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TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS

Document de travail sur le rapport d'expertise

6 novembre 2000

UEJF et Licra c/ Yahoo! Inc. et Yahoo France


Les étapes de l'affaire Yahoo! :

>Assignation
>Conclusions de la défense
>Conclusions en réplique
>Ordonnance du 22 mai 2000
>Conclusions de la défense
>Rapport d'expertise de la défense
>Ordonnance du 11 août 2000 (sur Legalis.net)
>Rapport d'expertise du 6 novembre 2000
>Note en délibérée de la défense
>Ordonnance du 20 novembre 2000


[Le texte présenté ci-dessous est extrait du document de travail constitué sur la base du rapport d'expertise. L'intégralité du rapport est disponible sur Legalis.net]

[…]

Les consultants soussignés tiennent à souligner que leur mission s’est limitée à répondre aux questions techniques posées par le Tribunal. En aucun cas leurs réponses ne sauraient être interprétées comme une caution technique ou morale des décisions du tribunal ou, au contraire, comme une critique de celles-ci.

Les sociétés Yahoo! France et Yahoo inc. ont été condamnée le 22 mai 2000 par le tribunal de grande instance de Paris dans les termes suivants :

« Ordonnons à YAHOO! Inc. de prendre toutes les mesures de nature à dissuader et à rendre impossible toute consultation sur Yahoo.com du service de ventes aux enchères d'objets nazis et de tout autre site ou service qui constituent une apologie du nazisme ou une contestation des crimes nazis »

La société Yahoo! Inc. a fait valoir qu’il n’existait pas de solution technique lui permettant de respecter intégralement la décision du tribunal.

Un collège d’experts a alors été désigné pour éclairer le tribunal sur les différentes solutions techniques pouvant être mises en œuvre par Yahoo! inc. en vue d’exécuter la décision du 22 mai.

Pour respecter les termes de la décision la condamnant et interdire l’accès aux enchères d’objets nazis, Yahoo! doit :

1) connaître l’origine géographique et la nationalité des internautes désirant accéder à son site de vente aux enchères ;

2) empêcher les internautes français ou connectés à partir du territoire français, de prendre connaissance de la description des objets nazis mis aux enchères, a fortiori d’enchérir.

4.3.1. SUR L’ORIGINE GÉOGRAPHIQUE ET LA NATIONALITÉ

4.3.1.1. LE CAS GÉNÉRAL

L’interrogation d’un site Web par le public consiste à mettre en relation le poste de travail de l’utilisateur (micro-ordinateur ou autre) avec un site destinataire. Cette opération passe par l’intervention de différentes catégories d’intermédiaires : le fournisseur d’accès, les routeurs, un ou plusieurs sites destinataires.

Il y a lieu de rappeler à ce stade que le poste de travail de l’utilisateur, le fournisseur d’accès, les routeurs et les sites destinataires sont identifiés sur le réseau par une adresse conforme au protocole Internet (IP).

Alors que les adresses IP des sites des fournisseurs d’accès, des routeurs et des sites destinataires sont fixes,  au sens où il y a un lieu biunivoque permanent entre l’adresse IP et son détenteur, ce n’est pas le cas pour l’adresse allouée au poste de travail de l’utilisateur. Cette adresse est allouée dynamiquement, de manière non permanente, par le fournisseur d’accès au moment de la connexion.

Mais, les fournisseurs d’accès ne peuvent allouer que des adresses IP qui leur ont été affectées par les autorité  du net.

L’organisation du net (DNS) permet d’associer chaque à adresse IP des informations complémentaires concernant son titulaire comme sa raison sociale, son adresse postale, ses coordonnées téléphoniques, etc., et sa localisation géographique exprimée sous la forme Latitude-Longitude. Cependant, ces informations complémentaires ne sont pas toujours renseignées. Elle ne le sont que très rarement pour le poste de travail de l’internaute. Faute de ces informations, certains assimilent la localisation géographique de l’utilisateur à celle de son fournisseur d’accès ou du site qui lui alloue son adresse IP.

L’exploitation des localisations géographiques des titulaires d’adresses IP est pourtant d’un grand intérêt, non seulement économique mais également pour assurer un développement harmonieux de la toile.

Ainsi, plusieurs prestataires disposant de technologies et de base de données permettent de localiser géographiquement telle ou telle adresse permanente. Plusieurs d’entre eux se sont manifestés pour soutenir qu’ils disposaient des moyens techniques permettant à Yahoo! d’exécuter les obligations mises à sa charge par le tribunal.

Il est exact que dans le cas général, que le collège estime à plus de 60%[1], on peut considérer qu’il est envisageable d’assimiler le pays où se situe le poste de travail de l’utilisateur à celui de son fournisseur d’accès. L’Annexe A de ce rapport [Annexe non disponible] permet de suivre la connexion d’un internaute jusqu’au site de destination via le fournisseur d’accès Club-Internet (Grolier).

4.3.1.2. LES EXCEPTIONS

Il existe cependant de nombreuses exceptions. Un grand nombre, de l’ordre de 20%[2], tiennent au caractère multinational du fournisseur d’accès ou au fait qu’il exploite un réseau privée de communication.

Le cas d’AOL est à cet égard significatif. Les adresses IP dynamiques allouées par AOL le sont à partir d’un serveur situé hors de France. Dès lors, les postes de travail des utilisateurs résidant sur le territoire français apparaissent sur le toile comme ne résidant pas sur le territoire français (annexe B,C) [Annexe non disponible].

Il en est de même de plusieurs réseaux privés de grandes entreprises.

D’autres exceptions tiennent au désir de certains utilisateurs de dissimuler leur adresse réelle sur le net. Ainsi, se sont développés des sites d’anonymisation dont l’objet est de remplacer l’adresse IP réelle d’un utilisateur par une adresse fictive. Il n’est certes pas possible dans ce cas de connaître la localisation géographique du fournisseur d’accès puisque son adresse ne peut être connue. La seule localisation connue pourrait être celle du site d’anonymisation mais cela n’a pas d’intérêt en l’espèce.

D’autres techniques existent également comme l’encapsulation (tunneling). Elles peuvent se justifier pour des raisons de confidentialité et de sécurité des informations transmises. Elles peuvent se justifier pour des raisons de confidentialité et de sécurité des informations transmises.

4.3.1.3. EXAMEN CRITIQUE DES SOLUTIONS TECHINQUES PROPOSÉES PAR LES PRESTATAIRES SPÉCIALISÉS

Toutes les solutions proposées reposent sur une exploitation des informations géographiques des sites disposant d’une ou plusieurs adresses permanentes.

4.3.1.3.1. Infosplit

Les consultants ont pu constater qu’Infosplit était incapable de situer géographiquement les utilisateurs d’AOL France dont le serveur est situé aux Etats-Unis, pour les raisons évoquées précédemment.

4.3.1.3.2. NetGeo

Reposant sur de principes similaires à ceux d’Infosplit, ce système ne permet pas non plus de localiser les internautes utilisant un réseau pour lequel le fournisseur d’accès alloue des adresses IP ne correspondant pas à la localisation géographique réelle de l’utilisateur.

4.3.1.3.3. Cyber Locater

Cette solution repose sur l’exploitation des données géographiques obtenues à partir du système de localisation satellite (GPS).

Elle est totalement inadaptés au cas d’espèce car rares sont les internautes disposant d’un périphérique GPS couplé avec leur poste de travail.  

4.3.1.4. LA DÉCLARATION SUR L’HONNEUR DE SA NATIONALITÉ PAR L’INTERNAUTE

Dès lors que, du fait des exceptions précitées, aucune technique de filtrage ne permet de repérer l’ensemble des internautes français ou connectés à partir du territoire français, le collège de consultants a examiné l’opportunité de faire souscrire une déclaration sur l’honneur de sa nationalité par l’internaute.

Cette déclaration pourrait être souscrite lors de la première connexion au(x) sites litigieux, en l’espèce le site de ventes aux enchères de Yahoo par un internaute dont l’adresse IP ressortirait du régime d’exceptions évoqué supra.

Un message (cookie) enregistré sur le poste de travail de l’internaute pourrait lui éviter d’avoir à renouveler sa déclaration lors de chaque connexion. D’autres solutions peuvent être envisagées.

4.3.2. L’EXPLOITATION PAR YAHOO! DE LA NATIONALITÉ

Il s’agit ici du deuxième point de la problématique. Que faire une fois que la nationalité ou le lieu de localisation du poste de travail sont connus ? 

Les mesures à prendre dépendant du cas d’espèce. Elles ne peuvent être généralisées à tous les sites et servies du net. 

En l’espèce, le site à prendre en compte est pages.auctions.yahoo.com. Il est hébergé par GeoCities, IP adress 218.115.104.70, localisation 325352 (?) de latitude nord, 121°,958 de longitude Ouest, réseau GéoCities enregistré par Yahoo, 3400 Central Expressway, Sulte 201, Santa Clara, CA 95051.

Ce site est un site de ventes aux enchères d’objets divers et non dédiées aux objets nazis. La caractéristique de ce type de sites est de permettre à l’internaute de trouver les objets qu’il recherche.

Dès lors, il apparaît aux consultants que pour respecter les termes de la décision du 22 mai 2000, Yahoo ne doit pas permettre aux internautes de nationalité française ou appelant à partir du territoire français d’accéder à ces objets.

Dès lors qu’à l’issue d’une recherche opérée à partir d’une requête lancée par un internautes français, un ou plusieurs objets décrits comme nazis par leur propriétaire ont été sélectionnés par le moteur de recherche, ils doivent être dissimulés à l’internaute et exclus du résultat de la recherche.

Mais, évidemment, il n’est pas possible pour Yahoo! d’exclure des objets qui n’auraient pas été décrits par leur propriétaire comme étant d’origine ou de l’époque nazie.

Les vérifications opérées par le collège des consultants ont confirmé que les objets nazis (annexe D) étaient bien présentés comme tels par leur propriétaire.

Une solution plus radicale est également applicable. Il suffit, pour le cas des internautes reconnus comme français ou déclarés comme tels, de ne pas exécuter toute requête comportant le mot « nazi ».

4.4.1. LA DEMANDE DIRIGÉE CONTRE YAHOO! FRANCE

« vérifier si Yahoo France a bien satisfait aux termes de notre injonctions contenue dans l’ordonnance du 22 mai 2000. »

L’ordonnance du 22 mai stipule à cet égard :

« Ordonnons à YAHOO FRANCE de prévenir tout internaute consultant Yahoo.fr, et ce dès avant même qu'il fasse usage du lien lui permettant de poursuivre ses recherches sur Yahoo.com, que si le résultat de sa recherche, soit à partir d'une arborescence, soit à partir de mots-clés l'amène à pointer sur des sites, des pages ou des forums dont le titre et/ou les contenus constituent une infraction à la loi française, ainsi en est-il de la consultation de sites faisant l'apologie du nazisme et/ou exhibant des uniformes, des insignes, des emblèmes rappelant ceux qui ont été portés ou exhibés par les nazis, ou offrant à la vente des objets et ouvrages dont la vente est strictement interdite en France, il doit interrompre la consultation du site concerné sauf à encourir les sanctions prévues par la législation française ou à répondre à des actions en justice initiées à son encontre. »

Pour exécuter les termes de cette ordonnance, Yahoo! France a :

1) modifié et complété ses conditions d’utilisation accessibles en cliquant sur le lien « tout savoir sur Yahoo! » figurant au bas de chacune des pages du site. Le paragraphe suivant a été ajouté :

« Enfin, si dans le cadre d’une recherche conduite sur www.yahoo.fr à partir d’une arborescence de mots clefs, le résultat de celle-ci vous amènerait à pointer sur des sites, des pages ou des forums dont le titre et/ou les contenus constituent une infraction à la loi française, compte tenu notamment du fait que Yahoo! France ne saurait contrôler le contenu de ces sites et sources externes (y compris les contenus référencés sur les autres sites et services Yahoo! dans le monde), vous devez interrompre votre consultation du site concerné sauf à encourir les sanctions prévues par la législation française ou à répondre des actions en justice initiées à votre encontre ».

2) mis en place, dans le cas d’une recherche par arborescence (catégories) un avertissement ainsi rédigé :

« Avertissement : en poursuivant votre recherche sur Yahoo! US, vous pouvez être amenés  à consulter des sites révisionnistes dont le contenu constitue une infraction à la loi française et dont la consultation, si vous la poursuivez, est passible de sanctions »

Les consultants ont pu constater que les conditions d’utilisation de Yahoo! n’étaient pas systématiquement affichés lors de la première connexion à ce site et qu’en outre le lien « tout savoir sur Yahoo! » n’évoquait pas nécessairement l’accès aux conditions générales d’utilisation.

En revanche, les consultants considèrent qu’il est techniquement possible à Yahoo! France d’obliger l’affichage de ses conditions d’utilisation lors de la première connexion d’un utilisateur sur son site.

Document aimablement communiqué par Marc Knobel, retranscrit par Lionel Thoumyre


Notes

[1] En pourcentage des connexions actives en conditions normales. Les consultants ont demandé officiellement à l’AFA (association des fournisseurs d’accès) de leur fournir des données chiffrées. Ces éléments n’ont pas encore été communiqués par cet organisme.

[2] Estimation du consultant français à confirmer par les statistiques de l’AFA.


A consulter sur Juriscom.net :

>Consultation internationale sur l'affaire Yahoo!
  Prof. J. Reidenberg, M. Geist, P. Trudel, Y. Poullet et I. De Lamberterie
>Commentaire de l'ordonnance du 22 mai 2000
  Maître Valérie Sédallian
>Commentaire de l'ordonnance du 20 novembre 2000
  Maître Valérie Sédallian
>
A Look at how U.S Based Yahoo! was Condemned by French Law
  Richard Salis

 

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