5 septembre 2000

Vous avez remarqué l'éclairage aujourd'hui ? Les longues ombres, le soleil bas sur l'horizon, ce ciel bleu parsemé de boules de coton grises à bordure argentée... Et oui, c'était un ciel d'automne. La fraîcheur du fond de l'air ne contredisait pas cette impression. Ce qui est surprenant par contre, c'est la rougeur des feuilles qui est encore à peine perceptible, à tout le moins dans la région où je suis allé me balader en voiture cet après-midi.

Une de mes collègues de travail m'avait parlé au début de l'année d'une petite rivière dans la région de l'amiante où l'on pouvait prendre des bains d'argile. J'avais essayé de trouver l'endroit une première fois au mois de mars mais n'y était pas arrivé, les indications qui m'avaient été données étant trop ambiguës. Ma collègue m'ayant récemment fournis des indications supplémentaires, j'ai décidé que la journée était idéale pour faire une seconde tentative. J'ai donc pris plaisir à rouler par les petites routes de campagnes et à profiter pleinement des merveilleux paysages ruraux. La rivière elle-même fut plutôt décevante, mais je me consolai en mangeant quelques poignées des délicieuses mûres qui poussaient ça et là le long du sentier qui y menait.

Comme vous devez maintenant le savoir, de longues réflexions accompagnent toujours mes balades en voiture. Celle-ci ne fit pas exception. Mes pensées étaient plutôt égocentriques au début. Je pensais surtout à mes questionnements existentiels, à tout ce qui m'arrive sur le plan émotionnel, à mes états d'âmes changeants et désagréables, à toutes les questions que je me pose depuis des mois, voire des années, sans trouver de réponse satisfaisante, sans trouver ce qui cloche avec moi, sans savoir ce qui ne va pas et comment retrouver le plaisir de vivre, l'insouciance du quotidien.

Une fois arrivé dans la région de Thetford Mines cependant, mes réflexions ont bifurqué vers des concepts un peu plus universels. Je regardais ces immenses piles de résidus miniers, grosses comme des montagnes, éparpillées un peu partout dans le paysage, et ces flancs de montagnes grugés et désagrégés, sans parler de ces trous béants dans la croûte terrestre, comme si des mâchoires gigantesques en avaient arraché une immense bouchée. Je me suis mis à penser à la façon dont la race humaine se comporte, à sa manière d'exploiter à outrance et sans retenue les ressources naturelles, de manger vivante cette planète qui est pourtant indispensable à notre survie.

Ce n'est pas tant les cicatrices que nous laissons sur la terre qui me préoccupent. Bien sûr, ces kilomètres carrés de terres agricoles épuisées et brûlées par la surexploitations, ces forêts dévastées par la coupe à blanc, ces déserts qui ne cessent de s'agrandir et ces trous de mines aussi grand que des impacts de météorites sont désolants à voir, mais notre planètes s'inflige elle-même de bien pires blessures par l'entremises de catastrophes naturelles telles les ouragans, tornades, tremblements de terre, raz-de-marées et éruptions volcaniques. Lors de la dernière glaciation, le Canada au grand complet fut complètement recouverts de plusieurs kilomètres de glace pendant des milliers d'années, ce qui a eu pour effet d'y éradiquer toute forme de vie, rien de moins. Voilà seulement quinze mille ans que les glaciers se sont retirés de l'Amérique du nord (à peine le temps d'un clin d'oeil sur le plan géologique), et pourtant il est aisé de constater l'immense diversité de formes de vie qui ont tôt fait de repeupler ce territoire jadis recouvert par les glaciers.

Non, ce qui m'inquiète, c'est plutôt la réflexion suivante.

Qu'est-ce que le cancer ? Une multiplication incontrôlée d'un groupe de cellule au sein du corps. Ces cellules forment des masses qui grossissent, déplacent et compressent des organes vitaux, endommagent les tissus environnants, obligent le corps à produire des vaisseaux sanguins pour les alimenter en oxygène, lancent des métastases qui finissent par se répandre de façon désordonnée à travers tout l'organisme.

Il n'y a que deux issues possibles à l'évolution d'un cancer. La première est que l'on réussisse à l'éradiquer, auquel cas le cancer meurt, évidemment. La seconde est que le cancer progresse jusqu'à tuer son hôte, ce qui ironiquement entraîne également le cancer dans la mort.

Vous voyez donc que peu importe l'issue du combat, le cancer est condamné de toute façon.

Et c'est bien cela qui m'inquiète.

Parce que le cancer, c'est nous.

Vous ne voyez pas l'analogie ? Ne sommes nous pas une race qui nous multiplions et nous répandons à outrance, et ce indistinctement dans tous les recoins de la planète, transformant et modifiant sans discernement notre environnement pour satisfaire nos besoins, exploitant jusqu'à épuisement toutes les ressources de la terre tout en l'empoisonnant avec nos déchets de toute sorte ?

Le cancer n'a que deux options possibles. Mais nous, en tant qu'êtres conscients, doués d'intelligence (en théorie), capables d'anticiper les conséquences de nos choix, nous en avons une troisième.

Celle de faire le choix, de prendre la décision consciente et collective de cesser de nous comporter comme un cancer.

Espérons seulement que, en tant que race, nous réussirons à acquérir suffisamment de sagesse pour prendre cette décision avant qu'il ne soit trop tard.

Bon. J'ai trop philosophé ce soir. Je vais aller faire dodo tiens.


[jour précédent] [retour] [jour suivant]