A l'adolescence, la pratique du dessin, tout en l'isolant de ce qu'il rejette, le familiarise avec l'expression artistique. En 1968, il entre à l'école des Beaux-Arts de Tourcoing, et là, dès la première année il voit un sens nouveau au monde, il découvre la vraie vie. Alors, intervient, peut-être, ce qu'il appelle la vengeance. Au désarroi d'un enfant meurtri, succède l'envie de montrer ce qu'il sait faire et créer, sa capacité à acquérir des techniques inaccessibles aux autres. De là vient son aptitude à s'engager dans un face à face quotidien avec l'Art, à témoigner du monde dont il ne veut pas se couper, mais qu'il veut apprendre à maîtriser, à dominer par sa quête personnelle. Dès le début il se sent à l'aise dans la peinture, et paradoxalement, alors qu'il travaille dans le bi dimensionnel, c'est le modelage de la toile qui l'intéresse, son volume. Pierre-Yves Bohm ne parle pas de perspective mais de lumière, de travail qui " a du corps ". Dans les boîtes crées entre 1973 et 1980, la lumière introduit le volume grâce à l'accumulation et la superposition de petits personnages. Dès ce moment la figure humaine le hante, l'obsède mais il cherche à en brouiller la piste, à la dissimuler, à la cacher sous des glacis successifs. Bientôt, il a abandonne les boîtes, elles l'enferment dans un style et une forme trop réducteurs. En 1989, un voyage aux Etats-Unis va lui permettre de procéder à une remise à plat de son travail. Une série de dessins de recherche, audacieux et efficaces le fait avancer dans sa mise à nu, dans ce corps à corps avec lui-même, qui ne va plus le quitter. Entre 1990 et 1992, il séjourne à Douai, et pendant cette période de transition où le sens d'une quête affective est lié à une expérience professionnelle, il va recentrer son travail sur lui-même, son visage, son corps, non par narcissisme mais par recherche. C'est à l'homme qu'il en veut et c'est de l'homme qu'il faut sortir ce qu'il veut. C'est alors qu'apparaissent des larmes d'or ou de sang sur ses toiles. Le succès vient, mais il s'en méfie, il résiste à la tentation de l'art facile. Dès qu'une exposition l'honore, il regagne son atelier, recherche la solitude, non par vanité ou mépris mais par nécessité de préserver en lui l'intégrité de la création. Comme les mystiques retrouvent leur force dans la prière, certains artistes retrouvent la foi dans l'atelier : chaque jour, la répétition de gestes matériels, précis, méticuleux devient signifiante et sauvegarde le sens créatif au plus profond d'eux-mêmes. Cet aspect matériel a énormément d'importance pour Pierre-Yves Bohm. Ses œuvres constituées de strates successives où l'on pénètre peu à peu, lui permettent, avec des matériaux divers, de conduire le spectateur au cœur de son expression la plus personnelle. Ainsi dans les œuvres présentées où les thèmes du corps et du visage sont majeurs, à sa préoccupation constante de la lumière propre à la peinture, Pierre-Yves Bohm oppose un travail presque artisanal de surface. Dans fétiche masculin et Amulettes, pour obtenir le fond sombre et pourtant lumineux, la toile est percée à l'arrière et la couleur, versée par les trous se fond dans les sacs textiles avec la teinte de la couleur. Avec Diptyque aux crochets de viande apparaît la contradiction entre un signe simple : la silhouette d'un homme aérien et la maille métallique aux crochets de viande qui module en glacis, la lumière de la toile. " Action du souvenir, de la blessure, invention d'un propos intime dans l'espoir d'une universalité par les gestes liés du travail pictural ". La série des autoportraits de merde recentre l'intérêt sur le regard, lumière étrange de ces visages aux traits à la fois forts et tenus, qui donnent une impression d'existence impalpable à l'exception des pupilles d'argent si présentes, qu'elles vous poursuivent encore, le dos tourné. Dans l'esprit de Pierre-Yves Bohm, ces études sont superposées et ne forment plus qu'un seul visage chargé de la force expressive de tous ses voisins. Jeu ambigu du dédoublement mais aussi probablement volonté d'aller vers la quintessence de notre condition dans un sens d'humaine universalité. Auto-corps et visage et dix corps en effort sont animés de mouvements : dans la première œuvre sur un fond sombre, qui disparaît à la lumière déclinante, jaillit comme en ressaut une tête phosphorescente portée par des bras complices et aimés. Avec dix corps en effort apparaît le contrasta affirmé entre le signe en argent statique, obstinément fixe et la tête noire toujours mouvante. Des œuvres graphiques émane une blancheur fragile qui traduit à la fois la force et la faiblesse des idées naissantes. Genèse d'une œuvre qui nous ramène toujours vers l'autre, et son regard. Pierre-Yves Bohm dit : " le côté frontal m'intéresse, le regard, le mien, celui de l'autre… ".

Annie CASTIER, Conservateur au Musée des Beaux-Arts de Lille
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