Né en 1926 et originaire d’une famille de la petite bourgeoisie de Mouknine, dans le Sahel tunisien, Ahmed ben Salah se lance, ses études terminées, dans l’action syndicale. Il se révèle rapidement comme un animateur de l’Union générale des travailleurs tunisiens (U.G.T.T.), reconstituée en 1945 par Ferhat Hached : il représente, à Bruxelles, l’U.G.T.T. auprès de la puissante Confédération internationale des syndicats libres (C.I.S.L.), dont il deviendra vice-président ; l’U.G.T.T. avait, en effet, après avoir été membre de la Fédération syndicale mondiale (F.S.M.) en 1949-1950, choisi d’adhérer en 1951 à la C.I.S.L. ; celle-ci constituait une instance privilégiée, car elle permettait aux nationalistes tunisiens de présenter à l’opinion internationale leurs revendications sans les faire taxer de communistes ; l’opinion publique aux États-Unis était plus spécialement visée, par le biais de l’A.F.L.-C.I.O, membre de la C.I.S.L., car elle paraissait en mesure d’influer favorablement sur le gouvernement français. L’audience internationale ainsi acquise par Ben Salah lui permet d’être élu secrétaire général de l’U.G.T.T. dans les jours qui précèdent le discours de Carthage du 31 juillet 1954, par lequel Pierre Mendès France reconnaît à la Tunisie le droit à l’autonomie interne. Ahmed Ben Salah remplace à ce poste Ferhat Hached, assassiné le 5 décembre 1952 dans des conditions mystérieuses. Ben Salah n’hésite pas, au cours de l’année 1956, à accuser le gouvernement Tahar Ben Ammar, auquel les néo-destouriens participent, de servir les intérêts de la grande bourgeoisie. Au nom de l’impératif unitaire, Habib Bourguiba, qui vient d’être élu le 8 avril 1956 président de l’Assemblée constituante tunisienne, répond que les revendications égalitaires ne doivent pas se transformer en pression des démunis sur les possédants. La forte personnalité de Ben Salah faisant craindre au Néo-Destour que l’U.G.T.T. n’échappe à son contrôle, ou même qu’elle ne suscite la création d’un parti travailliste, un courant néo-destourien se forme rapidement au sein de l’U.G.T.T. pour obtenir l’éviction de Ben Salah. Au congrès de septembre 1956, ce courant, animé par Habib Achour, pénètre la commission administrative ; sous l’influence d’Achour, certaines unions régionales refusent de s’affilier à l’U.G.T.T. et se groupent en union rivale ; le Néo-Destour, s’appuyant sur les syndicats des patrons de l’industrie, du commerce, de l’artisanat (U.T.T.C.A.) et de l’agriculture (U.N.A.T.), contraint Ben Salah à se démettre en décembre 1956 ; il est remplacé par Ahmed Tlili.
Écarté de l’U.G.T.T., Ben Salah est nommé secrétaire d’État à la Santé publique et aux Affaires sociales. Constatant en 1960 la chute des investissements et la fuite des capitaux et percevant le déclin de l’enthousiasme populaire né avec l’indépendance, Bourguiba, après avoir changé trois fois de ministre de l’Économie en quatre ans, déclare opter pour la planification puis pour le socialisme. Il charge, en 1961, Ben Salah de la planification et des finances. Entré par cooptation au bureau politique du Néo-Destour, ce dernier reprend l’essentiel de son rapport économique du VIe congrès de l’U.G.T.T. (1956) et prépare un plan, les Perspectives décennales (1962-1971), puis un plan triennal ayant pour but de mettre en place les structures nouvelles. Les Perspectives décennales, dont le préambule affirme que « ... la Tunisie opte résolument pour le socialisme », visent à décoloniser l’économie nationale par l’intégration du secteur colonial et la « tunisification » des enclaves demeurées étrangères : entendant assurer un autodéveloppement du pays, le plan assigne à l’aide extérieure de rester inférieure à 50 p. 100 des investissements nets. La politique de Ben Salah entraînera un grand développement de l’Administration, qui absorbera le secrétariat d’État aux Finances dès 1961, celui de l’Éducation nationale en 1967 et mordra considérablement sur celui de l’Agriculture. C’est dans ce dernier domaine que Ben Salah apporte les plus grands changements, en particulier par la décision prise en 1962 de créer des coopératives de production, rassemblant autour des terres des colons celles d’un certain nombre de paysans choisis comme coopérateurs. La mécanisation intensive de l’ensemble ainsi constitué aggrave le problème de l’emploi rural des paysans pauvres ou sans terres, et la gestion bureaucratique de ces coopératives fait naître un certain mécontentement chez les coopérateurs eux-mêmes (retards dans le paiement des salaires). Le mécontentement grandit (affaire de M’Saken en décembre 1964) et s’étend à d’autres couches de la population à mesure que l’organisation se développe : en 1968, elle intègre l’ensemble du secteur commercial et, à partir de janvier 1969 (marqué par l’affaire d’Ouardanine), doit s’appliquer à l’ensemble de l’agriculture tunisienne. Les commerçants et les gros et moyens agriculteurs ainsi menacés unissent leurs forces contre Ben Salah qui, pris dans son propre système bureaucratique, n’a pas pu s’assurer l’appui des paysans pauvres.
Sa chute est rapide : démis de ses fonctions ministérielles en septembre 1969, il est exclu du Néo-Destour et déchu de son mandat de député. Accusé d’avoir abusé de la confiance du président et d’avoir pris avantage (en 1968-1969) du mauvais état de santé de ce dernier, il est traduit devant la Haute Cour et condamné en mai 1970 à dix ans de travaux forcés. Il s’évade de sa prison de Tunis le 4 février 1973 et passe en territoire algérien. Il est gracié par le président Ben Ali en mai 1988.