13 mai 2001

J'ai reçu hier un courriel qui m'a beaucoup blessé, d'autant plus qu'il me venait d'une de mes lectrices préférées, qui me lit depuis le tout début de mon journal. Nos échanges ont toujours été très cordiaux. Son optimisme et sa joie de vivre m'ont souvent aidé à reprendre espoir, reprendre confiance en la vie durant mes nombreux "downs" de la dernière année.

Voilà pourquoi j'ai été si surpris de recevoir ce message. Le ton en était si inhabituel, si différent de ce qu'elle m'a toujours fait parvenir par le passé que j'aurais sincèrement pu croire qu'il avait été écrit par une autre personne.

Sans entrer dans les détails du contenu, afin de préserver son intimité, je dirai cependant qu'elle me reproche, entre autre, de ne pas vouloir la laisser entrer dans ma vie parce qu'elle ne veut pas m'offrir d'échange à caractère sexuel.

Cette affirmation m'a profondément choqué. Sur le coup, toute sorte d'émotions se bousculaient en moi: colère, déception, tristesse... Pourquoi lance-t-elle ce genre d'accusation à mon endroit ? Est-ce parce que je n'ai pas encore donné suite à son invitation à communiquer avec elle par téléphone ? Est-ce une forme de jalousie à cause de l'attention particulière que je porte à Jeune Lectrice ces temps-ci ? Est-ce à cause de cette autre lectrice avec laquelle j'envisage la possibilité d'avoir une aventure ? Je n'en sais trop rien. À l'heure où j'écris ces lignes, je n'ai pas encore répondu à son message, et je ne sais pas encore quand je le ferai. Je n'aime pas du tout la saveur de chantage émotionnel qu'il contenait. Par contre j'aime beaucoup cette lectrice, et je n'ai vraiment pas envie de couper les ponts avec elle.

J'ai pensé à cela tout l'avant-midi hier. Je n'avais vraiment pas envie de voir naître une compétition malsaine entre lectrices, ni de commencer à mesurer, à soupeser avec grand soin mes mots dans ce journal pour ne pas froisser les susceptibilités individuelles de telle ou telle correspondante. Mon journal est actuellement l'endroit où je me sens le plus libre d'être moi-même, d'être qui je suis. Et je ne veux absolument pas être obligé de faire attention à ce que je dis, aux personnes dont je parle ici.

Merde, tout ça ne sort pas exactement comme je le voudrais. Tant pis, je continue.

Bref, j'ai eu encore une fois envie, si les choses étaient pour tourner au vinaigre de cette façon, de tout foutre en l'air: correspondance, journal, tout.

Est-ce vraiment ce qu'elle pense de moi ? Combien d'entre vous pensez la même chose ? Est-ce cela que je suis à vos yeux ? Un pauvre looser en manque de cul qui étale sa vie pathétique sur le Net dans l'espoir qu'une lectrice finissent par lui offrir une baise parce qu'elle a pitié de lui ?

Et puis elle a finalement réussi à me faire douter de moi. Et si c'était vrai finalement ? Et si la seule raison pour laquelle j'écris ce journal, c'est d'attirer éventuellement des femmes dans mon lit, ou à tout le moins de me faire des cyber-amantes ? Serais-je réellement rendu si bas ?

C'est vrai qu'il y a une dimension sexuelle à mes échanges avec plusieurs de mes lectrices, mais pas toutes ! Et dans beaucoup de cas, ce volet sexuel est apparu non pas sur mon initiative, mais sur celle des lectrices en question. Et puis merde ! Voilà que je suis en train d'essayer de me justifier auprès de mon lectorat dans mon propre journal, chose que je ne voulait jamais avoir à faire.

Pourquoi ai-je toujours été obligé de me justifier toute ma vie chaque fois que j'ai demandé un peu d'affection, de tendresse et de sexualité ? Est-ce donc si difficile à comprendre que ces choses me manque énormément, et que j'en ai été privé pratiquement toute ma vie ? Qui a-t-il de mal à simplement vouloir vivre cette vie que toutes celles qui me jugent prennent pour acquise, parce qu'elles n'ont qu'à tendre le bras pour toucher la chaleur et la tendresse de leur conjoint près d'elles ?

Le Net n'est pas différent de la vie de tous les jours. Vraiment pas.

Je ne serai pas trop sévère envers cette lectrice. Mais elle doit comprendre que toutes celles qui m'écrivent ne peuvent pas devenir automatiquement ma lectrice préférée, ce qui ne veut pas dire que je ne les aime pas et que je n'apprécie pas leur présence dans ma vie. D'autant plus que je peux comprendre parfaitement ce qu'elle ressent, puisque je vis moi-même quelque chose de similaire avec une diariste avec laquelle j'ai timidement tenté d'entreprendre une correspondance depuis quelque temps. Et j'ai bien compris par la teneur de ses réponses que je ne serai jamais son lecteur préféré, qu'elle ne m'accordera jamais la place que j'aimerais prendre dans sa vie, même si son site est probablement celui qui me touche et m'émeut le plus depuis que j'ai découvert les journaux intimes sur le Net. Cette diariste, j'aurais aimé échanger avec elle pratiquement tous les jours, comme elle le fait déjà avec certain de ses lecteurs. J'aurais aimé pouvoir la rencontrer en personne, où à tout le moins échanger avec elle au téléphone. Mais ça n'arrivera pas, je le sais maintenant et je dois l'accepter, je dois accepter la petite place qu'elle me fait, même si ce n'est pas celle que j'aurais voulu occuper. J'aurais pu moi aussi lui envoyer un courriel lui faisant par de ma profonde déception, de ma tristesse. J'aurais pu essayer de lui faire du chantage émotionnel. Si je ne suis pas prêt à accepter la place qu'elle m'offre, je n'ai qu'à la sortir de ma vie, à cesser de lire son journal, même si c'est l'un de ceux que je préfère.

Je vais répondre à ma lectrice. Je ne sais pas quand. Je ne sais pas encore le ton que j'adopterai dans ma missive. Mais nonobstant tout ce qu'elle m'a dit, je l'aime toujours. Je vais essayer de comprendre ce qu'elle ressent.

Son courriel n'est peut-être pas le fruit du hasard. Il est peut-être arrivé pour me forcer à contempler ma propre attitude face à cette diariste dont je parle plus haut.

Rien n'arrive sans raison, finalement.


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