Colloque du 3 décembre 1999:

URGENCES, MÉDECINE ET DROIT

Propos d'introduction

Par Michel de GUILLENCHMIDT

Professeur des facultés de droit

à l'Université René Descartes Paris V

Avocat à la Cour

Parce qu'il était le " sachant ", le médecin a longtemps dirigé le patient en lui imposant de se conformer à ses décisions. Mais une nouvelle approche s'est peu à peu développée, dans les dernières décennies et surtout les dernières années, qui donne davantage de place à la volonté du patient, lequel demande de'plus en plus de participer aux choix thérapeutiques.

Le droit français a sanctionné cette évolution, tant dans le code de déontologie médicale de 1995, que dans différents actes législatifs et réglementaires ainsi que dans la jurisprudence.

Mais si une place plus importante est désormais faite aux droits du patient, la notion d'urgence obscurcit considérablement le cadre juridique actuel en raison des difficultés pratiques qu'elle suscite. La loi et ses règlements sont imprécis. Quant à la jurisprudence, elle éprouve des difficultés à concilier des préoccupations en partie contradictoires.

Dès lors, quelle doit être l'attitude du médecin lorsqu'il lui faut apprécier -et décider-, dans une situation d'urgence, ce qu'il convient de faire ?

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UN CADRE JURIDIQUE CLAIR, EN APPARENCE. QUI RÉTABLIT LES DROITS DU PATIEN

Celui-ci est déjà depuis longtemps dans une relation contractuelle avec le médecin, même à l'hôpital public, vis-à-vis duquel il se trouve placé en position " d'usager ".

La Cour de cassation, il y a déjà plus de 60 ans, dans son arrêt MERCIER du 20 mai 19361, a posé le principe de la nature contractuelle des relations fiant le patient à son médecin

"Il se forme déclara cette haute juridiction, entre le médecin et son client un véritable contra comportant, pour le praticien, l'engagement, sinon, bien évidemment, de guérir le malade, ce qui n'a d'ailleurs jamais été allégué, du moins de lui donner des soins".

En vertu de cette jurisprudence, le médecin n'est donc tenu cependant que d'une obligation de moyens, et non d'une obligation de guérison, qui se traduit par l'engagement du médecin de prodiguer à son patient des soins "non pas quelconques (..) mais consciencieux, attentifs et, réserves faites de circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la science".

Cette formulation a reçu depuis une consécration réglementaire puisque l'article 32 du Nouveau code de déontologie médicale de 1995 dispose que le médecin doit donner des "soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science" .

Toutefois, l'obligation de moyens a longtemps été entendue de façon très souple par la jurisprudence, permettant ainsi de ne pas mettre en cause trop facilement la responsabilité du médecin.

(1) D. 1936, Jur. p. 88, note E. P., rapp. Josserand, concl. Matter.

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A) LA RECHERCHE DU CONSENTEMENT DU PATIENT

La règle est que le médecin doit recueillir le consentement " éclairé " du patient. Elément essentiel de la relation contractuelle liant le médecin à son patient, le consentement de ce dernier est une garantie face au pouvoir médical. Pouvoirs législatif et judiciaire veillent de plus en plus au respect de cette volonté du patient.

La Charte du patient hospitalisé de 1995, dont une première version avait déjà été adoptée en 1974 et qui a pour objet de faire connaître les droits essentiels des patients accueillis dans les établissements publics de santé, énonce notamment:

"Aucun acte médical ne peut être pratiqué sans le consentement du patient, hors le cas où son état rend nécessaire cet acte auquel il n'est pas à même de consentir. Ce consentement doit être libre et renouvelé pour tout acte médical ultérieur,,.

Il ne s'agit cependant que d'une charte, qui n'a donc pas en elle-même de pouvoir normatif, mais une simple valeur de recommandation.

La loi du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain a inséré dans le code civil un article 16-3 qui dispose "Il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité thérapeutique pour la personne. Le consentement de l'intéressé doit être recueilli préalablement, hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle Y n'est pas à même de consentir".

De même, l'article 36 du nouveau code de déontologie médicale de 1995 est sans équivoque: "Ie consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas".

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La Cour de cassation avait d'ailleurs précisé " qu'avant d'entreprendre un traitement ou de procéder à une opération chirurgicale, le médecin est tenu, hors le cas de nécessité, d'obtenir le consentement libre et éclairé du malade ou, dans le cas où il serait hors d'état de le donner, de celui des personnes qui sont investies à son égard d'une autorité légale, ou que leurs liens de parenté avec lui désignent comme des protecteurs

naturels "

Dans le cadre de la relation contractuelle qui unit le patient au médecin, Le consentement constitue donc une condition indispensable à la formation de ce contrat.

B) L'OBLIGATION DINFORMATION DU MEDECIN

Il faut donc une information du patient qui doit être, selon la jurisprudence, "simple intelligible et loyale pour permettre au malade de prendre la décision qu'il estime s"imposer" (3)

D'après l'article 35 alinéa lier du nouveau code de déontologie médicale, "tout médecin doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne ou qu'il conseille une information loyale, claire et appropriée".

Concernant le devoir d'information du médecin. on a assisté à un véritable nt de -jurisprudence.

Traditionnellement, celle-ci considérait que c'était au patient d'apporter la preuve de l'inexécution de ce devoir par le médecin. Or, par un arrêt du 25 février 1997, la 1 ère chambre civile de la Cour de Cassation, dans sa formation plénière, a remis en cause cette solution, en affirmant qu'il incombait au médecin de prouver qu'il avait exécuté son obligation d'information.

(2) Cass. Civ., 8 novembre 1955, J.C.P. 1955, 9014, note Savatier.

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L'arrêt ne précise pas toutefois les moyens pouvant être utilisés par le médecin pour apporter cette preuve. Cette précision est apportée par un arrêt ultérieur 4 : la preuve peut être apportée par tout moyen, les juges du fond pouvant se forger leur opinion sur l'existence d'indices graves, précis et concordants.

Il en résulte bien entendu que les modes d'information écrite sont ceux qui apporteront le plus de garanties, mais on sait qu'ils ne sont pas nécessairement aisés à mettre en oeuvre

La circulaire du secrétaire d'Etat à la Santé du 9 avril 1998, en essayant de se fonder sur une analyse méthodique, a pour objet de faire bénéficier les patients d'une meilleure information. Elle pose quatre principes :

- l'information systématique préalable des patients sur le traitement qui leur est proposé;

- l'information systématique des professionnels sur l'état des connaissances scientifiques;

- l'information systématique des médecins prescripteurs en cas de mesure de rappel des produits;

- l'information a posteriori des patients en cas de risque avéré.

Mais cette circulaire ne règle nullement toutes les difficultés.

Le médecin doit ainsi délivrer une double information : d'une part, sur les risques potentiels susceptibles d'être engendrés par l'état du patient et, d'autre part, sur les risques liés aux traitements proposés.

Le praticien doit informer le patient de tous les risques, même ceux qualifiés d'exceptionnels :

(3) Cass. civ. l ère, 5 mai 1981, Gaz Pal 1981, 2, somm. 352. 4 Cass. civ. l ère, 14 octobre 1997, JCP 1997, éd. G, Il. 22942, rapp. Pierre Sargos.

" Hormis les cas d'urgence ou d'impossibilité ou de refus du patient d'être informé, un médecin est tenu de lui donner une information loyale, claire et appropriée sur les risques graves afférents aux investigations et soins proposés il n'est pas Dispensé de cette obligation par le seul fait que

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ces risques ne se réalisent qu'exceptionnellement "

C) LE DROIT AU REFUS DU PATIEN

Le patient a également le droit - de son côté - de refuser la thérapeutique proposée par le médecin. Corrélativement, si le médecin prouve qu'il a convenablement informé le patient, sa responsabilité est alors dégagée en cas d'incident.

L'exigence du consentement éclairé du patient permet en effet à celui-ci l'exercice d'une liberté fondamentale : celle de refuser de subir la moindre atteinte à son intégrité corporelle.

" Y n'est possible ni d'imposer une intervention à un malade lucide, ni de reprocher au malade son opposition ( .. ) à une intervention subjectivement inquiétante, alors qu'il se trouve devant une alternative dont le terme lui paraît insurmontable (..) La seule limite qui puisse être posée à ce principe se situe dans l'excès qui consisterait à refuser des examens et des soins -anodins (6) " .

Le médecin est tenu de respecter ce choix. L'article 36 du nouveau code de déontologie médicale précise que "lorsque le malade. Qu éla d'exprimer sa volonté. refuse les investigations ou le traitement -propoosés, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences"

(5) Cass. Civ. 1ère 7 octobre 1998 ' Castagnet contre Clinique du Parc et autres, J.C.P. 1998, n°43 Actualité p. 1843 ; CA de Besançon, ch. civ. 1 1ère 2 février 1999, Jurisdata no 040608.

(6) TGI Paris, 13 mai 1981, J.C.P. 1982,11, 1987, obs. Chabas.

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Il s'agit là d'une évolution capitale par rapport à ce qu'exprimait l'ancien code de déontologie du 28 juin 1979, en son article 7, qui se contentait de disposer que "Ia volonté du malade doit toujours être respectée dans la mesure du possible "

L'article 5 du nouveau code de déontologie souligne aussi que " le médecin doit soigner avec la même conscience tous ses malades, quels que soient leur condition, leur nationalité, leur religion, leur réputation et les sentiments qu'ils lui inspirent".

Devant un refus ferme et réitéré, le médecin doit donc s'incliner quitte à mettre fin à la relation thérapeutique soit par l'impossibilité de poursuivre les soins en respectant les limites qui lui sont imposées, soit en n'apportant pas sa caution à une décision qu'il n'approuve pas.

Sur ce point, le Conseil national de l'ordre des médecin a précisé que le médecin peut " amener en consultation l'un de ses confrères dans l'espoir d'être mieux entendu et si, en définitive, il n'arrive à rien, Y ne lui reste qu'à se retirer, conformément à l'article 39 du code de déontologie, en s'assurant de la continuité des soins et en fournissant à cet effet tous 7

renseignements utiles au nouveau médecin "

Le code de déontologie indique en effet " hors les cas d'urgence et celui où il manquerait à ses devoirs dhumanité ou à ses obligations d'assistance, un médecin a toujours le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles. S'il se dégage de sa mission, Y doit alors en avertir le patient et transmettre au médecin désigné par celuici les informations utiles à la poursuite des soins ".

7 Attitude du médecin en présence d'un refus de recevoir des soins - Ordre national des médecins, 1969, n° 2, juin 1969 (compte rendu de la 93ème session, pp 192-193.

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Il ne s'agira pas alors d'un refus de la part du médecin d'assister une personne en péril, mais d'une situation où c'est le malade qui refuse le mode d'assistance proposé par le médecin. Le patient exerce en cela son droit à vivre sa propre conception de l'existence.

Par un arrêt du 3 janvier 1973, la chambre criminelle de la Cour de cassation avait déjà déclaré que le refus du patient ne peut être transgressé et qu'en respectant ce refus, le médecin ne commet aucune

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erreur .

De son côté, le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 6 mars 19819, a statué dans le même sens.

Devant le refus obstiné de son patient de recevoir des soins chirurgicaux ou radiothérapeutiques nécessaires au traitement de son état, un médecin avait accepté de ne donner que des soins palliatifs.

La section disciplinaire du Conseil national de l'Ordre des Médecins avait jugé que le médecin- avait commis une faute professionnelle pour n'avoir pas donné à son patient les soins que requérait objectivement son état. Mais, juge du dernier ressort, le Conseil d'Etat a annulé cette décision pour erreur de droit, estimant que le médecin s'était conformé à bon droit à la volonté du patient, -en raison justement du "refus obstiné" manifesté par celui-ci.

Un autre arrêt du Conseil d'État du 29 juillet 199410 pose cependant les conditions et les limites des deux décisions précédentes : le médecin ne doit accepter le refus de soins qu'après avoir mis en ceuvre tous les moyens de nature à faire prendre au patient la véritable mesure des conséquences de son refus.

8 D 1974. 591, note Levasseur. 9 Rec. p. 133.

10 CE, 29 juillet 1994, Rev. dr. san. et soc. 1995. 57, note Dubouis. il s'agit d'un arrêt d'espèce, rendu en formation non plénière : le médecin n'avait pas convenablement informé car son information était ambiguë.

Dans cette affaire, il s'agissait d'une patiente atteinte d'un cancer qui refusait le traitement préconisé. Le médecin n'avait adressé sa patiente à un spécialiste en cancérologie qu'au stade terminal de la maladie. Entretemps, il administrait, selon les termes employés par le juge suprême, des "soins illusoires" à sa patiente. Il a été jugé que ce médecin a commis une faute engageant sa responsabilité. En effet, s'il avait adressé sa patient à un spécialiste, celle-ci aurait pu recevoir une information plus pertinente et appropriée sur les conséquences de son refus. De plus, l'administration de thérapeutiques palliatives avait conforté la patiente dans l'illusion que son état pouvait être, sinon guéri, du moins amélioré. Cette patiente avait donc pu croire que son refus personnel était en quelque sorte cautionné par l'attitude du médecin.

Le médecin n'a donc plus un pouvoir absolu de décision : il doit respecter la volonté du patient, lequel a le droit de refuser l'acte thérapeutique qu'on lui propose. La négociation est donc aujourd'hui au coeur des re ations patient/médecin.

Enfin, une fois que le médecin a accepté le refus de son patient, il est tenu par ses promesses faites. La pratique médicale repose en effet sur une confiance qui ne doit pas être trahie.

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Il - LA SITUATIOLI D'URGENCE MODIFIE CES DONNÉES DE FACON SUBSTANTIELLE, EN RAISON DE DIFFI L

CONSIDERABLES :

Ces données sont modifiées par l'urgence. L'information et le consentement à un acte médical urgent pose inévitablement des difficultés d'ordre matériel. La mise en oeuvre des principes précédemment exposés exige en effet du temps et, en cas d'urgence, la dimension temporelle est nécessairement réduite.

L'article 16-3 du code civil, tel que résultant de la loi du 29 juillet 1994, précise que " le consentement de l'intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle Y n'est pas à même de consentir ".

L'urgence médicale regroupe diverses réalités. Dans le cadre du service des urgences, par exemple, elle correspond non seulement à la nécessité d'agir vite, mais également à une permanence de soins qui n'a rien à voir avec la gravité ou non de l'état du patient.

On parle également d'urgence lorsque le patient, inconscient ou dans l'incapacité de prendre une décision, n'est pas à même de consentir à l'acte médical envisagé par le praticien.

Enfin, le médecin peut se trouver face à une situation d'urgence lorsque, en cours d'intervention pratiquée avec le consentement du malade, il découvre une affection plus grave, qui n'avait pas été diagnostiquée avant. Le facteur temps joue alors un rôle essentiel : attendre, pour prodiguer des soins, l'obtention du consentement du patient ferait courir des risques sur le pronostic vital ou fonctionnel de ce dernier.

Le médecin est seul juge, a priori, du caractère urgent de son intervention.

En l'absence de définition juridique de l'urgence médicale, on retiendra qu'en droit, l'urgence a pour effet de justifier une dérogation à une disposition légale ou réglementaire. Elle permet ainsi aux personnes s'en prévalant de se dispenser d'observer une règle juridique qui, en temps normal, s'impose à elles.

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En droit pénal, par exemple, l'état de nécessité fait disparaître l'infraction. Il faut alors qu'il y ait une nécessité véritable de prévenir un danger réel et que l'intérêt sauvegardé ait une valeur supérieure à celle e de l'intérêt sacrifié.

Le " droit de l'urgence " est, par ailleurs, subsidiaire. Le droit privé et le droit administratif subordonnent ainsi l'effet dérogatoire de l'urgence à la condition que celui qui contrevient à la règle n'ait pas eu la possibilité d'agir suivant les voies normales.

Le droit civil tolère ainsi l'immixtion dans les affaires d'autrui à la condition que cette action soit utile et opportune. Celui qui invoque l'urgence doit se trouver face à une seule alternative : causer un dommage ou laisser se réaliser une menace plus grave.

En droit administratif, l'action doit être indispensable et se révéler immédiatement nécessaire. Lorsqu'il s'agit de recourir à des pouvoirs exceptionnels d'urgence, les dispositions adoptées doivent être strictement proportionnées à la situation, le juge opérant, a posteriori, un contrôle de l'erreur -manifeste d'appréciation.

De la même manière, la jurisprudence tant civil qu'administrative confirme l'effet justificatif de l'urgence en matière médicale. Mais l'urgence ne saurait permettre au médecin de forcer le malade lorsque celui-ci est conscient et lucide. -

Pour être admissible, l'atteinte à la volonté du patient doit être cantonnée dans de strictes limites. Le point de savoir s'il y avait urgence justifiant une intervention est laissé à l'appréciation du juge.

A) LE CADRE JURIDIQUE PARAIT RELATIVEMENT CLAIR

Le consentement du patient doit être recherché dans tous les cas. L'urgence ne dispense donc pas de l'obtention du consentement du majeur conscient, libre de refuser des soins.


 

Toutefois, aux termes de l'article 36 alinéa 3 du code de déontologie, si le malade est hors d'état d'exprimer sa volonté, le médecin ne peut intervenir sans que ses proches aient été prévenus et informés, sauf urgence ou impossibÎlité.

L'article 42 ajoute que le médecin doit s'efforcer de prévenir les parents ou le représentant légal et obtenir leur consentement. S'ils ne peuvent être joints, le médecin, en cas d'urgence, doit donner les soins nécessaires.

En toute hypothèse, si l'avis peut être recueilli, le médecin "doit en tenir compte dans toute la mesure du possible".

Le Conseil National de l'Ordre des médecins a précisé que " si le malade est inconscient et dans l'impossibilité de donner un consentement éclairé, rester inactif irait à l'encontre des prescriptions de l'article 9 du code de déontologie médicale En cas dl'urgence ou d'impossibilité persistante de joindre ses proches, le médecin devra intervenir "

L'article 9 du code de déontologie fait en effet obligation à tout médecin qui se trouve en présence d'un malade ou d'un blessé en péril de lui apporter assistance et de lui fournir les soins nécessaires.

Le médecin est tenu d'une obligation légale : il encourt d'ailleurs des sanctions pénales, s'il s'abstient d'intervenir, pour non-assistance à personne en danger. L'article 223-6 du code pénal prévoit une condamnation égale à cinq ans d'emprisonnement et 500 000 francs d'amende à l'encontre de " quiconque s'abstient volontairement de porter à une personne en péril l'assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours "

 

Commentaire du code de déontologie médicale, éd. 1996, p. 150.

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La jurisprudence - sur ces questions, il est vrai, fort délicates - ne parait pas encore totalement stabilisée, comme le montre la position récemment adoptée par la Cour administrative d'appel de Paris à propos de la mise en jeu de la responsabilité de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris dans deux affaires :

- une transfusion effectuée en urgence contre la volonté claire du patient, lequel est ensuite décédé ;

- une transfusion également pratiquée contre la volonté du malade lors d'une intervention chirurgicale.

Dans deux arrêts en date du 9 juin 1998 (12) cette Cour a ainsi rejeté les demandes de dommages et intérêts formées par les requérantes en réparation du préjudice moral subi en raison des transfusions sanguines pratiquées contre leur gré :

"l'obligation faite au médecin de toujours respecter la volonté du malade en l'état de l'exprimer (..) trouve (..) sa limite dans l'obligation qu'a également le médecin, conformément à la finalité même de son activité, de protéger la santé, c'est-à-dire en dernier ressort, la vie elle-même de l'individu

(..) par suite, ne saurait être qualifié de fautif le comportement de médecins qui, dans une situation d'urgence, lorsque le pronostic vital es en -jeu et en l'absence d'alternative thérapeutique, pratiquent les actes indispensables à la survie du patient Proportionnés à son état fût-ce en pleine connaissance de la volonté préalablement exprimée par celui-ci de les refuser pour quelque motif que ce soit".

Ces arrêts rappellent ainsi les conditions d'application de l'urgence.

L'acte réalisé en raison de l'urgence doit avoir pour objectif de prévenir un danger actuel et réel pesant sur le pronostic vital ou fonctionnel du patient et non d'empêcher un risque futur.

(12) CAA, 9 juin 19998, Mme Donyoh et Mme Senanyake, RFD adm. 1998, p. 1231, concl. M. Heers.

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A ainsi été jugée recevable l'action en responsabilité intentée contre un chirurgien pour avoir, au cours d'un accouchement par césarienne, procédé à une ligature des trompesde fallope sans avoir sollicité au préalable le consentement de la patiente (13)

" Il résulte des propres constatations des juges du fond que le consentement de Mme Delarue n'a pas été sollicité avant cette intervention, alors que celle-ci n'était pas destinée à prévenir un danger immédiat pour sa vie, mais seulement à empêcher un risque futur en cas d'une éventuelle nouvelle grossesse ".

En outre, la nécessité de l'acte doit résulter de ce que nul autre moyen licite n'ait pu être mis en oeuvre Le traitement d'urgence doit être le seul susceptible d'améliorer l'état de santé du patient à l'exclusion de tout autre.

Cette condition est rappelé par la Cour de cassation dans un arrêt du 7 octobre 1998 (14 ):

" la cour d'appel, 'statuant par motifs propres ou adoptés, a constaté, d'une part, qu'eu égard au caractère évolutif de la gonarthrose dont était atteint M. Rozec et à l'échec de tous les traitements antérieurs, l'opération qu'il avait subie était indispensable et seule de nature à améliorer so

état, d'autre part, que cette intervention avait effectivement abouti à l'amélioration escomptée ".

En cas d'urgence, l'intervention chirurgicale ou l'administration d'une thérapeutique relèvent, de la seule décision du médecin. La responsabilité et le discernement de celui-ci jouent alors pleinement.

(13) Cass. Civ. 1ère 11 octobre 1988, J.C.P., G, 1989, n° 46,11, 21358, note Dorsner-Dolivet.

(14) Cass. Civ. 1"", 7 octobre 1998, J.C.P., G, 1998, n° 45/46,11, 10179, p. 1959, note Pierre Sargos.

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B) MAIS, EN RÉALITÉ, LA QUESTION RESTE COMPLEXE

Le médecin doit d'abord apprécier ce qu'est un état ne permettant pas d'exprimer sa volonté. Or, cette appréciation peut être difficile : qu'en est-il de l'apparente lucidité d'un blessé choqué dans un accident de la route ou d'une personne âgée traumatisée par un accident ? Que faut-il faire en présence de faits nouveaux découverts après que le patient ait perdu conscience ?

A titre d'illustration, prenons le cas d'un patient ayant formellement refusé, avant son opération, de subir une transfusion sanguine. Durant l'intervention chirurgicale, alors que le patient est inconscient, le médecin estime qu'il y a un fait nouveau dont il n'a pas pu auparavant informé le patient. Quelle doit être son attitude?

Comme nous l'avons vu précédemment, normalement, il convient de recueillir l'avis des " proches ". Le code de déontologie médical utilise également les termes voisins de " parents ou représentants légaux " ou encore " d'entourage ".

Lorsque le patient est un mineur ou un majeur protégé, la notion de proches ne pose pas de difficultés, les parents ou le représentant légal étant juridiquement identifiables.

Le problème est en revanche plus délicat lorsque le patient est majeur. L'Ordre national des médecins considère que le médecin doit communiquer avec un interlocuteur choisi en fonction des circonstances. Rien ne semble donc s'opposer à ce que le médecin choisisse non seulement un membre de la famille du patient (conjoint, enfants, parents), mais aussi une personne " proche " au sens littéral (concubine).

Mais alors quelle valeur déterminante donner à cet avis, alors que le mandat donné à ces proches est rarement explicite ?

Faut-il, par exemple, privilégier - sans connaître a priori le patient - la position d'une mère très pieuse qui refuse l'acharnement thérapeutique ou celle, à l'inverse, du père libre penseur pour lequel la foi dans le progrès justifie à n'importe quel prix l'acharnement thérapeutique, quitte à ce que le patient reste en vie mais handicapé... ou affecté d'une hépatite C ?

Lorsqu'un chirurgien, lors d'une intervention s'aperçoit que les lésions sont autres que celles qu'il avait initialement supposées, comment doit-il agir? La jurisprudence semblait partager entre l'obtention d'un nouvel accord du malade après son information ou la poursuite de l'intervention chirurgicale, si cette solution comportait moins de risque pour le patient.

En 1953, le Tribunal de Grande Instance de Nîmes avait ainsi jugé que " le chirurgien qui se trouve en présence d'une difficulté qu'il n'a pas prévue doit, dès lors que l'opération elle-même n'a pas cessé de garder son caractère de nécessité et d'urgence, la poursuivre en s'appliquant à parer à la complication imprévue avec toutes les ressources de son art Cette règle ne peut être appliquée qu'autant que l'opération elle-même (15)

s'impose et ne souffre pas d'être différée "

Quant à la Cour de cassation, elle avait précisé que " si aucune raison médicale ou technique ne s'oppose à sa remise, il est du devoir du chirurgien de différer une telle intervention pour révéler au patient les conséquences graves qu'elle doit entraîner et qui n'ont pas été 16 envisagées et obtenir son consentement en connaissance de cause " .

Depuis lors, de nombreuses décisions ont retenues la responsabilité du chirurgien qui a pris l'initiative de pratiquer une intervention chirurgicale différente de celle à laquelle avait initialement consentie le patient alors qu'il n'existait aucune " nécessité évidente " ou " danger immédiat " et que l'opération pouvait être différée sans danger pour le patient.

 

(15) TGI Nîmes, 20 octobre 1953, J.C.P. 1954,11, 8222, note Clavel. 16 Cass. Civ. 27 octobre 1953, D 1953, p. 658.

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Ainsi, dans des affaires concernant la réalisation d'une hystérectomie 17 et d'une ligature des trompes (18) sans le consentement des patientes, après des accouchements par césarienne, la jurisprudence a rappelé que

" Voient leur responsabilité professionnelle engagée le chirurgien ayant pratiqué une intervention différente de celle prévue et le médecin traitant ayant assisté à cette intervention. ( .. ) alors qu'il n'existait aucune nécessité évidente ou danger immédiat ".

Dans un arrêt du 22 novembre 199419, la Cour d'appel de Bordeaux a également souligné que:

" En prenant délibérément le risque d'administrer à une patiente arrivée en salle d'opération dans un état d'énervement et d'anxiété certain, des produits anesthésiques surdosés susceptibles d'entraîner son décès, alors même que l'intervention chirurgicale prévue (modification d'orientation du gros orteil) n'était pas indispensable à la sauvegarde de sa vie, et pouvait donc être différée sans danger, un médecin anesthésiste commet une faute entraînant son entière responsabilité dans le décès de la malade consécutif à ce choix thérapeutique ".

L'intervention du médecin peut être le fruit du hasard ou bien encore d'un appel au secours de la victime. Bien souvent, et notamment au service des urgences des établissements hospitaliers, le médecin ignore l'identité de la victime, ou celle de ses proches. Il effectue alors librement les soins qui s'imposent, l'urgence le dispensant de respecter les règles juridiques qui, en temps normal, s'imposent à eux. Les praticiens doivent TOUT faire cependant pour ne pas utiliser la notion d'urgence, dont ils sont seuls à déterminer la nature et la portée, pour contourner les règles relatives au consentement.

(17) CA de Pau, 1ère ch.,24 juin 1993, JurisData no 045706; CA de Pau, 1ère ch., 12 février 1997, JurisData no 040245.

(18) CA de Dijon, 1ère ch., 19 décembre 1990, JurisData no 051660. 19 CA de Bordeaux, 22 novembre 1994, 5è ch., JurisData no 049777.