne et être propriétaire
d'une maison c'est tout moi. Si c'est avoir des convictions de droite c'est
pas moi...Je suis casanier, j'ai besoin de me fixer, j'y trouve mon équilibre...J'ai
commencé très tard dans ce métier... Mais il ne faut
pas croire, c'est un murissement réfléchi. Je suis toujours
sur la corde raide. La série c'est un sacré piège
pour les dessinateurs de bandes dessinées. On est tenté de
vivre sur ses acquis, l'espérance de vie de carrière est
réduite dans le monde de la BD, il y a très peu de dessinateurs
âgés qui sortent encore de bonnes choses. Des créateurs
comme Eisner ou Giraud s'en sortent car il sont curieux de tout."
A force de surpeupler la planète
de ses lapins ne craint-il pas la censure ? "Lorsque j'ai travaillé
pour le journal Spirou , sur 13 planches ils m'en ont refusé 3.
C'est le genre de choses qui ne plait à personne... Moi, j'ai l'impression
que je m'auto-censure suffisament comme ça. Pour l'instant,
il n'y a pas de sexe dans Lapinot. Moi, je n'ai pas besoin de parler cul
pour parler social ! Il y a de bonnes choses à réaliser
dans la BD porno. Je ferai peut-être ça un jour..." envisage-t-il
songeur. En attendant , il a torché "Monstrueux Bazar", une jolie
histoire pour ses enfants et tant qu'à faire ceux des autres, songe
à d'autres histoires d'animaux avec Joann Sfar (comme Crépuscule,
la série en alternance avec Donjon), relance sa peluche à
grandes oreilles dans d'autres tribulations où l'innoncence et l'humour
tiennentla dragée haute à un monde d'imbéciles. C'est
une drôle de myxomatose qui vous contamine gentillement: on a tous
quelque chose de Trondheim.
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