Qu Taiwan pashan

(aller faire de la montagne à Taiwan)

 

Départ chaotique

Le plan était simple : Laurence et Florent arrivant de Hong Kong à Taiwan en Avion, retrouvaient Gabriel et le guide à l’aéroport. De là on partait directement vers les montagnes du centre sud de Taiwan pour dormir à l’hôtel et attaquer la course le lendemain.

La réalité, comme souvent en Chine paraît il , fut bien différente. Gabriel était bien là à l’aéroport à huit heures du soir, l’heure convenue ; il était venu tout droit de son université en banlieue de Taipeh. Mais le guide n’était pas là. Le plan initial était de gravir la Jade mountain, point culminant de Taiwan à 3952 mètres. Mais on apprit vite qu’il nous était impossible d’aller là bas pour une raison étrange : en raison de l’affluence, il faut d’abord s’inscrire auprès du parc national pour l’ascension. Chaque mois sont tirés au sort les 100 gagnants qui auront le droit d’aller suer sur les pentes de la montagne de Jade. Assez choquant pour des européens : même l’accès à la montagne se joue à la lotterie ici.

Revenons au guide qui n’était pas là au rendez vous. Il avait appelé à la dernière minute pour se faire remplacer par un copain qui ne pourrait arriver que vers onze heures. Va pour une bonne bière dans l’aéroport, à se retrouver et à tester des rudiments de chinois en « live » pour Florent.

Vers onze heures on apprend que le guide ne sera pas là avant minuit. On fait une reconnaissance mais il n’y a que peu d’endroits pour s’allonger. Comme nous allons rouler toute la nuit et tenter de dormir dans la voiture, nous demandons dans notre bar s’il est possible de s’allonger sur les banquettes. C’est si gentiment demandé en Chinois par Gabriel que la serveuse accepte.

Petit roupillon pour Florent dans la smoking room du Chiang Kai Tchek airport

Minuit : le guide appelle et ne sera pas là avant une heure. Nous sommes bien crevés et un peu inquiets à l’idée de démarrer une course juste après une nuit qui s’annonce chaotique. Faut il annuler ? Venant de Hong Kong pour cette ballade, Laurence et Florent veulent s’accrocher. Nous sommes virés du troquet qui ferme. Nous voilà dans une smoking room, ces endroits merveilleux qui ont poussé dans les aéroports ces dernières années. Tout y respire le repos et la sérénité. Allongés entre deux fauteuils, les accoudoirs dans les côtes, nous gagnons un nouveau bout de nuit. Un peu après, notre guide arrive enfin. Les guides car il sont deux. Pourquoi ? Bu Zhidao.

Présentations sèches, à la chinoise. Nous voilà lancés dans un minibus vers le sud de Taiwan. Notre cible de montagne s’appelle Chi Lai Shan. Impossible d’en avoir la signification. Un topo artisanal en Anglais la mentionne en ces termes : « bien  que chi lai shan ait eu le record du nombre de morts à l’ascension, elle n"est pas si difficile » . Bon, essayons de dormir. Nuit merveilleuse pour les jeunes parents en mal de sommeil, bercés par les cahots et les clignotants de la police. Plus rude pour Gabriel qui a le sommeil délicat, et qui va le regretter tout le week end. Heureusement notre guide est un vrai Fangio qui se joue des obstacles et conduit toute la nuit sans accroc.

 

L’ascension

Quelques heures plus tard, nous voici au départ de la course. Petite déception : des hordes de minibus sont là, déversant des taiwanais tous plus équipés les uns que les autres. On se croirait au défilé automne hiver du vieux campeur. Et là nous sommes ridiculisés : le guide vérifie notre matos et râle en s’apercevant que nous n’avons aucune gamelle, pas de duvets, un seul pantalon pour Florent, pas de frontales, pas ce ciré pour gabriel. «  shenme dongxi mei you ! » (toutes les choses, vous n’avez pas). Nous avons compris notre guide. Laurence nous console en exhibant les fondamentaux qu’elle n’a pas oubliés : rosette de lyon, copa, reblochon et petit chèvre de derrière les fagots. Mais il est 5 heures 30 du mat’ et il faut qu’on y aille ;

Nous partons de 2050 mètres, l’air est froid, sec et rare. Le choc est rude.

Montagnes taiwanaises ; désertiques. A la même altitude en Europe il n’y aurait plus aucun arbre.

On s’essoufle rapidement ; et la compréhension sommaire que nous avons du plan de course nous inquiète un peu. Difficile de demander l’altitude du sommet en expliquant qu’il est très grand au dessus de la mer. Heureusement le chemin monte doucement au début, et la coutume taiwanaise veut qu’on s’arrête toutes les heures pour fumer et s’envoyer une petite binlan (noix de bétel entourée par des feuilles à la chaux, qui rougit les dents). Notre guide, Wang se dope ainsi après sa nuit blanche.

Petite pause Binlan Clope ; sourire un peu inquiet

Quatre heures plus tard, un petit temple et un premier refuge. Nous ne voyons pas le sommet, il est derrière une crète au loin. Le temps est très couvert et l’averse menace. Les nuages montent la montagne à toute allure. Nous décapelons – recapelons sans arrêt, et le froid devient mordant.

Quelques ponts suspendus plus loin, nous voilà au refuge. On a juste le temps de négocier les duvets et de faire une petite sieste, car il faut monter au sommet aujourd’hui, si nous voulons rentrer tôt demain vers Taipeh. A notre réveil, surprise : une éclosion de dizaines de tentes, bien arrangées juste devant le refuge (au moins cinquante tentes selon l’agence Laurence presse).

Nous fuyons cette apparition pour gagner les hauteurs. Nous empruntons une sente qui serpente sous les bambous obligeant Florent à courber l’échine pour ne pas s’égratigner. Le paysage nous est encore masqué par les bambous. Merveille, nous débouchons sur un paysage d’estampe chinoise : une lande sauvage escarpée, enturbannée de brumes. De grands arbres accrochés à la montagne surplombent des bouquets de bambous et de curieuses fougères arborescentes vert clair, en bouquets. Le sommet se dérobe encore à nous mais nous sommes acharnés, malgré l’essoufflement croissant de notre guide arrière. Le guide avant, Wang, entonne gaillardement une chanson à caractère xéno phobique sur les vilains défauts des aborigènes Taiwanais. Entre deux couplets, il nous gratifie de crachats rouges généreux.

 

 

Notre guide Wang, seigneur de la montagne

La pente est raide, les arbres se raréfient enfin alors que nous avons déjà dépassé les 3000 mètres d’altitude.

Laurence a encore de l’énergie

Un couple taiwanais nous avait touché car ils marchaient toujours ensemble, portant la même tenue de montagne, marchant lentement mais sûrement. C’etait le lièvre et la tortue, ils nous rattrapaient à chacune de nos pauses, eux n’en faisant pas. Ce couple abandonne au pied d’un raidillon. L’ascension devient physique, éprouvante. Le sommet n’est toujours pas clairement visible. Y a-t-il vraiment un sommet ?

A un moment comme un autre, un hurlement du guide nous fait comprendre que nous y sommes. Une pancarte en chinois indique que nous sommes proches de 3400 m d’altitude. Notre guide d’affaisse dans la mousse à 20 mètres de nous et râle d’aise.

Le sommet ; on se caille et on ne voit rien

Nous nous lions d’amitié avec une jeune femme guide, mère de deux enfants, charmante et gentille. Nous partageons une orange et des barres de céréales. Dans son merveilleux Chinois, Gabriel lui parle de Jésus mais elle n’arrive pas à croire qu’il n’a pas de petite amie, préférant se marier avec Dieu. Florent est très excité de pouvoir enfin avoir une conversation de base en chinois (après 18 mois d’apprentissage), et tourne ses 19 mots de vocabulaire dans toutes les combinaisons possibles, avec une intense satisfaction.

Le vent forcit, et on se caille vraiment. Zou ba ! Allons y ! Nous sommes très pressés de retrouver un duvet chaud. Après plus d’un an de Hong Kong, Laurence et Florent ont un peu oublié ce que sont l’altitude et le froid. C’est la course. Nous dévalons le sentier, traînant le guide qui chante encore.

La photo rituelle avec un couple de Taiwanais

Nuit au refuge

La cuisine du refuge

L’arrivée au refuge est une fête. Le spectacle des chinois qui s’agglutinent jovialement dans la cuisine du gîte ; la tasse de thé qui réchauffe les mains, l’excitation générale à l’approche du dîner, les plaisanteries grasses des guides avec les gardiens du refuges, les wok qui commencent à grésiller, l’odeur des légumes et champignons fraîchement coupés, le caquètement des bonnes femmes qui sont déjà paresseusement glissées dans leurs duvets (sous les plaisanteries d’un aborigène attendri), tout cela nous ravit.

Profitant de la dernière demi heure de jour, nous nous éloignons du campement pour trouver un coin de bambous donnant sur la vallée. Les nuages montent à travers les grands arbres, laissant voir des pans de montagne ensoleillés en face. Nous passons un moment de louange et d’action de grâce.

Un tendon, c’est bon pour la circulation

Le diner est une danse. Les randonneurs sont fébriles, frénétiques. Les plats se succèdent sur la grande table en bois. Les bols se vident à toute vitesse, aspirés avec voracité. On distingue très bien ceux qui ont fini de diner (ils sont repus, un peu désagréables ; l’un deux vire littéralement laurence pour prendre son bout de banc) de ceux qui n’ont pas encore mangé (tout excités, vifs, observant partout, souriants et gentils). Très vite les plats sont débarassés, les parties de cartes commencent. Les discussions vont bon train avec des Taiwanais très curieux et très affables. Il est 18 heures. Nous rejoignons la tente (finalement le refuge n’était pas pour nous) et nous couchons dans des duvets d’emprunt pas si mal, dégageant un léger fumet bien de chez nous ! Une nuit bienfaitrice pour les jeunes parents, un peu froide et courte pour Gabriel.

Le lendemain, c’est la course pour revenir vite à Taipeh. Nous voulons attraper une messe, ce que notre guide ne comprend pas (« si vous n’y allez pas, le curé va vous punir ? ? ? ») Nous expliquons que c’est comme une nourriture, qu’on en a besoin.

Nous partons à Huit heures, une heure plus tard que prévu car nos guides jouent les prolongations au refuge, profitant de la douce tiédeur de la grotte dans laquelle ils ont dormi. Nous trépignons d’impatience, surtout Laurence. La cuisine est nettement moins charmante que la veille au soir, avec sa vaisselle sale et ses odeurs.

 

Redescente

Un pont suspendu

 

Top départ. Nous sommes résolus à réaliser un chrono et à laisser ainsi notre nom dans les annales de chi lai san. Le guide, dans un sursaut d’orgueil, court devant dans ses grosses bottes de plastique (« c’est plus facile à laver »). Nous le talonnons de près, ce qui le fait accélérer. Nous dépassons tous les groupes en courant, sous des commentaires mi-interloqués, mi-admiratifs. Le guide de derrière a disparu. Nous redoublons le petit couple charmant, pour la dernière fois. Deux heures et demi plus tard, nous voilà à la voiture. La chanson du guide s’est encore simplifiée : « je ne peux plus marcheeeer ».

Descente

 

Nous excitons nos papilles dans la voiture grâce à de petits sandwichs au reblochon, salami ou copa, préparés amoureusement par Laurence , aux petits soins. Quelle n’est pas sa déception à l’arrêt déjeuner, quand les hommes se ruent au macdo dans le plus grand mépris des finesses culinaires et de l’authenticité francaise. Gabriel défend le choix de son Sundae aux fayots au nom de l’adaptation aux goûts locaux. Les chinois raffolent de haricots rouges, à tel point que même mac do s’y met ! Florent a simplement trop faim.

Sous et Sur le pont suspendu

Après quelques heures de route à observer les vendeuses de binlan très légèrement vêtues au bord de la route, nous arrivons à l’instant de ce récit dans la ville de Taipeh. Juste à temps pour la messe de 17 heures

Au revoir Gabriel et merci pour tout !