Chant XIV du Purgatoire
image de Rackman

Quiconque me rencontre doit me tuer.
Là où habite encore Caïen.


«Chi è costui che 'l nostro monte cerchia prima che morte li abbia dato il volo, e apre li occhi a sua voglia e coverchia?». «Non so chi sia, ma so ch'e' non è solo: domandal tu che più li t'avvicini, e dolcemente, sì che parli, acco'lo». Così due spirti, l'uno a l'altro chini, ragionavan di me ivi a man dritta; poi fer li visi, per dirmi, supini; e disse l'uno: «O anima che fitta nel corpo ancora inver' lo ciel ten vai, per carità ne consola e ne ditta


RETOUR À LA PORTE DU PURGATOIRE


"Qui est-il celui qui longe la rive de notre supplice, avant que la mort ne l'ait enlevé, et qui ouvre et ferme les yeux comme il lui plait?" "Je ne sais qui il est, mais je sais qu'il n'est pas seul; toi qui es le plus près de lui, interroge-le et, pour qu'il réponde, sois chaleureux avec lui." Ainsi deux esprits, qui flottaient sur l'eau, parlaient de moi sur ma droite, puis, pour s'adresser à moi, ils sortirent la tête de l'eau: "Ô âme qui t'en va vers le ciel encore fixée à son corps, sois charitable et console-nous et dis-nous d'où tu viens et qui tu es, car la grâce que tu as obtenue nous émerveille comme d'une chose qui ne s'est jamais vue!" Je m'empressai de leur répondre ainsi: "À travers le pays de Maria Chapdelaine, coule une longue et sinueuse rivière sauvage qui s'abreuve aux cours qui s'éparpillent et qui prennent leur source dans la terre de Caïen, comme des blessures dans une terre aride. De ses rives j'apporte ici mon corps; inutile de te dire mon nom qui n'aura jamais de grande renommée." "Si mon esprit comprend bien ce que tu veux dire, tu désignes la rivière Chamouchouane; et pourquoi cacher le nom de cette rivière comme si c'était une chose horrible?" Alors, l'autre ombre lui répondit à ma place: "Je ne le sais, mais il est bien juste que s'humilie le nom de cette vallée qui est la terre où habite encore Caïen, car de sa source près de Chibougamou , jusque là où il se rend pour refaire ce que le ciel évapore de la mer, et qui donne à la rivière ce qu'il transporte dans son cours, tous fuient la vertu qu'ils tiennent pour ennemie, comme un serpent, ou parce que ce lieu est disgracié, ou parce que là, poussent de mauvaises herbes; aussi les habitants de cette misérable vallée ont si bien transformé leur nature qu'ils n'ont laissé de la mémoire, que les noms qui parlent indien, dont celui de Chamouchouane, cette rivière dont je parle et qui charrie la Ouananiche jusqu'à Saint-Félicien avant d'aller se fondre dans le lac. Elle coule son cours parmi les bêtes sauvages du Mistassini, elle dévale plus bas dans la terre nourrissière de l'Opémiska, elle s'accouple comme une vielle pute à la Nestaocana, elle fraie son cours à travers la forêt de Chibouchiche, elle rejoint presque silencieuse la Doré, elle se cavale en cascade à la Chute à l'Ours et plus elle se grossit, plus les loups qui hurlent à la louve deviennent des chiens qui aboient à la mort. Puis, en descendant plus loin, elle traverse des déchirures et des plaies qui alimentent la gourmandise de l'homme. Ainsi sont nos deux corps, attendant le ciel en sursis, ils vont échouer là-bas dans le grand lac inerte, comme des billes qui descendent les rivières et qui sont le reflet de la cupidité de l'homme." Et je confirmai ainsi: "C'est bien là que je suis né, dans cette vallée qui n'a pour mémoire que les noms des Saints du Ciel que portent sans fierté les villes, les villages: St-Prime, St-Méthode, St-Augustin, Ste-Monique, St-Thomas-Didyme, St-Jérôme, St-Gédéon, St-Ambroise, St-Edmond-les-Plaines, St-Eugène, St-Edmond, St-Amédée-de-Péribonca, St-Coeur-de-Marie, St-Hedwidge-de-Roberval, St-Stanislas, St-Ludger, Notre-Dame du Rosaire, St-Jean-Vianney, St-Honoré, St-David-de-Falardeau, L'Ascension-de-Notre-Seigneur, Notre-Dame-de-la-Doré, Ste-Rose-du-Nord, Notre-Dame-d'Hébertville, St-François-de-Sales, St-Bruno, St-Félix-d'Otis, St-Charles, St-Cyriac, St-Fulgence, St-Félicien; ainsi que les rues, les bâtiments et les monuments: Sacré-Coeur, l'Assomption, Saint-Joseph, Sainte-Catherine, Saint-Laurent, et les dépotoirs également: Sainte Cunégonde, Saint Anselme, et ailleurs et partout, couvrant la sainte province comme un mal qui se propage, de nouveaux sanctifiés viennent rabaptiser les rivières, les iles, les places publiques ainsi que les âmes: Saint-Jean-Drapeau, Saint-Jean-Lesage, Saint-Maurice-LeNoblet-Duplessis, Saint-Pierre-Laporte, Saint-René-Lévesque, Saint-Pierre-Elliot-Trudeau, Saint-Jean-Le-Chrétien, Saint-Jean-dit-Maudit-Col-Bleu-Lapierre, Saint-Jean-Pierre-Audet-dit-Lapointe: litanies inventées, non par dévotion, mais que pour cacher la détresse des âmes ou l'imagination égarée ou jamais enfantée." Nous savions bien que ces âmes nous voyaient marcher, aussi leur silence nous assurait que nous étions dans le droit chemin. Dès après s'être avancés très loin, nous nous trouvâmes seuls; en un lieu-dit l'Ile Maligne, que les gens nommaient d'effroi, une voix, paraissant la foudre quant elle fend l'air, retendit en face de nous, elle disait: "Quiconque me rencontre doit me tuer!" Puis l'ombre du Malin s'enfuit, comme fait le tonnerre qui s'éloigne lorsque les nuées se déchirèrent soudainement. Aussitôt que nous cessâmes de l'entendre, une autre éclata avec un tel fracas, qu'elle parut un autre tonnerre suivant immédiatement le premier: "Je suis Shipshaw, le monstre qui barre les eaux de la Péribonka; je suis le frein qui retient les âmes égarées à l'intérieur des limites du grand lac. Mais comme la Ouananiche, vous mordez à l'appât en sorte que l'hameçon de Satan vous tire à soi. Aussi, le barrage et la civilité ne vous sont d'aucun secours! Le ciel vous courtise et vous montre ses charmes, mais vous préférez regarder la terre, cette putain; ce dont vous châtie Celui qui connaît tout."



Marco Polo ou le voyage imaginaire (La tragédie humaine, janvier 2000) © 1999 Jean-Pierre Lapointe
Theme musical inconnu, emprunté aux Archives du Web.
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CHANT XV DU PURGATOIRE