De quelle "science" la conscience est-elle faite ?
Au bar Onyx à Nice le 21 novembre 2000
Animé par Eve Depardieu

Compte-rendu de l'animatrice

Est-il possible de savoir objectivement de quoi la conscience est faite, étant donné qu'il est très difficile, voire impossible, de séparer le contenant du contenu ? De nos jours, scientifiques, psychothérapeutes, psychologues et philosophes, passionnés par les progrès des neurosciences et des sciences cognitives (cf "Les sciencxes cognitives" de J-G GANASCIA, Flammarion, coll. domino, 1996), ne parviennent cependant à aucun résultat concret qui pourrait mettre tout le monde d'accord... mais les recherches vont bon train.

Pour les philosophes, l'étude de cette notion est relativement récente : elle est venue enrichir les connaissances concernant le fonctionnement de la pensée humaine, après l'étude de l'âme (dans un contexte métaphysique et religieux), de l'esprit et de ses facultés de représentation et de discernement : mémoire, entendement ou intellect, imagination, raison, faculté de juger, (dans un contexte philosophique axé sur la morale et l'action), et du psychisme (dans un contexte avant tout thérapeutique, psychosociologique et pédagogique, avec le développement des sciences du comportement individuel et collectif).

SAINT AUGUSTIN (354-430), MONTAIGNE (1533-1592) et DESCARTES (1596-1650) lancent le mouvement de réflexion sur l'être pensant qui parvient, grâce à sa capacité psychique de retour sur lui-même et d'introspection, à la conscience "de soi", de sa propre existence individuelle et séparée, et à la conscience de l'existence "de l'autre", autre moi-même et pourtant différent (cf. FICHTE, 1862-1814, MAINE de BIRAN, 1766-1824, et HEGEL 1770-1831, avec la notion de conscience malheureuse, déchirée entre l'intériorité et l'extériorité). Ce n'est qu'au XXème siècle qu'apparaitra la notion de conscience collective.

Mais entre temps la notion de conscience a vu son sens réduit à celui de "conscience morale", c'est-à-dire cette voix intérieure qui résonne (et aussi raisonne) en chacun de nous, pour nous obliger à agir moralement (selon une certaine idée du bien et du mal), en respectant ll'être moral présent en tout être humain. (cf. KANT, 1724-1804, ALAIN, 1868-1951)

NIETCHE (1844-1900), dans "La volonté de puissance" rouvre les débats en déclarant que la conscience n'a qu'un rôle secondaire, étant donné le peu de choses, d'états et d'actes que nous parvenons à saisir de manière claire et réfléchie : "C'est que la conscience n'est qu'un instrument, ni plus nécessaire, ni plus admirable, - au contraire, il n'y a peut-être pas d'organe aussi mal développé, aucun qui travaille si mal de toutes les façons; c'est en effet le dernier venu parmi les organes, un organe encore enfant - pardonnons-lui ses enfantillages. (Parmi ceux-ci, à côté de beaucoup d'autres, la morale, qui est la somme des jugements de valeurs antérieurs, relatifs aux actions et aux pensées humaines)". On notera l'insistance de Nietzsche pour donner à la conscience la consistance d'un organe.

SCHOPENHAUER (1788-1860) avait pressenti l'existence d'un état inconscient ou d'une réalité psychique profonde primordiale. FREUD (1856-1936) en décrira tout l'appareillage avec les mécanismes de la censure, du refoulement, des pulsions, de la libido et des transferts qui maintiennent certaines représentations hors du champ de la conscience. La psychanalyse fait perdre à la conscience son aspect unitaire et continu pour la faire apparaitre comme un phénomène émergeant parfois brutal (prises de conscience), avec des états successifs (états de conscience), à plusieurs niveaux (niveaux de conscience) : celui du çà, pré conscient, réservoir des pulsions, celui du moi ou conscience de soi, et celui du surmoi ou subconscient, juge et censeur du moi.

BERGSON (1859-1941), dans "L'énergie spirituelle" relie intrinsèquement la conscience à la mémoire : c'est "un pont jeté entre le passé et l'avenir" qui permet de "retenir ce qui n'est déja plus et d'anticiper sur ce qui n'est pas encore", d'où la capacité propre à tout être conscient de concevoir et de réaliser des projets. Il distingue deux états de conscience : la conscience attentive, qui ne retient du passé que ce qui est utile à l'action présente; et la conscience rêveuse qui se détache du réel pour n'être que pure mémoire, pour coïncider avec l'être dans toute sa profondeur, c'est-à-dire dans sa durée (continuité du vécu constitué par l'assemblage des souvenirs des expériences passées selon un effet "boule de neige", avec fusion et amplification).

Puis HUSSERL (1859-1938), SARTRE (1905-1980) et MERLEAU PONTY (1908-1961) développent une vision plus dynamique : la conscience est un phénomène qui ne se définit pas par sa seule intériorité mais surtout par son rapport avec le monde extérieur. Il est impossible de penser la conscience si on lui retire son objet : "Toute conscience est conscience de quelque chose", elle vise toujours un objet et se définit donc par son intentionnalité (cf. BRENTANO, 1837-1917).

Aujourd'hui, grâce à la prise en compte des phénomènes inconscients (ndividuels ou collectifs), nous savons que, la plupart du temps, nous concevons les choses et les situations, nous parlons, décidons et agissons sans jamais être pleinement conscient de tous les éléments internes et externes qui entrent en jeu : s'il fallait, à chaque instant, pour exister, connaitre dans les moindres détails ce qui, en nous, relie l'implicite à l'explicite, nous ne parviendrions sans doute jamais à prendre une décision et à agir dans l'instant présent !

Mais ce constat d'impuissance, à cause des limites de nos connaissances, ne doit pas avoir pour conséquence de nier l'existence de la conscience et de son rôle dans la constitution de la personnalité : il ne faut pas oublier que l'inconscient n'a d'existence et de sens qu'en fonction de ce que nos prises de conscience veulent bien nous en révéler, grâce aux travaux des psychanalistes, des psychosociologues, des neurologues, des biologistes... et des philosophes. Car la science n'avance pas toute seule : les philosophes produisent des travaux de synthèse qui permettent de se repérer et de faire le point sur les connaissances.

Après avoir passé la conscience sous silence, dans les années 90, les psychologues (souvent anglo-saxons), en développant la psychologie cognitive, prolongement du béhaviorisme (étude du comportement à partir des seules conduites observables et de leurs conditionnements) et de la psychanalyse, l'ont réhabilitée, non sans difficultés (cf. D. DENNETT, "La conscience expliquéeé Odile Jacob, 1993). Ils ont buté sur l difficulté à la définir correctement, même en essayant de faire la synthèse de toutes les définitions existantes; ils en restent donc au repérage de plusieurs niveaux de conscience : la conscience-attention ou vigilence, c'est-à-dire être présent au monde en état de veille (ni endormi, ni dans le coma, ni halluciné), mais pas forcément en train de penser ou de réfléchir; la conscience réflexive qui se nourrit de souvenirs, d'images, d'impression, d'idées, de symboles impliquant une phase de concentration et d'organisation où s'opèrent des tris, des analyses, des comparaisons, afin de procéder au pilotage finalisé des activités; enfin la conscience-miroir qui permet à chacun de se situer : d'identifier, de reconnaitre, en commençant par la reconnaissance de soi comme sujet d'une histoire privée et publique, comme concepteur de projets et producteur de raisons de vivre, jusqu'à la conscience réfléchie qui permet de penser à ses pensées. Tous ces niveaux s'interpénètrent et fluctuent ensemble, ce qui ne facilite pas la tâche des explorateurs !

Les recherches en neuropsychologie et neurobiologie sur les troubles de la conscience-attention qui dérèglent la perception du monde extérieur, l'étude du cerveau (animal ou humain) conçu comme un ordinateur central, centre de pilotage de tous les processus cognitifs, et l'approfondissement du repérage d'un inconscient cognitif qui guide les comportements à distance sans passer par la réflexion, font partie de l'exploration dans tous les sens et peut laisser sceptique quant aux résultats concernant la conscience et ses contenus... Daniel C DENNETT (opus cité), un des grands noms actuels de la philosophie de l'esprit insiste sur le caractère instable et fluctuant de la conscience, faite de flux d'éléments disparates, un "chaos d'images variées, de décisions, d'intuitions, de souvenirs, etc...", "La question que l'on peut se poser est : où donc toutes ces choses se rejoignent-elles ? La réponse est : nulle part. Certains de ces états distribués porteurs de contenus s'évanouiront rapidement sans laisser de traces. D'autres laisseront des traces, sur des comptes rendus verbaux ultérieurs, d'empreinte et de mémoire, sur d'autres sortes de dispositifs perceptifs, sur les états émotionnels, les tendances comportementales et ainsi de suite."

La plupart du temps, il n'existerait donc que des bribes de conscience... Nietzsche n'avait pas tort de parler d'enfance, on pourrait peut-être, en actualisant le langage, parler de conscience encore à l'état embryonnaire, en phase de maturation.

Résumé des interventions

(...)

  • Eve : Après le travail de Freud sur l'inconscient, Bergson réhabilite la conscience, non plus la conscience morale, mais celle qui permet de faire le pont entre passé et avenir, la mémoire. L'inconscient nous fait agir sans qu'on sache pourquoi. Freud démonte les mécanismes inconscients. La conscience apparait dans des petits moments d'émergence de lucidité de jaillissement d'intention. Selon la phénoménologie de Husserl, on est toujours conscient de quelque chose. C'est une intention qui se projette dans l'avenir.

  • Selon Nietszche, la conscience est un instrument plus mauvais que les sens.

  • Peut-on fixer la totalité du présent ?

  • Jacques : La conscience, c'est la perception de ce qui est extérieur à nous.

  • La conscience, c'est la mémoire plus l'interprétation.

  • Jean-Luc : Il y a des concepts clairs pour les fonctions supérieures comme la conscience, l'imagination, la mémoire, mais pas pour les fonctions inférieures comme les instincts. Il y a une évolution dans les capacités psychiques. Tout se passe comme si le vivant a évolué en fonction de l'obstacle pour une survie plus satisfaisante. L'outil d'évaluation est le réflexe sanctionné par le plaisir ou la douleur, et devient la réflexion sanctionnée par la joie ou l'angoisse sociale ou individuelle.

  • Eve : La conscience est une fonction supérieure.

  • Comment la matière devient conscience ?

  • Jacques : La conscience pourrait-elle émerger de la matière si elle ne se trouvait pas déja au moins potentiellement au fond de cette matière ? La conscience est la perception d'un extérieur par un intérieur. Je ne demande si, pour exister, elle ne nécessiterait pas une infinité d'intérieurs imbriqués, de sorte que quel que soit le niveau auquel on se place, il y ait toujours un intérieur pour percevoir un extérieur. Au niveau le plus grossier, on peut considérer que la surface de la peau constitue la frontière entre l'intérieur et l'extérieur. En regardant de plus près, on peut faire la distinction entre le cerveau et le reste du corps qu'on peut considérer comme un outil à la disposition du cerveau, faisant donc partie de l'extérieur. En regardant d'encore plus près, on peut considérer le cerveau en tant que réseau de neurones. A ce niveau, l'unité de l'individu devient une multiplicité, une société de neurones. On peut continuer en décomposant les neurones en molécules, les molécules en atomes, etc... et je me demande si la conscience ne viendrait pas de l'existence d'une infinité de niveaux imbriqués d'organisation de la matière.

  • Jean-Luc : Il y a la matière et la force. On ne sait pas ce qu'est une force. C'est une action à distance. C'est de la magie. Il y a les forces extérieures, physiques, et les forces intérieures, psychiques, les désirs.

  • La force c'est l'énergie.

  • Eve : Est-ce que la pensée c'est la même chose que la conscience ?

  • La volonté est-elle nécessaire à la conscience ?

  • L'animal est conscient mais ne pense pas.

  • La consceince est-elle passive ? A-t-elle un emplacement dans le cerveau ?

  • La sensation donne la conscience. Quand cette sensation est nommée ça donne la pensée.

  • Kiko : La volonté de la conscience : pourquoi refusons-nous d'être conscients de certaines choses ?

  • Il y a la conscience simple et la conscience réfléchie, différents niveaux de conscience.

  • Le Zen tente de saisir le moment de conscience avant la conceptualisation.

  • La conscience est une qualité selon Freud.

  • Quand on s'évanouit, on tombe dans l'inconscience, car la conscience prenait trop conscience de quelque chose qu'elle veut gommer.

  • Eve : Est-ce une fuite ou une sauvegarde ?

  • Jean-Luc : Un désir est une force à la recherche de sa satisfaction. Les désirs doivent être harmonisés sinon on a des forces contradictoires. La satisfaction c'est la joie de vivre. La délibération intérieure peut conduire à l'angoisse ou à la joie.

  • Eve : La lucidité ne rend pas heureux.

  • Une participante parle de son épilepsie.

  • Eve signale une conférence le lundi 27 décembre à 16 heures au CUM, promenade des Anglais, sur l'avenir des neurosciences.

  • L'exorcisme est une sorte d'extraction de la conscience.

  • On n'a pas toujours conscience de ce qu'on fait de bien et de mal.

  • Eve : Il y a différentes conceptions du bien et du mal dans différentes civilisations.

  • La conscience est la faculté de s'observer soi-même.

  • L'interprétation de la conscience permet-elle une meilleure connaissance de soi ?

  • Eve : A quoi je peux me référer pour me juger, connaitre mes limites ?

  • Kiko : comment peut-on être conscient de l'inconscient ?

  • Il faut faire une psychanalyse.

  • Eve : L'inconscient existe. Si on en est conscient, ce n'est plus de l'inconscient.

  • Il y a tellement de définitions de la conscience. On est conditionnés.

  • Eve : On peut chercher les pires difficultés pour prouver ses capacités.

  • La conscience se réduit comme une peau de chagrin. On est déterminé par tant de choses.

  • Il y a aussi la conscience collective.

  • La conscience d'avoir donné le bonheur à un peuple.

  • La conscience réflexible : on se réfléchit dans les médias de notre époque. Le livre nous permet de nous considérer en tant qu'individu. Avec les nouveaux médias on n'a plus cette conscience d'individus isolés. On se réfléchit en réseau.

  • De quelle science la conscience est-elle faite ? De toutes les sciences.

  • Y a-t-il une science qui puisse rendre compte de la conscience ? L'introspection est-elle possible ?

  • On ne peut pas être avant et après.

  • Nous voyons le monde avec notre perception.

  • Ma vie n'appartient qu'à moi. Comment puis-je comprendre les autres si je ne me comprends pas moi-même ?

  • Quel politique on mène dans son for intérieur ? (for = forum)

  • On est conscient au présent. Travailler sur soi permet d'être présent.

  • Avoir conscience de sa pensée c'est l'introspection.

  • Les philosophes se sont d'abord intéressés à l'âme, puis à la conscience, et ensuite ?

  • L'homme dans sa globalité, l'holistique.

  • La psychologie cognitive, l'homme dans son milieu, son contexte.

  • L'âme est différente du corps.

  • Le corps est commandé par un faisceau qui part du cerveau.

  • Le plus souvent c'est l'inconscient qui nous fait agir. Par moments on est conscients mais c'est juste des flashs.