Chant XXV du Purgatoire
image de Sorayama

Pourquoi enfanter là où l'on n'a plus besoin d'engendrer?
L'âme est autre chose qu'un génome humain.


Ora era onde 'l salir non volea storpio; ché 'l sole avea il cerchio di merigge lasciato al Tauro e la notte a lo Scorpio: per che, come fa l'uom che non s'affigge ma vassi a la via sua, che che li appaia, se di bisogno stimolo il trafigge, così intrammo noi per la callaia, uno innanzi altro prendendo la scala che per artezza i salitor dispaia. E quale il cicognin che leva l'ala per voglia di volare, e non s'attenta d'abbandonar lo nido, e giù la cala;


RETOUR À LA PORTE DU PURGATOIRE


Il était déjà tard et l'heure était venue de monter, car le soleil commençait à descendre; aussi, nous fîmes comme celui qui va son chemin et ne s'arrête point, quoi qu'il advienne; ainsi, nous entrâmes par le passage étroit, et nous montâmes l'escalier dont l'étroitesse était telle, que nous marchions l'un derrière l'autre. Dans mon désir d'interroger la lumière qui scintillait, j'étais tel le petit de l'oiseau qui ne sait aller des ailes pour voler, sans tomber du nid; j'ouvrais et fermais les lèvres sans laisser échapper un son. Mon guide qui s'en aperçut, malgré que notre marche fût rapide, me dit: "Ne crains point et exprime sans crainte tes pensées." J'ouvris alors les lèvres, rassuré, et je commençai ainsi: "Comment peut-on enfanter là où l'on n'a plus besoin d'engendrer?" Et il répondit: "Toutes ces choses qui pourraient te sembler faciles à comprendre, comme tes mouvements qui se reflètent en bougeant devant le miroir, n'ont plus la même transparence, et de cela je ne saurais te renseigner; mais, pour que tes désirs soient satisfaits, j'appelle Dante et je le prie de te guérir de tes appréhensions." Dante alors répondit: "Si je lui dévoile, en ta présence, comment ont été violés les dessins éternels, je ne serai excusé que de ne t'avoir point opposé un refus." Puis il continua ainsi, en s'adressant à moi: "Si ton esprit, mon fils, est réceptif à mes paroles, elles éclairciront la question que tu poses. Le Sperme est l'aliment qui ne se boit point comme un breuvage sur la table, il prend dans le coeur la vertu qui donne leur forme, leur essence et leur nature, aux membres de l'homme, de la même manière que celui qui va dans les veines se changer en eux. Encore digéré, il descend dans les testicules, et puis de là il s'écoule dans la matrice, ce vase naturel, où il se mélange au sang de la femme. L'un et l'autre se rencontrent à cet endroit, l'un est disposé à subir, l'autre à agir, grâce à la perfection du lieu de leur origine; et, arrivé là, il commence à opérer, d'abord par coagulation, puis il donne la vie à ce que, par sa matière, il a rendu consistant. Sa vertu active devenue âme végétative, comme celle d'une plante, à cette différence qu'elle n'est pas encore parfaite et elle commence à alimenter les organes. Elle se déploie ensuite et se dilate et transmet la vertu du coeur de celui qui engendre, pour former l'âme sensitive analogue à celle de la brebis. Mais tu ne sais pas encore comment, de brebis Dolly, l'on devient enfant, et c'est sur ce point que tant d'eugénistes se sont trompé, qui, dans leur doctrine, ont oublié que l'âme est autre chose qu'un génome humain et que l'intellect ne peut en être dissocié. Ouvre maintenant ton âme à la vérité que je te transmets, et sache qu'aussitôt que, dans le foetus, la structure du cerveau est parfaite, Dieu complète ce chef d'oeuvre de la nature; il tire de là, ce qu'il y a d'actif, l'âme végétative et l'âme sensitive, et il en fait une seule âme, l'âme intellective, l'âme rationnelle, qui ne s'y trouvait point auparavant, et en fait une seule âme qui vit et sent et se reflète en elle-même. Pourquoi Dieu, dans sa grandeur, t'aurait-il créé unique mon cher Marco, alors que celui qui se croit être Dieu et qui n'en a point les outils, voudrait créer un clone de toi qui te soit identique? C'est que ce géniteur est incapable d'aller au-delà de l'âme sensitive de Dolly, et l'Enfant qu'il croit engendrer, n'est qu'un Golem sans raison et sans âme. Et pour que tu ne sois point étonné de mes paroles, considère comment la chaleur du soleil se transforme en vin, en s'unissant à l'humeur aqueuse qui coule de la vigne. Ainsi l'âme intellective, en s'unissant à l'âme végétative et à l'âme sensible, devient une seule âme, qui vit, qui sent et qui est douée de raison. À la mort, l'âme quitte le corps et emporte avec elle les facultés corporelles et spirituelles ainsi que les facultés sensitives par la mort des organes; les facultés intellectuelles, au contraire, délivrées des entraves du corps, deviennent bien plus actives qu'auparavent. L'âme, ainsi délivrée, tombe d'elle-même aux bords de l'Achéron ou à l'embouchure de La Seine, car elle sait si elle sera sauvée ou damnée. Aussitôt qu'elle atteint ce lieu, l'information qu'elle recelle rayonne tout autour ainsi qu'elle le faisait sur les membres vivants. La vertu qui informe agit sur l'air, après la mort, pour façonner en quelque sorte le corps factice, comme elle a agi sur les sangs de l'homme et de la femme pour faire le corps réel. Et comme elle tire de là sa visibilité, elle est appelée umbra, qui signifie notamment apparence. Voilà la raison pour laquelle nous parlons, nous rions et nous formons les larmes et les soupirs tels que tu les as entendus par la montagne. L'ombre prend tel ou tel aspect selon que nous touchent les désirs et les autres sentiments, et voilà la raison de ce qui t'étonne." Nous arrivions au supplice du dernier cercle, nous tournions à droite et étions accaparés par un autre souci. Ici, la paroi de la falaise lance des flammèches de feu poussées par un vent qui pousse vers le haut. Aussi, il nous fallait marcher à découvert, un à un, du côté non protégé; je craignais d'un côté le feu, et de l'autre de tomber. Mon guide me disait: "Il faut ici être vigilant et bien regarder, car on pourrait facilement se tromper." J'entendis, à ce moment, chanter: "Lumbos, jecurque morbidum Flammis adure congruis, Accincti ut artus recubent Luxu remoto pessimo." venant de l'intérieur du vaste brasier, ce qui me fit me retourner, et je vis des esprits qui marchaient dans la flamme; aussi, je regardais leurs pas aussi bien que les miens, regardant ici et là. A la fin de l'hymne, ils criaient d'une voix forte: "Je ne connais point les plaisirs de l'enfantement ne sachant plus comment engendrer"; puis ils reprenaient l'hymne sur un ton plus bas: "Méphistos resta dans les bois et il en chassa Hélène, qui avait goûté au poison de l'Amour." Puis ils reprenaient leur chant; ils célébraient ensuite des femmes et des maris qui s'aimaient, qui jouissaient et qui enfantaient, comme l'exige la vertu de l'Amour. Et je crois qu'ils continuent sur ce mode alterné, pendant tout le temps que la flamme les brûle; il faut que, par de tels remèdes et une telle nourriture, leurs plaies finalement se cicatrisent.



Marco Polo ou le voyage imaginaire (La tragédie humaine, janvier 2000) © 1999 Jean-Pierre Lapointe
Theme musical: truthseeker de Sear, emprunté aux Classical Midi Archives.
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CHANT XXVI DU PURGATOIRE