C'était un 11 Août...

Le Mercredi 11 Août 1999 pour être précis. Cette date commençait à me trotter dans la tête depuis un sacré bout de temps. Sept ans auparavant, lorsque j'avais lu un livre sur les éclipses édité en 1992, j'avais remarqué cette date, en gras sur la liste des "prochaines éclipses de Lune et de Soleil". Il y avait exactement dans la colonne "Soleil" : 11/08/99 : Totale, visible en France.

J'étais un peu déçu de ne voir qu'une seule éclipse totale de Soleil visible en France sur toute la liste (prédisant les éclipses de 1992 à 2004), ne sachant pas à l'époque que le phénomène est extrêmement rare sur une partie donnée de la planète. Je ne savais pas non plus qu'il fallait se déplacer au nord de la France pour la voir totale à 100 %. J'espérais la voir depuis chez moi. Malheureusement, habitant la Vienne, je n'aurais vu qu'une partielle à 92 % ce jour-là. Pour voir une "totale" chez moi, j'aurais dû naître vers les années 1950. J'aurais alors pu admirer l'éclipse totale du 15 Février 1961 qui était bel et bien totale dans ma région. Mon voisin, lui, l'avait vu. Il m'a raconté que ce jour-là, il venait d'embaucher pour travailler chez un voisin du quartier. Il devait être 8 h 00 du matin quand le Soleil s'est éclipsé. " D'un coup, il a fait nuit, alors que le Soleil venait à peine de se lever ! " m'a-t-il dit. " Ça a bien dû durer une minute... ". Mes parents aussi l'on vu cette éclipse. Habitant respectivement les Deux-Sèvres et la Charente, ils se souviennent tout deux de l'avoir observé étant enfant. Cette éclipse, la deuxième totale visible en France en ce XXème siècle, avait traversé tout le sud de la France, en passant par une ligne Bordeaux - Grenoble. La bande de totalité, très large, s'étendait sur au moins 250 km. Mais je ne suis pas né à cette époque. Je suis né juste à temps pour voir la dernière "totale" du millénaire, celle du 11 Août 1999. Dès 1992 (à 10 ans), j'étais déjà très motivé pour la voir. A cette époque, je n'étais pas encore un vrai passionné d'astronomie, mais regarder le ciel m'intéressait beaucoup. Et les années passèrent... en 1997, ce fut le vrai choc. C'est vers le mois d'Avril que je me décidai à m'acheter un télescope et à lire la revue Ciel & Espace ! Au mois de juillet, la sonde Mars Pathfinder envoyait des images de la planète Mars : passionnant. Au mois d'Août, j'étais sur le plateau de la Nuit des étoiles à Toulouse (cf. compte-rendu intitulé "L'Eclipse"), entouré de grands spécialistes en la matière (Hubert Reeves, etc...) ainsi que de puissants télescopes... Inoubliable !

Mais ce n'est qu'en 1998 que je m'intéressai de nouveau à l'éclipse. En avril, de passage au Palais de la Découverte à Paris, je découvris la première carte de France avec la bande de totalité de l'éclipse du 11 Août 99. C'est là que je compris qu'il faudrait se déplacer. Ce qui n'était pas pour moi un problème... Dans le numéro d'Août de Ciel & Espace, un article présentait l'éclipse, la bande de totalité, etc... J'en savais désormais assez... le compte-à-rebours commençait vraiment.

Durant toute l'année scolaire suivante (1998-1999, mon année de Première), je pensais régulièrement à l'éclipse. Et c'était une véritable obsession. Grâce aux accès Internet au Lycée, je pus me procurer de nombreuses informations sur le phénomène, des images, des conseils, etc... Dès Juin 99, je savais absolument TOUT sur l'éclipse ! Son déroulement, sa trajectoire, sa durée, le danger dû au Soleil, comment la photographier, etc... et ça me servirait beaucoup le jour J !

Déjà, les vacances étaient programmées : nous passerions deux semaines en Alsace (bien au milieu de la bande de totalité), du 31 Juillet au 14 Août 99. Avec mes parents et moi, mon pote Nicolas, lui aussi fort intéressé par l'astronomie et possesseur d'une lunette astronomique. En 1998, nous avions déjà organisé ensemble deux soirées de découverte de l'astronomie dans notre commune, et nous venions de renouveler ça la veille de notre départ pour l'Alsace, le 30 Juillet (avec cette fois-ci plus de monde et plus de moyens). Fin prêts pour l'éclipse, il ne nous restait plus qu'à attendre le jour J, comme de véritables chasseurs d’éclipse…


Le 10 Août, à Metz, j'attends l'éclipse avec mon t-shirt spécialement réalisé pour l'occasion !!


Le 10 Août au soir, nous voilà aux abords du Château de Malbrouk en Moselle, où va se dérouler la 9ème Nuit des étoiles, diffusée en direct sur France 2 ! Auprès du parking, des poneys broutent peinards.


Claude Sérillon et Hubert Reeves, les "stars" de la Nuit des étoiles, quelques minutes avant la prise d'antenne. A droite, le plateau de l'émission dans la cour centrale du château.

Jusqu'au 11 Août, le temps là-bas fut radieux. Les quelques passages nuageux qui traversaient le ciel d'Alsace n'occultaient que très rarement le Soleil. Il faisait chaud, le ciel était d'un bleu superbe. Tout s'annonçait bien pour une superbe éclipse. Sauf à Météo France. Jusqu'au jour de l'éclipse, le serveur vocal de Météo France présentait la météo à 7 jours, et donc à partir du 4 Août, les prévisions pour le 11 Août. D'après eux, ce ne serait pas catastrophique, mais le ciel serait plus chargé que jusqu'alors... Malgré ces prévisions qui se précisaient de jour en jour, je restai optimiste jusqu'au dernier moment...

11 Août 1999. Il est 9 h 00, je me lève le premier dans notre gîte loué pour le séjour. C'est déjà signe d'une jour exceptionnel, vu que cela arrive rarement ! Je sort sur le balcon du gîte et lève le nez au ciel. Je m’y attendais. Le temps est désastreux : nuages gris, pas un rayon de Soleil ni un bout de ciel bleu entre les cumulus. J'en suis maintenant sûr : de tout le séjour, ce fut le jour où le temps fut le pire (même la veille et le lendemain les nuages étaient moins nombreux !). A 10 h 30, tout le monde est presque prêt, j'ai préparé mon matériel, chacun a ses lunettes "spéciales éclipse" en Mylar, et moi mon appareil photo Reflex plus ou moins acheté pour l'occasion pour réaliser des "clichés maison" de l'éclipse.

Nous avions choisi un site idéal pour l’observation de l'éclipse. Sur les hauteurs d'une colline aux alentours de Delhingen, le village où se trouvait notre gîte. Au sommet de la colline accessible par un petit chemin d'ordinaire peu fréquenté, un vieux blockhaus de la ligne Maginot. En grimpant dessus, on avait (par beau temps) une vue imprenable sur les collines et la plaine environnante. Cela n'est pas nécessaire pour bien observer une éclipse totale, mais on a l'avantage de pouvoir voir arriver l'ombre de la Lune depuis l'horizon ouest, et, quelques secondes avant la totalité, de la voir courir sur la plaine à la vitesse de 2850 km/h ! Une vue dégagée sur plusieurs kilomètres permet à l’observateur bien perché de la voir arriver pendant quelques secondes, avant d'être plongé dans l'obscurité totale. Un spectacle paraît-il très impressionnant !

Nous pensions avoir trouvé le site d'observation idéal : isolé de toute agglomération importante, vue dégagée... Et il l'était. On pensait même être peut-être les seuls à l'avoir trouvé ce site génial. En arrivant aux alentours du blockhaus, nous apercevons une dizaine de voitures garées le long du petit chemin. Evidemment, un site pareil ne reste pas anonyme longtemps ! En tout, nous devions être 40 ou 50 personnes à avoir choisi le même site pour observer le phénomène. Et finalement ce n'était pas si désagréable de partager ce spectacle avec d'autres. Je préférais me trouver là avec ces gens intéressés que sur le parvis de la cathédrale de Reims, écrasé par la foule, et risquant d'être ébloui par les lampadaires de la ville au moment de la totalité, et les oreilles cassées par le chant d'une certaine cantatrice qui avait choisi la totalité pour chanter en public, dans le noir ! Cela aurait été insupportable. Nous étions en pleine nature, loin de toute foule et de toute lumière parasite. Si, j’oublie le gars au Quad… En effet sur le site d’observation, il y avait parmi les gens motivés un type accompagné de ses copains qui frimait avec son Quad. Un engin bruyant, polluant, et surtout indésirable sur le site d’observation d’une éclipse totale ! Je ne crois pas me souvenir qu’il était dessus au moment de la totalité (et heureusement !). Mais il nous a bien emmerdé pendant la deuxième phase partielle ! Malgré ça, donc, notre site était pas mal du tout. Il y avait plein de vaches dans les environs, mais pas à proximité de notre site. C'est dommage. Nous aurions pu, pendant la totalité, observer le comportement de ces animaux !

L'arrivée sur le site fut marqué par un nouveau venu, qui n'était pas du tout invité de la fête et indésirable de tous : la pluie. C'était la première fois qu'il pleuvait depuis que nous étions en vacances. Et il fallait que ça arrive le 11 Août à 11 h 00 !!

Nous n'avons rien pu faire. Le premier contact (lorsque la lune commence à toucher le bord du Soleil, signe du début de l'éclipse) devait commencer à 11 h 11 min. A cette heure précise, nous sommes enfermés dans la voiture, la pluie tombant à torrent dehors. A la radio, les directs d'envoyés spéciaux ailleurs en la France (à Fécamp, etc...) nous racontent ce qu'ils voient, eux qui comme par hasard ont du Soleil ! C'est ainsi, dans la voiture à écouter la radio, sous la pluie et les nuages gris, que se déroula la première heure de l'éclipse.

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Une vue d'ensemble de notre site d'observation
(et du même coup de la météo...)
Durée de la totalité à cet endroit : 2 min. 14 s.
(selon les méthodes de calcul américaines)

Vers midi, la pluie cesse enfin. Nous sortons dehors pour nous dégourdir les jambes et tenter d’apercevoir le Soleil à travers les nuages. Avec les lunettes à portée de main, nous guettons un désépaississement de la couche nuageuse.

J'avais déjà renoncé à prendre des photos de l'éclipse. Avec le temps qu'il y avait, cela n'aurait rien donné. Et si par bonheur le temps s’éclaircissait pendant la totalité, il valait mieux regarder le court instant magique où la couronne solaire serait visible que de rester fixé sur son appareil photo. Néanmoins mon père avait le petit appareil photo en main, et comptait nous prendre durant l'éclipse. On essayait aussi, malgré les nuages, de saisir la baisse de luminosité au fil de l'éclipse partielle.

Vers 12 h 10, la luminosité en effet a un peu baissé. Ce n'est fort pas spectaculaire à cause des nuages, mais on sent la pression qui monte. Le vent commence sérieusement à se lever.

A l'horizon déjà, il nous semble voir l'ombre de la Lune sur les nuages lointains. Si, si, c'est possible ! Vers 30 à 35 minutes avant la totalité, il suffit de quelques nuages ou d’une atmosphère brumeuse ou poussiéreuse pour espérer voir l'ombre de la Lune se projetant sur ces nuages. Une fine ellipse sombre se profile en effet à l'horizon en direction de l'ouest. Mais il est difficile de dire s'il s'agit de l'ombre de la lune ou simplement d'un nuage sombre étiré à l'horizon.

Nous sommes là à attendre le Soleil lorsque soudain, quelqu'un crie : " Le Soleil ! Regardez le Soleil !! ". D'un coup, tout le monde lève la tête et on aperçoit, à travers les nuages, le fin croissant solaire déjà éclipsé à 80 % ! Sa luminosité était encore trop faible pour qu'on puisse le voir à travers les lunettes. L’œil nu suffisait, et il était sans danger de le regarder directement tant il y avait de nuages. Ces derniers filtraient juste assez pour nous laisser apparaître le croissant du Soleil, comme à travers les lunettes spéciales. Je n'hésite pas à regarder directement aux jumelles, sachant que c'était inoffensif. Rapidement, je laisse les jumelles autour de mon cou pour prendre mes lunettes : cette fois-ci, les nuages ne filtrent plus et le Soleil devient éblouissant.

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Le Soleil apparaît soudain sous la forme d'un disque filtré par les nuages.
J'en profite pour le regarder aux jumelles, entouré de mon père et de Nicolas.

Cela ne dura pas longtemps. Alors que l'éclipse approchait de ses 90 % (à 12 h 25 environ), les nuages repassèrent devant le Soleil et le cachèrent complètement. A cet instant, tout semblait perdu en ce qui concernait l'observation de la totalité. Nous nous rabattons alors sur l'observation de l'ambiance. Autour de nous, la lumière a encore baissé. Il nous semble être sous un gros orage... A ma montre, 12 h 27. A l'ouest déjà, les nuages paraissent bien gris foncé, complètement plongés dans la forte pénombre. La pression monte de plus en plus. Plus que quelques minutes avant la totalité tant attendue... Le silence, quelques chuchotements... J'enlève mon "poncho" qui devait me protéger de la pluie ; il me gênait. L'excitation monte encore. La lumière commence à baisser à vue d’œil ! A chaque seconde qui passe, la luminosité baisse un peu. Cette fois c’est parti ! Le Soleil derrière les nuages devait être éclipsé à 98 ou 99 %. Il est 12 h 30 à ma montre. La totalité est imminente, moins d'une minute. Toujours rien dans le ciel sombre désespérément bouché... La lumière baisse toujours, au point de faire presque nuit. A cette vue, je me dis : " Ça y est, c'est la totalité ! " Je me retourne vers Nicolas pour lui demander ce qu'il en pense, mais je n'en ai pas le temps. D'un coup, sur l’arbuste situé derrière lui, une ombre furtive passe en une fraction de seconde. Puis il fait noir. Vraiment noir, c'est la "nuit". Ça y est maintenant j'en suis sûr, c'est la totalité. Je me retourne rapidement pour espérer voir partir l'ombre de la lune sur les nuages un peu plus loin mais il est trop tard. Elle est déjà à quelques kilomètres de notre lieu d'observation.

L'ambiance est irréaliste : il fait nuit, et pourtant il est midi et demi à ma montre ! Avec ces nuages, la brusque tombée de la nuit ne nous a pas paru très évidente (d'ailleurs les animaux qui ont été observés, paraît-il, ne se sont aperçus de rien), mais cela a quand même été très impressionnant cette tombée brusque de la nuit…

Comme le ciel est toujours bouché, je regarde autour de moi : normalement à l'horizon, on peut voir la limite de la zone de totalité et la partie du ciel hors de la zone. Ainsi, on a l'impression d'assister à un coucher de Soleil à 360°, les régions se trouvant à l'horizon étant hors de la bande de totalité. Malheureusement, les nuages bouchaient le ciel jusqu'à l'horizon, et il était impossible d'apercevoir le moindre bout de ciel entre deux nuages. Il me semblait seulement que c'était un peu plus clair à l'horizon (je dirais plutôt que les nuages étaient moins noirs qu'au zénith). Autour de nous, la plaine a pris des couleurs argentées et bleu sombre. Le ciel a l'aspect d'un ciel bouché lors d'une nuit de pleine lune (donc pas totalement noir), car un peu éclairé par la lumière de la couronne solaire. Nous n'étions pas dans le cas de la voir la couronne à cet instant, tant les nuages étaient sombres et pas un trou dans la couverture nuageuse. Devant moi sur le blockhaus, je regarde aux jumelles les silhouettes noires des observateurs qui s'y étaient postés se découper sur les nuages couleur argent un peu plus clair de l'horizon est. Il y a un flash de lumière à ma droite. C’est mon père qui vient de prendre en photo ma mère et Nicolas avec le flash, en pleine totalité !

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C'est la totalité... Voici la photo dont je parle juste ci-dessus.
Au centre, ma mère, et à droite, Nicolas. Excusez la très mauvaise qualité de l'image,
car à l'origine c'est une diapositive ! Désolé pour les fausses couleurs...

Deux minutes passent... Puis, j'entends soudain des cris de surprise et de joie du côté du petit groupe qui avait déjà vu le premier le croissant solaire. Nicolas, situé plus près d'eux que moi, me cria également : " Sylvain, ici ! Viens voir ! " Je compris rapidement qu'ils apercevaient le "Soleil noir" et la fameuse couronne.

Je me précipite en direction de Nicolas et c'est alors que la couronne apparaît. Entre deux nuages qui avaient crevé miraculeusement, le spectacle alors s'est montré à nous.

A l’œil nu j’aperçois l'énorme lune noire occultant le Soleil, et la magnifique couronne solaire se déployant autour. D'énormes taches rouges vif débordent du disque lunaire : d'énormes protubérances. Sans hésiter une seconde, je porte mes jumelles à mes yeux et admire le spectacle. Ce que je vois est soudain flou, (j'avais fait la mise au point sur les types sur le blockhaus, pas sur l'infini), je fais une rapide mise au point qui ne me convient guère. Je perd une précieuse seconde à retourner la mollette de mise au point jusqu'à satisfaction. Ça y est, l'éclipse totale est bien grossie, droite dans mes yeux.

La couronne, d'une beauté incroyable, se déploie en forme de filaments autour du disque lunaire ; ce sont les "plumes solaires" et les jets coronaux. Je suis tout de suite surpris de ne pas voir la couronne solaire comme sur les photos ou à la télé, mais comme sur un "photo-compositage" que j’avais vu auparavant de l’éclipse totale de Février 1998 en Guadeloupe, où se dessinaient justement très bien ces filaments. C'était d'ailleurs pour montrer une "autre image" d'une éclipse que l'auteur avait réalisé ce "trucage". C’était une photo magnifique. Mais j’ignorais que c’était justement ce qu’on voyait à l’œil nu pendant une éclipse totale ! Quelle surprise géniale !

Je fus surpris quelques semaine plus tard, en parlant de cela à mes parents, qu’ils n’avaient pas ressenti cette impression, et n’avaient pas franchement vu ces plumes solaires telles que moi j’ai cru les voir (comme sur la photo composée de 1998). Peut-être que cela venait du fait qu’ils n’avaient pas vu la couronne comme moi je l’ai vue aux jumelles. Mais tout de même ! Même à l’œil nu j’avais vu ces plumes solaires !

Bref, revenons à l’observation de la totalité…

En même temps que j’observe la couronne, je jure en voyant l'autre merveille du spectacle : les protubérances. Tout autour du disque lunaire dépassent de petits jets de flammes rouge flamboyant. En cette forte période d'activité solaire, il était prévisible d'en voir beaucoup (alors que seules deux ou trois seulement peuvent être visibles en période de minimum d'activité). Mais là on pouvait dire que c'était fleuri ! Des protubérances par dizaines, des petites comme des grosses semblent dispersées tout autour du disque noir de la lune. Jamais je n'en avais vu autant à la fois sur les nombreuses photos d'éclipses précédentes que j'avais récupérées sur Internet en Juin, où l'on voyait effectivement ces fameuses protubérances.

Sur le bord nord-est de la lune, dépasse déjà la chromosphère (basse couche de l'atmosphère du Soleil plus brillante encore que la couronne, d'où s'éjectent les protubérances) qui apparaît sous la forme d'une fin liseré rose autour du bord nord-est de la lune. Sachant que la chromosphère, très fine, n'est visible que quelques secondes après le début, et avant la fin de la totalité, j'ai su tout de suite que la fin de la totalité était proche, et qu'il ne me restait que quelques secondes avant que le Soleil ne réapparaisse.

Sur le disque noir de la lune, je me permets tout de même de prendre le temps d'essayer de voir la "lumière cendrée" de la lune. C'est le faible éclairage de la face de la lune plongée dans la nuit mais éclairée par le clair de Terre ; à cette phase de nouvelle lune, la pleine Terre éclaire fortement la lune ; on peut alors essayer de distinguer les taches sombres des mers lunaires. Mais le disque lunaire est vraiment très noir, et mes yeux ne sont pas encore assez habitués à l'obscurité pour distinguer ces détails peu lumineux.

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L'unique photo de l'éclipse que nous ayons prise !!
(désolé pour la mauvaise qualité, à l'origine c'est une diapo)
Notez la brillance de la chromosphère à l'approche du 3ème contact.
- Photo de Hubert Rivaud (mon père), prise sur l'instant avec un appareil automatique de focale 38 mm et au flash !! (photo recadrée, bien sûr !) -

A ce stade de l'éclipse, la chromosphère réapparaît de plus en plus, au point de devenir éblouissante. D'une seconde à l'autre, les premiers rayons de Soleil vont réapparaître et la totalité se terminer. Instinctivement, je décolle les yeux des jumelles pour ne pas me griller les yeux si le Soleil revient brusquement, puis j'observe la réapparition du Soleil à l’œil nu.

Je ne m'étais pas trompé. Une seconde plus tard, un premier rayon de Soleil réussit à se faufiler entre les montagnes lunaires et nous parvient sous la forme d'un point lumineux un peu éblouissant. C'est le premier "Grain de Baily", appelé aussi le "Solitaire". C’est alors ce qu’on appelle familièrement "l’effet diamant" : un rayon de Soleil éblouissant qui apparaît du disque lunaire alors que l’on voit encore la couronne ! Puis, le Solitaire est immédiatement suivi par d'autres points lumineux apparaissant à d'autres endroits différents sur le bord nord-est de la Lune : nous assistons aux Grains de Baily. Ce phénomène est dû aux irrégularités du disque lunaire qui tantôt cache le Soleil avec ses montagnes et tantôt laisse passer quelques rayons entre les vallées. Ainsi, pendant environ cinq secondes, les grains de Baily apparaissent les uns après les autres, nous éblouissant de plus en plus, et donnant au bord droit de la lune l’aspect d’un collier de perles brillantes. C'est vraiment grandiose ! On a vraiment l'impression que la lune se " décolle " du Soleil, qui réapparaît lentement. C'était le " troisième contact ", la fin de la totalité.

Puis d'un coup, le disque solaire apparut franchement, et nous éblouit. " Les lunettes !! Remettez vite vos lunettes !! " cria quelqu'un perché sur le blockhaus. Je me retourne vers Nicolas et mes parents : il fait jour.

Je cherche rapidement mes lunettes dans ma poche et les porte à mes yeux ; le croissant solaire m'apparaît sous la forme d'un mince liseré. L'éclipse était redevenue partielle à 99 %, telle qu'on l'avait vue à Paris. Très vite, en quelques minutes seulement, le croissant s’épaissit et la lumière revient de plus en plus franchement. Je pense à la chance que nous avons eue de pouvoir voir la couronne solaire avec un temps pareil !

Désormais, les nuages ne cachent plus le Soleil, qui brille fort dans le ciel. Parfois, des cumulus l'occultaient quelques secondes, quelques minutes au plus, mais il réapparaissait souvent. Ainsi, assis sur le bord du coffre de la voiture, nous observons une bonne partie de la deuxième phase partielle. Nous ne manquons pas de faire sauter le bouchon pour fêter l’événement ! Nous avions apporté de la bière (normal, en Alsace !), une bière "éclipse", c'était son nom sur l'étiquette. C'était de la bière noire brassée dans la région. Par contre, le problème fut qu'elle sortait du coffre de la voiture... et elle était chaude. Et de la bière chaude, c'est pas très bon... Malgré ça, nous la débouchons et la buvons dans des gobelets en plastique. Il fallait bien la boire le 11 Août, et en pleine éclipse ! En effet pendant ce temps, la lune continuait son chemin et laissait apparaître de plus en plus de Soleil.

Une bonne heure passe, presque entièrement sous le Soleil partiellement éclipsé. Puis, vers 13 h 30, un gros nuage règle tout une bonne fois pour toutes et le ciel reste ainsi bouché jusqu'à la fin de l'éclipse. Nous ne pûmes donc pas assister au dernier contact, lorsque le disque lunaire quitte définitivement le disque solaire... Cela devait se produire à 13 h 54.

A 13 h 55, nous étions partis du site d'observation pour rejoindre le gîte et aller déjeuner.

En conclusion, on peut dire que nous avons eu du pot de pouvoir voir les 15 ou 20 dernières secondes de la totalité, avec une météo aussi désastreuse !

La météo avait en effet été plutôt capricieuse : certains dans la même région, à moins de 10 km de nous, ont pu assister à toute la totalité, et d'autres pas du tout. A Strasbourg, il paraît que dans certains quartiers toute la totalité a été visible, et 500 mètres plus loin, personne n'a rien vu ! On peut dire que l'éclipse jouait vraiment à cache-cache avec les nuages ! A Bliesbruck en Moselle (à 30 kilomètres à peine de notre site), l'éclipse a été superbe. Les nombreux observateurs venus sur le site ont pu assister à toute la totalité. Le ciel était tellement dégagé qu'ils ont pu voir des étoiles et la brillante Vénus près du Soleil éclipsé ! Tout comme à Fécamp, où le ciel était parfaitement dégagé au moment de la totalité…

Mais nous n'avions rien à nous reprocher. Nous aussi on aurait très bien pu voir toute la totalité, et nous aussi on aurait très bien pu ne rien voir du tout !

Finalement, en y repensant maintenant, cette éclipse a été vraiment superbe. Cette soudaine tombée de la nuit, la couronne, les protubérances, les Grains de Baily au moment du troisième contact ! C'était superbe ! Je crois que ça valait franchement le coup de faire le voyage pour venir voir ce spectacle que ne se reproduira pas en France avant le 3 Septembre 2081 !

Peut-être les gens qui verront cette éclipse (je ne parle pas pour moi - j'aurais 99 ans !) auront un ciel plus clément. En tout cas, cette prochaine éclipse sera plus longue que la précédente, avec une durée de totalité de plus de 3 minutes (contre 2 minutes 18 secondes maximum le 11 Août). Mais quelle que soit la durée d'une éclipse totale, le spectacle reste le même, toujours aussi impressionnant, toujours aussi passionnant... Même celui qui se fiche complètement des éclipses ne peut pas ne pas être ému s'il voit une éclipse totale.

Vous avez raté celle-là (je veux dire : vous n’étiez pas sur la bande de totalité ? Car vous ne pouvez pas ne pas l’avoir vue !). Un conseil : ne ratez pas la prochaine. En tout cas, il faut voir au moins une éclipse totale dans sa vie. C'est le plus beau spectacle de la nature, pensez-y, et en plus c'est gratuit ! Alors rendez-vous en Afrique le 21 Juin 2001 pour la prochaine, ou en Mars 2006 en Libye ou Turquie !

 Sylvain Rivaud,
22 et 23 Août 1999