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télévision
BRISONS NOS CHAINES !

 
 

Sélection de textes parus dans la revue "Brisons nos chaînes" et reproduits dans Silence, n°231, mai 1998. Les textes peuvent être librement reproduits sous réserve d'en indiquer la source.
Tous les articles n'étant pas reproduits ici je vous invite à consulter cet excellent dossier.



 
 
 

Dangereuse délégation
 
Une avalanche continue d'images inonde nos cerveaux. Nous avons perdu l'habitude de contempler. La quotidienneté de la consommation télévisée nous a transformés en de véritables dévoreurs d'images fragmentées et aléatoires, de rapides visions du monde qui surgissent dans nos vies comme spectacle, installés confortablement dans un des fauteuils de notre salon. L'aspect public et privé convergent sur un engin électronique, ce dictionnaire du monde auquel nous consacrons plus de temps qu'à la communication interpersonnelle. Le bombardement spectaculaire est la nourriture imaginaire du regard vorace et narcissique du spectateur. Il crée de l'accoutumance du fait même de sa facilité : il n'implique aucun effort, il est quotidien et accessible, tout le contraire de l'exceptionnel et il permet de voir d'autres mondes auxquels nous n'aurions peut-être jamais eu accès. Mais il n'importe pas tant de savoir "ce que nous allons voir" à la télé, que de "voir" la télé - accoutumance aux images. C'est un spectacle pur, dépourvu de toute signification, qui viole toute intimité - n'est-il pas également présent dans l'espace intime le plus sacré, pendant qu'on fait l'amour ?
Les salles de séjour des appartements ne s'organisent pas de sorte à créer un cercle de communication interfamiliale mais autour d'un point crucial : le téléviseur. Le chef de famille marque son statut privilégié en s'attribuant le meilleur angle de vision. Quand le téléviseur est en panne, la tension et le fait de ne rien trouver à se dire envahissent l'espace.

Fixation de l'imaginaire

José Saborit, dans "L'image publicitaire à la télévision" dit : "notre regard a été lesté du poids inévitable de l'expérience télévisuelle et les mécanismes de vérification sont inversés". Autrement dit, nous connaissons le monde d'abord par les images télévisées et notre expérience réelle vérifie ou pas cette connaissance indirecte (quand nous allons en Afrique, nous vérifions si elle est telle que nous l'avons vue à la télévision et non le contraire). Dans l'esprit humain, les images télévisées se combinent avec les images vécues et configurent nos mondes imaginaires. Les images électroniques prennent de l'importance face au réel à travers les facteurs de fixation qui interviennent : la redondance et la répétition - les mêmes qui rendent la publicité efficace.
Fixation imaginaire qui n'est pas gratuite, mais une constante légitimation de codes idéologiques. Saborit dit : "tous les programmes propagent des valeurs, des normes et des modèles de comportement qui, avec plus ou moins d'évidence, énoncent l'enchevêtrement des lois qui veillent à la production, reproduction et au maintien du système économique, culturel et social au sein duquel elles ont été crées."

Politiquement correcte

Il suffit d'observer les modèles de vie qui apparaissent, les aspirations que l'on renforce et les transgressions que l'on condamne. La réussite individuelle comme gloire suprême, le sexe comme transaction économique, le modèle de la famille hétérosexuelle, monogame et patriarcale, etc. Il ne faut pas oublier la didactique de la représentativité : le réalisme et le naturalisme parlent d'eux-mêmes du caractère reconnaissable de notre milieu. Il n'y a pas de place pour d'autres formes de savoir ni de représentation. La magie et l'intangible sont bannis, le matériel, le connu sont renforcés. La télévision présente une syntaxe audiovisuelle à laquelle le spectateur a été formé et lui offre des situations extrapolables à sa réalité.
Manichéenne, elle véhicule des codes idéologiques jugés universels.
Dans cette société, tout est délégué. Y compris le pouvoir  de chaque individu de configurer sa propre expérience. Un objectif de caméra, à partir d'une position privilégiée, regarde pour nous, oriente notre vision et la dirige, avec la neutralité et l'objectivité apparentes d'une image mécanique. "D'autres" - les moyens de communication de masse - préparent le menu.
Ignacio Ramonet, dans "le chewing-gum des yeux" résume en trois points les principaux dangers de l'industrie culturelle :
- 1 - réduire les gens à l'état de masse et empêcher la structuration d'individus émancipés, capables de discerner et de décider librement.
- 2 - remplacer dans l'esprit humain l'aspiration légitime à l'autonomie et à la prise de conscience en les substituant par un conformisme et une passivité hautement régressive.
- 3 - accréditer, en somme, l'idée que les hommes souhaitent vivre égarés, fascinés et leurrés dans l'espoir confus qu'une certaine satisfaction hypnotique les conduira à oublier, l'espace d'un instant, le monde absurde dans lequel ils vivent".

Texte traduit de La llettra, une revue anarchiste de Barcelone (automne 1991)
 
 
 

Nouveau relais de la presse
 

Si l'on attaque la télé, il ne faut pas épargner la presse. Elle représente les mêmes dangers. Elle n'est pas vraiment libre, pour la simple raison que ses ressources dépendent essentiellement de la publicité. Et si l'on désire attirer des annonceurs, il ne faut pas trop les contrarier...
Les journalistes, je ne sais pas combien, 80 % d'entre eux peut-être, écrivent des choses sur des sujets qu'ils ne connaissent pas spécialement ou des sujets qu'ils maîtrisent mal, ce qui ne les empêche nullement d'écrire tout bêtement ce qu'ils ont dans la tête, sans trop aller chercher dans la réalité, et faire de véritables enquêtes. Je travaille avec des gens qui faisaient auparavant une revue de consommation indépendante. Aujourd'hui, ils ont arrêté, faute de temps. Mais je me rappele que, lorsqu'ils abordaient un sujet, un dossier sur un thème précis, ils faisaient une enquête de terrain : ils se rendaient chez les producteurs. Ensuite, ils publiaient les résultats et faisaient leurs propres analyses et commentaires. Or, dans la grande presse, beaucoup trop de journalistes écrivent leurs articles sans vraiment bouger de leur bureau, en réécrivant à leur manière ce qu'en disent les autres journaux. Est-ce vraiment du journalisme ? Je ne crois pas !

La voix de son maître

En fait la télévison est venue s'ajouter à la radio et à la presse. Lors de la guerre de 1914-1918, l'attitude de la presse n'a pas été très reluisante, et l'on peut en dire autant de la radio lors de la seconde guerre mondiale. Récemment, j'ai eu l'occasion de regarder des documentaires sur la propagande lors de ces conflits. C'est un ministère qui décidait du contenu des journaux en fonction du résultat à obtenir et il n'hésitait pas à propager de fausses nouvelles pour entretenir le moral des troupes et de la population. D'ailleurs je conseille de lire "Le viol des foules par la propagande politique", rédigé par un des chefs de la propagande antinazi pendant la montée du nazisme en Allemagne (Serge Tchakhotine). Dans le détail, il explique tout le travail développé par Joseph Goebbels. C'est extrêmement intéressant.
Aujourd'hui la télévision a pris le relais et l'on peut légitimement s'en inquiéter. Car si l'on dit que la nature a peur du vide, c'est aussi vrai pour l'homme. Nous avons un cerveau qui fonctionne, on ne peut l'arrêter. Lorsqu'on reste à ne rien faire, on s'ennuie. Il faut donc s'occuper, trouver des loisirs et la télévision pour beaucoup a ces fonctions. Depuis que l'homme existe, il a inventé je ne sais combien de jeux. Il faudrait en faire l'inventaire : les jeux de ballons, de cartes, de boules, etc. Ca fait beaucoup. Il faut y ajouter la pêche à la ligne, la corrida, le sport, que sais-je encore ? L'avantage de la télé, c'est que l'on reste chez soi, que l'on n'a pas besoin de sortir, qu'il fasse froid ou qu'il pleuve... Et pensez donc, avec la télécommande ! On n'a même plus besoin de sortir de son fauteuil. Il s'agit donc de s'occuper l'esprit. Et comme de très nombreux, trop nombreux, individus font la même chose au même moment, il est difficile d'échapper à ce que l'on définit communément comme l'"emprise télévisuelle". Et pourtant, il faut y échapper !
Si l'on n'a pas de télé chez soi, c'est déjà un premier pas... Sincèrement, je pense que si l'on ne passe pas trois heures devant le petit écran, mais qu'on se contente d'une heure par semaine, on fait déjà un premier pas. Ensuite, si l'on travaille avec des gens comme soi, c'est parfait mais tellement rare. J'ai des amis dont les collègues parlent quotidiennement des programmes de la veille. C'est leur principal sujet de conversation.
Personnellement, je vis bien sans télé. Mais si j'en avais une, peut-etre que je l'allumerais plus souvent... J'ai pas mal d'amis sans télé ou qui ne la regarde pratiquement pas. Dans le milieu militant que je fréquente le plus, c'est à dire le milieu libertaire, c'est vrai qu'il y'a pas mal de gens qui possèdent un téléviseur. Probablement, je n'en parle pas assez avec eux. Ils ont la télé, ils la regardent, il ne semble pas qu'ils aient conscience de ses pouvoirs.

Fermer sa télé, c'est oser rencontrer l'autre

Vouloir changer la société, c'est bien. Se battre contre la télé aussi. Je crois que lutter contre la télévision aujourd'hui doit être considéré comme un moyen, comme toutes les luttes périphériques (ces lutttes qui ne touchent pas fondamentalement l'objectif que l'on veut atteindre, mais qui permettent de rencontrer des gens) pour faire passer nos idées. La critique de la télévision, dans la mesure où celle-ci sert à maintenir cette société est donc utile. Si on arrivait à faire prendre conscience à tous que chacun peut tout à fait vivre sans télévision, qu'ils vivraient certainement mieux, je crois qu'on aurait déjà fait un grand pas dans le désir de changement de société. Mais attention ! cela ne veut pas dire pour autant qu'on atteindrait le but tout de suite après. Personnellement, je me bats en faveur de l'écologie, car je pense qu'une société autre ne pourra, en aucun cas, être basée sur la destruction de l'environnement. Il ne s'agit pas simplement de changer de système économique et politique. Il faut dès maintenant une société plus humaine, c'est à dire dans le cas qui nous intéresse ici, moins de télé, moins de pub, moins de tout ce tas de choses tout à fait artificielles qui ne servent qu'à faire perdurer une société malade de l'argent et de l'égoïsme.

Pulaioki, Seine-Saint-Denis (printemps 1998)
 

Sous influence

Parmi les médias, la télévision est particulièrement dangereuse, parce que très attractive : l'image est plus traîtresse que l'écrit, son influence plus insidieuse. Il n'y a pas pour la créer le travail de réélaboration des données qu'un texte oblige à effectuer, et le spectateur n'a  pas la possibilité d'une distanciation par rapport aux messages qui lui sont assenés. Il s'abrutit dans sa visualisation des événements qui lui est offerte.
Si les programmes transmis sont susceptibles d'être dénigrés, la plupart des gens ne peuvent s'en passer. L'accès à l'image leur donne l'impression de participer aux prises de décision, de détenir pour ainsi dire la vérité et d'influencer sur l'évolution du monde parce que la télé leur fournit un aperçu de ce qui se déroule à l'échelle planétaire."

Vanina
Les médias au crible . In Noir et Rouge, automne 1991


 
 

Témoignage poignant

C'est grâce à la médecine du travail que j'ai connu l'association des téléspectateurs anonymes. J'avais déjà entendu dire qu'ils avaient du résultat, mais vous savez ce que c'est, on croit que ce type de traitement, c'est pour les autres, on pense qu'on n'est pas atteint soi-même ou alors qu'on pourrait arrêter quand on veut. D'ailleurs c'est ce que je me disais toujours pour me vanter : je peux arrêter quand je veux. Et en me disant ça, je rallumais mon téléviseur portable ou ma montre-télé en rigolant, histoire d'en reprendre un petit coup. Je me croyais malin, plus fort que les autres. Mais ça m'a fichu une sacrée trouille quand le Chef du Personnel m'a convoqué pour me dire que ça ne pouvait plus durer. D'un coup, j'ai compris que j'étais peut-être plus dépendant que ce que je croyais. Perdre mon boulot à cause de ce vice, ça m'a terrifié, d'autant que je venais de me remettre des traites sur le dos pour un super téléviseur 16/9 avec incrustations de chaînes et une antenne satellite. Le chômage avec les dettes, ç'aurait été la dégringolade assurée. Sachant que je suis du genre à faire des bêtises et à accentuer mon penchant pour ne pas affronter les soucis, je me voyais déjà en train de voler un vieux téléviseur avec la caisse en bois et de ragarder les deux chaînes en noir et blanc dans un taudis. La déchéance. La dégringolade, style t'as plus de dignité, t'es plus qu'une bête. J'ai pensé, c'est pas possible, tu dois t'éviter un destin pareil. Alors je suis allé frapper à la porte de l'ATA et, il faut bien l'avouer, je n'en menais pas large.

La première réunion ne s'est pas trop mal passée. On était une dizaine autour de la table et l'animateur -un repenti- m'a présenté aux anciens. Il leur a expliqué comment j'avais eu la volonté de venir moi-même alors que j'en étais à près de 17 heures par jour. Il m'a demandé quel pseudo je choisissais, vu qu'on doit tous rester anonymes. J'ai réfléchi et j'ai choisi Colombo. Il m'a dit que c'était pas possible : il y'en avait déjà un. Alors j'ai pris Star Trek. Je me suis détendu durant la réunion et, malgré le manque (ils m'avaient demandé de laisser en dépôt mon portable au vestiaire), ça m'a réconforté de parler de mon problème devant des gens qui savaient vraiment ce que c'était. Les autres en étaient à différents stades du traitement. Il y'avait deux cas graves - ils s'appelaient Mac Gyver et Le Petit Lord Fauntleroy. Tous deux avaient les yeux purulents. Moi, avec ma simple conjonctivite chronique, je m'en tirais finalement bien. Une femme qui répondait au pseudo de Télé-Achats s'est mise à gesticuler car c'était l'heure de son émission préférée. Une bénévole de l'ATA lui a mis un Minitel factice dans les mains. Ils appellent cela un placebo.
J'ai poursuivi les réunions pendant deux ans et cela m'a vraiement aidé : j'ai perdu la dépendance et au bout du compte j'ai décroché. J'ai revendu mon portable et ma montre-télé, même mon 16/9. J'ai gardé un 36 cm, mais j'ai enlevé l'intérieur pour qu'il ne fonctionne pas. J'y ai mis un pot de fleur. C'est un peu un symbole, pour me rappeller de faire gaffe. Bien sûr, j'ai craqué une ou deux fois pour un Interville ou un reality show durant le traitement. Mais après, je me suis tellement culpabilisé pendant les réunions que ça a achevé de me dégouter.
Maintenant, je vis mieux. Je me suis remis à sortir. J'ai même rencontré une fille. Ca marche bien entre nous. On a les mêmes goûts, et tout et tout. Ca pourrait bien coller, mais voilà : elle fait des projets à propos de nous deux. Moi j'hésite à m'engager. L'autre soir, elle m'a proposé de venir voir un documentaire chez elle. Je me suis défilé. Je ne veux pas prendre le risque de l'entraîner dans la spirale. Elle est si pure, si fragile. Et puis, que se passerait-il  si elle apprenait mon passé ?
Alors je suis là, je regarde mon aquarium durant des heures, ça me détend. Ca m'empêche de gamberger.

Ladislas Krobka (hiver 1997)
 

Big brother

"Il est inutile de fantasmer le détournement policier de la télévision par le pouvoir (comme Orwell dans 1984) : la télé, c'est, par sa présence même, le contrôle social chez soi. Pas besoin de l'imaginer comme périscope espion du régime dans la vie privée de chacun, puisqu'elle est mieux que cela : elle est la certitude que les gens  ne se parlent plus, qu'ils sont définitivement isolés face à une parole sans réponse."

Jean Baudrillard
Pour une critique de l'économie politique du signe, Gallimard, 1997

 

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